Dossier : A-135-21
Référence : 2022 CAF 83
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
|
LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
LA JUGE RIVOALEN
|
ENTRE :
|
SHERRY LEE NOWLAN
|
demanderesse
|
et
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
défendeur
|
Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe,
le 9 mars 2022.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 mai 2022.
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LA JUGE RIVOALEN
|
Y ONT SOUSCRIT :
|
LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
|
Date : 20220513
Dossier : A-135-21
Référence : 2022 CAF 83
CORAM :
|
LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
LA JUGE RIVOALEN
|
ENTRE :
|
SHERRY LEE NOWLAN
|
demanderesse
|
et
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
défendeur
|
MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE RIVOALEN
I.
Introduction
[1] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse, Sherry Lee Nowlan, à l’encontre de la décision rendue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) intitulée Nowlan c. Conseil du Trésor (Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement) (2021 CRTESPF 34), le 31 mars 2021 (la décision).
[2] Le contrôle judiciaire porte sur l’interprétation de l’article 12.1 de la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte (la directive). L’article 12.1 est incorporé par renvoi dans la convention collective qui s’applique. La directive prévoit qu’une réinstallation à la demande du fonctionnaire sera considérée comme une réinstallation à la demande de l’employeur, à moins que l’employeur ne soumette un certificat attestant que, si le poste vacant n’avait pas été pourvu par suite d’une mutation demandée par le fonctionnaire, il l’aurait été par la voie normale de dotation en personnel sans entraîner de frais de réinstallation.
[3] Durant la période visée, l’article en cause était rédigé comme suit (version du 1er avril 2009) :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[4] Les parties ne contestent pas le fait que l’employeur n’a fourni aucun certificat par écrit en l’espèce.
[5] L’interprétation de l’article 1.4.2 de la directive est également pertinente dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Durant la période visée, l’article en question était rédigé comme suit :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[6] La Commission a aussi tenu compte de l’interprétation de l’article 2.2.2.2 de la directive. Cet article dispose que, conformément au cadre de délégation applicable, le fonctionnaire doit obtenir une autorisation écrite avant d’engager quelque dépense de réinstallation que ce soit. L’article est rédigé comme suit :
|
|
II.
Faits
[7] Les faits essentiels ne sont pas contestés. La demanderesse travaillait au bureau d’Ottawa du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (l’employeur). Elle a informé son superviseur que, pour des raisons familiales, elle souhaitait être mutée au bureau de Toronto et était prête à accepter une rétrogradation pour y parvenir.
[8] C’est exactement ce que l’employeur a fait. L’employeur l’a informée que six postes seraient créés dans des bureaux régionaux, dont deux à Toronto. L’employeur a averti la demanderesse que le poste constituerait une rétrogradation et qu’aucune dépense de réinstallation ne pourrait lui être remboursée. La demanderesse a accepté cette mise en garde et elle est déménagée d’Ottawa à Toronto. Elle a été rétrogradée d’un poste classifié EC-07 à un poste classifié CO-02. Dans le cadre de ce processus, elle a pris huit jours de congé sans solde et a engagé des dépenses de réinstallation de 26 124 $.
[9] Dans une lettre datée du 30 juillet 2010, l’employeur lui a offert le poste CO-02, en fixant la date d’entrée en fonction au 7 septembre 2010; cette lettre précisait toutefois, par erreur, que le poste était situé à Ottawa. La fonctionnaire a accepté; elle a déménagé peu après à Toronto, avec l’approbation de son employeur, et elle a rempli toutes ses fonctions depuis le bureau de Toronto. L’employeur n’a jamais fourni le certificat exigé à l’article 12.1 de la directive.
[10] Quelques mois après son déménagement, suivant l’avis de son comptable, la demanderesse a demandé une déduction pour ses dépenses de réinstallation sur sa déclaration de revenus, mais l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) lui a refusé la déduction demandée.
[11] Peu de temps après ce refus, la demanderesse a pris connaissance d’un protocole d’entente interministériel qui définissait les dispositions qui s’appliquaient aux postes comme le sien et qui prévoyait que le bureau régional devait couvrir les frais de réinstallation à l’intérieur du pays. Quelques mois après que la demanderesse ait pris connaissance de ce fait, l’employeur a envoyé à la demanderesse une deuxième lettre d’offre dans laquelle le lieu de travail avait été modifié en remplaçant Ottawa par Toronto. La demanderesse a signé cette deuxième lettre.
