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Date : 20220407


Dossier : A-219-20

Référence : 2022 CAF 60

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

COLIN WOOD

 

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 3 février 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 avril 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20220407


Dossier : A-219-20

Référence : 2022 CAF 60

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

COLIN WOOD

 

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] L’appelant, Colin Wood, interjette appel de la décision de la Cour canadienne de l’impôt intitulée Wood c. La Reine (2020 CCI 87, la juge Lafleur). La Cour de l’impôt a rejeté l’appel interjeté par M. Wood à l’encontre des nouvelles cotisations qui ont été établies pour ses années d’imposition 2011 et 2012 à la suite d’une vérification de ses déclarations de ces années-là.

[2] N’ayant pu avoir accès aux documents de l’entreprise de M. Wood, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a fait une analyse des dépôts bancaires et y a relevé des revenus inexpliqués de 236 956 $ en 2011 et de 1 154 356 $ en 2012. L’ARC a reconnu que M. Wood a dû engager des dépenses pour générer ces revenus et a donc établi les cotisations en fonction de revenus d’entreprise nets non déclarés de 226 613 $ en 2011 et de 195 085 $ en 2012.

[3] Les nouvelles cotisations comprenaient également des pénalités imposées aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). Selon cette disposition, toute personne qui, « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration [...] rempli[e], produit[e] ou présenté[e], selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...] ».

[4] Devant la Cour de l’impôt, M. Wood n’a pas contesté le fait d’avoir touché des revenus non déclarés. Il a plutôt invoqué devant cette cour la même thèse que celle qu’il fait valoir devant notre Cour. Il justifie la non-déclaration de certains revenus en 2011 du fait qu’il n’était pas certain que ces sommes non déclarées avaient la qualité de revenu. Quant à l’année 2012, il dit avoir utilisé une méthode fondée sur la valeur nette pour calculer ses revenus. En d’autres termes, M. Wood dit n’avoir déclaré que le revenu net, plutôt que de déclarer son revenu brut, ses dépenses et le revenu net tiré de ses activités commerciales. Il soutient que la presque totalité des revenus non déclarés en 2012 a été annulée par des dépenses, dont certaines n’ont pas été acceptées par l’ARC.

[5] La Cour de l’impôt n’a pas été convaincue par les éléments de preuve de M. Wood. Elle a conclu que les sommes non déclarées en 2011, soit étaient des commissions qui lui avaient été versées pour des services rendus, soit demeuraient totalement inexpliquées. La Cour de l’impôt a conclu qu’« [a]ucun élément de preuve fiable et crédible n’a été présenté quant à l’existence de conditions ou de restrictions liées à ces sommes ». M. Wood n’a pas non plus convaincu la Cour de l’impôt qu’il avait engagé, en 2012, des dépenses autres que celles admises par l’ARC. Enfin, la Cour de l’impôt a conclu que l’intimée avait établi que les déclarations de revenus de M. Wood contenaient de fausses déclarations ou des omissions faites dans des circonstances qui équivalaient à faute lourde. Elle a donc rejeté son appel.

[6] M. Wood invoque plusieurs motifs d’appel devant notre Cour :

  1. La Cour de l’impôt a commis une erreur en refusant d’admettre que la somme non déclarée en 2011 constituait un revenu non gagné qui ne devait pas être inclus dans le calcul du revenu;

  2. La Cour de l’impôt a commis une erreur en refusant d’accepter ses éléments de preuve sur les dépenses supplémentaires qu’il a engagées pour générer un revenu en 2012;

  3. La Cour de l’impôt a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables du défaut de M. Wood de convoquer deux témoins;

  4. La Cour de l’impôt a commis une erreur dans son application des règles de droit servant à établir la responsabilité justifiant l’imposition de pénalités au titre du paragraphe 163(2).

[7] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

I. Norme de contrôle

[8] Les parties font valoir, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle en appel s’applique en l’espèce. Par conséquent, la norme qui s’applique aux questions de fait, ainsi qu’aux questions de droit et de fait (en l’absence d’une question de droit isolable), est la norme de l’erreur manifeste et dominante; dans le cas de questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen].

II. Aperçu de la décision de la Cour de l’impôt concernant les revenus non déclarés

[9] Les revenus bruts non déclarés (et les revenus nets d’entreprise en résultant) en 2011 et en 2012 provenaient d’activités commerciales différentes.

[10] En 2011, ces revenus ont été tirés de deux sources, la principale étant l’entreprise SG Marketing et son propriétaire, Shivdat Ganesh; environ 28 000 $ ont été obtenus d’autres sources.

