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Date : 20220531


Dossier : A-230-20

Référence : 2022 CAF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

AMANDA HUSSEY

appelante

et

BELL MOBILITÉ INC.

intimée

Audience tenue par visioconférence organisée par le greffe le 10 mars 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 31 mai 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220531


Dossier : A-230-20

Référence : 2022 CAF 95

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

AMANDA HUSSEY

appelante

et

BELL MOBILITÉ INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] Mme Hussey interjette appel d'une décision de la Cour fédérale (Bell Canada c. Hussey, 2020 CF 795, [2020] A.C.F. no 518 (QL)) (la décision de la CF) qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l'arbitre McNamee (l'arbitre) nommé au titre du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code). L'arbitre a conclu que Mme Hussey avait été injustement congédiée, mais il a refusé de la réintégrer dans son emploi. Il lui a plutôt accordé une indemnité au lieu de la réintégration ainsi que des dépens selon une indemnisation partielle. Mme Hussey interjette appel de cette décision devant notre Cour. Son employeur, Bell Mobilité inc. (Bell), désignée à tort Bell Canada dans l'intitulé, interjette un appel incident concernant l'adjudication des dépens. À la demande de l'avocat de l'employeur et avec le consentement de Mme Hussey, l'intitulé est modifié afin que Bell Mobilité inc. soit désignée à titre d'intimée dans le présent appel.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l'appel de Mme Hussey avec dépens à l'intimée. Je rejetterais également l'appel incident de Bell, mais sans dépens.

II. Les faits et la procédure

[3] La disposition légale en cause dans le présent appel est le paragraphe 242(4) du Code, que je reproduis ci-après :

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

(4) If the Board decides under subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the Board may, by order, require the employer who dismissed the person to(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;(b) reinstate the person in his employ; and(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

[4] La première question que devait trancher l'arbitre était de déterminer si Mme Hussey avait été injustement congédiée par Bell. Bien que l'arbitre ait jugé que Mme Hussey avait tenu une conduite blâmable, il a conclu, pour des motifs sans importance dans le présent appel, que Bell n'aurait pas dû congédier Mme Hussey sans d'abord lui imposer des mesures disciplinaires progressives, étant donné que Bell avait toléré la conduite de Mme Hussey et l'avait même promue en dépit de celle‐ci. L'arbitre a ajourné l'examen de la question de la réparation afin de donner aux parties l'occasion de négocier un règlement (Hussey v. Bell Canada, 2019 CanLII 883, [2019] C.L.A.D. no 2 (QL) (arbitre du travail)) (la décision relative à la responsabilité).

[5] Ces négociations ayant échoué, l'arbitre a repris l'audition de l'affaire pour examiner la deuxième question en litige, à savoir la réparation qu'il convenait d'accorder. Lorsque l'avocat de Mme Hussey a indiqué qu'il souhaitait présenter des éléments de preuve sur la réparation appropriée, l'arbitre s'est montré quelque peu réticent à entendre cette preuve, notamment celle portant sur la question des remords, car il estimait qu'il avait déjà été saisi d'éléments de preuve sur cette question. L'arbitre a finalement cédé, mais a précisé qu'il accorderait peu de poids à la preuve sur la question des remords. Il a alors autorisé Mme Hussey à témoigner pendant deux à trois heures sans interruption. Durant ce témoignage, Mme Hussey a aussi présenté en preuve quelques documents attestant de sa situation à la suite de son congédiement.

[6] L'arbitre a finalement conclu qu'il n'ordonnerait pas la réintégration de Mme Hussey, en raison de l'absence de remords (comme il l'avait conclu dans la décision sur la responsabilité) et des justifications qu'elle avait invoquées pour ne pas s'être conformée aux procédures de travail de son employeur. L'arbitre a estimé que la conduite de Mme Hussey était telle qu'il [TRADUCTION] « doutait que son comportement et son attitude puissent changer de façon substantielle si elle était réintégrée » : Hussey v. Bell Canada, 2019 CanLII 51848, [2019] C.L.A.D. no 84 (QL) (arbitre du travail), au para. 9 (la décision relative à l'indemnité).

[7] L'arbitre a examiné la jurisprudence arbitrale sur l'indemnisation au lieu de la réintégration, et il a conclu qu'il existe deux tendances jurisprudentielles sur la manière d'évaluer l'indemnité. Les deux approches se fondent sur le principe que les employés travaillant dans des secteurs sous réglementation fédérale bénéficient d'une protection contre le congédiement abusif qui s'apparente à la protection dont bénéficient les employés syndiqués et qui signifie que les employeurs ne peuvent pas congédier un employé simplement en lui donnant un préavis raisonnable ou en lui versant une indemnité équivalente. La différence entre les deux approches réside dans la manière dont l'indemnité pour la perte de cette protection est évaluée. L'une de ces tendances jurisprudentielles utilise, comme point de référence, les dommages-intérêts en cas de congédiement abusif selon la common law, lesquels sont ensuite rajustés pour tenir compte de la perte de la protection prévue par le Code. L'autre tendance jurisprudentielle (l'approche à durée déterminée) consiste à calculer le montant que l'employé aurait gagné s'il avait conservé son emploi jusqu'à sa retraite, puis à rajuster ce montant pour tenir compte de diverses éventualités, notamment le risque de congédiement subséquent, un changement dans l'état de santé de l'employé, un changement d'employeur, des changements techniques ou l'insolvabilité de l'employeur, pour en arriver à une indemnité équitable. L'arbitre a conclu que les taux de rajustement appliqués par les arbitres utilisant l'approche à durée déterminée (lesquels étaient souvent de 80 % à 90 %) étaient [TRADUCTION] « bien trop spéculatifs à mon goût » et qu'ils étaient le résultat de ce qu'il a qualifié [TRADUCTION] d'« estimations raisonnées » (décision relative à l'indemnité, au para. 11).

[8] En fin de compte, l'arbitre a conclu que l'indemnité de Mme Hussey devait correspondre à huit mois de salaire en raison de ses années de service, auxquels devaient s'ajouter quatre mois de salaire supplémentaires pour tenir compte de la perte de la protection contre le congédiement abusif prévue par le Code, ainsi que les intérêts au taux de deux pour cent sur la somme de ces montants. L'arbitre n'a rien dit au sujet du salaire rétroactif. Il a aussi accordé à Mme Hussey des dépens d'indemnisation partielle d'environ 68 000 $.

[9] Ultérieurement, en réponse à une demande de l'avocat de Mme Hussey, l'arbitre a indiqué qu'il n'avait pas oublié la question du salaire rétroactif dans sa décision antérieure, et qu'il avait décidé de ne pas l'accorder (Hussey v. Bell Canada, 2019 CanLII 56965, [2019] C.L.A.D. no 99 (QL) (arbitre du travail)) (la décision relative au salaire rétroactif). Il a pris acte d'une décision arbitrale antérieure (Lakehead University v. Lakehead University Faculty Association, 297 L.A.C. (4th) 244, 2018 CanLII 112409 (arbitre du travail) (Lakehead University)), dans laquelle un salaire rétroactif avait été accordé dans une affaire de non‐réintégration, mais il n'a pas souscrit à cette approche, car il s'est dit sceptique quant aux justifications sous‐jacentes.

[10] Mme Hussey a demandé le contrôle judiciaire des décisions relatives à l'indemnité et au salaire rétroactif. En plus de contester ces deux décisions sur le fond, Mme Hussey a allégué que la décision relative à l'indemnité témoignait d'un manquement à l'équité procédurale. Elle affirmait en outre que les dépens qui lui avaient été adjugés par l'arbitre étaient insuffisants.

[11] Bell, pour sa part, a sollicité le contrôle judiciaire des dépens accordés, pour le motif que ceux-ci auraient dû lui être accordés, et non à Mme Hussey. Bell n'a pas contesté la conclusion de congédiement injuste et Mme Hussey n'a pas contesté le refus d'ordonner sa réintégration : voir la décision de la CF, au para. 3. Les deux demandes ont été entendues en même temps.

[12] La Cour fédérale s'est d'abord penchée sur l'allégation de manquement à l'équité procédurale. Après avoir examiné la preuve par affidavit présentée par les deux parties qui expliquait le déroulement de l'audience sur l'indemnité, la Cour fédérale a conclu que le commentaire de l'arbitre selon lequel il accorderait peu de poids aux éléments de preuve sur les remords n'avait pas influencé la manière dont il avait évalué le reste de la preuve de Mme Hussey. De fait, la Cour fédérale a conclu que « rien n'indique que l'arbitre a tenu compte de quelque façon que ce soit des éléments de preuve liés aux remords lorsqu'il a déterminé la réparation appropriée » : décision de la CF, au para. 52. Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que l'affidavit de Mme Hussey « n'a pas raconté le témoignage qu'elle a réellement fourni (par opposition à celui qu'elle avait l'intention de fournir) le 23 avril 2019 », et qu'en l'absence d'éléments de preuve contextuels, il n'y avait aucune raison de ne pas accepter les motifs de l'arbitre sans réserve : décision de la CF, aux para. 33 et 53.

