Dossier : A-246-20
Référence : 2022 CAF 126
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
|
LA JUGE GLEASON
LA JUGE RIVOALEN
LA JUGE MONAGHAN
|
ENTRE : |
|
RYAN EDMOND SOULLIERE |
|
appelant |
|
et |
|
SA MAJESTÉ LA REINE |
|
intimée |
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 avril 2022.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2022.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE GLEASON |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE RIVOALEN LA JUGE MONAGHAN |
Date : 20220707
Dossier : A-246-20
Référence : 2022 CAF 126
CORAM :
|
LA JUGE GLEASON
LA JUGE RIVOALEN
LA JUGE MONAGHAN
|
ENTRE : |
|
RYAN EDMOND SOULLIERE |
|
appelant |
|
et |
|
SA MAJESTÉ LA REINE |
|
intimée |
MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE GLEASON
I. Introduction
[1] L’appelant appelle du jugement de la Cour canadienne de l’impôt Soulliere c. La Reine, 2020 CCI 67 (motifs du juge suppléant Jorré), par lequel la Cour de l’impôt a confirmé les cotisations établies à l’égard de l’appelant en sa qualité d’administrateur de la société Metro Catering & Vending Services (2010) Inc. (Metro 2010), concernant des retenues d’impôt à la source et des montants de taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) nette qui n’avaient pas été versés, en vertu respectivement de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e supp.) (la LIR), et de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15 (la LTA).
[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel, avec dépens.
II. Contexte et motifs de la Cour de l’impôt
[3] Metro 2010 a été constituée en société sous le régime de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, L.R.O. 1990, c. B.16 (la LSAO), le 1er novembre 2010, et elle a exercé essentiellement les mêmes activités qu’une autre entreprise familiale, Metro (Windsor) Enterprises Inc. (Metro Windsor), pendant que cette dernière était mise sous séquestre.
[4] Dans ses motifs, la Cour de l’impôt a présumé que le père de l’appelant était responsable de la gestion globale de l’entreprise de Metro 2010; elle n’a toutefois formulé aucune conclusion de fait sur ce point, car ce n’était pas nécessaire pour les besoins de son analyse.
[5] L’appelant a participé aux activités de Metro Windsor et de Metro 2010. La Cour de l’impôt a retenu le témoignage de l’appelant, selon lequel il dirigeait les activités quotidiennes des deux sociétés, « la majeure partie de son temps étant consacrée – au sens métaphorique – à “jouer les pompiers” »
(motifs de la CCI au para. 21).
[6] L’appelant n’était pas actionnaire de Metro 2010, mais il en était le seul administrateur désigné dans les statuts. Aucun autre administrateur n’a été nommé ou élu. L’appelant a accepté le poste de premier administrateur à la demande de son père, qui lui a dit qu’il devait signer les documents qui le désignaient à titre de premier administrateur de Metro 2010 parce qu’il le fallait pour que Metro 2010 continue à exploiter l’entreprise de Metro Windsor après la mise sous séquestre de cette dernière. Selon le rapport sur le profil de la société Metro 2010, l’appelant en était également le président et le secrétaire.
[7] Metro 2010 n’a jamais tenu de première assemblée des actionnaires.
[8] Quelques semaines après avoir accepté le rôle d’administrateur désigné dans les statuts, l’appelant a signé une lettre adressée à Metro 2010, dans laquelle il annonçait qu’il démissionnait de son poste d’administrateur, cette décision prenant effet à la date de la lettre. Il a remis la lettre à son père. L’appelant a présenté sa démission après avoir réalisé qu’il pourrait être tenu responsable des dettes de Metro 2010, en sa qualité de seul administrateur. La Cour de l’impôt a présumé que la lettre de démission de l’appelant avait été livrée à Metro 2010 le 10 décembre 2010, au moment où l’appelant a remis la lettre à son père, même si, là encore, il n’était pas nécessaire que la Cour de l’impôt statue sur ce point.
