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Date : 20220421


Dossier : A-325-21

Référence : 2022 CAF 67

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

RIGHT TO LIFE ASSOCIATION OF TORONTO AND AREA, BLAISE ALLEYNE et MATTHEW BATTISTA

appelants

et

CANADA (MINISTRE DE L’EMPLOI, DU DÉVELOPPEMENT DE LA MAIN-D’ŒUVRE ET DU TRAVAIL)

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 21 avril 2022.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20220421


Dossier : A-325-21

Référence : 2022 CAF 67

En présence de monsieur le juge STRATAS

ENTRE :

RIGHT TO LIFE ASSOCIATION OF TORONTO AND AREA, BLAISE ALLEYNE et MATTHEW BATTISTA

appelants

et

CANADA (MINISTRE DE L’EMPLOI, DU DÉVELOPPEMENT DE LA MAIN-D’ŒUVRE ET DU TRAVAIL)

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1] Trois parties demandent, par voie de requête, l’autorisation d’intervenir dans le présent appel : l’Association for Reformed Political Action (ARPA) Canada, Action Canada pour la santé et les droits sexuels, et l’Alliance évangélique du Canada. Pour les motifs qui suivent, les requêtes seront rejetées.

A. La question soulevée dans le présent appel

[2] En 2018, le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail a exigé que les demandeurs d’un financement dans le cadre du programme Emplois d’été Canada attestent de plusieurs déclarations. L’une de ces déclarations est que le candidat respecte les droits de la personne individuels, les droits garantis par la Charte et les droits liés à la procréation. L’appelante, la Right to Life Association of Toronto and Area, n’a pas fait cette attestation. Le ministre n’a donc pas pris en compte sa demande de financement.

[3] Devant la Cour fédérale, les appelants ont introduit une demande de contrôle judiciaire visant à annuler le refus pour cause de but illégitime, de considérations non pertinentes, d’absence d’autorisation en application de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34, de mauvaise foi et d’existence d’un esprit fermé. Les appelants ont également allégué que le ministre n’a pas réussi à établir un équilibre approprié entre la liberté de religion, la liberté d’expression et les objectifs du gouvernement, conformément à l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395. La contestation constitutionnelle a été formulée et revendiquée en application des arrêts Doré et École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, en s’appuyant sur la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle. La contestation n’a pas été formulée et revendiquée pour le motif que l’ordonnance elle-même était une action de l’État qui violait la Charte, la norme de contrôle étant celle de la décision correcte : voir SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, [1986] A.C.S. no 75 et Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, [1989] A.C.S. no 45

[4] La Cour fédérale (le juge Kane) a rejeté la demande de contrôle judiciaire : 2021 CF 1125.

B. Les critères d’intervention

[5] La décision la plus récente d’une formation complète de notre Cour sur les interventions est intitulée Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, [2016] 4 R.C.F. 3. Mais, comme nous le verrons, l’arrêt Sport Maska nous oblige à nous tourner vers d’autres sources juridiques en matière d’intervention.

[6] L’intimé fait valoir que, dans l’arrêt Sport Maska, notre Cour a adopté le critère énoncé dans une décision antérieure intitulée Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 74 (C.F. 1re inst.), conf. par [1990] 1 C.F. 90 (C.A.) et que la décision Rothmans demeure donc la décision qui fait autorité. De manière inexplicable et assez décevante, l’intimé ne tient pas compte des autres arrêts de notre Cour, dont la plupart font abstraction de la décision Rothmans ou en minimisent la portée.

[7] L’arrêt Sport Maska lui-même nous indique que des formulations et des raffinements du critère dans d’autres cas sont également utilisables, voire préférables à certains égards. Plus précisément, notre Cour, dans l’arrêt Sport Maska, a approuvé la discussion dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Première Nation Pictou Landing, 2014 CAF 21, [2015] 2 R.C.F. 253 sur ce qui constitue une intervention dans « l’intérêt de la justice », discussion adoptée dans de nombreuses autres décisions. Il n’est pas juste d’indiquer, comme le fait l’intimé, que la décision Rothmans fait jurisprudence.

