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Date : 20220706


Dossier : A-302-20

Référence : 2022 CAF 125

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

FIDUCIE ST. BENEDICT CATHOLIC SECONDARY SCHOOL

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue par visioconférence organisée par le greffe le 23 mars 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 6 juillet 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220706


Dossier : A-302-20

Référence : 2022 CAF 125

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

FIDUCIE ST. BENEDICT CATHOLIC SECONDARY SCHOOL

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] La question dans le présent appel est de savoir si un contribuable qui a déclaré certains montants à titre de déductions pour amortissement (DPA) dans ses déclarations de revenus pendant un certain nombre d'années (lesquelles déductions ont donné lieu à des pertes autres qu'en capital durant chacune de ces années d'imposition) peut ultérieurement (après l'expiration des périodes durant lesquelles ces pertes peuvent être reportées à un exercice ultérieur) modifier les montants déclarés durant les années en cause.

[2] La Cour canadienne de l'impôt (2020 CCI 109) a conclu que la contribuable ne pouvait pas modifier les montants des DPA qu'elle avait déclarés durant les années antérieures.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais le présent appel.

I. Le contexte

[4] La fiducie St. Benedict Catholic Secondary School (la fiducie) est locataire de l'école secondaire catholique St. Benedict et du terrain avoisinant (un bien de la catégorie 13). La fiducie a demandé une DPA lors de la production de ses déclarations de revenus pour ses années d'imposition 1997 à 2003. Durant chacune de ces années, les montants déclarés à titre de DPA ont eu pour effet soit d'entraîner des pertes autres qu'en capital pour la fiducie, soit d'augmenter le montant de ces pertes.

[5] Lors du calcul de son revenu imposable pour ses années d'imposition 2014, 2015 et 2016, la fiducie a demandé une déduction pour des pertes autres qu'en capital subies de 1997 à 2003. Les nouvelles cotisations établies à l'égard de la fiducie indiquaient qu'on refusait les déductions demandées parce que la période durant laquelle ces pertes pouvaient être reportées à un exercice ultérieur était expirée.

[6] Dans son avis d'opposition à ces nouvelles cotisations, la fiducie ne prétendait plus pouvoir reporter ces pertes autres qu'en capital aux années 2014, 2015 et 2016. Elle prétendait plutôt avoir subi une perte finale en 2017, lorsqu'elle a disposé de son droit de locataire à l'égard du bien‑fonds pour la somme d'un dollar. Bien que le ministre du Revenu national (le ministre) reconnaisse que la fiducie a subi une perte finale en 2017, le montant de cette perte finale est en litige. La perte finale subie en 2017 pourrait faire l'objet d'un report rétrospectif aux années d'imposition en cause (2014, 2015 et 2016), en application de l'alinéa 111(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

[7] La fiducie prétend avoir subi une perte finale parce que la fraction non amortie du coût en capital (FNACC) des biens de cette catégorie était de 3 491 900 $. Le ministre prétend, pour sa part, que la FNACC des biens de cette catégorie qui doit servir à calculer la perte finale n'était que de 679 683 $.

[8] L'écart entre ces deux montants tient au fait que le ministre a calculé la FNACC en tenant compte des montants que la fiducie avait déclarés à titre de DPA dans ses déclarations de revenus pour les années 1997 à 2003, lesquels montants ont réduit la FNACC des biens de cette catégorie. La fiducie souhaite maintenant modifier les montants de la DPA qu'elle a déclarés pour ses années d'imposition 1997 à 2003. La fiducie demande que soient réduits les montants déclarés à titre de DPA pour ces années d'imposition en faisant valoir que les montants révisés proposés feraient toujours en sorte qu'aucun impôt ne serait exigible pour chacune de ces années.

[9] D'après l'exposé conjoint des faits que les parties ont présenté à la Cour de l'impôt, il semble que la fiducie cherchait à faire modifier les montants déclarés à titre de DPA pour ses années d'imposition 1997 à 2003, ainsi que pour l'année d'imposition 2010. Le juge de la Cour de l'impôt n'a toutefois examiné que les modifications proposées pour les années 1997 à 2003 (paragraphes 16 et 17 de ses motifs). Aucune observation distincte n'a été présentée par l'une ou l'autre partie au présent appel au sujet de la modification proposée pour l'année 2010. Par conséquent, les présents motifs ne porteront eux aussi que sur les modifications proposées pour les années 1997 à 2003.