[11] M. Wood a fourni des services à SG Marketing, ainsi qu’au propriétaire et exploitant de ce que M. Wood a qualifié d’entreprise qui proposait des enchères à un sou en ligne. Il a décrit les services qu’il offrait comme consistant notamment en l’achat de produits et en leur expédition aux adjudicataires des enchères. Il touchait des commissions pour la prestation de ces services et ses dépenses lui étaient remboursées. Les ventes aux enchères en ligne ont débuté en août 2011 après plusieurs mois de préparation. Elles ont connu un vif succès, des ventes de plus de 1,6 million de dollars ayant été réalisées après seulement quelques semaines. Cependant, à la suite d’un différend entre SG Marketing et Moneris – un service de traitement des transactions par cartes de crédit et de débit – Moneris a bloqué le compte de commerçant de SG Marketing. Incapable de traiter les paiements par carte de crédit, l’entreprise a cessé ses activités. Les clients ont commencé à exiger des remboursements de SG Marketing et de leurs compagnies émettrices de cartes de crédit. Il en a résulté un litige dans lequel furent engagés SG Marketing, M. Ganesh, Moneris et certaines banques. Ce litige s’est finalement réglé lorsque SG Marketing a renoncé aux 550 000 $ US qui étaient sur son compte de commerçant qui avait été bloqué et lorsqu’elle a accepté de verser une somme supplémentaire de 150 000 $ US à l’une des banques.

[12] Pour expliquer la non-déclaration des revenus reçus de SG Marketing et de M. Ganesh, M. Wood a indiqué qu’il craignait de devoir rembourser une partie de cet argent à cause du litige, des demandes de remboursement présentées par les clients et de son défaut de livrer les produits remportés par les adjudicataires des enchères. Cependant, M. Wood n’était pas partie au litige et ses comptes bancaires n’ont pas été touchés par les actions prises par Moneris et les banques.

[13] En 2012, M. Wood a exploité une entreprise de vente de DVD en ligne, en collaboration avec la société MJ Marketing Ventures Inc. (MJ Marketing), une société qui appartenait à M. Martin Juchniewicz, un ami de longue date de M. Wood qui fut souvent son associé en affaires. MJ Marketing était responsable de la gestion du site Web et de la publicité. Les clients payaient les DVD par carte de crédit et ces sommes, moins les frais perçus par le service de traitement des transactions par carte de crédit, étaient déposées dans le compte de M. Wood. M. Wood a payé toutes les dépenses, y compris les sommes versées à MJ Marketing pour les services rendus par cette entreprise.

[14] En 2013, M. Wood a été accusé de fraude, de crime organisé et de possession de produits du crime relativement au commerce de DVD. Il a plaidé coupable à l’accusation de fraude et a payé une somme en guise de restitution.

[15] M. Wood n’a pas contesté le fait qu’il a omis de déclarer des revenus de 1 154 356 $ provenant de l’entreprise de DVD, mais il a fait valoir que les revenus qu’il avait déclarés avaient été calculés selon la méthode fondée sur la valeur nette. Il allègue avoir versé une somme supplémentaire de 193 643 $ en espèces à MJ Marketing, somme qui n’avait pas été incluse dans les dépenses qu’il avait précédemment déduites et qui avaient été admises par l’ARC. Il a présenté à l’appui trois factures ou reçus de MJ Marketing.

[16] Comme l’a souligné la Cour de l’impôt, il incombait à M. Wood d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les cotisations établies à l’égard des revenus non déclarés étaient inexactes. La Cour de l’impôt a jugé qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. La Cour de l’impôt a déclaré que le témoignage de M. Wood durant l’instruction était « confus, peu clair et semblait incomplet » et a conclu qu’il était « peu fiable et crédible ». Elle a aussi déclaré que le témoignage de M. Wood « n’était pas conforme à ses déclarations antérieures à l’Agence [...] faites dans l’avis d’opposition et dans le nouvel avis d’appel modifié » déposé à la Cour de l’impôt. La Cour de l’impôt a également jugé que l’autre témoin de M. Wood, M. Glen Lancaster, n’était pas fiable. Elle a jugé que les éléments de preuve étayant certains faits substantiels étaient insuffisants et elle a mis en doute l’authenticité des factures et reçus de MJ Marketing.

III. Appel interjeté à l’encontre des revenus non déclarés

[17] Dans son mémoire des faits et du droit, l’appelant résume ses éléments de preuve, cite de larges extraits de la transcription de l’audience devant la Cour de l’impôt et fait valoir que la Cour de l’impôt [traduction] « a fait une évaluation injuste de ses éléments de preuve » et « a souscrit aux arguments [de l’intimée] sans [...] tenir compte des observations finales de l’avocat de l’appelant ».

