Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220601


Dossier : A-218-21

Référence : 2022 CAF 97

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

ROBERT JAMES THOMSON

appelant

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 mai 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er juin 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20220601


Dossier : A-218-21

Référence : 2022 CAF 97

CORAM :

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

ROBERT JAMES THOMSON

appelant

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. Introduction

[1] Depuis plus de 30 ans, l’appelant, M. Robert Thomson, tente sans relâche d’avoir droit à une allocation d’incapacité exceptionnelle à la suite des graves blessures qu’il a subies lors de l’écrasement en 1991 d’un avion Hercules des Forces canadiennes à bord duquel il voyageait à titre de passager civil en service. En 1992, conformément à l’alinéa 3(1)a) du Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation, C.R.C., c. 10 (le Règlement), il a présenté avec succès une demande en vue d’obtenir une pension au titre de l’annexe A (aujourd’hui l’annexe I) pour ses blessures, mais on a refusé de lui verser les sommes prévues à l’annexe III au titre des allocations pour incapacité exceptionnelle, soins et vêtements, en application de l’article 72 de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, c. P-6 (la Loi sur les pensions).

[2] Le 19 juin 2014, au terme d’une série d’appels administratifs, le comité d’appel de l’admissibilité (le CAA) du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) a rendu la décision finale au dernier palier administratif dans laquelle il a rejeté la demande d’allocations de M. Thomson (la Décision du CAA de 2014). Le 18 août 2015, la Décision du CAA de 2014 a fait l’objet d’un contrôle par la Cour fédérale, qui a conclu que la décision était raisonnable (Thomson c. Canada (Procureur général), 2015 CF 985, [2015] A.C.F. n984 (QL) [2015 CF Thomson]). Puis, le 19 octobre 2016, notre Cour a confirmé le jugement de la Cour fédérale et a conclu que la Décision du CAA de 2014 était raisonnable (Thomson c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 253, 272 A.C.W.S. (3d) 230 [2016 CAF Thomson]). M. Thomson a présenté une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, mais cette demande a été rejetée le 30 mars 2017.

[3] La conséquence de ce rejet fut (et demeure) que M. Thomson est pleinement indemnisé au titre de l’annexe I, recevant une pension mensuelle pour les blessures qu’il a subies, notamment de multiples amputations et le syndrome de stress post-traumatique, mais il ne reçoit aucune des indemnités supplémentaires pour incapacité exceptionnelle prévues à l’article 72, annexe III de la Loi sur les pensions pour sa paraplégie. Bien que l’appréciation de son droit total à pension soit de 181 %, la pension qu’il reçoit ne correspond qu’à un taux de 100 %. S’il avait été admissible aux allocations d’incapacité exceptionnelle, son droit à pension de 181 % lui aurait permis de recevoir le taux annuel maximal d’allocations, en plus de sa pension.

[4] En août 2019, M. Thomson a demandé au Tribunal de réexaminer la Décision du CAA de 2014. Il alléguait que le CAA avait commis une erreur de droit dans son interprétation de l’alinéa 3(1)a) du Règlement. Il a également soutenu que le CAA aurait dû faire une analyse téléologique et contextuelle de cet alinéa et que, s’il l’avait fait, il n’aurait pas rejeté son droit à des allocations d’incapacité exceptionnelle.

[5] En plus des erreurs de droit alléguées, M. Thomson a joint à sa demande au Tribunal les trois documents suivants, lesquels, selon lui, constituaient de nouveaux éléments de preuve appuyant sa position :

  1. Les articles 1 et 2 du Règlement sur le traitement des anciens combattants de 1978 (chapitre 1585) (le Règlement de 1978);

  2. La proposition du Conseil du Trésor no 715891, datée du 2 novembre 1972, à laquelle était jointe une ébauche du Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation, ainsi qu’une circulaire du Conseil du Trésor datée du 12 janvier 1973, distribuant le Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation qui avait été approuvé par le gouverneur en conseil le 9 novembre 1972 (collectivement, la Proposition 715891 de 1972);

  3. La proposition du Conseil du Trésor no 732762, datée du 5 décembre 1974, qui recommandait au gouverneur en conseil de modifier le Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation approuvé le 9 novembre 1972, afin d’élargir la définition d’« inspecteur de l’aviation civile » pour qu’elle englobe certains employés du ministère des Transports qui ne sont pas des pilotes qualifiés (la Proposition 732762 de 1974).

