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Date : 20220329


Dossier : A-321-20

Référence : 2022 CAF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 29 mars 2022.

Jugement rendu à l’audience à Calgary (Alberta), le 29 mars 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR:

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20220329


Dossier : A-321-20

Référence : 2022 CAF 52

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Calgary (Alberta), le 29 mars 2022).

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) qui a sursis à sa demande d’indemnisation pour l’aliénation illégale reprochée de plus de 16 500 acres de la réserve Witchekan Lake au début du vingtième siècle. Le Tribunal en est arrivé à cette conclusion au motif que la revendication relevait de deux accords intervenus entre la Première Nation de Witchekan Lake (Witchekan) et la Couronne, et qu'en vertu de ces accords, la Cour fédérale avait compétence exclusive en la matière.

[2] Les parties conviennent à bon droit que la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, par. 31. La cour de révision a pour tâche en appliquant cette norme non pas de mettre en doute les conclusions du décideur ou de se demander quelle décision elle aurait prise, mais de se concentrer sur la décision effectivement rendue par le décideur (tant le raisonnement que le résultat) pour s’assurer que cette décision n’est pas entachée d’une erreur déterminante.

[3] Dans sa déclaration de revendication (la revendication), Witchekan demande une indemnisation pour le non-respect par le Canada de ses obligations légales et fiduciaires liées au processus de création de la réserve, qui a entraîné la perte de 16 577 acres de terres de réserve. Plus précisément, la demanderesse soutient que, selon l’arpentage effectué par le Canada en 1913, les terres de la réserve étaient estimées à 20 814 acres, mais, lorsque ce dernier a pris le décret C.P. 1919-790 en avril 1919, les terres de la réserve ne totalisaient que 4 237 acres.

[4] Pour sa part, le Canada a présenté une requête en vue de faire annuler ou surseoir à la revendication, au motif que le Saskatchewan Treaty Land Entitlement Framework Agreement (accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan) signé en 1992 et l’accord sur les droits fonciers issus de traités de Witchekan Lake conclu en 1993 (les accords sur les DFIT) s’étaient soldés par le versement d’une indemnité qui compensait dans une large mesure la revendication déposée par la demanderesse. Les accords sur les DFIT prévoient que le Canada sera entièrement libéré de toute réclamation future découlant de ces accords ou y étant liées.

[5] Selon le Tribunal, la seule question dont il était saisi était de savoir si la réclamation ressortissait à une exception invoquée par Witchekan à la clause de décharge, exception en vertu de laquelle les réclamations pour aliénation illégale peuvent être portées devant le Tribunal. Les parties n’ayant pas pu s’entendre sur l'interprétation et l’application de cette clause, le Tribunal a sursis à la Revendication jusqu'à ce que la Cour fédérale ait tranché la question en litige, sur le fondement d’une autre disposition des accords sur les DFIT selon laquelle le règlement de différends relève de la compétence exclusive de la Cour fédérale.

[6] Essentiellement, Witchekan plaide devant nous que le Tribunal aurait dû déterminer par lui-même si la revendication était proscrite par l’alinéa 15(1)e) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, qui dispose qu’une Première Nation ne peut pas saisir le Tribunal d’une revendication si elle est fondée sur « un accord conclu entre la première nation et Sa Majesté et prévoyant un autre mécanisme de règlement des différends ». Répondre à cette question aurait nécessité de la part du Tribunal qu’il détermine si la Réclamation ressortissait à l’une des exceptions à la clause de décharge.

[7] La faille dans pareil raisonnement tient à ce que les articles 20.20 et 20.18 des accords sur les DFIT respectifs stipulent expressément que, [TRADUCTION] « [e]n cas de différend entre les parties, notamment sur une question d’interprétation d’un terme, d’un engagement, d’une condition ou d’une disposition du présent accord », le règlement « relèv[e] de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada ». Sur le fondement du libellé non équivoque de cette disposition, le Tribunal a déterminé qu’il ne pouvait connaître de la question en litige soulevée par la demande. À notre avis, le Tribunal pouvait raisonnablement surseoir à la revendication jusqu’à ce que la Cour fédérale du Canada statue sur l’application de l’exception à la clause de décharge.

[8] Il incombait à Witchekan de démontrer que la décision du Tribunal était déraisonnable. À notre avis, Witchekan ne s’est pas acquittée de cette charge. Le Tribunal disposait d’éléments de preuve de chevauchement entre la réclamation et les accords sur les DFIT, qui tendaient à étayer la thèse du Canada selon laquelle les accords s’étaient soldés par le versement d’une indemnité qui compensait la réclamation. L'interprétation des clauses attributives de compétence exclusive comme étant exécutoires est également conforme à la jurisprudence de notre Cour et de la Cour fédérale : Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Pasqua, 2016 CAF 133, par. 58, 60 (Première Nation de Pasqua); Première Nation d’Ochapowace c. Saskatchewan (Procureur général), 2019 CF 1288, par. 17 et 18. De plus, le Tribunal a conclu qu’une telle clause suffit à conférer à la Cour fédérale une compétence exclusive au titre de l’alinéa 17(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 : voir Pasqua First Nation, par. 83 et 84. Le raisonnement du Tribunal est intrinsèquement cohérent et logique, et le résultat est étayé par les faits et le droit, de sorte qu’il n’y a aucune raison d’intervenir.

[9] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, le tout avec dépens.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-321-20

 

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 mars 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR:

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE DE MONTIGNY

COMPARUTIONS :

William Henderson

Ryan M. Lake

Garrett Lafferty

 

Pour la demanderesse

 

Melissa Nicolls

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maurice Law

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour la défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

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