[12] Peu de temps après, la demanderesse a demandé à son employeur s’il envisagerait de lui rembourser ses dépenses de réinstallation, car l’ARC avait rejeté sa demande de déduction. Après plus de deux ans de discussion, l’employeur a finalement tranché et indiqué que la demande de remboursement ne respectait pas les exigences de la directive, car, en violation du cadre de délégation applicable, la demanderesse n’avait pas obtenu une autorisation écrite avant d’engager ses dépenses de réinstallation.
[13] La demanderesse a déposé un grief à l’encontre de la décision de l’employeur lui refusant le remboursement de ses frais de réinstallation. Elle a aussi demandé que lui soient remboursés les huit jours de congé qu’elle avait dû prendre pour organiser son déménagement. La Commission a accueilli le grief en partie.
III.
La décision
[14] La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas suivi les étapes requises d’un fonctionnaire aux termes de l’article 2.2.2.2 de la directive, à savoir faire autoriser toutes les dépenses avant de les engager. Cependant, la Commission a aussi conclu que les omissions de la demanderesse découlaient de la décision erronée de l’employeur selon laquelle il pouvait approuver une réinstallation sans approuver les dépenses de réinstallation (décision au para. 7).
[16] Invoquant la décision rendue par notre Cour intitulée Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, 472 N.R. 171 aux paragraphes 36–37 [Delios], la Commission a indiqué que, lorsque le libellé de la convention est clair, il doit être appliqué, même si le résultat peut sembler injuste ou inéquitable ou imposer des frais supplémentaires.
[17] La Commission a examiné la portée du pouvoir discrétionnaire de l’employeur lorsqu’il s’agit d’autoriser une réinstallation. La Commission a examiné la lettre du 30 juillet 2010 et a conclu que l’employeur avait compris que la demanderesse devait déménager d’Ottawa à Toronto pour occuper le poste qui lui était offert. La Commission a jugé que la conséquence de la lettre était claire : elle autorisait la demanderesse à cesser d’occuper un poste EC-07 à Ottawa pour commencer à travailler à Toronto en occupant un poste classifié CO-02, à compter du 7 septembre 2010 (décision au para. 63).
[18] Au paragraphe 64 de la décision, la Commission a déclaré qu’elle n’avait relevé dans la directive aucune disposition qui conférait à l’employeur, après avoir autorisé un fonctionnaire à commencer à travailler dans un autre lieu, le pouvoir discrétionnaire « de ne pas autoriser ce déménagement à titre de réinstallation »
. Plus loin dans le même paragraphe, la Commission a souligné le caractère impératif du libellé de l’article 1.4.2 de la directive, qui prévoit que l’employeur « doit autoriser la réinstallation dans le cas d’un fonctionnaire à temps plein nommé pour une période indéterminée »
; l’employeur ne dispose donc d’aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard. [Caractères gras dans la décision].
[19] La Commission a conclu que la directive ne confère pas à l’employeur le pouvoir discrétionnaire de décider si les dépenses de réinstallation seront remboursées ou non (décision au para. 65).
[20] La Commission a ensuite porté son attention sur l’article 12.1.2 de la directive qui précise les conditions à remplir pour déterminer si la réinstallation de la demanderesse devrait être considérée comme étant une réinstallation à la demande du fonctionnaire ou à la demande de l’employeur.
[21] La Commission a conclu qu’ayant pardonné à la demanderesse le fait d’avoir omis d’obtenir l’autorisation écrite de son employeur avant d’engager ses dépenses de réinstallation, il faudrait de même pardonner à l’employeur le fait de ne pas avoir fourni le certificat exigé à l’article 12.1.2 de la directive. La Commission a jugé qu’elle devait, en l’espèce, faire abstraction des règles purement techniques de l’interprétation des contrats et s’en remettre au bon sens (décision aux paras 77–79).
[22] La Commission a ensuite examiné, et rejeté, l’argument de l’employeur selon lequel le grief devrait être rejeté sur le fondement de la préclusion promissoire (décision aux paras 84–96).