[6] Le Tribunal a rendu sa décision (décision no 100003965151) le 10 mars 2020 (la Décision du Tribunal de 2020). Il a expliqué le processus en deux étapes prévu à l’article 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, c. 18, relativement à une demande de réexamen, et il a conclu que M. Thomson n’avait pas présenté des motifs suffisants pour passer de l’examen préliminaire prévu à l’étape I au réexamen sur le fond de la demande prévu à l’étape II. Il a exposé les deux principales raisons de sa décision.

[7] Le Tribunal a premièrement conclu que le CAA n’avait pas commis d’erreur de droit dans son interprétation de l’alinéa 3(1)a) du Règlement. Le Tribunal a invoqué l’arrêt 2016 CAF Thomson, car il portait sur la même Décision du CAA de 2014 et sur la même question d’interprétation de la loi.

[8] Le Tribunal a plus précisément renvoyé au paragraphe 32 de l’arrêt 2016 CAF Thomson, où notre Cour a conclu que la seule interprétation possible de l’alinéa 3(1)a) du Règlement était celle retenue par le CAA, à savoir que M. Thomson a droit uniquement à une « pension », et que les allocations supplémentaires qu’il demandait ne sont pas des « pensions », mais plutôt des « allocations », lesquelles ne sont pas des « pensions » au sens de la Loi sur les pensions. Notre Cour a ajouté qu’aucune interprétation téléologique ne permettrait de faire fi de ce libellé clair et de conclure qu’une pension comprend les allocations établies à l’annexe III de la Loi sur les pensions.

[9] Deuxièmement, le Tribunal a jugé que les trois documents fournis par M. Thomson ne répondaient pas au critère de la nouvelle preuve.

[10] Le Tribunal a conclu que les motifs ne justifiaient pas le réexamen de la Décision du CAA de 2014 et qu’il ne passerait pas à la deuxième étape, c’est-à-dire au réexamen proprement dit.

[11] M. Thomson a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale à l’encontre de la Décision du Tribunal de 2020. Le 15 juin 2021, la Cour fédérale (la juge Heneghan) a rejeté la demande (Thomson c. Canada (Procureur général), 2021 CF 606 [2021 CF Thomson]. M. Thompson interjette maintenant appel de cette décision auprès de notre Cour.

[12] J’admire la ténacité de M. Thomson et je conviens qu’il paraît inéquitable et injustifié de traiter le personnel civil en service, qui subit de graves blessures lors d’un écrasement d’avion, différemment du personnel militaire à bord du même avion. Comme l’a déclaré ma collègue de la Cour d’appel fédérale, la juge Gleason, au paragraphe 44 de l’arrêt 2016 CAF Thomson, il est probable que le défaut de modifier le Règlement pour étendre le droit aux allocations d’incapacité exceptionnelle à M. Thomson est une omission. Cependant, le rôle de notre Cour est d’interpréter et d’appliquer le texte législatif. Il n’est pas d’adopter des lois pour corriger un oubli potentiel. Un examen approfondi des documents présentés par M. Thomson ne modifie pas mon avis sur la manière dont l’alinéa 3(1)a) du Règlement doit être interprété; il m’est donc impossible de conclure que la Décision du Tribunal de 2020 est déraisonnable.

[13] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

II. La norme de contrôle

[14] Comme le présent appel est interjeté à l’encontre d’un jugement concernant une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale, en conformité avec les motifs de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 aux paras. 45-46 [Agraira]. Notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a retenu la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Récemment, dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, 462 D.L.R. (4e) 585, la Cour suprême du Canada a rejeté l’invitation qui lui avait été soumise de réexaminer l’arrêt Agraira, et elle a confirmé que les principes qui y sont énoncés continuent de s’appliquer.

[15] Notre Cour doit déterminer si la Décision du Tribunal de 2020 est raisonnable, eu égard à la norme de la décision raisonnable établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4e) 1 [Vavilov].

III. La position de M. Thompson

[16] M. Thomson reprend un grand nombre d’arguments qu’il a invoqués à la Cour fédérale. Devant notre Cour, il fait principalement valoir que le Tribunal, dans l’exercice des pouvoirs qui lui étaient conférés, a omis de dûment reconnaître l’intention du législateur et de la respecter. Si le Tribunal l’avait fait, il aurait interprété le mot « pension » de manière large et libérale, afin que ce mot englobe les « allocations », car, selon M. Thomson, telle était l’intention du législateur à l’époque.

