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Date : 20220623


Dossier : A-312-20

Référence : 2022 CAF 122

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ALI GUIDARA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(AGENCE DU REVENU DU CANADA)

défendeur

Demande de contrôle judiciaire décidée sans comparution des parties sur la base du dossier écrit.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 juin 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220623


Dossier : A-312-20

Référence : 2022 CAF 122

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ALI GUIDARA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(AGENCE DU REVENU DU CANADA)

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle le demandeur cherche à faire annuler une décision rendue le 2 décembre 2020 par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission). Aux termes de cette décision, la Commission a refusé de proroger le délai qui aurait permis au demandeur de renvoyer à l’arbitrage des griefs qu’il a logés à l’encontre de son employeur d’alors, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), pour contester les décisions prises par cette dernière (i) de le suspendre sans salaire, (ii) de révoquer sa cote de fiabilité, et (iii) de le congédier.

[2] Ces décisions ont été prises dans les mois de janvier et février 2015, l’ARC étant d’avis que le demandeur s’était placé en conflit d’intérêts et avait omis d’en informer la gestion, faisant ainsi preuve de négligence grossière.

[3] Tel qu’en fait foi l’ordonnance émise par le juge en chef de cette Cour le 31 mai 2022, la présente affaire a été considérée, à la demande du demandeur, qui se représente maintenant seul, sans comparution des parties. Elle a donc été décidée sur la foi du dossier tel que constitué par les parties.

[4] La procédure de griefs et de renvoi à l’arbitrage applicable en l’espèce est celle prévue à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, c. 22 et au Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. DORS/2005-79 (le Règlement). Suivant le paragraphe 90(1) du Règlement, un grief doit être renvoyé à l’arbitrage « au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief ».

[5] En l’espèce, la demande de prorogation de délai en cause, faite aux termes de l’alinéa 61b) du Règlement, a été produite plus de 18 mois après que le demandeur, et son syndicat, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le Syndicat), aient été informés de la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief applicable. Cette disposition habilite la Commission à proroger le délai prévu au paragraphe 90(1) du Règlement, notamment, « par souci d’équité ».

[6] En rendant sa décision, la Commission a d’abord rappelé les critères applicables à une demande de prorogation de délai faite en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, critères développés par sa propre jurisprudence, à savoir : (i) le retard doit être justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; (ii) la durée du retard; (iii) la diligence raisonnable dont a fait preuve ou non le demandeur; (iv) l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et celui subit par l’employeur selon que la prorogation est accordée ou refusée; et (v) les chances de succès du grief. Elle a souligné que si ces critères doivent être évalués dans leur ensemble, le poids à être accordé à chacun peut varier selon les circonstances propres à chaque cas, se pouvant même, a-t-elle ajouté, que seuls un ou deux critères pèsent ultimement dans la balance.

[7] La Commission a d’abord conclu que le demandeur n’avait pas démontré que son retard à agir était justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Elle a noté de la preuve faite devant elle que le Syndicat était disposé à renvoyer les griefs à l’arbitrage, qu’il a soumis les formulaires requis pour ce faire au demandeur et que celui-ci, après avoir évalué ses chances de succès, a choisi de ne pas signer lesdits formulaires, optant plutôt pour intenter un recours en dommages et intérêts contre l’ARC devant la Cour supérieure du Québec. La Commission a statué que cette décision de s’adresser à la Cour supérieure du Québec plutôt que de renvoyer les griefs à l’arbitrage était un choix stratégique, fait en toute connaissance de cause par le demandeur. Il lui est apparu incongru que le demandeur puisse, dans un tel contexte et parce que ce recours n’a mené à rien, se tourner vers la procédure de renvoi à l’arbitrage qu’il avait pourtant consciemment choisi de ne pas entreprendre.

[8] Ayant conclu que le demandeur n’avait pas satisfait au critère de l’explication claire, logique et convaincante du retard à agir, la Commission a examiné les autres critères, même si elle s’est dite d’avis que dans un tel contexte, il ne lui était pas strictement nécessaire de le faire. Ainsi, elle a déterminé que le demandeur avait fait preuve de peu de diligence. Elle a fait ce constat en notant, d’une part, que le demandeur ne s’était adressé à la Cour supérieure du Québec que plusieurs mois – en fait presque un an – après le rejet de ses trois griefs et, d’autre part, qu’il n’avait produit sa demande de prorogation de délai que 10 semaines après que la Cour supérieure ait rendu jugement en novembre 2016, soit bien au-delà du délai de 40 jours prévu au paragraphe 90(1) du Règlement, si l’on accepte que ledit délai aurait pu commencer à courir à la date de ce jugement.