[23] La Commission a ordonné qu’une somme de 5 000 $ soit versée à la demanderesse à titre de remboursement de dépenses de déménagement, comme l’autorise la disposition relative aux réinstallations à la demande d’un fonctionnaire (décision au para. 97).
[24] En ce qui concerne les huit jours de congé sans solde pris par la demanderesse, la Commission a appliqué l’article 2.2.1.10 de la directive, qui prévoit que l’employeur doit accorder au fonctionnaire le congé nécessaire pour mener les activités requises par la réinstallation. Tenant compte du fait que la demanderesse n’était plus au service de la fonction publique fédérale au moment de l’audience, la Commission a accordé à la demanderesse huit jours de rémunération correspondant à l’échelon maximal de l’échelle salariale du groupe CO-02 qui était en vigueur durant l’année de sa réinstallation. Comme cela constituait un revenu d’emploi, la Commission a précisé que l’employeur devait prélever toutes les retenues applicables à cette somme (décision aux paras 98–102).
IV.
Norme de contrôle et questions en litige
[25] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4e) 1 [Vavilov]).
[26] La norme de la décision raisonnable commande la déférence et consiste à examiner la décision du décideur avec une attention respectueuse en cherchant à comprendre le raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov aux paras 83–84). Une décision est jugée raisonnable lorsqu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, 441 D.L.R. (4e) 269 au para. 2; Vavilov aux paras 84–85).
[27] Si les motifs du décideur démontrent que la décision est fondée sur une analyse déraisonnable, ils ne satisfont pas aux critères essentiels de justification, de transparence et d’intelligibilité de la norme de contrôle (Vavilov aux paras 96, 103–104).
[28] Tenant compte de la norme de la décision raisonnable, je formulerais comme suit les questions que notre Cour doit trancher :
Comme la Commission a conclu que l’employeur n’avait aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de manquer à son obligation de rembourser les dépenses de réinstallation de la fonctionnaire aux termes de l’article 1.4.2 de la directive, était-il raisonnable pour la Commission de pardonner à l’employeur son défaut de fournir un certificat à la fonctionnaire l’autorisant à déménager aux termes de l’article 12.1.2 de la directive, ce qui aurait permis à la fonctionnaire d’avoir droit à une somme maximale de 5 000 $ à titre de remboursement des dépenses?
En calculant les huit jours de congé personnel accordés à la demanderesse, était-il raisonnable pour la Commission de faire abstraction des éléments de preuve sur le taux de rémunération plus élevé de la demanderesse?
[29] Au terme de l’audience devant notre Cour, la formation a invité les avocats à lui présenter d’autres observations écrites sur la question de la compétence de la Commission en matière de réparation. La formation a mentionné que la Commission, aux paragraphes 77 à 82 de la décision, avait façonné une mesure de réparation qui tenait compte du défaut des parties de se conformer à leurs obligations aux termes de la directive.
[30] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision est déraisonnable.
V.
Analyse
A.
Était-il raisonnable pour la Commission d’adopter une approche « non technique fondée sur le bon sens » pour interpréter l’article 12.1.2 de la directive?
[31] Je commencerai mon analyse en souscrivant à l’interprétation que la Commission a faite de l’article 1.4.2 de la directive et des règles de droit qu’elle a invoquées pour examiner le libellé de la directive.
[32] Comme je l’ai indiqué précédemment au paragraphe
[15]
, je suis d’avis que la Commission a, à juste titre, reconnu au paragraphe 51 de la décision que les mêmes principes qui s’appliquent aux contrats tels que les conventions collectives s’appliquent à l’interprétation du libellé de la directive. La directive a été incorporée par renvoi à la convention collective; il faut donc donner à ses mots leur sens ordinaire. Les dispositions de la convention ou du contrat doivent être lues dans leur ensemble, en donnant effet à chaque mot et en donnant préséance aux dispositions particulières plutôt qu’aux dispositions générales (Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 5e éd. aux pp. 21–55; D.J.M. Brown et D.M. Beatty, dir., Canadian Labour Arbitration, 5e éd., Thomson Reuters, 2019, 4:2100).
