Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220322


Dossier : A-155-21

Référence : 2022 CAF 47

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DOUGLAS WALLS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe,

le 24 février 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 mars 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20220322


Dossier : A-155-21

Référence : 2022 CAF 47

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DOUGLAS WALLS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. Introduction

[1] Le demandeur, M. Douglas Walls, a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en novembre 2018. Dans une lettre datée du 8 juillet 2019, le ministre de l’Emploi et du Développement social a accédé à sa demande en lui versant des paiements rétroactifs à compter d’août 2017, conformément à la disposition déterminative de 15 mois énoncée à l’alinéa 42(2)b) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, c. C-8 (le RPC).

[2] Dans la même lettre, la ministre a expliqué que, selon elle, M. Walls ne répondait pas à la définition d’incapacité énoncée au paragraphe 60(8) du RPC. Il résulte de cette conclusion que M. Walls ne pouvait pas recevoir de prestations d’invalidité rétroactivement à novembre 2011, date à laquelle M. Walls affirme que sa période d’incapacité a commencé.

[3] M. Walls a contesté les conclusions de la ministre concernant son incapacité. Devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, M. Walls, avec l’aide de son avocat, a fourni des éléments de preuve de nature médicale et autres qui, selon lui, appuyaient une conclusion factuelle d’incapacité au sens de la définition énoncée aux paragraphes 60(8) à 60(10) du RPC. Plus précisément, M. Walls a affirmé que, de novembre 2011 à novembre 2018, il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande pendant une période continue avant de soumettre sa demande le 9 novembre 2018.

[4] La division générale a rendu sa décision le 30 septembre 2020. Elle a rejeté l’appel de M. Walls et a conclu que la preuve fournie par M. Walls ne permettait pas de conclure à une incapacité au sens des paragraphes 60(8) à 60(10) du RPC. M. Walls a alors a interjeté appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] La division d’appel a rendu sa décision (Décision de la DA) le 1er avril 2021 (2021 TSS 132). La division d’appel a confirmé la décision de la division générale, concluant que M. Walls ne répondait pas aux critères d’incapacité énoncés aux paragraphes 60(8) à 60(10) du RPC. Conformément à son rôle, qui est précisé au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, c. 34 (la Loi sur le MEDS), la division d’appel a confirmé qu’elle ne pouvait modifier la décision de la division générale que si elle était convaincue que cette dernière : 1) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; 2) a rendu une décision entachée d’une erreur de droit; 3) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La Division d’appel n’a trouvé aucune erreur de la sorte.

[6] M. Walls demande à notre Cour le contrôle judiciaire de la Décision de la DA.

II. Normes de contrôle et questions soumises à la Cour

[7] La norme de contrôle dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable. Il suffit à notre Cour de déterminer si la conclusion et les motifs de la division d’appel sont raisonnables (Stavropoulos c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 109, [2020] A.C.F. no 738 (QL) au para. 11), Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4e) 1 aux para. 83 et 86 [Vavilov]; Stojanovic c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 6, [2020] A.C.F. no 15 (QL) au para. 34).

[8] Compte tenu du régime législatif établi dans la Loi sur le MEDS et des rôles précis et distincts de la division générale et de la division d’appel, le rôle de notre Cour n’est pas de soupeser à nouveau ou de réévaluer la preuve dont était saisi le décideur administratif chargé de l’établissement des faits, en l’occurrence, la division générale (Vavilov au para. 125). Ainsi, la question dont nous sommes saisis n’est pas de savoir si notre Cour aurait fait droit à la demande de M. Walls, mais plutôt de savoir si la décision de la division d’appel de ne pas modifier la décision de la division générale était raisonnable (Cameron c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 100, [2018] A.C.F. no 582 (QL) au para. 3).

[9] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, je suis d’avis que les questions en litige peuvent être formulées comme suit :

  1. Était-il raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale avait correctement appliqué le critère juridique de l’incapacité établi par notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Danielson, 2008 CAF 78, 165 A.C.W.S. (3d) 560 [Danielson]?

  2. Était-il raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[10] Pour les motifs suivants, malgré le mémoire des faits et du droit convaincant de M. Walls et ses éloquentes observations orales, et compte tenu de la norme de contrôle que je dois appliquer, je suis d’avis que la Décision de la DA est raisonnable et je rejetterais la demande.