II. La décision de la Cour de l'impôt

[10] Le juge de la Cour de l'impôt s'est principalement fondé sur les définitions des termes « fraction non amortie du coût en capital » (FNACC) et « amortissement total » au paragraphe 13(21) de la Loi. Lorsque la fiducie a demandé des DPA dans ses déclarations de revenus pour les années 1997 à 2003, les montants déclarés à ce titre ont eu pour effet de réduire la FNACC des biens de la catégorie applicable (catégorie 13). Lorsque la fiducie a vendu les biens de la catégorie 13 en 2017, la FNACC correspondait au montant calculé par le ministre.

[11] Le juge de la Cour de l'impôt a établi une distinction entre les décisions invoquées par la fiducie pour étayer son argument selon lequel elle pouvait modifier ultérieurement les montants déclarés à titre de DPA durant les années 1997 à 2003. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que l'intention du législateur n'était pas, à son avis, de permettre que la fiducie puisse, à ce moment, modifier unilatéralement les montants qu'elle avait déclarés à titre de déductions discrétionnaires lors du calcul de son revenu pour les années 1997 à 2003. Au paragraphe 17 de ses motifs, le juge de la Cour de l'impôt a noté ce qui suit : « La demande de la contribuable constitue à mes yeux une planification fiscale unilatérale et rétroactive. »

[12] Le juge de la Cour de l'impôt a donc rejeté l'appel de la fiducie.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[13] La question dans le présent appel est de savoir si, aux fins du calcul de la perte finale subie en 2017, la fraction non amortie du coût en capital correspond :

  • (a)soit au montant calculé en déduisant les sommes que la fiducie a déclarées à titre de DPA lors de la production de ses déclarations de revenus pour les années 1997 à 2003;

  • (b)soit au montant maintenant proposé par la fiducie à titre de montant révisé de la DPA pour ses années d'imposition 1997 à 2003.

[14] Comme il s'agit d'une question de droit, la norme de contrôle qui s'applique est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

IV. Dispositions légales pertinentes

[15] Le paragraphe 20(16) de la Loi dispose que les pertes finales sont déductibles :

(16) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), lorsque, à la fin d'une année d'imposition :

(16) Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), 18(1)(b) and 18(1)(h), where at the end of a taxation year,

a) d'une part, le total des montants entrant dans le calcul des éléments A à D.1 de la formule figurant à la définition de « fraction non amortie du coût en capital » au paragraphe 13(21) excède le total des montants entrant dans le calcul des éléments E à K de la même formule, au titre des biens amortissables d'une catégorie prescrite d'un contribuable;

(a) the total of all amounts used to determine A to D.1 in the definition « undepreciated capital cost » in subsection 13(21) in respect of a taxpayer's depreciable property of a particular class exceeds the total of all amounts used to determine E to K in that definition in respect of that property, and

b) d'autre part, le contribuable ne possède plus de biens de cette catégorie,

(b) the taxpayer no longer owns any property of that class,

dans le calcul de son revenu pour l'année :

in computing the taxpayer's income for the year

c) il doit déduire l'excédent déterminé en vertu de l'alinéa a);

(c) there shall be deducted the amount of the excess determined under paragraph 20(16)(a), and

d) il ne peut déduire aucun montant pour l'année en vertu de l'alinéa (1)a) à l'égard des biens de cette catégorie.

(d) no amount shall be deducted for the year under paragraph 20(1)(a) in respect of property of that class.

[16] La FNACC est définie au paragraphe 13(21) de la Loi par la formule suivante : (A + B + C + D + D.1) - (E + E.1 + F + G + H + I + J + K). Pour calculer la FNACC en l'espèce, seuls trois éléments doivent être pris en compte, soit A, E et F. On ne conteste pas les montants correspondant aux éléments A ou F; le seul élément de cette formule en litige dans le présent appel est le montant devant correspondre à l'élément E. Les sections pertinentes de la définition de la FNACC sont ainsi rédigées :

fraction non amortie du coût en capital S'agissant de la fraction non amortie du coût en capital existant à un moment donné pour un contribuable, relativement à des biens amortissables d'une catégorie prescrite, le montant calculé selon la formule suivante :

undepreciated capital cost to a taxpayer of depreciable property of a prescribed class as of any time means the amount determined by the formula

(A + B + C + D + D.1) - (E + E.1 + F + G + H + I + J + K)

(A + B + C + D + D.1) - (E + E.1 + F + G + H + I + J + K)

où :

where

[…]

A représente le total des sommes dont chacune est le coût en capital que le contribuable a supporté pour chaque bien amortissable de cette catégorie acquis avant ce moment;

A is the total of all amounts each of which is the capital cost to the taxpayer of a depreciable property of the class acquired before that time,

[...]