[13] Mme Hussey a contesté la décision de l'arbitre concernant le salaire rétroactif, en faisant valoir que cette décision n'était pas suffisamment justifiée. La Cour fédérale a rejeté cet argument, concluant que, même s'il aurait été préférable d'avoir davantage d'explications, les motifs pour lesquels l'arbitre a refusé le versement d'un salaire rétroactif étaient évidents. La Cour fédérale a mentionné que Mme Hussey avait demandé à être réintégrée et à ce que son salaire lui soit payé rétroactivement jusqu'à la date de sa réintégration; comme elle n'avait pas été réintégrée, rien ne justifiait qu'il soit ordonné qu'un salaire rétroactif lui soit versé. La Cour fédérale a estimé que la plainte concernant le salaire rétroactif était en fait une plainte déguisée au sujet du montant de l'indemnité que l'arbitre lui avait accordé.

[14] Quant au montant de l'indemnité, la Cour fédérale a mentionné que la « seule objection que Mme Hussey a soulevée concernant le montant des dommages‐intérêts accordé est que l'arbitre s'est appuyé sur un facteur non pertinent, à savoir le principe de common law relatif au préavis raisonnable » : décision de la CF, au para. 64. La Cour fédérale n'était pas de cet avis. Elle a conclu que l'arbitre a compris que son pouvoir ne se limitait pas à accorder une indemnité de départ, qu'il connaissait les protections contre les congédiements injustes prévues par le Code et qu'il en a tenu compte. La Cour a également conclu que le montant de l'indemnité accordée par l'arbitre était approprié et ne justifiait pas son intervention.

[15] La Cour fédérale a aussi refusé d'intervenir sur la question des dépens. Bell a fait valoir que la décision de l'arbitre n'était pas suffisamment justifiée, car l'arbitre n'a fait qu'invoquer le principe selon lequel les dépens suivent l'issue de l'affaire, sans tenir compte des arguments contraires vigoureusement soulevés par Bell. La Cour a rejeté cet argument en ces termes :

[...] Interprétés dans le contexte du principe général selon lequel les dépens suivent l'issue de l'affaire, et étant donné qu'aucune preuve ne démontre que Bell a contesté ce principe, les brefs motifs de l'arbitre suffisent à expliquer pourquoi il a adjugé les dépens à Mme Hussey, la partie qui a eu gain de cause relativement à la plainte de congédiement injuste. Bien que l'arbitre aurait certainement pu rappeler à Bell les raisons de son opposition à l'adjudication de dépens et expliquer les raisons pour lesquelles, malgré cette objection, il accordait les dépens à Mme Hussey, son défaut de le faire ne rend pas sa décision déraisonnable pour autant.

Décision de la CF, au para. 74

[16] Mme Hussey a contesté l'adjudication des dépens en invoquant son droit d'être pleinement indemnisée et de recevoir des dépens établis sur la base d'une indemnisation intégrale. La Cour fédérale n'était pas de cet avis et elle a conclu qu'« en vertu du Code, ‟une indemnisation partielle est la norme et l'indemnisation intégrale est réservée aux circonstances exceptionnelles” » : décision de la CF, au para. 78, renvoyant à la sentence Munsee‐Delaware Nation v. Crystal Flewelling, 2017 CanLII 40980, [2017] C.L.A.D. no 134 (QL) (arbitre du travail). La Cour fédérale a conclu que l'arbitre avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable et en conformité avec les principes établis; elle a donc refusé d'intervenir.

III. Les questions en litige

[17] Les parties conviennent que le présent appel soulève trois questions. La première porte sur le caractère raisonnable de l'indemnité accordée par l'arbitre au lieu de la réintégration. Cette question s'articule autour des trois questions suivantes :

1) L'arbitre était‐il lié par la jurisprudence des Cours, notamment l'arrêt Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770 (Wilson)?

2) L'arbitre était-il lié par un consensus arbitral?

3) L'indemnité que l'arbitre a accordée au lieu de la réintégration était‐elle raisonnable?

[18] La question de savoir si l'arbitre était lié se pose car Mme Hussey invoque l'arrêt Wilson ainsi qu'un consensus arbitral qui émerge pour faire valoir le caractère déraisonnable de la décision de l'arbitre relative à l'indemnité.

[19] La deuxième question est de savoir s'il y a eu manquement à l'obligation d'équité procédurale envers Mme Hussey au cours de l'audience sur l'indemnité, du fait que l'arbitre s'est montré réticent à entendre sa preuve, notamment sur la question des remords.

[20] La dernière question porte sur les dépens que l'arbitre a adjugés. Mme Hussey interjette appel du fait que l'arbitre ne lui a accordé que des dépens indemnitaires partiels, de sorte qu'elle n'a pas été « pleinement indemnisée ». Bell interjette un appel incident, en affirmant que l'arbitre aurait dû lui adjuger les dépens plutôt que de les accorder à Mme Hussey. J'examinerai ces deux questions ensemble.

[21] Il convient de mentionner que, bien qu'un des motifs invoqués dans l'avis d'appel soit le défaut de rendre une ordonnance relative au salaire rétroactif, Mme Hussey n'a mentionné ce motif ni dans son mémoire des faits et du droit, ni durant sa plaidoirie. J'en conclus donc que ce motif d'appel a été abandonné.

[22] Une question sur laquelle les parties s'entendent est celle de la norme de contrôle. Les deux parties conviennent qu'à la suite de la décision de la Cour suprême intitulée Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), on suppose que la norme de contrôle qui s'applique aux décisions de l'arbitre portant sur les questions de l'indemnité et des dépens est celle de la décision raisonnable (sauf pour certaines exceptions, dont aucune ne s'applique au cas présent), alors que, comme nous le verrons ci-après, les questions portant sur l'équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte.

[23] Quant à l'application de cette norme de contrôle, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et examiner directement les décisions de l'arbitre : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au para. 47. C'est la conclusion logique qui découle de la jurisprudence sur le rôle des cours d'appel intermédiaires lors d'appels de décisions des cours de première instance à titre de cours de révision. En pareilles circonstances, le rôle de la cour d'appel est de déterminer si le tribunal de première instance a choisi la bonne norme et s'il l'a appliquée correctement : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, aux para. 43 et 44; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au para. 247 (motifs dissidents, mais par sur cette question).

[24] Lorsqu'il s'agit de questions d'équité procédurale, la norme de contrôle est « ‟particulièrement bien reflété[e] dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n'est appliquée » : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, aux para. 54 et 55. Par conséquent, nous devons déterminer si la façon de procéder de l'arbitre était équitable : Canada RNA Biochemical Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2021 CAF 213, au para. 27.

IV. Analyse

A. L'indemnité au lieu de la réintégration accordée par l'arbitre était‐elle raisonnable?

(1) L'arbitre était‐il lié par la jurisprudence des Cours, notamment l'arrêt Wilson?

[25] Avant d'examiner la jurisprudence des Cours et des arbitres, il serait utile de définir ou de décrire ce que l'on entend par l'approche de la common law. Cette expression décrit l'approche selon laquelle l'indemnité pour la perte d'un emploi protégé (ou de la protection contre un congédiement injuste — j'utiliserai ces deux expressions) s'exprime selon un revenu périodique (salaire ou traitement) qui correspond, d'une certaine façon, aux années de service de l'employé; ce revenu est ensuite majoré par un facteur afin que le montant total représente la valeur de la perte de la protection contre le congédiement injuste.

[26] Contrairement à ce que prétend Mme Hussey dans ses observations écrites, l'approche de la common law n'est pas simplement un paiement correspondant à un préavis raisonnable après le congédiement mais plutôt qu'avant le congédiement, ou au moment du congédiement. Les Cours fédérales ont rejeté cette manière de procéder depuis un certain temps. Dans l'arrêt Auto Haulaway Inc. c. Reid, [1989] A.C.F. no 949 (QL) (C.A.F.) (Haulaway), notre Cour (le juge Pratte) a déclaré ce qui suit :

[...] En effet, on ne saurait restreindre la portée de cette disposition du Code [l'alinéa 61.5(9)a), aujourd'hui l'alinéa 242(4)a)] de façon à limiter l'indemnité qu'un arbitre peut accorder à un employé au montant que ce dernier pourrait réclamer en vertu de la common law.

Voir également Alberta Wheat Pool v. Konevsky, [1990] F.C.J. No. 877 (QL) (C.A.F.) (Konevsky)

[27] Le juge Nadon a affirmé la même chose dans Première nation de Wolf Lake c. Young, no T‐1479‐96, [1997] 2 C.F. F‐63, [1997] A.C.F. no 514 (QL) (Wolf Lake), au paragraphe 52 :

L'application du paragraphe 242(4) du Code est claire; cette disposition est conçue pour indemniser pleinement un employé qui a été congédié injustement. Cette réparation ne se limite pas à l'indemnité de départ à laquelle l'employé a droit. Elle n'est pas calculée en fonction du préavis qui aurait dû être donné à l'employé. [...]

[28] Par conséquent, il est fautif de penser qu'un avis raisonnable en cas de congédiement injuste correspond à l'indemnisation intégrale pour la perte d'un emploi protégé, et c'est la raison pour laquelle la jurisprudence arbitrale n'a pas utilisé cette approche.

[29] L'approche selon la common law, tout comme l'approche à durée déterminée, reconnaît qu'un employé injustement congédié qui n'est pas réintégré a perdu des droits précieux pour lesquels une indemnité doit lui être versée. Ces deux approches diffèrent par la manière dont on calcule l'indemnité.