[33] L’article 1.4.2 de la directive prévoit que « [l]e remboursement des frais de réinstallation est autorisé pour les fonctionnaires : à temps plein et à temps partiel nommés pour une période indéterminée »
. De plus, l’article 1.2.4 de la directive dispose que « [l]a présente directive [...] » n’est pas une « ligne[…] directrice[…] facultative[…] »
et que le pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé « que dans les cas où [les employeurs] sont dûment autorisés à le faire »
.
[34] Le libellé ordinaire de l’article 1.4.2 est sans ambiguïté. Il ne confère à l’employeur aucun pouvoir discrétionnaire de refuser le remboursement des dépenses de réinstallation d’un fonctionnaire. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que l’employeur a commis une erreur lorsqu’il a informé la demanderesse qu’il ne pourrait pas lui accorder de remboursement pour ses dépenses de réinstallation.
[35] La question en litige est de savoir si le remboursement devrait correspondre à la somme maximale de 5 000 $ prévue à l’article 12.1.2 de la directive pour les réinstallations « à la demande du fonctionnaire »
, ou s’il devrait se rapprocher davantage des coûts réels de réinstallation qui ont été engagés aux termes de la disposition de la directive portant sur les réinstallations « à la demande de l’employeur »
.
[36] La Commission a conclu qu’elle pouvait appliquer une « approche non technique fondée sur le bon sens »
pour interpréter l’article 12.1.2 de la directive. La section pertinente de l’article 12.1.2 dispose qu’ « [u]ne mutation demandée par le fonctionnaire qui donne lieu à une réinstallation autorisée pour qu’il occupe un poste du groupe et du niveau pertinents vacant à son arrivée au nouveau lieu de travail sera considérée comme une réinstallation à la demande de l’employeur. (a) On remboursera au fonctionnaire les frais de réinstallation en respectant les limites prévues par la présente directive, à moins que l’[employeur] soumette un certificat attestant que […] »
[Mes italiques].
[37] Plutôt que d’appliquer les mêmes règles de droit et la même approche que celles utilisées pour interpréter l’article 1.4.2 de la directive, la Commission a utilisé une approche fondée sur le bon sens pour interpréter l’article 12.1.2. Invoquant ce qu’elle a qualifié d’erreur de la part de la demanderesse, car cette dernière n’a pas demandé une autorisation écrite avant d’engager ses dépenses de réinstallation, la Commission a jugé qu’elle pouvait faire abstraction du libellé de l’article 12.1.2. Les termes « sera considérée »
créent une disposition déterminative qui exige que l’employeur rembourse les dépenses de réinstallation, sauf si l’employeur produit un certificat. En l’espèce, aucun certificat n’a été produit. Je suis d’avis que l’approche utilisée par la Commission pour interpréter l’article 12.1.2 est déraisonnable à plusieurs égards.
[38] En premier lieu, la Commission a fait abstraction des principes d’interprétation juridique pour interpréter le libellé de l’article 12.1.2, mais elle en a tenu compte pour l’article 1.4.2. La décision manque de cohérence logique parce que la Commission a utilisé une approche incohérente dans son interprétation de la convention.
[39] Sur la question de l’interprétation contractuelle, la Cour suprême a déclaré qu’une disposition contractuelle doit toujours être interprétée en se fondant sur son libellé et sur l’ensemble du contrat. Bien que les circonstances sous-tendent le processus d’interprétation, les tribunaux ne sauraient fonder sur elles une lecture du texte qui s’écarte de ce dernier au point de créer dans les faits une nouvelle entente (Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633 au para. 57).
[40] De même, les éminents auteurs J.M. Brown et D.M. Beatty nous enseignent que la première étape dans l’interprétation d’une convention collective doit être, pour le décideur, d’en examiner le libellé dans son sens ordinaire et normal, en tenant compte de l’ensemble du contexte de la convention. S’il n’y a aucune ambiguïté, le décideur devrait se livrer à une interprétation fondée sur le libellé explicite, à moins que cela ne donne un résultat absurde ou abusif.
[41] Ce n’est que lorsqu’il existe une certaine ambiguïté, c’est-à-dire que les mots pourraient être interprétés de plus d’une façon, que le décideur devrait évaluer la preuve extrinsèque (D.J.M. Brown et D.M. Beatty, dir., Canadian Labour Arbitration, 5e éd., Thomson Reuters, 2019 au para. 4:2100). De même, notre Cour a réitéré que, bien que les décisions rendues par les arbitres des relations de travail dans leur domaine d’expertise, notamment l’interprétation de conventions collectives, commandent une certaine déférence lors du contrôle judiciaire de décisions de la Commission, les dispositions pertinentes de la convention collective doivent se prêter raisonnablement à l’interprétation qui en est faite (Alliance de la Fonction Publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 184 aux paras 4–7).