III. Bref exposé des faits

[11] Les problèmes de santé de M. Walls ont commencé en juillet 2010, après qu’une tique l’eut piqué. Il est tombé très malade, et son état de santé général ainsi que ses capacités cognitives se sont détériorés. Les symptômes de M. Walls comprenaient ce qui suit :

  • douleurs atroces et incessantes dans le haut du dos, le bas du cou et dans les os de la mâchoire et du visage;

  • problèmes digestifs;

  • épuisement;

  • nausée continue;

  • brouillard cérébral continu;

  • cerveau léthargique;

  • inflammation du cerveau;

  • incapacité à se concentrer;

  • perte de force;

  • essoufflement;

  • fatigue;

  • manque total d’énergie;

  • maux de tête extrêmes;

  • incapacité à se concentrer;

  • incapacité à planifier ou à résoudre des problèmes;

  • changements de comportement tels que l’anxiété et l’agitation.

[12] M. Walls a déclaré devant la division générale qu’il avait été congédié le 31 octobre 2011, n’ayant jamais demandé de prestations d’invalidité de longue durée par crainte de perdre son emploi. Après son congédiement, M. Walls n’a plus jamais travaillé ni gagné de revenu d’emploi. Il indique qu’il [traduction] « a été dans un état mental végétatif de type zombie de novembre 2011 à novembre 2018 qui était sévère, prolongé et continu ». Il a cherché à obtenir un traitement médical, mais y a renoncé et est resté alité et isolé dans sa maison (Déclaration sous serment du demandeur au para. 27, Dossier du Demandeur à la p. 24).

[13] Lorsqu’il a atteint l’âge de 65 ans, M. Walls a reçu une lettre de Service Canada lui indiquant qu’il devrait faire une demande aux termes du RPC. Il s’est rendu au bureau de Service Canada et a éprouvé des difficultés avec sa demande. Par conséquent, un employé de Service Canada l’a aidé [traduction] « pendant une longue période » à remplir la demande. Sa demande a été accueillie et M. Walls reçoit une pension de retraite du RPC depuis le 1er octobre 2017 (Déclaration sous serment du demandeur aux para. 13 et 14, Dossier du Demandeur à la p. 21).

[14] À peu près à la même époque, M. Walls a également reçu les formulaires nécessaires pour demander des prestations d’invalidité du RPC lorsqu’il fut révélé qu’il était malade depuis longtemps. Il lui a fallu une [traduction] « année complète pour remplir cette demande [...] grâce à la serviabilité des personnes qui l’ont aidé à Service Canada » (Déclaration sous serment du demandeur au para. 13, Dossier du Demandeur à la p. 21).

[15] Les prestations d’invalidité du RPC de M. Walls seraient devenues payables en décembre 2017 et auraient pris fin en février 2018 lorsqu’il a eu 65 ans. La ministre a déterminé que l’annulation de la pension de retraite de M. Walls entraînerait un trop-payé plus élevé que le moins payé estimé de sa prestation d’invalidité. La ministre lui a offert la possibilité d’annuler sa pension de retraite ou de retirer sa demande de prestation d’invalidité, car il n’est pas possible de recevoir les deux en même temps. Le 1er août 2019, M. Walls a écrit à la ministre pour l’informer qu’il ne voulait pas annuler sa pension de retraite du RPC ni retirer sa demande d’invalidité. La ministre a décidé de continuer à verser la pension de retraite de M. Walls pendant que sa demande de prestation d’invalidité était à l’étude (Déclaration sous serment du demandeur au para. 16, Dossier du Demandeur à la p. 22).

IV. Décision de la division d’appel faisant l’objet du contrôle judiciaire

[16] M. Walls, qui agissait pour son propre compte devant la division d’appel, a soulevé quatre questions principales :

  • 1) La division générale a-t-elle commis une erreur en omettant d’offrir à M. Walls un processus équitable?

  • 2) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Danielson?

  • 3) La division générale a-t-elle commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve médicale qui n’appuyaient pas une conclusion d’incapacité?

  • 4) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur d’autres erreurs de fait?

