Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220808


Dossiers : A-145-20

A-146-20

Référence : 2022 CAF 143

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

Dossier : A-145-20

ENTRE :

 

BIOGEN CANADA INC., BIOGEN INTERNATIONAL GMBH et ACORDA THERAPEUTICS INC.

appelantes

et

PHARMASCIENCE INC.

intimée

Dossier : A-146-20

ET ENTRE :

BIOGEN CANADA INC., BIOGEN INTERNATIONAL GMBH et ACORDA THERAPEUTICS INC.

appelantes

et

TARO PHARMACEUTICALS INC.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 22 février 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 août 2022.

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220808


Dossiers : A-145-20

A-146-20

Référence : 2022 CAF 143

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

Dossier : A-145-20

ENTRE :

BIOGEN CANADA INC., BIOGEN INTERNATIONAL GMBH et ACORDA THERAPEUTICS INC.

appelantes

et

PHARMASCIENCE INC.

intimée

Dossier : A-146-20

ET ENTRE :

BIOGEN CANADA INC., BIOGEN INTERNATIONAL GMBH et ACORDA THERAPEUTICS INC.

appelantes

et

TARO PHARMACEUTICALS INC.

intimée

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT

Il s’agit d’une version publique des motifs confidentiels du jugement remis aux parties. Les deux versions sont identiques, car aucun renseignement confidentiel n’a été divulgué dans les motifs confidentiels du jugement.

LA JUGE GAUTHIER

[1] Les appelantes interjettent appel de la décision de la Cour fédérale (du juge Manson, 2020 CF 621) (décision de la CF). Dans sa décision, la Cour fédérale a rejeté les deux actions en contrefaçon de brevet (dans les dossiers T-1163-18 et T-220-19) intentées en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement). La Cour fédérale a instruit simultanément les deux actions sur des questions de validité fondées sur les mêmes allégations et les mêmes éléments de preuve, ainsi que la question de contrefaçon relativement à Taro Pharmaceutical Inc. (Taro), dont la revendication de non-contrefaçon dépendait des questions de validité. La décision de la CF porte sur la validité du brevet canadien numéro 2 562 277 (le brevet 277) et la contrefaçon reprochée à Taro du brevet 277 dans le numéro de dossier T-1163-18. La partie contrefaçon de l’action contre Pharmascience Inc. (Pharmascience) dans le dossier T-220-19 devait être fixée plus tard, si cela était nécessaire.

[2] La Cour fédérale a conclu qu’un document clé dans le présent contentieux antériorisait quatre revendications du brevet 277 et que toutes les revendications invoquées étaient invalides pour cause d’évidence. Ayant conclu que Taro se fondait uniquement sur l’invalidité des revendications invoquées comme motif de non-contrefaçon dans son avis d’allégation (AA) et sa défense, la Cour fédérale n’a pas examiné de plus près la question de la contrefaçon dans sa décision. Cela fait l’objet d’un appel incident interjeté par Taro.

[3] Bien qu’il y ait des faits inhabituels en l’espèce, aucune des questions en litige dont nous sommes saisies ne soulève de nouvelles questions de droit. La principale question à trancher est celle de savoir si, en appliquant la loi, la Cour fédérale a omis d’adopter la perspective d’une personne moyennement versée dans l’art lorsqu’elle a interprété le brevet et examiné les éléments d’art antérieur. Subsidiairement, il faut déterminer si la Cour fédérale aurait dû rejeter les arguments contre la validité du brevet 277 parce que la seule preuve d’expert présentée par l’intimée était irrecevable et que, par conséquent, les intimées n’auraient pas pu s’acquitter de leur fardeau de la preuve.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que les présents appel et appel incident devraient être rejetés.

I. Contexte

[5] Pour faciliter la lecture, je présenterai le contexte du brevet en cause, des parties et des principaux témoins dont la preuve fera l’objet de mon analyse.

[6] Le brevet 277 est intitulé « Utilisation de compositions d’aminopyridine à libération soutenue ». Bien que le brevet 277 contienne 112 revendications, les parties ont limité les questions à la Cour fédérale aux revendications indépendantes 17, 18, 31, 32 et aux revendications dépendantes 19, 21, 23, 24, 26, 28, 33, 35, 37, 38, 40, 42. Toutes les revendications de ce brevet portent sur l’utilisation d’une préparation de 4-aminopyridine à libération prolongée (4-AP), également connue sous le nom de fampridine, pour traiter la sclérose en plaques ou la fabrication d’un médicament composé de cette préparation pour cette utilisation (c.-à-d. une revendication de type suisse).

[7] La description du brevet 277 mentionne certains modes de réalisation de l’invention comme étant des méthodes de sélection de personnes fondée sur leur réponse à un traitement, et traite longuement de ce qui est appelé l’exemple 5, qui découle d’une analyse a posteriori. Cependant, il n’est plus contesté que ces méthodes, notamment l’analyse a posteriori des patients ayant obtenu une réponse décrite dans l’exemple 5, ne font pas partie de l’invention revendiquée dans le brevet 277. Je reviendrai sur ce sujet plus en détail un peu plus loin.

[8] Le brevet 277 appartient à Acorda Therapeutics Inc. (Acorda), une société du Delaware qui est l’une des appelantes à la présente instance. Le président et chef de la direction d’Acorda, le Dr Cohen, est l’un des inventeurs nommés sur le brevet 277. Il était un témoin des faits à la Cour fédérale (décision de la CF aux para. 27 à 43). Acorda accorde une licence sur le brevet 277 à Biogen International GMBH (une société suisse), qui, à son tour, a autorisé Biogen Canada à exploiter et à vendre l’invention qui est revendiquée dans le brevet 277. Sauf indication contraire, ces entités sont désignées collectivement dans les présents motifs sous le nom de Biogen. Biogen Canada est une société ontarienne liée à Biogen International; elle est la première personne au sens des paragraphes 4(1) et 6(1) du Règlement. Elle commercialise et vend FAMPYRA® au Canada, une préparation à libération prolongée de fampridine.

[9] Les intimées, Taro et Pharmascience, sont des sociétés pharmaceutiques, constituées en application des lois de l’Ontario, qui fabriquent des médicaments génériques. Elles souhaitaient commercialiser dans le marché canadien leurs propres produits de fampridine à libération prolongée. Les deux parties ont envoyé un AA, en application du paragraphe 5(3) du Règlement, avant que les appelantes n’intentent leurs actions conformément au Règlement.

[10] La Dre Oh, neurologue à l’hôpital St. Michael et chercheure au Keenan Research Centre for Biomedical Science à Toronto, était qualifiée pour donner un avis d’expert sur divers sujets énumérés au paragraphe 47 de la décision de la CF. Elle a témoigné au sujet des connaissances générales courantes d’une personne moyennement versée dans l’art et de la contrefaçon du brevet 277 par Taro selon sa compréhension des revendications invoquées.

[11] Le Dr Thomas Leist est le chef de la Division de neuroimmunologie clinique et directeur du Comprehensive Multiple Sclerosis Center de l’Université Thomas Jefferson de Philadelphie, en Pennsylvanie. Il a témoigné au sujet du contexte scientifique de la sclérose en plaques, de l’interprétation des revendications, de l’état de la technique et des connaissances générales courantes de la personne moyennement versée dans l’art en date d’avril 2004, ainsi qu’au sujet de l’antériorité et de l’évidence. Il a répondu aux opinions du Dr Ebers sur l’antériorité et l’évidence. Il était qualifié sur consentement pour donner une opinion d’expert sur les sujets énumérés au paragraphe 57 de la décision de la CF.

[12] Le Dr George Ebers est professeur émérite au Service de neurologie clinique de Nuffield, à l’Université d’Oxford. La description de ses activités au cours de la période pertinente de 1997 à 1999, et jusqu’à aujourd’hui, est présentée dans la décision de la CF, aux paragraphes 62 à 64. Il était qualifié sur consentement pour donner un avis d’expert sur les sujets énoncés au paragraphe 65 de la décision FC. Il était le seul expert présenté par les intimées pour traiter des sujets ayant trait à l’interprétation des revendications, à l’antériorité et à l’évidence.

II. La décision de la Cour fédérale

[13] La Cour fédérale a défini la personne moyennement versée dans l’art visée par le brevet 277 en ces termes :

[84] Après avoir pris en considération le témoignage de l’expert sur l’équipe moyennement versée dans l’art, j’estime que le brevet 277 s’adresse à une équipe moyennement versée dans l’art, spécialisée dans le traitement de la sclérose en plaques, la conception et l’analyse d’essais cliniques sur la sclérose en plaques, et les préparations pharmaceutiques. Par ailleurs, la personne moyennement versée dans l’art a des connaissances sur les paramètres de base de la pharmacocinétique et la biostatistique. Comme aucun expert en pharmacocinétique ni biostatisticien n’a été appelé à titre de témoin pour débattre de l’interprétation des revendications, je suis d’accord pour dire que le clinicien ou neurologue versé dans l’art de la sclérose en plaques aurait suffisamment de connaissances spécialisées dans ces domaines pour comprendre et interpréter le brevet 277.

[14] La Cour fédérale a ensuite décrit de manière assez détaillée ce qui faisait partie des connaissances générales courantes de la sclérose en plaques d’une personne moyennement versée dans l’art. Pour éviter les répétitions, je donnerai d’autres détails sur ces conclusions plus loin dans les présents motifs (voir les para. 61 à 70 ci-dessous). Je dirai seulement ici que ces conclusions ne sont pas contestées par les parties et qu’elles étaient également correctement fondées sur les éléments de preuve dont disposait la Cour fédérale (décision de la CF aux para. 8 à 17; 86 à 91).

[15] En ce qui concerne l’interprétation des revendications, la Cour fédérale a d’abord examiné les principaux termes qui doivent être interprétés dans les revendications invoquées, lesquelles sont toutes reproduites à l’annexe A de la décision de la CF. Il ressort d’un examen de la décision de la CF que la Cour fédérale a tenu compte de la description du brevet 277, des connaissances générales courantes, d’au moins une partie des témoignages d’expert et du texte proprement dit des revendications pour parvenir à sa conclusion sur l’interprétation des revendications.

[16] La Cour fédérale a conclu que les diverses expressions des revendications en litige nécessitaient une interprétation. Ces expressions comprennent, entre autres, « [a]méliorer la marche », « [u]n sujet atteint de la sclérose en plaques qui en a besoin », « [d]urant une période d’au moins deux semaines » et « [u]ne dose unitaire de 10 milligrammes de 4‑aminopyridine deux fois par jour ». Au paragraphe 94 de sa décision, la Cour fédérale a conclu que la personne moyennement versée dans l’art aurait compris ces expressions à la date pertinente comme suit :

Améliorer la marche signifie améliorer certains aspects de la marche, comme l’endurance, la force des jambes ou la vitesse de marche. L’amélioration doit être mesurée quantitativement, et étant donné la variabilité des symptômes et la fréquence de l’effet placebo dans le traitement de la sclérose en plaques, l’amélioration quantitative doit être statistiquement significative.

Un sujet atteint de la sclérose en plaques qui en a besoin renvoie à un patient atteint de sclérose en plaques qui présente une certaine difficulté à marcher. Il s’agit nécessairement d’un sous‑groupe de patients atteints de sclérose en plaques, car les patients n’ayant aucune difficulté à marcher ou un peu de difficulté (c.‑à‑d. score EDSS 0 à 2) n’ont pas besoin d’améliorer leur marche, et les patients immobilisés (c.‑à‑d. score EDSS 8 à 9) sont incapables de marcher et ne bénéficieront pas d’un traitement qui améliore la marche. Par conséquent, un sujet atteint de sclérose en plaques ayant besoin d’un traitement est un sujet dont le score EDSS est d’environ 3,5 à 7.

Durant une période d’au moins deux semaines signifie que la fampridine à libération prolongée est utilisée durant au moins deux semaines, à la dose fixe de 10 mg bid.

Une dose unitaire de 10 milligrammes de 4‑aminopyridine deux fois par jour signifie que la dose est de 10 mg, administrée deux fois par jour ou 10 mg bid.

[17] En concluant ainsi, la Cour fédérale a expressément rejeté l’opinion du Dr Leist selon laquelle l’amélioration de la marche serait interprétée d’une manière qui comprend non seulement une amélioration quantitative, mais qui exige aussi comme élément essentiel, un élément qualitatif fondé sur une perception subjective de l’amélioration par le patient atteint de la sclérose en plaques (décision de la CF au para. 95). La Cour fédérale n’a pas non plus souscrit à l’argument de Biogen selon lequel une autre restriction est incluse dans certaines revendications invoquées, selon l’opinion du Dr Leist, « pour une période d’au moins deux semaines » nécessite que l’amélioration de la marche soit systématiquement améliorée pendant au moins deux semaines. Selon la Cour fédérale, les termes clairs et simples de la revendication énoncent une utilisation de 10 mg bid de fampridine à libération prolongée sur une période de deux semaines (décision de la CF au para. 97).

[18] La Cour fédérale a également interprété l’expression Cmoy en fonction du témoignage du Dr Ebers comme signifiant la concentration plasmatique moyenne à l’état d’équilibre (décision de la CF au para. 100). Cette expression nécessite l’interprétation des revendications dépendantes 19, 24, 33 et 38.

[19] Concernant les revendications dépendantes 21, 26, 35 et 40, qui ajoutent une autre restriction à l’égard du « Tmax moyen » de l’ordre de 2 à 5 heures après l’administration, la Cour fédérale a utilisé la définition de Tmax se trouvant dans la divulgation (nommée aussi description); qui est le « délai nécessaire à l’obtention d’une concentration plasmatique maximale » (décision de la CF au para. 101).

[20] Il n’est pas nécessaire en l’espèce de mentionner tous les éléments de chaque revendication invoquée. Je reproduirai plutôt simplement le résumé des éléments essentiels comme ils sont énoncés aux paragraphes 109, 110 et 111 de la décision de la CF :

[109] En résumé, les éléments essentiels des revendications 17 et 18 sont les suivants :

i. Utilisation d’une préparation de fampridine à libération prolongée (ou utilisation d’une préparation de fampridine à libération prolongée dans la fabrication d’un médicament)

ii. Pour améliorer la marche d’une manière statistiquement significative

iii. Chez un sujet atteint de sclérose en plaques qui a de la difficulté à marcher

iv. Pour une période d’au moins deux semaines

v. À la dose unitaire de 10 mg bid.