[17] M. Thomson affirme que les documents historiques qu’il a été en mesure d’obtenir de Bibliothèque et Archives Canada, s’ils avaient été accessibles au moment où ces décisions ont été rendues, auraient très bien pu modifier l’interprétation qui a été faite de l’alinéa 3(1)a du Règlement dans la Décision du CAA de 2014.

[18] M. Thomson invoque le Règlement de 1978, car la définition de « pension » qui y est donnée comprend tout paiement versé au titre de la Loi sur les pensions.

[19] Selon M. Thomson, le document le plus important, parmi ceux qu’il invoque aujourd’hui, est la Proposition 715891 de 1972. Il affirme que ce document est incompatible avec l’interprétation qui a été faite de l’intention du législateur dans la Décision du CAA de 2014. Dans cette décision, le CAA a déclaré : [traduction] « [l]e mot « pension » dans le Règlement a été utilisé dans un but précis, et il a été utilisé dans le contexte d’une pension versée conformément aux taux prévus dans les annexes dans le seul but de limiter l’indemnité au titre de cette pension » (souligné par M. Thomson). En revanche, M. Thomson affirme que le libellé de la Proposition 715891 de 1972 énonçant la recommandation est clair.

[traduction]
L’[ordonnance relative à l’indemnisation en cas d’accident d’aviation] renvoie à [la Loi sur les pensions], car il était considéré comme équitable que les civils et le personnel militaire, qui voyageaient à bord d’un avion miliaire alors qu’ils étaient en service, bénéficient de la même protection en termes de prestations en cas d’écrasement [...]. La présente ordonnance doit maintenant faire l’objet d’une révision en profondeur afin de tenir compte des récentes modifications qui ont été apportées à la Loi sur les pensions sur laquelle étaient fondées les prestations payables au titre de la présente ordonnance.

[20] Bien que M. Thomson reconnaisse que la Proposition 732762 de 1974 avait déjà été présentée au CAA, à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale, il en cite l’extrait suivant : [traduction] « […] [l]’indemnité est égale au montant qui serait payable aux termes de la Loi sur les pensions si le décès ou les blessures étaient indemnisables aux termes de cette Loi ». Selon lui, cet énoncé appuie totalement l’interprétation que l’on doit faire de la recommandation énoncée dans la Proposition 715891 de 1972.

[21] En se fondant sur ces observations, M. Thomson demande à notre Cour de conclure qu’il n’était pas raisonnable pour le Tribunal :

  1. de rejeter sa demande d’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve;

  2. de conclure que le CAA n’a commis aucune erreur de droit en ne respectant pas l’intention du législateur.

[22] M. Thomson affirme en outre que le processus suivi par le Tribunal était inéquitable, car le Tribunal a d’abord examiné si une erreur de droit avait été commise avant de déterminer si la présentation de nouveaux éléments de preuve devrait être autorisée. Il soutient que l’ordre dans lequel ces décisions ont été prises est illogique.

[23] J’examinerai chacun de ces points séparément.

IV. Analyse de la Décision du Tribunal de 2020

A. Erreur de droit

[24] Les pouvoirs du Tribunal en matière de réexamen sont énoncés au paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Le Tribunal peut confirmer, modifier ou annuler une décision antérieure s’il constate qu’une conclusion de fait ou l’interprétation du droit était erronée ou si de nouveaux éléments de preuve sont présentés. M. Thomson n’a allégué aucune erreur de fait.

[25] Par conséquent, pour déterminer s’il devrait réexaminer la Décision du CAA de 2014, le Tribunal doit d’abord déterminer si cette décision était entachée d’une erreur de droit ou s’il devait considérer les documents présentés par M. Thomson comme étant de nouveaux éléments de preuve. Le critère à remplir pour passer à la deuxième étape est relativement peu exigeant (voir Blount c. Canada (Procureur général), 2017 CF 647 au para. 26 [Blount]). La première étape consiste essentiellement en un examen préliminaire de la demande pour déterminer s’il y a motif à réexamen. En l’espèce, si M. Thomson avait pu convaincre le Tribunal qu’une erreur de droit avait été commise ou même qu’un seul des documents constituait une preuve nouvelle, cela aurait été suffisant pour que le Tribunal passe à la deuxième étape du processus de réexamen.