[42] En l’espèce, il n’y avait aucune ambiguïté. Le défaut de la Commission d’interpréter l’article 12.1.2 de la directive dans son sens ordinaire est en soi déraisonnable. L’employeur doit fournir un certificat s’il décide de ne pas rembourser intégralement les dépenses de réinstallation. Si l’employeur décide de ne pas fournir de certificat, il sera alors tenu de rembourser les dépenses de réinstallation « à la demande de l’employeur »
.
[43] De plus, la Commission justifie l’utilisation d’une approche fondée sur le « bon sens »
par la prise en compte des circonstances. Elle jette le blâme sur la demanderesse et lui reproche de ne pas avoir obtenu une autorisation écrite de l’employeur avant d’engager des dépenses. Cette conclusion de fait est déraisonnable, car la demanderesse ne devrait pas être blâmée pour sa conduite, car elle a agi en se fiant aux conseils de son employeur. C’est l’employeur qui a commis l’erreur. La demanderesse s’est fondée sur cette information. Elle ne devrait pas être blâmée pour cela. Il était déraisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse a commis une erreur en omettant d’obtenir une autorisation écrite avant d’engager des dépenses de réinstallation. Elle n’a pas commis d’erreur. Elle a agi en se fiant aux conseils erronés de son employeur, qui lui a dit qu’aucune dépense de réinstallation ne lui serait remboursée. Le raisonnement de la Commission manque de logique et de cohérence.
[44] Un autre problème vient du fait que la Commission invoque, dans la décision, une décision antérieure qu’elle avait rendue intitulée Carroll c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et ministère de l’Industrie) 2019 CRTESPF 23 [Carroll]. Cependant, cette décision diffère de la présente espèce, car les dispositions en litige dans la convention collective invoquée dans Carroll étaient véritablement ambiguës, contrairement à la directive en litige en l’espèce dont le libellé est sans ambiguïté. Je note par ailleurs que la Commission n’a pas suivi une autre décision antérieure qu’elle avait rendue et qui portait carrément sur l’interprétation de l’article 12.1.2 de la directive (Gresley-Jones c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2020 CRTESPF 65 [Gresley-Jones]). Au paragraphe 67 de Gresley-Jones, la Commission a confirmé que la directive exigeait la présentation d’un certificat écrit dans le cas d’une mutation à la demande du fonctionnaire. Plus loin, au paragraphe 82, la Commission a confirmé que l’employeur ne peut se prévaloir de sa violation de la convention collective et priver le plaignant de l’avantage légitime que son agent négociateur a négocié et obtenu en son nom. Comme c’est le cas en l’espèce, dans l’affaire Gresley-Jones, les plaignants ont accepté ce que la personne investie du pouvoir nécessaire de l’employeur leur avait dit et ils ont agi en fonction des renseignements qu’on leur avait donnés. Il serait absurde que la partie qui a fourni les renseignements erronés prive le fonctionnaire d’un avantage légitime, en invoquant le fait que ce fonctionnaire s’est fondé en toute légitimité sur ces renseignements erronés.
[45] La Commission n’était pas liée par ces décisions antérieures, mais elle a omis de fournir des motifs raisonnables pour justifier pourquoi elle a rejeté les principes qui se dégagent de Gresley-Jones mais invoqué ceux de Carroll.
[46] La Commission a aussi invoqué les principes qui se dégagent de la décision de notre Cour dans Delios, à savoir que, lorsque le libellé d’une convention est clair, il doit être appliqué, même si le résultat peut sembler injuste ou inéquitable ou imposer des coûts supplémentaires. C’est le cas en l’espèce. Même si l’application rigoureuse du libellé de la directive pourrait entraîner des frais supplémentaires pour l’employeur, ce libellé est néanmoins clair et les dispositions doivent être appliquées d’une manière uniforme et raisonnable.