[30] Les arbitres qui adoptent l'approche de la common law, de même qu'un nombre appréciable de ceux qui appuient l'approche à durée déterminée, établissent le montant de l'indemnité en fonction du revenu pendant un certain nombre de mois, auquel est ajouté un montant supplémentaire afin que le montant total reflète la valeur de la perte de la protection contre un congédiement injuste. On prend en compte plusieurs facteurs pour établir le nombre de mois de revenu et le facteur de rajustement, comme en témoigne notamment l'extrait suivant :

[TRADUCTION]

[...] La fourchette varie d'un mois à un mois et demi par année de service; le nombre le plus souvent utilisé est d'un mois et un quart par année de service. Certaines décisions, dont Humber River, précitée, tiennent compte de facteurs susceptibles d'accroître ou de réduire le nombre de mois (voir Humber River, par. 31 et 32), alors que bon nombre de décisions ne tiennent compte que des années de service du plaignant. Je suis d'avis qu'il faut à tout le moins tenir compte des années de service du plaignant, du poste qu'il a perdu, de la probabilité que le plaignant trouve un nouvel emploi et, plus précisément, un emploi syndiqué dans le même domaine. [...]

McMaster University v. Building Union of Canada (Malavolta Grievance), 312 L.A.C. (4th) 418, [2020] O.L.A.A. no 30 (QL), au para. 24 (McMaster)

[31] Les arbitres qui appliquent l'approche de la common law reconnaissent qu'on leur demande d'indemniser les employés non réintégrés pour la perte d'un emploi protégé. La différence entre les deux approches ne réside pas dans la détermination de la perte pour laquelle une indemnité doit être versée, mais plutôt dans la méthode utilisée pour déterminer la valeur de cette perte.

[32] Le rôle de notre Cour dans le présent appel n'est pas de choisir entre l'approche de la common law et l'approche à durée déterminée, mais plutôt de déterminer si l'arbitre a fait un choix déraisonnable en optant pour l'approche de la common law. Comme nous le verrons, la Cour suprême a établi de façon concluante que le rôle de notre Cour n'est pas de choisir entre deux courants jurisprudentiels chez les arbitres lorsque les deux sont raisonnables.

[33] Ayant exposé la question en litige, j'étudierai maintenant l'argument de Mme Hussey selon lequel la décision de l'arbitre était déraisonnable parce qu'il a appliqué l'approche de la common law alors que celle‐ci aurait été proscrite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Wilson.

[34] L'un des facteurs à prendre en compte pour évaluer le caractère raisonnable d'une décision est l'existence de contraintes de droit et de fait dont le décideur doit tenir compte. Dans l'arrêt Vavilov, la Cour suprême a examiné les contraintes juridiques en ces termes :

Tout précédent sur la question soumise au décideur administratif ou sur une question semblable aura pour effet de circonscrire l'éventail des issues raisonnables. La décision d'un organisme administratif peut être déraisonnable en raison de l'omission d'expliquer ou de justifier une dérogation à un précédent contraignant dans lequel a été interprétée la même disposition. Si, par exemple, une cour de justice a examiné une disposition législative dans un jugement pertinent, il serait déraisonnable que le décideur administratif interprète ou applique celle‐ci sans égard à ce précédent. Le décideur devrait être en mesure d'indiquer pourquoi il est préférable d'adopter une autre interprétation, par exemple en expliquant pourquoi l'interprétation de la cour de justice ne fonctionne pas dans le contexte administratif : M. Biddulph, « Rethinking the Ramifications of Reasonableness Review: Stare Decisis and Reasonableness Review on Questions of Law » (2018), 56 Alta. L.R. 119, p. 146. [...]

Vavilov, au para. 112

[35] Mme Hussey affirme que l'arrêt Wilson est un tel précédent, et que le fait que l'arbitre n'en ait pas tenu compte rend sa décision déraisonnable. Il convient d'amorcer cette analyse en déterminant exactement ce qui a été décidé par l'arrêt Wilson.

[36] L'arrêt Wilson était un appel interjeté à l'encontre de la décision rendue par notre Cour dans Wilson c. Énergie atomique du Canada Limitée, 2015 CAF 17, [2015] 4 R.C.F. 467, dans laquelle notre Cour avait conclu que les articles 242 à 246 du Code (les dispositions relatives au congédiement injuste) n'annulent pas le droit d'un employeur en common law de congédier un employé sans motif valable, en lui donnant un préavis raisonnable ou en lui versant une indemnité au lieu du préavis. En d'autres termes, un congédiement pour lequel l'employeur n'a pas invoqué de motif, mais a donné un préavis suffisant ou versé une indemnité suffisante selon le droit, n'était pas un congédiement injuste au sens de l'article 242 du Code.

[37] En arrivant à cette conclusion, notre Cour a invoqué des facteurs liés à la primauté du droit pour justifier l'application de la norme de la décision correcte en vue de résoudre le « désaccord persistant » entre deux courants jurisprudentiels arbitraux quant à savoir si, en l'absence de motif valable, un congédiement à l'égard duquel l'employeur a donné un préavis raisonnable ou a versé une indemnité constituait un congédiement injuste.

[38] La Cour suprême (la juge Abella) a commencé par rejeter l'application de la norme de la décision correcte pour résoudre les désaccords dans la jurisprudence des tribunaux administratifs en faisant valoir que, même si certains arbitres ont adopté une approche différente, « la Cour l'a dit à maintes reprises, cela ne justifie pas que l'on s'écarte de la norme de la décision raisonnable » : Wilson, au para. 17 (tous les renvois se rapportent aux motifs de la juge Abella, lesquels, sur la question des dispositions relatives au congédiement injuste, sont ceux des juges majoritaires).

[39] La juge Abella a commencé son analyse en exposant sa conclusion, qu'elle a justifiée dans les paragraphes qui ont suivi :

[...] Le texte, le contexte, le discours du ministre lors du dépôt du projet de loi et les avis de la très grande majorité des arbitres et auteurs en droit du travail viennent confirmer que l'objet global du régime légal consiste à assurer aux employés fédéraux non syndiqués une protection, prévue à la partie III du Code, contre le congédiement sans motif. L'autre interprétation, suivant laquelle le versement d'une indemnité de départ suffit, n'appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », car elle mine complètement l'objet du régime en permettant aux employeurs, à leur choix, de priver les employés de l'ensemble intégral des mesures de réparation créées par le Parlement à leur intention. [...]

Wilson, au para. 39 (non souligné dans l'original)

[40] Mme Hussey invoque la phrase soulignée dans le paragraphe précédent pour étayer sa thèse sur la question de l'indemnité au lieu de la réintégration.

[41] La juge Abella a poursuivi son analyse en passant en revue l'histoire législative des dispositions relatives au congédiement injuste. Elle a notamment mentionné que c'est en 1971 que le législateur a adopté les dispositions qui forment aujourd'hui les paragraphes 230(1) et 235(1). Ces dispositions prévoyaient qu'un employé qui avait travaillé pendant un certain nombre de mois consécutifs et qui n'était pas congédié pour un motif valable avait droit à une indemnité minimale. En 1978, le législateur a modifié le Code à nouveau afin d'y ajouter les dispositions sur le congédiement injuste qui forment aujourd'hui les articles 240 à 246 à la partie III du Code. Selon le ministre du Travail de l'époque, ce nouveau régime devait permettre aux travailleurs non syndiqués de bénéficier de certaines normes minimales qui avaient été négociées par des travailleurs syndiqués et qui faisaient partie de leurs conventions collectives : Wilson, au para. 42.

[42] La juge Abella a ensuite cité les observations du ministre du Travail au Comité permanent du Travail, de la Main‐d'œuvre et de l'Immigration en 1978 au sujet de l'objet des dispositions relatives au congédiement injuste :

Cette disposition [l'article 242] fournit aux employés qui ne sont pas représentés par un syndicat, y compris les cadres et les membres de professions libérales, un droit d'appel contre tout congédiement arbitraire; ce droit assure une protection dont, selon le gouvernement, tous les travailleurs doivent bénéficier et qui figure également dans toutes les conventions collectives.

Wilson, au para. 43

[43] Cela a amené la juge Abella à conclure que l'intention du législateur, en adoptant ces dispositions, était d'élargir les « droits en cas de congédiement » des employés non syndiqués sous réglementation fédérale, afin que ces droits s'apparentent à ceux des employés syndiqués. Les « droits en cas de congédiement » des employés non syndiqués sous réglementation fédérale ont ainsi été améliorés afin d'y ajouter le droit de ne pas être congédié sans motif valable : Wilson, aux para. 46 et 51.

[44] L'essentiel du raisonnement de la juge Abella se trouve au paragraphe 63 de ses motifs, qui est reproduit ci-après (souligné dans l'original) :

En fait, la prémisse fondamentale du régime de common law, à savoir qu'il existe un droit de congédier un employé sans motif moyennant un préavis raisonnable, a été remplacée complètement par un régime prévu dans le Code exigeant que le congédiement soit motivé. En outre, la constellation des réparations à la disposition de l'arbitre — notamment la réintégration dans l'emploi et les autres mesures équitables qu'il peut accorder en vertu de l'al. 242(4)c) — est incompatible avec un tel droit. Si l'employeur était autorisé par le Code à congédier un employé sans motif à la seule condition qu'il verse à ce dernier une indemnité de départ adéquate, la pluralité des réparations que mettent les art. 240 à 245 à la disposition de l'arbitre ne servirait pratiquement à rien.

[45] Ainsi, les dispositions relatives au congédiement injuste ont remplacé le droit que la common law reconnaissait aux employeurs sous réglementation fédérale de congédier un employé moyennant un préavis raisonnable.