[18] La Cour de l’impôt n’était pas tenue d’accepter l’explication des faits fournie par M. Wood. Elle était plutôt tenue d’examiner et de soupeser tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés. C’est ce qu’elle a fait et, à la lumière de ces éléments de preuve, elle n’a pas été convaincue par l’explication de M. Wood pour les raisons qu’elle a exposées dans ses motifs. La Cour de l’impôt est la mieux placée pour examiner et apprécier la preuve, notamment les documents et les témoignages.

[19] De plus, « lorsqu’une telle conclusion factuelle repose sur l’appréciation de la crédibilité d’un témoin, il faut reconnaître l’énorme avantage dont jouit le juge de première instance à cet égard » : Housen au para. 24. La Cour de l’impôt bénéficiait de cet avantage en l’espèce.

[20] En réalité, M. Wood demande à notre Cour de réexaminer la preuve, de l’apprécier de nouveau et de tirer ses propres conclusions de fait. Cependant, en l’absence d’une erreur manifeste et dominante de la part de la Cour de l’impôt, il n’y a rien que nous puissions faire : Singh c. Canada, 2020 CAF 146, [2020] A.C.F. no 939 (QL) au para. 6 et AE Hospitality Ltd. c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 207 au para. 15.

[21] J’ai examiné le dossier avec soin, notamment les transcriptions de l’audience. Je ne relève rien dans l’évaluation que la Cour de l’impôt a faite de la preuve, notamment son évaluation des témoignages et sa conclusion concernant l’authenticité des factures et des reçus, qui puisse s’apparenter à une erreur manifeste et dominante.

IV. Conclusions défavorables

[22] La Cour de l’impôt a tiré une conclusion défavorable du défaut de M. Wood de convoquer M. Ganesh et M. Juchniewicz. M. Wood affirme que la Cour a ainsi commis une erreur. Je ne suis pas de cet avis.

[23] La décision de tirer une conclusion défavorable est une question discrétionnaire qui relève du juge qui préside. « La question de savoir si une conclusion défavorable est justifiée ou non par les faits particuliers est inextricablement liée à la détermination des faits » : Toronto Real Estate Board c. Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236 au para. 107, citant l’arrêt Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221 au para. 73.

[24] M. Wood n’a présenté aucun registre ou dossier, ni aucun document décrivant les ententes conclues avec SG Marketing en 2011 ou avec MJ Marketing en 2012. Bien qu’il ait offert une explication – à savoir que la police avait saisi les registres et les dossiers en lien avec l’enquête criminelle et ne les avait pas rendus – cela ne libérait pas M. Wood de l’obligation de présenter des éléments de preuve pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les cotisations établies à l’égard des revenus non déclarés étaient erronées. Comme l’a déclaré la Cour de l’impôt, M. Wood devait « présenter des témoignages détaillés et convaincants, et des éléments de preuve à l’appui si possible, pour expliquer les différents dépôts […] et les motifs justifiant leur exclusion du calcul de ses revenus ».

[25] Pour ce faire, M. Wood a choisi de se fonder uniquement sur son témoignage et celui de son comptable, M. Lancaster. Même si M. Lancaster était également le comptable de M. Ganesh et de M. Juchniewicz, il n’était pas partie aux arrangements commerciaux qui avaient été conclus avec M. Wood et qui étaient au cœur de son appel. Au mieux, le témoignage de M. Lancaster serait donc un témoignage indirect sous forme de ouï-dire. La Cour de l’impôt a décrit ce témoignage comme étant « étonnamment vague » et « pas fiable », ajoutant que « M. Lancaster a eu du mal à se souvenir du nom de l’entreprise, et [qu’]il ne pouvait pas se rappeler quand l’action en justice [concernant les enchères en ligne] a commencé, bien qu’il y était nommé comme partie défenderesse ». De plus, son témoignage n’était pas, à certains égards, conforme à celui de M. Wood.

[26] L’appel interjeté par M. Wood en 2011 reposait sur un élément central, à savoir que les fonds qu’il avait reçus de SG Marketing et de M. Ganesh étaient pour des produits ou des services qui n’avaient pas encore été livrés et qui pourraient peut-être devoir être remboursés à M. Ganesh. Comme l’a souligné la Cour de l’impôt, « le témoignage de M. Ganesh était essentiel pour établir la nature des sommes transférées par SG Marketing et M. Ganesh sur les comptes bancaires de M. Wood » et « M. Ganesh aurait pu être convoqué pour apporter les documents pertinents » décrivant la relation entre les différentes parties à l’entreprise de vente aux enchères en ligne.