[8] D’ailleurs, l’arrêt Sport Maska n’a pas abordé certaines questions fondamentales et nous sommes donc amenés à nous tourner vers d’autres sources juridiques faisant autorité :

  • Article 109 des Règles des Cours fédérales. L’article 109 est primordial. Il s’agit de la loi habilitante. La loi a préséance sur toutes les décisions des tribunaux : Canada (Procureur général) c. Utah, 2020 CAF 224, 455 D.L.R. (4th) 714, au para. 28; Sturgeon Lake Cree Nation c. Hamelin, 2018 CAF 131, [2018] A.C.F. no 700, au para. 54; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, au para. 82. Comme l’indiquent d’autres décisions invoquées ci-dessous, l’évaluation de l’opportunité d’autoriser un intervenant à participer à l’instance doit commencer par le respect des exigences énoncées à l’article 109.

  • Critiques de la décision Rothmans. La décision Rothmans n’a aucun sens à certains égards : arrêt Pictou Landing, aux para. 6 à 9. Par exemple, elle injecte une norme liée à l’« intérêt direct » – suffisant pour avoir qualité de partie – dans le critère encadrant l’autorisation d’intervenir. Mais le statut de partie et le statut d’intervenant sont deux choses totalement différentes.

  • Le critère encadrant l’autorisation d’intervenir que constitue l’ « intérêt de la justice ». L’arrêt Sport Maska n’a pas défini ce point. Il en a donc fait une affaire de point de vue, c’est-à-dire une question façonnée sur la base des impressions non définies, non déclarées et impossibles à formuler de juges individuels. Cette situation est inacceptable, car nous sommes régis par le droit objectif et la théorie juridique, et non par des préférences et des sentiments subjectifs : voir l’arrêt Zaric c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 36, au para. 11; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 13, [2021] A.C.F. No. 67, aux para. 8 et 9.

[9] Depuis le prononcé de l’arrêt Pictou Landing, notre Cour a affiné le critère encadrant l’autorisation d’intervenir en élaborant le critère d’utilité qui est au cœur de l’article 109 : l’arrêt Canada (Procureur général) c. Kattenburg, 2020 CAF 164 et l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés. La décision la plus récente, l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés, rassemble tous les différents courants de notre jurisprudence – y compris ceux qui ont été adoptés par notre Cour dans l’arrêt Sport Maska et qui n’ont pas été abordés – et propose un critère exhaustif. De façon tout à fait appropriée, les trois parties requérantes adoptent, aux paragraphes 6 et 9 de l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés, le critère que nous devrions appliquer en l’espèce.

[10] Ce critère est le suivant :

  1. La personne qui se propose d’intervenir fournira-t-elle d’autres observations, précisions et perspectives utiles qui aideront la Cour à se prononcer sur les questions juridiques soulevées par les parties à l’instance, et non sur de nouvelles questions? Pour déterminer l’utilité, il faut poser quatre questions :

  • Quelles sont les questions que les parties ont soulevées?

  • Quelles observations l’intervenant éventuel a-t-il l’intention de présenter concernant ces questions?

  • Les observations de l’intervenant éventuel sont-elles vouées à l’échec?

  • Les observations défendables de l’intervenant éventuel aideront-elles la Cour à trancher les véritables questions en jeu dans l’instance?

  1. La personne qui se propose d’intervenir doit-elle avoir un véritable intérêt dans l’affaire dont la Cour est saisie de façon à ce que la Cour puisse être certaine que la personne qui se propose d’intervenir a les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires et qu’elle les appliquera à la question devant la Cour?

  2. Est-il dans l’intérêt de la justice que l’intervention soit autorisée? La liste des facteurs à considérer n’est pas fermée, mais comprend les questions suivantes :

  • L’intervention est-elle compatible avec les impératifs de l’article 3 des Règles? Par exemple, le cours ordonné de l’instance ou le calendrier de celle-ci seront-ils indûment perturbés?