. . .

E l'amortissement total accordé au contribuable relativement aux biens de cette catégorie avant ce moment [...]

E is the total depreciation allowed to the taxpayer for property of the class before that time . . .

F le total des sommes dont chacune est, pour une disposition, avant ce moment, de biens [...] de cette catégorie dont le contribuable est propriétaire, la moins élevée des sommes suivantes :

F is the total of all amounts each of which is an amount in respect of a disposition before that time of property . . . of the taxpayer of the class, and is the lesser of

a) le produit de disposition des biens moins les dépenses engagées ou effectuées en vue de la disposition;

(a) the proceeds of disposition of the property minus any outlays and expenses to the extent that they were made or incurred by the taxpayer for the purpose of making the disposition, and

b) le coût en capital que ce contribuable a supporté pour les biens;

(b) the capital cost to the taxpayer of the property,

[17] L'amortissement total auquel un contribuable a droit est défini au paragraphe 13(21) de la Loi. La partie pertinente de cette définition est reproduite ci-après :

amortissement total S'agissant de l'amortissement total accordé à un contribuable avant un moment donné pour les biens d'une catégorie prescrite, le total des montants dont chacun représente une déduction pour amortissement prise par le contribuable par application de l'alinéa 20(1)a) pour les biens de cette catégorie [...] dans le calcul du revenu du contribuable pour les années d'imposition se terminant avant ce moment.

total depreciation allowed to a taxpayer before any time for property of a prescribed class means the total of all amounts each of which is an amount deducted by the taxpayer under paragraph 20(1)(a) in respect of property of that class . . . in computing the taxpayer's income for taxation years ending before that time;

[18] L'alinéa 20(1)a) de la Loi prévoit une déduction pour amortissement dans le calcul du revenu :

20(1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant

20(1) Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), 18(1)(b) and 18(1)(h), in computing a taxpayer's income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto

a) la partie du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant au titre de ce coût ainsi supporté que le règlement autorise

(a) such part of the capital cost to the taxpayer of property, or such amount in respect of the capital cost to the taxpayer of property, if any, as is allowed by regulation

[19] Le paragraphe 1100(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 (le Règlement), prévoit une déduction pour amortissement (DPA) pour les biens de la catégorie 13. Durant les années d'imposition en cause, cette disposition était en partie ainsi rédigée :

1100 (1) Pour l'application des alinéas 8(1)j) et p) et de l'alinéa 20(1)a) de la Loi, un contribuable peut déduire dans le calcul de son revenu pour chaque année d'imposition des montants correspondant :

1100 (1) For the purposes of paragraphs 8(1)(j) and (p) and 20(1)(a) of the Act, the following deductions are allowed in computing a taxpayer's income for each taxation year:

[...]

. . .

Catégorie 13

Class 13

b) au montant qu'il peut réclamer au titre du coût en capital, pour lui, d'un bien de la catégorie 13 de l'annexe II, sans dépasser

(b) such amount as the taxpayer may claim in respect of the capital cost to the taxpayer of property of Class 13 in Schedule II, not exceeding

(i) dans le cas où le coût en capital du bien, sauf un bien visé aux sous-alinéas (2)a)(v), (vi) ou (vii), a été engagé au cours de l'année d'imposition et après le 12 novembre 1981, 50 pour cent du montant calculé pour l'année en conformité avec l'annexe III,

(i) where the capital cost of the property, other than property described in subparagraph (2)(a)(v), (vi) or (vii), was incurred in the taxation year and after November 12, 1981, 50 per cent of the amount for the year calculated in accordance with Schedule III, and

(ii) dans les autres cas, le montant calculé pour l'année en conformité avec l'annexe III,

(ii) in any other case, the amount for the year calculated in accordance with Schedule III,

pour l'application du présent alinéa et de l'annexe III, le coût en capital d'un bien pour un contribuable est réputé avoir été engagé au moment où le bien est devenu prêt à être mis en service par le contribuable;

and, for the purposes of this paragraph and Schedule III, the capital cost to a taxpayer of a property shall be deemed to have been incurred at the time at which the property became available for use by the taxpayer;

[20] L'annexe III du Règlement impose certaines limites quant aux montants qui peuvent être déduits à titre de DPA pour les biens de la catégorie 13.

