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Date : 20220620


Dossier : A-35-21

Référence : 2022 CAF 118

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

JASON SWIST et CRUDE SOLUTIONS LTD.

appelants

et

MEG ENERGY CORP.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, les 9 et 10 mars 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 juin 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20220620


Dossier : A-35-21

Référence : 2022 CAF 118

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

JASON SWIST et CRUDE SOLUTIONS LTD.

appelants

et

MEG ENERGY CORP.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I. Introduction

[1] Le brevet canadien n° 2 800 746, intitulé « Récupération de pétrole assistée par pression » (le brevet 746), décrit une méthode d’extraction des hydrocarbures lourds à partir de réservoirs souterrains. Les appelants, l’inventeur nommé et le propriétaire, respectivement, du brevet 746, ont intenté une action à la Cour fédérale contre l’intimée (MEG), un producteur de pétrole de l’Alberta. Ils allèguent que les méthodes utilisées par MEG pour extraire le pétrole contrefont les revendications 1 à 6 et 8 du brevet 746. MEG a nié la contrefaçon et a présenté une demande reconventionnelle visant une déclaration d’invalidité des revendications 1 à 8 pour cause d’antériorité, d’évidence, d’inutilité et de portée excessive. Une ordonnance de disjonction a été rendue pour reporter des questions de quantification qui pourraient nécessiter une décision jusqu’après l’étape de l’instance portant sur l’établissement de la responsabilité.

[2] À l’instruction de l’étape de la responsabilité, durant laquelle la preuve reposant sur les faits a été présentée et des témoins experts ont été entendus sur huit jours, le juge Fothergill de la Cour fédérale (2021 CF 10) a conclu qu’il n’y avait pas eu contrefaçon de la part de MEG. La Cour a également accueilli la demande reconventionnelle de MEG, en concluant à l’invalidité des revendications 1 à 8 du brevet 746 pour cause d’antériorité et d’inutilité. Toutefois, elle n’a pas reconnu l’argument de MEG selon lequel ces revendications étaient également non valides pour cause d’évidence, et a conclu qu’il n’était pas nécessaire, compte tenu de ses autres conclusions sur l’invalidité, d’examiner plus en détail l’allégation d’invalidité avancée par MEG pour cause de portée excessive.

[3] Dans le présent appel, les appelants soutiennent que la Cour fédérale a commis des erreurs donnant lieu à révision dans son interprétation du brevet 746, en concluant qu’il n’y avait pas eu contrefaçon et en tirant une conclusion d’invalidité pour cause d’antériorité et d’inutilité. Ils soutiennent de plus que le dossier en appel est suffisant pour permettre à notre Cour de trancher de nouveau les questions pour lesquelles la Cour fédérale a commis selon eux des erreurs, et que notre Cour devrait le faire. Subsidiairement, ils affirment que l’affaire devrait être renvoyée à la Cour fédérale pour être réexaminée.

[4] Pour sa part, MEG soutient que les appelants n’ont pas réussi à établir les erreurs qu’ils allèguent, et que les revendications 1 à 8 auraient également dû être jugées non valides pour cause d’évidence. Elle affirme que, si notre Cour conclut que la Cour fédérale a commis des erreurs qui justifient l’annulation du jugement faisant l’objet du présent appel, toute l’affaire, y compris les allégations de MEG concernant la portée excessive, devrait être renvoyée à la Cour fédérale.

[5] À mon avis, il n’est pas nécessaire de traiter toutes les questions soulevées par les parties pour trancher le présent appel. Je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreurs donnant lieu à révision dans son interprétation du brevet 746 ou dans ses conclusions concernant la contrefaçon et l’antériorité. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

[6] Avant de donner les raisons pour lesquelles j’en arrive à ces conclusions, permettez-moi d’expliquer brièvement les méthodes d’extraction du pétrole, puis d’exposer les revendications contestées du brevet 746. Je traite ensuite des allégations d’erreurs donnant lieu à révision, j’examine au besoin la norme de contrôle applicable, et je fournis d’autres renseignements pertinents ainsi que les motifs et les conclusions de la Cour fédérale.

II. Méthodes d’extraction du pétrole

[7] Le bitume, le type de pétrole contenu dans les sables bitumineux du Canada, est trop épais pour être pompé directement du sol à l’aide des méthodes traditionnelles. L’industrie a donc mis au point deux méthodes principales pour amener le pétrole à la surface : la stimulation cyclique par la vapeur (SCV) et le drainage gravitaire assisté par la vapeur (DGAV). Les deux méthodes reposent sur le pompage de vapeur dans un réservoir souterrain, où le pétrole est réchauffé afin de réduire sa viscosité. Le pétrole peut alors circuler plus librement jusque vers une pompe, qui amène ensuite le pétrole à la surface.

[8] Le processus consistant à pomper de la vapeur dans le réservoir est appelé [traduction] « injection », et le puits servant à injecter la vapeur est appelé [traduction] « puits d’injection ». De même, l’activité consistant à pomper le pétrole à la surface est appelée [traduction] « production », alors que le puits servant à pomper le pétrole est appelé [traduction] « puits de production ».

[9] La SCV et le DGAV diffèrent par le nombre de puits utilisés pour un seul réservoir. Avec la SCV, un puits unique injecte de la vapeur dans le réservoir, et devient ensuite un puits de production, amenant le pétrole à la surface. Le DGAV utilise une paire de puits – l’un agissant comme un puits d’injection, et l’autre, comme un puits de production.

III. Revendications pertinentes du brevet 746

[10] Le brevet 746 revendique une méthode de modification du DGAV, qui permettrait une extraction plus rapide et plus efficace du pétrole. Cette modification nécessite, entre autres choses, le positionnement d’un troisième puits entre deux paires de puits de DGAV adjacents.

[11] La revendication 1 est une revendication indépendante et est ainsi libellée :

[traduction]

1. Une méthode qui :

prévoit une première paire et une deuxième paire de puits séparées par une première séparation prédéterminée, chaque paire de puits comportant :

un premier puits dans une structure pétrolifère; et

un deuxième puits à l’intérieur de la structure pétrolifère avec un premier décalage vertical prédéterminé par rapport au premier puits, sensiblement parallèle au premier puits et un premier décalage latéral prédéterminé par rapport au premier puits;

prévoit un troisième puits dans la structure pétrolifère à un endroit prédéterminé entre la première et la deuxième paire de puits;

inclut l’injection sélective d’un premier fluide dans le premier puits de chaque paire de puits selon un premier échéancier prédéterminé dans de premières conditions prédéterminées afin de créer une zone de mobilité accrue au sein de la structure pétrolifère; et

génère une grande zone singulière de mobilité accrue en injectant sélectivement un second fluide dans le troisième puits selon un second échéancier prédéterminé dans de secondes conditions prédéterminées, qui est au moins l’une des suivantes : absence de communication entre les zones de mobilité accrue ou condition antérieure à toute communication entre celles-ci.