  • L’affaire a-t-elle pris une dimension tellement publique, importante et complexe que la Cour doit être exposée à des perspectives autres que celles offertes par les parties qui comparaissent devant elle?

  • La cour de première instance dans cette affaire a-t-elle autorisé l’intervention de la partie?

  • L’autorisation de multiples intervenants va-t-elle emporter une « inégalité des moyens » ou un déséquilibre en faveur d’un camp ou en donner l’apparence?

[11] Les demandes d’intervention se heurtent souvent à la première partie de ce critère – l’utilité des observations de l’intervenant. Dans certains cas, les questions, considérées à la lumière de la norme de contrôle, sont telles qu’un intervenant aura peu de marge de manœuvre pour démontrer l’utilité de ses observations; dans d’autres, comme ceux comportant des questions de droit vastes et incertaines pour lesquelles la norme de contrôle est celle de la décision correcte, un intervenant peut avoir une plus grande marge de manœuvre pour démontrer cette utilité. Les meilleures demandes d’intervention se concentrent sur l’utilité. Les intervenants « parviennent à saisir la véritable nature de l’affaire et à repérer le nœud particulier dans l’affaire qui doit être défait, puis à nous dire précisément comment ils s’y prendront pour le défaire » et « auront examiné le dossier de preuves et les questions précises que soulève l’affaire, de telle sorte qu’ils seront en mesure de donner beaucoup de détails sur la manière précise dont ils aideront la Cour » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151, [2016] 1 R.C.F. 686, au para. 10.

[12] En outre, les observations d’un intervenant doivent contribuer à ce que nous faisons réellement en tant que cour de justice. À ce titre, nous vérifions, interprétons et appliquons la théorie juridique aux faits constatés par une cour de première instance. Dans l’interprétation des lois, nous considérons l’objet d’une disposition législative comme « représent[ant] la raison même pour laquelle le législateur a adopté la loi. Il n’est pas ce que des instances internationales, des juges, des parties et des intervenants croient être “ce qu’il y a de mieux pour la société canadienne” ni ce qu’ils considèrent comme étant “juste”, “bien” ou “équitable” » : Kattenburg, au para. 26; Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, [2019] A.C.F. no 228; Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174; Atlas Tube Canada ULC c. Canada (Revenu national), 2019 CAF 120, [2019] A.C.F. no 1060, aux para. 5 à 9. Nous ne nous appuyons sur le droit international que lorsqu’il se présente à nous de manière appropriée et nous rejetons ceux qui l’invoquent comme s’il était « un buffet de plats savoureux duquel nous pouvons choisir ce qui nous plaît » : Kattenburg, au para. 26; Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, aux para. 76 à 92. Nous ne nous inspirons pas des politiques générales, en particulier celles qui ne sont pas liées à des faits avérés et à une doctrine établie. Et il nous arrive encore moins de donner force de loi à de grandes politiques, comme si nous étions des législateurs ou des constitutionnalistes. Nous ne sommes pas non plus une tribune téléphonique ou une commission d’enquête itinérante. Nous gérons une cour de justice. Voir l’arrêt Ishaq, aux para. 9 et 26 à 27 et l’arrêt Kattenburg, aux para. 41 et 44.

[13] Nous déplorons les intervenants qui tentent de glisser de nouveaux éléments de preuve au dossier de la Cour par des moyens rusés et non professionnels, par exemple en introduisant clandestinement dans leurs recueils de jurisprudence des documents qui contiennent des faits et des opinions en matière de sciences sociales qui n’ont pas été déposés en preuve ou en glissant de nouveaux éléments de preuve dans leurs observations orales : Public School Boards’ Association of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1999] 3 R.C.S. 845, [1997] A.C.S. no 76; Teksavvy Solutions Inc. c. Bell Média Inc., 2020 CAF 108, [2020] A.C.F. no 716; arrêt Zaric, au para. 14; Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34, [2015] A.C.F. no 147, au para. 19. En l’espèce, l’expérience nous donne un enseignement. Nous avons vu des faussetés présentées par des intervenants s’infiltrer sans esprit critique dans des motifs de jugement, avec des conséquences dommageables et concrètes : voir les exemples fournis dans l’arrêt Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 130, [2021] 1 R.C.F. 53, aux para. 156 à 159, renvoyant à l’arrêt Teksavvy Solutions, au para. 22, tous deux renvoyant à l’arrêt R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409 et à Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, [2019] 2 R.C.S. 467. Si, à un moment donné, les intervenants ou leurs avocats ont essayé ce genre de choses dans notre Cour ou dans une autre Cour, ou si nous avons le sentiment, d’après leurs observations, qu’ils pourraient le faire, nous les exclurons.

