Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220525


Dossier : A-472-19

Référence : 2022 CAF 91

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ALBERT D. SMITH

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 17 mai 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA COUR

 


Date : 20220525

Dossier : A-472-19

Référence : 2022 CAF 91

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ALBERT D. SMITH

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

[1] La Cour est saisie d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, datée du 10 décembre 2019, par laquelle elle a rejeté l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre d’une ordonnance d’un protonotaire (le Protonotaire) radiant la demande introductive d’instance de l’appelant, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable et qu’elle constituait un abus de procédure.

[2] Le présent appel a été entendu le 17 mai 2022, à Edmonton (Alberta), conformément à une ordonnance fixant la tenue de l’audience rendue le 14 avril 2022 (l’Ordonnance fixant l’audience). Au début de l’audience, l’appelant a indiqué qu’il n’était pas prêt à procéder sur le fond de l’appel, puisqu’il croyait que l’audience avait uniquement pour but de fixer la [traduction] « véritable » date d’audience. C’est pourquoi, affirme-t-il, il n’a pas [traduction] « amené ses témoins » et a laissé son dossier dans [traduction] « son vestiaire ». Il a affirmé que la procédure ayant mené à la détermination de la date de l’audience de l’appel portait à confusion et n’avait pas de sens à son avis. Il a indiqué qu’il aurait dû vérifier avec le bureau de l’administratrice en chef pour obtenir des éclaircissements, mais a avoué qu’il ne l’avait pas fait.

[3] La Cour a alors suspendu l’audience afin de vérifier le contenu du dossier de la Cour. Le dossier de la Cour montre que l’ordonnance fixant l’audience a été signifiée à l’appelant par la poste et par courriel. L’ordonnance indique clairement la date, l’heure et le lieu de l’audience. Elle ne contient pas la moindre ambiguïté.

[4] Le présent appel est un appel interjeté par l’appelant. Comme l’exigent les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), l’appelant a déposé une demande d’audience, ce qui dénote une compréhension de la procédure régissant les appels devant notre Cour. Selon le paragraphe 347(1), cette demande d’audience est présentée « afin qu’une date soit fixée pour l’audition de l’appel », et n’a pas d’autre but. Après le dépôt de cette demande d’audience, la procédure qui suit a pour but de trouver une date qui convient non seulement à la Cour, mais également à chacune des parties devant comparaître. Il n’existe rien dans les règles qui ressemble à une audience pour fixer une date pour l’audition d’un appel.

[5] Lorsque l’audience a repris, la Cour a informé l’appelant que l’affaire serait entendue, comme prévu, puisque les deux parties avaient été formellement informées de la date, de l’heure et du lieu de l’audience du présent appel et que l’excuse de l’appelant pour retarder l’audition de l’appel n’était pas valable. La Cour a ensuite offert à l’appelant la possibilité de présenter des observations de vive voix en plus des observations contenues dans son mémoire des faits et du droit. L’appelant a insisté pour obtenir une nouvelle date d’audience. La Cour a également offert à l’appelant la possibilité de déposer des observations écrites supplémentaires qu’elle pourrait examiner en plus des documents déjà au dossier, y compris le mémoire des faits et du droit de l’appelant et les documents inclus dans le dossier d’appel. Une fois de plus, l’appelant a insisté pour obtenir un ajournement. La Cour a donc informé les parties qu’elle examinerait l’appel en fonction du dossier dont elle disposait, tel que constitué par les parties, et a pris l’affaire en délibéré.

[6] Dans UHA Research Society c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 134, 2014 CarswellNat 1888 (WL Can) (UHA Research), le juge Stratas a fait un rappel utile de l’importance des ordonnances fixant l’audience. Comme il l’a souligné, une ordonnance fixant l’audience « n’est pas différente des autres ordonnances de la Cour : il s’agit d’un instrument juridique obligatoire selon son libellé » (UHA Research, au para. 8). Autrement dit, il ne s’agit pas d’une banale directive et elle ne sera pas annulée « à moins qu’il y ait de nouveaux faits importants, des changements de circonstances marqués ou des raisons d’équité convaincantes », ce qui constitue une « exigence[...] rigoureuse[...] » (UHA Research, aux paras. 9 et 10). Notre collègue a également souligné le préjudice pouvant découler d’un ajournement de dernière minute : le temps réservé pour l’audience « ne sera probablement pas utilisé, ce qui entraînera un gaspillage des ressources de la Cour », et lorsque la Cour doit se déplacer, comme c’est le cas en l’espèce, les dispositions prises longtemps d’avance pour le transport et l’hébergement devront vraisemblablement être modifiées, aux frais du trésor public (UHA Research, au para. 14).

[7] En l’espèce, la Cour conclut que l’appelant a reçu un préavis suffisant que l’appel serait entendu le 17 mai 2022, et a bénéficié d’une possibilité équitable de présenter ses arguments à la Cour. Il convient, à cette étape, de souligner que la demande introductive d’instance de l’appelant dans la présente affaire consiste en un document de deux pages écrit à la main et que son mémoire des faits et du droit présenté à notre Cour est un document de quatre pages écrit à la main, dont une seule page est consacrée aux observations. Le dossier d’appel fait 44 pages. Dans un tel contexte, l’appelant devrait normalement avoir été en mesure d’expliquer ce qu’il reprochait à la décision de la Cour fédérale.

