Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220704


Dossiers : A-254-21

A-261-21

Référence : 2022 CAF 123

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Dossier : A-254-21

 

 

ENTRE

 

 

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

appelants

 

 

et

 

 

NATION CRIE ERMINESKIN et

 

 

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

 

Intimées

 

Dossier : A-261-21

ET ENTRE :

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

appelante

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LA TRIBU LOUIS BULL, LA KEEPERS OF THE WATER SOCIETY, LA WEST ATHABASCA WATERSHED BIOREGIONAL SOCIETY et LES NATIONS DES STONEY NAKODA (PREMIÈRE NATION BEARSPAW, PREMIÈRE NATION CHINIKI ET PREMIÈRE NATION DE WESLEY)

intimés

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe,

le 17 mai 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY


Date : 20220704


Dossiers : A-254-21

A-261-21

Référence : 2022 CAF 123

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Dossier : A-254-21

 

 

ENTRE

 

 

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

appelants

 

 

et

 

 

LA NATION CRIE ERMINESKIN et

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

 

intimées

 

Dossier : A-261-21

ET ENTRE :

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

appelante

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LA TRIBU LOUIS BULL, LA KEEPERS OF THE WATER SOCIETY, LA WEST ATHABASCA WATERSHED BIOREGIONAL SOCIETY et LES NATIONS DES STONEY NAKODA (PREMIÈRE NATION BEARSPAW, PREMIÈRE NATION CHINIKI ET

PREMIÈRE NATION DE WESLEY)

 

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

I. Observations générales

[1] Les présents motifs portent sur deux appels (A-254-21 et A-261-21) visant deux jugements de la Cour fédérale (le juge Brown; le juge de la cour fédérale) datés du 19 juillet 2021 (respectivement les jugements 2021 CF 758 et 2021 CF 759). Ces deux jugements concernent la décision du ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre) de prendre un arrêté de désignation en application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’évaluation d’impact, L.C. 2019, ch. 28, art. 1 (la LEI) relativement à des projets de mine de charbon en Alberta.

[2] Dans le premier jugement (2021 CF 758, correspondant à l’appel A-254-21), le juge de la cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la Nation crie Ermineskin (Ermineskin) et a annulé l’arrêté de désignation du ministre. Le juge de la cour fédérale a conclu que le ministre avait l’obligation de consulter Ermineskin en raison d’une entente sur les répercussions et les avantages intervenue entre Coalspur Mines (Operations) Ltd. (Coalspur) et Ermineskin, obligation dont le ministre ne s’est pas acquitté avant de prendre l’arrêté de désignation.

[3] Dans le second jugement (2021 CF 759, correspondant à l’appel A-261-21), le juge de la cour fédérale a rejeté, pour des motifs relevant du droit administratif, la demande parallèle de contrôle judiciaire de la décision du ministre en concluant que cette demande était devenue théorique à la suite de sa décision, dans le premier jugement, d’accueillir la demande de contrôle judiciaire d’Ermineskin.

[4] Trois organismes communautaires, à savoir le Keepers of the Water Counsel, la Keepers of the Athabasca Watershed Society et la West Athabasca Watershed Bioregional Society, sont parties à l’appel A-261-21. Le Keepers of the Water Counsel et la Keepers of the Athabasca Watershed Society ont été fusionnés plus tôt cette année et sont maintenant désignés sous le nom de Keepers of the Water Society. Lors de l’audience devant notre Cour, l’intitulé de la cause a été modifié pour refléter ce changement. Par conséquent, l’intitulé de la cause du présent appel reflète la fusion.

[5] Les deux appels devraient être rejetés pour les motifs qui suivent.

II. Contexte

A. Les parties

[6] Ermineskin est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5 et est signataire du Traité no 6. Son territoire traditionnel est connu sous le nom de Bear Hills, ou Maskwacheesihk, et il couvre une superficie d’environ 25 000 acres (le territoire traditionnel). Ermineskin détient et exerce des droits ancestraux protégés par la Constitution sur son territoire traditionnel ainsi que sur tout le territoire visé par le Traité no 6.