[27] De même, un élément central de l’appel interjeté par M. Wood à l’encontre de la nouvelle cotisation établie pour l’année 2012 était que les factures ou reçus correspondaient aux sommes qu’il avait versées à MJ Marketing, en sus des dépenses qu’il avait déjà déduites et qui avaient été admises par l’ARC. Là encore, « le témoignage de M. Juchniewicz était essentiel pour établir l’authenticité des [factures/reçus] ainsi que pour établir qu’une somme de 193 643 $ avait été payée en espèces à MJ Marketing […] en plus d’autres sommes que MJ Marketing avait reçues de M. Wood ».

[28] Dans les circonstances, la Cour de l’impôt était largement justifiée de tirer des conclusions défavorables du défaut de M. Wood de convoquer M. Ganesh et M. Juchniewicz.

V. Pénalités au titre du paragraphe 163(2)

[29] Comme l’a expressément reconnu la Cour de l’impôt, « il incomb[ait] à l’intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits justifiant l’imposition de pénalités à M. Wood aux termes du paragraphe 163(2) pour les deux années d’imposition ». À cette fin, l’intimée devait démontrer (i) que « M. Wood a fait une fausse déclaration dans ses déclarations de revenus » et (ii) qu’il l’a fait « en connaissance de cause ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde ».

[30] M. Wood affirme que la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son application du droit en lui transférant le fardeau de démontrer que ces deux conditions n’avaient pas été respectées. Il affirme plus précisément que des pénalités ne peuvent être imposées au titre du paragraphe 163(2) que s’il existe des éléments de preuve démontrant une action délibérée, invoquant à l’appui l’arrêt Deyab c. Canada, 2020 CAF 222 [Deyab], qui a été tranché par notre Cour après que la Cour de l’impôt a rendu sa décision concernant son appel.

[31] En toute déférence, M. Wood fait une interprétation erronée de l’arrêt Deyab. Il est vrai que notre Cour, au paragraphe 63 de l’arrêt Deyab, a déclaré qu’« [u]ne conduite qui justifierait l’imposition d’une pénalité pour faute lourde est un comportement qui équivaut à une action délibérée ». Mais la mention « qui équivaut à une action délibérée » a un sens plus large qu’une simple action délibérée, comme en témoigne le passage extrait de l’arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, cité dans Deyab immédiatement avant la mention « équivaut à une conduite intentionnelle ». Cette expression englobe « une indifférence au respect de la loi » (Venne c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) (C.F. 1re inst.), [1984] A.C.F. no 314 (QL) [Venne]) ou un aveuglement volontaire – c’est-à-dire fermer « les yeux sur la véracité et l’exactitude des renseignements fournis dans [l]a déclaration de revenus » (Wynter c. Canada, 2017 CAF 195 [Wynter]).

[32] L’arrêt Deyab n’a pas infirmé l’arrêt Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241 [Lacroix], ni n’exige qu’il soit accordé le bénéfice du doute au contribuable. Notre Cour y a plutôt formulé une mise en garde, en déclarant qu’il ne faut pas interpréter l’arrêt Lacroix comme exigeant que le contribuable doive, dans toutes les circonstances, déterminer la source des revenus non déclarés et démontrer que ces revenus ne sont pas imposables, pour qu’une pénalité imposée au titre du paragraphe 163(2) soit annulée.

[33] La différence entre les arrêts Lacroix et Deyab réside, non pas dans les règles de droit pertinentes, mais dans les faits. Au paragraphe 30 de l’arrêt Lacroix, il est indiqué que « la seule explication offerte par le contribuable [pour justifier la présentation erronée des faits] est jugée non crédible ». Comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt Deyab, au paragraphe 69, « [d]ans les circonstances de l’arrêt Lacroix, l’absence d’explication crédible était suffisante pour justifier l’imposition de la pénalité pour faute lourde ».

[34] À l’opposé, dans l’arrêt Deyab, l’explication du contribuable a été systématiquement maintenue et était conforme à d’autres éléments de preuve qui « sout[enaient] l’hypothèse viable et raisonnable » que les sommes non déclarées dans cette affaire ne constituaient pas des revenus (Deyab au para. 76). Dans ces circonstances – à savoir l’existence de deux hypothèses viables et raisonnables, dont une seulement justifiait l’imposition d’une pénalité – il était approprié d’accorder le bénéfice du doute au contribuable : Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, [1994] A.C.I. no 760 (QL) au para. 27, conf. par [1996] A.C.F. n82 (CAF).

