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Date : 20220617


Dossier : A-142-21

Référence : 2022 CAF 117

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

CRAIG LEVETT et NATHALIE BENSMIHAN

OFER BAAZOV et CATHY BENSMIHAN

9179-3786 QUÉBEC INC.

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimés

Audience tenue à Montréal (Québec), le 3 mai 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 juin 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20220617


Dossier : A-142-21

Référence : 2022 CAF 117

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

CRAIG LEVETT et NATHALIE BENSMIHAN

OFER BAAZOV et CATHY BENSMIHAN

9179-3786 QUÉBEC INC.

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1] Notre Cour est saisie d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale (la juge St-Louis) rendu le 12 avril 2021. La Cour fédérale a rejeté les demandes de contrôle judiciaire modifiées et réunies présentées par les appelants relativement à la validité de trois demandes de renseignements (les DR) adressées par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC ou l’intimée) à l’Administration fiscale fédérale suisse (les autorités suisses).

[2] Les appelants sont tous des contribuables canadiens. Craig Levett et Nathalie Bensmihan sont mariés, tout comme Offer Baazov et Cathy Bensmihan. L’appelante 9179‑3786 Québec Inc. (9179 Inc.) est une société appartenant à M. Levett. Les DR en cause ont été envoyées aux autorités suisses dans le contexte de vérifications effectuées par l’ARC aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) relativement à des investissements étrangers et à du revenu étranger que les appelants n’ont peut-être pas déclaré comme il se doit au Canada.

[3] Les deux premières DR, toutes deux datées du 30 octobre 2017, concernaient M. Levett et Mme Nathalie Bensmihan d’une part, et M. Baazov et Mme Cathy Bensmihan d’autre part. Dans les deux DR, on demandait aux autorités suisses exactement les mêmes renseignements bancaires liés aux comptes vraisemblablement détenus par les appelants ou deux sociétés, Zhapa Holdings et Kilworthy Limited, auprès de Hyposwiss Private Bank, de même qu’aux comptes vraisemblablement détenus par les appelants ou une société appelée Optivilla Holding auprès de la Banque Union Bancaire Privée (Banque UBP). La troisième DR datée du 19 avril 2018 concernait la vérification de 9179 Inc., dans laquelle on demandait des renseignements financiers et organisationnels au sujet d’une entité suisse du nom de Socimbal AG (Socimbal) relativement à un prêt non remboursé de 1 300 000 $ US consenti par cette société à 9179 Inc. en mars 2007.

[4] Les DR ont été établies aux termes d’une convention fiscale entre le Canada et la Suisse, soit la Convention Canada‑Suisse en matière d’impôt sur le revenu, signée à Berne en 1976, modifiée par la Convention entre le Gouvernement du Canada et le Conseil fédéral suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Berne en 1997, et modifiée de nouveau par le Protocole amendant la Convention entre le Gouvernement du Canada et le Conseil fédéral suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signé à Berne en 2010, qui, à l’article XII, établit un « Protocole interprétatif » (la Convention fiscale). La Convention fiscale a force de loi au Canada conformément à l’article 19 de la Loi de mise en œuvre des conventions conclues entre le Canada et le Maroc, le Canada et le Pakistan, le Canada et Singapour, le Canada et les Philippines, le Canada et la République Dominicaine et le Canada et la Suisse, tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu, L.C. 1977, ch. 29, et à l’article 12 de la Loi de 2013 pour la mise en œuvre de conventions fiscales, L.C. 2013, ch. 27.

[5] Les appelants ont contesté devant les tribunaux la légalité des DR, invoquant plusieurs motifs. Dans une décision de 59 pages publiée sous la référence 2021 CF 295, la Cour fédérale les a tous rejetés.

[6] Devant notre Cour, les appelants soutiennent que les DR auraient dû être annulées au motif que l’ARC i) n’avait pas épuisé tous les recours nationaux en vue d’obtenir les renseignements demandés; ii) a fondé les DR sur des allégations fausses qu’elle savait fausses; iii) n’a pas fait une divulgation complète et fidèle aux autorités suisses; iv) a cherché et obtenu de manière illégale des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat; v) a divulgué illégalement des renseignements confidentiels sur un contribuable. Ils allèguent que, la Cour fédérale ayant tiré une tout autre conclusion, sa décision devrait être infirmée. Les appelants soutiennent également que la Cour fédérale a commis une erreur en autorisant le dépôt de parties seulement d’un affidavit supplémentaire souscrit par Me Charles Leibovich le 19 août 2019 (l’affidavit supplémentaire). Me Leibovich était le représentant légal de Nathalie Bensmihan au moment où elle a fait l’objet d’une vérification par l’ARC.

[7] Notre rôle dans le présent appel est de déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et, dans l’affirmative, si elle l’a correctement appliquée à l’examen des DR. Au moment de déterminer si cette norme a été appliquée correctement, la Cour doit « se met[tre] à la place » de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision administrative faisant l’objet du contrôle (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paras. 45 à 47; Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, [2021] 12 W.W.R. 1, au para. 10).

[8] Il n’est pas contesté que la Cour fédérale a choisi à juste titre la norme de contrôle de la décision raisonnable qui est présumée s’appliquer à son examen des trois premières questions énumérées ci-dessus. Cela est tout à fait conforme aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, au para. 25 [Vavilov]. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans Vavilov, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Cette norme exige qu’une cour de révision « fasse preuve de déférence envers une telle décision » (Vavilov, au para. 85).