[12] Les revendications 2 à 8 dépendent de la revendication 1. Comme la Cour fédérale l’a reconnu (au paragraphe 70 de ses motifs), elles incorporent donc les éléments de la revendication indépendante par renvoi : Apotex Inc. c. Shire LLC, 2021 CAF 52 (arrêt Shire CAF), par. 52, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 39662 (7 octobre 2021). Ces revendications sont ainsi libellées :

[traduction]

2. Selon la revendication 1, une méthode dans laquelle

le deuxième échéancier prédéterminé déclenche l’injection du deuxième fluide dans le troisième puits avant qu’une zone d’appauvrissement résultant de l’injection du premier fluide dans le premier puits de la première paire de puits ne fusionne avec une autre zone d’appauvrissement résultant du fonctionnement simultané de la deuxième paire de puits disposée en miroir par rapport au troisième puits avec la première paire de puits.

3. Selon la revendication 1, la méthode comprend au moins un des éléments suivants :

le premier puits d’au moins une des première et deuxième paires de puits n’injecte pas le fluide alors que le deuxième puits d’au moins une des première et deuxième paires de puits est en train de produire;

le fluide est au moins l’un des éléments suivants : vapeur, eau, dioxyde de carbone, azote, propane et méthane.

4. Selon la revendication 1, la méthode comprend

l’injection dans le troisième puits se fait à une pression plus élevée que l’injection dans les premiers puits de chaque paire de puits.

5. Selon la revendication 1, la méthode comprend

au moins l’un des éléments suivants :

les deuxièmes conditions prédéterminées comprennent au moins l’injection du deuxième fluide à une pression qui est sensiblement soit une pression inférieure, soit une pression supérieure à celle de la région de la structure pétrolifère dans laquelle le deuxième puits d’au moins une des première et deuxième paires de puits est disposé;

le deuxième échéancier prédéterminé comprend au moins l’exploitation du troisième puits pour extraire le pétrole de la structure pétrolifère, et l’exploitation du troisième puits tout en injectant un second fluide dans le premier puits d’au moins une des première et seconde paires de puits dans de secondes conditions prédéterminées.

6. Selon la revendication 1, la méthode comprend

au moins l’un des éléments suivants :

les premier et deuxième puits forment une paire de puits comprenant une partie prédéterminée d’une série de paires de puits et le troisième puits est disposé selon une relation prédéterminée entre deux paires de puits;

les premier et deuxième puits sont disposés vers la limite inférieure de la structure pétrolifère et le troisième puits est disposé verticalement vers la limite supérieure de la structure pétrolifère.

7. Selon la revendication 1, la méthode comprend en plus

un deuxième puits d’injection disposé en relation prédéterminée avec le troisième puits.

8. Selon la revendication 1, la méthode comprend

la grande zone singulière épuisant considérablement le réservoir pétrolier entre la première et la deuxième paire de puits.

IV. Interprétation des revendications

[13] Dans son interprétation des revendications, la Cour fédérale a énoncé (aux paragraphes 58 à 60 de ses motifs) les principes de l’interprétation des revendications prescrits dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, par. 49 à 55, et dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, par. 44 à 54. Entre autres, l’interprétation des revendications doit être la même qu’il soit question de validité ou de contrefaçon. Les revendications d’un brevet doivent recevoir « une seule et même interprétation à toutes les fins » : arrêt Whirlpool, par. 49b); Evolution Technologies Inc. c. Human Care Canada Inc., 2019 CAF 209, par. 4, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 38846 (9 avril 2020).

[14] La Cour fédérale a également reconnu que l’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher, et a affirmé que le témoignage d’un expert est nécessaire seulement si la signification d’un terme ne va pas de soi à la lecture du mémoire descriptif du brevet. Elle a conclu que les témoignages d’experts étaient utiles pour interpréter cinq termes de la revendication 1 et un sixième terme de la revendication 2. Ces termes, et leur signification selon l’interprétation de la Cour fédérale à la lumière des témoignages d’experts, étaient les suivants (aux paragraphes 71 à 104 de ses motifs) :

(1) [traduction] « paires de puits » : la combinaison d’un puits d’injection et d’un puits de production utilisés dans la méthode [DGAV] traditionnelle (voir paragraphe 81 des motifs);

(2) [traduction] « troisième puits » : un puits additionnel à la paire de puits traditionnelle mentionnée ci-dessus, agissant à la fois comme puits d’injection et comme puits de production (voir paragraphe 86);

(3) [traduction] « zone de mobilité accrue » : Une chambre à vapeur avec une [traduction] « coque » ou [traduction] « couenne » le long de son bord extérieur où le bitume est devenu mobile et s’écoule vers un puits de production (voir paragraphe 90);

(4) [traduction] « communication » : désigne la fusion de chambres à vapeur précédemment séparées (voir paragraphe 95);

(5) [traduction] « génère » : qui a un lien de causalité, c’est-à-dire un [traduction] « effet matériel et substantiel », et non (comme les appelants l’ont affirmé) simplement une [traduction] « influence positive » sur la vitesse de la fusion des chambres à vapeur et leurs dimensions finales (voir les paragraphes 96 à 100);

(6) « zone d’appauvrissement » : une zone où s’est trouvée suffisamment de vapeur pour [traduction] qu’un volume important de bitume ait été drainé et a donc été épuisé (voir paragraphe 104).

[15] Comme on le verra dans l’analyse qui suit, c’est l’interprétation du terme « génère » qui s’est révélée la plus importante dans l’issue du procès. La Cour fédérale considère que l’interprétation du terme qu’elle a adoptée est conforme à l’objectif de l’invention revendiquée dans le brevet 746 : [traduction] « d’accélérer le procédé et d’améliorer la proportion de pétrole récupéré » (au paragraphe 99).

[16] Les appelants soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en effectuant une interprétation incomplète et erronée des revendications. Ils affirment que la Cour fédérale a eu tort d’interpréter uniquement la revendication 1 et un seul terme de la revendication 2, alors que les revendications 1 à 8 étaient toutes en cause, et que la Cour a omis, dans son travail d’interprétation, de traiter des revendications dépendantes 3 à 6 et 8. Les appelants affirment que la Cour fédérale a ainsi invalidé des revendications qu’elle n’a pas interprétées.