[7] Coalspur possède et exploite une mine de charbon à ciel ouvert à l’est de Hinton, à savoir la mine de charbon Vista. Elle exploite la mine de charbon Vista (phase I) et projette une mine de charbon souterraine (la mine souterraine) et l’agrandissement de la mine de charbon Vista (la phase II). Ces trois projets constituent conjointement « les projets ». Les projets se situent sur le territoire visé par le Traité no 6 ainsi que sur le territoire traditionnel.

(1) Résumé des projets

i. Phase I : cette phase a été approuvée par la province en 2014. Comme l’approbation de l’administration fédérale n’était pas nécessaire, la LEI n’a pas été invoquée. L’approbation de la phase I n’est pas en litige dans la présente instance.

ii. Mine souterraine : il s’agit d’une mine d’exploration qui se situerait à l’intérieur des limites associées aux permis et licences accordés dans le cadre de la phase I. Avant que le ministre ne décide de désigner ce projet, aucune autre évaluation n’était nécessaire en supplément à celles que la province a réalisées en 2014 avant l’approbation de la phase I.

  1. Phase II : il s’agit d’un agrandissement proposé de la phase I. Cette phase élargirait les limites de la phase I vers l’ouest, pour accroître le volume de production de charbon tout en utilisant l’infrastructure existante de la phase I.

[8] Le ministre est un décideur à qui la LEI confère divers pouvoirs. Il a désigné par arrêté la phase II et la mine souterraine sous le régime du paragraphe 9(1) de la LEI. Le ministre et le procureur général du Canada (désignés collectivement « le Canada ») sont les appelants dans l’appel A-254-21.

[9] La tribu Louis Bull et les Nations des Stoney Nakoda (Première nation Bearspaw, Première nation Chiniki et Première nation de Wesley) sont des groupes autochtones qui ont aussi demandé au ministre de désigner les projets de la phase II et de la mine souterraine pour les assujettir à une évaluation d’impact. Le Canada, la Keepers of the Water Society, la West Athabasca Watershed Bioregional Society, la tribu Louis Bull et les Nations des Stoney Nakoda sont les intimés dans l’appel A-261-21.

B. Entente sur les répercussions et les avantages

[10] En 2013, Coalspur a conclu une entente sur les répercussions et les avantages (ERA) avec Ermineskin à l’égard de la phase I (l’ERA de 2013). Une ERA est une entente intervenant entre un promoteur de projet et une communauté autochtone dans le but de partager les avantages d’un projet, en plus d’atténuer et de moduler les répercussions de ce projet sur les droits ancestraux et issus de traités, ainsi que de permettre la réalisation d’intérêts économiques et des possibilités associés aux droits ancestraux et issus de traités. L’ERA de 2013 a créé [traduction] « des possibilités mutuellement avantageuses sur le plan du développement communautaire, des infrastructures et des occasions commerciales, [...] a assuré la participation d’Ermineskin à la surveillance environnementale constante des activités de Coalspur » et a [traduction] « officialisé la relation » entre Ermineskin et Coalspur (dossier d’appel, affidavit I de Wildcat, onglet 7, à la p 1257).

[11] Au début de l’année 2019, Coalspur a lancé les discussions avec Ermineskin relativement à son projet de phase II. En octobre 2019, les deux parties ont conclu une ERA modifiée qui visait à la fois la phase I existante et les projets proposés (l’ERA de 2019).

[12] Le contenu de ces ERA est confidentiel, et aucune ERA n’a été déposée en preuve.