[9] Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle à appliquer aux deux autres questions. Selon les appelants, la norme de la décision correcte s’applique à la question de la violation du privilège des communications entre client et avocat. Quant à la question de la divulgation des renseignements sur un contribuable, les appelants soutiennent que, bien qu’il convienne d’appliquer la norme de la décision raisonnable, cette norme doit être appliquée en suivant la démarche énoncée dans Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395 [Doré], car, selon eux, cette question particulière met en jeu leurs droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte).

[10] La Cour fédérale a déterminé qu’aucun des droits garantis par la Charte invoqués par les appelants n’entrait en jeu en l’espèce, de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’invoquer Doré dans l’examen du caractère raisonnable des DR. Quant à la question du privilège des communications entre avocat-client, la Cour fédérale a conclu que les renseignements qui auraient été obtenus en violation de ce privilège n’avaient aucune pertinence, car ils n’ont joué aucun rôle en ce qui concerne la présentation des DR. Par conséquent, la Cour fédérale a choisi d’examiner la légalité des DR en appliquant la norme de la décision raisonnable.

[11] L’intimée soutient que le choix de la Cour fédérale était le bon, et insiste sur le fait que la présentation d’une DR est une décision discrétionnaire qui exige de faire preuve d’une grande retenue lors d’un contrôle judiciaire.

[12] Comme j’en ferai mention plus loin, je conclus que la Cour fédérale a choisi d’appliquer la norme de contrôle appropriée, et qu’elle l’a appliquée correctement. Je ne vois donc aucune raison d’interférer avec cette décision.

I. Question relative à l’épuisement des recours nationaux

[13] Les appelants soutiennent que les deux DR présentées le 30 octobre 2017 (les DR concernant Levett-Baazov) et la DR présentée le 19 avril 2018 (la DR concernant 9179 Inc.) sont déraisonnables parce que l’ARC n’a pas épuisé tous les recours nationaux raisonnables disponibles pour obtenir les renseignements demandés dans les DR avant de recourir à ces demandes. Plus précisément, ils allèguent qu’avant de présenter les DR, l’ARC ne s’est jamais servie des pouvoirs que lui confèrent les articles 231.1, 231.2 ou 231.7 de la Loi, et qu’elle n’a donc pas i) inspecté, vérifié ou examiné les livres et registres pour tenter de trouver les renseignements; ii) exigé officiellement la production des renseignements ou; iii) sollicité une ordonnance judiciaire pour forcer la production des renseignements.

[14] Les appelants soulignent à juste titre que l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif de la Convention fiscale (le Protocole interprétatif) exigeait de l’ARC qu’elle ait recours à une DR qu’« une fois qu’[elle] a utilisé tous les moyens raisonnables et disponibles selon sa procédure fiscale interne pour obtenir les renseignements ». Toutefois, comme la Cour fédérale l’a noté à bon droit, l’ARC n’est pas tenue d’exercer tous les recours nationaux disponibles pour obtenir les renseignements, mais uniquement ceux qui sont raisonnables.

[15] L’élément clé de cette obligation est le terme « raisonnable ». Ce libellé laisse fortement entendre un certain pouvoir discrétionnaire pour déterminer, dans un cas donné, que tous les moyens raisonnables et disponibles prévus par la Loi en vue d’obtenir les renseignements demandés ont été utilisés avant d’envoyer une DR aux autorités suisses. Il tend aussi nettement à indiquer que cette décision sera prise en tenant compte des circonstances particulières de chaque cas.

a. Les DR concernant Levett-Baazov

[16] Pour ce qui est des DR concernant Levett-Baazov, il ressort du dossier que l’ARC a reçu des renseignements d’un pays partenaire, et qu’elle a recueilli des renseignements sur MM. Baazov et Levett dans des forums de discussion en ligne, ce qui l’a amenée à croire que ces derniers n’auraient peut-être pas déclaré des investissements et des revenus étrangers au cours des années d’imposition faisant l’objet de la vérification, soit les années d’imposition 2011 à 2013 dans le cas de M. Levett, et 2010 à 2013 dans le cas de M. Baazov.

[17] Le 30 juin 2015, dans le cadre de la vérification effectuée par l’ARC, des questionnaires ont été envoyés à MM. Levett et Baazov conformément à l’article 231.1 de la Loi. Ces questionnaires contenaient plusieurs questions, à savoir si ceux-ci ou des membres de leur famille possédaient des résidences, des biens, des comptes bancaires ou des comptes de placement à l’extérieur du Canada, et si ceux-ci ou des membres de leur famille avaient affaire à des entreprises, des fiducies et d’autres entités à l’extérieur du Canada.

[18] En réponse à ces questionnaires, MM. Levett et Baazov ont nié avoir des intérêts étrangers ou entretenir des liens avec des sociétés ou entités étrangères. En mars 2016, la vérificatrice de l’ARC responsable de la vérification a interrogé MM. Levett et Baazov. Encore une fois, ils ont tous deux nié avoir de tels intérêts ou entretenir de tels liens. Selon le dossier, aucun des appelants n’a déposé le formulaire T1134 ou T1135 pour les années d’imposition en cause. Ces formulaires sont des déclarations annuelles obligatoires pour les Canadiens qui, respectivement, possèdent un montant minimal d’actions d’une société étrangère, ou qui possèdent des actifs étrangers ou un revenu étranger évalué à plus de 100 000 $ CA.