[47] Le défendeur n’a pas invoqué l’argument de la préclusion promissoire devant notre Cour et, quoi qu’il en soit, la Commission n’y a accordé aucun fondement. Je suis d’avis que l’employeur ne peut invoquer la conduite de la demanderesse, car la fonctionnaire n’a fait aucune promesse lorsqu’elle a simplement accepté l’avis de son gestionnaire selon lequel aucune dépense de réinstallation ne serait remboursée.
[48] En ce qui concerne les observations présentées après l’audience sur la question de la compétence de la Commission en matière de réparation, il semble que la Commission, sous le prétexte de l’interprétation contractuelle, ait accordé une mesure de réparation fondée sur une demande de dommages-intérêts pour assertion négligente et inexacte, bien qu’aucune demande en ce sens n’ait été présentée. En d’autres termes, la Commission n’a pas accordé une mesure de réparation en appliquant le libellé de la directive aux faits de l’espèce, mais plutôt en se fondant sur un scénario hypothétique (décision au para. 82). Cela rend la décision déraisonnable.
[49] Je terminerai mon analyse en concluant, après avoir tenu compte de toutes les lacunes mentionnées précédemment, que la décision est déraisonnable parce que la Commission n’a pas appliqué les principes généraux de l’interprétation contractuelle, alors que le libellé était clair et non ambigu. La décision est dénuée de cohérence logique. Qui plus est, la Commission s’est fondée sur une décision antérieure de la Commission qui était clairement différente, tout en rejetant une autre décision de la Commission pourtant hautement pertinente. Enfin, la Commission a fondé sa mesure de réparation sur un scénario hypothétique et n’a pas appliqué le libellé de la directive aux faits de l’espèce.
B.
En calculant les huit jours de congé personnel accordés à la demanderesse, était-il raisonnable pour la Commission de faire abstraction des éléments de preuve sur le taux de rémunération plus élevé de la demanderesse?
[50] En réponse à la demande de la demanderesse d’obtenir un remboursement pour les huit jours de congé, la Commission lui a accordé un remboursement pour les huit jours, mais calculé selon le taux de rémunération moins élevé correspondant au niveau CO-02. Or, les éléments de preuve indiquaient que la demanderesse a pris cinq jours de congé sans solde alors qu’elle occupait un poste de niveau EC-07, et trois jours de congé sans solde lorsqu’elle occupait un poste du niveau inférieur CO-02. Sur la base du raisonnement de la Commission, il ne peut être clairement établi, en tenant pour acquis que la demanderesse a utilisé ses congés personnels, pourquoi toutes ces journées devraient être remboursées au taux de rémunération du groupe CO-02, alors que la plupart de ces congés ont été pris lorsque la demanderesse occupait un poste de niveau EC-07 correspondant à un taux de rémunération plus élevé. La Commission n’a pas justifié ses motifs pour accorder un remboursement calculé au taux de rémunération moins élevé pour la totalité des huit jours de congé, malgré les éléments de preuve qui lui avaient été présentés.
[51] Cela rend la décision sur cette question déraisonnable.
VI.
Conclusion
[52] En l’espèce, mon examen de la décision révèle qu’elle est fondée sur une analyse déraisonnable et qu’elle ne satisfait pas aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité de la norme de contrôle (Vavilov aux paras 96, 103–104).
[53] Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire. J’annulerais la décision et je renverrais l’affaire à la Commission afin qu’elle soit réexaminée conformément aux présents motifs, et j’accorderais les dépens à la demanderesse.
« Marianne Rivoalen »
j.c.a.
« Je souscris à ces motifs.
J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »
« Je souscris à ces motifs.
Wyman W. Webb, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
Dossier :
|
A-135-21
|
||
INTITULÉ :
|
SHERRY LEE NOWLAN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
|||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 9 mars 2022
|
|||
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LA JUGE RIVOALEN
|
|||
Y ONT SOUSCRIT :
|
LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
|
|||
DATE DES MOTIFS :
|
Le 13 mai 2022
|
|||
COMPARUTIONS :
Colleen Bauman
|
Pour la demanderesse
|
Marc Séguin
Philippe Giguère
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GOLDBLATT PARTNERS S.E.N.C.R.L.
Ottawa (Ontario)
|
Pour la demanderesse
|
A. François Daigle
Sous-procureur général du Canada
|
Pour le défendeur
|