V. Analyse

[21] Il y a perte finale aux termes du paragraphe 20(16) de la Loi lorsque, à la fin d'une année d'imposition, le contribuable ne possède plus de biens d'une catégorie donnée et que

(a) le total des montants qui augmenteraient la FNACC des biens de cette catégorie à ce moment (A + B + C + D + D.1)

est supérieur

(b) au total des montants qui seraient déduits pour calculer la FNACC des biens de cette catégorie à ce moment (E + E.1 + F + G + H + I + J + K).

[22] En l'espèce, la fiducie a subi une perte finale en 2017 parce qu'elle ne possédait plus de biens dans une catégorie donnée (la catégorie 13) et que le total des montants ajoutés pour calculer la FNACC des biens de cette catégorie (A à D.1) était supérieur au total des montants déduits pour calculer la FNACC des biens de cette catégorie (E à K). La seule question en litige dans le présent appel est de savoir quel montant doit être utilisé pour déterminer la valeur de E dans la définition de la FNACC et, donc, quel est le montant de la perte finale.

[23] La Couronne prétend que la valeur de E dans cette définition doit correspondre au total des montants que la fiducie a déclarés à titre de DPA dans ses déclarations de revenus pour les années 1997 à 2003.

[24] La fiducie prétend pour sa part que la valeur de E dans cette définition doit correspondre au total des montants qu'elle propose maintenant au titre des DPA révisées pour ses années d'imposition 1997 à 2003.

[25] Pour trancher cette question, il faut interpréter les dispositions pertinentes de la Loi en se fondant sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 au para. 10).

A. Le texte

[26] Selon la définition de la FNACC au paragraphe 13(21) de la Loi, l'élément E correspond à « l'amortissement total accordé au contribuable relativement aux biens de cette catégorie avant ce moment ». L'amortissement total accordé au contribuable correspond, selon la Loi, au « total des montants dont chacun représente une déduction pour amortissement prise par le contribuable par application de l'alinéa 20(1)a) pour les biens de cette catégorie [...] dans le calcul du revenu du contribuable pour les années d'imposition se terminant avant ce moment ».

[27] Le texte des dispositions pertinentes est clair. La valeur de l'élément E dans la formule utilisée pour calculer la FNACC des biens de la catégorie 13 de la fiducie est le montant total déduit aux termes de l'alinéa 20(1)a) de la Loi pour les biens de la catégorie 13 dans le calcul du revenu de la fiducie, lequel montant comprend les montants déduits pour les années d'imposition 1997 à 2003 de la fiducie.

[28] La fiducie prétend pouvoir choisir le montant de la DPA qu'elle déclare durant une année d'imposition donnée. C'est ce que confirme le libellé du paragraphe 20(1) de la Loi (qui dispose que certaines sommes « sont déductibles »), ainsi que celui de l'alinéa 1100(1)b) du Règlement (qui dispose que le contribuable « peut réclamer [un montant] au titre du coût en capital, pour lui, d'un bien de la catégorie 13 de l'annexe II, sans dépasser » certains montants).

[29] On ne conteste pas le fait que la fiducie pouvait choisir les montants qu'elle voulait déclarer à titre de DPA dans le calcul de son revenu pour les années 1997 à 2003, à condition que les montants choisis ne dépassent pas le montant maximal autorisé durant l'année visée.

[30] Après avoir choisi le montant pour une année d'imposition donnée, la fiducie, en application de l'alinéa 20(1)a), a déduit ce montant dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition en cause. La fiducie a ensuite produit ses déclarations de revenus pour chacune de ces années en tenant compte de chacun des montants déduits, lesquels sont devenus l'amortissement total autorisé pour ces années, conformément au paragraphe 13(21) de la Loi.

B. Analyse contextuelle et téléologique

[31] Aux paragraphes 32 à 35 de son mémoire, la fiducie prétend que le libellé utilisé dans la définition de l'élément E de la FNACC, ainsi que dans la définition de l'amortissement total, doit être interprété en tenant compte du contexte. De l'avis de la fiducie, ces dispositions permettent de modifier les montants déclarés à titre de DPA, auquel cas les montants révisés deviennent alors l'amortissement total autorisé. Cet argument repose toutefois sur l'hypothèse voulant que la Loi autorise un contribuable à modifier une déclaration de revenus qui a déjà été produite afin de changer le montant déclaré à titre de DPA.