[110] Les autres revendications invoquées intègrent un ou plusieurs des éléments essentiels suivants :

i. Augmenter la vitesse de marche de façon statistiquement significative (revendications 31 et 32)

ii. La préparation de fampridine à libération prolongée aboutit à une Cmoy à l’équilibre de 15 ng/mL à 35 ng/mL (revendications 19, 24, 33 et 38)

iii. La préparation de fampridine à libération prolongée aboutit à un Tmax moyen de l’ordre de 2 à 5 heures après l’administration (revendications 21, 26, 35 et 40)

iv. La préparation de fampridine à libération prolongée se présente sous une forme permettant son administration toutes les 12 heures (revendications 23, 28, 37 et 42).

[111] Comme il a été mentionné, les revendications dépendantes invoquées dépendent aussi de revendications antérieures non invoquées qui ne comprennent pas l’élément « pour une période d’au moins deux semaines » ou ne précisent pas un intervalle plus grand de Tmax moyen, soit de 1 à 6 heures ou de 2 à 6 heures après l’administration.

[21] Je comprends que les deux expressions « de façon statistiquement significative » et « [c]hez un sujet atteint de sclérose en plaques qui a de la difficulté à marcher » aux sous-aliénas 109(ii) et (iii) ci-dessus doivent être interprétées de concert avec les conclusions énoncées au paragraphe 94 de la décision de la CF (reproduites au para. 16 ci-dessus).

[22] La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur les contestations de la validité après avoir fait remarquer que le brevet 277 est présumé valide et qu’il incombe au défendeur d’établir chaque motif d’invalidité selon la prépondérance des probabilités (décision de la CF au para. 112).

[23] Après avoir déterminé les dates butoirs des éléments d’art antérieur invocables, la Cour fédérale s’est d’abord penchée sur l’antériorité (décision de la CF aux para. 114 à 147). Avant le procès, les parties ont fourni à la Cour fédérale un énoncé conjoint des questions en litige dans lequel Taro a fait valoir qu’elle ne revendiquerait que le document S-1 d’Acorda à l’égard de l’antériorité. La Cour fédérale a rejeté la demande de Taro formulée dans ses observations finales d’admettre les résumés et l’affiche de Goodman pour l’application de l’antériorité après avoir fait valoir qu’elle avait exclu ces documents par erreur. Il n’est pas nécessaire d’examiner plus en détail cette conclusion en l’espèce, étant donné que j’en suis venue à la conclusion que le présent appel peut être réglé sans discuter de ce point.

[24] Il est encore utile de dire quelques mots à ce stade au sujet du document S-1 d’Acorda, car il y est fait mention plus loin dans la décision de la CF lorsqu’il est question d’évidence. Le document S-1 d’Acorda est un document financier public déposé par Acorda auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis et publié à l’automne 2003. Dans ce document, Acorda résume ses études cliniques concernant l’utilisation de la fampridine à libération prolongée, notamment l’étude MS-F201, qui s’est terminée en 2001, et l’étude MS-F202, lancée au début de 2003, avec des résultats qu’on anticipait à la fin mars 2004. Ces études ont été menées par Acorda avec la collaboration d’Elan, une société pharmaceutique irlandaise qui détenait alors au moins un brevet sur la fampridine à libération prolongée pour une utilisation dans le traitement de la sclérose en plaques auquel renvoyaient les experts (voir également le brevet numéro 5 580 580, dossier d’appel, vol. 2 à la p. 490). Elan fournissait également la préparation à libération prolongée à Acorda pour les essais. Il convient de reproduire les paragraphes 123 à 125 de la décision de la CF, qui portent sur ce document dans le cadre de son analyse de l’antériorité :

[123] Comme il est décrit dans le document S-1 d’Acorda, l’étude MS‑F201 a été conçue pour déterminer la dose optimale de fampridine à libération prolongée et pour évaluer les différentes façons possibles de mesurer les effets du médicament, notamment la force motrice, la marche chronométrée et la fatigue auto-déclarée. Les sujets atteints de sclérose en plaques ont reçu de la fampridine à libération prolongée à des doses croissantes variant de 10 mg à 40 mg bid durant huit semaines de traitement. Les résultats sont décrits comme suit :

L’essai clinique a montré que des doses pouvant aller jusqu’à 25 mg deux fois par jour étaient bien tolérées, et étaient associées à une augmentation statistiquement significative de la vitesse de marche et de la force musculaire dans les jambes. La majeure partie de l’augmentation de la force et de la vitesse de marche était observable dans les trois premières semaines du traitement par la fampridine à libération prolongée, à des doses variant de 10 à 25 mg deux fois par jour.

[124] Le document S‑1 d’Acorda décrit l’étude MS‑F202 comme un essai clinique conçu pour comparer les doses de 10, 15 et 20 mg bid, et évaluer leur innocuité et efficacité relatives sur une période de traitement de 12 semaines. Le paramètre primaire était l’augmentation de la vitesse moyenne de marche, mesurée à l’aide de la marche chronométrée sur 25 pieds.

[125] En s’appuyant sur ces descriptions des études MS‑F201 et MS‑F202, la personne moyennement versée dans l’art déduirait les données suivantes :

• Elan était le fournisseur de la préparation de fampridine à libération prolongée;

• Les doses pouvant aller jusqu’à 25 mg bid étaient associées à une augmentation statistiquement significative de la vitesse de marche et de la force musculaire des jambes;

• La majeure partie de l’augmentation notée dans les huit semaines de l’essai MS‑F201 était observée à des doses entre 10 et 25 mg bid, et 9 sujets sur 25 avaient augmenté leur vitesse de marche de plus de 20 % par rapport aux valeurs de départ;

• L’essai MS‑F202 en cours visait à comparer trois doses fixes, soit 10, 15 et 20 mg bid, sur une période de traitement de 12 semaines.

[25] Étant donné que les appelantes soutiennent que la Cour fédérale n’a pas adopté le rôle de la personne moyennement versée dans l’art, il convient également de reproduire le paragraphe 130 de la décision de la CF :

[130] La personne moyennement versée dans l’art est censée essayer de comprendre ce que les auteurs du document S‑1 d’Acorda voulaient dire, et ce, en lisant le document pour en comprendre la teneur (arrêt Sanofi, au para 25). Même s’il ressort de la preuve que cette personne aborderait les études de faible envergure comme l’étude MS‑F201 avec une bonne dose de scepticisme, il ne fait aucun doute qu’elle comprendrait les résultats déclarés de l’étude MS‑F201, de même que la conception et la mise en œuvre de l’étude MS‑F202.

[26] Même si je n’examinerai pas l’antériorité, la Cour fédérale a fait quelques commentaires sur le caractère réalisable qui sont pertinents pour son analyse de l’évidence en ce qu’ils incluent des conclusions de faits qui se rapportent à la fois au caractère raisonnable et à l’évidence. À cet égard, je crois qu’il est à la fois juste et nécessaire d’interpréter les motifs de la Cour fédérale de façon globale (voir également le para. 191 de la décision de la CF).

[27] Aux fins de l’évaluation du caractère réalisable, la personne moyennement versée dans l’art est censée être disposée à mener des expériences d’essais et d’erreurs successives ordinaires pour arriver à l’invention. Pour ce faire, elle peut prendre en compte l’ensemble des éléments d’art antérieur (en l’espèce le document S-1 d’Acorda) et peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter ce que ces éléments enseignent (Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 (Sanofi) au para. 37). Aux paragraphes 144 et 145 de sa décision, la Cour fédérale a expliqué pourquoi, à son avis, la personne moyennement versée dans l’art aurait pu réaliser l’invention, malgré le fait qu’en appliquant uniquement les paramètres prédéfinis, l’étude MS-F202 s’avérerait un échec (l’un des faits inhabituels en la matière). Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que la personne moyennement versée dans l’art aurait aussi été au fait de l’existence des analyses a posteriori et de la possibilité de mener des essais dits « n = 1 » pour mesurer la réponse de patients recevant de façon séquentielle le placebo et le traitement thérapeutique en vue de comparer chaque patient avec lui-même. De l’avis de la Cour fédérale, en faisant appel à ses connaissances générales courantes, la personne moyennement versée dans l’art serait en mesure de repérer systématiquement un sous-groupe de sujets présentant une augmentation statistiquement significative de la vitesse de marche lorsqu’elle prend 10 mg bid de fampridine à libération prolongée.

[28] Enfin, la Cour fédérale s’est penchée sur l’évidence aux paragraphes 148 à 201 de sa décision. D’abord, elle a correctement défini le cadre de l’évidence décrit par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi, et a fait remarquer qu’il y a lieu d’appliquer le critère de l’ « essai allant de soi » en l’espèce (ce qui n’est pas contesté). Ensuite, elle a passé en revue l’état de la technique à la date pertinente (décision de la CF aux para. 152 à 171) avant de déterminer l’idée originale (décision de la CF aux para. 172 à 176). Cela a permis à la Cour fédérale de se pencher ensuite sur la différence entre l’état de la technique et l’idée originale aux paragraphes 177 à 179.

[29] À ce stade, il est important de reproduire les paragraphes 169 et 170 de la décision de la CF qui sont au cœur de l’argument des appelantes selon lequel la Cour fédérale n’a pas interprété l’art antérieur sous l’angle d’une personne moyennement versée dans l’art.

[169] Pour les motifs énoncés dans la section sur les témoins experts qui précède, la Cour accorde fort peu de poids aux témoignages d’opinion des Drs Leist et Ebers sur l’évidence, surtout en ce qui concerne la manière dont la personne moyennement versée dans l’art interpréterait et comprendrait les éléments d’art antérieur. Cela laisse la Cour dans la position quelque peu inusitée d’avoir à interpréter l’art antérieur sous l’angle de la personne moyennement versée dans l’art, tout en rejetant une bonne part du témoignage d’expert qu’ont fait au procès les neurologues experts des deux parties.

[170] La Cour souscrit aux conclusions qu’a tirées le Dr Goodman, un chercheur indiscutablement réputé dans le domaine de la sclérose en plaques, dans son affiche et dans ses résumés. Bien qu’il ressorte du témoignage qu’ont fait les Drs Leist et Ebers au procès que les chercheurs dans le domaine de la sclérose en plaques, notamment ceux qui y travaillent de longue date, considèrent avec beaucoup de scepticisme les nouveaux traitements qui ne sont pas appuyés par des études menées à double insu et contrôlées par placebo, il faudrait qu’une personne moyennement versée dans l’art motivée aborde les éléments d’art antérieur avec un esprit désireux de comprendre et non étroitement axé sur la démonstration d’un échec. Comme l’a déclaré le juge Hughes à l’égard des divulgations antérieures dans le contexte de l’antériorité, il convient de donner aux éléments d’art antérieur la même interprétation téléologique qu’aux revendications en litige (Shire Biochem Inc. c Canada (Santé), 2008 CF 538, par. 64 et 65; voir aussi l’arrêt Sanofi, par. 25).

[30] Aux paragraphes 181 à 199 de la décision, la Cour fédérale a discuté de la question de savoir si les différences qu’elle avait relevées dénotaient un degré d’inventivité et s’est penchée sur les principaux arguments présentés par les parties. C’est dans cette section que la Cour fédérale a examiné la démarche des inventeurs (décision de la CF aux para. 190 et 191) — un facteur auquel, selon les appelantes, la Cour fédérale n’a pas accordé suffisamment de poids.

[31] C’est également dans cette section que la Cour fédérale a réitéré que l’analyse a posteriori des patients ayant obtenu une réponse discutée dans l’exemple 5 du brevet 277 et certaines parties de la description ne font pas partie de l’invention revendiquée ou de l’idée originale, contrairement à la thèse soutenue par le Dr Leist (voir également le para. 195 de la décision de la CF). Elle a également commenté les effets de la demande complémentaire déposée par Acorda en réponse à une objection du Bureau des brevets quant à l’unité de l’invention. À l’origine, Acorda avait inclus de nombreuses revendications relatives à la méthode dans sa demande pour viser l’analyse des patients ayant obtenu une réponse mentionnée dans la partie de la description de la demande (plus précisément, voir le brevet 277 aux para. 0019 et 0020 de l’exemple 5 et les divers paragraphes qui y font mention ou qui les expliquent, comme les paragraphes 0078 et 0079). Les éléments traitant de ces méthodes dans la description étaient nécessaires pour étayer les revendications qui ont ensuite été supprimées et incluses dans la demande complémentaire.

[32] Au paragraphe 200 de sa décision, la Cour fédérale a conclu ce qui suit à l’égard de l’évidence :

[200] En conclusion, toutes les revendications invoquées du brevet 277 sont invalides pour cause d’évidence. En avril 2004, la personne moyennement versée dans l’art aurait systématiquement mis en rapport l’état de la technique et l’idée originale des revendications invoquées. La personne moyennement versée dans l’art aurait compris que la posologie de 10 mg bid de fampridine à libération prolongée était thérapeutiquement efficace pour améliorer la marche et augmenter la vitesse de marche pour au moins certains patients atteints de sclérose en plaques, et aurait systématiquement vérifié cette compréhension en étudiant des doses fixes de 10 mg bid de fampridine à libération prolongée. Le fait de préciser une posologie toutes les 12 heures, plutôt que deux fois par jour, n’est pas inventif. Les paramètres pharmacocinétiques revendiqués – Cmoy à l’équilibre et Tmax – sont des propriétés inhérentes de la préparation d’Elan lorsqu’on administre des doses de 10 mg bid. Comme il n’était pas inventif d’utiliser des doses de 10 mg bid, il n’était pas inventif de revendiquer les concentrations plasmatiques résultantes, lesquelles étaient connues dans le domaine.

[33] Il n’y a pas lieu de discuter de la conclusion de la Cour fédérale sous la rubrique intitulée « Les méthodes de traitement médical », car nous ne sommes pas saisies de cette question.

III. Questions en litige et normes de contrôle

[34] Le présent appel commande l’application des normes de contrôle d’appel habituelles énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la qualification des questions soulevées par les appelantes, et donc sur la norme qui leur serait applicable.

[35] Dans leur mémoire, les appelantes ont formulé les questions en litige ainsi :

  1. [traduction] La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a déclaré les revendications invoquées invalides en n’adoptant pas la perspective de la personne moyennement versée dans l’art dans l’évaluation du brevet 277 et des éléments d’art antérieur pour l’évidence et l’antériorité?

  2. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en n’adoptant pas la perspective de la personne moyennement versée dans l’art lorsqu’elle a interprété les termes des revendications « améliorer la marche » et « augmenter la vitesse de marche »?

  3. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que les intimées ne s’étaient pas acquittées du fardeau qui leur incombait de prouver que le brevet 277 était invalide?