[14] De même, il arrive que ceux qui demandent à intervenir semblent penser que la supériorité, la justesse et l’importance de leurs causes leur permettent d’insérer leurs questions – de nouvelles questions – dans une action en justice que les parties existantes ont intentée et contestée, souvent avec beaucoup de stress et à grands frais, pendant des années. Certains vont jusqu’à transformer l’action en justice des parties, à en faire quelque chose de plus qu’elle n’est en réalité, ou quelque chose qu’elle n’est pas. Nous n’autorisons pas cela. Dans notre Cour, les intervenants ne sont rien de plus que des participants secondaires dans des actions en justice qui comptent déjà des parties. Ainsi, les intervenants doivent se limiter aux questions qui ont déjà été soulevées par les parties. Notre Cour s’est déjà exprimée ainsi :

[L]es intervenants sont des invités à une table qui est déjà mise et où les mets sont déjà disposés. Les intervenants peuvent commenter leur point de vue sur ce qu’ils voient, ce qu’ils hument et ce qu’ils goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas ajouter d’autres mets à la table.

Autoriser les intervenants à en faire davantage reviendrait à modifier l’instance que les parties directement touchées – les demandeurs et les défendeurs – ont élaborée, et dans laquelle elles ont plaidé pendant des mois, ce qui risquerait fort d’entraîner un manquement à l’équité procédurale et une injustice.

(Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, [2017] A.C.F. no 827, aux para. 55 à 56). Si les intervenants veulent en faire plus, s’ils veulent faire avancer leur propre intérêt, ils doivent introduire leur propre action en justice en tant que parties, avec tout ce que cela comporte, y compris les frais juridiques et la possibilité d’être condamnés aux dépens.

[15] Enfin, pour nous, l’équité de nos instances et notre impartialité, tant réelle qu’apparente, sont primordiales, en particulier dans les actions en justice controversées qui suscitent souvent de nombreuses demandes d’intervention. Mais l’équité et l’impartialité sont mises à mal, parfois gravement, lorsque la Cour admet un trop grand nombre d’intervenants d’un seul côté du débat, qui militent tous pour le même résultat. Si la Cour adopte finalement ce résultat, les observateurs profanes impartiaux pourraient bien croire que le déséquilibre des voix d’un côté de la salle d’audience et leur amplification par la répétition fréquente – tout cela étant mis en place par les décisions de la Cour sur l’autorisation d’intervenir – pourrait avoir fait pencher la balance d’un côté plutôt que de l’autre.

[16] Ainsi, en examinant les demandes d’intervention, nous veillons à éviter l’apparence d’un « cumul » sanctionné par la Cour en faveur d’une partie ou d’une convergence sanctionnée par la Cour contre l’autre partie. Les résultats auxquels nous parvenons doivent être considérés comme le produit d’une réflexion judiciaire équitable et impartiale, rien d’autre. Voir l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés, au para. 15; l’arrêt Teksavvy, au para. 11; Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73, au para. 23.

[17] En offrant les commentaires qui précèdent sur les interventions, la Cour se réconforte des changements récents que la Cour suprême a apportés à ses politiques en matière d’intervention « Novembre 2021 – Interventions » (15 novembre 2021), en ligne : Cour suprême du Canada <https://www.scc-csc.ca/ar-lr/notices-avis/21-11-fra.aspx>. Bien qu’il ne lie pas notre Cour, l’avis de la Cour suprême souligne l’importance et la pertinence de trois politiques fondamentales de notre Cour qui ressortent de la discussion ci-dessus : (1) l’intervention dans l’action en justice d’autrui est un privilège, et non un droit; (2) l’accent est mis sur ce que l’intervenant peut faire d’utile pour aider la Cour à trancher les questions dont elle est déjà saisie, et non d’autres questions; et (3) l’instance doit être scrupuleusement équitable, tant en réalité qu’en apparence.

