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Date : 20220328


Dossier : A-90-18

Référence : 2022 CAF 51

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

DENISE C. NAGEL

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 22 mars 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 mars 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20220328


Dossier : A-90-18

Référence : 2022 CAF 51

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

DENISE C. NAGEL

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] L’appelante, Denise Nagel, interjette appel d’un jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Nagel c. La Reine, consignée sous le numéro de référence 2018 CCI 32 (la juge Lafleur). Dans cette décision, la demande de prorogation du délai de dépôt d’un avis d’appel de Mme Nagel a été rejetée et l’appel de cette dernière à l’égard de son année d’imposition 2013 a été annulé.

[2] Selon Mme Nagel, la Cour de l’impôt a commis des erreurs de droit et il y a eu atteinte à son droit à l’équité procédurale.

[3] La norme de contrôle pertinente pour les questions de droit est celle de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33. L’obligation d’équité procédurale est une question juridique et la Cour doit être convaincue que cette obligation a été respectée (Lipskaia c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para. 14). Il s’agit alors d’établir si la procédure était juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para. 54).

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel de Mme Nagel.

I. Quelle est la plainte sous-jacente?

[5] Mme Nagel adopte la thèse qu’elle est résidente de la Saskatchewan et non de la Nouvelle-Écosse. C’est-à-dire qu’elle se trouve en Nouvelle-Écosse, mais n’y réside pas. Son lieu de résidence au Canada n’a aucune incidence sur son assujettissement à l’impôt en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi de l’impôt sur le revenu), mais il a une incidence sur son assujettissement à l’impôt provincial sur le revenu. Le lieu de résidence peut également avoir une incidence sur son admissibilité aux crédits ou aux programmes provinciaux.

[6] Le gouvernement fédéral administre l’impôt provincial sur le revenu de la Saskatchewan et de la Nouvelle-Écosse, comme il le fait pour la plupart des provinces. Ceci est facilité par des accords autorisés par les provinces et le gouvernement fédéral. Les particuliers produisent une déclaration de revenus auprès de l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui comprend des renseignements pertinents pour le calcul de l’obligation fiscale en application de la Loi de l’impôt sur le revenu et des lois provinciales pertinentes en matière d’impôt sur le revenu. Par conséquent, lorsque l’ARC envoie un avis de cotisation ou un avis de non-imposition à un particulier, cet avis traite des obligations fiscales en application de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la loi provinciale pertinente en matière d’impôt sur le revenu.

[7] Lorsqu’elle a produit sa déclaration de revenus fédérale de 2013, Mme Nagel a joint, à sa déclaration de revenus fédérale, les formulaires d’impôt sur le revenu de la Saskatchewan, et non ceux de la Nouvelle-Écosse. Son premier avis de cotisation pour 2013 – un avis indiquant qu’aucun impôt n’est à payer – indiquait qu’elle était résidente de la Saskatchewan. Cet avis portait sur l’obligation fiscale fédérale et provinciale (c.-à-d. la Saskatchewan). Bien qu’aux termes de cet avis elle était considérée comme résidente de la Saskatchewan, elle a néanmoins déposé un avis d’opposition parce qu’elle n’était pas d’accord avec certaines déclarations concernant les crédits d’impôt pour frais de scolarité.

[8] Mme Nagel a par la suite reçu un autre avis de cotisation pour 2013 – indiquant à nouveau qu’elle n’avait pas d’impôt à payer, mais changeant sa province de résidence pour la Nouvelle-Écosse. Ainsi, cet avis portait à la fois sur l’obligation fiscale fédérale et provinciale (en l’espèce, la Nouvelle-Écosse).

[9] Mme Nagel n’est pas d’accord pour dire qu’elle est résidente de la Nouvelle-Écosse; elle souhaite que son avis de cotisation soit établi à titre de résidente de la Saskatchewan. Cela a conduit Mme Nagel à instituer une instance devant la Cour canadienne de l’impôt. Elle a engagé cette instance dans les 90 jours suivant le deuxième avis de cotisation qu’elle a reçu, mais l’instance a été traitée comme une demande de prorogation de délai.

[10] En engageant l’instance, Mme Nagel avait pour objectif de contester la conclusion selon laquelle elle était résidente de la Nouvelle-Écosse, de contester les soldes des crédits d’impôt pour frais de scolarité et pour études (y compris les soldes aux fins provinciales) et d’obtenir des crédits en application de l’article 122.5 de la Loi de l’impôt sur le revenu (crédits pour TPS). Cependant, elle ne souhaite pas obtenir de crédits fondés sur la résidence en Nouvelle-Écosse.