[32] La fiducie a été incapable d'invoquer quelque disposition de la Loi qui l'aurait autorisée, en 2017, à modifier ses déclarations de revenus pour les années 1997 à 2003. Comme l'a mentionné notre Cour dans l'arrêt Armstrong c. Canada, 2006 CAF 119, [2006] 4 R.C.F. F‑38, au paragraphe 8, une déclaration de revenus modifiée présentée au ministre après qu'une cotisation a été établie pour cette année d'imposition est simplement une demande adressée au ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation pour cette année‑là. La fiducie renvoie à la circulaire d'information 84‑1, qui énonce la politique administrative du ministre au sujet des circonstances dans lesquelles le ministre autorise la modification de la DPA pour une année d'imposition antérieure. Notre Cour n'est toutefois pas liée par cette pratique administrative, pas plus que cette pratique ne peut modifier la Loi.

[33] Pour appuyer son argument selon lequel elle avait le droit, selon la Loi, de modifier les DPA déclarées pour ses années d'imposition 1997 à 2003, la fiducie fait valoir ce qui suit au paragraphe 39 de son mémoire : [TRADUCTION] « La Cour a reconnu la distinction qu'il convient de faire entre la planification fiscale rétroactive et les cas où un contribuable demande que sa déclaration de revenus soit modifiée afin d'obtenir une déduction à laquelle il a un certain droit. » La décision invoquée à l'appui de cette affirmation est l'arrêt Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279 (C.A.F.) [Nassau Walnut].

[34] Dans l'arrêt Nassau Walnut, Westminster Transport Ltd. (Westminster) avait versé des dividendes entre sociétés à Nassau Walnut Investments Inc. (Nassau Walnut), à la suite du rachat par Westminster de ses actions détenues par Nassau Walnut. Dans sa déclaration de revenus, Nassau Walnut a déclaré ces dividendes comme étant des dividendes entre sociétés libres d'impôt. Nassau Walnut n'a pas fait la désignation prévue, à l'époque, à l'alinéa 55(5)f) de la Loi, qui permettait de traiter une partie de chaque dividende entre sociétés comme un dividende distinct pour tenir compte du montant du revenu sauf du payeur.

[35] Bien que le ministre ait établi une nouvelle cotisation à l'égard de Nassau Walnut en tenant compte du fait que la totalité du montant de chaque dividende qu'elle avait reçu était imposable à titre de gain en capital, les parties ont par la suite convenu d'un montant réduit fondé sur la juste valeur marchande des actions. Après avoir reçu l'avis de nouvelle cotisation, Nassau Walnut a tenté de produire une désignation tardive aux termes de l'alinéa 55(5)f) de la Loi, afin qu'une partie de chaque dividende entre sociétés soit considérée comme un dividende entre sociétés distinct et libre d'impôt.

[36] Dans l'arrêt Nassau Walnut, notre Cour a établi une distinction entre un choix et une désignation. Au paragraphe 30, notre Cour a noté que l'alinéa 55(5)f) n'est pas une disposition « prévoyant l'exercice d'un choix ».

[37] En établissant une distinction entre une désignation et un choix, notre Cour a déclaré ce qui suit :

[31] Pour faire la distinction avec une désignation, et à titre de proposition générale, disons que, lorsqu'un choix doit être fait, le contribuable doit décider de renoncer à une option en faveur d'une autre en évaluant les conséquences fiscales susceptibles de se produire advenant la concrétisation de certaines éventualités. Outre cette différence, la Loi reconnaît implicitement qu'une désignation et un choix ne sont pas une seule et même chose. [...]