(1) Processus de désignation

[13] La LEI et le Règlement sur les activités concrètes, DORS/2019-285, créent un régime exhaustif au moyen duquel l’administration fédérale évalue les risques d’effets environnementaux négatifs découlant d’activités concrètes. Tout comme pour d’autres régimes d’évaluation d’impact, la LEI a pour but de concilier « les désirs d’aménagement du promoteur et la protection et la préservation de l’environnement » (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, 1992 CanLII 110 (CSC), à la p 71).

[14] Aux termes du paragraphe 9(1) de la LEI, le ministre peut « désigner » une activité concrète pour l’assujettir à la LEI, en faisant ainsi un « projet désigné ». Un projet désigné fait l’objet d’une évaluation initiale de ses impacts environnementaux et autres, et est assujetti à une surveillance et une approbation supplémentaires de la part de l’administration fédérale lorsque la situation le justifie. Le promoteur d’un projet ainsi désigné ne peut prendre de mesure qui se rapporte à la réalisation de tout ou partie du projet et qui peut entraîner des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale, et ce, tant que le processus fédéral d’évaluation n’est pas achevé (LEI, art. 7).

[15] Les nations autochtones, les organisations non gouvernementales, les autorités fédérales ou d’un autre ressort et les membres du public peuvent demander au ministre de désigner une activité concrète. Lorsqu’elle reçoit une telle demande, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’Agence) l’examine avant de solliciter l’avis des personnes touchées, y compris « les groupes autochtones potentiellement concernés », et celui de divers ministères gouvernementaux possédant une expertise pertinente. L’Agence prépare ensuite pour le ministre une recommandation qui tient « compte des connaissances scientifiques, autochtones et communautaires, des commentaires du promoteur et des consultations tenues auprès d’autres administrations, selon le cas » (dossier d’appel, onglet 6, pp. 1208-1209, 1215-1216; et LEI, para. 9(2) et 9(3)).

[16] Entre les mois de mai et d’août 2019, des groupes environnementaux ont demandé au ministre de désigner la phase II. L’Agence a sollicité les commentaires de 31 groupes autochtones, dont Ermineskin, à l’égard de cette demande. L’Agence a recommandé au ministre de ne pas désigner la phase II. En décembre 2019, suivant cette recommandation, le ministre a refusé la demande de désignation de la phase II visant à assujettir cette dernière à la LEI (le refus de désignation).

[17] Toutefois, un an plus tard, soit en mai et en juin 2020, le ministre a reçu de groupes environnementaux et de deux groupes autochtones, la tribu Louis Bull et les Nations des Stoney Nakoda, des demandes de révision de son refus de désignation à la lumière de la nouvelle demande que Coalspur a présentée en février 2020 à l’Alberta Energy Regulator (l’AER) concernant la mine souterraine. Ces groupes ont fait valoir que la demande d’approbation de la mine souterraine de Coalspur présentée à l’AER changeait les circonstances et ont demandé que la phase II et la mine souterraine soient examinées ensemble et que les deux projets soient désignés.

[18] Une fois de plus, l’Agence a recommandé au ministre de ne pas désigner la phase II, que ce soit seule ou conjointement avec la mine souterraine. L’Agence n’a pas sollicité l’avis des groupes autochtones avant d’en venir à cette conclusion, à l’exception de celui des deux groupes autochtones demandeurs. En outre, Ermineskin n’a pas eu l’occasion de formuler quelque commentaire pour éclairer la décision de l’Agence.

[19] Le 30 juillet 2020, contrairement à la recommandation de l’Agence, le ministre a désigné la phase II et la mine souterraine (le premier arrêté de désignation). Le ministre n’a pas avisé Ermineskin et cette dernière n’a pas eu l’occasion de présenter ses observations avant que la décision soit prise.

[20] Ermineskin et Coalspur ont toutes deux demandé le contrôle judiciaire du premier arrêté de désignation. Ermineskin a présenté une demande de contrôle judiciaire visant l’annulation du premier arrêté de désignation au motif que le ministre n’avait pas respecté son obligation de consultation prévue à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Loi constitutionnelle de 1982), et que la décision de prendre le premier arrêté de désignation était inéquitable sur le plan procédural et déraisonnable (2021 CF 758). Coalspur a également présenté une demande de contrôle judiciaire visant l’annulation du premier arrêté de désignation au motif qu’il était déraisonnable (2021 CF 759).