[46] La juge Abella a exposé son raisonnement à nouveau à l'avant-dernier paragraphe de ses motifs :

[...] C'est seulement en concluant que les art. 240 à 246 ont écarté le droit que la common law reconnaît à l'employeur de congédier un employé sans motif moyennant le préavis raisonnable que le régime et ses réparations se tiennent.

Wilson, au para. 68

[47] Il ressort clairement que la Cour, dans l'arrêt Wilson, avait été saisie d'un problème qui ne se pose pas en l'espèce, à savoir le remplacement de l'approche de la common law envers le congédiement abusif par les dispositions du Code portant sur le congédiement injuste d'employés protégés par le Code. L'arrêt Wilson traite de la protection des droits conférés par le Code aux employés non syndiqués sous réglementation fédérale. La question dont notre Cour est maintenant saisie, à savoir l'évaluation de la valeur de ces avantages en cas de non‐réintégration, est une question fondamentalement différente. L'arrêt Wilson traite de la protection des droits conférés par les dispositions relatives au congédiement injuste, tandis que l'arbitre en l'espèce devait déterminer la valeur de ces droits lorsqu'ils sont perdus. On peut invoquer des motifs philosophiques (c.‐à‐d. qu'il s'agit d'une approche rétrospective, plutôt que prospective) pour s'opposer au fait que le montant de l'indemnité dépend, dans une certaine mesure, du nombre d'années de services, mais on ne peut s'y opposer en faisant valoir que cela contrecarrerait l'application des dispositions du Code portant sur le congédiement injuste.

[48] L'approche de la common law n'est pas simplement un moyen d'éviter les dispositions relatives au congédiement injuste en versant une indemnité au lieu de la réintégration, plutôt qu'en versant le même montant à titre de préavis raisonnable. Bien qu'un montant qui soit plus ou moins proportionnel au nombre d'années de service soit l'un des facteurs pris en compte dans l'évaluation de l'indemnité tenant lieu de réintégration, ce n'est qu'un des facteurs; les arbitres y ajoutent un montant supplémentaire pour tenir compte de la perte de la protection contre le congédiement injuste. Et bien que le montant définitif soit exprimé en termes de salaire mensuel, il ne se veut pas un remplacement de revenu. Il s'agit d'une indemnité pour la perte de la protection contre le congédiement injuste.

[49] On pourrait faire valoir que, si l'approche de la common law en matière d'indemnisation sous-estime grandement la perte de la protection contre le congédiement injuste, son effet ne diffère guère d'une abstraction totale de cette protection. Cet argument est miné par le fait que les deux approches donnent généralement, bien que pas toujours, des résultats comparables :

[TRADUCTION]

Fait intéressant à souligner, la jurisprudence arbitrale ne permet pas de déterminer clairement si les résultats diffèrent sensiblement selon l'approche choisie. Les approches se chevauchent sous certains aspects : les mêmes marges pour éventualités s'appliquent, quelle que soit la méthode utilisée pour calculer l'indemnité au lieu de la réintégration. Selon l'approche classique, par exemple, les marges pour éventualités aident à déterminer la majoration de l'indemnité. Dans l'approche à durée déterminée, les mêmes facteurs aident à déterminer la réduction devant s'appliquer. Il se pourrait que l'approche à durée déterminée soit préférable, car elle s'harmonise mieux avec les objectifs de la réparation dans un milieu syndiqué. Cependant, lorsqu'on tient compte des sentences arbitrales, les différentes approches ne donnent pas systématiquement des résultats sensiblement différents.

M. Flaherty, « Reinstatement as a Human Rights Remedy: When Jurisdictions Collide » (2015), 36 Windsor Rev. Legal Soc. Issues 101, 2015 CanLIIDocs 4962, p. 114; cité au paragraphe 62 du mémoire des faits et du droit de l'intimée.

[50] Cela m'amène à conclure que, lorsque la Cour suprême a établi, dans l'arrêt Wilson, que les dispositions du Code portant sur le congédiement injuste ont écarté le droit régissant le congédiement abusif dans les emplois sous réglementation fédérale, elle n'a pas décidé, que ce soit expressément ou implicitement, comment il fallait évaluer la perte de la protection contre le congédiement injuste aux termes du Code dans les cas de non‐réintégration.

[51] En plus de l'arrêt Wilson, Mme Hussey s'est également fondée sur des décisions qui, selon elle, appuient l'utilisation de l'approche à durée déterminée pour calculer l'indemnité au lieu de la réintégration. Elle fait valoir que l'arrêt Bahniuk c. Procureur général du Canada, 2016 CAF 127 (Bahniuk), est l'une de ces décisions. Il est vrai que l'arbitre dans Bahniuk a adopté l'approche à durée déterminée pour calculer l'indemnité au lieu de la réintégration. Cependant, lorsque cette décision a été portée en appel devant notre Cour, la question était alors de savoir si certains revenus reçus après le congédiement devaient être déduits (à titre de limitation du préjudice) du montant adjugé selon l'approche à durée déterminée. L'arrêt Bahniuk n'est donc pas une décision où notre Cour a appuyé l'adoption de l'approche à durée déterminée pour calculer l'indemnité, car cette question ne lui a pas été soumise.

[52] Une autre décision invoquée par Mme Hussey où on aurait appuyé l'approche à durée déterminée est celle de la Cour d'appel de l'Ontario dans Leonetti v. Hussman Canada Inc., 39 R.J.O. (3e) 417, 1998 CanLII 2213 (Leonetti). Dans cette affaire, M. Leonetti avait quitté son emploi au sein d'une unité de négociation pour occuper un poste de superviseur non syndiqué, mais seulement après qu'on lui eut promis qu'il pourrait réintégrer son poste au sein de son unité de négociation si le nouvel emploi ne convenait pas. Cette condition était importante pour M. Leonetti, car il avait beaucoup d'ancienneté au sein de l'unité de négociation et sa convention collective lui offrait une protection contre un congédiement abusif. Six ans après avoir quitté l'unité de négociation, M. Leonetti a été congédié lors d'une réduction des effectifs, après avoir reçu une indemnité de départ équivalant à neuf mois de salaire.

[53] M. Leonetti a intenté une action pour congédiement abusif. Cependant, comme il n'était plus membre d'un syndicat, il ne pouvait pas invoquer les dispositions en matière d'arbitrage de la convention collective. De plus, il ne travaillait pas pour un employeur sous réglementation fédérale. La décision Leonetti ne porte donc pas sur les dispositions relatives au congédiement injuste. Il s'agit d'une affaire de congédiement abusif régie par la common law. La Cour d'appel de l'Ontario a conclu qu'après avoir choisi de mettre fin à l'emploi de M. Leonetti, l'employeur était tenu, selon le droit des contrats, de le réintégrer au sein de l'unité de négociation, à défaut de quoi il devait indemniser M. Leonetti d'une manière conforme aux droits dont il aurait bénéficié s'il avait été réintégré dans l'unité de négociation comme on le lui avait promis.

[54] Leonetti ne porte pas sur l'évaluation de la perte d'un emploi protégé aux termes du Code. Il s'agit d'une affaire contractuelle, et le redressement pour violation de contrat était des dommages‐intérêts selon le droit des contrats, et non selon la jurisprudence arbitrale. Leonetti n'appuie pas l'affirmation voulant qu'un arbitre qui adopte l'approche de la common law agisse de manière déraisonnable.

[55] Mme Hussey invoque également la décision rendue par la Cour divisionnaire de l'Ontario dans Canadian Broadcasting Corporation v. Association of Professionals and Supervisors, 2020 ONSC 6531, qui portait sur le contrôle judiciaire d'une sentence arbitrale rendue à la suite du licenciement d'une employée par la Société Radio‐Canada en raison d'un excédent de personnel. L'arbitre a conclu que le licenciement était un congédiement déguisé et il a accordé une indemnité pour congédiement injuste. L'employée n'a pas demandé à être réintégrée. Dans ses observations à la Cour, Radio‐Canada n'a pas contesté la décision de l'arbitre d'appliquer l'approche à durée déterminée :

[TRADUCTION]

La plainte de l'employeur n'est pas que l'arbitre avait utilisé une « approche à durée déterminée » pour évaluer l'indemnité à laquelle la plaignante avait droit. Dans ses observations sur la pénalité, l'employeur a reconnu qu'il s'agissait d'une approche appropriée. L'employeur contestait plutôt la marge pour éventualités appliquée par l'arbitre lors de cette approche. L'employeur avait proposé un taux de réduction de 70 %, mais l'arbitre n'a réduit la demande de la plaignante que de 15 %.

Canadian Broadcasting Corporation v. Association of Professionals and Supervisors, au para. 59

[56] Vu cette concession faite par l'employeur, on ne peut considérer que cette décision témoigne d'un appui judiciaire à l'approche à durée déterminée pour le calcul de l'indemnité, même si elle en illustre l'utilisation par un arbitre qui, il faut le reconnaître, a appliqué un taux de réduction anormalement bas.