[9] La seule question que la Cour de l’impôt devait trancher était de savoir si la démission de l’appelant avait pris effet. La Cour de l’impôt a conclu que ce n’était pas le cas en raison de l’effet conjugué des paragraphes 115(4) et 119(2) de la LSAO. Ces dispositions sont rédigées ainsi :
|
|
|
|
|
|
[10] La Cour de l’impôt a conclu que l’appelant était demeuré administrateur de Metro 2010 après avoir remis sa lettre de démission, pour deux motifs : premièrement, selon l’ordre séquentiel prescrit, la disposition déterminative du paragraphe 115(4) de la LSAO ne peut s’appliquer que si tous les administrateurs ont déjà démissionné ou ont été destitués et, deuxièmement, la disposition déterminative du paragraphe 115(4) n’a pas pour effet de causer une nomination au sens du paragraphe 119(2) de la LSAO. Par conséquent, comme la société n’avait jamais tenu de première assemblée des actionnaires, la démission de l’appelant n’avait pas pris effet et celui-ci était responsable des sommes non versées au titre des articles 227.1 de la LIR et 323 de la LTA.
III. Analyse
[11] Devant notre Cour, l’appelant soutient que la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation des paragraphes 115(4) et 119(2) de la LSAO, car un administrateur réputé peut être considéré comme étant « nommé »
au sens du paragraphe 119(2) de la LSAO, de sorte que la démission de l’appelant a pris effet au moment où elle a été remise.
[12] L’interprétation que la Cour de l’impôt a faite de la LSAO soulève une question de droit et est par conséquent susceptible de contrôle devant notre Cour selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 au para. 8).
[13] Il existe relativement peu d’affaires dans lesquelles l’interaction entre les paragraphes 115(4) et 119(2) de la LSAO a été examinée, et aucune de ces affaires n’a été entendue par notre Cour ou la Cour d’appel de l’Ontario. Dans les décisions Goicoechea c. La Reine, 2010 CCI 539, et Doncaster c. La Reine, 2015 CCI 127, la Cour de l’impôt a interprété les paragraphes 115(4) et 119(2) de la LSAO de la même manière qu’en l’espèce. Contrairement à ce que soutient l’appelant, la Cour de l’impôt n’a pas souscrit à l’interprétation qu’il propose de la décision Grupp c. La Reine, 2014 CCI 184. Étant donné le peu de jurisprudence faisant autorité sur cette question, un exercice d’interprétation des lois s’impose.
[14] Les principes d’interprétation des lois sont bien connus et ils ont été résumés en ces termes par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 au para. 10, [2005] 2 R.C.S. 601 :
Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.
[15] En premier lieu, en ce qui concerne le texte des dispositions, je conclus que l’interprétation de la Cour de l’impôt respecte le sens ordinaire des paragraphes 115(4) et 119(2) de la LSAO. Dans leur sens ordinaire, les dispositions déterminatives ne constituent ni une « élection »
ni une « nomination »
, ce qui corrobore l’interprétation de la Cour de l’impôt.
[16] Cette interprétation textuelle est également corroborée par la présomption d’uniformité d’expression qui s’applique dans l’interprétation des lois, laquelle présomption exige qu’à moins que le contexte ne dicte le contraire, les termes « élu »
et « nommé »
figurant au paragraphe 119(2) soient interprétés d’une manière qui s’accorde avec l’interprétation qui est faite d’autres dispositions de la LSAO où figurent ces termes : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, LexisNexis, 2014 à la s. 11.2 et 11.3.
[17] Les autres dispositions de la LSAO qui portent sur l’élection et la nomination des administrateurs sont incompatibles avec l’interprétation que propose l’appelant, mais en revanche s’accordent entièrement avec l’interprétation de la Cour de l’impôt.