[19] Les notes d’entrevue de la vérificatrice indiquent que M. Baazov a été mis en présence de renseignements le liant à Zhapa Holdings. Il a toutefois déclaré n’avoir jamais participé aux activités de cette société, précisant qu’il n’en avait même jamais entendu parler. En ce qui concerne M. Levett, on l’a interrogé sur l’existence possible de liens avec Zhapa Holdings et Kilworthy Limited. Il a répondu qu’il ne connaissait rien de Kilworthy Limited et qu’il n’avait jamais eu de liens avec Zhapa Holdings, même s’il avait entendu parler de cette société.

[20] La vérificatrice a expliqué qu’elle n’était pas en position de demander une ordonnance de la Cour en vertu de l’article 231.7 de la Loi pour forcer la production de renseignements sur ces entités étrangères parce que MM. Levett et Baazov avaient répondu à sa demande de renseignements au titre de l’article 231.1 de la Loi et qu’elle n’était pas en possession de renseignements suffisants pouvant contredire leurs réponses. Elle a aussi expliqué que la procédure prévue à l’article 231.2 de la Loi n’était pas une option parce que les renseignements qu’elle cherchait – et qu’elle n’avait pas été en mesure d’obtenir – concernaient des entités étrangères.

[21] La vérificatrice a décidé de procéder avec les DR concernant Levett-Baazov après avoir pris connaissance d’une décision du Tribunal administratif des marchés financiers du Québec, accessible au public et datée du 6 avril 2017 (la décision du TMF), qui l’a portée à croire que MM. Levett et Baazov pouvaient avoir des intérêts étrangers ou entretenir des liens avec des entités étrangères. Plus précisément, cette décision traitait des liens possibles avec Kilworthy Limited et Optivilla Holding. La vérificatrice n’a pas cru bon de présenter ces renseignements à MM. Levett et Baazov, comme ils avaient toujours déclaré n’avoir aucun actif, aucun revenu, ni aucune activité à l’étranger, à l’exception du revenu étranger total de 3 467 $ déclaré par M. Levett en 2015. Elle a de plus expliqué que les DR n’avaient aucun lien avec les vérifications effectuées à l’égard des épouses de MM. Levett et Baazov, qui concernaient la vente des actions d’une société étrangère, ajoutant que les noms de Nathalie et de Cathy Bensmihan étaient mentionnés dans les DR concernant Levett-Baazov seulement lorsque leurs maris les avaient utilisés comme prête‑noms pour détenir des actifs à l’étranger.

[22] Les appelants soutiennent que l’ARC n’en a pas fait assez pour exercer tous les recours nationaux en vue d’obtenir les renseignements demandés dans ces DR. Je ne suis pas de cet avis, et je conclus qu’il était raisonnablement loisible à l’ARC, dans les circonstances de l’espèce, de procéder avec les DR concernant Levett-Baazov au moment où elle l’a fait, compte tenu du fait que MM. Levett et Baazov avaient jusqu’ici déclaré à plusieurs reprises n’avoir aucun actif, aucun revenu, ni aucune activité au cours des années d’imposition en cause. On peut se demander combien de fois MM. Levett et Baazov ou leurs représentants avaient dû dire à l’ARC, malgré les indices laissant supposer le contraire, qu’ils n’avaient aucun actif ni activité au cours de ces années avant d’envisager l’envoi d’une DR aux autorités suisses.

[23] Comme le mentionne l’intimée, le régime fiscal canadien repose sur l’autodéclaration et l’autocotisation par les contribuables (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, 68 D.L.R. (4th) 568, pp. 636 et 637 [McKinlay]; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, au para. 54; Voitures Orly Inc. c. Canada, 2005 CAF 425, 345 N.R. 284, au para. 20). C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit d’impôt fédéral, l’ARC est investie de vastes pouvoirs lui permettant de vérifier les renseignements déclarés par les contribuables dans leurs déclarations de revenus (McKinlay, p. 648; Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381, aux paras. 1, 6 et 31; Canada (Revenu national) c. Chambre immobilière du grand Montréal, 2007 CAF 346, [2008] 3 R.C.F. 366, aux paras. 34 et 47, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 386 N.R. 397 (note)). L’un de ces moyens est l’échange de renseignements avec les pays étrangers grâce aux accords fiscaux internationaux. La Convention fiscale est l’un de ces accords, car son article 25 prévoit un mécanisme d’échange de renseignements avec un pays étranger, la Suisse.

[24] Il est bien établi que « [c]ontrairement à une loi fiscale ordinaire un traité ou une convention en matière d’impôt doit être interprété de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties », ce qui veut dire « éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l’objet fondamental du traité pourrait être rejeté ou contrecarré dans la mesure où le point particulier à l’étude est visé » (Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, 125 D.L.R. (4th) 485, au para. 43 [Crown Forest], citant Succession J. N. Gladden c. La Reine, [1985] 1 C.T.C. 163 (C.F. 1re inst.) 1985 A.C.F. no 31 (QL/Lexis), pp. 166 et 167 (souligné dans l’original); voir également la décision Société de fiducie Blue Bridge Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CF 893, 2020 CarswellNat 3732 (WL Can), au para. 18, conf. par 2021 CAF 62, 2021 CarswellNat 4972 (WL Can), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 39682 (16 décembre 2021) [Blue Bridge]).