[57] Mme Hussey invoque aussi la décision de la Cour fédérale dans Wolf Lake, dans laquelle l'employeur, une Première Nation, avait injustement congédié une employée qui y travaillait depuis cinq ans. L'employée ne voulait pas être réintégrée. L'arbitre a ordonné à l'employeur de verser huit mois de salaire à l'employée, en plus de lui rembourser ses dépenses personnelles et de l'indemniser de ses frais judiciaires. L'employeur a demandé un contrôle judiciaire pour plusieurs motifs, dont l'un était que la sentence arbitrale dépassait la période de préavis à laquelle l'employée aurait eu droit en common law. La Cour fédérale a conclu ce qui suit :

L'application du paragraphe 242(4) du Code est claire; cette disposition est conçue pour indemniser pleinement un employé qui a été congédié injustement. Cette réparation ne se limite pas à l'indemnité de départ à laquelle l'employé a droit. Elle n'est pas calculée en fonction du préavis qui aurait dû être donné à l'employé.

[...] Le fait de limiter le montant des dommages‐intérêts pour congédiement injuste au montant de l'indemnité de départ ou en fonction de la common law constitue manifestement une erreur.

Wolf Lake, au para. 52

[58] Les arbitres qui utilisent l'approche de la common law pour calculer l'indemnité conviennent que l'indemnité ne doit pas se limiter à l'indemnité de départ (selon les lois sur les normes d'emploi) ou au préavis raisonnable selon la common law. Cependant, cela ne signifie pas qu'il est forcément erroné de calculer l'indemnité selon le salaire durant une période donnée, comme l'a confirmé la Cour fédérale dans Wolf Lake au sujet du caractère suffisant de l'indemnité accordée :

En l'espèce, l'arbitre a ordonné à l'intimée de verser huit mois de salaire à titre d'indemnité. Bien que l'arbitre n'ait pas indiqué clairement comment il a calculé ce montant, je ne vois pas sur quel fondement je pourrais m'appuyer pour modifier sa sentence.

Wolf Lake, au para. 62

[59] Eu égard aux commentaires de la Cour au sujet du préavis raisonnable, le fait que la Cour fédérale n'a pas modifié l'indemnité accordée montre clairement qu'elle n'équivalait pas au préavis raisonnable en common law. De plus, comme la Cour n'a pas modifié l'indemnité de huit mois de salaire accordée, cela montre que l'indemnité peut être exprimée en utilisant les mêmes unités que celles servant à définir la période de préavis (c'est‐à‐dire en mois de salaire), sans qu'il s'agisse d'un préavis raisonnable.

[60] En résumé, aucune décision n'indique que l'approche de la common law est déraisonnable ou qu'elle est erronée en droit. Comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada au paragraphe 41 de l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, relativement à l'interprétation des lois :

[...] une disposition législative peut donner lieu à plus d'une interprétation valable, et un litige, à plus d'une solution, et [...] la cour de révision doit se garder d'intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel. [...]

Voir aussi Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, au para. 38

Il n'existe aucune raison de principe pour que la même logique ne puisse s'appliquer à l'approche utilisée par les arbitres pour évaluer l'indemnité à accorder en cas de perte de la protection contre le congédiement injuste. Le fait qu'une approche puisse être raisonnable ne signifie pas que toutes les autres soient déraisonnables.

(2) L'arbitre était-il lié par un consensus arbitral?

[61] Comme la protection contre le congédiement injuste prévue au Code se fonde sur les droits dont bénéficient les employés syndiqués, les arbitres n'ont en général pas établi de distinction entre la jurisprudence des arbitres en vertu d'une convention collective et les affaires tranchées par des arbitres nommés en application du Code. Il en résulte une jurisprudence qui est commune aux deux régimes. Aux fins de la discussion qui suit, les décisions sont tirées de cette jurisprudence commune.

[62] Il est généralement admis que les tribunaux administratifs ne sont pas liés par la règle du stare decisis de la même manière que le sont les cours de common law :

[TRADUCTION]

La règle du stare decisis qui s'applique aux Cours vise à éviter les décisions contradictoires, et lorsque des décisions contradictoires surviennent, le problème peut être réglé par voie d'appel. La règle du stare decisis ne s'applique cependant pas aux arbitres, ni d'ailleurs aux tribunaux administratifs en général, et leurs décisions ne sont habituellement pas susceptibles d'appel (il existe des exceptions). Telles sont les caractéristiques des tribunaux que le législateur a établis parce qu'il croyait qu'ils convenaient mieux que les tribunaux judiciaires dans certains cas.

United Steelworkers of America, Local 14097 v. Franks, 75 O.R. (2d) 382, 1990 CanLII 6666 (C. div. Ont.). Voir également Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, au para. 14

[63] Les incohérences dans les décisions rendues sur une même question par les membres du même tribunal ou de tribunaux différents (en l'absence de conflit opérationnel) doivent être résolues par les tribunaux eux-mêmes, et non par les Cours : Wilson, au para. 17; Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756, aux pp. 800 et 801; Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952, à la p. 974. Cependant, cela ne signifie pas qu'un arbitre puisse librement s'éloigner d'une jurisprudence arbitrale constante. Les arbitres qui s'éloignent d'un consensus arbitral doivent expliquer le raisonnement sur lequel ils fondent leurs décisions, à défaut de quoi celles-ci seront jugées déraisonnables : Vavilov, au para. 131; J.D. Irving, Ltd. c. General Longshore Workers, Checkers and Shipliners of the Port of Saint‐John (N.‐B.), section locale 273 de l'Association internationale des débardeurs, 2003 CAF 266, [2003] 4 C.F. 1080, aux para. 35 à 37; Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230, au para. 51, [2019] 3 R.C.F. F‐5.

[64] En l'espèce, il existe deux courants de jurisprudence arbitrale sur l'évaluation de la perte de la protection contre le congédiement injuste. Mme Hussey prétend que l'approche à durée déterminée [TRADUCTION] « a commencé à dominer » et que c'est donc celle qui aurait dû être appliquée. Cependant, le fait qu'une approche « commence » à dominer nous amène à inférer que l'autre approche a toujours la faveur d'un nombre non négligeable d'arbitres.

[65] Bien que Mme Hussey prétende que l'arrêt Wilson exclut l'adoption de l'approche de la common law, il convient de mentionner que plusieurs décisions arbitrales rendues après l'arrêt Wilson ont continué d'adopter cette approche : Birchwood Terrace Nursing Home v. United Food and Commercial Workers Union, Local 175, 2017 CanLII 70617 (arbitre du travail) (Birchwood); Humber River Hospital v. Ontario Nurses' Association, 285 L.A.C. (4th) 258, 2017 CanLII 83072 (arbitre du travail) (Humber River); McMaster; Central Main and Quebec Railway Canada Inc. v. United Steelworkers – Local 1976, 303 L.A.C. (4th) 311, 2019 CanLII 39200 (arbitre du travail) (CMQR); Ontario Public Service Employees' Union, Local 529 v. Toronto Community Housing Corp. (Gordon Grievance), 295 L.A.C. (4th) 337, 2018 CanLII 85978 (arbitre du travail) (OPSEU).

[66] Fait intéressant à souligner, la majeure partie des arbitres dans ces affaires ont examiné l'approche à durée déterminée et ont expliqué la raison pour laquelle ils avaient plutôt opté pour l'approche de la common law : Birchwood, aux para. 133 à 138; Humber River, aux para. 26 à 28; McMaster, aux para. 5 et 6; CMQR, aux para. 28 à 36. L'arbitre dans OPSEU ne s'est pas lancée dans cet exercice, peut‐être parce que, contrairement à Mme Hussey, elle a estimé que [TRADUCTION] « les arbitres de l'Ontario ont semblé se rallier à l'‟approche moderne” », c'est‐à‐dire l'approche de la common law : OPSEU, aux para. 19 et 20.

[67] J'en conclus qu'il n'existe aucun consensus arbitral qui contraindrait l'arbitre en l'espèce et qui ferait de son choix de l'approche de la common law une décision déraisonnable. Les arbitres ne s'entendent toujours pas sur l'approche à utiliser, comme en témoignent les justifications présentées par les arbitres qui ont choisi l'approche de la common law dans les affaires précitées. Comme la jurisprudence établit clairement qu'il appartient aux membres des tribunaux administratifs concernés de résoudre la question (Wilson, au para. 17), il serait inopportun pour notre Cour de « fai[re] pencher la balance » (Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au para. 57), afin d'obtenir le résultat qu'elle juge approprié et de limiter ainsi le rôle de la communauté arbitrale pour résoudre la question.

[68] Les deux parties ont présenté leur cause en invoquant à la fois la jurisprudence des conventions collectives et la jurisprudence découlant du Code, c'est-à‐dire la jurisprudence commune mentionnée précédemment. Il ne s'agit donc pas d'un cas où un tribunal administratif a créé son propre consensus, mais plutôt d'une communauté d'arbitres qui tentaient d'en arriver à une interprétation commune quant à la meilleure façon de déterminer la valeur d'un emploi protégé. Il ne serait guère utile que des cours de divers ressorts donnent leurs propres points de vue, qui ne seront pas nécessairement cohérents.

[69] Il ne s'agit donc pas d'une affaire où un arbitre s'est éloigné du consensus établi sur cette question. En conséquence, il n'y a pas lieu d'examiner si l'arbitre a justifié le fait qu'il se soit éloigné du consensus. Cela ne signifie pas pour autant que l'arbitre n'était pas tenu d'expliquer son raisonnement afin d'en établir l'intelligibilité et la transparence, question que j'examine maintenant pour décider si la décision de l'arbitre était raisonnable.

(3) L'indemnité que l'arbitre a accordée au lieu de la réintégration était‐elle raisonnable?