[18] Plus précisément, des administrateurs peuvent être élus en application du paragraphe 119(4) et de l’article 120 de la LSAO lors d’une assemblée des actionnaires convoquée par les administrateurs, ou encore en application du paragraphe 124(4) de la LSAO lors d’une assemblée convoquée par des actionnaires pour pourvoir un poste vacant au sein du conseil d’administration. Ces dispositions sont rédigées ainsi :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[19] Des administrateurs peuvent aussi être nommés par des administrateurs, s’il y a quorum, en application du paragraphe 124(1) de la LSAO ou, dans certaines circonstances, par la Cour supérieure de justice de l’Ontario en application des alinéas 186(3)b) et 248(3)e) de la LSAO. Ces dispositions sont rédigées ainsi :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[20] Les dispositions ci-dessus concernant la nomination ou l’élection d’administrateurs requièrent toutes des actions délibérées. Elles sont donc incompatibles avec l’idée voulant qu’une nomination puisse résulter de la disposition déterminative du paragraphe 115(4) de la LSAO.
[21] D’autres dispositions de la LSAO présentent un contexte qui étaye également l’interprétation de la Cour de l’impôt. Des dispositions contextuelles pertinentes se trouvent notamment aux paragraphes 115(1), 117(1), 119(1), 119(9), 119(10) et 121(2) ainsi qu’à l’alinéa 121(1)a) de la LSAO. Ces dispositions sont rédigées ainsi :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[22] Le paragraphe 115(1) de la LSAO énonce la fonction principale que doivent exercer les administrateurs, laquelle consiste à diriger ou à superviser les affaires d’une société, ce qui est une fonction importante. Dans l’exercice de cette fonction, les administrateurs ont des obligations de fiduciaire envers la société.
[23] Le paragraphe 117(1) de la LSAO énonce les mesures que prennent habituellement les administrateurs d’une société pour bien organiser les affaires de la société. Ce paragraphe exige également la tenue d’une réunion du conseil d’administration pendant laquelle les administrateurs mettront en place ces mesures.
[24] Comme le note à juste titre l’intimée, les personnes réputées être des administrateurs au titre du paragraphe 115(4) de la LSAO souvent ne savent pas qu’elles sont réputées exercer ces fonctions. Si les administrateurs désignés dans les statuts étaient autorisés à démissionner avant la première assemblée des actionnaires de la société durant laquelle sont élus les administrateurs permanents, la personne réputée être un administrateur pourrait ne pas être informée de ses obligations de fiduciaire envers la société et ne pas prendre les mesures prévues au paragraphe 117(1) de la LSAO. La LSAO dispose toutefois que le conseil d’administration doit tenir une réunion lors de laquelle les administrateurs peuvent prendre les mesures énoncées au paragraphe 117(1). Cette disposition étaye l’interprétation que la Cour de l’impôt a faite des paragraphes 115(4) et 119(2) de la LSAO, selon laquelle le risque qu’il y ait manquement aux exigences énoncées au paragraphe 117(1) est considérablement réduit.
[25] Les paragraphes 119(1), 119(2), 119(4), 119(9) et 119(10) de la LSAO ont pour effet conjugué que les administrateurs qui remplacent les administrateurs désignés dans les statuts doivent être informés de leur nomination par les actionnaires lors de la première assemblée des actionnaires et ils doivent consentir à leur élection ou à leur nomination, ce qui, là encore, étaye l’interprétation de la Cour de l’impôt.
[26] Le paragraphe 119(1) vient étayer davantage cette interprétation. L’utilisation, dans la version anglaise de ce paragraphe, du terme « shall »
, qui exprime l’obligation, montre que les administrateurs désignés dans les statuts doivent exercer leur charge jusqu’à la première assemblée des actionnaires. Ce terme d’obligation est également utilisé au paragraphe 119(2), qui dispose que, jusqu’à la première assemblée des actionnaires, la démission d’un administrateur désigné dans les statuts ne prend effet que si un successeur a été nommé ou élu. Ce langage d’obligation s’accorde également avec l’interprétation restreinte du terme « nomination »
qui exclut les nominations réputées au titre du paragraphe 115(4) de la LSAO.