C. Résumé des décisions du juge de la Cour fédérale répertoriées sous les références 2021 CF 758 et 2021 CF 759

[21] Dans la décision 2021 CF 758, le juge de la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire, annulé le premier arrêté de désignation et renvoyé l’affaire au ministre pour nouvel examen. Il a conclu que le ministre avait l’obligation de consulter Ermineskin lors de l’examen des demandes de désignation et qu’il ne s’en était pas acquitté puisqu’il n’y a pas eu de consultation du tout.

[22] Dans sa décision, le juge de la Cour fédérale renvoie aux arrêts clés relatifs à l’honneur de la Couronne et à l’obligation de consulter découlant de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 90 à 93, renvoyant aux arrêts Rio Tinto Alcan Inc c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650 (Rio Tinto); Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511 (Nation haïda); et R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, 1990 CanLII 104). Il souligne que l’honneur de la Couronne « doit recevoir une interprétation généreuse afin de refléter les réalités sous‑jacentes dont il découle » (Nation haïda, para. 17) et que l’obligation de consulter commande une « approche généreuse et téléologique » (Rio Tinto, para. 43).

[23] Le juge de la Cour fédérale expose ensuite les trois conditions à remplir pour que soit déclenchée l’obligation de consulter : 1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, 2) la mesure envisagée de la Couronne et 3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 94, renvoyant aux arrêts Rio Tinto, para. 31; et Nation haïda, para. 35).

[24] Le juge de la Cour fédérale conclut que la première condition est remplie puisqu’un droit issu de traités est en cause et que la Couronne a connaissance des traités dont elle est partie (2021 CF 758, para. 95). Il ajoute que la deuxième condition est remplie puisque l’examen que fait le ministre d’un arrêté de désignation constitue une mesure de la Couronne (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 99). Relativement à la troisième condition, le juge de la Cour fédérale ne souscrit pas à la thèse du Canada qui fait valoir que le premier arrêté de désignation n’était pas susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur un droit ancestral. Le juge de la Cour fédérale conclut que l’approche du Canada est trop stricte (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 104).

[25] Dans son analyse, le juge de la cour fédérale conclut d’abord qu’il y avait obligation de consulter, car les projets « constituent une [traduction] “prise” de terres visées par le Traité no 6 et que ces mesures présentent le risque d’avoir un effet préjudiciable sur [l]es droits de chasse, de piégeage, de pêche et de récolte [d’Ermineskin] » (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 101). Il ajoute que même si ce ne sont pas toutes les « prises » de terres qui donnent automatiquement naissance à l’obligation de consulter, cette obligation était déclenchée dans cette affaire au vu de la preuve au dossier (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 101, renvoyant à l’arrêt Athabasca Chipewyan First Nation v. Alberta, 2019 ABCA 401, para. 57 à 61).

[26] Le juge de la cour fédérale conclut également que l’ERA de 2019 crée des intérêts économiques qui entraînent l’obligation de consulter (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 105). Il ajoute que le premier arrêté de désignation interdit à Coalspur de prendre une mesure quelconque se rapportant à la réalisation de la phase II et de la mine souterraine, et a repoussé les dates de début prévues des deux projets (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 76 et 77). Par conséquent, le premier arrêté de désignation a un effet préjudiciable sur les « avantages économiques, communautaires et d’autres natures qui reviennent à Ermineskin aux termes de l’ERA de 2019 » (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 77).