[70] Mme Hussey soutient que la décision de l'arbitre était déraisonnable, notamment parce que la méthode d'évaluation qu'il a choisie ne faisait pas partie de l'éventail des issues possibles acceptables : mémoire des faits et du droit de Mme Hussey, au para. 40. Elle affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]

Lorsqu'on lit le paragraphe 242(4) dans son contexte — celui de l'ensemble du régime prévu en cas de congédiement injuste — il devient évident que le versement de toute indemnité de départ selon la common law, même l'indemnité majorée qu'a ordonnée l'arbitre, fait en sorte que la décision [relative à l'indemnité] n'appartenait pas aux issues possibles acceptables.

[71] Cet argument repose en grande partie sur l'interprétation que Mme Hussey fait des motifs de la Cour suprême dans l'arrêt Wilson, lequel, comme nous l'avons mentionné précédemment, n'étaye pas la thèse de Mme Hussey. L'arrêt Wilson n'aborde aucunement la question du calcul de la valeur de la perte d'un emploi protégé en cas de non‐réintégration. On a examiné cette question dans Haulaway, Konevsky et Wolf Lake, mais, dans ces affaires, la Cour n'a fait qu'établir que l'indemnité au lieu de la réintégration ne pouvait pas se limiter au montant égal à un préavis raisonnable en common law. La jurisprudence qui existe réfute la thèse de Mme Hussey quant à l'interprétation du paragraphe 242(4).

[72] Quoi qu'il en soit, après avoir mentionné que le paragraphe 242(4) devait être interprété en tenant compte du contexte, Mme Hussey n'a fait aucune analyse structurée de cette disposition en tenant compte de son texte, de son contexte et de son objet, pas plus que ne l'a fait l'arbitre d'ailleurs. Mme Hussey a toutefois fait valoir que le renvoi « au salaire [que le plaignant] aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié », à l'alinéa 242(4)a), empêche l'utilisation d'une approche rétrospective. C'est une interprétation erronée de la nature du montant versé au lieu de la réintégration. Le fait que les deux approches renvoient aux gains (passés ou futurs) ne signifie pas que l'indemnité est une rémunération au sens d'un salaire. L'indemnité vise à compenser la perte d'un avantage précieux. Je suis d'avis que l'alinéa 242(4)a) renvoie vraisemblablement aux montants exigibles à titre de salaire rétroactif lorsqu'un employé est réintégré, et non lorsqu'il ne l'est pas.

[73] Vu l'absence d'argument selon lequel l'approche de la common law va à l'encontre du texte, du contexte et de l'objet des dispositions relatives au congédiement injuste, et étant donné qu'il convient de laisser l'interprétation du paragraphe 242(4) à ceux qui ont plus d'expérience que moi dans ce domaine, je ne compte pas faire une interprétation structurée de cette disposition du Code.

[74] Comment l'arbitre a‐t‐il justifié l'approche qu'il a choisie pour calculer l'indemnité? L'arbitre a commencé par mentionner que Mme Hussey demandait une indemnité de 486 450 $ sur la base de l'approche à durée déterminée. L'arbitre a précisé que cela signifiait que Mme Hussey demandait une indemnité équivalant à sept ans et un quart pour chacune de ses sept années de service. L'arbitre s'est manifestement mal exprimé lorsqu'il a formulé ce dernier commentaire, puisque les gains annuels de Mme Hussey étaient d'environ 67 000 $ (décision relative à l'indemnité, au para. 2); le montant demandé correspondait donc au salaire et aux avantages sociaux pendant sept ans et un quart (486 450 $ ÷ 67 000 $ = 7,26 ans), plutôt que pendant un an. Quoi qu'il en soit, l'arbitre a mentionné que cette indemnité englobait l'ensemble des gains de Mme Hussey de son licenciement jusqu'à son emploi prévu comme employée non syndiquée, sous réserve d'une réduction de 6 % pour tenir compte de la possibilité qu'elle [TRADUCTION] « ne termine pas, pour une quelconque raison, la durée prévue [par l'avocat] de son emploi à titre de gérante du magasin » : décision relative à l'indemnité, au para. 7.

[75] L'arbitre a ensuite cité de longs extraits de la décision Lakehead University, dans lesquels un autre arbitre avait exposé les différences entre l'approche à durée déterminée et l'approche de la common law en soulignant que, nonobstant deux décisions de la Cour suprême (Cohnstaedt c. Université de Regina, [1995] 3 R.C.S. 451, et Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, [2004] 1 R.C.S. 727), l'approche de la common law semble continuer de dominer dans les cas de congédiement abusif [TRADUCTION] « dans les faits, sinon en théorie » : décision relative à l'indemnité, au para. 8.

[76] Dans la décision Lakehead University, l'arbitre a déclaré qu'il était généralement accepté que les emplois régis par des conventions collectives ont une valeur économique plus élevée qui devait être prise en compte au moment d'évaluer le montant de l'indemnité en cas de non‐réintégration. L'arbitre a ensuite expliqué ce qui, selon lui, constituait le fondement implicite de l'approche de la common law en matière de congédiement abusif :

[TRADUCTION]

[...] lorsqu'on accorde une indemnité au lieu de la réintégration, le plaignant perd immédiatement tous ses droits et avantages prévus par la convention collective, et est traité comme s'il avait toujours occupé un emploi non syndiqué, de sorte qu'il y a lieu d'évaluer l'indemnité en se basant essentiellement sur les principes régissant les congédiements abusifs.

Décision relative à l'indemnité, au para. 9

[77] Les extraits cités se terminent par un passage tiré de l'opinion exprimée par l'arbitre dans Lakehead University, selon lequel les décisions plus récentes ont établi que [TRADUCTION] « l'approche à durée déterminée pour établir la valeur d'une convention collective [sic] au lieu de l'indemnité » est l'approche la plus raisonnée.

[78] L'arbitre a ensuite noté que l'arbitre dans Lakehead University, en adoptant l'approche à durée déterminée, avait tenu compte du fait qu'il croyait que le plaignant, s'il avait été réintégré, aurait de nouveau été congédié moins d'un an plus tard. Par conséquent, au lieu de lui accorder le revenu qu'il aurait gagné durant les huit ans de service prévus qui lui restaient, l'arbitre a accordé au plaignant une indemnité équivalant à un an de salaire, à laquelle il a ajouté une indemnité pour la perte d'avantages sociaux et de pension, plus des intérêts.

[79] Je constate que cela correspond à une réduction de 87,5 % (soit 7/8).

[80] L'arbitre a par la suite renvoyé à trois affaires où l'on avait adopté l'approche à durée déterminée, en précisant que les taux de réduction appliqués dans ces affaires avaient été de 80 %, 75 % et 90 %.

[81] Il a ensuite exposé les motifs pour lesquels il n'avait pas choisi l'approche à durée déterminée. Il a rappelé le commentaire de l'arbitre dans l'affaire Lakehead University, selon lequel [TRADUCTION] « un grand nombre, sinon la majeure partie, des arbitres ont rejeté ou n'ont pas adopté l'approche ‟à durée déterminée” pour établir l'indemnité, lui préférant l'approche de common law plus classique » : décision relative à l'indemnité, au para. 10. Il a ajouté qu'on ne lui avait signalé aucune affaire dans laquelle une cour avait approuvé l'approche à durée déterminée. Il a également mentionné que les résultats obtenus dans les affaires fondées sur l'approche à durée déterminée auxquelles on l'avait renvoyé ne différaient pas sensiblement de ceux obtenus dans des affaires ayant utilisé l'approche de la common law pour calculer l'indemnité au lieu de la réintégration.

[82] Faisant écho aux propos d'autres arbitres, l'arbitre a déclaré que l'approche à durée déterminée était beaucoup trop spéculative [TRADUCTION] « à mon goût » et que la marge pour éventualités pour tenir compte de la conduite future relevait [TRADUCTION] « au mieux, d'estimations raisonnées ». Il a ajouté que la conduite passée d'un employé n'était pas nécessairement un indicateur fiable de sa conduite future et que l'évaluation du comportement du plaignant pouvait être trompeuse. Il a donc préféré [TRADUCTION] « ne pas formuler d'hypothèses quant à la manière dont Mme Hussey pourrait se conduire, ni pendant combien de temps, si elle était réintégrée » : décision relative à l'indemnité, au para. 11.

[83] L'arbitre a conclu son analyse en indiquant que, du fait de sa non-réintégration, Mme Hussey avait perdu la protection contre le congédiement injuste qui était prévue par le Code. En conséquence, il a ordonné à Bell de lui payer une indemnité [TRADUCTION] « se situant à la limite supérieure de la fourchette convenant pour une employée ayant ses années de service et le poste qu'elle avait » : décision relative à l'indemnité, au para 11. Il a finalement accordé à Mme Hussey une indemnité correspondant à huit mois de salaire (y compris les avantages sociaux) pour tenir compte de ses quelque sept années de service ainsi qu'une indemnité supplémentaire équivalant à quatre mois de salaire pour la perte de la protection contre le congédiement injuste, plus des intérêts de 2 %, pour un montant total de 68 340 $. Cela équivaut essentiellement à un an de salaire.

[84] L'arbitre a refusé d'accorder des dommages‐intérêts majorés ou punitifs. Il n'a pas non plus jugé opportun de déduire les montants gagnés par Mme Hussey lors de ses efforts de limiter le préjudice, car les emplois qu'elle avait occupés durant cette période étaient loin d'être du même niveau que le poste qu'elle occupait chez Bell.