[17] Les appelants soutiennent de plus que la Cour fédérale a conclu que l’art antérieur portant sur les méthodes était différent de la méthode revendiquée, sans se demander dans son interprétation des revendications si ces méthodes étaient visées par les revendications. Les appelants soutiennent également que la Cour fédérale, dans son examen de la contrefaçon, a appliqué une interprétation de la revendication 1 qui n’intégrait pas les caractéristiques de la revendication dépendante 5.

[18] L’interprétation d’un brevet est une question de droit, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : arrêt Whirlpool, par. 61 et 76. Cependant, l’appréciation par la cour de première instance des éléments de preuve portant sur l’interprétation d’un brevet commande la retenue. Cela inclut, en particulier, les témoignages d’experts se rapportant à la manière dont le lecteur versé dans l’art interpréterait les termes des revendications.

[19] Par conséquent, l’appréciation par la cour de première instance de ces témoignages ne peut être examinée qu’en fonction de la norme de l’erreur manifeste et dominante : ViiV Healthcare Company c. Gilead Sciences Canada, Inc., 2021 CAF 122, par. 56. Notre Cour a décrit la norme de l’erreur manifeste et dominante comme étant [traduction] « exigeante » et a précisé que [traduction] « [l’]erreur manifeste et dominante est une erreur manifeste qui touche directement à l’issue de l’affaire » : Bennett v. Canada, 2022 FCA 73, par. 7; Pharmascience Inc. v. Teva Canada Innovation, 2022 FCA 2, par. 9, autorisation de pourvoi à la C.S.C. demandée, 40100 (27 avril 2022).

[20] J’examine d’abord les arguments des appelants, selon lesquels l’interprétation faite par la Cour fédérale était incomplète, et je me penche plus tard dans les présents motifs sur l’influence qu’a eue cette interprétation, aux dires des appelants, sur les conclusions de la Cour fédérale concernant la contrefaçon et l’antériorité.

[21] À mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en limitant son interprétation comme elle l’a fait. Lorsqu’elle doit interpréter des revendications, il y a lieu que la cour de première instance se concentre sur les questions en litige entre les parties, en centrant son analyse « là où le bât blesse » : Cobalt Pharmaceuticals Company c. Bayer Inc., 2015 CAF 116, par. 83; voir également, par exemple, les décisions Guest Tek Interactive Entertainment Ltd. c. Nomadix, Inc., 2021 CF 276, par. 49; Shire Biochem inc. c. Canada (Santé), 2008 CF 538, par. 22.

[22] Dans l’arrêt Corlac Inc. c. Weatherford Canada Ltd., 2011 CAF 228, par. 21 à 35, notre Cour s’est penchée sur un argument semblable à l’argument avancé en l’espèce, soit que la Cour fédérale a commis une erreur en n’interprétant pas des revendications dépendantes qu’elle a par la suite invalidées. Notre Cour a conclu que, lorsque la cour de première instance détermine à juste titre que la validité de revendications dépendantes repose sur l’inventivité de la revendication indépendante, il n’est pas nécessaire d’interpréter les éléments des revendications dépendantes qui ne sont pas réellement en litige : arrêt Weatherford, par. 33 et 35.

[23] De même, en l’espèce, la Cour fédérale a concentré à juste titre son interprétation sur les questions en litige. Comme on l’a avancé dans l’affaire Weatherford, les appelants affirment que la démarche de la Cour fédérale était viciée, sans expliquer comment le fait de ne pas interpréter les revendications a mené à une erreur susceptible de révision.

[24] D’après les observations des parties devant la Cour fédérale, il n’y avait aucun différend important concernant l’interprétation des revendications 3 à 4 et 6 à 8 : Mémoire de l’intimée, annexe B; voir également les conclusions finales de la défenderesse, Dossier d’appel complémentaire, p. 20064, PDF, p. 428. Les appelants reconnaissent dans leur conclusion finale que les principales questions d’interprétation en litige concernaient les revendications 1 et 5 et peut-être la revendication 2 : Transcription de la Cour fédérale, p. 1765 et p. 1769-1771, Dossier d’appel complémentaire, p. 20102-20104, PDF, p. 466-468.

[25] À l’appui de leur thèse selon laquelle les termes des revendications 3 à 6 et 8 n’étaient pas en litige, les appelants ont présenté des observations écrites à la Cour fédérale concernant l’interprétation des revendications qui portaient principalement sur la revendication 1. Seules les observations portant sur les revendications 1, 2 et 5 faisaient plus que résumer le libellé des revendications : Mémoire des faits et du droit des demandeurs, par. 58 à 90, Dossier d’appel complémentaire, p. 19660-19671, PDF, p. 24-35.

[26] En précisant à l’instruction les principaux termes qui, selon eux, nécessitaient une interprétation, les appelants ont une fois de plus parlé principalement des termes de la revendication 1 : Conclusions finales des demandeurs, Dossier d’appel complémentaire, p. 19733, PDF, p. 97 (soulignant que les principaux termes à interpréter dans la revendication 1 étaient [traduction] « paire de puits », « troisième puits », « zone de mobilité accrue », « communication » et « génère »); p. 19785-19790, PDF, p. 149-154 (discussion sur les termes de la revendication 2, y compris [traduction] « zones d’appauvrissement » et « miroir »); et p. 19791, PDF, p. 155 (discussion sur les termes des revendications 3 à 5). La portion des conclusions finales des appelants présentées à l’instruction et portant sur l’interprétation des revendications ne faisait pas mention des revendications 6 ou 8.

[27] De plus, il y avait peu de divergences concernant l’interprétation des revendications 3 à 6 et 8.

  • Il n’était pas contesté que la revendication 3 décrit l’injection d’un fluide donné dans le puits : voir les observations finales des demandeurs, Dossier d’appel complémentaire, p. 19791, PDF, p. 155, et les conclusions finales de la défenderesse, Dossier d’appel complémentaire, p. 19999, PDF, p. 363.

  • Il n’était pas contesté que la revendication 4 exige que l’injection au troisième puits se fasse à une pression plus élevée que dans les autres puits : voir les observations finales des demandeurs, Dossier d’appel complémentaire, p. 19791, PDF, p. 155, et les conclusions finales de la défenderesse, Dossier d’appel complémentaire, p. 20000, PDF, p. 364.