[9] Sur le plan du préjudice, la Commission a jugé que ce critère favorisait le demandeur, mais qu’il pesait moins lourd que le défaut du demandeur d’expliquer son retard au moyen de raisons claires, logiques et convaincantes. Quant au critère portant sur les chances de succès des griefs en cause, la Commission, puisqu’elle ne les avait pas entendus au fond, s’est contentée de conclure qu’ils n’étaient pas frivoles. La Commission a par la suite procédé à un examen détaillé de la jurisprudence soumise par le demandeur et en a conclu que celle-ci n’avançait pas la cause de ce dernier.

[10] Finalement, la Commission a disposé d’un argument fondé sur un commentaire apparaissant dans le jugement de la Cour supérieure du Québec rejetant le recours en dommages et intérêts du demandeur. Ce commentaire se veut un reproche à l’endroit de l’ARC de ne pas avoir informé le demandeur qu’il aurait pu renvoyer ses griefs à l’arbitrage. La Commission a rejeté cet argument, se disant d’avis que l’ARC n’avait aucune obligation de prodiguer des conseils à un employé sur ces recours à l’arbitrage, surtout dans des cas où, comme en l’espèce, l’employé a été représenté tout au long de la procédure de griefs.

[11] Le demandeur consacre une proportion importante de ses représentations écrites à décrier les décisions à l’origine de ses trois griefs et l’enquête qui les a précédés. Toutefois, il en dit très peu sur la décision de la Commission, qui est la seule décision sur laquelle la Cour doit porter son attention dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[12] Pour l’essentiel, le demandeur reproche à la Commission d’avoir rejeté sa requête en prorogation de délai « sans prendre en compte l’absence de conformité du grief initial (celui contestant sa suspension sans salaire) aux règles en vigueur et sur la base des seuls arguments de l’employeur ». Il soutient que son ignorance de la procédure de règlement de griefs et de ses délais ainsi que le manquement du Syndicat à son devoir de représentation juste et équitable constituaient des arguments solides, clairs et convaincants justifiant la prorogation de délai sollicitée.

[13] Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y a lieu d’intervenir. Il est important de rappeler, d’entrée de jeu, que la norme de contrôle applicable dans un cas comme celui-ci, comme, d’ailleurs, dans la très grande majorité des cas où une cour de justice révise une décision administrative, est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (QL/Lexis) au para. 10 (Vavilov); Grekou c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 220, [2021] A.C.F. no 1894 (QL/Lexis) au para. 8; Popov c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 177, 2019 CarswellNat 14872 (WL Can) au para. 10).

[14] Il est important de rappeler également que la norme de la décision raisonnable est une norme déférente. Cela veut dire que la Cour doit « évite[r] “toute immixtion injustifiée” dans l’exercice par [la Commission] de ses fonctions » (Vavilov au para. 30, citant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para. 27 (Dunsmuir)). Elle doit, en ce sens, se garder de se livrer à une analyse de novo des questions dont était saisie la Commission, de décider de ces questions à la place de celle-ci ou encore de déterminer la solution correcte à ces questions (Vavilov au para. 83).

[15] Le rôle de la Cour est plutôt de s’assurer que la décision contestée, et la justification qui la sous-tend, possèdent les « attributs de la raisonnabilité » (Vavilov au para. 86, citant Dunsmuir au para. 47). Elle doit ainsi s’intéresser à la fois au résultat obtenu et au raisonnement qui a mené à ce résultat. Comme la Cour suprême le rappelait dans Vavilov, la décision raisonnable est celle qui est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [qui] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov aux para. 85-90).