[36] Il n’est pas contesté qu’en l’absence d’une erreur de droit isolable, les conclusions du juge des faits à l’égard de l’évidence et de l’antériorité sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Les appelantes prétendent qu’il y a en l’espèce une erreur de droit isolable. Je souligne cependant que les appelantes ne contestent pas les principes généraux de droit applicables et les critères expressément énoncés par la Cour fédérale. Les deux parties ont reconnu que le juge de première instance, qui était un praticien de la propriété intellectuelle (PI) avant de devenir un juge de premier plan de la Cour fédérale en matière de PI, les connaissait particulièrement bien.

[37] Vu qu’il s’agit, en l’espèce, d’une véritable question qui porte sur une mauvaise application alléguée des principes plutôt que des principes eux-mêmes, une cour d’appel ne devrait normalement intervenir qu’en cas d’erreur manifeste et dominante. À cet égard, les appelantes soutiennent que si cette qualification s’applique ici, elles se sont de toute façon acquittées de leur fardeau.

[38] À l’égard de l’interprétation des termes de la revendication mentionnée ci-dessus, il est incontestable que l’interprétation du brevet est une question de droit, assujettie à la norme de la décision correcte. Cela dit, il n’est pas non plus contesté que concernant l’appréciation de la preuve d’expert sur la façon dont une personne moyennement versée dans l’art comprendrait des termes précis, la déférence est de mise à l’égard du juge des faits et la norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique (ABB Technology AG c. Hyundai Heavy Industries Co., Ltd., 2015 CAF 181 aux para. 22 et 23).

[39] Étant donné que notre Cour doit interpréter le texte des revendications comme une question de droit, il devient alors inutile de déterminer si, comme le soutiennent également les appelantes, la Cour fédérale peut avoir commis une erreur en examinant la validité et la contrefaçon dans son analyse de l’interprétation téléologique au paragraphe 96. Je ne suis pas d’accord avec les appelantes quant à l’interprétation littérale de ce paragraphe. Comme je l’ai mentionné dans l’arrêt Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc., 2017 CAF 9 (Astrazeneca), au paragraphe 43, il faut être particulièrement prudent lorsqu’il s’agit d’évaluer les arguments selon lesquels une Cour n’a mentionné que pour la forme les principes bien établis qu’elle entendait clairement appliquer. Cet argument est souvent invoqué. Comme je l’ai énoncé dans l’arrêt Astrazeneca, devons-nous supposer que, parce que le juge Binnie a discuté de l’interprétation des revendications dans la section de ses motifs ayant trait à la contrefaçon dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, (Whirlpool), il a appliqué de manière erronée les règles qu’il venait d’énoncer dans ce cas précis?

[40] En ce qui concerne la troisième question, les appelantes font valoir que la Cour fédérale a commis une erreur de droit isolable en se prononçant sur la question de l’admissibilité sans requête ni argumentation détaillée sur la question. Elles affirment que le rapport du Dr Ebers aurait dû être jugé irrecevable et que les arguments relatifs aux contestations de la validité auraient donc dû être rejetés, car les intimées ne se sont pas acquittées de leur fardeau de la preuve. Elles ont également fait valoir qu’en tout état de cause, ayant décidé de ne pas accorder de poids au témoignage de ce témoin expert, la Cour fédérale devait rejeter les arguments relatifs à ces contestations. Je ne considère pas que le fait de n’accorder aucun poids aux éléments de preuve équivaut à accorder peu de poids à une grande partie des éléments de preuve. Notre Cour n’interviendra pas à cet égard en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

[41] Étant donné que la question de l’admissibilité du rapport du Dr Ebers peut avoir une incidence sur toutes les questions en litige dans le présent appel, je l’examinerai en premier. J’examinerai ensuite la question de l’interprétation des revendications, puis les deux questions concernant l’évidence qui, comme nous le verrons, a une incidence sur la validité de toutes les revendications invoquées. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’antériorité de quatre des revendications pour statuer sur le présent appel.

[42] Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner l’appel incident de Taro vu ma conclusion concernant les questions soulevées par les appelantes.

IV. Analyse

[43] Quelques remarques préliminaires s’imposent. Comme je l’ai déjà mentionné, à mon avis, la présente affaire était particulièrement difficile en ce qu’elle comportait de nombreuses caractéristiques inhabituelles, bien qu’elles ne soient pas uniques. Je n’en mentionnerai ici que quelques-unes. Premièrement, la description du brevet 277 comprend une quantité importante de renseignements qui ne concernent plus un objet revendiqué. Cela peut facilement dérouter les témoins experts qui ne connaissent pas particulièrement le droit des brevets. Deuxièmement, la sclérose en plaques n’est pas une maladie typique en raison de la variation constante de ses symptômes et du fait que seulement une partie des patients ayant besoin de l’objet revendiqué répondront efficacement à l’ingrédient actif (fampridine à libération prolongée). Ces patients ne peuvent pas être déterminés de façon prospective, et il n’est pas contesté que les revendications telles qu’elles sont rédigées ne se réfèrent pas uniquement aux dits « patients ayant obtenu une réponse » dans la description. Troisièmement, pour diverses raisons, on n’a pas pu accorder beaucoup de poids aux témoignages d’experts des deux parties et certainement pas autant que les parties, en particulier les appelantes, l’auraient souhaité.

[44] Ces facteurs et d’autres éléments ont contribué à la complexité factuelle de cette décision. Dans des circonstances comme celles en l’espèce, la Cour doit être très prudente et ne pas imposer sa propre appréciation du poids à accorder aux éléments de preuve. Ce n’est tout simplement pas notre rôle.

A. L’admissibilité du témoignage du Dr Ebers

[45] Les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en ne déclarant pas l’intégralité du rapport du Dr Ebers inadmissible. Comme je l’ai mentionné, les appelantes ajoutent que si elle l’avait fait, la Cour fédérale n’aurait eu d’autre choix que de rejeter les arguments relatifs aux contestations des intimées.

[46] L’objection à l’admissibilité de cet élément de preuve est fondée sur le fait que la section intitulée « L’état de la technique » dans le rapport du Dr Ebers se composait principalement de paragraphes qui se trouvaient dans l’AA de Taro daté du 3 mai 2018, un document qu’il n’avait jamais examiné. Comme l’ont mentionné les intimées au cours du procès, ceux-ci se limitent à renvoyer à divers extraits d’éléments d’art antérieur pertinents. Il ne fait aucun doute que toutes ces publications étaient bien connues du Dr Ebers. En fait, la Cour fédérale a souligné que ce témoin a consacré une grande partie de sa vie à étudier et à documenter la sclérose en plaques et ses traitements (décision de la CF au para. 67).

[47] Je suis d’accord avec les appelantes pour dire qu’un appelant est libre de contester, dans le cadre d’un appel sur le fond, la conclusion d’un juge des faits tirée au cours d’un procès à l’égard de l’admissibilité de tout élément de preuve. Cependant, cela ne signifie pas que ce droit peut être utilisé comme un piège pour priver la partie opposée de son droit de présenter leur cause. Il existe une obligation minimale de diligence raisonnable pour une partie qui souhaite soulever une objection quant à l’admissibilité afin de s’assurer qu’elle est clairement formulée et correctement établie, en particulier lorsqu’elle a l’intention de faire examiner cette objection en appel.

[48] Il existe également un minimum de diligence auquel peut s’attendre une Cour d’une partie, en particulier d’une partie avertie comme les appelantes, qui est représentée par un avocat expérimenté, quant au moment de présenter une telle objection. L’admissibilité de la preuve de l’expert unique d’une partie peut avoir de réelles répercussions préjudiciables sur les droits de cette partie et sur la manière dont ses avocats mèneront leur contre-interrogatoire d’autres experts et monteront leur dossier.

[49] La Cour suprême du Canada a souligné que l’admissibilité d’une preuve d’expert doit être examinée minutieusement lorsqu’elle est présentée pour que la Cour l’accepte afin de permettre au juge des faits d’exercer son rôle de gardien (voir l’arrêt R. c. J.-L.J., 2000 CSC 51 au para. 28). C’est pourquoi les Règles des Cours fédérales DORS/98-106 (les Règles) disposent que les objections quant à l’admissibilité doivent être soulevées par écrit et le plus tôt possible au cours de l’instance (voir la Règle 52.5). En l’espèce, lors de la conférence de gestion de l’instruction, le juge de première instance a expressément ordonné que toutes les questions et requêtes préliminaires soient portées à son attention avant le 26 février 2020. Celles-ci incluraient normalement toutes les autres objections quant aux experts et à leurs rapports.

[50] En l’espèce, la duplication contenue dans le rapport du Dr Ebers, sur laquelle repose l’argument des appelantes, aurait dû être clairement évidente pour elles dès la réception du rapport, lequel comprenait également le certificat de code de conduite régissant les témoins experts imposé par les Règles décrivant les obligations du Dr Ebers, en tant que témoin expert. Au moment où les appelantes ont fait part de leurs réserves à la Cour fédérale le deuxième jour de leur contre-interrogatoire du Dr Ebers, elles avaient passé un certain temps à préparer un document, surlignant en jaune tous les paragraphes en double dans le rapport et l’AA.

[51] Lors de l’audience devant notre Cour, les appelantes ont affirmé qu’il ne leur semblait pas évident que cette duplication posait un problème parce qu’elles avaient supposé à tort que le Dr Ebers avait participé à la rédaction de l’AA de Taro. Elles ont appris leur erreur au cours du contre-interrogatoire du Dr Ebers après qu’il eut été qualifié en tant qu’expert. Cependant, une simple demande adressée à l’avocat de la partie opposée aurait révélé s’il y avait lieu de contester la question au moyen d’une requête, comme l’a ordonné la Cour fédérale lors de la conférence de gestion de l’instruction pour cette action.

[52] Au lieu de cela, l’avocat des appelantes s’est présenté prêt à contre-interroger le Dr Ebers à l’égard de cette hypothèse (dossier d’appel, vol. 32 aux pp. 9342 et 9343 de la transcription). De plus, après la première journée de contre‑interrogatoire, elles ont eu le temps d’envisager de présenter une requête en contestation de l’admissibilité du rapport avant la reprise du procès le lendemain. Au lieu de le faire, elles ont eu un échange minimal avec le juge Manson :

[traduction]

LE JUGE MANSON : Eh bien, le fait que ce soit là et le fait que si vous lui posez cette question, il dira, quoi qu’il dise, et en fin de compte vous allez -- vous allez me dire que c’est mot à mot ce qui figurait dans l’avis d’allégation, et ensuite vous aurez fait valoir votre point, je pense. Et j’accorderai un poids quelconque et tout ce que je veux accorder à l’égard de votre question sur l’impartialité. Je comprends votre point de vue.

M.

(Ebers, contre-interrogatoire, dossier d’appel, vol. 32, onglet 79 à la p. 9383)

[...]

M. NORMAN : Et il en va de même pour ce qui est de l’admissibilité. Je ne sais donc pas si vous voulez que nous présentions une requête au préalable ou non.

LE JUGE MANSON : Il ne sera pas question d’admissibilité, mais du poids à accorder.

M. NORMAND : D’accord.

(Ebers, contre-interrogatoire, dossier d’appel, vol. 32, onglet 79 à la p. 9385)

[53] Les appelantes considéraient cet échange comme une décision définitive sur l’admissibilité du rapport. Les intimées prétendent que les appelantes ont en fait simplement choisi d’abandonner le point. Comme je l’ai mentionné, au moment où les appelantes ont décidé de soulever la question, le Dr Ebers avait non seulement été admis sur consentement à titre d’expert, mais son rapport avait également été accepté dans le dossier de la preuve. Lorsque la question a été soulevée, le Dr Ebers était en cours de contre-interrogatoire (et avait entamé environ les deux tiers de la deuxième journée d’interrogatoire) sur plusieurs questions et une grande partie des éléments d’art antérieur sur lesquels les appelantes s’appuient maintenant pour soutenir que la Cour fédérale n’a pas adopté la perspective de la personne moyennement versée dans l’art. Cette partie de leur contre-interrogatoire indique également clairement que le Dr Ebers connaissait bien les ouvrages sur la sclérose en plaques et sur tous les essais cliniques et toutes les études cliniques s’y rapportant.

[54] Au cours de leurs plaidoiries finales à la Cour fédérale (dossier d’appel, vol. 33 à la p. 9804), les appelantes ont affirmé que l’on devrait accorder peu de poids au rapport du Dr Ebers. Je reproduis ce passage, car il indique qu’elles semblent également avoir pris une autre décision stratégique.

[traduction]

[…] Nous prétendons donc que l’on devrait accorder peu de poids au rapport du Dr Ebers. Cependant, qu’est-ce que cela veut dire?

Et je veux être juste envers mes amis. Nous ne contestons pas les paragraphes 1 à 94. C’est la section du juge Manson, juste avant la section sur l’état de la technique. Nous avons un problème de duplication. Cela ne veut pas dire que nous acceptons cela. […] Toutefois, nous ne soutenons pas que les paragraphes 1 à 94 étaient entachés à la lumière de ce que nous avons. […] Nous soutenons qu’il faut faire preuve d’une extrême prudence à l’égard de l’examen de la section sur l’état de la technique du rapport du Dr Ebers et de la partie qui s’y rapporte et qu’il faut y accorder peu de poids. Et l’une des conséquences qui en découlent […] est que le rapport du Dr Ebers est devenu un produit rétrospectif.

[55] C’est en fait ce que la Cour fédérale a fini par faire, car elle n’a accordé que peu de poids à une grande partie du témoignage du Dr Ebers concernant les éléments d’art antérieur et l’évidence. Toutefois, elle a accepté et mentionné certains de ses éléments de preuve concernant les connaissances générales courantes et l’interprétation des revendications (figurant aux paragraphes 1 à 94 de son rapport). En pareilles circonstances, notre Cour devrait-elle maintenant intervenir parce que les appelantes soutiennent que c’était une erreur de droit de ne pas rejeter le rapport pour le motif qu’il n’était pas impartial selon les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23 (White Burgess), une affaire que la Cour fédérale a examinée et mentionnée dans sa décision afin d’adresser un avertissement général à la Section du Droit de la propriété intellectuelle du Barreau concernant l’obligation d’impartialité et d’indépendance d’un témoin expert envers la Cour? Je ne le crois pas.

[56] Premièrement, je ne considère pas l’échange mentionné précédemment comme une décision définitive sur l’admissibilité. Le fait de demander si l’on doit présenter une requête n’est pas la même chose que demander une décision sur son objection. Lorsque les avocats ont une question concernant l’impartialité ou l’indépendance, il leur incombe à ce moment-là de soulever clairement une objection et de présenter leur argument. On ne devrait pas présumer qu’un juge des faits a rendu une décision définitive sur une objection alors qu’il n’a même pas eu la possibilité d’examiner l’AA ou d’entendre les observations sur l’objection.