II. Décision de la Cour de l’impôt d’annuler l’appel

[11] Il est possible d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt à l’égard d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités imposés en application de la Loi de l’impôt sur le revenu et de certaines déterminations faites aux termes de celle-ci, y compris une détermination de l’admissibilité aux crédits pour TPS. Bien qu’un avis de non-imposition soit souvent envoyé dans un document intitulé « avis de cotisation », il ne s’agit pas d’une cotisation. La Loi de l’impôt sur le revenu fait la distinction entre une cotisation et un avis de non-imposition. Aucun appel ne peut être interjeté à la suite d’un avis indiquant qu’aucun impôt n’est à payer – souvent appelé « cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable » : Canada c. Interior Savings Credit Union, 2007 CAF 151 au para. 15.

[12] Mme Nagel n’a pas reçu de cotisation pour son année d’imposition 2013. Au contraire, elle a reçu un avis indiquant qu’aucun impôt n’était à payer. Étant donné que Mme Nagel a expressément indiqué dans sa déclaration qu’elle ne demandait pas le crédit pour TPS, la Cour de l’impôt a conclu que le ministre n’avait pas déterminé son droit à ce crédit.

[13] La Cour de l’impôt a annulé l’appel de Mme Nagel parce qu’elle n’avait pas de cotisation au titre de l’impôt, des intérêts ou des pénalités à payer aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu ni de détermination d’un droit à des crédits pour TPS à porter en appel.

[14] Devant la Cour, Mme Nagel a affirmé que le ministre avait déterminé son droit à des crédits pour TPS, bien que cette détermination ne lui ait pas été communiquée. Selon elle, cela doit être le cas, car le gouvernement de la Nouvelle-Écosse lui a envoyé des chèques dans le cadre de certains de ses programmes d’aide au revenu – des sommes auxquelles, selon elle, elle ne pourrait avoir droit que si elle avait droit aux crédits pour TPS.

[15] Cette thèse ne repose, selon moi, sur aucun fait. D’après les documents de Mme Nagel, il semble que la Nouvelle-Écosse demande aux demandeurs de ses programmes d’aide au revenu de lui donner accès à leurs renseignements fiscaux et de lui fournir des copies de leurs avis de cotisation. Toutefois, il semble que l’objectif soit de confirmer le revenu d’un demandeur afin de déterminer son admissibilité à l’aide au revenu. Le règlement pris en application de la Employment Support and Income Assistance Act, S.N.S. 2000, ch. 27 (Loi sur le soutien à l’emploi et l’aide au revenu), exclut expressément le crédit pour TPS du [traduction] « revenu imputable »; la somme qui réduit le droit à l’aide. Mme Nagel n’a pas démontré que le droit à un crédit pour TPS est pertinent pour le droit à l’aide provinciale.

[16] Je ne décèle aucune erreur dans la conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle Mme Nagel n’a pas reçu de détermination des crédits pour TPS ou dans sa décision d’annuler son appel.

III. Commentaires de la Cour de l’impôt sur la compétence

[17] Ayant conclu que l’appel interjeté par Mme Nagel devrait être annulé, la Cour de l’impôt aurait pu ne pas s’exprimer davantage. Toutefois, elle a poursuivi en expliquant les limites de la compétence de la Cour de l’impôt. Plus précisément, dans le contexte des appels en matière d’impôt sur le revenu, la Cour de l’impôt a une compétence exclusive pour entendre les appels interjetés à l’encontre d’une cotisation en application de la Loi de l’impôt sur le revenu et de certaines déterminations aux termes de celle-ci; mais elle n’a aucune compétence pour déterminer les questions concernant l’impôt provincial sur le revenu. En d’autres termes, même si l’appel de Mme Nagel n’était pas annulé, la Cour de l’impôt ne pouvait pas déterminer où elle résidait le 31 décembre 2013 aux fins de l’impôt provincial sur le revenu.

[18] Comme l’a fait remarquer la Cour de l’impôt elle-même, ses commentaires sur sa compétence n’étaient pas nécessaires – elle essayait d’aider Mme Nagel à comprendre comment elle aurait pu interjeter appel de la question de la résidence si elle avait reçu une cotisation plutôt qu’un avis de non-imposition. Bien que ces commentaires n’aient pas eu d’effet sur l’issue de l’instance de Mme Nagel devant la Cour de l’impôt, je ne suis pas en désaccord avec eux.

[19] Les impôts provinciaux sur le revenu sont imposés en application des lois provinciales sur l’impôt sur le revenu – en ce qui concerne Mme Nagel, la Income Tax Act (Nouvelle-Écosse), R.S.N.S. 1989, ch. 217 (la Loi de l’impôt de la N.-É.) et la Income Tax Act, 2000 (Saskatchewan), S.S. 2000, ch. I-2.01 (la Loi de l’impôt de la Saskatchewan). Ces lois provinciales de l’impôt sur le revenu rendent expressément applicables de nombreuses dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu – notamment les articles 165 (oppositions) et 169 (appels interjetés à l’encontre de cotisations) – comme si elles faisaient partie de la loi provinciale. Toutefois, cela ne signifie pas que c’est la Loi de l’impôt sur le revenu plutôt que la loi provinciale en matière d’impôt sur le revenu qui s’applique. Les lois provinciales de l’impôt sur le revenu nous indiquent comment interpréter les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, rendues applicables lorsqu’elles s’appliquent aux fins de l’impôt provincial sur le revenu : voir le paragraphe 2(10) de la Loi de l’impôt de la N.-É. et l’article 3 de la Loi de l’impôt de la Saskatchewan.