[27] Pour le juge de la cour fédérale, ces avantages « économiques, communautaires et d’autres natures » que crée l’ERA de 2019 sont « étroitement lié[s] à des droits ancestraux ou issus de traités et qui en découle[nt] donc » (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 105 et 107). Il conclut ensuite qu’il est incontesté que l’ERA de 2019 avait pour objectif d’indemniser Ermineskin pour la perte de droits ancestraux ou issus de traités et pour la prise par Coalspur de certaines de ses terres pour la phase II et la mine souterraine, et que l’ERA de 2019 ne déroge pas à ces droits (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 73 et 105). Par conséquent, le ministre avait l’obligation de consulter Ermineskin avant de prendre le premier arrêté de désignation.

[28] Le juge de la cour fédérale conclut que, puisqu’aucune consultation n’a eu lieu, la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation de consulter Ermineskin. Il a donc annulé le premier arrêté de désignation et renvoyé l’affaire au ministre pour nouvel examen. En raison de cette conclusion, le juge de la cour fédérale n’a pas tranché la question de l’équité procédurale ni celle du caractère raisonnable (motifs de la décision 2021 CF 758, para. 130 et 131).

[29] Vu sa décision d’annuler le premier arrêté de désignation dans le dossier 2021 CF 758, le juge de la cour fédérale a rejeté, dans le dossier 2021 CF 759, la demande de contrôle judiciaire de Coalspur.

D. Deuxième arrêté de désignation

[30] Le 3 août 2021, à la suite du jugement de la cour fédérale annulant le premier arrêté de désignation et renvoyant l’affaire au ministre pour nouvel examen, l’Agence a lancé un processus de consultation au sujet de la désignation de la phase II et de la mine souterraine, et a consulté Ermineskin pendant le processus de nouvel examen.

[31] Le 29 septembre 2021, à la suite de ce nouvel examen, le ministre a pris un nouvel arrêté de désignation en vertu du paragraphe 9(1) de la LEI, désignant de nouveau les mêmes deux projets (le deuxième arrêté de désignation). Le même jour, le ministre a interjeté appel de la décision de la cour fédérale (2021 CF 758) à l’égard du premier arrêté de désignation (A-254-21).

[32] Également le 29 septembre 2021, Coalspur a pour sa part interjeté appel de la décision (2021 CF 759) par laquelle la cour fédérale avait rejeté sa demande de contrôle judiciaire (A-261-21).

[33] En réponse à la prise du deuxième arrêté de désignation par le ministre, Coalspur, Ermineskin et la Première nation de Whitefish (Goodfish) Lake no128 ont chacune présenté à la cour fédérale une demande de contrôle judiciaire dans le but de le faire annuler (Ermineskin Cree Nation, Whitefish (Goodfish) Lake First Nation #128 et Coalspur Mines (Operations) Ltd., noT-1654-21). Ces demandes ont été regroupées à la cour fédérale (les demandes regroupées).

[34] Le 12 janvier 2022, la protonotaire Ring a rendu une ordonnance par laquelle elle suspendait les demandes regroupées jusqu’à ce que notre Cour ait tranché les appels A-254-21 et A-261-21. Le même jour, notre Cour a ordonné l’instruction accélérée des appels A-254-21 et A-261-21.

E. Requête de Coalspur en radiation de l’appel A-254-21 en raison de son caractère théorique

[35] Après la prise du deuxième arrêté de désignation, Coalspur a également introduit devant notre Cour une requête en radiation de l’appel A-254-21 – lequel porte sur le premier arrêté de désignation – en raison de son caractère théorique. Selon Coalspur, puisque le deuxième arrêté de désignation l’empêche de réaliser ses projets proposés, l’instruction du présent appel importe peu puisqu’il n’aura aucun effet concret. Si l’appel A-254-21 est accueilli, le premier arrêté de désignation sera rétabli et les deux arrêtés de désignation se chevaucheront. Si l’appel A-254-21 est rejeté, l’annulation du premier arrêté de désignation restera valide, mais les projets seront toujours désignés au titre de la LEI en raison du deuxième arrêté de désignation. Coalspur ajoute qu’il était abusif de la part du ministre de prendre le deuxième arrêté de désignation et affirme que le Canada aurait plutôt dû demander la suspension de l’ordonnance de la cour fédérale à l’égard du premier arrêté de désignation (2021 CF 758) en attendant qu’il soit statué sur le présent appel (A-254-21).