[57] Deuxièmement, je conclus que la Cour fédérale était consciente des principes énoncés dans l’arrêt White Burgess malgré la thèse des appelantes formulée dans leurs observations finales. Elle a toutefois fait remarquer que la duplication soulevait une question d’impartialité du rapport d’expertise et il ressort implicitement des paragraphes 70 et 71 de ses motifs que, en l’espèce, la Cour fédérale n’a pas jugé approprié de rejeter le rapport pour ce motif. Il n’y a pas d’erreur de droit dans cette conclusion; la Cour fédérale a exercé son rôle de gardien du mieux qu’elle a pu dans les circonstances particulières. Je n’ai pas non plus été convaincue qu’elle a commis une erreur manifeste et dominante en ne radiant pas le rapport vu le type de renseignements qui ont été copiés au regard du contexte.

[58] Il ne faisait aucun doute que la Cour fédérale était convaincue que le Dr Ebers était parfaitement au courant de tous les éléments d’art antérieur énumérés avant d’y faire mention dans son rapport. La partie du rapport qui reprend l’AA consiste essentiellement en des citations de divers passages de documents joints à son rapport. Cela n’aurait pas fait une différence importante s’il avait reconnu dans son rapport que les passages qu’il citait étaient ceux reproduits dans l’AA parce qu’il était convaincu qu’ils étaient pertinents. Il l’a certainement dit lors de son témoignage. Il y a des paragraphes dans cette section du rapport qui ont été clairement ajoutés pour indiquer les connaissances personnelles du Dr Ebers, voir par exemple les paragraphes 159 à 165. Ainsi, cette situation n’était pas un cas flagrant ou l’un de ces cas rares et très clairs où la Cour suprême a déclaré que le juge des faits aurait dû conclure que l’expert proposé ne pouvait ou ne voulait pas s’acquitter de son obligation envers la Cour et aurait dû rejeter son rapport.

[59] Dans l’arrêt Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre 2013 CSC 30, (Cojocaru), la Cour suprême a été saisie d’une affaire de reproduction d’extraits encore plus élargie, bien que dans un contexte différent (motifs judiciaires). Elle a souligné que la reproduction d’extraits pouvait donner l’impression que les motifs ne représentaient pas la propre pensée du juge et que l’on ne devrait donc pas encourager une telle pratique. Cependant, cela ne signifie pas automatiquement que le juge n’était pas impartial ou indépendant (Cojocaru aux para. 35 et 36). Je conclus donc qu’il faut examiner attentivement la nature exacte des renseignements reproduits avant de conclure qu’un expert ne peut s’acquitter de son obligation envers la Cour. Évidemment, cela ne veut pas dire qu’il ne pourrait avoir aucune incidence sur l’appréciation globale que fait le juge des faits du rapport de l’expert et sur le poids réel qui lui est accordé. C’est clairement le cas en l’espèce et la Cour fédérale a eu raison d’adresser un avertissement au barreau pour décourager une telle pratique.

[60] Il n’y a donc aucune erreur susceptible de révision qui justifierait notre intervention.

B. Les connaissances générales courantes

[61] Afin de faciliter la compréhension de mon analyse sur l’interprétation et l’évidence des revendications, il est utile de résumer ensuite certaines des connaissances générales courantes comme les a énoncées la Cour fédérale (décision de la CF aux para. 8 à 17, 86 à 91). Les connaissances générales courantes sont pertinentes tant pour l’interprétation téléologique des revendications que pour l’analyse de l’évidence.

[62] La sclérose en plaques est une maladie chronique évolutive qui touche le système nerveux central; c’est au moins en partie une maladie démyélisante. La gaine de myéline tient lieu de matière isolante qui entoure les fibres nerveuses, et permet une transmission rapide des signaux électriques du cerveau vers les différentes parties de l’organisme. Si cette gaine, qui s’apparente à celle de la gaine d’un câble électrique, est défectueuse, le courant de la fibre nerveuse perd de sa puissance (décision de la CF au para. 9).

[63] Les inhibiteurs de canaux potassiques comme la fampridine ou l4‑aminopyridine, ou la 4-AP (dans le brevet 277), permettent de rétablir la conduction du potentiel d’action des fibres nerveuses démyélisées. Ainsi, la fampridine a été mise à l’essai comme traitement potentiel de la sclérose en plaques, ou plus exactement comme traitement de certains de ses symptômes (décision de la CF au para. 10).

[64] Il convient de souligner que la mise à l’essai de la fampridine en tant que traitement potentiel de la sclérose en plaques a été reconnue au paragraphe 76 du brevet 277, qui est rédigé ainsi :

[traduction]

Il a été démontré que la fampridine rétablit la conduction du potentiel d’action des fibres nerveuses endommagées et mal myélinisées, et elle peut également améliorer directement la transmission synaptique. Lors d’essais cliniques antérieurs, le traitement avec la fampridine a été associé à divers bienfaits neurologiques chez les personnes atteintes de la sclérose en plaques, notamment une marche plus rapide et une force accrue, mesurées par des évaluations neurologiques standard.

[65] Il n’existe aucun traitement curatif de la sclérose en plaques. Bon nombre de traitements approuvés visent à ralentir l’évolution de la maladie et à réduire les symptômes. Il n’existe aucun traitement de la sclérose en plaques efficace pour tous les patients, les traitements doivent donc être adaptés à chaque patient, et même pour ces patients, ils ne sont pas toujours efficaces (décision de la CF au para. 17).

[66] Lorsque des traitements symptomatiques comme la fampridine sont utilisés, il faut une administration continue ou sur une longue période pour voir les bienfaits en continu. La fampridine était censée avoir une fenêtre thérapeutique étroite, et les doses élevées de fampridine ont été associées à des effets indésirables graves. Au moment de choisir la dose appropriée, la personne moyennement versée dans l’art aurait été au fait des effets indésirables potentiels, et l’approche thérapeutique d’« y aller petit à petit » était couramment utilisée (décision de la CF au para. 91).

[67] La difficulté ou l’incapacité à marcher sont les symptômes les plus fréquents de la sclérose en plaques qui peuvent avoir des effets désastreux chez les patients. Il s’agit de l’un des signes de l’évolution de la maladie qui a des répercussions au point de vue pratique dans la vie quotidienne du patient atteint de cette maladie (décision de la CF au para. 12).

[68] Une difficulté avec la sclérose en plaques est que les symptômes peuvent être transitoires, persister, ou s’aggravent souvent avec le temps. Vu le degré de variabilité, il est très difficile de déterminer si un traitement potentiel a un effet significatif du point de vue clinique ou si le changement observé est simplement attribuable à la variabilité inhérente à la maladie (décision de la CF au para. 15), qui peut changer hebdomadairement et parfois quotidiennement (décision de la CF au para. 89).

[69] Il existe également un effet placebo important lors des essais menés chez les patients atteints de la sclérose en plaques pour de nouveaux traitements. En raison de la variabilité des résultats de la marche chronométrée de 25 pieds, par exemple, certains chercheurs ont recours à un seuil d’une amélioration de 20 % statistiquement significative comme exigence minimale lorsqu’ils évaluent si une intervention (c’est-à-dire un traitement) donnée a entraîné un effet précis, à l’opposé d’une amélioration aléatoire compte tenu de la variabilité inhérente de ces symptômes. La variation significative de l’effet placebo augmente également la difficulté à déceler si l’intervention offre un bienfait ayant une pertinence clinique (décision de la CF aux para. 16 et 90).

[70] Enfin, en plus des traitements approuvés, divers traitements de rechange ont été utilisés dans l’espoir d’offrir un certain soulagement de la sclérose en plaques. Dans le passé, certains traitements de rechange étaient censés être la « meilleure solution », mais n’ont finalement pas passé l’étape des essais cliniques. Après ces « faux espoirs » apparus à répétition, les chercheurs en sclérose en plaques se sont mis à douter des traitements de rechange qui ne s’appuient pas sur des essais menés à double insu et contrôlés par placebo (décision de la CF au para. 17).

C. L’interprétation des revendications

[71] Bien que les principes décrits par la Cour fédérale ne soient pas en litige en l’espèce, il est tout de même important de réitérer que la description d’un brevet (également qualifiée de divulgation) doit être prise en compte dans l’interprétation des revendications.

[72] Comme il est mentionné dans l’arrêt Whirlpool au paragraphe 49e), interpréter un brevet revient à interpréter un règlement. L’interprétation téléologique des revendications consiste à examiner les mots des revendications dans leur contexte. Cela inclut les revendications individuellement et dans leur ensemble, compte tenu de leur objectif ainsi que de la description. Comme l’a fait remarquer la Cour fédérale, il est nécessaire de prendre en considération le brevet dans son ensemble, mais le fait de s’en tenir au texte des revendications permet d’interpréter ces dernières de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu, en mettant l’accent sur l’équité et la prévisibilité (décision de la CF au para. 78).

[73] Dans l’arrêt Whirlpool, au paragraphe 49f), la Cour suprême nous a rappelés qu’il en est ainsi parce que le but de l’analyse est d’interpréter et de respecter l’intention objective de l’inventeur telle qu’elle se manifeste dans les mots qu’il a utilisés. C’est pourquoi l’ensemble de la divulgation doit être examinée, même pour des mots qui sembleraient à première vue simples et sans ambiguïté à la seule lecture des revendications. En effet, l’une des raisons d’examiner la divulgation est de déterminer si l’inventeur définit réellement des mots particuliers qui pourraient être clairs et simples même pour une personne moyennement versée dans l’art en lisant uniquement les revendications (Whirlpool aux para. 52 et 54, aide à la définition). Évidemment, et comme le savent bien les spécialistes du droit de la propriété intellectuelle, les termes techniques ou soi-disant termes de l’art doivent être interprétés du point de vue de la personne moyennement versée dans l’art. Cependant, comme l’a également fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Whirlpool au paragraphe 61, une Cour a le droit de donner une interprétation différente de celle avancée par l’une ou l’autre des parties, car il lui incombe d’interpréter les revendications comme une question de droit. Cela s’explique par le fait que le rôle de l’expert consiste non pas à interpréter les revendications du brevet en soi, « mais à faire en sorte que le juge de première instance soit en mesure de le faire de façon éclairée » (Whirlpool au para. 57).

[74] L’objet principal de l’interprétation des revendications est de déterminer les éléments essentiels de l’objet revendiqué. À cet égard, une fois de plus, l’intention objective de l’inventeur est un élément qu’une Cour tente d’évaluer. En l’espèce, les parties s’étaient entendues sur ce qui devait être considéré comme des éléments essentiels des revendications invoquées, mais elles n’étaient pas tout à fait d’accord, pour les motifs qui seront expliqués plus loin, sur ce que chacun de ces éléments englobait ou signifiait. La Cour fédérale a tout de même dû effectuer sa propre analyse pour confirmer ces éléments. Elle l’a clairement fait.

[75] Comme je l’ai mentionné, devant notre Cour, les appelantes ne contestent que l’interprétation des mots « utilisation pour améliorer la marche » et « utilisation pour augmenter la vitesse de marche ». Elles soutiennent que les mots « améliorer » et « augmenter » seraient compris comme visant uniquement une amélioration ou une augmentation « significative du point de vue clinique » et nécessitent donc deux éléments essentiels : une amélioration ou une augmentation significative mesurée quantitativement qui est également évaluée de façon subjective comme significative par le « sujet atteint de sclérose en plaques qui en a besoin ».

[76] La Cour fédérale a interprété ces mots comme faisant uniquement référence à une amélioration ou à une augmentation quantitative significative, c’est-à-dire statistiquement significative afin de prendre en compte la variabilité des symptômes et la prévalence de l’effet placebo chez les patients atteints de la sclérose en plaques (voir les para. 16, 20 et 21 ci-dessus).

[77] Bien que les appelantes aient axé leur argument sur ce qu’elles considèrent comme un élément de preuve concluant d’un accord entre les experts quant à la façon dont la personne moyennement versée dans l’art interpréterait ces expressions, je ne peux me limiter à examiner cet élément de preuve. En l’espèce, la Cour fédérale a conclu que l’interprétation avancée par les appelantes allait à l’encontre d’une interprétation téléologique des revendications. J’effectuerai donc mon analyse en ayant recours aux connaissances générales courantes telles que la Cour fédérale les a formulées avant d’examiner les éléments de preuve invoqués par les appelantes.

(1) Le texte des revendications

[78] Au paragraphe 6 de mes motifs, je mentionne lesquelles des 112 revendications du brevet 277 étaient en cause dans le présent contentieux. Toutes les revendications pertinentes sont reproduites à l’annexe A de la décision de la CF.

[79] Pour mon analyse, je n’ai qu’à reproduire les trois revendications suivantes, qui englobent suffisamment le texte sur lequel je dois porter mon attention dans le présent appel.

No de la revendication

Texte de la revendication

17

Recours à une composition de 4-aminopyridine à libération prolongée pour améliorer la marche chez un sujet atteint de sclérose en plaques qui en a besoin pour une période d’au moins deux semaines, à la dose unitaire de 10 milligrammes de 4-aminopyridine, deux fois par jour.

18

Recours à une composition de 4-aminopyridine à libération prolongée dans la fabrication d’un médicament destiné à améliorer la marche chez un sujet atteint de sclérose en plaques qui en a besoin pour une période d’au moins deux semaines, à la dose unitaire de 10 milligrammes de 4-aminopyridine, deux fois par jour.

29

Recours à une composition de 4-aminopyridine à libération prolongée pour accroître la vitesse de marche chez un sujet atteint de sclérose en plaques qui en a besoin, à la dose unitaire de 10 milligrammes de 4-aminopyridine, deux fois par jour.

[80] Je n’ai pas l’intention de discuter des éléments essentiels déterminés par la Cour fédérale comme « une personne atteinte de sclérose en plaques qui en a besoin » ou des éléments supplémentaires dans d’autres revendications dépendantes comme « Cmoy » ou « Tmax ». Ces éléments ne sont pas en litige. Sous réserve de mes commentaires formulés aux paragraphes 97 et 98 ci-dessous, je souscris de manière générale aux conclusions de la Cour fédérale (voir les para.16, 20 et 21 ci-dessus). Comme je l’ai mentionné, il ressort clairement de l’interprétation adoptée par la Cour fédérale à l’égard de ces éléments qu’elle a pris en compte la preuve d’expert sur leur sens technique (voir par exemple le paragraphe 18 ci-dessus). Elle a également pris en compte la personne moyennement versée dans l’art (voir par exemple les para. 13 et 87 de la décision de la CF, et le para. 16 ci-dessus).