[85] Au paragraphe 94 de l'arrêt Vavilov, la Cour suprême a énoncé quelques orientations sur la manière dont les tribunaux devraient juger du caractère suffisant des motifs d'un tribunal :

La cour de révision doit également interpréter les motifs du décideur en fonction de l'historique et du contexte de l'instance dans laquelle ils ont été rendus. Elle peut considérer, par exemple, la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l'organisme administratif en question. Cela peut expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l'évidence des motifs eux‐mêmes; cela peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d'intelligibilité ou de transparence. Ainsi, les parties adverses ont pu faire des concessions pour éviter que le décideur n'ait à trancher une question. De même, un décideur a pu suivre une jurisprudence administrative bien établie sur une question qu'aucune partie n'a contestée au cours de l'instance. Ou encore, un décideur a pu adopter une interprétation énoncée dans une politique d'interprétation publiée par l'organisme administratif dont il fait partie.

[86] En l'espèce, les motifs de l'arbitre, et plus précisément les longs extraits de la décision Lakehead University qu'il a cités, montrent qu'il était bien au fait des thèses divergentes sur l'indemnité au lieu de la réintégration. De plus, il a justifié son choix pour l'une des deux approches de la même manière que l'ont fait d'autres arbitres qui n'étaient pas à l'aise avec les importants facteurs de réduction fondés sur des éléments de preuve peu fiables quant à la conduite future. Bien que son renvoi à des taux de réduction qui étaient [TRADUCTION] « bien trop spéculatifs à mon goût » et qui relevaient [TRADUCTION] d'« estimations raisonnées » ne soit pas particulièrement clair, son raisonnement ne laisse aucun doute pour quiconque lit les motifs de l'arbitre avec attention et a une bonne connaissance de la question et de la jurisprudence arbitrale.

[87] Lorsque les motifs de l'arbitre « sont interprétés en tenant compte du contexte institutionnel et à la lumière du dossier », ils ne comportent pas de « lacune fondamentale » ni ne « révèlent une analyse déraisonnable » : Vavilov, au para. 96.

[88] En conséquence, je conclus que la décision de l'arbitre sur la question de l'indemnité est raisonnable.

B. Mme Hussey a-t-elle bénéficié de l'équité procédurale?

[89] Mme Hussey a traité de la question de l'équité procédurale aux paragraphes 91 à 98 de son mémoire des faits et du droit, qui porte principalement sur la preuve sur les remords. Il est vrai, comme le soutient Mme Hussey, qu'un tribunal qui établit des « règles de base » durant une partie de l'audience, pour ensuite les annuler dans une décision ultérieure, risque de voir sa décision infirmée pour manquement à l'équité procédurale. Il est également vrai que l'arbitre a créé une certaine confusion et incertitude en se montrant d'abord réticent à entendre Mme Hussey, notamment sur la question des remords. Il est toutefois revenu sur sa décision et a autorisé Mme Hussey à témoigner sans interruption pendant deux à trois heures. Comme l'a souligné la Cour fédérale, rien ne donne à penser que Mme Hussey a été privée de l'occasion d'exprimer ce qu'elle voulait dire : décision de la CF, au para. 52.

[90] Mme Hussey affirme que l'arbitre a préjugé des éléments de preuve sur ses remords, en déclarant qu'il y accorderait un poids négligeable, alors qu'il [TRADUCTION] « a fait ultérieurement valoir que l'absence de remords était le facteur le plus important qui pesait contre sa réintégration » : mémoire de Mme Hussey, au para. 94. De fait, l'ensemble de l'argumentation de Mme Hussey sur l'équité procédurale porte sur la question de la réintégration.

[91] Les actes de procédure de Mme Hussey laissent planer une profonde ambiguïté quant à sa position sur la réintégration. Les paragraphes 17 et 18 de la décision de la CF sont rédigés comme suit :

Mme Hussey a soutenu que, dans la mesure où ils s'appliquaient à son cas, ces facteurs militaient en faveur de sa réintégration. L'arbitre a appliqué ces mêmes facteurs, mais a tiré une conclusion différente.

Puisque le bien‐fondé de cette décision n'est pas contesté dans les présentes demandes, il suffit de citer seulement les deux conclusions suivantes de l'arbitre relativement à la demande de réintégration. [Non souligné dans l'original.]

[92] Au paragraphe 45 du mémoire des faits et du droit qu'elle a présenté à notre Cour, Mme Hussey déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

Dans de rares cas, toutefois, l'arbitre peut juger impossible de réintégrer un employé qui a été injustement congédié. Cela peut se produire, par exemple, lorsque la dégradation de la relation de travail est irrémédiable. C'est la conclusion à laquelle en est arrivé l'arbitre en l'espèce et qui, sous réserve de l'argument en matière d'équité que nous formulerons ultérieurement, n'est pas contestée par l'appelante. En présence de circonstances « exceptionnelles », il y a lieu de refuser de rendre une ordonnance de réintégration et d'accorder plutôt une indemnité au lieu de la réintégration. [Non souligné dans l'original]

[93] Au début de l'audience devant notre Cour, l'avocate de Mme Hussey a répété que cette dernière ne contestait pas sa non‐réintégration :

[TRADUCTION]

0 h 13 min 45 s — Me Duff : Et je tiens à préciser très clairement, d'entrée de jeu, que le problème avec la sentence de l'arbitre McNamee n'est pas qu'il a accordé une indemnité pécuniaire au lieu de la réintégration. Il a le droit de le faire; l'alinéa 242(4)a) du Code canadien du travail établit très clairement qu'un arbitre peut accorder une indemnité au plaignant qui a gain de cause. Je vais citer la loi; le Code dispose qu'on peut adjuger une indemnité « équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié ». L'essentiel de notre argumentation est que les principes sur lesquels s'est fondé l'arbitre McNamee pour calculer l'indemnité sont fondamentalement déraisonnables. [Non souligné dans l'original]

Transcription de la Cour

[94] Le paragraphe 97 du mémoire de Mme Hussey est rédigé comme suit :

[TRADUCTION]

Les éléments de preuve n'auraient peut-être pas changé le résultat, mais cela ne diminue en rien le manquement à l'équité qui résulte du fait que l'appelante n'a pas eu pleinement l'occasion de témoigner pour sa propre défense, dans l'espoir d'amener l'arbitre à voir qu'en raison de ses motifs et des effets dévastateurs que le congédiement a eus sur elle, l'appelante ferait les choses de façon très différente si une deuxième chance lui était accordée. [Non souligné dans l'original]

[95] Tout cela nous amène à nous demander comment on peut, d'une part, s'abstenir de contester une conclusion et, d'autre part, faire valoir que cette conclusion devrait être annulée pour manquement à l'équité procédurale. Ce type d'argument donne l'impression que Mme Hussey, bien qu'elle ait essentiellement cédé sur la question de la réintégration, conteste cette décision pour manquement à l'équité procédurale, dans l'espoir que la décision relative à l'indemnité soit annulée si notre Cour rejette son argument fondé sur l'adoption de l'approche de la common law pour calculer l'indemnité au lieu de la réintégration, afin qu'elle puisse invoquer de nouveau cet argument devant un autre arbitre. Cela mine la force de l'argument sur l'équité procédurale, en ce que Mme Hussey semble l'avoir invoqué non pas tant dans le but d'appuyer sa réintégration, mais dans un but indirect, pour faire valoir de nouveau ses arguments sur la question de l'indemnité.

[96] Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un argument que Mme Hussey a le droit d'invoquer. Aux paragraphes 31 à 54 de sa décision, la Cour fédérale a fait une analyse approfondie des allégations de manquement à l'équité procédurale. Elle a examiné les éléments de preuve d'une manière très détaillée, afin de déterminer ce qui s'est réellement produit durant l'audience devant l'arbitre, vu les grandes divergences d'opinions sur cette question. Au terme de cet examen, la Cour fédérale a conclu ce qui suit :

[51] [...] En l'absence d'éléments de preuve contraire précis, je ne suis pas disposé à conclure que l'arbitre a préjugé tous les éléments de preuve que Mme Hussey a présentés ce jour‐là, y compris les éléments de preuve qui n'étaient devenus pertinents qu'une fois la plainte de congédiement injuste maintenue (p. ex. les efforts déployés par Mme Hussey pour atténuer les répercussions financières de son congédiement). [...]

[52] [...] En fait, rien n'indique que l'arbitre a tenu compte de quelque façon que ce soit des éléments de preuve liés aux remords lorsqu'il a déterminé la réparation appropriée. Comme je l'ai déjà dit, je préfère le témoignage de Me Valente‐Fernandes [l'avocate de Bell devant l'arbitre] selon lequel le commentaire de l'arbitre au sujet de l'appréciation de la preuve se limitait à tout élément de preuve lié aux remords que Mme Hussey pourrait présenter le 23 avril 2019. [...]

