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Date : 20220603


Dossier : A-259-21

Référence : 2022 CAF 103

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

 

 

SOPREMA INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

 

 

3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

 

 

intimés

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 3 mai 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 juin 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20220603


Dossier : A-259-21

Référence : 2022 CAF 103

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

 

 

SOPREMA INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

 

 

3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

 

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1] L’appelante, Soprema Inc. (Soprema) se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la juge St-Louis de la Cour fédérale (la juge de la Cour fédérale) rendu le 12 juillet 2021 (T-475-21) (Décision). La juge de la Cour fédérale a accueilli la requête déposée par 3313045 Nova Scotia Company (Nova Scotia) visant la radiation de l’Avis de demande de contrôle judiciaire (Avis de demande) déposé par Soprema.

[2] La juge de la Cour fédérale s’est dite convaincue d’une part, que l’Avis de demande déposé par Soprema était « fatalement vicié » et, d’autre part, que Soprema n’avait pas la qualité pour agir selon un intérêt direct ou public (Décision au para. 5).

I. Contexte

[3] La juge de la Cour fédérale a bien résumé les faits de la présente affaire aux paragraphes 6 à 17 de ses motifs. Pour les fins du présent appel, les faits pertinents sont les suivants.

[4] Soprema est une société qui fabrique, depuis plusieurs années, des panneaux d’isolation en mousse rigide de polystyrène extrudé avec un hydrofluorocarbure comme agent de gonflement. Nova Scotia, concurrente directe de Soprema, fabrique également ces panneaux.

[5] Dans le cadre de ses obligations internationales, le Canada a imposé des restrictions sur l’importation et la fabrication de mousse plastique et de produits en mousse rigide contenant des hydrofluorocarbures à compter du 1er janvier 2021 dans le Règlement sur les substances appauvrissant la couche d’ozone et les halocarbures de remplacement, D.O.R.S./2016-137 (Règlement). Le Règlement prévoit toutefois un système de permis par lequel le ministre de l’Environnement et du Changement climatique Canada (ministre) peut autoriser des exceptions à certaines de ces restrictions. Parmi ces permis, un permis pour « fin essentielle » peut être émis par le ministre à certaines conditions.

[6] En 2020, le ministre octroie un permis pour « fin essentielle » à Nova Scotia autorisant cette dernière, pour une période limitée, à fabriquer et importer des panneaux d’isolation en mousse rigide de polystyrène extrudé avec des hydrofluorocarbures (Règlement, articles 66, 69 et 70). À la suite de l’émission du permis en question à Nova Scotia en vertu de l’article 69 du Règlement, Soprema a transmis une lettre au mois de septembre 2020 exprimant son opposition. Le ministre a entamé une analyse en vertu de l’article 71 du Règlement qui prévoit la révocation du permis si « l’une des conditions prévues à son article 69 n’a pas été respectée ou s’il a des motifs raisonnables de croire que le titulaire du permis lui a fourni des renseignements faux ou trompeurs. » En l’espèce, le ministre prend la décision de ne pas révoquer le permis pour « fin essentielle » octroyé quelques mois plus tôt à Nova Scotia.

[7] Soprema dépose un avis de demande de contrôle judiciaire au mois de mars 2021. Nova Scotia y répond par une demande en radiation de la demande de contrôle judiciaire de Soprema. Le 12 juillet 2021, la juge de la Cour fédérale accueille la requête en radiation. Devant notre Cour, Soprema interjette appel de la décision de la juge de la Cour fédérale.

II. Questions en litige

[8] Dans la présente affaire, les questions en litige sont les suivantes :

1. La juge de la Cour fédérale a-t-elle erré en accueillant la requête en radiation?

2. La juge de la Cour fédérale a-t-elle erré en décidant que Soprema n’avait ni l’intérêt ni la qualité pour agir?

III. Norme de contrôle

[9] La norme de contrôle en l’espèce est celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions mixtes de fait et de droit et de la décision correcte pour les questions de droit (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

A. La juge de la Cour fédérale a-t-elle erré en accueillant la requête en radiation?

[10] D’entrée de jeu, la juge de la Cour fédérale s’est bien dirigée en droit en identifiant le test applicable et en reconnaissant le caractère exceptionnel d’une demande de radiation au stade préliminaire (Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Décision au para. 26).