[8] L’appelant ne peut pas non plus demander un ajournement dans l’espoir de pouvoir [traduction] « amener ses témoins » à l’audience, s’il entend par cela amener des témoins à témoigner à l’audience et y présenter des éléments de preuve. Si c’est le cas, cela dénote une profonde incompréhension de la nature d’un appel devant notre Cour. Un appel n’est pas un procès où les parties déposent des éléments de preuve documentaires ou font une déposition orale dans le but d’établir leur position respective. Un appel a pour but de déterminer, en fonction du dossier dont disposait la cour d’instance inférieure, si la décision portée en appel est entachée d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et dominante, ou encore d’une erreur mixte de droit et de fait. Autrement dit, aucun ajournement ne peut être accordé par notre Cour pour les motifs invoqués par l’appelant.

[9] Comme elle l’a récemment répété dans Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, [2021] A.C.F. no 50 (QL/Lexis), au para. 20, notre Cour dispose des pouvoirs nécessaires à son bon fonctionnement, y compris les pouvoirs nécessaires pour gérer ses propres instances. C’est ce qu’a fait notre Cour dans ces circonstances inhabituelles : gérer ses propres instances, en s’assurant du caractère équitable de la procédure.

[10] Après avoir examiné tous les documents qui nous ont été présentés, nous sommes tous d’avis que, pour les raisons qui suivent, le présent appel ne peut être accueilli.

[11] Comme l’ont souligné la Cour fédérale et le Protonotaire, la demande introductive d’instance de l’appelant est décousue et difficile à suivre. Ce que nous comprenons, c’est que l’appelant semble demander le retour d’une terre située à Peerless Lake, en Alberta, et d’une remorque, et de certaines pièces d’équipement connexes qui se trouvaient sur cette parcelle de terre. L’appelant affirme avoir reçu en héritage de sa mère la terre, la remorque et d’autres pièces d’équipement.

[12] La Cour fédérale a examiné la décision du Protonotaire en fonction de la norme qui veut que ces ordonnances « ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, au para. 64 (Hospira)).

[13] La Cour fédérale n’a constaté aucune erreur de ce type dans la décision du Protonotaire. Plus précisément, elle a conclu que le Protonotaire avait à juste titre déterminé qu’il était évident et manifeste que la demande introductive d’instance de l’appelant, même en se fondant sur l’interprétation la plus large de la demande, ne révélait aucune cause d’action valable contre l’intimée. Il a souligné que les documents présentés par l’appelant indiquaient que, s’il avait quelque réclamation à l’égard de la perte de ses biens, cette réclamation concernait le gouvernement de l’Alberta, et non la Couronne fédérale. La Cour fédérale n’a également constaté aucune erreur dans la décision du Protonotaire de ne pas entendre les enregistrements déposés en preuve puisque, conformément au paragraphe 221(2) des Règles, aucun élément de preuve ne peut être pris en compte pour déterminer si un acte de procédure doit être radié au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable.

[14] La Cour fédérale ne voyait également aucune raison de modifier la conclusion du protonotaire, selon laquelle la démarche de l’appelant en l’espèce constituait un abus de procédure, parce que la demande était essentiellement la même que celle dans le dossier T-604-18, où l’appelant poursuivait l’intimée concernant une remorque et une parcelle de terre. La demande de l’appelant dans cette affaire a également été annulée sur requête, au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable. Enfin, la Cour fédérale a conclu que les enregistrements n’auraient pas aidé la Cour pour ce qui était de la question de déterminer si la demande de l’appelant constituait un abus de procédure.

[15] Le rôle de notre Cour dans le présent appel est de déterminer si la Cour fédérale, en tirant la conclusion qu’elle a tirée, a commis une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une erreur manifeste et dominante en ce qui concerne d’autres questions. (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Hospira, aux paras. 83 et 84).

[16] À part le fait de réclamer à notre Cour le retour de ses biens allégués, l’appelant ne précise pas ses allégations concernant la décision de la Cour fédérale. Une fois encore, ses documents d’appel manquent manifestement de clarté. Ce qui est clair, toutefois, c’est que la Cour fédérale a examiné la décision du Protonotaire en utilisant la bonne norme de contrôle, a conclu à juste titre que le Protonotaire avait appliqué le bon critère de contrôle pour radier une demande au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable ou qu’elle constituait un abus de procédure, et n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en confirmant la conclusion du Protonotaire selon laquelle la demande introductive d’instance de l’appelant devait être radiée pour ces deux motifs, sans autorisation de la modifier.

[17] Comme la Cour fédérale l’a correctement souligné, la demande introductive d’instance n’a aucune chance raisonnable d’être accueillie, puisque rien dans cette demande ne peut, d’une façon ou d’une autre, soutenir une action contre l’intimée. La demande introductive d’instance semble également soulever exactement la même question que celle dans le dossier T‑604-18. Il était par conséquent totalement loisible à la Cour fédérale de conclure que le Protonotaire n’avait commis aucune erreur en tirant la conclusion que la demande introductive d’instance de l’appelant ne révélait aucune cause d’action valable et qu’elle constituait un abus de procédure.

[18] Il était également loisible à la Cour fédérale de ne pas intervenir dans la décision du Protonotaire de ne pas tenir compte des enregistrements de l’appelant pour déterminer si sa demande révélait une cause d’action valable, puisqu’il n’est normalement pas possible de déposer des éléments de preuve concernant de telles questions. Enfin, nous ne voyons aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la Cour fédérale, selon laquelle ces enregistrements n’auraient pas aidé la Cour à déterminer si la demande constituait un abus de procédure.

[19] Pour ces motifs, nous rejetterons l’appel, mais sans adjuger de dépens, puisque l’intimée ne demande pas ses dépens en appel.

« Judith Woods »

j.c.a.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« René LeBlanc »

j.c.a.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-472-19

 

INTITULÉ :

ALBERT D. SMITH c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Albert D. Smith

Pour l’appelant

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Andrew Lawrence

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

 

 

 

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