[17] En ce qui concerne la première question, la division d’appel a conclu que l’instance devant la division générale s’était déroulée de façon équitable. La division d’appel a conclu que M. Walls avait été représenté par un avocat à la division générale et qu’il avait eu amplement l’occasion de présenter des arguments par rapport à chaque fait ou facteur pertinent dans l’affaire. La division d’appel a expliqué que le devoir d’agir équitablement exigé dans chaque affaire dépend de divers facteurs, y compris le droit d’être entendu, la nécessité pour les membres du tribunal d’être les maîtres de la procédure et l’équilibre entre le caractère informel, la rapidité et l’équité de l’instance. La division d’appel a conclu que le processus était équitable puisque M. Walls avait accepté de se conformer à un processus au cours duquel il ne ferait pas la lecture de sa déclaration en entier. De plus, l’avocat de M. Walls a guidé ce dernier tout au long de son témoignage et a ensuite présenté ses observations finales. Le membre de la Division générale a donné à M. Walls l’occasion de réviser et de résumer l’ensemble de la déclaration tel que convenu initialement, a vérifié plus d’une fois auprès de M. Walls si tout allait bien avant et pendant l’audience et a donné l’occasion à M. Walls de soulever chaque question qu’il souhaitait aborder (Décision de la DA aux para. 16-26). Après avoir examiné tous ces facteurs, la division d’appel a estimé que la division générale avait respecté les principes de justice naturelle.

[18] Quant à la deuxième question, la division d’appel a conclu que la division générale avait suivi le critère juridique établi pour déterminer l’incapacité énoncé dans Danielson. La division d’appel a expliqué que l’enseignement tiré de Danielson exige que la division générale tienne compte à la fois des activités de M. Walls et des rapports médicaux concernant la période pendant laquelle il soutient qu’il était incapable de former ou d’exprimer une intention de faire une demande au RPC. La division d’appel a conclu que la division générale avait tenu compte à la fois des activités de M. Walls et de ses rapports médicaux, et qu’elle avait correctement évalué s’il avait démontré qu’il avait la capacité de former l’intention de faire une demande (Décision de la DA aux para. 27-33).

[19] Enfin, en ce qui concerne les deux autres questions de fait soulevées par M. Walls, à savoir le recours à certains éléments de preuve de nature médicale et d’autres erreurs de fait, la division d’appel a conclu que la division générale n’avait commis aucune erreur de fait en ce qui concerne les principaux éléments de preuve dont elle disposait. La division d’appel a expliqué que, bien que la division générale pourrait commettre une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, cela ne s’est pas produit en l’espèce. Dans l’ensemble, elle a estimé que la division générale n’avait pas tiré de conclusions de fait erronées en ce qui concerne les principaux éléments de preuve ou tout autre élément de preuve (Décision de la DA aux para. 34-66). Elle a rejeté l’appel.

V. Position du demandeur

[20] Les arguments de M. Walls portent sur deux catégories d’erreurs qui, selon lui, rendent la Décision de la DA déraisonnable.

[21] Premièrement, M. Walls soutient que la division générale n’a pas appliqué correctement le critère juridique pour déterminer l’incapacité dans l’arrêt Danielson, tel que redéfini dans la récente décision de notre Cour dans l’arrêt Blue c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 211, 337 A.C.W.S. (3d) 534 [Blue]. Cela rend la Décision de la DA déraisonnable, dit-il, car la division d’appel aurait dû constater que la division générale avait commis une erreur dans l’application du critère juridique.

[22] Sur ce point, M. Walls soutient que la division générale n’a pas abordé le quatrième élément du critère, tel qu’énoncé au paragraphe 42 de Blue, à savoir la mesure dans laquelle ses [traduction] « inactivités » jettent un éclairage sur sa capacité à former ou à exprimer une intention de demander des prestations d’invalidité au cours de la période pertinente.

[23] M. Walls affirme que la division générale n’a pas apprécié correctement les éléments de preuve qui énuméraient toutes les activités qu’il n’était plus en mesure d’accomplir et qui exigeaient un certain degré de capacité mentale. Il souligne la longue liste d’[traduction] « inactivités » au cours de la période allant de novembre 2011 à novembre 2018, notamment (Déclaration sous serment du demandeur au para. 11, pièce C, Dossier du Demandeur aux pp. 20, 30 et 31) :

[TRADUCTION]

  • S’occuper de ses finances et de ses placements, ayant comme résultat d’importantes pertes d’argent;

  • Trouver un nouveau médecin de famille qui s’intéresserait réellement à sa santé;

  • Réfléchir à la préparation d’un testament;

  • S’occuper d’une réclamation à la suite d’un sinistre habitation, lui ayant fait perdre 6 000 $;