[53] De plus, même en présumant, aux fins de la discussion, que l'arbitre avait initialement déclaré qu'il accorderait moins de poids à l'ensemble du témoignage de Mme Hussey le 23 avril 2019, rien ne permet de conclure que la décision relative à la réparation repose sur une appréciation défavorable de ce témoignage. À aucun moment dans ses motifs l'arbitre n'affirme accorder moins de poids aux éléments de preuve présentés par Mme Hussey le 23 avril 2019. Mme Hussey, à qui revient le fardeau de la preuve à cet égard, n'a pas relaté le témoignage de vive voix qu'elle a livré le 23 avril 2019. En l'absence de tels éléments de preuve contextuels qui pourraient soulever des doutes quant aux motifs ayant mené l'arbitre à ordonner les mesures de réparation qu'il a ordonnées, il n'y a aucune raison de ne pas accepter ces motifs sans réserve. En outre, si l'on considère ces motifs à première vue, il n'y a aucune raison de penser que l'arbitre est parvenu au résultat auquel il est parvenu en raison d'une appréciation défavorable du témoignage de Mme Hussey le 23 avril 2019, peu importe ce qu'il a pu dire avant que cette dernière soit appelée à témoigner. Dans une telle situation, même en examinant le dossier dont je suis saisi sous l'angle le plus favorable à la position de Mme Hussey, je ne suis pas convaincu que la façon dont l'arbitre a procédé a entraîné une iniquité envers elle.

Décision de la CF, aux para. 51 à 53 [Souligné dans l'original]

[97] Rien ne permet à notre Cour de croire que la Cour fédérale a commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve ou les conclusions qu'elle a tirées des éléments de preuve qu'elle a acceptés. Les conclusions de fait qui sous-tendent l'appréciation que la Cour fédérale a faite de l'équité de la décision de l'arbitre sont susceptibles de contrôle selon la norme applicable en appel, à savoir la norme de l'erreur manifeste et dominante : Taseko Mines Limited c. Canada (Environnement), 2019 CAF 320, au para. 23, [2020] 3 R.C.F. F‐3. Je ne crois pas qu'une telle erreur ait été commise; par conséquent, je fais miennes les conclusions de la Cour fédérale.

[98] L'allégation de manquement à l'équité procédurale est rejetée. Il convient néanmoins de préciser que toute cette question aurait pu être évitée si l'arbitre avait fait preuve d'une plus grande prudence à l'égard d'une preuve qui ne lui avait pas encore été présentée. Je puis comprendre que l'arbitre ait été réticent à entendre des éléments de preuve qui semblaient intéressés, mais, en général, la mission du juge des faits est d'évaluer la preuve après — et non avant — l'avoir entendue : Price c. La Reine, 2012 CAF 332, aux para. 16 à 19. Bien que je doive reconnaître que l'arbitre a rapidement réévalué sa position, le doute avait malheureusement déjà été semé.

C. Les dépens

[99] Les deux parties contestent la décision de l'arbitre relativement aux dépens. Mme Hussey affirme qu'elle devrait être pleinement indemnisée pour ses frais judiciaires et que l'adjudication des dépens sur la base d'une indemnisation partielle devrait être annulée. Bell affirme quant à elle qu'aucune ordonnance d'adjudication des dépens n'aurait dû être rendue à son encontre et que la décision de l'arbitre concernant les dépens devrait être annulée.

[100] Les deux parties demandent l'intervention de la Cour en invoquant l'insuffisance des motifs de l'arbitre. Mme Hussey fait valoir que l'arbitre n'a pas tenu compte de la jurisprudence qu'elle lui avait présentée et qui montrait que plusieurs arbitres nommés en application du Code avaient adjugé des dépens sur la base d'une indemnité intégrale. Bell, pour sa part, souligne le fait que l'arbitre s'est contenté de quelques mots pour rejeter son argument selon lequel aucuns dépens ne devraient être adjugés [TRADUCTION] « malgré les contestations vigoureuses de l'avocat de Bell » : décision relative à l'indemnité, au para. 13. Bell n'indique pas les raisons qu'elle a invoquées pour faire valoir que la règle habituelle voulant que les dépens suivent l'issue de la cause n'aurait pas dû être appliquée.

[101] Il ne fait aucun doute que l'arbitre aurait pu mieux justifier son adjudication des dépens. La question que doit trancher notre Cour dans l'appel et l'appel incident est de déterminer si la sentence de l'arbitre est à ce point succincte qu'elle est déraisonnable.

[102] Comme je l'ai mentionné précédemment, l'arrêt Vavilov nous enseigne que les cours de révision doivent tenir compte du contexte dans lequel les décisions administratives sont rendues, afin d'éviter que des lacunes dans les motifs soient perçues, de manière injustifiable, comme témoignant d'une insuffisance des motifs : Vavilov, aux para. 91 à 94. En l'espèce, le contexte est bien connu de tous les avocats, puisqu'il s'agit des principes régissant l'adjudication des dépens.

[103] J'examinerai d'abord l'appel incident de Bell, qui allègue être incapable de dégager, à partir des motifs de l'arbitre, les raisons pour lesquelles l'arbitre a rejeté son argument selon lequel les dépens ne devraient pas suivre l'issue de la cause. Cependant, Bell ne nous a pas exposé les raisons pour lesquelles elle a affirmé que la règle habituelle des dépens suivant l'issue de la cause ne devrait pas être appliquée. En d'autres termes, puisque la règle générale veut que les dépens suivent l'issue de la cause, il incombait à Bell de démontrer pourquoi cette règle générale n'aurait pas dû être suivie. Sans indications expliquant pourquoi cette règle générale était inapplicable, il est difficile de déterminer si les arguments de Bell justifiaient que l'on explique en détail les raisons de leur rejet. Les seuls éléments dont nous disposons, c'est que l'arbitre a suivi la règle générale et que Bell allègue, mais sans plus, qu'il n'aurait pas dû le faire. Je ne suis pas disposé à intervenir en présence de ces faits.

[104] La thèse de Mme Hussey sur la question des dépens est plus étoffée. Elle invoque, d'une part, un courant de jurisprudence arbitrale selon lequel les arbitres ont adjugé des dépens établis sur la base d'une indemnisation intégrale, en faisant valoir que les plaignants dans la situation de Mme Hussey devraient être « pleinement indemnisés ». D'autre part, Mme Hussey reconnaît également que d'autres arbitres ont conclu qu'il n'y avait aucune raison de déroger à [TRADUCTION] « l'approche habituelle fondée sur une indemnisation partielle utilisée par les cours » : mémoire des faits et du droit de Mme Hussey, aux para. 81 et 82.

[105] De fait, l'arbitre a expliqué pourquoi il avait réduit les montants demandés par Mme Hussey. Le mémoire de frais présenté par l'avocat de Mme Hussey faisait état d'un montant total de 87 376,19 $, taxes et débours compris. Le montant demandé comprenait 57,5 heures de travail, à raison de 250 $ l'heure, pour la présence d'un second avocat lors de l'audience. L'arbitre a jugé que l'affaire ne justifiait pas la présence de deux avocats; il a donc réduit le montant demandé de 16 243,75 $ (honoraires de 14 375 $, soit 57,5 × 250 $, plus taxes de 1 868,75 $), ce qui laissait 71 132,44 $.

[106] L'arbitre a ensuite appliqué le principe de la proportionnalité, en indiquant que rien ne justifiait l'adjudication de dépens [TRADUCTION] « supérieurs à ceux calculés sur la base d'une indemnisation partielle », et il a fixé le taux à 67 % des honoraires d'avocats. Mme Hussey allègue que le rejet succinct de sa demande de dépens basée sur une indemnisation intégrale témoigne du manque d'intelligibilité et de transparence des motifs de l'arbitre.

[107] L'arbitre n'a pas expressément renvoyé aux décisions invoquées par Mme Hussey, mais son application du principe de la proportionnalité explique pourquoi il a agi comme il l'a fait. Le principe de la proportionnalité prévoit notamment que le coût de la procédure judiciaire ne devrait pas dépasser une part raisonnable des sommes en jeu : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, aux para. 28 à 31. L'indemnité de Mme Hussey a été fixée à 68 340 $, alors qu'elle demandait des dépens de 87 376 $. La pertinence du principe de la proportionnalité apparaît clairement lorsqu'on compare ces deux montants.

[108] Même s'il aurait été utile que les motifs de l'arbitre soient plus étoffés, il est possible de dégager les principes sur lesquels repose l'approche qu'il a adoptée. Je ne suis pas disposé à intervenir relativement à l'adjudication des dépens à Mme Hussey.

V. Conclusion

[109] En conséquence, je rejetterais l'appel de Mme Hussey et l'appel incident de Bell. Mme Hussey ne m'a pas convaincu que l'utilisation, par l'arbitre, de l'approche de la common law pour calculer l'indemnité était déraisonnable. L'arbitre n'était pas lié par la jurisprudence des Cours ou des arbitres, de sorte qu'il devait adopter l'approche à durée déterminée. De plus, les motifs qu'il a donnés pour justifier son choix rappellent ceux invoqués par d'autres arbitres qui en sont arrivés à la même conclusion.

[110] De même, je n'estime pas que la décision de l'arbitre sur la question des dépens était déraisonnable, lorsqu'on tient compte du contexte dans lequel doit se faire l'adjudication des dépens.

[111] Enfin, je conclus que l'arbitre n'a pas manqué à son obligation d'équité procédurale envers Mme Hussey, malgré les commentaires malheureux qu'il a formulés au début de l'audience du 23 avril 2019.

[112] Par conséquent, je rejetterais l'appel avec dépens à Bell. Je rejetterais également l'appel incident, sans dépens, étant donné que les deux parties ont eu partiellement gain de cause sur cette question.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-230-20

 

 

INTITULÉ :

AMANDA HUSSEY c. BELL MOBILITÉ INC.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Audience tenue par viSIoconférence

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 10 mars 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Stephen Moreau

Kaley Duff

 

Pour l'appelante

 

Maryse Tremblay

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimée

 

 

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