[35] En l’espèce, la Cour de l’impôt a conclu, au contraire, que M. Wood n’a pas fourni d’explications viables et raisonnables pour justifier les montants élevés des revenus non déclarés. Tout comme dans l’arrêt Lacroix, « la seule explication offerte par le contribuable [a été] jugée non crédible » (Lacroix au para. 30). De plus, contrairement au contribuable dans l’arrêt Deyab, M. Wood a modifié ses explications au fil du temps. La Cour de l’impôt a mentionné que « [l]e témoignage de M. Wood au procès n’était pas conforme à ses déclarations antérieures [...] faites dans l’avis d’opposition et dans le nouvel avis d’appel modifié ». De plus, M. Wood n’a jamais fourni les documents promis durant la vérification et après la signification de son avis d’opposition pour corroborer ses affirmations.

[36] Contrairement au contribuable dans l’arrêt Deyab, M. Wood n’a fourni aucun autre élément de preuve crédible pour étayer les explications qu’il a offertes. De fait, les éléments de preuve versés au dossier vont à l’encontre de ses explications. M. Wood a invoqué l’utilisation d’une méthode fondée sur la valeur nette pour expliquer pourquoi il a omis de déclarer des revenus bruts supérieurs à 1,1 million de dollars en 2012. Cependant, cette explication va totalement à l’encontre des déclarations de revenus qu’il a produites pour 2011 et 2012. Chaque déclaration comprend un relevé des activités commerciales sur lequel sont indiqués les ventes brutes, les commissions ou les droits perçus, ainsi que les dépenses importantes par catégorie (notamment les frais de publicité, d’expédition et de bureau et les fournitures) ayant servi à calculer le revenu net. M. Wood a utilisé la même approche pour la déclaration de ses loyers de biens immobiliers; pour chaque bien immobilier, le revenu net a été déterminé à partir du loyer brut et des dépenses brutes par catégorie. La Cour de l’impôt a jugé que les reçus et factures n’étaient pas authentiques, en raison des incohérences entre le témoignage de M. Wood et celui de M. Lancaster quant au moment où ces documents ont été obtenus et du fait qu’ils ont été produits en mars 2018, après le début de l’appel auprès de la Cour de l’impôt et le dépôt d’un nouvel avis d’appel modifié.

[37] La Cour de l’impôt a, à juste titre, déterminé qu’il incombait à l’intimée le fardeau d’établir que les conditions énoncées au paragraphe 163(2) relativement à l’imposition de pénalités avaient été respectées. La Cour de l’impôt a défini et appliqué les règles pertinentes énoncées dans les jugements Lacroix, Venne et Wynter. La Cour de l’impôt avait amplement de raisons de douter de la véracité de l’explication de M. Wood.

[38] M. Wood n’a pas contesté le fait qu’il a omis de déclarer ses revenus bruts dans ses déclarations de revenus de 2011 ou de 2012. Il n’y a donc aucun doute qu’il y a eu présentation erronée des faits ou omission.

[39] La Cour de l’impôt a conclu que « la conduite de M. Wood en 2011 et 2012 s’est écartée de manière marquée et substantielle de la norme de conduite d’un homme d’affaires raisonnable dans les mêmes circonstances ». M. Wood « n’avait ni teneur de livres ni logiciel de comptabilité pour [...] faire le suivi des recettes et des dépenses importantes ». La pratique du comptable, qui a consisté à se fonder uniquement sur des entretiens ainsi que sur les relevés bancaires et les relevés de cartes de crédit pour préparer les déclarations de revenus, « s’écarte nettement de la norme à laquelle on peut s’attendre ». En outre, M. Wood « n’a pas fourni d’“hypothèse viable et raisonnable” concernant les montants importants de revenus non déclarés en 2011 » ou l’omission de déclarer des revenus de plus de 1,1 million de dollars en 2012. Par conséquent, la Cour de l’impôt a conclu que M. Wood a fait une présentation erronée des faits ou une omission dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[40] Je ne relève aucune erreur de droit ni erreur de fait manifeste et dominante dans les conclusions de la Cour de l’impôt.

VI. Conclusion

[41] En conséquence, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-219-20

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MADAME LA JUGE LAFLEUR DATÉE DU 19 AOÛT 2020, DOSSIER N2017-4185(IT)G

INTITULÉ :

COLIN WOOD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 février 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell

Pour l’appelant

Devon Peavoy

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osborne G. Barnwell

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

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