[81] La principale différence entre toutes les revendications indépendantes du brevet 277 est que chacune fait référence à un objectif précis pour l’utilisation de la dose de 10 mg de fampridine à libération prolongée, deux fois par jour :

(i) Dans les revendications 1 à 14, le dosage de ce médicament est utilisé pour le traitement de la sclérose en plaques;

(ii) Les revendications 15 à 28 portent sur son utilisation pour améliorer la marche;

(iii) Les revendications 29 à 56 s’appliquent à son utilisation pour augmenter la vitesse de marche;

(iv) Les revendications 57 à 70 s’appliquent à son utilisation pour améliorer le tonus musculaire des membres inférieurs;

(v) Les revendications 71 à 84 portent sur son utilisation pour améliorer la force musculaire des membres inférieurs;

(vi) Les revendications 85 à 98 portent sur son utilisation pour améliorer la qualité de vie;

(vii) Les revendications 99 à 112 s’appliquent à son utilisation pour réduire la spasticité.

[82] Aucune des revendications ne comprend d’autres mots qui caractérisent ou quantifient l’expression « utilisation pour améliorer », « utilisation pour augmenter » ou « utilisation pour réduire ». À première vue, ces expressions couramment utilisées semblent claires et simples. La Dre Oh a également confirmé qu’elles étaient claires et sans ambiguïté à son avis (dossier d’appel, vol. 32 aux pp. 9153 et 9154). Avant d’examiner la preuve des Drs Leist et Ebers, je passerai en revue la divulgation, car, comme je l’ai mentionné, c’est dans cette divulgation que l’inventeur peut donner une indication de son intention objective qui peut avoir une incidence sur l’interprétation proposée par les experts.

[83] À cette étape, l’objet des revendications semble clair. Ces revendications portaient sur l’utilisation de 10 mg bid (c’est-à-dire deux fois par jour) de fampridine à libération prolongée comme traitement. Les revendications de type suisse comme la revendication 18 ont été considérées comme simplement une autre façon de revendiquer une telle utilisation, mais à l’encontre du fabricant du médicament. En ce sens, ces revendications visent leurs activités, mais rien ne prouve qu’elles devraient être interprétées différemment.

[84] Considérant que les connaissances générales courantes énoncées par la Cour fédérale sont un traitement, c’est-à-dire le résultat de l’administration de l’ingrédient actif, « utilisation pour améliorer » par exemple, serait au moins compris par la personne moyennement versée dans l’art comme visant une amélioration qui excède la variabilité des symptômes chez les patients atteints de la sclérose en plaques, ainsi que ceux liés à l’effet placebo qui peuvent avoir une incidence lors de l’administration d’un traitement aux patients atteints de la sclérose en plaques.

[85] Les appelantes ne sont pas en désaccord sur ce point.

(2) La description

[86] J’ai décidé d’examiner les motifs plus en détail que ce à quoi on pourrait normalement s’attendre d’une cour d’appel pour illustrer comment l’interprétation d’un brevet est plus que la lecture des revendications et l’adoption de l’interprétation avancée par les experts pour le seul motif que c’est ainsi qu’une personne moyennement versée dans l’art les interpréterait.

[87] Je rappellerai d’abord que la divulgation de ce brevet décrit bien plus que ce qui est revendiqué, à savoir non seulement les maladies pour lesquelles une composition de 10 mg bid de fampridine à libération prolongée peut être utilisée (brevet 277 aux para. 0003, 0005, 0010 par exemple), mais aussi la dose thérapeutiquement efficace (voir le brevet 277 aux para. 0010 à 0015, 0046 et 0047), et la fréquence d’administration de la dose de fampridine à libération prolongée (voir le brevet 277 aux para. 0014, 0015, 0053). Et, plus important encore, le brevet traite longuement des modes de réalisation et des méthodes particulières de sélection des patients ayant obtenu une réponse (voir le brevet 277 aux para. 0019-0020,0027-0028,0030,0032,0077-0084 et d’une grande partie de l’exemple 5) qui ne sont plus revendiqués.

[88] Bien que la description traite de nombreux renseignements qui ne sont pas pertinents pour les objets revendiqués, je n’ai trouvé aucun exemple ni aucune discussion où l’effet de l’ingrédient actif est directement lié à l’utilisation de la dose revendiquée après seulement deux semaines d’administration. Les experts n’ont mentionné aucun passage de ce genre qui pourrait expliquer le choix de deux semaines comme durée minimale dans certaines des revendications. L’exemple 5 de la description est le seul qui traite de l’efficacité. Il décrit un essai clinique de 20 semaines, où la phase de traitement stable a duré 12 semaines pour les doses de 15 mg et 20 mg bid (bien que la dose de 10 mg bid ait été utilisée pendant 14 semaines, car il y avait un ajustement posologique). Il y avait des visites toutes les deux semaines après le début de la période de traitement stable, plus cinq visites lorsqu’aucun traitement n’était administré (quatre visites avant et une après la période de traitement stable) (brevet 277 aux para. 00101 à 00102).

[89] L’ensemble des renseignements et des données figurant à l’exemple 5 relativement à l’analyse a posteriori des patients ayant obtenu une réponse ne semble pas utile sans quelques explications de la part des experts. Le groupe de patients ayant obtenu une réponse comprenait quatre sujets ayant reçu le placebo et 58 sujets traités à la fampridine au total pour les trois doses mises à l’essai (10 mg bid, 15 mg bid et 20 mg bid). Je fais remarquer que de ce groupe, seuls 18 sujets ont été traités avec la dose revendiquée (10 mg bid à libération prolongée), et tous ces patients ayant obtenu une réponse ont été choisis en fonction de leur réponse au cours d’au moins trois visites pendant un traitement stable. Ainsi, je comprends que tous les résultats d’efficacité divulgués couvrent une période d’au moins six semaines de traitement stable. Il n’est certainement pas clair pour moi que pour tous les patients ayant obtenu une réponse ou quelques-uns d’entre eux, ces visites incluaient nécessairement leur première après les deux premières semaines de la phase de traitement stable.

[90] Il n’y a aucune preuve d’expert confirmant qu’une inférence de la période minimale de deux semaines peut être tirée à partir de ces données. En fait, le Dr Ebers a déclaré lors de son témoignage qu’il est difficile pour lui de savoir sur quel fondement repose le choix de cette période minimale de deux semaines. Le Dr Leist a simplement évité la question en interprétant les revendications qui indiquaient « au moins deux semaines » comme signifiant que c’est l’amélioration qui doit être constante pendant au moins deux semaines, plutôt que l’utilisation de la posologie pendant au moins deux semaines (voir le paragraphe 83 de son rapport). Je souligne que le Dr Leist semble avoir mal compris l’interprétation du Dr Ebers à cet égard (voir le rapport du Dr Ebers, au paragraphe 87 où il interprète les revendications comme exigeant que la composition de 10 mg de fampridine à libération prolongée soit administrée pendant au moins deux semaines, et le rapport du Dr Leist au paragraphe 446). Plus important encore, cet élément de preuve a été expressément rejeté par la Cour fédérale. Je comprends que la Cour fédérale l’a considéré comme faisant partie de l’« interprétation tortueuse » présentée par ce témoin expert en essayant d’intégrer l’exemple 5 (en l’espèce le critère de la persistance utilisé dans l’analyse des patients ayant obtenu une réponse) dans l’objet de la revendication (voir la décision de la CF au para. 104). Je peux certainement accepter cette conclusion de la Cour fédérale. Ce n’est tout simplement pas ce qu’indiquent les revendications, et il n’y a aucune raison valable pour qu’une personne moyennement versée dans l’art interprète autrement le libellé clair des revendications pertinentes.

[91] À mon avis, cela illustre bien la façon dont une cour peut rejeter une preuve d’expert sur la façon dont une personne moyennement versée dans l’art interpréterait une revendication lorsqu’elle n’est tout simplement pas étayée par une application appropriée de l’analyse téléologique à l’interprétation des revendications.

[92] En revenant à la description, la section intitulée « Contexte » indique d’abord que l’invention concerne une forme posologique d’une composition de fampridine à libération prolongée qui maximise l’effet thérapeutique, tout en minimisant les effets secondaires indésirables (voir le brevet 277 au para. 0002). Elle présente des renseignements limités, mais elle confirme généralement ce qui était communément connu sur le mécanisme d’inhibiteurs de potassium comme la fampridine dans le traitement symptomatique des lésions de la moelle épinière, de la sclérose en plaques et de la maladie d’Alzheimer (voir le brevet 277 au para. 0005).

[93] Dans la section intitulée [traduction] « Sommaire de l’invention », les inventeurs décrivent différents modes de réalisation où ils utilisent d’abord les mots [traduction] « pour augmenter » et [traduction] « pour améliorer » sans aucune qualification. Je souligne que les expressions les plus souvent utilisées dans cette section sont [traduction] « thérapeutiquement efficace » ou [traduction] « quantité efficace » de l’ingrédient actif ou d’autres composantes clés de la préparation. Il est également clair que les divers modes de réalisation jusqu’au paragraphe 0019 visent à offrir un traitement des symptômes liés à la dégradation de la transmission de l’influx nerveux. Ce n’est qu’aux paragraphes 0019 et 0020 décrivant la réalisation de la méthode de sélection de personnes fondée sur leur réponse à un traitement (objet non revendiqué), que les inventeurs mentionnent pour la première fois les différents tests effectués pour déterminer les personnes qui présentent « une amélioration du rendement » pendant la majorité des tests effectués pendant la période de traitement.

[94] Dans la section intitulée [traduction] « Description détaillée de l’invention », les inventeurs indiquent d’abord que l’invention n’est pas limitée aux méthodologies ou protocoles décrits dans la description et qu’elle peut varier. La terminologie n’est utilisée que pour décrire des versions ou des réalisations particulières (brevet 277 au para. 0033). Il s’agit d’une clause souvent utilisée, car elle n’est pas toujours bien comprise par ceux qui ne connaissent pas l’examen des brevets, notamment les experts techniques.

[95] Je dois mentionner ici qu’il n’est pas contesté qu’à l’exception de l’analyse a posteriori des patients ayant obtenu une réponse, qui fait l’objet de débats, toutes les méthodes ou tous les essais utilisés, soit pour fabriquer les compositions de fampridine à libération prolongée, soit pour déterminer l’innocuité et l’efficacité de la posologie revendiquée étaient bien connus (voir par exemple le brevet 277 au para. 0058).

[96] Cette section indique également que [traduction] « [s]ans définition contraire, tous les termes techniques et scientifiques qui y sont utilisés ont le même sens que celui communément compris par une personne ayant une compétence ordinaire dans l’art » (brevet 277 au para. 0035). Il y a de nombreux termes techniques tout au long de la description. Toutefois, cela ne signifie pas que chaque mot utilisé est un mot technique ou scientifique. Les inventeurs donnent ensuite des définitions précises de certaines expressions utilisées dans le brevet, qui peuvent être bien différentes de ce qui serait communément compris par la personne moyennement versée dans l’art. Évidemment, ces définitions sont très importantes, car un expert doit fournir une explication convaincante de la raison pour laquelle une définition précise ne devrait pas être adoptée par la Cour. Aucun des experts n’a fait mention des définitions suivantes dans son rapport.

[97] Premièrement, les termes « patient » et « sujet », qui sont utilisés dans toutes les revendications invoquées, sont définis de façon à inclure tous les animaux, y compris les humains (brevet 277 au para. 0037). Il ressort clairement du paragraphe 007 que les animaux peuvent naturellement souffrir de lésions ou de maladies de la moelle épinière. Il se peut fort bien que cette définition n’ait pas été appropriée si l’objet revendiqué était uniquement la sclérose en plaques, car cette maladie ne touche que les humains. Néanmoins, je trouve quelque peu surprenant qu’aucune explication n’ait été donnée, en particulier par le Dr Leist qui insiste sur le fait qu’une évaluation subjective par le sujet nécessitant un traitement est un élément essentiel de l’objet revendiqué. Évidemment, si d’autres primates sont inclus, on pourrait difficilement exiger une évaluation subjective. Je fais remarquer que le fait que les inventeurs n’aient effectué des tests que sur les humains dans les sections « Exemples » ne serait probablement pas une explication appropriée pour écarter une définition expresse. Les exemples ne définissent pas les paramètres des revendications.

[98] Cela dit, pour les besoins du présent appel, je suis disposée à présumer que la sclérose en plaques est une maladie purement humaine, ce qui est essentiel à l’argument des appelantes. Les intimées n’ont pas contesté ce fait.

[99] La définition de l’expression [traduction] « quantité thérapeutiquement efficace » est également intéressante (brevet 277 au para. 0041), étant donné que toutes les revendications incluent la posologie précise à utiliser. Elle est définie comme [traduction] « une quantité suffisante pour diminuer ou prévenir les symptômes associés à une condition médicale […] ou pour apporter une amélioration dans un ou plusieurs des paramètres cliniquement mesurés de la maladie ».

[100] Le prochain terme d’intérêt est le « traitement » (brevet 277 au para. 0042). Sa définition est longue. Je ne mentionnerai que les parties qui présentent des renseignements concernant la question dont je suis saisie. Elle mentionne [traduction] l’« administration du médicament pour [...] l’amélioration [de] l’état clinique du patient [...] ou l’amélioration subjective de la qualité de vie du patient ». Cette définition semblerait étayer la thèse des intimées devant notre Cour selon laquelle une évaluation subjective de l’amélioration n’était qu’objectivement voulue par les inventeurs à l’égard des revendications 85 à 98, qui portent sur l’utilisation de 10 mg bid de fampridine à libération prolongée pour améliorer la qualité de la vie. La qualité de vie n’est pas un symptôme de la sclérose en plaques en soi, mais plutôt l’incidence globale de ces symptômes de la sclérose en plaques sur le patient. Par contre, la mention de l’état clinique du patient figure dans la ligne du passage cité précédemment qui fait référence à l’amélioration des [traduction] « paramètres cliniquement mesurés de la maladie ».

[101] Aucune des autres définitions n’inclut de renseignements susceptibles d’être pertinents pour mon analyse. Il n’existe pas de définition distincte du mot « amélioration » en soi, ou de l’expression « utilisation pour améliorer ou augmenter ».

[102] Au paragraphe 0044, les inventeurs soulignent à nouveau qu’une quantité thérapeutiquement efficace de fampridine à libération prolongée est la quantité qui, lorsqu’elle est administrée à un patient ou à un sujet, améliore un symptôme d’une maladie neurologique. Le mot améliore est un synonyme du mot augmenter qui ne semble pas destiné à exprimer une signification scientifique particulière autre que ce qui a déjà été souligné.