  • Remplir ses fonctions d’exécuteur testamentaire pour la succession de sa mère, qui, selon lui, demeure en suspens;

  • L’impossibilité d’intenter une action en justice pour une petite créance;

  • Le fait qu’il ait tardé à se faire soigner pour des troubles physiques a eu pour conséquence qu’il n’a eu aucun choix sauf subir une intervention chirurgicale;

  • L’impossibilité de déménager dans un nouvel appartement malgré le niveau de bruit et de perturbation qu’il subissait à l’extérieur de son logement, ce qui a exacerbé son état mental et son niveau d’agitation;

  • Son isolement des autres membres de sa famille et des personnes qui auraient pu lui apporter du soutien;

  • L’impossibilité de conclure un accord de règlement avec son épouse avant le début de sa maladie. Par conséquent, tous les avoirs en commun sont restés bloqués pendant les dix années de sa maladie; et

  • Les revenus annuels auxquels il aurait pu s’attendre s’il n’avait pas été congédié à cause de ses problèmes de santé à l’âge de 58 ans.

[24] M. Walls affirme que ces exemples des nombreuses poursuites et actions qu’il n’était plus en mesure d’entreprendre démontrent de façon accablante qu’il n’avait pas la capacité mentale pendant la période en question.

[25] La deuxième erreur que M. Walls fait valoir est qu’il était déraisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a accordé trop de poids à certains éléments de preuve de nature médicale et qu’elle n’a pas tenu compte d’autres éléments de preuve et facteurs médicaux qui, pris ensemble, démontraient son incapacité.

[26] Sur la question de la preuve médicale sur laquelle la division générale s’est appuyée pour établir la capacité, M. Walls soutient que la division générale a accordé trop d’importance à un nombre limité d’activités d’ordre médical qui, en soi, ne nécessitaient pas de véritable réflexion et étaient simples. Par exemple, le fait qu’il ait signé un formulaire de consentement pour subir une intervention chirurgicale en mars 2015 et le consentement verbal et écrit qu’il a donné en juin 2015 pour une autre intervention chirurgicale ne nécessitaient pas de réflexion, car, selon lui, il n’avait pas d’autre choix que de subir ces deux interventions médicales. En ce qui concerne le questionnaire préopératoire qu’il a rempli en janvier 2016, en lien avec sa deuxième intervention chirurgicale, celui-ci consistait en des cases à cocher et était simple. Enfin, son consentement à subir en décembre 2016 un test médical sans rapport avec ces interventions chirurgicales était également lié aux symptômes qu’il pensait provenir de la maladie de Lyme. Selon lui, il s’agissait d’une réponse automatique et aucune réflexion n’était nécessaire de sa part.

[27] M. Walls affirme plutôt que la division générale aurait dû accorder beaucoup plus de poids à la preuve médicale présentée par son médecin de famille qui a rempli le formulaire de déclaration d’incapacité soumis avec sa demande de prestations d’invalidité. Le médecin a répondu [traduction] « oui » à la question suivante : [traduction] « L’état du demandeur le rend-il incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande? ». En outre, le médecin a répondu [traduction] « en cours » à la question : [traduction] « [i]ndiquer la date à laquelle l’incapacité a cessé » (Déclaration sous serment du demandeur au para. 18, Dossier du Demandeur à la p. 22).

[28] Les autres facteurs sur lesquels la division générale se serait trop appuyée, selon M. Walls, sont sa tentative de retourner au gymnase en 2016 et plus tard en 2018. Cela ne doit pas être interprété comme une preuve d’amélioration de sa capacité mentale.

[29] Enfin, M. Walls conteste l’exactitude de certaines des conclusions de fait tirées par la division générale. Par exemple, il soutient que le renvoi à son [traduction] « douloureux divorce » était inexact, car il n’a jamais divorcé. Il affirme également que le renvoi à sa capacité à réaliser plusieurs tâches simultanément était inexact.

[30] En résumé, M. Walls affirme que la preuve invoquée par la division générale comme établissant la capacité ne démontre pas, selon lui, la capacité mentale ou un degré d’acuité mentale, et qu’elle ne devrait pas être utilisée comme correspondant à la véritable signification de la « capacité ».