[26] Bien que je comprenne l’argument de M. Thomson, selon lequel il aurait été plus logique pour le Tribunal de commencer par la question des nouveaux éléments de preuve avant de statuer sur l’existence d’une erreur de droit, rien, en l’espèce, ne dépend de l’ordre dans lequel l’analyse a été faite.

[27] Il était raisonnable pour le Tribunal de statuer d’abord sur l’allégation d’erreur de droit. Le Tribunal s’est fondé, à juste titre, sur la jurisprudence contraignante, à savoir l’arrêt 2016 CAF Thomson, car les parties à l’instance devant la Cour étaient les mêmes et que le contentieux portait sur les mêmes dispositions législatives. Notre Cour avait déjà fait une analyse approfondie de l’alinéa 3(1)a) du Règlement et elle en était arrivée à la conclusion qu’il n’y avait qu’une seule réponse correcte. Le mot « pension » ne comprenait pas le mot « allocations ».

[28] En réalité, il aurait été déraisonnable pour le Tribunal de ne pas tenir compte de cette jurisprudence contraignante (Blount au para. 31; Vavilov aux paras. 99 et 105).

B. Critère de la nouvelle preuve

[29] Le Tribunal a ensuite examiné la demande d’autorisation de M. Thomson de présenter de nouveaux éléments de preuve. Il a examiné chacun des documents et a appliqué les quatre critères énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, 30 N.R. 181, et adoptés lors d’une décision portant sur une demande de réexamen intitulée Mackay c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. n495 (C.F. 1re inst.).

[30] Concernant ces critères :

  1. En ce qui a trait au premier critère, la diligence raisonnable, le Tribunal a suivi les enseignements de la Cour fédérale dans la décision Canada (Bureau de services juridiques des pensions) c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1317, 302 F.T.R. 201, et n’a pas accordé une importance démesurée au principe de diligence raisonnable;

  2. Quant au deuxième critère, la pertinence, le Tribunal a conclu que la Proposition 715891 de 1972 et la Proposition 732762 de 1974 étaient pertinentes, mais que le Règlement de 1978 ne l’était pas;

  3. Au sujet du troisième critère, la crédibilité, le Tribunal a conclu que les trois documents étaient crédibles.

[31] C’est en regard du quatrième critère – celui de savoir si les nouveaux documents, examinés avec les autres éléments de preuve présentés au CAA, auraient influé sur le résultat – que les documents ont été rejetés. Le Tribunal a jugé qu’aucun des documents n’influerait sur le résultat et, donc, qu’aucun d’eux ne satisfaisait au critère de la nouvelle preuve.

[32] En ce qui concerne le Règlement de 1978, le Tribunal a conclu que ni la loi ni le règlement ne sont des « éléments de preuve ». Il s’agit plutôt de textes réglementaires qui témoignent de l’état du droit à un moment précis. Le critère en quatre volets pour la présentation de nouveaux éléments de preuve ne s’applique donc pas au Règlement de 1978.

[33] Le Tribunal a néanmoins procédé à un examen des quatre critères et a conclu que la version du Règlement de 1978 qui a été présentée n’était pas pertinente et qu’on ne pouvait vraisemblablement pas s’attendre à ce qu’elle modifie la Décision du CAA de 2014. L’interprétation de la loi n’aurait pas changé.

[34] Je suis en désaccord avec le Tribunal quant à la pertinence du Règlement de 1978. Il est possible que le Règlement de 1978 ait été pertinent pour interpréter l’alinéa 3(1)a) du Règlement. Je suis toutefois d’avis qu’il était néanmoins raisonnable pour le Tribunal de conclure que l’interprétation qui a été faite de l’alinéa 3(1)a) du Règlement n’aurait pas changé.