[25] Les « véritables intentions » des parties peuvent être établies en recourant à des « documents extrinsèques qui font partie du contexte juridique » (Crown Forest, au para. 44). Ces documents comprennent « les conventions modèles acceptées et les commentaires officiels portant sur celles‑ci » (Crown Forest, au para. 44), tels que, comme l’a mentionné la Cour fédérale, le Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE) et les commentaires portant sur celui‑ci (2017) (le Modèle de Convention et les commentaires portant sur le Modèle de Convention), de même que le Manuel de mise en œuvre des dispositions concernant l’échange de renseignements à des fins fiscales, approuvé par le Comité des affaires fiscales de l’OCDE (Paris : 2006) (le Manuel).

[26] Lorsque le libellé de l’article 25 de la Convention fiscale est interprété à la lumière de ces « documents extrinsèques » (commentaires sur l’article 26 du Modèle de Convention, au para. 6; Manuel, au para. 23 et page 9, no 13), il devient évident que les véritables intentions des parties à cet accord étaient de promouvoir l’échange de renseignements dans la mesure maximale possible, et non de restreindre sa portée (Blue Bridge, au para. 20, traitant d’une disposition semblable de la Convention entre le Canada et la France tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris en 1975 et modifiée par les protocoles signés à Ottawa en 1987 et en 1995 et à Paris en 2010).

[27] Il convient également de souligner à ce stade-ci qu’au moyen de conventions fiscales telles que la Convention fiscale, les pays membres de l’OCDE « reconnaissent depuis longtemps la nécessité de clarifier, unifier et garantir la coopération administrative en matière fiscale, notamment par l’échange de renseignements et l’assistance en matière de recouvrement des impôts, en vue de prévenir l’évasion et la fraude fiscales » (Introduction du Modèle de Convention, au para. 2).

[28] En ce qui concerne l’article 25, les véritables intentions des parties, tel qu’elles ressortent des documents extrinsèques (à savoir, la promotion de l’échange de renseignements dans la mesure maximale possible, en vue, notamment de prévenir l’évasion et la fraude fiscales) se reflètent, selon moi, dans le texte même de cette disposition, de même que dans celui du Protocole interprétatif :

a. il suffit que les renseignements pouvant faire l’objet d’un échange de renseignements soient « vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts visés par la Convention » (paragraphe 25(1));

b. la notion de « pertinence vraisemblable » a pour but de s’« assurer [d’]un échange de renseignements [en matière fiscale] qui soit le plus large possible », pourvu que l’État requérant n’aille pas à la « pêche aux renseignements » ou ne demandent pas de renseignements « dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé » (alinéa 2c du Protocole interprétatif annexé à la Convention fiscale);

c. les exigences de procédure énoncées à l’alinéa 2b du Protocole interprétatif, qui portent sur les renseignements qui doivent être fournis par l’État requérant qui présente une DR, doivent être interprétées « de façon à ne pas nuire à l’échange effectif de renseignements » (alinéa 2c du Protocole interprétatif annexé à la Convention fiscale).

[Non souligné dans l’original.]

[29] MM. Levett et Baazov ne m’ont pas convaincu que, pour les années d’imposition visées par les vérifications, la présentation des DR concernant Levett-Baazov et examinées à la lumière de l’objectif premier de l’article 25 – qui est d’encourager l’échange de renseignements dans la mesure maximale possible – et des circonstances particulières de l’espèce, était déraisonnable. Comme tous les pouvoirs dont l’exercice comporte une certaine discrétion, l’exercice abusif de ces pouvoirs justifiera généralement l’intervention de la cour de révision (Vavilov, au para. 108; Guy Régimbald, Canadian Administrative Law, 3e éd. (Toronto: LexisNexis, 2021), pp. 230 à 256). La preuve n’en a toutefois pas été faite en l’espèce.

[30] Lors de l’audition du présent appel, les appelants ont beaucoup insisté sur le fait que, dans les DR concernant Levett-Baazov, on demandait des renseignements sur les années d’imposition 2011 à 2015, alors que MM. Levett et Baazov ont fait l’objet d’une vérification à l’égard des années d’imposition 2010-2011 à 2013. Ils allèguent que l’ARC ne peut simplement pas avoir épuisé tous les recours nationaux raisonnables relativement aux années d’imposition 2014 et 2015, parce que ni l’un ni l’autre n’a fait l’objet d’une vérification ou n’a eu à répondre à des questions de l’ARC au sujet de ces années.

[31] À première vue, les appelants ont un bon argument. Cependant, le dossier est plus complexe. La vérificatrice a expliqué qu’elle avait inclus ces deux années d’imposition dans les DR concernant Levett-Baazov parce que la décision du TMF mentionnait le fait que le compte Optivilla Holding détenu auprès de la Banque UBP était fermé depuis 2016 et que son solde créditeur avait été transféré dans une autre institution financière suisse, dont le titulaire du compte ne pouvait être identifié. Elle a donc prévu étendre les vérifications de MM. Levett et Baazov aux années d’imposition 2014 et 2015, mais entre-temps, elle a cru que les renseignements de la Banque UBP et d’Hyposwiss Private Bank, qui englobaient les années 2014 et 2015, pourraient être pertinents quant aux vérifications en cours qu’elle effectuait à l’égard de MM. Levett et Baazov.