[36] S’appuyant sur les prétentions de Coalspur, Ermineskin estime elle aussi que notre Cour devrait rejeter l’appel A-254-21 en raison de son caractère théorique, puisque l’infirmation de la décision de la cour fédérale n’aurait aucun effet.

[37] Coalspur affirme que, si notre Cour rejette l’appel A-254-21, la société consentirait à une ordonnance par laquelle l’appel A-261-21 qu’elle a interjeté serait rejeté ou à une ordonnance par laquelle elle pourrait se désister de cet appel (prétentions écrites de Coalspur accompagnant la requête, para. 3). Les intimées dans l’appel A-261-21 n’ont formulé aucun commentaire sur le caractère théorique de l’appel A-254-21.

III. Discussion

A. Caractère théorique de l’appel A-254-21

[38] Une affaire théorique en est une qui n’aura pas pour effet de résoudre un litige en cours qui a, ou peut avoir, une incidence sur les droits des parties (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 1989 CanLII 123 (CSC) (Borowski)). En l’espèce, il existe deux issues possibles à l’appel A-254-21 : le maintien de l’annulation du premier arrêté de désignation ou le rétablissement de cet arrêté. Aucune de ces issues n’aura d’incidence sur la désignation de la phase II et de la mine souterraine au titre de la LEI, étant donné que ces projets demeureront désignés conformément au deuxième arrêté de désignation.

[39] En outre, et plus important encore, sans attendre de savoir si le juge de la cour fédérale a eu raison ou non de conclure qu’il y avait une obligation de consultation dans la présente affaire, le Canada a consulté Ermineskin avant de prendre le deuxième arrêté de désignation. Le Canada aurait pu demander la suspension de l’ordonnance de la cour fédérale jusqu’à ce que le présent appel soit tranché, mais a plutôt choisi de consulter Ermineskin et ainsi de se conformer à la décision de la cour fédérale. Il était certes loisible au Canada de choisir de se conformer à la décision de la cour fédérale, mais ce choix fait en sorte que la question de savoir si le Canada avait l’obligation de consulter Ermineskin n’est plus en litige.

[40] En effet, le Canada s’est maintenant acquitté de cette obligation et les demandes regroupées relatives au deuxième arrêté de désignation concernent non pas l’obligation de consulter, mais plutôt la suffisance de cette consultation. Ainsi, comme le ministre a consulté Ermineskin, la seule question en litige concerne la suffisance de la consultation. Il s’agit exactement de la question soulevée dans les demandes regroupées en suspens à la cour fédérale.

[41] Je suis donc d’avis que l’appel A-254-21 est théorique. En tenant compte de tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski, je ne peux conclure que notre Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’appel malgré son caractère théorique. Des considérations de célérité et d’efficience, entre autres, ne militent pas en faveur de l’instruction de cet appel, car le fait de l’instruire sur le fond retarderait le règlement des demandes regroupées (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, para. 140). Trancher l’appel occasionnerait un gaspillage de ressources judiciaires et reviendrait à élaborer le droit dans l’abstrait de manière inadmissible, puisque les questions en litige sont devenues théoriques (Borowski). L’arrêt récent de notre Cour Syndicat canadien de la fonction publique (Composante Air Canada) c. Air Canada, 2021 CAF 67 est pertinent :

[14] La question du caractère théorique revêt une plus grande importance depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 C.S.C. 65. Dans cet arrêt, la Cour suprême a souligné que les tribunaux doivent tenir compte de la rapidité et de l’efficacité lorsqu’ils examinent les demandes de contrôle judiciaire et ne devraient pas accorder de mesures de redressement lorsque celles-ci ne servent à rien : par. 140, renvoyant à l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 C.S.C. 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 55.