  • Il n’était pas contesté que la revendication 6 renvoie au positionnement de la série de puits, le troisième puits étant placé entre deux paires de puits : voir le mémoire des faits et du droit des demandeurs, par. 88, Dossier d’appel complémentaire, p. 19670, PDF, p. 34, et les conclusions finales de la défenderesse, Dossier d’appel complémentaire, p. 20001, PDF, p. 365; voir également la transcription de la Cour fédérale, p. 1769, lignes 13 et 14, Dossier d’appel complémentaire, p. 20103, PDF, p. 467 (concédant qu’il n’y avait [traduction] « pas de différend important » à propos de ces termes).

  • Enfin, il n’était pas contesté que la revendication 8 renvoie à un appauvrissement de plus en plus important du pétrole dans la zone entre les deux paires de puits de DGAV traditionnelles : comparer le mémoire des faits et du droit des demandeurs, par. 90, Dossier d’appel complémentaire, p. 19671, PDF, p. 35, et les conclusions finales de la défenderesse, Dossier d’appel complémentaire, p. 20001, PDF, p. 365.

[28] Quant à la revendication 7, les appelants ont abandonné à l’instruction leur argumentation concernant cette revendication. Elle est demeurée en cause uniquement parce que MEG a invoqué la revendication dans ses observations liées à l’antériorité créée par l’un des brevets : Transcription de la Cour fédérale, p. 1975-1976, Dossier d’appel complémentaire, p. 20204-20205, PDF, p. 568 et 569. Ces observations n’ont pas été retenues à l’instruction, et cette question n’est plus soulevée dans le présent appel.

[29] Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas de réel différend concernant cette revendication. Les parties s’entendaient sur la nécessité d’insérer un autre puits d’injection entre les deux paires de puits de DGAV initiales : Mémoire des faits et du droit des demandeurs, par. 89, Dossier d’appel complémentaire, p. 19670, PDF, p. 34; Conclusions finales de la défenderesse, par. 51, Dossier d’appel complémentaire, p. 20001, PDF, p. 365.

[30] Compte tenu de la manière dont les parties ont traité des questions d’interprétation, et de l’importance de la revendication 1 dans l’analyse sur la validité, la Cour fédérale était autorisée à concentrer son interprétation sur les termes contestés des revendications 1, 2 et 5, sans interpréter explicitement les autres revendications.

[31] Dans la mesure où l’analyse de la Cour fédérale nécessitait une interprétation implicite des autres termes, je ne vois aucune erreur dans sa démarche : arrêt Evolution Technologies, par. 18 et 19. Lorsque les parties ne présentent pas de témoignages d’experts sur la façon dont la personne versée dans l’art comprendrait un terme, ou lorsque ces témoignages ne sont clairement pas nécessaires, les termes des revendications doivent être interprétés selon leur sens courant et ordinaire : Canmar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, par. 36; Janssen Inc. c. Teva Canada Ltd., 2020 CF 593, par. 125; Lundbeck Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2009 CF 1102, par. 41, cité avec approbation dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30, par. 18, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 39099 (23 décembre 2020).

V. Contrefaçon

[32] Comme la Cour fédérale l’a affirmé au paragraphe 105 de ses motifs, l’article 42 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, accorde au breveté le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, de construire, d’exploiter et de vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention. Un brevet relatif à une méthode, comme le brevet 746, est contrefait lorsqu’une personne autre que le breveté exécute toutes les étapes essentielles de la méthode revendiquée : Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. c. M-I LLC, 2021 CAF 24, par. 48; Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., 2004 CAF 63, par. 39, renvoyant à l’arrêt Free World Trust, par. 68 et 31. Il incombe à la partie qui allègue la contrefaçon de prouver qu’il y a eu contrefaçon : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, par. 29.

[33] Concernant l’allégation des appelants selon laquelle les méthodes d’extraction de MEG contreviennent au brevet 746, la Cour fédérale a conclu (au paragraphe 108 de ses motifs) qu’il ne faisait aucun doute que MEG utilise un troisième puits dans son processus d’extraction, et (au paragraphe 115) que ces puits supplémentaires (ou « intercalaires ») sont habituellement activés avant la fusion avec la chambre à vapeur adjacente.

[34] Toutefois, la Cour fédérale (au paragraphe 129) n’a pu conclure que les appelants avaient établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’injection précoce par MEG du troisième puits avait pour effet de « générer une grande zone singulière de mobilité accrue ». La Cour a indiqué (au paragraphe 132) que, dans son interprétation du terme « génère », elle a conclu que « le seuil [traduction] “influencer positivement” est trop bas » et que « [l]e terme [traduction] “génère” nécessite un lien de causalité entre l’injection du troisième puits et la fusion des chambres à vapeur adjacentes plus tôt que ce ne serait le cas autrement [...] ».

[35] La Cour fédérale a reconnu (aux paragraphes 133 à 135) les témoignages des experts de MEG, selon lesquels MEG n’injecte pas assez de fluide dans les puits intercalaires pour générer une grande zone singulière de mobilité accrue, en partie parce que les puits intercalaires sont utilisés principalement pour la production, entrecoupés de cycles d’injection beaucoup plus courts. Elle a souligné que la conclusion des experts, selon laquelle l’injection dans les puits intercalaires ne générait pas une grande zone singulière, n’a pas été contestée lors du contre-interrogatoire.

[36] Puisque l’allégation de contrefaçon des appelants s’appuyait sur le terme « génère » tel qu’il a été interprété, le fait que les appelants ne soient pas parvenus à établir que la fusion des chambres à vapeur de MEG se fait plus tôt que ce ne serait le cas autrement a été fatal à leur allégation de contrefaçon (aux paragraphes 132 à 135, et 137).

[37] Avant de conclure sur la question de la contrefaçon, la Cour fédérale a également traité (au paragraphe 136) de l’argument des appelants, présenté en lien avec la revendication 5, selon lequel l’exploitation du troisième puits en tant que puits de production, comme le décrit la revendication, n’aurait pas d’effet négatif sur la création d’une grande zone singulière de mobilité accrue. Même si la Cour fédérale a souligné que l’un des experts de MEG avait approuvé cette proposition, elle a conclu que la prémisse des appelants, voulant que le fait d’aspirer du fluide vers le puits intercalaire à partir des paires de puits de DGAV adjacents doive entraîner une fusion plus précoce des chambres à vapeur, n’était pas étayée par la preuve, et l’a donc rejetée.

[38] Les appelants soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur dans plusieurs aspects de son analyse de la contrefaçon.