[16] J’estime que c’est le cas en l’espèce puisqu’à mon sens, la Commission a bien motivé sa décision, suivi ses décisions antérieures et tiré des conclusions de fait qui trouvent appui dans la preuve qui était devant elle. En particulier, la Commission a manifestement considéré les arguments du demandeur, et non seulement ceux de l’ARC, comme le prétend le demandeur. Le fait que ce dernier soit en désaccord avec la décision de la Commission ne justifie pas que la Cour intervienne (Harvey c. Via Rail Canada Inc., 2020 CAF 95, [2020] A.C.F. no 656 (QL/Lexis) au para. 12).

[17] Par ailleurs, la Commission a noté que le demandeur avait été représenté tout au long de la procédure de grief et que le Syndicat lui avait présenté, dans les temps, pour signature, des formulaires de renvoi à l’arbitrage, tout en l’avisant de ses chances de succès. Je ne vois aucun fondement au reproche voulant que la Commission ait rendu sa décision « sans prendre en compte l’absence de conformité du grief initial aux règles en vigueur ». Dans la mesure où ce reproche est fondé sur le soi-disant manquement du Syndicat à son devoir de représentation, il doit échouer car, comme le souligne le défendeur, cet argument n’a pas été soulevé devant la Commission, alors qu’il aurait pu l’être.

[18] Il est bien établi, en effet, qu’une cour siégeant en contrôle judiciaire n'examinera pas une question qui aurait pu être soulevée devant le décideur administratif, mais ne l'a pas été (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 aux para. 21-26; Oleynik c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 5, [2020] A.C.F. no 78 (QL/Lexis) au para. 71; Canada (Procureur général) c. Valcom Consulting Group Inc., 2019 CAF 1, [2019] A.C.F. no 3 (QL/Lexis) au para. 36; Sigma Risk Management Inc. v. Canada (Attorney General), 2022 FCA 88, [2022] F.C.J. no 723 (QL/Lexis) au para. 6).

[19] Finalement, il n’y a aucun mérite à l’argument voulant que la Commission aurait dû accorder la prorogation de délai sollicitée par le demandeur du fait que celui-ci ignorait les tenants et aboutissants de la procédure de règlement de griefs. Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission avait devant elle de la preuve qui tend à démontrer que le demandeur a été appuyé par le Syndicat tout au long de la procédure de griefs. Cela contredit cette affirmation du demandeur, malgré ce qu’il dit maintenant de la qualité de l’appui qu’il a reçu, un argument, je le répète, qu’il ne peut soulever devant nous faute d’en avoir saisi la Commission.

[20] Au surplus, la Commission a conclu que le demandeur avait fait un choix stratégique conscient en optant pour le recours en Cour supérieure du Québec plutôt que pour le renvoi à l’arbitrage. Signe que ce choix était conscient, elle a noté aussi que le demandeur n’avait eu aucun contact avec le Syndicat entre août 2015 et novembre 2016, date où son recours en Cour supérieure a été rejeté. Comme l’a souligné la Commission, le demandeur semble avoir choisi en toute liberté une avenue qui n'a ultimement pas porté fruit, au détriment d’une autre à laquelle il a voulu recourir une fois confronté à cet échec, affectant ainsi la crédibilité de sa démarche visant à proroger le délai ouvrant droit au renvoi à l’arbitrage.

[21] Compte tenu de la preuve qui était devant la Commission, ces constats et conclusions font partie, à mon sens, des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » qui s’offraient à la Commission lorsqu’elle s’est demandée si le demandeur avait expliqué son retard à agir au moyen de raisons claires, logiques et convaincantes et, plus généralement, si une prorogation de délai était justifiée dans les circonstances (Vavilov au para. 86, citant Dunsmuir au para. 47).

[22] Pour toutes ces raisons, j’estime que la décision de la Commission est raisonnable et qu’il n’y a dès lors pas lieu pour la Cour d’intervenir.

[23] Je rejetterais donc la présente demande de contrôle judiciaire et le ferais, vu l’issue du présent pourvoi, avec dépens contre le demandeur.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-312-20

 

INTITULÉ :

ALI GUIDARA c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, (AGENCE DU REVENU DU CANADA)

 

DEMANDE DE CONTROLE JUDICIAIRE DECIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES SUR LA BASE DU DOSSIER ECRIT

MOTIFS DE JUGEMENT:

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 juin 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Ali Guidara

 

Pour le demandeur

NON REPRÉSENTÉ

Patrick Turcot

Kétia Calix

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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