C. Application de ces principes

[18] Les trois parties requérantes ne remplissent pas le critère encadrant l’autorisation d’intervenir. Ils n’ont pas satisfait au premier volet du critère, très important, exposé au paragraphe 10 ci-dessus.

[19] La Cour n’est pas persuadée que les arguments que les parties requérantes ont l’intention de faire valoir sont différents de ceux que les appelants présenteront devant la Cour. À bien des égards, les arguments sont identiques ou ont une tournure légèrement différente, sans conséquence, de ceux déjà présentés à la Cour. Ils reprennent les arguments des appelants. Mais ainsi ils n’atteignent pas le seuil d’utilité nécessaire : Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 267, [2004] A.C.F. no 1264, au para. 9; Canada (Procureur général) c. Shakov, 2016 CAF 208, au para. 9; arrêt Zaric, au para. 17.

[20] Par exemple, l’Association for Reformed Political Action (ARPA) Canada propose de faire valoir [traduction] qu’« une organisation privée est incapable de ne pas respecter les droits ou les valeurs de la Charte » et que les droits à l’expression en litige sont [traduction] « au cœur de la garantie de liberté d’expression que confère l’alinéa 2b) ». Les appelants font déjà valoir que leurs activités sont légales et que l’exigence d’attestation [traduction] « frappe au cœur de la protection que confèrent les alinéas 2a) et b) de la Charte ». Les observations proposées par l’Association ne sont guère plus qu’un ajout sans conséquence à ce dont est déjà saisie la Cour.

[21] L’Alliance évangélique du Canada propose deux nouvelles questions qui ne sont pas actuellement en litige dans le présent appel : l’article 27 de la Charte et l’exigence prévue à l’article premier de la Charte voulant que les droits et libertés ne soient restreints que « par une règle de droit ». L’article 27 de la Charte peut avoir une portée interprétative et peut être examiné par les parties existantes ou par la Cour elle-même; l’aide proposée n’est ni nécessaire ni utile. L’exigence de l’article premier voulant que les droits et libertés ne soient restreints que « par une règle de droit » est une caractéristique pertinente pour le critère établi dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, [1986] A.C.S. no 7, un critère qui s’applique lorsqu’il est allégué qu’une action de l’État, telle qu’une disposition législative ou une décision administrative, viole un droit ou une liberté garanti par la Charte. Comme il est indiqué au paragraphe 3 ci-dessus, les appelants ne font pas cette allégation en l’espèce. Les appelants ont plutôt choisi de plaider selon la jurisprudence illustrée par les arrêts Doré et Loyola.

[22] Les autres arguments avancés par l’Alliance évangélique du Canada ne sont finalement pas utiles à la Cour pour remplir sa mission. Par exemple, elle fait valoir que l’exigence d’attestation du ministre [traduction] « porte atteinte aux objectifs prévus par la loi de promotion d’un marché du travail inclusif et d’amélioration du bien-être social et de la qualité de vie pour tous, au lieu de les faire promouvoir » et que [traduction] « le gouvernement ne devrait pas se préoccuper d’empêcher les jeunes de travailler pour des organisations respectueuses de la loi et ayant des opinions pro-vie ». Ce genre d’opinions politiques autonomes n’a aucun rapport avec le critère juridique établi dans les arrêts Doré/Loyola dont nous sommes saisis et devrait être rejeté : arrêt Zaric, au para. 12.