[32] La vérificatrice a également expliqué qu’elle envisageait obtenir des renseignements auprès de MM. Levett et Baazov, mais qu’elle s’attendait à n’obtenir aucune autre réponse que celles qui avaient été données lorsque ces derniers avaient été interrogés au sujet des années d’imposition 2010-2011 à 2013, étant donné que, exception faite de M. Levett, qui a déclaré un revenu étranger de 3 467 $ pour l’année d’imposition 2015, aucun de ces appelants n’a déclaré d’investissements, de revenus ou d’actifs étrangers pour les années d’imposition 2014 et 2015.

[33] J’ajouterais que les autorités suisses savaient que les vérifications prévues par les DR concernant Levett-Baazov ne visaient que les années d’imposition 2010-2011 à 2013, et que l’ARC avait l’intention d’étendre ces vérifications aux années d’imposition 2014 et 2015. C’est ce qui ressort de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral de la Suisse rendu en octobre 2019 (l’arrêt du TAF), dans lequel le Tribunal a rejeté la contestation par les appelants de l’ordonnance prononcée par les autorités suisses enjoignant aux appelants de produire les renseignements visés par ces DR (Tribunal administratif fédéral, division I, 29 octobre 2019, A. et al. v. Swiss Federal Tax Administration (ESTV), A-223/2019 (arrêt du tribunal suisse)). Dans cet arrêt, le TAF a conclu que l’ARC avait épuisé tous les recours nationaux raisonnables disponibles pour obtenir les renseignements. En ce qui concerne les années 2014 et 2015 plus précisément, le TAF a conclu que l’ARC avait le droit de présumer que les appelants opposeraient les mêmes démentis au sujet des investissements étrangers ou du revenu étranger, comme ils l’ont fait pour les années d’imposition 2010-2011 à 2013 (arrêt du TAF, au para. 4.1.5).

[34] Il est évident que l’arrêt du TAF ne lie pas notre Cour, mais je conclus que, compte tenu des faits de l’espèce tels qu’ils ressortent du dossier, il était raisonnablement loisible à l’ARC, comme je l’ai mentionné précédemment, à la lumière du libellé et de l’objectif premier de l’article 25 de la Convention fiscale et de son Protocole interprétatif, d’inclure dans les DR concernant Levett-Baazov une mention aux années 2014 et 2015, même si je suis d’accord avec la Cour fédérale qu’il aurait été préférable que l’ARC décrive avec plus d’exactitude le statut des années 2014 et 2015 dans le contexte des vérifications effectuées à l’égard de MM. Levett et Baazov.

b. La DR concernant 9179 Inc.

[35] En ce qui a trait à la DR concernant la vérification de 9179 Inc., les appelants soutiennent que l’ARC n’a jamais communiqué avec la personne-ressource de Socimbal, dont ils lui avaient fourni le nom. Ils mentionnent qu’il est évident que l’ARC n’avait pas épuisé tous les recours nationaux raisonnables disponibles pour obtenir les renseignements qu’elle souhaitait obtenir au sujet de Socimbal, et qu’elle était au courant de ce manquement. La vérificatrice a expliqué qu’elle n’avait pas le pouvoir légal d’exiger des renseignements de la personne‑ressource chez Socimbal, puisqu’elle n’était ni une résidente canadienne ni une personne qui exploitait une entreprise au Canada.

[36] Comme il est indiqué au début des présents motifs, Socimbal est une entité suisse. Les renseignements demandés sur cette entité dans la DR concernant 9179 Inc. étaient clairement des renseignements étrangers. Les appelants n’ont pas expliqué comment l’ARC pouvait invoquer les articles 231.1, 231.2 ou 231.6 de la Loi afin d’obtenir ces renseignements sur Socimbal ou ses représentants en Suisse. La vérificatrice a admis ne pas avoir communiqué avec la personne‑ressource chez Socimbal, en Suisse, parce qu’elle n’était pas autorisée légalement à le faire, mais a soutenu que le fait de communiquer avec cette personne aurait été peu utile puisque l’ARC n’avait pas le pouvoir d’exiger la production des documents d’une société ou d’une entité étrangère.

[37] Comme la Cour fédérale l’a fait remarquer, et comme le démontre le dossier, la seule explication que la vérificatrice a été en mesure d’obtenir des appelants ou des représentants de 9179 Inc. ici au Canada au sujet du prêt en cause était que le prêteur, Socimbal, en était satisfait. Autrement dit, on a jugé que les appelants se sont montrés peu disposés à fournir des renseignements sur cette transaction, ce qui a éveillé des soupçons. Je rappelle que, lorsque la DR concernant 9179 Inc. a été envoyée aux autorités suisses, ce prêt datait de plus de dix ans et n’avait jamais été remboursé, en totalité ou en partie, en capital ou intérêt, par 9179 Inc.

[38] Compte tenu de toutes ces circonstances, la présentation de la DR concernant 9179 Inc., qui visait à obtenir des autorités suisses des renseignements sur Socimbal, une entité étrangère, résultait selon moi de l’exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de l’ARC, compte tenu de son obligation de prendre tous les moyens raisonnables prévus par la Loi pour obtenir ces renseignements.

[39] En somme, je conclus que la prétention des appelants selon laquelle l’ARC n’a pas utilisé tous les moyens raisonnables et disponibles prévus par la Loi pour obtenir les renseignements demandés au moyen des DR concernant Levett-Baazov et de la DR concernant 9179 Inc. ne doit pas être retenue, et qu’il n’y a donc aucune raison de modifier la conclusion tirée par la Cour fédérale sur cette question.