[11] Dans la présente affaire, il importe de rappeler que le ministre a rendu deux décisions en vertu du Règlement. Lors de sa première décision, le ministre a émis le permis pour « fin essentielle » à Nova Scotia en vertu de l’article 69 du Règlement et, lors de sa deuxième décision, quelques mois plus tard, le ministre a refusé de révoquer le permis aux termes de l’article 71.

[12] Soprema a confirmé sans équivoque, lors de l’audience devant la juge de la Cour fédérale, que le ministre avait rendu deux décisions et que celle qu’elle contestait était le refus de révoquer le permis en vertu de l’article 71 (Transcription, dossier d’appel aux pp. 312 et 316; Décision au para. 22).

[13] Il est bien établi qu’un acte de procédure doit faire référence à des faits matériels allégués complets et suffisamment précis. Notre Cour a réaffirmé ce principe dans l’affaire Mancuso c. Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227, 476 N.R. 219 :

[16] L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. Comme le juge l’a relevé, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ». [Mon soulignement].

[17] La dernière partie de cette exigence, soit l’exposé de faits matériels suffisamment précis, constitue le fondement des actes de procédure correctement rédigés. Si un juge autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige. Il est essentiel que le défendeur ait en main des actes de procédure correctement rédigés de façon à préparer son système de défense. Les faits matériels servent à encadrer les interrogatoires préalables et permettent aux avocats de conseiller leur client, à préparer leurs moyens et à établir une stratégie en vue du procès. Qui plus est, les actes de procédure permettent de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès.

[14] Or, en l’espèce, la juge de la Cour fédérale a pris soin de mentionner que l’Avis de demande ne soulève pas de motifs et n’annonce pas de preuve à l’encontre de la décision du ministre que conteste Soprema, soit celle refusant la révocation du permis. (Décision au para. 37; Transcription, dossier d’appel à la p. 336).

[15] Il suffit en effet de lire le libellé de l’Avis de demande de Soprema pour constater qu’il vise l’émission du permis et non le refus de sa révocation par le ministre. La juge de la Cour fédérale a d’ailleurs souligné cette importante lacune à plusieurs reprises lors de l’audience qu’elle présidait.

[16] Par exemple, (i) selon son premier paragraphe, la demande vise « la décision du ministre d’émettre un permis pour panneaux d’isolation en mousse … en vertu des articles 66, 69 et 70 du Règlement »; (ii) les motifs de la demande ne visent que la décision d’octroyer le permis; (iii) les arguments détaillés à l’appui des motifs portent principalement sur l’émission du permis et, (iv) la majorité des conclusions recherchées vise la décision d’émettre le permis. En fait, le seul argument de l’Avis de demande qui porte sur l’article 71 du Règlement, et donc le refus par le ministre de révoquer le permis, prévoit que cette décision devrait être infirmée pour « ces mêmes raisons ». La juge de la Cour fédérale a de plus relevé que la demande faite en vertu de la Règle 317 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (Obtention de documents en la possession d’un office fédéral) ne vise que la décision d’émettre le permis (Décision aux paras. 11, 13, 16, 41 et 46; Mémoire de faits et de droit du Procureur général du Canada au para. 32).

[17] Soprema allègue que la juge de la Cour fédérale a erré en soulevant ces manquements, car elle a « pondéré » la preuve ou exigé que celle-ci soit établie au stade préliminaire des procédures, contrairement au rôle qui lui est dévolu dans le contexte d’une demande au stade préliminaire. Je ne suis pas d’accord. La juge de la Cour fédérale a plutôt constaté que les éléments de preuve avancés ne permettraient pas à Soprema de démontrer que la décision du ministre de refuser la révocation du permis était déraisonnable (Règle 301(f)), ce qui ne constitue pas une erreur.