[23] Action Canada pour la santé et les droits sexuels entend faire valoir que les activités des organisations antiavortement sont incompatibles avec les valeurs de la Charte et les obligations internationales en matière de droits de la personne. Action Canada pour la santé et les droits sexuels propose de discuter de l’état actuel des lois sur l’avortement. Ces questions n’ont rien à voir avec les questions juridiques dont la Cour est saisie dans le cadre du présent appel en particulier. Elles concernent des questions politiques plus larges autour de l’avortement. Cela ressemble à ce que certaines des parties demandant l’autorisation d’intervenir dans le dossier Kattenburg ont essayé de faire : transformer une action en justice sur le caractère raisonnable d’une décision administrative sur l’acceptabilité d’une étiquette de vin particulière en une discussion politique sur la politique étrangère canadienne, les droits de l’homme au Moyen-Orient et le statut de la Cisjordanie.

[24] Les trois parties requérantes sont intéressées par le développement du droit en l’espèce parce qu’elles, comme des centaines d’autres organisations, pourraient être touchées par la décision de notre Cour. Mais ce genre d’intérêt purement jurisprudentiel, sans plus, est insuffisant : arrêt Canadian Doctors for Refugee Care, au para. 30; Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), [2010] 1 R.C.F. 226, 2000 CanLII 14938, aux para. 10 et 11.

[25] L’Alliance évangélique du Canada est la seule partie requérante qui discute de la façon dont les actions du ministre la touchent de manière tangible. Elle craint que l’exigence contestée en matière d’attestation ne l’empêche de postuler au programme Emplois d’été du gouvernement fédéral. Mais malgré l’exigence d’attestation contestée, l’Alliance évangélique du Canada a demandé et obtenu un financement dans les années qui ont suivi le rejet du financement en l’espèce. Pour ce motif, la Cour fédérale a rejeté la requête en intervention de l’Alliance évangélique du Canada. Notre Cour approuve en substance ce rejet, pour les raisons invoquées par la Cour fédérale.

[26] L’Association for Reformed Political Action (ARPA) Canada et l’Alliance évangélique du Canada soutiennent qu’elles peuvent offrir des perspectives religieuses importantes. Mais notre Cour n’est pas dépourvue de perspectives religieuses en l’espèce : voir la présence dans le dossier de l’affidavit d’un professeur de théologie morale, des arguments présentés à la Cour fédérale et les motifs de la Cour fédérale (aux para. 29 à 30, 118 à 119, 121, 144 à 146, 159 et 161). De plus, ces parties requérantes n’ont pas persuadé notre Cour que les perspectives religieuses offertes par ces parties requérantes sont différentes de celles déjà présentées. Et même si les perspectives étaient différentes, elles sont probablement de nature factuelle. Mais elles ne figurent pas dans le dossier factuel soumis à notre Cour.

D. Décision

[27] Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter les requêtes.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-325-21

 

INTITULÉ :

RIGHT TO LIFE ASSOCIATION OF TORONTO AND AREA, BLAISE ALLEYNE et MATTHEW BATTISTA c. CANADA (MINISTRE DE L’EMPLOI, DU DÉVELOPPEMENT DE LA MAIN-D’ŒUVRE ET DU TRAVAIL)

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 avril 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Amanda Montague-Reinholdt

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, Action Canada pour la santé et les droits sexuels

 

Tabitha Ewert

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, l’Association for reformed political action (ARPA) Canada

 

John Sikkema

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, L’ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE DU CANADA

 

Kerry Boyd

Jennifer Lee

Keelan Sinnott

 

Pour l’intimé, CANADA (MINISTRE DE L’EMPLOI, DU DÉVELOPPEMENT DE LA MAIN-D’ŒUVRE ET DU TRAVAIL)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, Action Canada pour la santé et les droits sexuels

 

Tabitha Ewert

Ottawa (Ontario)

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, l’Association for reformed political action (ARPA) Canada

 

The Acacia Group

Ottawa (Ontario)

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, L’ALLIANCE ÉVANGÉLIQUE DU CANADA

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimé, CANADA (MINISTRE DE L’EMPLOI, DU DÉVELOPPEMENT DE LA MAIN-D’ŒUVRE ET DU TRAVAIL)

 

 

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