[38] Le choix qu'a fait la fiducie en décidant du montant qu'elle déclarerait chaque année à titre de DPA s'apparente à un choix tel que l'a décrit notre Cour. Lorsqu'elle a produit ses déclarations de revenus pour les années 1997 à 2003, la fiducie a décidé du montant qu'elle déclarerait à titre de DPA dans le calcul de son revenu durant les années en cause. La fiducie aurait pu choisir de déclarer une DPA qui aurait réduit son revenu à zéro. Elle a toutefois écarté cette possibilité, préférant demander chaque année une DPA donnant lieu à des pertes autres qu'en capital. Cela menait au risque fiscal que les pertes arrivent à échéance avant que la fiducie puisse les utiliser. Si la fiducie avait réalisé un revenu suffisant durant la période pertinente pour utiliser les pertes autres qu'en capital, elle aurait alors pu profiter du report de ces pertes à un exercice ultérieur durant lequel elle aurait réalisé un bénéfice. De fait, la fiducie aurait eu le droit de demander une DPA pendant plusieurs années pour réduire son revenu, plutôt qu'uniquement pendant l'année où elle a réalisé des bénéfices.

[39] Dans l'arrêt Nassau Walnut, notre Cour a noté que les contribuables ne réussissent généralement pas à modifier un choix lorsqu'aucune disposition précise de la Loi ne les autorise à le faire. Notre Cour a déclaré ce qui suit :

[35] À mon avis, il ne fait guère de doute que la méthode restrictive adoptée par les tribunaux à l'égard des dispositions de la Loi prévoyant l'exercice d'un choix vient de la possibilité que les contribuables se livrent à une planification fiscale rétroactive. [...]

[40] Je suis d'avis que les commentaires formulés dans l'arrêt Nassau Walnut relativement à l'exercice d'un choix, ainsi qu'à l'impossibilité pour un contribuable de modifier un choix si aucune disposition précise de la Loi ne l'y autorise, s'appliquent en l'espèce. En l'espèce, la fiducie demande que soient modifiés les montants qu'elle a choisi de déclarer à titre de DPA dans le calcul de son revenu pour les années 1997 à 2003.

[41] Au paragraphe 53 de son mémoire, la fiducie invoque l'arrêt Clibetre Exploration Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national), 2003 CAF 16, [2003] 4 C.F. F‑37 [Clibetre] , qu'elle qualifie [TRADUCTION] d'« arrêt établissant le droit de modifier des déductions discrétionnaires durant les années où le revenu est nul ». Dans l'arrêt Clibetre, la contribuable a déclaré, pendant plusieurs années, des pertes autres qu'en capital découlant de travaux d'exploitation minière. La contribuable a reporté à un exercice ultérieur au cours duquel elle avait été rentable le montant maximal des pertes autres qu'en capital auquel elle avait droit. Cependant, des pertes subies pendant plusieurs années étaient expirées et ne pouvaient être reportées. La société a ensuite tenté de requalifier à titre de frais d'exploration au Canada des dépenses qu'elle avait déclarées lors du calcul des pertes autres qu'en capital durant ces années et dont le report était prescrit.

[42] Notre Cour a jugé qu'il n'était pas nécessaire d'établir de nouvelles cotisations pour les années durant lesquelles il y avait eu des pertes pour pouvoir requalifier les montants déclarés durant ces années comme étant des frais d'exploration au Canada. La Cour a conclu que les montants en cause auraient dû être qualifiés dès le départ de frais d'exploration au Canada, et que le montant cumulatif des frais d'exploration au Canada de la société devait être calculé et appliqué comme le proposait la contribuable.

[43] Si l'on suppose que Clibetre Exploration Ltd. était une société exploitant une entreprise principale (au sens du paragraphe 66(15) de la Loi), alors, selon le paragraphe 66.1(2) de la Loi, le montant qu'elle aurait pu déduire à titre de frais d'exploration au Canada aurait été le moindre des deux montants suivants : le montant cumulatif des frais d'exploration au Canada et le revenu de la société. Par conséquent, Clibetre Exploration Ltd. n'aurait pas été autorisée à déduire des frais d'exploration au Canada si cette déduction aurait entraîné des pertes autres qu'en capital ou en aurait augmenté le montant. Les dépenses étant qualifiées, comme il se doit, de frais d'exploration au Canada, les pertes autres qu'en capital qui avaient auparavant été déclarées par Clibetre Exploration Ltd. n'avaient pas été correctement calculées (lorsque ces pertes étaient imputables à la déduction de frais d'exploration au Canada), et les frais d'exploration au Canada (qui n'étaient pas déductibles selon la Loi durant les années antérieures) ont été ajoutés au montant cumulatif des frais d'exploration au Canada. Par conséquent, tous les frais d'exploration au Canada qui n'étaient pas déductibles durant les années précédentes l'étaient durant l'année où la société a réalisé des bénéfices.