[27] Il est expressément énoncé à l’alinéa 121(1)a) de la LSAO que cette disposition s’applique sous réserve du paragraphe 119(2), de sorte qu’une démission ne peut prendre effet qu’après la tenue de la première assemblée des actionnaires. Le fait que le paragraphe 121(2) retire aux administrateurs désignés dans les statuts la possibilité de démissionner favorise également l’interprétation restreinte du terme « nomination »
au paragraphe 119(2) de la LSAO.
[28] Bref, l’analyse contextuelle étaye l’interprétation que la Cour de l’impôt a faite des paragraphes 115(4) et 119(2) de la LSAO.
[29] Quant à l’objet de ces dispositions, le paragraphe 119(2) de la LSAO a été adopté dans le cadre d’un projet de loi dont l’objectif était d’améliorer les protections offertes aux investisseurs : Ontario, Assemblée législative, 32-1 (24 avril 1981), discutant de la Loi modifiant la Loi sur les sociétés par actions, S.O. 1982, c. 4. Lors du dépôt de ce projet de loi, le ministre responsable s’est adressé en ces termes à l’Assemblée législative de l’Ontario :
[traduction]
La protection des investisseurs de la province me préoccupe profondément. Je veux que le marché soit équitable pour tous. Le projet de loi prévoit plusieurs dispositions qui amélioreront cette protection [...]
[30] Permettre à un administrateur désigné dans les statuts de démissionner sans qu’un successeur ait été nommé pour le remplacer serait contraire à l’objectif de protection des investisseurs. Une telle situation rendrait les investisseurs vulnérables dès la constitution de la société, avant que des successeurs soient désignés et consentent à remplir les fonctions d’administrateurs. Comme le fait observer l’intimée au paragraphe 61 de son mémoire des faits et du droit, si l’on retenait l’interprétation que propose l’appelant, [traduction] « [il] n’y aurait aucune continuité dans la gestion de la société et aucun moyen de garantir que la société ait, un administrateur de juré dès sa constitution »
.
[31] Le paragraphe 119(2) de la LSAO a été modifié en 1994 pour en limiter l’application aux prétendues démissions remises avant la tenue de la première assemblée des actionnaires. Le paragraphe 115(4) a été ajouté au même moment à la LSAO (Loi de 1994 modifiant des lois en ce qui a trait aux pratiques de gestion et aux services du gouvernement, L.O. 1994, c. 27). Il n’y a rien dans le dossier législatif qui indique que le paragraphe 115(4) ait eu pour but de supplanter le paragraphe 119(2) ou d’en limiter la portée. Le paragraphe 115(4) vise plutôt à offrir une protection supplémentaire aux investisseurs et débiteurs.
[32] Par conséquent, je conclus que le texte, le contexte et l’objet de ces dispositions étayent l’interprétation de la Cour de l’impôt.
IV. Dispositif proposé
[33] Je ne constate aucune erreur dans la décision de la Cour de l’impôt, et par conséquent je rejetterais le présent appel, avec dépens.
« Mary J.L. Gleason »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Marianne Rivoalen, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
K. A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
Dossier : |
A-246-20 |
||
INTITULÉ :
|
RYAN EDMOND SOULLIERE c. SA MAJESTÉ LA REINE |
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
|||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 26 avril 2022
|
|||
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LA JUGE GLEASON
|
|||
Y ONT SOUSCRIT :
|
LA JUGE RIVOALEN LA JUGE MONAGHAN
|
|||
DATE DES MOTIFS :
|
Le 7 juillet 2022 |
|||
COMPARUTIONS :
Craig J. Allen |
Pour l’appelant |
Meaghan Mahadeo Jason Stober |
Pour l’intimée |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Craig Allen Law Windsor (Ontario) |
Pour l’appelant |
A. François Daigle Sous-procureur général du Canada |
Pour l’intimée |