VI. Analyse

[31] D’emblée, comme la Cour l’a indiqué à M. Walls lors de l’audience, il ne fait aucun doute qu’il est invalide au sens du RPC. Il est incontestable que ses nombreux symptômes étaient débilitants et ont changé sa vie. Il n’a pas été en mesure de retourner au travail et de gagner un revenu en raison de son invalidité. La question n’est cependant pas de savoir s’il est invalide. La question est de savoir s’il avait la capacité de former ou d’exprimer une intention de faire une demande de prestations d’invalidité aux termes du RPC avant de faire cette demande le 9 novembre 2018. Une constatation d’incapacité en vertu du paragraphe 60(8) du RPC ne s’applique que dans un ensemble très restreint de circonstances.

[32] En effet, il est très regrettable que M. Walls n’ait pris connaissance de sa possibilité de demander des prestations d’invalidité aux termes du RPC que lorsqu’il a rencontré un employé de Service Canada en 2017.

A. Était-il raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale avait correctement appliqué le critère juridique de l’incapacité établi par notre Cour dans l’arrêt Danielson?

[33] En ce qui concerne les arguments de M. Walls sur l’application du critère juridique établi dans Danielson et redéfini dans Blue, je suis d’avis que la division d’appel est parvenue à une conclusion raisonnable en décidant que la division générale avait appliqué le critère juridique de manière appropriée.

[34] Dans Danielson, la majorité de notre Cour a conclu que les activités d’un demandeur pendant la période d’incapacité en question peuvent être pertinentes pour jeter un éclairage sur son incapacité continue à former ou à exprimer l’intention requise et qu’elles doivent être prises en considération (Danielson au para. 7). En accueillant la demande de contrôle judiciaire, le juge Létourneau, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que « [c]e que la Commission aurait dû examiner, c’est la question de savoir si ces événements, au moment où ils se sont produits, prouvaient une capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation. » Au contraire, la Commission a omis de le faire et a considéré à tort d’autres activités pertinentes du défendeur. Il s’agissait d’une application erronée du critère juridique (Danielson au para. 11).

[35] De plus, dans l’arrêt Sedrak c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2008 CAF 86, 377 N.R. 216 [Sedrak], notre Cour a conclu que « [l]a capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur de prestations » (Sedrak au para. 3). Au contraire, « [l]e fait que [le demandeur] n’ait pas l’idée d’exercer une faculté donnée en raison de sa vision du monde ne dénote pas chez lui une absence de capacité. [...] Ces dispositions n’ont pas pour effet de nous obliger à donner au terme « capacité » un autre sens que son sens ordinaire » (Sedrak aux para. 3 et 4).

[36] Ainsi, la jurisprudence nous enseigne que le critère juridique applicable n’est pas de savoir si le demandeur a la capacité de faire, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité. C’est-à-dire qu’elle ne dépend pas de la capacité physique du demandeur à remplir la demande. Il s’agit plutôt de savoir si le demandeur a la capacité mentale, tout simplement, de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande. Il s’agit de la même capacité que celle de former ou d’exprimer une intention de faire d’autres choses.

[37] La décision récente de notre Cour dans Blue constitue une réitération utile du critère énoncé dans Danielson. Dans l’affaire Blue, contrairement à ce qui se passe en l’espèce, le demandeur disposait d’éléments de preuve psychologiques qui permettaient de conclure à son incapacité. Le critère juridique de l’incapacité a été réaffirmé dans Blue, au paragraphe 42, et mérite d’être repris :

[TRADUCTION]

[42] Il en ressort que le critère d’incapacité aux fins du paragraphe 60(9) du Régime de pensions du Canada suppose l’examen des éléments suivants, à tout le moins :

(1) le témoignage du demandeur quant à la nature et à l’étendue de ses limitations physiques ou mentales;

(2) toute preuve médicale, psychologique ou autre présentée par le demandeur à l’appui de sa demande d’incapacité;

(3) la preuve d’autres activités auxquelles le demandeur a pu se livrer au cours de la période concernée;

(4) la mesure dans laquelle ces autres activités jettent un éclairage sur la capacité du demandeur à former ou à exprimer une intention de demander des prestations d’invalidité pendant cette période.