[39] Ils affirment d’abord que la Cour fédérale n’a pas tenu compte des caractéristiques des revendications dépendantes, en particulier de la revendication 5, qui doivent nécessairement faire partie de la revendication indépendante 1. Cette omission, selon ce qu’ils affirment, a mené à une interprétation inutilement étroite de la revendication 1 ainsi qu’à la conclusion que les méthodes de MEG n’étaient pas visées par les revendications. Ils affirment ensuite que la Cour fédérale a commis une erreur en utilisant la divulgation du brevet plutôt que les revendications pour effectuer son analyse sur la contrefaçon. Et, troisièmement, ils affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en se méprenant sur la preuve et en tirant des conclusions contradictoires.

[40] Dans la mesure où les appelants invoquent une erreur d’interprétation, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique, comme je l’ai mentionné plus haut. Mais une fois le brevet interprété, la question de la contrefaçon est une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, sauf lorsqu’une question de droit peut être isolée, la décision relative à la contrefaçon est assujettie à la norme déférente de l’erreur manifeste et dominante : arrêt Whirlpool, par. 76; arrêt Canmar Foods, par. 21.

[41] À mon avis, les appelants n’ont réussi à établir aucune des erreurs alléguées relatives à la contrefaçon.

[42] Pour ce qui est de la première erreur alléguée – soit de ne pas avoir tenu compte de la revendication 5 dans l’interprétation de la revendication 1 – les appelants ont à juste titre affirmé qu’une revendication indépendante doit habituellement recevoir une interprétation compatible aux revendications qui dépendent d’elle : Ratiopharm Inc. c. Canada (Santé), 2007 CAF 83, par. 33; arrêt Whirlpool, par. 49(f). Toutefois, la Cour fédérale n’a pas omis de tenir compte de la revendication 5 dans l’interprétation de la revendication 1. Tenant compte du témoignage de l’expert, elle a explicitement pris en considération la revendication 5 (au paragraphe 86) dans son interprétation du terme « troisième puits » contenu dans la revendication 1 selon laquelle il comprenait potentiellement à la fois un puits d’injection et un puits de production. Cette conclusion ne change rien à l’interprétation de la revendication 1, qui indique que c’est l’injection d’un fluide dans le troisième puits qui « génère » une grande zone singulière de mobilité accrue. Cette interprétation était également soutenue par les témoignages des experts, y compris l’expert des appelants : voir le rapport en réponse de M. Vikram Rao, par. 44(b), Dossier d’appel confidentiel, vol. 3, p. 741, PDF, p. 49; rapport d’expert de M. Gates, par. 114 à 117, et 121, Dossier d’appel public, vol. 43, p. 16456 à 16457-16459, PDF, p. 80-81, et 83.

[43] Comme le soutiennent les appelants, il est acquis en matière jurisprudentielle que les revendications d’un brevet, et non la divulgation du brevet, définissent le monopole qu’il confère. À l’appui de leur deuxième allégation d’erreur – soit que la Cour fédérale a à tort fondé sa conclusion sur la contrefaçon en l’espèce sur la divulgation plutôt que sur les revendications du brevet 746 –, les appelants, lors de leur plaidoirie, ont renvoyé notre Cour aux paragraphes 127 à 135 des motifs de la Cour fédérale.

[44] Dans mon évaluation, l’examen de cette partie des motifs ne confirme pas les prétentions des appelants. La principale constatation menant à la conclusion qu’il n’y a pas eu contrefaçon se trouve au paragraphe 129, où la Cour fédérale n’a pu conclure que les appelants avaient établi, selon la prépondérance des probabilités, que les méthodes de production de MEG correspondaient à l’élément « génère » de la revendication 1. De même, les paragraphes 127 et 128 font référence aux données d’exploitation de MEG et à la conclusion à tirer de ces données quant à la question de savoir si les méthodes de MEG étaient visées ou non par la revendication 1. Les paragraphes 130 et 131 font référence aux témoignages et aux observations sur les méthodes de MEG et le développement de la chambre à vapeur. Au paragraphe 132, la Cour fédérale récapitule les conclusions de son analyse d’interprétation, et au paragraphe 133, elle fait référence au témoignage d’un expert à propos de l’élément « génère » de la revendication 1.

[45] Alors que le paragraphe 134 traite des simulations mentionnées dans le brevet 746, il contient également d’autres détails sur les activités de MEG et des témoignages selon lesquels la taille relative des injections de fluide de MEG fait qu’il est peu probable qu’elles soient suffisantes pour correspondre aux termes de la revendication 1. Enfin, le paragraphe 135 fait également référence à des éléments de preuve concernant les activités de MEG et à l’appréciation qu’a faite la Cour fédérale de ces éléments de preuve, et ne traite pas de la divulgation du brevet.

[46] Cela m’amène à la troisième erreur liée à la contrefaçon qu’allèguent les appelants – soit que la Cour fédérale s’est méprise sur la preuve et a tiré des conclusions contradictoires.

[47] Dans leurs observations sur ce point (au paragraphe 81 de leur mémoire), les appelants reprennent deux paragraphes des motifs de la Cour fédérale qui, selon eux, montrent que la [traduction] « conclusion de la Cour fédérale sur la contrefaçon est contradictoire » :

[132] Dans mon analyse de l’interprétation des revendications, j’ai conclu que le seuil [traduction] « influencer positivement » est trop bas. Le terme [traduction] « génère » nécessite un lien de causalité entre l’injection du troisième puits et la fusion des chambres à vapeur adjacentes plus tôt que ce ne serait le cas autrement, ce qui permet en fin de compte d’exploiter le [DGAV] sur des formations de sables bitumineux plus profondes. […]

[136] Se référant à la revendication 5, qui décrit le troisième puits fonctionnant en tant que puits de production, [les appelants] affirme[nt] que cela n’aurait pas d’effet négatif sur la création d’une grande zone singulière de mobilité accrue. Le Pr Gates [un des experts de MEG] a accepté cette proposition.

[48] Dans l’argumentation des appelants, ces extraits démontrent que la Cour fédérale a écarté le « second échéancier prédéterminé » mentionné dans la revendication 1 (reproduite au paragraphe 11 ci-dessus). Elle a ainsi commis une erreur, selon ce qu’ils affirment, en concluant que le « lien de causalité » avec la fusion des chambres doit uniquement résulter de l’injection dans le troisième puits, et que l’affirmation selon laquelle c’est la production de MEG à son troisième puits qui cause une fusion plus précoce des chambres n’était pas étayée par la preuve. Ils affirment que, si la Cour fédérale s’était penchée sur le « second échéancier prédéterminé », elle aurait dû interpréter la revendication 5 et en tenir compte, puisque la revendication 5 [traduction] « décrit un mode d’exploitation précis au troisième puits », et elle aurait dû conclure que « génère » résulte à la fois de l’injection dans le troisième puits et de l’extraction depuis ce troisième puits.