[103] Vu l’importance que les appelantes accordent à l’exemple 5 du brevet 277 et à l’analyse a posteriori, il convient de souligner qu’au paragraphe 0078, les inventeurs précisent que même concernant la méthode de sélection des personnes fondée sur la réponse au traitement, [traduction] « ce mode de réalisation sélectionne des sujets qui montrent un modèle de changement qui est conforme à une réponse au traitement, mais ne définit pas les caractéristiques complètes de la réponse ». Le [traduction] « critère en soi », c’est-à-dire la cohérence dans plusieurs visites pendant la période de traitement stable [traduction] « ne précise pas le degré d’amélioration ni ne précise que l’amélioration doit être stable dans le temps ». Les inventeurs déclarent simplement que l’analyse a posteriori discutée dans l’exemple 5 indique que l’on [traduction] « peut s’attendre à ce que les patients ayant obtenu une réponse définie par une persistance dans l’effet démontrent également une ampleur et une stabilité accrues des bienfaits ».

[104] Le reste de cette section traite des raisons pour lesquelles l’essai clinique tel qu’il a été conçu à l’origine n’a pas établi de différence statistiquement significative entre les sujets ayant reçu le placebo et les sujets traités à la fampridine à libération prolongée, même si une grande partie de ces sujets ont montré une amélioration. Ces paragraphes peuvent être pertinents pour l’analyse de l’évidence (en fournissant des preuves objectives quant à la pensée et à la conduite de l’inventeur), mais ils apportent peu de chose à l’interprétation des revendications. Je fais remarquer toutefois que dans la dernière phrase du paragraphe 0079, après avoir indiqué qu’il n’est pas possible de présélectionner des patients potentiellement réactifs avant un essai en raison d’une compréhension insuffisante de la maladie, les inventeurs précisent que [traduction] « l’existence du sous-groupe de patients qui répondent de manière constante au médicament peut être soutenue par des observations quantitatives dans nos études cliniques décrites ci-dessous ».

[105] Ensuite, au paragraphe 0084, les inventeurs indiquent que toutes les doses mises à l’essai se sont avérées efficaces dans le groupe ayant obtenu une réponse, montrant une différence très significative et constante entre les groupes ayant reçu le placebo et les groupes traités par des médicaments. Cela a été confirmé par l’ensemble des groupes traités par la fampridine à libération prolongée comparativement au groupe traité par placebo (58 sujets contre quatre). Les deux experts semblent s’entendre dans leurs rapports sur le fait qu’à leur lecture de la description, le choix définitif de la posologie de 10 mg bid était fondé sur le profil favorable des effets indésirables par rapport à l’efficacité.

[106] En discutant de l’ampleur du changement, les inventeurs renvoient aux renseignements statistiques d’une augmentation moyenne > 25 % de la vitesse de marche sur la période de traitement. C’est également dans ce paragraphe que les inventeurs indiquent pour la première fois que le groupe de patients ayant obtenu une réponse a également montré une augmentation du score de l’impression globale du sujet, et une amélioration du score sur l’échelle de marche à 12 items dans la sclérose en plaques.

[107] L’expression « significative du point de vue clinique » n’est pas employée dans la section « Description détaillée de l’invention » du brevet 277. La première fois qu’une expression semblable est utilisée, c’est dans le contexte de l’exemple 3 qui traite des propriétés pharmacocinétiques des comprimés de fampridine à libération prolongée, et traite également de l’évaluation de l’innocuité du médicament proposé. Au paragraphe 0093, les inventeurs énoncent, après avoir décrit certains événements indésirables, [traduction] qu’« il n’y a eu aucun changement significatif du point de vue clinique dans les valeurs de laboratoire clinique, les paramètres de l’électrocardiogramme, les signes vitaux, les résultats de l’examen physique ou les résultats de l’examen neurologique notés au cours de cette étude ».

[108] La même expression est à nouveau utilisée au paragraphe 0099, sous l’exemple 4, où l’on trouve une phrase indiquant [traduction] qu’« il n’y a eu aucun changement significatif du point de vue clinique dans les valeurs moyennes de laboratoire clinique, les signes vitaux ou les résultats de l’examen physique entre les valeurs de départ et la dernière visite ». Les essais énoncés dans les exemples 3 et 4 étaient ouverts et menés auprès de 23 sujets et 20 sujets respectivement.

[109] Cela m’amène à l’exemple 5, qui est censé illustrer un mode de réalisation d’une méthode de traitement de sujets avec de la fampridine et un mode de réalisation de l’analyse des patients ayant obtenu une réponse de la présente invention (voir la première phrase du paragraphe 00101). Il ne s’agit que d’un mode de réalisation de la méthode de traitement des sujets qui en ont besoin en ce sens qu’il décrit les posologies réellement utilisées, la fréquence et la durée de la prise du médicament. Comme je l’ai mentionné, il faut être vigilant et conscient du fait que l’analyse des patients ayant obtenu une réponse n’est plus un mode de réalisation d’un objet revendiqué. Cet exemple renseigne simplement sur la pertinence des données réorganisées après l’analyse a posteriori pour établir ou prévoir valablement que la posologie revendiquée peut effectivement traiter les symptômes décrits dans les revendications chez certains patients atteints de la sclérose en plaques, ceux que l’on appelle patients ayant obtenu une réponse. Il indique également que la cohérence des améliorations mesurées quantitativement peut être une mesure de résultat appropriée dans les futurs essais cliniques.

[110] Le caractère suffisant des renseignements fournis ou leurs répercussions convaincantes quant à l’efficacité ultime de l’objet revendiqué, en fonction de l’analyse a posteriori effectuée, ou l’utilité concernant divers symptômes visés par les revendications, n’était pas en cause même si les experts des deux parties ont fait divers commentaires à cet égard. Cela n’est pas pertinent pour la présente analyse. On peut toutefois supposer sans crainte de se tromper qu’il s’agissait d’un aspect important pour les inventeurs si cet essai clinique de phase II (voir le brevet 277 au para. 00101) devait être jugé suffisant pour leur permettre de poursuivre en fin de compte en se fondant sur une analyse des patients ayant obtenu une réponse semblable et d’obtenir l’approbation d’un médicament par la FDA (brevet 277 au para. 00131).

[111] Il n’est pas nécessaire d’insister sur le renvoi répétitif aux données statistiques dans cette section. Cela est tout à fait compréhensible, vu que les nombreux critères d’évaluation, et non seulement le principal, étaient des essais quantitatifs liés à divers symptômes ressentis par les patients atteints de la sclérose en plaques. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont l’expression « significative du point de vue clinique » a été utilisée dans l’exemple 5 du brevet 277.

[112] L’expression « significative du point de vue clinique » est présentée pour la première fois dans le brevet 277 au paragraphe 00106, où après s’être assurés que l’analyse a posteriori des patients ayant obtenu une réponse fondée sur une analyse sujet par sujet de la constance de la réponse quantitative (c.-à-d. statistique) sur au moins trois visites, les inventeurs précisent que [traduction] « pour valider le caractère significatif du point de vue clinique de la variable des patients ayant obtenu une réponse a posteriori, ces patients ayant obtenu une réponse (a posteriori) étaient comparés aux patients n’ayant pas obtenu de réponse (a posteriori) sur les variables subjectives ». Encore une fois, la variable des patients ayant obtenu une réponse a posteriori en cause ici est la cohérence de l’amélioration quantitative à la suite du traitement, par opposition aux résultats simplement quantitatifs. La même déclaration est répétée dans la première phrase du paragraphe 00123. Fait intéressant, les inventeurs précisent que la constance dans la vitesse de marche était [traduction] « significative du point de vue clinique pour les sujets de cette étude » et concluent par une dernière phrase quelque peu déroutante si l’intention objective est de faire du caractère significatif du point de vue clinique fondé sur des variables subjectives un élément essentiel des revendications : [traduction] « ainsi, les patients ayant obtenu une réponse ont vu des améliorations significatives du point de vue clinique de leurs symptômes de la sclérose en plaques et le traitement par la fampridine a considérablement augmenté les chances d’une telle réponse » [non souligné dans l’original].

[113] Avant de répéter la déclaration sur la validation du critère au paragraphe 00106, comme je l’ai souligné dans mes motifs précédemment au paragraphe 112, les inventeurs déclarent, au paragraphe 00120, [traduction] « une analyse ultérieure a révélé l’existence d’un sous-groupe de sujets qui ont répondu au médicament de façon significative du point de vue clinique. Ces sujets ont présenté une vitesse de marche pendant la prise de médicament qui était systématiquement meilleure que les vitesses de marche les plus rapides mesurées lorsque les sujets ne prenaient pas de médicament actif ». Ici, la dernière phrase semble lier le caractère significatif du point de vue clinique à la démonstration de vitesses de marche systématiquement meilleures qui ont été mesurées quantitativement.

[114] Au paragraphe 00125, les inventeurs précisent à nouveau qu’ayant démontré le caractère significatif du point de vue clinique d’une marche systématiquement améliorée en tant que critère de réactivité, la question de l’ampleur du bienfait devient intéressante. Ils l’ont calculée sur une base statistique et concluent qu’elle est hautement significative, étant donné qu’elle variait de 24,6 % à 29 %, contre 1,7 % à 3,7 % pour le groupe placebo (brevet 277 au para. 00126). Ils ont souligné ensuite que cette amélioration était stable et qu’elle était [traduction] « associée » à une amélioration sur deux des cinq essais subjectifs décrits au paragraphe 00101.

[115] Au paragraphe 00127, les inventeurs ont souligné également que leurs résultats supposent aussi que [TRADUCTION] « bien qu’une réponse significative du point de vue clinique puisse être liée à environ 37 % des sujets traités avec la fampridine à libération prolongée [les patients ayant obtenu une réponse a posteriori], d’autres sujets peuvent avoir des améliorations fonctionnelles pour des variables autres que la vitesse de marche » [non souligné dans l’original].

[116] Enfin, au paragraphe 00131, après avoir énoncé que leur analyse des patients ayant obtenu une réponse présente une approche significative et peut être utilisée comme critère d’évaluation principal dans de futurs essais, les inventeurs déclarent que leurs données supposent, « que pour les sujets ayant obtenu une réponse (environ 37 %), le traitement par la fampridine à des doses de 10 à 20 mg bid améliore de façon substantielle et persistante la marche ».

(3) Preuve d’expert

[117] Comme mentionné précédemment, les appelantes affirment que les experts ont convenu qu’une personne moyennement versée dans l’art comprendrait dans les expressions [traduction] « pour améliorer » ou [TRADUCTION] « pour augmenter »; l’expression [TRADUCTION] « d’une manière significative du point de vue clinique », et que ces expressions incluent nécessairement dans cet élément essentiel de la revendication une appréciation subjective par le sujet individuel. Cependant, il n’est pas contesté qu’une telle évaluation ne pourrait être faite qu’après que le sujet a reçu le traitement pendant au moins deux semaines au moyen de tests comme l’échelle de marche à 12 items mentionnée dans l’exemple 5 du brevet 277 (le dossier de preuve dont nous sommes saisies ne contient aucun échantillon de ces tests).

[118] Je souligne ici qu’il ne s’agit pas d’un cas où l’expression « significative du point de vue clinique » est utilisée dans l’une quelconque des revendications, auquel cas, la question serait de savoir comment une personne moyennement versée dans l’art interpréterait cette expression.

[119] À l’égard de l’expression « pour améliorer la marche », le Dr Ebers indique, au paragraphe 84 de son rapport, que compte tenu des variabilités, la personne moyennement versée dans l’art [traduction] « conformément à ses connaissances générales courantes et au renvoi répété à la signification statistique dans le brevet 277 comprendrait l’expression ‘améliorer la marche chez un sujet’ […] dans la revendication 15 pour faire référence à une augmentation statistiquement significative de la marche, plutôt qu’à une simple augmentation épisodique observée qui pourrait n’être liée à aucun ingrédient actif » (voir également le paragraphe 30 de son rapport en réponse au rapport de la Dre Oh). Cela est conforme à la conclusion de la Cour fédérale. Au paragraphe 441 de son rapport, le Dr Leist indique clairement que cette déclaration du Dr Ebers semble rejoindre sa compréhension que la revendication 15 se rapporte à une amélioration significative de la marche du point de vue clinique. Il affirme [traduction] « Je crois que nous disons la même chose avec des mots différents ».

[120] Au paragraphe 86 de son rapport, le Dr Leist ajoute [traduction] « qu’une personne versée dans l’art n’envisagerait la marche améliorée [...] que si l’amélioration quantitative est aussi significative du point de vue clinique. En d’autres termes, un essai T25FW [marche chronométrée sur une distance de 25 pieds] plus rapide (par exemple, 12 secondes contre 12,1 secondes) qui n’a aucun bienfait perçu par le patient ne serait pas compris par une personne versée dans l’art comme constituant une amélioration de la marche chez un patient atteint de la sclérose en plaques ayant une difficulté à marcher ».

[121] Malgré cela, au paragraphe 236 de son rapport, tout en examinant les éléments d’art antérieur, le Dr Leist affirme que l’auteur [traduction] « n’a pas signalé l’ampleur de l’amélioration, de sorte que la personne versée dans l’art pourrait essayer de deviner, si l’amélioration statistiquement significative signalée était significative du point de vue clinique » [non souligné dans l’original]. Cela signifie-t-il qu’en l’espèce l’expression « significative du point de vue clinique » renvoie uniquement à l’ampleur de l’amélioration ou cela signifie-t-il que la personne moyennement versée dans l’art n’a pas nécessairement besoin de l’évaluation subjective du patient d’une amélioration pour déterminer qu’elle est significative du point de vue clinique?

[122] Au cours de son contre-interrogatoire, le Dr Ebers a été interrogé sur un article qu’il a rédigé sur les lignes directrices pour les essais cliniques dans lequel il avait écrit que les résultats devaient être réalistes et importants sur le plan clinique. Il a utilisé l’exemple suivant pour illustrer ce qu’il voulait dire en renvoyant à de nombreux articles dans le contexte de la sclérose en plaques traitant d’une meilleure IRM, soulignant que les patients [traduction] « ne se soucient pas du tout de savoir si leur IRM est belle ». Il a alors simplement accepté la prétention de l’avocat selon laquelle un résultat doit être significatif du point de vue clinique (dossier d’appel, vol 32 à la p. 9289). Il convient de mentionner ici que la Cour fédérale a conclu qu’en ce qui concerne les connaissances générales courantes, la difficulté à marcher a des effets désastreux chez les patients atteints de sclérose en plaques et a des répercussions pratiques dans leur vie quotidienne.