[38] Je ne peux pas accepter les arguments de M. Walls selon lesquels la division générale n’a pas tenu compte des éléments énoncés dans le quatrième facteur de l’arrêt Blue, à savoir la mesure dans laquelle ces autres activités (dans son cas, des [traduction] « inactivités ») jettent un éclairage sur sa capacité à former ou à exprimer une intention de demander des prestations d’invalidité. Il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale avait pris en compte ces [traduction] « inactivités » comme il est indiqué au paragraphe 32 de la Décision de la DA. M. Walls n’est pas d’accord avec le poids accordé par la division générale à sa liste des poursuites et des actions qu’il n’était plus en mesure d’intenter pendant la période pertinente de novembre 2011 à novembre 2018. Toutefois, il ne nous appartient pas, comme il n’appartenait pas non plus à la division d’appel, de réexaminer et d’apprécier à nouveau les éléments de preuve. La division générale a examiné cette liste d’[traduction] « inactivités » aux paragraphes 17 et 18 de ses motifs. Comme il est indiqué au paragraphe 33 ci-dessus, il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale avait appliqué de manière appropriée le critère juridique énoncé dans Danielson à l’ensemble des éléments de preuve qui lui étaient soumis. Ces exemples d’[traduction] « inactivités » n’ont tout simplement pas convaincu ou persuadé la division générale de l’incapacité mentale de M. Walls.

[39] À mon avis, il était raisonnable pour la division d’appel de ne pas trouver d’erreur dans la décision de la division générale en ce qui concerne l’application du critère juridique énoncé dans Danielson.

B. Était-il raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[40] En ce qui concerne la deuxième erreur, il est important de se rappeler le sens de l’expression « abusive ou arbitraire », telle qu’elle est énoncée dans les motifs d’appel au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

[41] Notre Cour a estimé qu’une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire est une conclusion qui contredit carrément les éléments de preuve ou qui n’est pas étayée par ces derniers (Garvey c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 118, [2018] A.C.F. no 626 (QL) au para. 6). Dans la décision récente intitulée Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161 aux paragraphes 122 et 123, en renvoyant à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 et à l’arrêt Rohm & Haas Canada Limited v. Canada (Anti-Dumping Tribunal) (1978), 22 N.R. 175, 91 D.L.R. (3e) 212, notre Cour s’est penchée sur le sens de l’expression « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance » dans un contexte similaire à la détermination de l’existence d’un fondement pour justifier une intervention par rapport à des conclusions factuelles erronées d’un décideur administratif. Dans ce passage, notre Cour explique que le critère de « l’absurdité » a été interprété comme le fait d’« avoir sciemment statué à l’opposé de la preuve ». Le critère du « caractère arbitraire » ou de la constatation des faits sans tenir compte des éléments de preuve comprendrait les circonstances « où la conclusion n’était rationnellement étayée d’aucun élément de preuve […] ou celles où le décideur a omis de tenir raisonnablement compte d’éléments de preuve importants qui étaient contraires à sa conclusion. »

[42] En l’espèce, on ne peut pas dire que la division générale a sciemment tiré des conclusions factuelles contraires à la preuve. La division générale a examiné les éléments de preuve médicale de M. Walls, soit les symptômes physiques et mentaux auxquels il a été confronté pendant la période allant de juillet 2010 à novembre 2018. La division générale a également examiné, aux paragraphes 4 et 13 à 20 de ses motifs, la liste des activités que M. Walls n’était plus en mesure d’accomplir. La plainte de M. Walls concerne la manière dont la division générale a soupesé l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Le présent dossier démontre qu’il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que la division générale n’avait pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée.

[43] En outre, je ne vois nulle part dans les motifs de la division générale des circonstances dans lesquelles il n’y avait pas d’éléments de preuve pour étayer rationnellement ses conclusions de fait ou dans lesquelles elle n’a pas réussi à tenir compte raisonnablement des éléments de preuve essentiels qui allaient à l’encontre de ses conclusions. La division générale a conclu que M. Walls a rencontré son médecin traitant et d’autres spécialistes médicaux et qu’il avait la capacité mentale pour consentir à des interventions chirurgicales, remplir un questionnaire médical et subir des tests médicaux. Sa capacité à consentir à ces procédures et tests médicaux constituait une preuve de sa capacité, tout simplement, de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de prestations d’invalidité aux termes du RPC.

[44] Il était raisonnable pour la division d’appel de ne pas modifier les conclusions factuelles de la division générale.

VII. Conclusion

[45] Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, sans frais.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-155-21

INTITULÉ :

DOUGLAS WALLS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 février 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

Douglas Walls

 

Pour le demandeur

Pour son propre compte

Tiffany Glover

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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