II. Questions portant sur les fausses allégations et l’obligation d’une divulgation complète et fidèle

[40] Ces deux questions sont étroitement liées à celle portant sur l’épuisement des recours nationaux mis à la disposition de l’ARC pour l’obtention des renseignements demandés dans les DR. En fait, les appelants soutiennent que les DR présentent des vices fatals en raison de deux fausses allégations importantes. La première porte sur le fait que MM. Levett et Baazov auraient omis de fournir les renseignements relatifs aux années 2014 et 2015. La deuxième concerne le fait que l’ARC n’aurait pas épuisé tous les recours nationaux disponibles.

[41] Les appelants soutiennent également qu’en faisant ces fausses allégations, l’ARC a manqué à son obligation de fournir une divulgation complète et fidèle aux autorités suisses. Selon eux, la bonne foi des États contractants est la pierre angulaire des conventions fiscales, et l’inobservation de ce principe est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la réputation de l’État requérant. Toujours selon les appelants, le respect absolu de l’obligation de fournir une divulgation complète et fidèle est d’une importance primordiale, car les DR sont présentées ex parte alors qu’elles ont des conséquences sur les droits des contribuables concernés.

[42] De la même manière que la question relative à l’épuisement des recours nationaux mis à la disposition de l’ARC n’a pas été prise en compte, ces arguments ne peuvent non plus être retenus. J’ai déjà conclu qu’il était raisonnablement loisible à l’ARC d’envoyer les DR au moment où elle l’a fait, et que la prétention des appelants voulant que l’ARC n’ait pas à ce moment-là eu recours à tous les moyens raisonnables et disponibles prévus par la Loi pour obtenir les renseignements demandés dans les DR concernant Levett-Baazov et dans celle concernant 9179 Inc. n’est pas fondée. Par conséquent, il n’y avait rien de « faux » dans la déclaration de l’ARC contenue dans ces DR, selon laquelle elle avait utilisé tous les moyens raisonnables et disponibles prévus par la Loi pour obtenir ces renseignements.

[43] En ce qui concerne les années d’imposition 2014 et 2015, comme je l’ai mentionné précédemment, le dossier indique que les autorités suisses savaient que les vérifications prévues dans les DR concernant Levett-Baazov ne visaient que les années d’imposition 2010-2011 à 2013, et que l’ARC avait l’intention d’étendre ces vérifications aux années d’imposition 2014 et 2015. Encore une fois, même si l’ARC avait pu utiliser un libellé plus précis lorsqu’il s’agit de l’intérêt qu’elle porte aux années d’imposition 2014 et 2015, compte tenu de l’ensemble du dossier, ce manque de précision n’équivaut pas selon moi à une « fausse » allégation et n’a donc aucune incidence sur le caractère raisonnable des DR concernant MM. Levett et Baazov et leurs épouses respectives.

III. Question de la divulgation des renseignements confidentiels d’un contribuable

[44] Les appelants soutiennent que l’ARC est allée au-delà de ce qu’elle était autorisée à communiquer aux autorités suisses. Ils mentionnent que les renseignements que l’ARC est autorisée à communiquer à l’appui d’une DR présentée aux termes de la Convention fiscale sont uniquement ceux qui sont énumérés à l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif, soit :

i) le nom et, dans la mesure où ils sont connus, d’autres renseignements, comme l’adresse, le numéro de compte ou la date de naissance, permettant d’identifier la ou les personnes faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête;

ii) la période visée par la demande de renseignements;

iii) les indications concernant les renseignements recherchés, notamment leur nature et la forme sous laquelle l’État requérant souhaite recevoir les renseignements de l’État requis;

iv) le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés;

v) le nom et, dans la mesure où elle est connue, l’adresse de toute personne dont il y a lieu de penser qu’elle est en possession des renseignements demandés.

[45] Les appelants soutiennent que, ce faisant, l’ARC a non seulement fait fi des exigences de cette disposition, mais qu’elle a également violé le paragraphe 241(1) de la Loi, qui protège de la divulgation de tout « renseignement confidentiel » défini au paragraphe 241(10) de la Loi.

[46] Bien qu’ils reconnaissent que le sous-alinéa 241(4)e)(xii) de la Loi crée une exception à cette interdiction lorsqu’il s’agit de fournir des renseignements confidentiels [TRADUCTION] « uniquement en conformité avec une disposition d’une convention fiscale conclue avec un autre pays ou un accord international désigné » (mémoire des faits et du droit des appelants, paragraphe 103), les appelants soutiennent que cette exception est restreinte par les conditions énoncées à l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif. Ils soutiennent plus précisément que toute communication dépassant la portée de cette disposition constitue une violation du paragraphe 241(1) de la Loi ainsi qu’une violation de leurs droits à la liberté et à la sécurité de la personne et à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garantis par la Charte.