[35] Le recours de M. Thomson au Règlement de 1978 était mal placé. La définition de « pension » qui y est formulée s’applique uniquement à ce Règlement. Qui plus est, cette définition a été abrogée en 1990, un an avant l’accident. Je souscris aux conclusions formulées dans la décision 2015 CF Thomson, selon lesquelles il n’y avait aucune raison d’aller au-delà du sens ordinaire de l’alinéa 3(1)a) du Règlement, car son libellé est clair. Dans la décision 2015 CF Thomson, la Cour fédérale a conclu, aux paragraphes 57 et 58, que cette disposition n’était pas ambiguë : « Le Parlement a simplement décidé de ne pas inclure les allocations visées à l’annexe III de la Loi sur les pensions dans les indemnités versées aux pensionnés civils du RICAA ». Cette conclusion a été confirmée au paragraphe 32 de l’arrêt 2016 CAF Thomson.

[36] Ensuite, quant à la Proposition 715891 de 1972, le Tribunal a reconnu que ce document n’avait jamais été présenté au décideur administratif, mais a conclu que, puisque la Cour avait examiné des documents semblables à ceux présentés par M. Thomson et avait conclu qu’ils n’appuyaient pas sa thèse, ces documents n’auraient pas changé le résultat.

[37] Je note, dans la Décision du Tribunal de 2020 et dans le dossier qui a été présenté à notre Cour, que le Tribunal, en parlant de documents semblables, renvoyait tout au moins à la Proposition 732762 de 1974. Il était raisonnable pour le Tribunal d’en arriver à cette conclusion.

[38] De fait, la Proposition 732762 de 1974 avait déjà été soumise au CAA en 2014; par conséquent, la Cour fédérale dans 2015 CF Thomson et notre Cour dans 2016 CAF Thomson en avaient également été saisies. Comme ce document avait déjà été examiné, il ne satisfait pas au critère de la « nouvelle » preuve.

[39] En résumé, il était raisonnable pour le Tribunal de conclure qu’aucun des documents présentés par M. Thomson ne répondait au critère de la nouvelle preuve. Quoi qu’il en soit, même si le Règlement de 1978 et la Proposition 715891 de 1972 avaient été admis à titre de « nouvelle preuve », ils n’auraient pas modifié le résultat de l’analyse des dispositions législatives dans l’arrêt 2016 CAF Thomson.

C. L’autorité de la chose jugée

[40] J’aimerais ajouter quelques mots au sujet de la conclusion de la Cour fédérale dans la décision 2021 CF Thomson, à savoir que la question de l’erreur de droit alléguée a autorité de chose jugée. Je conviens avec la Cour fédérale que les trois éléments de cette règle ont été satisfaits : il s’agit des mêmes parties; la Cour d’appel fédérale a été saisie des mêmes questions liées à l’interprétation de l’alinéa 3(1)a) du Règlement; et la décision était définitive (2021 CF Thomson aux paras. 39 à 41). Cependant, comme l’a reconnu la Cour fédérale au paragraphe 42 de ses motifs, l’application de l’autorité de la chose jugée ne met pas fin au débat sur cette question. Il est implicite dans la disposition autorisant un réexamen en présence d’une erreur de droit que l’interprétation qui a été faite d’une disposition législative particulière pourrait être erronée. L’autorité de la chose jugée n’est donc pas un obstacle. La situation pourrait aussi être examinée sous l’angle de l’article 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui prévoit que le réexamen s’applique « par dérogation à l’article 31 ». C’est l’article 31 qui prévoit qu’une décision du CAA est définitive. Comme l’article 32 l’emporte sur le caractère définitif de la Décision du CAA de 2014, on peut se demander si l’autorité de la chose jugée s’applique toujours.

V. Conclusion

[41] Je conclus que la Décision du Tribunal de 2020 est raisonnable. Les motifs satisfont aux critères de transparence, d’intelligibilité et de justification énoncés dans l’arrêt Vavilov. Les motifs expliquent comment et pourquoi la décision a été rendue et démontrent que les arguments de M. Thomson ont été considérés. La Décision du Tribunal de 2020 a été fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui se justifiait au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le Tribunal était assujetti pour mener un réexamen.

[42] Ni le Tribunal ni la Cour fédérale ni notre Cour ne peuvent modifier le libellé de l’alinéa 3(1)a) du Règlement.

[43] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Comme l’intimé ne demande pas de dépens, je proposerais qu’aucuns ne soient accordés.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-218-21

INTITULÉ :

ROBERT JAMES THOMSON c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 mai 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Robert James Thomson

 

Pour l’appelant

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Sarah Bird

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

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