[123] Les appelantes ont beaucoup insisté sur le paragraphe 91 du rapport du Dr Ebers (traitant des revendications 30 à 42), qui se trouve dans la section de son rapport à l’égard de laquelle elles n’ont soulevé aucune objection dans leur plaidoirie finale à la Cour fédérale, prenant ce qui semble être une décision stratégique pour préserver leur capacité à s’appuyer sur ce paragraphe. Le Dr Ebers déclare que [traduction] « toute augmentation de la vitesse de marche serait considérée comme une amélioration de la marche » et [traduction] « la personne versée dans l’art comprendrait également qu’une augmentation isolée de la vitesse de marche devrait être significative du point de vue clinique, avec un bienfait perçu, et ne pas être seulement une constatation statistique parmi les patients ayant obtenu une réponse ».

[124] Le Dr Leist a souligné dans son rapport qu’il devait y avoir une faute de frappe ou une erreur dans la première phrase de ce passage, car il ne pouvait pas comprendre comment une augmentation de la vitesse de marche pourrait constituer une amélioration. Toutefois, les appelantes n’ont pas tenté d’éclaircir ce passage; elles n’ont pas du tout évoqué le paragraphe 91 avec le Dr Ebers lors de leur contre-interrogatoire. J’estime que tout ce passage du paragraphe 91 est ambigu compte tenu des paragraphes 84 et 30 de ses rapports. Au paragraphe 84, le Dr Ebers déclare que la personne versée dans l’art [traduction] « comprendrait ‘l’amélioration de la marche d’un sujet […]’ dans la revendication 15 comme indiquant une augmentation statistiquement significative de la marche, plutôt qu’une simple augmentation épisodique observée qui pourrait ne pas être reliée à un ingrédient actif ». Utilise-t-il le mot isolé pour dire la même chose qu’épisodique? Si l’expression « significative du point de vue clinique » est, comme le soutient le DLeist, une expression technique généralement comprise qui comprend un élément subjectif, il ne serait pas nécessaire d’ajouter [traduction] « avec un bienfait perçu ». Cet extrait n’est pas aussi concluant que le prétendent les appelantes et l’appréciation de la preuve relève du juge des faits.

[125] Les juges des faits bénéficient de la présomption selon laquelle ils ont examiné l’ensemble du dossier dont ils sont saisis. Cette présomption est particulièrement difficile à renverser en l’espèce, lorsque les appelantes ont spécifiquement lu, lors de leurs conclusions finales, le paragraphe 91 du rapport du Dr Ebers, ainsi que les réponses mentionnées précédemment en contre-interrogatoire (comme cela a été discuté au paragraphe 121 des présents motifs, et voir le dossier d’appel, vol. 33 aux pp. 9806-9807). Elles ont fait valoir à la Cour fédérale le même argument qu’à notre Cour. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la Cour fédérale a tenu compte de cet élément de preuve, malgré le fait qu’elle n’y a pas expressément fait mention dans ses motifs. Cet élément de preuve est-il donc suffisant pour que la Cour conclue que le juge des faits a commis une erreur en n’adoptant pas cette interprétation proposée des revendications, c’est-à-dire qu’elle inclut nécessairement les bienfaits perçus tels qu’ils sont évalués par les patients?

[126] Comme je l’ai mentionné, je comprends du paragraphe 95 de la décision de la CF que la Cour fédérale a refusé d’interpréter les allégations comme signifiant qu’une amélioration doit être significative du point de vue clinique parce que, selon une interprétation téléologique, l’élément subjectif, qui a été inclus dans cette notion certainement par le Dr Leist, ne fait pas partie de l’invention revendiquée.

[127] La Cour fédérale n’était pas en désaccord avec le fait qu’en pratique clinique, l’utilisation continue du traitement à la fampridine pourrait bien dépendre en partie de la perception du patient de l’amélioration qui en résulte. La plupart des profanes de ma génération savent que souvent les premières questions de votre médecin après avoir commencé un nouveau traitement qui peut avoir des effets indésirables, et qui n’est pas toujours efficace à 100 %, sont du genre « Comment allez-vous? Cela vous aide-t-il? ».

[128] Ce que la Cour fédérale a déclaré, c’est qu’il n’était tout simplement pas approprié d’interpréter les revendications comme une évaluation subjective de l’efficacité du traitement. Je comprends que cela signifie que cela ne représenterait tout simplement pas fidèlement l’intention objective des inventeurs. Je suis d’accord avec la Cour fédérale pour plusieurs raisons.

[129] Premièrement, il ressort clairement d’une bonne lecture de la description que les inventeurs n’entendaient pas revendiquer un résultat précis autre que le fait que cette composition de fampridine à libération prolongée puisse être utilisée comme traitement; c’est-à-dire que l’administration de la posologie revendiquée telle qu’elle est énoncée dans les revendications peut avoir, chez certains patients qui en ont besoin, des répercussions qui sont attribuables à l’ingrédient actif.

[130] Les inventeurs n’ont fait aucune promesse que tout patient qui est sensible à l’ingrédient actif aura effectivement une amélioration qu’il perçoit subjectivement comme une amélioration bénéfique ou suffisante pour justifier la prise du médicament. J’utilise le mot « promesse » ici d’une manière générique, sans intention de faire référence à la doctrine de la promesse qui a été rejetée par la Cour suprême, mais qui semble avoir eu une certaine influence sur la compréhension des allégations du Dr Leist.

[131] Deuxièmement, les inventeurs connaissaient l’expression « significative du point de vue clinique » et ils l’ont utilisée lorsqu’ils voulaient valider le critère qu’ils ont utilisé dans leur analyse a posteriori des patients ayant obtenu une réponse et l’amélioration des patients réels ayant obtenu une réponse dans l’exemple 5. Ils ne l’ont jamais utilisée dans la « Description détaillée de l’invention ». Ils ont également indiqué clairement que l’invention ne se limitait à aucune méthodologie donnée dans les exemples (voir le para. 94 ci-dessus).

[132] D’après les éléments de preuve mentionnés ci-dessus, le sens de cette expression semble changer en fonction de son contexte et c’est le cas même pour les experts eux-mêmes. Le Dr Ebers a reconnu que les études cliniques devraient fournir des résultats importants ou significatifs du point de vue clinique, mais cela n’est pas pertinent pour savoir si l’on ne peut pas demander un brevet pour un traitement qui peut ne pas être largement utilisé parce que la personne moyennement versée dans l’art n’est pas convaincue de son importance ou de sa pertinence. Sous le régime du droit des brevets, le traitement doit seulement être utile.

[133] Je fais remarquer qu’aucune définition de dictionnaire technique ou de documentation n’a été fournie à la Cour fédérale pour confirmer qu’effectivement, l’expression « significative du point de vue clinique » inclut toujours une évaluation subjective par le patient. Dans l’exemple 5, l’essai clinique a utilisé comme l’un de ses tests de variables subjectives des impressions globales du clinicien, qui n’ont évalué que légèrement mieux les patients ayant obtenu une réponse que ceux qui n’ont pas obtenu de réponse pendant l’essai mené à double insu (brevet 277 au para. 00123). Y a-t-il plus d’un point de vue subjectif pertinent pour le caractère significatif du point de vue technique? Il est dangereux d’ajouter des mots dans une revendication lorsque leur sens lui-même est ambigu.

[134] Dans la définition des paramètres des connaissances générales courantes, la Cour fédérale a utilisé l’expression « significative du point de vue clinique », mais seulement dans le contexte de détermination de l’effet d’un traitement potentiel en tant que traitement, c’est-à-dire en tant que résultat d’un ingrédient actif par opposition à la variabilité inhérente connue des symptômes (voir le para. 68 ci-dessus). Je ne considère pas que cela entre en contradiction avec sa conclusion selon laquelle l’expression « significative du point de vue clinique » comme le déclare le Dr Leist ne doit pas être interprétée de manière à ce qu’elle fasse partie de la revendication. Il est clair que la Cour fédérale ne l’a pas utilisée ni comprise de manière à ce qu’elle fasse partie d’une composante subjective.

[135] Il se peut fort bien qu’il eût été judicieux d’utiliser l’expression « cliniquement signifiante », étant donné le débat sur le sens de l’expression « significative du point de vue clinique ». Pourtant, comme je l’ai mentionné, la Cour fédérale n’est pas tenue à une norme de perfection (Millennium Pharmaceuticals Inc. c. Teva Canada Limited, 2019 CAF 273 aux para. 8 à 12), et elle a clairement indiqué dans quel sens elle a utilisé cette expression. Les conclusions figurant aux paragraphes 15 et 16 de la décision de la CF n’ont nullement été contestées devant notre Cour.

[136] Si je reviens à l’intention objective des inventeurs, non seulement ils n’ont pas utilisé l’expression « significative du point de vue clinique » dans aucune revendication, mais ils n’ont pas non plus utilisé le mot « systématiquement » dans les revendications, même s’il s’agissait de leur principal critère dans l’analyse des patients ayant obtenu une réponse pour décrire l’amélioration quantitative mesurée chez les patients ayant obtenu une réponse dans l’exemple 5.

[137] À l’instar de beaucoup d’autres choix qu’ils ont faits, comme limiter les revendications au traitement de la sclérose en plaques uniquement, ou à la dose de 10 mg bid, ils ont choisi de revendiquer l’utilisation pour améliorer divers symptômes chez tous les sujets atteints de la sclérose en plaques qui en ont besoin.

[138] Ils auraient pu revendiquer une telle utilisation uniquement chez les patients ayant obtenu une réponse, c’est-à-dire les patients qui présentaient systématiquement une amélioration statistiquement significative qui était « associée » à un bénéfice perçu par les patients ayant obtenu une réponse dans leur essai clinique. Or, ils ne l’ont pas fait.

[139] Accepter l’interprétation que nous proposent les appelantes modifierait totalement le monopole revendiqué. Elle ne s’appliquerait qu’après qu’un sujet individuel a été cerné par l’utilisation réelle décrite dans les revendications en tant que patient ayant obtenu une réponse utilisant la méthode décrite dans l’exemple 5 ou un dérivé de celle-ci. Cette interprétation semble à nouveau avoir été influencée par l’interprétation tortueuse du Dr Leist visant à intégrer l’analyse a posteriori dans les revendications que la Cour fédérale a mentionnées plus d’une fois et a rejetées. J’abonde dans ce sens.

[140] La Cour fédérale a interprété les revendications en examinant le brevet dans son ensemble à la lumière des connaissances générales courantes (c.-à-d. en les interprétant sous l’angle d’une personne moyennement versée dans l’art). À mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en n’adoptant pas, comme on l’a soutenu, le rôle de la personne moyennement versée dans l’art.

[141] Selon mon interprétation des motifs de la Cour fédérale, elle n’a pas non plus commis d’erreur, comme le soutiennent les appelantes, en omettant d’inclure un pourcentage précis pour mesurer quel effet est supérieur à la variabilité inhérente des symptômes et à l’effet placebo. Comme l’a constaté la Cour fédérale, le seuil de 20 % de la vitesse de marche auquel ont eu recours les inventeurs dans l’exemple 5 n’est qu’une mesure couramment connue pour être utilisée dans certains essais cliniques. Il peut y en avoir d’autres et ces techniques de mesure peuvent évoluer.

[142] Je ne peux pas non plus conclure que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation des éléments de preuve mentionnés ci-dessus et qu’il n’était pas utile de tirer sa conclusion sur le sens des revendications. Rien ne justifie l’intervention de notre Cour.

D. L’évidence

[143] Conformément à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, l’objet d’une revendication ne doit pas être évident. C’est le seul véritable principe directeur. Tous les critères élaborés par la Cour, notamment la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, visent à aider la Cour à parvenir à une conclusion à cet égard. Ceux-ci doivent être appliqués avec souplesse et l’importance accordée à tout facteur dépend des faits particuliers d’une affaire. La détermination du caractère évident d’une invention pour une personne moyennement versée dans l’art repose sur une mise en balance de plusieurs facteurs. Cela signifie que les cours d’appel doivent porter une attention particulière à l’application de la norme de contrôle. C’est également la raison pour laquelle il faut être prudent avant de conclure à une erreur de droit isolable qui contournerait la norme rigoureuse applicable à de telles conclusions factuelles.

[144] La Cour fédérale a énoncé les principes et les facteurs qu’elle a pris en considération pour son analyse de chaque revendication. Ils ne sont pas en litige. Je trancherai donc la première question principale soulevée par les appelantes : la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur de droit isolable en n’adoptant pas effectivement le rôle de la personne moyennement versée dans l’art?

[145] Je comprends que les appelantes s’appuient principalement à cet égard sur le fait que la Cour fédérale, essentiellement, a écarté toutes les opinions de leurs experts et leur contre-interrogatoire du Dr Ebers. Il semble que ce soit leur propre évaluation de la manière dont la Cour a traité les éléments de preuve, car ce n’est pas ce que la Cour fédérale a déclaré dans sa décision. En tout état de cause, elles affirment qu’en conséquence, la Cour fédérale n’a pas tenu compte du scepticisme à l’égard d’autres traitements de la sclérose en plaques qu’elle a reconnus comme faisant partie des connaissances générales courantes (voir le para. 70 ci-dessus) pour évaluer l’état de la technique et ses répercussions sur la capacité de la personne moyennement versée dans l’art à « combler l’écart » entre l’idée originale et l’état de la technique.

[146] Cet argument est essentiellement factuel et invite notre Cour à apprécier à nouveau les éléments de preuve, ce qui n’est pas notre rôle. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur susceptible de révision dans son appréciation des éléments de preuve et qu’elle disposait d’éléments de preuve suffisants pour étayer sa conclusion sur l’évidence.

[147] Je souligne d’abord que la Cour fédérale a expressément reconnu qu’il fallait accorder peu de poids à [traduction] « une bonne part du témoignage d’expert sur l’évidence, surtout en ce qui concerne la manière dont la personne moyennement versée dans l’art interpréterait et comprendrait les éléments d’art antérieur, ce qui a rendu sa tâche difficile » (décision de la CF au para. 169). Cette déclaration indique que le juge des faits était réceptif et attentif à la difficulté soulevée par son appréciation de la preuve d’expert. Il est implicite qu’il était toujours convaincu qu’il lui restait suffisamment d’éléments de preuve pour s’acquitter de sa tâche conformément aux principes et facteurs applicables à l’analyse de l’évidence qu’il a énoncés dans ses motifs.

[148] La Cour fédérale a aussi expressément discuté de la question soulevée devant nous (décision de la CF aux para. 130 et 170). Elle était bien au fait de sa conclusion selon laquelle une personne moyennement versée dans l’art, en particulier si elle travaille dans le domaine depuis très longtemps, serait sceptique à l’égard de nouveaux traitements de rechange qui ne sont pas appuyés par des essais menés à double insu par placebo. Toutefois, elle n’a pas accepté que cela signifiait que la personne moyennement versée dans l’art ne comprendrait pas ce que les éléments d’art antérieur énonçaient clairement lorsqu’ils étaient interprétés avec un esprit désireux de comprendre, et n’aurait rien appris de ces éléments à moins d’être absolument convaincue de la validité des déclarations faites et d’avoir tous les détails de l’étude ou de l’essai rapportés dans les éléments d’art antérieur avant d’en être persuadée. Il était loisible à la Cour fédérale de tirer cette conclusion.