[42] Toutefois, malgré la conclusion selon laquelle l’appel A-254-21 est théorique, les présents motifs ne doivent en aucun cas être interprétés comme étant une approbation de la décision du juge de la cour fédérale.

[43] Coalspur affirme que, si l’appel A-254-21 est rejeté en raison de son caractère théorique, elle consentira à se désister de l’appel A-261-21 ou à ce que cet appel soit rejeté, sans solliciter les dépens (mémoire des faits et du droit de l’appelante Coalspur dans le dossier A-254-21, para. 3). Le Canada souscrit à l’avis de Coalspur selon lequel le rejet de l’appel A-254-21 rendra l’appel A-261-21 théorique (mémoire des faits et du droit de l’intimé Canada dans l’appel A-261-21, aux para. 2 et 24). Les autres intimées dans l’appel A-261-21 ont toutes soutenu que l’appel A-261-21 est théorique (mémoire des faits et du droit de l’intimée Tribu Louis Bull dans l’appel A-261-21, para. 1; et mémoire des faits et du droit des intimées Keepers of the Water Society et West Athabasca Watershed Bioregional Society dans l’appel A-261-21, para. 4). Il est donc constant que l’appel A-261-21 doit être rejeté et n’a pas à être tranché.

[44] J’accueillerais la requête en radiation de Coalspur, rejetterais l’appel A-254-21 en raison de son caractère théorique, avec dépens, et rejetterais l’appel A-261-21, sans dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-254-21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. LA NATION CRIE ERMINESKIN ET COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

 

DOSSIER :

A-261-21

 

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LA TRIBU LOUIS BULL, LA KEEPERS OF THE WATER SOCIETY, LA WEST ATHABASCA WATERSHED BIOREGIONAL SOCIETY ET LES NATIONS DES STONEY NAKODA (PREMIÈRE NATION BEARSPAW, PREMIÈRE NATION CHINIKI ET PREMIÈRE NATION DE WESLEY)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 juillet 2022

 

COMPARUTIONS

Dossier :

A-254-21

Kerry Boyd

James Elford

Katherine Starks

 

Pour les appelants

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Joe McArthur

Joanne Lysyk

Sean Gallagher

 

Pour l’intimée

la NATION CRIE ERMINESKIN

 

Martin Ignasiak

Sean Sutherland

Coleman Brinker

 

Pour l’intimée

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

DOSSIER :

A-261-21

Martin Ignasiak

Sean Sutherland

Coleman Brinker

Erin Bower

 

Pour l’APPELANTE

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

Kerry Boyd

James Elford

Katherine Starks

 

Pour les appelants

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Sara Louden

Pour l’intimée

les NATIONS DES STONEY NAKODA

 

Dyna Tuytel

Daniel Cheater

Pour les intimées

la KEEPERS OF THE WATER SOCIETY ET la WEST ATHABASCA WATERSHED BIOREGIONAL SOCIETY

 

Meaghan M Conroy

Erika Klassen

 

Pour l’intimée

la Tribu Louis Bull

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossier :

A-254-21

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour les appelants

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET CHANGEMENT CLIMATIQUE ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée

LA NATION CRIE ERMINESKIN

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

Pour l’intimée

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

Dossier :

A-261-21

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Calgary (Alberta)

Pour l’APPELANTE

COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour les appelants

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Rae and Company

Calgary (Alberta)

 

Pour l’intimée

les NATIONS DES STONEY NAKODA

 

Ecojustice

Calgary (Alberta)

 

Pour les intimées

la KEEPERS OF THE WATER SOCIETY ET la WEST ATHABASCA WATERSHED BIOREGIONAL SOCIETY

 

MLT Aikins LLP

Edmonton (Alberta)

Pour l’intimée

la Tribu Louis Bull

 

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