[49] Je souligne d’abord que la citation par les appelants du paragraphe 136 des motifs dans leur mémoire n’est qu’une citation partielle, et qu’ils ont omis les deux phrases suivantes du paragraphe 136. Ces phrases sont ainsi rédigées :

Cependant, [les appelants] affirme[nt] également que le fait d’aspirer du fluide vers le puits intercalaire à partir des paires de puits de [DGAV] adjacents doit entraîner une fusion plus précoce des chambres à vapeur que s’il n’y avait pas de puits intercalaires. Cette prémisse n’est pas étayée par la preuve.

[50] Si je lis ce paragraphe en entier et le paragraphe 132 des motifs, je ne vois aucune contradiction ou méprise. Le fait que la production du troisième puits n’aurait pas d’effet négatif sur la création d’une grande zone singulière de mobilité accrue ne signifie pas que la production en est la cause. De plus, en se penchant sur la question de savoir si le troisième puits de MEG a « généré » une grande zone singulière de mobilité accrue, la Cour fédérale a précisément mentionné (au paragraphe 136 de ses motifs) le second échéancier prédéterminé.

[51] Au bout du compte, la Cour fédérale a interprété le terme « génère » comme comprenant les fonctions de production et d’injection du troisième puits, tout en concluant que, dans les faits, étayés par les témoignages des experts, la production au troisième puits n’avait pas de lien de causalité avec la grande zone de mobilité et ne l’avait donc pas « générée ». À mon avis, cette conclusion ne démontre aucune erreur susceptible de révision.

VI. Antériorité

[52] La Cour fédérale a commencé son analyse de l’antériorité en paraphrasant l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, le fondement législatif de l’invalidité pour cause d’antériorité. Elle a ensuite fait référence à la jurisprudence, y compris l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, qui énonce les deux exigences pour établir l’antériorité : la divulgation antérieure et le caractère réalisable. Comme il est indiqué dans l’arrêt Sanofi, par. 23 à 25, pour que l’exigence relative à la divulgation soit satisfaite, il n’est pas nécessaire que l’« invention exacte » ait été faite et ait été rendue publique; « suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet ». Quant à l’exigence du caractère réalisable, elle est liée à « la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention »: arrêt Sanofi, par. 26.

[53] Comme j’y ai déjà fait référence, la Cour fédérale a conclu que les revendications du brevet 746 étaient antériorisées par chacun des trois brevets américains antérieurs – les brevets Arthur, Brannan et Cyr. Il n’était pas contesté que les trois brevets constituent une antériorité et permettent la réalisation de l’invention. Par conséquent, la seule question en litige était de savoir s’ils satisfaisaient à l’exigence de divulgation pour établir une antériorité. Des témoignages d’experts portant sur chacun des brevets sont venus appuyer la conclusion qu’ils y satisfaisaient.

[54] En ce qui concerne le brevet Arthur, la Cour fédérale a conclu qu’il divulguait tous les éléments essentiels de la revendication 1 : un troisième puits est utilisé conjointement à une paire de puits de DGAV pour agrandir la chambre à vapeur et extraire le bitume. Dans sa conclusion, la Cour fédérale s’est appuyée sur les témoignages de deux experts de MEG, témoignages pour lesquels, la Cour fédérale l’a souligné, ils n’ont pas été contre-interrogés. Même si le brevet Arthur indique que l’activation du troisième puits a lieu de préférence après la fusion des chambres à vapeur adjacentes, il prévoit aussi des situations où le troisième puits est activé avant la fusion. La Cour fédérale a affirmé (au paragraphe 151) que « [l]e fait que les antériorités nous “éloignent” de l’enseignement d’un brevet contesté, bien que potentiellement pertinent pour une allégation d’évidence, n’est pas pertinent pour l’analyse de l’antériorité ». La Cour fédérale a conclu que le brevet Arthur antériorisait la revendication 1 du brevet 746 et ses revendications dépendantes.

[55] La Cour fédérale a ensuite indiqué que le brevet Brannan divulguait également tous les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 746. Même si la Cour s’est dite d’accord avec les appelants que le brevet Brannan établissait une distinction entre son invention revendiquée et le DGAV, principalement en raison du grand espacement entre les puits d’injection et de production, elle a souligné que le brevet précise également que son invention n’est pas limitée à des dimensions précises, et que la divulgation antérieure d’un élément se situant dans une plage prescrite par un brevet a un caractère d’antériorité. Enfin, elle a souligné que les appelants n’avaient pas contre-interrogé l’expert de MEG sur ses opinions, selon lesquelles le brevet Brannan antériorisait les revendications 1 à 3, 5 à 6 et 8. La Cour fédérale a donc conclu que ces revendications du brevet 746 étaient antériorisées.

[56] La Cour fédérale a ensuite conclu que le brevet Cyr antériorisait également les revendications 1 à 8 du brevet 746. La Cour a indiqué que l’antériorité était moins claire que pour les brevets Arthur et Brannan. Toutefois, la Cour fédérale a pu conclure, suivant son interprétation des revendications et en fonction des témoignages, y compris la concession faite de la part de l’expert des appelants, que la procédure par étapes décrite par le brevet Cyr – l’utilisation de la paire initiale de puits de DGAV en tandem avec le puits de SCV décalé, suivie de l’ajout d’une paire de puits de DGAV adjacents – créerait la grande zone singulière de mobilité accrue nécessaire, aidée par l’utilisation du puits de SCV. La Cour fédérale a affirmé que rien dans le brevet 746 n’exigeait que le développement de la grande zone singulière de mobilité accrue soit symétrique.

[57] Il n’est pas nécessaire en l’espèce de revoir le fondement de la conclusion de la Cour fédérale, selon laquelle les deux autres brevets, le brevet Ong et le brevet Coskuner, ne créaient pas d’antériorité (même si j’y ferai brièvement référence plus loin). MEG n’allègue aucune erreur de la part de la Cour fédérale dans ses conclusions à cet égard.