[47] Je ne vois aucun fondement à cet argument. Je partage l’opinion de l’intimée selon laquelle l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif établit un seuil, et non un plafond. Il énonce ce que l’État requérant « fournit » à l’autorité compétente lors de la présentation d’une DR en vertu de l’article 25 de la Convention fiscale. Je ne vois rien dans le libellé de cette disposition qui aurait pour effet d’interdire à l’ARC de communiquer des renseignements généraux aux autorités suisses. Je ne vois rien non plus dans le sous-alinéa 241(4)e)(xii) de la Loi qui aurait, selon les appelants, un effet restrictif. Quoi qu’il en soit, comme l’a souligné l’intimée, conformément à l’article 14 de la Loi de 2013 pour la mise en œuvre de conventions fiscales, les dispositions de la Convention fiscale « l’emportent sur les dispositions incompatibles de tout autre loi ou règle de droit ».

[48] Comme l’a fait remarquer la Cour fédérale, les renseignements qui font partie intégrante d’une DR ne sont pas laissés en suspens puisque le paragraphe 2 de l’article 25 de la Convention fiscale dispose que les autorités suisses doivent tenir ces renseignements secrets. La confidentialité est donc assurée à l’intérieur des limites de l’article 241 de la Loi et de l’article 25 de la Convention fiscale.

[49] En somme, en gardant à l’esprit que la Convention fiscale doit recevoir une interprétation libérale qui encourage l’échange de renseignements dans la mesure maximale possible, je conclus, en me fondant sur une analyse du caractère raisonnable, qu’il n’est pas contesté que l’ARC a fourni aux autorités suisses davantage de renseignements – essentiellement des renseignements généraux – que ce qui était minimalement requis aux termes de l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif. Je suis d’avis que cela était autorisé aux termes du sous-alinéa 241(4)e)(xii) de la Loi, de sorte qu’il n’y a pas eu de violation de l’interdiction prévue au paragraphe 241(1) de la Loi. Je suis également d’accord avec la Cour fédérale que les appelants n’ont pas établi que la présentation des DR a porté atteinte à leurs droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte et qu’il était donc nécessaire de procéder à l’exercice de pondération exposé dans Doré lors de l’examen de la validité des DR.

IV. Question du privilège des communications entre avocat-client

[50] Cette question découle des renseignements recueillis au cours des vérifications de Cathy Bensmihan et de Nathalie Bensmihan (les vérifications des Bensmihan). Ces vérifications ont été effectuées pour les années d’imposition 2008 à 2013, comme je l’ai indiqué précédemment, en lien avec la vente des actions de 9191‑1982 Québec Inc. (9191 Inc.), une société québécoise, à une société espagnole. Elles ont été effectuées par un autre vérificateur que la vérificatrice en charge du dossier jusqu’en août 2018; plusieurs mois après l’envoi des DR aux autorités suisses. C’est seulement à ce moment-là que la vérificatrice a pris en charge les vérifications des Bensmihan.

[51] Les renseignements en cause concernent le grand livre des comptes en fiducie de l’avocat des actionnaires de 9191 Inc., Me David Assor. Ces renseignements (les renseignements de Me Assor) ont été fournis à l’ARC en mars 2017. Ils ont été fournis par Me Leibovich et Me Shlomi Steve Levy, qui, à cette époque, étaient les représentants légaux de Nathalie Bensmihan et de Cathy Bensmihan, respectivement. Avec ces renseignements, l’ARC a présenté une demande de fourniture de renseignements aux termes de l’article 231.2 de la Loi à TD Canada Trust relativement aux transferts de fonds déposés dans le compte en fidéicommis de Me Assor (les renseignements de la TD).

[52] Devant la Cour fédérale, les appelants ont soutenu que les renseignements de Me Assor – et les renseignements de la TD qui ont suivi – ont été obtenus en violation du privilège des communications entre avocat-client en ce que l’ARC n’a jamais vérifié, contrairement aux enseignements de Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336 [Chambre des notaires] si Nathalie Bensmihan et Cathy Bensmihan avaient donné leur consentement à la transmission de ces renseignements.

[53] La Cour fédérale a rejeté la demande des appelants. Elle en a conclu ainsi parce que i) les appelants n’avaient pas démontré que tous les critères requis pour établir l’existence du privilège des communications entre client et avocat étaient réunis; ii) la transmission des renseignements de Me Assor a été faite en conformité avec Chambre des notaires puisque ces renseignements ont été demandés directement à Nathalie Bensmihan et à Cathy Bensmihan et ont été fournis volontairement par leurs avocats; iii) la demande de renseignements présentée par la suite à TD Canada Trust découlait des renseignements de Me Assor, qui avaient été validement obtenus.

[54] La Cour fédérale a en outre conclu que, même si les renseignements de Me Assor et ceux de la TD qui ont suivi avaient été obtenus en violation du privilège des communications entre avocat-client, cet argument n’aiderait en rien les appelants puisque ces renseignements n’avaient joué aucun rôle dans la présentation des DR, surtout des DR concernant Levett-Baazov. Comme l’a souligné la Cour fédérale, les éléments de preuve au dossier indiquent que la vérificatrice n’était pas au courant des renseignements de Me Assor ni de ceux de la TD au moment de la préparation de ces DR, soit bien avant qu’elle prenne en charge les vérifications des Bensmihan.

[55] Selon les appelants, la Cour fédérale a tiré des conclusions inexactes sur cette question. Ils allèguent qu’abstraction faite des parties radiées de l’affidavit supplémentaire, une preuve abondante au dossier indique que l’ARC a tenté d’obtenir les renseignements de Me Assor autrement que directement auprès des contribuables elles-mêmes et que, ce faisant, elle a cherché à contourner le droit au secret professionnel dont bénéficiaient Cathy et Nathalie Bensmihan.