[18] Devant l’incertitude et l’ambiguïté entretenues par Soprema quant à, d’une part, la décision contestée et, d’autre part, son Avis de demande, la juge de la Cour fédérale s’est avouée « passablement surprise ». À mon avis, la juge de la Cour fédérale a soulevé des préoccupations légitimes quant à la suffisance de l’Avis de demande afin de permettre à Soprema d’y répondre et d’y remédier, mais cette dernière n’y a pas donné suite. (Transcription, dossier d’appel aux pp. 305, 306, 315-319, 326, 333, 336). L’argument de Soprema selon lequel la juge de la Cour fédérale a erré en soulevant ces préoccupations car elle aurait « jugé au-delà de ce qui lui était demandé » est sans fondement.

[19] Soprema prétend également qu’en accueillant la requête en radiation, la juge de la Cour fédérale devait donc, du même souffle, permettre à Soprema d’apporter des modifications bien qu’elles ne les aient pas sollicitées. Plus particulièrement, Soprema avance que la juge de la Cour fédérale a erré en tenant pour acquis que Soprema ne demanderait jamais une modification à son Avis de demande.

[20] La Règle 221 des Règles des Cours fédérales se lit comme suit :

Radiation d’actes de procédure

Striking Out Pleadings

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[21] Soprema soumet aussi brièvement, à titre d’argument subsidiaire, qu’advenant que notre cour décide que la juge de la Cour fédérale n’ait pas commis d’erreur en concluant que l’Avis de demande était effectivement vicié, elle doit lui permettre néanmoins de procéder à des modifications « dans le but de corriger les vices l[e] frappant » (Mémoire de fait et de droit de Soprema au para. 135).

[22] Tout d’abord, il m’apparaît incongru de la part de Soprema d’avancer a posteriori que la juge de la Cour fédérale a erré, car elle aurait omis d’autoriser une demande de modifications qui, dans les faits, ne lui a pas été soumise. Il ressort en effet des motifs de la juge de la Cour fédérale qu’elle n’a pas accordé de modifications à Soprema afin de pallier aux omissions de son Avis de demande car cette dernière a fait défaut d’indiquer son intention de le modifier :

[42] Soprema soutient que la mention d’allégués factuels suffit pour satisfaire la Règle 301 et qu’il ne s’agit que de demander un amendement, au niveau du droit, pour pouvoir ensuite le plaider. Même si cette proposition s’avérait fondée, Soprema n’a, en l’instance, soumis aucune demande de modification de son Avis en lien avec les omissions précitées. [Mon soulignement].

[23] Soprema ne conteste pas cette conclusion de la juge de la Cour fédérale.

[24] Tel qu’indiqué précédemment, il ressort clairement de la transcription que la juge de la Cour fédérale a soulevé des préoccupations précises et légitimes quant à la suffisance de l’Avis de demande lors de l’audience. Lors de ses échanges avec la juge de la Cour fédérale, la procureure de Soprema a plutôt entretenu le flou quant à ses intentions. Ce flottement, ne s’est d’ailleurs pas dissipé devant notre cour. À titre d’exemple, Soprema n’a toujours pas précisé la teneur des modifications qu’elle souhaiterait apporter à son Avis de demande si cette Cour faisait droit à sa requête; comment, à ce stade-ci des procédures, ces modifications lui permettraient de remédier aux défauts de l’Avis de demande; et comment, elles seraient conformes à la Règle 302 qui énonce qu’une « demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée ».

[25] Je suis donc d’avis que, dans les circonstances de cette affaire, la juge de la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en accueillant la requête pour radiation comme elle l’a fait dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, 176 NR 48). Il n’est donc pas nécessaire d’aborder la question de la qualité pour agir (intérêt direct ou intérêt public).

[26] Pour tous ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a.»

«Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a.»

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-259-21

 

INTITULÉ :

SOPREMA INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et 3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 mai 2022

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 juin 2022

 

 

COMPARUTIONS :

Christine Duchaine

Sylviane René

 

Pour l'appelante

SOPREMA INC.

 

Michelle Kellam

Thomas Swerdfager

Pour les intimés

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Guillaume Pelegrin

Gaëlle Obadia

3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sodavex Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

SOPREMA INC.

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour les intimés

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Fasken Martineau Dumoulin

Montréal (Québec)

 

3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

 

 

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