[58] La question de savoir si une revendication d’un brevet est antériorisée est une question de droit et de fait. Par conséquent, sauf lorsque la décision de la cour de première instance sur l’antériorité peut être attribuée à une erreur de droit qui peut être isolée, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte, la décision ne devrait pas être infirmée en l’absence d’une erreur manifeste et dominante – « une norme très exigeante » : Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, par. 104, nouvel examen refusé, 2013 CAF 261; Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, par. 42.

[59] Les appelants affirment que la Cour fédérale a commis une série d’erreurs en concluant que le brevet 746 était non valide pour cause d’antériorité. Ils présentent dans leur mémoire (à partir du paragraphe 60) et dans leurs observations orales une nouvelle analyse détaillée de chacun des trois brevets constituant une antériorité, et demandent à notre Cour, en fait, d’apprécier de nouveau la preuve. Il va sans dire que c’est une tâche que nous ne pouvons assumer, surtout lorsque, comme en l’espèce, il existe des éléments de preuve appuyant la conclusion de la Cour fédérale concernant chacun des trois brevets en cause. La nouvelle analyse faite par les appelants ne révèle, à mon avis, aucune erreur manifeste et dominante.

[60] Les appelants ont également présenté des observations pouvant être considérées comme des allégations d’erreurs de droit. Ils affirment que la Cour fédérale a commis une erreur, en premier lieu, en invalidant des revendications qu’elle n’a pas interprétées; en deuxième lieu, en appliquant une interprétation plus large de la revendication 1 dans son analyse sur la validité que dans son analyse sur la contrefaçon; et en troisième lieu, en appliquant le mauvais critère juridique établissant l’antériorité et, par conséquent, en concluant à tort que les trois brevets antérieurs établissaient une antériorité.

[61] J’ai déjà traité, à propos des observations des appelants concernant l’interprétation (aux paragraphes 21 à 31), de la première erreur alléguée dans cette catégorie – soit une erreur de droit liée à l’invalidation de revendications n’ayant pas été interprétées. En guise de bref rappel, la Cour fédérale a conclu à juste titre, compte tenu des observations des parties et de la nature du différend, qu’il n’était nécessaire d’interpréter explicitement qu’un nombre limité des termes des revendications.

[62] Même si les appelants invoquent l’arrêt Zero Spill Systems (Int’l) Inc. c. Heide, 2015 CAF 115, pour affirmer que la Cour fédérale était tenue d’examiner chaque revendication dépendante en soi, la situation prévalant dans l’affaire Zero Spill différait de la situation en l’espèce. Dans la décision Zero Spill, la Cour fédérale avait totalement évité d’interpréter les revendications dépendantes. Elle a ensuite effectué son analyse de l’antériorité, sans réaliser que certaines des revendications dépendantes pourraient être valides même si la revendication indépendante ne l’était pas : arrêt Zero Spill, par. 94. Cependant, en l’espèce, la Cour fédérale a pris en considération les termes en litige. Elle a conclu, comme l’a fait notre Cour dans l’arrêt Weatherford, que l’inventivité du brevet reposait sur la revendication indépendante, et a concentré son analyse en conséquence. Toutefois, elle a bien tenu compte des revendications dépendantes lorsqu’elles étaient pertinentes (voir, par exemple, les paragraphes 160, 161 et 173 des motifs de la Cour fédérale). Je n’accorderais par conséquent aucune valeur à la première erreur de droit qu’allèguent les appelants.

[63] J’examinerai maintenant la seconde erreur de droit qu’aurait commise la Cour fédérale, que les appelants décrivent dans leur mémoire (dans l’en-tête précédant le paragraphe 47) comme étant liée à [traduction] « l’application d’une interprétation de la revendication 1 différente (plus large) dans son analyse sur la validité comparativement à son analyse sur la contrefaçon ». Poursuivant sur cet argument (aux paragraphes 48 et 49 de leur mémoire), les appelants affirment qu’alors que l’analyse de la Cour fédérale sur la contrefaçon a porté sur le défaut d’établir le terme « génère » de la revendication – tous les autres éléments de la revendication 1 ont été jugés présents dans les méthodes de MEG –, la Cour [traduction] « a effectué son analyse de l’antériorité en omettant complètement de traiter des termes essentiels de la revendication 1 « génère » et « second échéancier ».

[64] Je ne puis souscrire à cette affirmation. Comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour fédérale a conclu (au paragraphe 159 de ses motifs) que le brevet Arthur divulgue tous les éléments essentiels de la revendication 1. Ce faisant, elle a expressément fait référence au rôle du troisième puits pour aider « à générer une grande zone singulière de mobilité accrue ». Avant d’en arriver à la même conclusion (au paragraphe 171) en ce qui concerne le brevet Brannan, la Cour fédérale a expressément fait mention (au paragraphe 164) de la génération. De même, avant d’énoncer sa conclusion (au paragraphe 183 de ses motifs) selon laquelle le brevet Cyr antériorise également les revendications 1 à 8 du brevet 746, la Cour fédérale a analysé (aux paragraphes 176 et 181) les arguments et éléments de preuve dont elle disposait concernant la génération.

[65] Les motifs de la Cour fédérale pour rejeter les arguments de MEG concernant le brevet Ong et le brevet Coskuner minent encore davantage l’argument des appelants selon lequel la Cour [traduction] « a omis] [...] de traiter des termes essentiels de la revendication 1 « génère » et « second échéancier ». L’un de ses motifs appuyant sa conclusion concernant le brevet Ong (au paragraphe 190) était que le brevet était muet sur la question de la « génération ». L’un de ses motifs appuyant sa conclusion concernant le brevet Coskuner (au paragraphe 196) était que le brevet n’envisageait pas l’utilisation d’un « deuxième échéancier prédéterminé ». À mon avis, il n’y a guère de doutes que la Cour fédérale avait conscience des questions touchant l’antériorité que lui avaient soumises les parties : voir l’arrêt Teva Canada Limitée c. Novartis Pharmaceuticals Canada inc., 2013 CAF 244, par. 12; arrêt Weatherford, par. 91.

[66] Même si les parties n’ont pas soulevé ce point, je souligne que l’opinion de l’expert de MEG sur le brevet Brannan ne précisait pas si la revendication 7 était antériorisée par cet art antérieur, et la Cour fédérale n’a pas tiré de conclusion sur ce point. Quoi qu’il en soit, comme dans l’arrêt Weatherford mentionné ci-dessus, la validité des revendications dépendantes en l’espèce repose sur l’inventivité de la revendication indépendante. Je peux donc conclure que la conclusion de la Cour fédérale, selon laquelle le brevet Brannan antériorise la revendication 1, était suffisante pour invalider les revendications qui en dépendent. En fait, les appelants semblent le supposer aux paragraphes 65 à 67 de leur mémoire, en s’attardant à la question de savoir si le brevet Brannan divulguait les éléments essentiels de la revendication 1.