[20] Comme l’a noté la Cour de l’impôt, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a compétence pour entendre les appels interjetés à l’encontre de cotisations établies en application de la Loi de l’impôt de la N.-É. : article 64; la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a compétence pour entendre les appels interjetés à l’encontre de cotisations établies en application de la Loi de l’impôt de la Saskatchewan : article 98. Ces lois disposent que, lors d’un tel appel, la cour provinciale compétente peut déterminer la résidence d’un particulier aux fins de la loi. Toutefois, il semble que les lois provinciales – comme la Loi de l’impôt sur le revenu – permettent d’interjeter appel à l’encontre d’une cotisation, mais pas d’un avis de non-imposition provinciale.

[21] Bien que l’ARC puisse administrer la législation fiscale provinciale pour les provinces, je conviens que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour déterminer la résidence de Mme Nagel aux fins de l’impôt provincial.

IV. Y a-t-il eu atteinte aux droits de Mme Nagel en matière d’équité procédurale?

[22] Mme Nagel a soulevé plusieurs doutes concernant l’équité procédurale. J’ai écouté les observations orales de Mme Nagel et examiné ses observations écrites, les motifs de la Cour de l’impôt et les transcriptions de l’audience de la Cour de l’impôt. Bien que je n’aie pas besoin d’examiner toutes les observations de Mme Nagel, j’en aborderai deux.

[23] Mme Nagel allègue que l’intimée a violé l’obligation, prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu, de préserver la confidentialité des renseignements sur les contribuables en fournissant ses renseignements fiscaux à la Cour de l’impôt. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas lorsque les renseignements sont fournis dans le cadre d’une procédure judiciaire liée à l’administration ou à l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu : alinéa 241(3)b).

[24] Deuxièmement, Mme Nagel allègue que l’intimée a fourni des documents probants à la Cour de l’impôt sans en fournir de copies à Mme Nagel. J’ai examiné les transcriptions de l’audience. Les échanges entre la juge de la Cour de l’impôt et l’avocat de l’intimée auxquels Mme Nagel fait référence ne concernent pas les documents déposés par l’intimée. Ils concernent plutôt deux affidavits déposés par Mme Nagel, l’un se trouvant à la page 90 du volume I du dossier d’appel (affidavit pour produire des éléments de preuve) et l’autre à la page 182 du volume I du dossier d’appel (affidavit). Bien que Mme Nagel ait remis en question la discussion concernant un document de deux pages, je conclus que la discussion portait sur l’affidavit (c’est-à-dire le deuxième document), à l’exclusion des pièces.

[25] De même, en fournissant à la Cour de l’impôt, à sa demande, des documents tirés de la Loi de l’impôt de la N.-É. et de la Loi de l’impôt de la Saskatchewan, l’avocat de l’intimée ne fournissait pas à la Cour de l’impôt des éléments de preuve servant à « démontrer le bien-fondé de sa cause ». Premièrement, les lois provinciales ne constituent pas des éléments de preuve : ce sont des lois. Deuxièmement, ces renseignements n’avaient pas de pertinence en ce qui concerne la décision de la Cour de l’impôt d’annuler l’appel. Leur seule pertinence concernait les commentaires inutiles que la Cour de l’impôt a faits au sujet des tribunaux à qui il incombe de traiter des questions d’impôt provincial sur le revenu.

[26] Je ne vois aucune atteinte aux droits de Mme Nagel en matière d’équité procédurale.

V. Conclusion

[27] J’éprouve de la sympathie pour Mme Nagel. Il peut être difficile de naviguer dans le système d’appel à l’encontre des cotisations d’impôt provinciales et fédérales. Cependant, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la Cour de l’impôt.

[28] Durant l’audience, l’intimée a retiré sa demande de dépens. Par conséquent, je rejetterais l’appel sans dépens.

« K.A. Siobhan Monaghan »

Juge

« Je suis d’accord..

Donald J. Rennie j.c.a. »

« Je suis d’accord..

J.B. Laskin j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-90-18

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA JUGE DOMINIQUE LAFLEUR LE 18 FÉVRIER 2018, DOSSIER NO 2017-401 (IT)APP

INTITULÉ :

DENISE C. NAGEL c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

Denise C. Nagel

Pour l’appelante

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Rhoda Lemphers

Grace Jothiraj

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

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