[56] Ils soulignent que l’ARC était tenue, en conformité avec Chambre des notaires, de confirmer auprès de Me Leibovich et de Me Levy que leurs clientes les avaient autorisés à fournir les renseignements de Me Assor. Les appelants affirment également que les renseignements obtenus par suite des violations du privilège des communications entre avocat-client constituaient le fondement de plusieurs déclarations figurant dans les DR. Enfin, ils soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en radiant une grande partie de l’affidavit supplémentaire pour des motifs d’ordre procédural, alors que cette partie concernait le droit fondamental au secret professionnel.

[57] J’ai de sérieuses réserves quant à l’allégation des appelants sur cette question. Indépendamment du fait que les renseignements figurant dans le compte en fidéicommis d’un avocat ne sont peut-être pas toujours visés par le privilège des communications entre avocat‑client parce qu’ils pourraient ne pas concerner la relation et les communications entre un client et son conseiller juridique (Chambre des notaires, au para. 95), des éléments de preuve au dossier indiquent que les renseignements de Me Assor ont finalement été obtenus en réponse à des demandes faites directement à Cathy et à Nathalie Bensmihan, ce qui constitue une exigence de Chambre des notaires, puisque seul le « client » peut renoncer au privilège (Chambre des notaires, au para. 45). Il semble donc que les deux contribuables aient eu l’occasion de s’assurer de la protection de leur privilège, ce qui, je le répète, constitue une exigence de Chambre des notaires.

[58] Il est vrai que les renseignements de Me Assor ont été fournis – volontairement, selon le dossier – à l’ARC par les représentants légaux des contribuables, mais le fait d’exiger de l’ARC, comme le font les appelants, qu’elle fasse des efforts supplémentaires pour s’assurer que le client ait personnellement renoncé au privilège est, selon moi, un peu exagéré. Cela est d’autant plus vrai que, dans le cas de Nathalie Bensmihan, du moins, son représentant légal, Me Leibovich, a insisté pour être l’interlocuteur de l’ARC dans toute affaire concernant la demande d’obtention des renseignements de Me Assor faite par l’ARC.

[59] Quoi qu’il en soit, je n’ai pas à trancher cette question précise puisque, selon moi, les appelants se heurtent à un obstacle insurmontable en l’espèce. En fait, comme l’a conclu la Cour fédérale, la question de savoir si les renseignements de Me Assor – et les renseignements de la TD qui ont suivi – ont été obtenus en violation du droit au secret professionnel dont bénéficiaient les Bensmihan n’a aucune pertinence dans les circonstances de l’espèce. Elle n’est pas pertinente en raison du fait que, selon les éléments de preuve au dossier et l’avis de la Cour fédérale, ces renseignements ont été recueillis par un autre vérificateur que la vérificatrice chargée des vérifications des Bensmihan, ils n’ont pas été portés à la connaissance de la vérificatrice au moment de la préparation des DR; ils n’ont donc pas été pris en compte pour les besoins de ces DR.

[60] La question de savoir si les renseignements de Me Assor et ceux de la TD, à supposer qu’ils aient été obtenus en violation du privilège des communications entre avocat-client, étaient pertinents pour déterminer la validité des DR est une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard d’une telle décision, qu’elle soit examinée au regard de la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para. 85) ou de la norme de l’erreur manifeste et dominante en appel – en supposant que l’on considère que cette conclusion sur la pertinence soit celle de la Cour fédérale, et non celle de l’ARC (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 28, au para. 46).

[61] En l’espèce, la vérificatrice a précisé que les noms de Cathy et de Nathalie Bensmihan étaient mentionnés dans les DR concernant Levett-Baazov parce qu’elle voulait s’assurer qu’elles n’avaient pas agi à titre de prête-noms pour leurs époux à l’égard de la fourniture des renseignements demandés dans les DR concernant Levett-Baazov, et non en raison des renseignements recueillis lors de la vérification des Bensmihan. Les éléments de preuve au dossier n’étayent tout simplement pas la prétention des appelants voulant que les renseignements de Me Assor et ceux de la TD constituent le fondement sur lequel l’ARC a fait plusieurs déclarations – trois au total – à l’appui des DR concernant Levett-Baazov. Cet argument, tiré des déclarations qui sont de nature générale, est tout au plus purement hypothétique.

[62] Ayant conclu que l’argument fondé sur le privilège des communications entre avocat‑client, même en cas de violation de ce privilège, ne saurait être retenu parce qu’il ne fait pas progresser la cause des appelants, il n’est pas nécessaire que j’examine l’allégation à l’encontre de la conclusion de la Cour fédérale concernant l’affidavit supplémentaire au motif que cet affidavit aurait servi à renforcer cet argument. En d’autres termes, même si cet affidavit devait être examiné dans son ensemble, cela ne changerait pas la conclusion que j’ai tirée sur cette question.

[63] Pour tous ces motifs, je conclus que la Cour fédérale, en examinant la validité des DR, a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-142-21

 

INTITULÉ :

CRAIG LEVETT et NATHALIE BENSMIHAN OFER BAAZOV et CATHY BENSMIHAN,

9179-3786 QUÉBEC INC. c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mai 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

François Barette

Nicolas Simard

 

Pour les appelants

 

Ian Demers

Dominique Castagne

Justine Allaire-Rondeau

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Montréal, Québec

 

Pour les appelants

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour les intimés

 

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