[67] Cela m’amène à l’argument des appelants selon lequel la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant une norme juridique incorrecte concernant l’antériorité. Ils soutiennent que la Cour fédérale l’a fait de deux manières principales.

[68] D’abord, ils reprennent (au paragraphe 54 de leur mémoire) la déclaration de la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi (au paragraphe 25), que « suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet ». Même s’ils affirment que la Cour fédérale n’a pas appliqué cet énoncé du droit, les motifs de la Cour fédérale incluent (au paragraphe 150) un libellé pratiquement identique et une citation du même paragraphe de l’arrêt Sanofi, et la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le brevet Arthur crée une antériorité (au paragraphe 159) traite explicitement de cette exigence. Je ne puis souscrire à l’argument des appelants selon lequel il y a eu erreur de droit à cet égard.

[69] Les appelants affirment en outre, en s’appuyant en grande partie sur l’arrêt Sanofi, que l’antériorité exige une divulgation des « avantages particuliers » de l’invention. Ils soutiennent qu’aucun des trois brevets qui, selon la Cour fédérale, créent une antériorité ne divulgue les « avantages particuliers » de l’invention du brevet 746, de telle sorte que les conclusions d’antériorité ne peuvent tenir.

[70] Le concept des « avantages particuliers » a été associé aux brevets de sélection. Un brevet de sélection est un brevet (le plus souvent un brevet pharmaceutique) « qui porte sur la sélection d’un ou de plusieurs composés, qui font partie d’un groupe de composés qui ont déjà été divulgués en termes généraux et revendiqués dans un brevet de genre » : arrêt Shire CAF, par. 31.

[71] Dans l’arrêt Sanofi, par. 10 et 11, la Cour suprême, empruntant à la jurisprudence du Royaume-Uni, d’où émane la classification des brevets de sélection, a énoncé trois conditions essentielles à la validité du brevet de sélection :

1. L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

2. Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

3. La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentaient le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

[72] On dit qu’un brevet de sélection ne diffère ni sur le fond ni sur la forme des autres brevets; il doit également « satisfaire aux mêmes exigences que tout autre brevet et est sujet aux mêmes contestations, notamment celles fondées sur l’antériorité [...] » : arrêt Sanofi, par. 9; arrêt Shire CAF, par. 31 et 32; Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, par. 27 et 33. Que le brevet ait été officiellement classé comme un brevet de sélection ou non, « [l]’analyse relative à l’antériorité [...] doit, comme toujours, être axée sur ce qui est réellement revendiqué par le brevet par rapport à l’art antérieur » : arrêt Shire CAF, par. 34. Toutefois, la classification d’un brevet, en tant que brevet de sélection (ou non), aide les tribunaux à comprendre la « nature du brevet » qu’ils doivent examiner par rapport à d’autres brevets : arrêt Shire CAF, par. 33 et 34.

[73] À mon avis, le fait que les appelants s’appuient sur des « avantages particuliers » n’aide en rien leur position sur l’antériorité. Cela est vrai pour plusieurs raisons.

[74] D’abord, ils n’ont produit aucun témoignage d’expert ou autre élément de preuve à l’instruction traitant précisément de la question des « avantages particuliers ».

[75] Ensuite, ils n’ont pas demandé ni obtenu de conclusion de la part de la Cour fédérale concernant les « avantages particuliers ». Donc, ils demandent essentiellement à notre Cour de tirer une conclusion originale sur ce point. Ce n’est habituellement pas le rôle d’une cour d’appel de tirer des conclusions de fait ou des conclusions de fait et de droit originales, en particulier à propos d’une question soulevée pour la première fois en appel : Sandhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd., 2019 CAF 295, par. 58 à 60; Crosslinx Transit Solutions General Partnership v. Ontario (Economic Development, Employment and Infrastructure), 2022 ONCA 187, par. 36; Conner v. Bulla, 2010 BCCA 457, par. 20. Je m’abstiendrai donc de le faire en l’espèce.

[76] Troisièmement, les appelants n’ont fait référence, ni dans leurs observations écrites, ni dans leurs observations orales, à une quelconque jurisprudence relative à la prise en compte des « avantages particuliers » en dehors du contexte des brevets de sélection. La thèse semble être la même au Royaume-Uni, d’où émane le concept des brevets de sélection : voir, par exemple, Dr. Reddy’s Laboratories (UK) Ltd. v. Eli Lilly & Company Ltd., [2008] EWHC 2345 (Pat), par. 95 à 98, confirmé [2009] EWCA Civ 1362.

[77] Bien qu’il ne soit pas nécessaire, pour les raisons qui précèdent, de trancher cette question, je ne suis pas convaincu que le concept des « avantages particuliers » soit utile à l’examen de l’inventivité en dehors du contexte des brevets de sélection : voir l’arrêt Shire CAF, par. 33 et 34.

[78] En somme, je ne vois aucune raison de remettre en question les conclusions de la Cour fédérale sur l’antériorité.

VII. Les questions en suspens

[79] Les autres questions qu’il reste potentiellement à examiner concernant la validité portent sur la portée excessive, l’évidence et l’inutilité.

[80] Comme je l’ai souligné précédemment, la Cour fédérale a refusé, vu ses autres conclusions, de se pencher sur la question de l’invalidité pour cause de portée excessive. Dans ces circonstances, et étant donné mes autres conclusions, je refuserais de même d’examiner cette question. Mes conclusions sur l’interprétation des revendications, la contrefaçon et l’antériorité font qu’il est également inutile que je me penche sur les questions d’évidence et d’inutilité : voir Bauer Hockey Ltd. c. Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2021 CAF 166, par. 2.

VIII. Règlement proposé

[81] Je rejetterais l’appel, avec dépens.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

« K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-35-21

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR M. LE JUGE FOTHERGILL LE 4 JANVIER 2021 DANS LE DOSSIER NO T-1069-14)

INTITULÉ :

JASON SWIST et CRUDE SOLUTIONS LTD. c. MEG ENERGY CORP.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 9 et 10 mars 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juin 2022

COMPARUTIONS :

Jamie M. Bordman

Ashley Chu

Pour les appelants

Timothy St. J. Ellam, c.r.

Steven Tanner

Kendra Levasseur

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macera & Jarzyna LLP

Ottawa (Ontario)

 

Pour les appelants

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

Pour l’intimée

 

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