[44] Dans le présent appel, personne ne conteste le fait que les montants déclarés à titre de DPA dans le calcul du revenu de la fiducie pour les années d'imposition de 1997 à 2003 étaient justifiés. Personne n'allègue non plus que la fiducie ne pouvait pas déclarer ces montants à titre de DPA.

[45] La fiducie a aussi fait valoir qu'aucun avis de cotisation n'avait été délivré pour ses années d'imposition 1997 à 2003, puisqu'elle avait subi des pertes autres qu'en capital durant chacune de ces années. Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Okalta Oils Ltd. v. Minister of National Revenue, [1955] S.C.R. 824, [1955] C.T.C. 271, il n'y a aucune cotisation si aucun impôt n'est exigible pour une année d'imposition donnée. Cependant, le montant déduit au titre de l'élément E de la formule utilisée pour calculer la FNACC ne dépend pas de l'établissement d'une cotisation à l'égard de la fiducie pour une année d'imposition donnée, mais plutôt du montant déclaré par la fiducie à titre de DPA dans le calcul de son revenu pour l'année en cause.

[46] La fiducie renvoie à l'arrêt Canada c. Interior Savings Credit Union, 2007 CAF 151, dans lequel notre Cour a confirmé, au paragraphe 30, que « le contribuable serait autorisé, si le calcul que fait le ministre d'une perte en vertu du paragraphe 152(1.1) de la Loi n'a pas un caractère exécutoire, à contester ce calcul pour une année donnée dans une autre année où le montant de la perte a une incidence sur l'impôt réclamé ».

[47] Dans le présent appel, toutefois, la fiducie ne conteste pas le calcul que le ministre a fait des pertes déclarées durant l'une ou l'autre de ses années d'imposition de 1997 à 2003, au motif que le ministre n'avait pas calculé ces pertes correctement. Elle conteste plutôt le montant des pertes autres qu'en capital qu'elle a déterminé elle‑même pour les années 1997 à 2003, en demandant que soient modifiés les montants réclamés à titre de DPA dans le calcul de son revenu pour ces années‑là. Cette contestation des déductions déclarées de 1997 à 2003 n'est pas fondée sur quelque restriction de la Loi qui aurait empêché la fiducie de demander ces déductions. Elle n'est pas non plus fondée sur quelque allégation selon laquelle la fiducie ne pouvait pas déduire les montants qu'elle a réclamés à titre de DPA ces années‑là.

[48] La fiducie invoque également l'histoire des dispositions relatives à la DPA. Cependant, l'histoire n'aide pas la fiducie, car elle ne fait que confirmer que les modifications apportées au système des DPA ont accordé au contribuable le droit de choisir le montant déclaré à titre de DPA dans le calcul de son revenu pour une année donnée, sous réserve des restrictions imposées quant au montant pouvant être déduit.

[49] Le législateur a choisi de limiter la période durant laquelle les contribuables peuvent reporter à un exercice ultérieur des pertes autres qu'en capital, cette période étant de sept ans pour les pertes subies de 1997 à 2003. Cette restriction s'applique que la déduction demandée (et qui a donné lieu aux pertes) soit discrétionnaire ou obligatoire. Autoriser la fiducie à modifier des montants précédemment déclarés à titre de DPA irait à l'encontre de l'objectif du législateur qui est de limiter la période durant laquelle le contribuable peut reporter des pertes autres qu'en capital. Ayant choisi de demander la déduction de montants à titre de DPA durant chacune des années en cause, la fiducie doit accepter les conséquences qui découlent de ces choix. La fiducie tente de rétablir des pertes autres qu'en capital qu'elle ne peut autrement réclamer, en transformant ces pertes autres qu'en capital en une perte finale subie en 2017.

VI. Conclusion

[50] Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL DU JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT DU 2 NOVEMBRE 2020, RÉFÉRENCE 2020 CCI 109

DOSSIER :

A-302-20

 

INTITULÉ :

FIDUCIE ST. BENEDICT CATHOLIC SECONDARY SCHOOL c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Audience tenue par viSIoconférence organisée par le greffe

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 23 mars 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

Le 6 juillet 2022

COMPARUTIONS :

Justin Kutyan

Kristen Duerhammer

Pour l'appelante

Diana Aird

Pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L

Toronto (Ontario)

Pour l'appelante

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimée

 

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