[149] Il convient également de mentionner que le scepticisme reconnu par la Cour fédérale en raison de ce qu’on appelle les « faux espoirs » a été alimenté, ainsi qu’il a été expliqué lors du contre-interrogatoire du Dr Ebers, par une monographie intitulée Therapeutic Claims in MS écrite il y a des années et traitant de l’histoire de la sclérose en plaques des années 1900 à 1990, période où l’effet placebo des traitements potentiels chez les patients atteints de la sclérose en plaques n’était pas dûment pris en compte. Le Dr Ebers a reconnu que cette question était en grande partie résolue par l’utilisation de groupes contrôlés par placebo dans les essais cliniques.

[150] La plupart des scientifiques sont prudents et, dans de nombreux domaines, ils se décriraient comme sceptiques, mais cela ne signifie pas que dans tous ces domaines, la norme d’évidence devient la certitude, et surtout pas dans un domaine pharmaceutique où le « critère allant de soi » a été sanctionné par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi. En fait, en l’espèce, si la personne moyennement versée dans l’art ne croyait rien de toute la documentation qu’elle lisait à moins que n’y figurent tous les détails décrits dans le témoignage du Dr Leist et l’avantage de grands essais (qui semblent avoir été relativement rares avec des patients atteints de la sclérose en plaques étant donné qu’il y avait peu de médicaments approuvés pour cette maladie), on se demande pourquoi quelqu’un s’est donné la peine de publier et de lire tous les éléments d’art antérieur mentionnés par les deux experts, et pourquoi jusqu’à 10 000 personnes se rassemblent lors de congrès où des résumés et des présentations comme ceux dont la Cour fédérale disposait sont rendus publics.

[151] Il y a une différence entre le type de scepticisme qui n’a pas été accepté par le juge des faits et le type de préjugés évoqués dans la jurisprudence invoquée par les appelantes. C’est une chose de dire que la personne moyennement versée dans l’art croyait généralement qu’un certain ingrédient ou essai était nécessaire alors qu’en fait ce n’était pas le cas. Par exemple, le témoignage du Dr Leist concernant la publication de Schwid et la prétendue croyance générale qui en découle qu’un taux sérique de 4-AP supérieur à 60 ng/mL était nécessaire pour l’efficacité, même s’il est fondé sur six patients sur neuf (ce qui n’est guère le type d’étude que le Dr Leist décrit comme persuasif lors de la discussion d’autres éléments d’art antérieur) et qualifié par le mot [traduction] « semble ». C’en est une autre de dire que personne ne croirait un résultat rapporté, aussi respecté et prudent que puisse être l’auteur, ou ne ferait quoi que ce soit avec l’information à moins d’être convaincu que ce qui est écrit est le [traduction] « dernier mot », une expression utilisée par le Dr Leist au cours de son contre-interrogatoire, ou que les éléments de preuve sont si convaincants que la conclusion est inévitable. La Cour fédérale a été confrontée aux deux types de questions et les a traitées très différemment, comme il lui était loisible de le faire (voir la décision de la CF aux para. 159 à 161 et 188 et 189 pour la référence à Schwid).

[152] La Cour fédérale a clairement indiqué qu’elle adoptait la perspective de la façon dont une personne motivée moyennement versée dans l’art comprendrait les éléments d’art antérieur avec un esprit disposé à comprendre comme il est énoncé dans l’arrêt Sanofi au paragraphe 25 (traitant de l’antériorité, mais cette approche s’applique également à l’analyse de l’évidence). Cette expression signifie que la personne mythique moyennement versée dans l’art vise à interpréter les éléments d’art antérieur afin de tenter de discerner l’intention de son auteur si l’on utilise le même sens de l’expression que celui qui a été énoncé dans l’arrêt Whirlpool lorsqu’il s’agit d’interprétation téléologique.

[153] Au paragraphe 171 de la décision de la CF, le juge des faits a résumé ses conclusions sur l’état de la technique à la date pertinente. La première phrase de ce paragraphe indique clairement que la Cour fédérale s’est concentrée sur les renseignements pertinents qu’une personne moyennement versée dans l’art ayant un esprit désireux de comprendre apprendrait des éléments d’art antérieur. La Cour fédérale a expliqué dans d’autres parties de ses motifs pourquoi d’autres renseignements figurant également dans les éléments d’art antérieur n’étaient plus pertinents. Elle a également expliqué pourquoi, par exemple, l’échec de l’essai d’Elan qui date de dix ans dans les références de Schwid n’était pas un enseignement qui s’écarte de l’invention revendiquée, comme le prétendaient les appelantes (décision de la CF au para. 188).

[154] Je suis consciente que les appelantes contestent également la conclusion selon laquelle une personne moyennement versée dans l’art serait motivée en raison de son « scepticisme ». Toutefois, je conclus qu’il n’y a pas non plus d’erreur susceptible de révision à cet égard parce qu’il était loisible au juge des faits de conclure à l’existence d’une telle motivation. Outre ce qui est expressément mentionné dans les motifs de la Cour fédérale, d’autres éléments de preuve au dossier étayaient cette conclusion.

[155] En l’espèce, les motifs de la Cour fédérale ne sont pas aussi exhaustifs qu’on aurait pu l’espérer, mais à mon avis, la Cour fédérale n’était pas tenue de traiter de chacun des éléments d’art antérieur discutés par les experts. La Cour fédérale s’est suffisamment penchée sur toutes les questions importantes qui ont été soulevées et débattues devant elle par les appelantes. La Cour fédérale a tiré des conclusions distinctes à l’égard de chacune d’elles. Devant notre Cour, la plupart de ces questions ont de nouveau été débattues en fonction des éléments de preuve que le juge des faits est présumé avoir pris en considération.

[156] Il est également important de mentionner que lorsqu’on examine attentivement la preuve en interrogatoire principal du Dr Leist, il devient évident que les réserves exprimées par le juge des faits au sujet de son inclusion persistante de l’analyse détaillée des patients ayant obtenu une réponse dans son raisonnement sur l’évidence (décision de la CF au para. 195) et les renvois constants à l’expression significative du point de vue clinique (qui comprend selon lui une composante subjective) dans cette section de son rapport (comme aux paragraphes 356, 357, 360, 374, 375, 386, 397, 399 de son rapport) ont eu une incidence importante sur le poids accordé à son témoignage sur l’évidence dans son ensemble. Je ne constate aucune erreur susceptible de révision à cet égard.

[157] En outre, il n’est pas contesté que les deux parties et leurs experts ont convenu que, comme l’a constaté le juge des faits, la personne moyennement versée dans l’art consulterait surtout des publications plus récentes pour comprendre l’état de la technique plutôt que des études antérieures qui pourraient être remplacées par d’autres (décision de la CF aux para. 155 et 186). Cela explique pourquoi la Cour fédérale a accordé davantage de poids aux éléments d’art antérieur les plus récents concernant la détermination d’une dose thérapeutique efficace pour la fampridine à libération prolongée, qui est un ingrédient actif dont le mécanisme d’action était considéré comme utile chez certains patients (pas tous) présentant certains symptômes associés à la démyélinisation des fibres nerveuses. En conséquence, elle s’est concentrée sur les références relatives aux éléments d’art antérieur comme l’article de Hayes publié en 2003 dans la revue Clinical Neuropharmacology, vol. 26, No 4 aux pp. 185 à 192 (dossier d’appel, vol. 12 à la p. 3412) (traitant de la fampridine à libération prolongée par opposition à une autre étude de Hayes de 2003 sur la fampridine composée ou à libération immédiate sur laquelle les appelantes se sont concentrées) et les documents de référence de Goodman.

[158] Je conclus que la Cour fédérale disposait également d’éléments de preuve indiquant comment une personne moyennement versée dans l’art comprendrait les expressions utilisées par ces auteurs et quelles parties de ces documents elle considérerait utiles pour discerner l’intention de ses auteurs.

[159] Lorsqu’on tient compte du texte, notamment du dossier de la preuve, je comprends que la Cour fédérale a été prudente dans le choix de renseignements qu’elle a recueillis dans les documents de Goodman. Cela incluait manifestement les renseignements obtenus lors du contre-interrogatoire du Dr Ebers. Elle a correctement compris, comme l’on convenu les deux experts, que les documents de référence de Goodman ne déclaraient que certains des résultats de l’essai MS-F201 mené à double insu et contrôlé par placebo auprès de 36 sujets, qui a été réalisé par une équipe dirigée par le Dr Goodman dont faisait partie le Dr Cohen. Elle a considéré que ce rapport ne comportait pas de résultats détaillés sur l’efficacité de la dose fixe de 10 mg bid ou de toute autre posologie réellement administrée (un large intervalle a été mis à l’essai allant de 10 mg à 80 mg par jour); il incluait plutôt les résultats des données groupées obtenues avec des doses dans l’intervalle de 10 mg bid à 25 mg bid (semblable à ce qui a été fait pendant l’essai MS-F202 décrit dans l’exemple 5 pour l’intervalle de 10 mg bid à 20 mg bid) (voir le para. 105 ci-dessus). Elle a correctement souligné que la dose de 10 mg bid de fampridine à libération prolongée n’a pas été administrée pendant une période d’au moins deux semaines. Elle a examiné les données sur l’innocuité figurant dans le rapport, ce qui était l’objectif principal de cet essai, et a clairement indiqué que les doses de fampridine à libération prolongée jusqu’à 20 mg bid présentaient le meilleur profil d’innocuité, car une dose de 50 mg par jour (25 mg bid) ou plus avait causé des effets indésirables plus graves, notamment deux poussées à 60 mg et 70 mg par jour (30 mg à 35 mg bid).

[160] Les experts n’ont pas contesté et il ne fait aucun doute que les effets indésirables et le profil d’innocuité sont essentiels pour déterminer quelle dose on pourrait encore considérer comme appropriée pour le traitement des patients atteints de la sclérose en plaques. Considérant que la personne moyennement versée dans l’art, en se basant sur ses connaissances générales courantes, irait « petit à petit », il était loisible à la Cour fédérale, en se fondant sur le profil d’innocuité divulgué dans les documents de Goodman (confirmé par Hayes 2003, comme nous le verrons plus loin) de conclure que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait en se fondant sur des éléments d’art les plus récents que toute étude future devrait mettre l’accent sur des doses inférieures à 50 mg par jour.

[161] À l’égard de l’efficacité, qui était l’objectif secondaire de l’essai MS-F201, les auteurs ont rapporté que « le groupe ayant reçu la fampridine à libération prolongée a montré une amélioration statistiquement significative par rapport aux valeurs de départ par rapport au placebo dans les mesures fonctionnelles de la mobilité (vitesse de marche chronométrée de 25; p = 0,04) et la force des membres inférieurs (bilan musculaire manuel; p = 0,01), et que les courbes de dose montraient un bienfait croissant dans les deux mesures dans l’intervalle de 20 mg à 50 mg par jour; aucune autre mesure n’a montré une amélioration significative de l’effet du traitement » (dossier d’appel, vol. 25, à la p. 7828). L’affiche présentée par le Dr Goodman à la conférence de Baltimore indiquait que l’amélioration moyenne observée au cours de la période avec faible dose (10 à 25 mg bid) incluait une augmentation supérieure à 20 % chez 9 des 25 sujets (c’est-à-dire par coïncidence pour 36 % de ces sujets).

[162] Dans son contre-interrogatoire, le Dr Leist a reconnu que cela a fourni des renseignements utiles, mais a insisté sur le fait que ce n’était pas [traduction] « le dernier mot » ni que cela était concluant à son avis, car les données complètes n’avaient pas été divulguées dans les résumés et l’affiche de Goodman à la Cour fédérale. Certes, la nature même de ces publications ne pouvait révéler ce que l’on ne trouverait que dans un rapport complet d’étude clinique. Toutefois, comme la Cour fédérale, j’ai été décontenancée par toutes les lacunes possibles (parfois de simples hypothèses théoriques sur ce qui aurait pu être mal fait pendant l’essai) qui pourraient avoir une incidence sur la force de persuasion de la conclusion présentée par les auteurs selon le Dr Leist. Il était manifestement loisible au juge des faits de conclure que le Dr Leist recherchait des lacunes.

[163] C’est dans ce contexte que la Cour fédérale a déclaré qu’elle souscrivait aux conclusions exprimées par le Dr Goodman dans ses résumés et son affiche comme représentant ce qu’une personne moyennement versée dans l’art désireuse de comprendre apprendrait de cette étude (décision de la CF au para. 170). Le Dr Leist ne souscrivait pas aux conclusions exprimées dans les références de Goodman déclarant qu’il ne s’agissait que des conclusions des auteurs (dossier d’appel, vol. 33, à la p. 9693). Il était donc pertinent que le juge des faits considère que l’auteur principal des références, le Dr Goodman, était un clinicien respecté qui avait travaillé pendant de nombreuses années dans ce domaine et avait des années d’expérience dans les essais cliniques portant sur la sclérose en plaques. En fait, le Dr Goodman faisait partie de l’équipe versée dans l’art ayant participé à l’essai Schwid (un collègue, à l’époque, du département de neurologie du centre médical de l’Université de Rochester) en 1997 et devait savoir ce que l’on pourrait vraiment apprendre de cette étude. Rien n’empêchait la Cour fédérale de tirer cette conclusion simplement parce que le Dr Goodman n’était pas un témoin, comme l’ont soutenu les appelantes devant notre Cour.

[164] En avril 2004, la personne moyennement versée dans l’art aurait également eu les données sur l’innocuité et la tolérabilité des doses rapportées par le Dr Hayes. Je souligne que cet élément d’art antérieur est l’un des rares mentionnés dans la section Contexte du brevet 277 confirmant sa pertinence (brevet 277 au para. 0009). Comme l’a constaté la Cour fédérale, cela serait considéré, avec les références de Goodman, comme étant les connaissances les plus récentes disponibles à l’égard de la fampridine à libération prolongée. Le Dr Leist a reconnu qu’à cette date, sur la base de la référence Hayes, la personne moyennement versée dans l’art aurait su que la composition de fampridine à libération prolongée de 17,5 bid utilisée par Schwid aurait une concentration d’environ 35 nanogrammes par ml (dossier d’appel, vol. 33, à la p. 9678). À ce moment-là, Acorda avait également rendu public le fait qu’elle avait déjà commencé un essai plus vaste, MS-F202, utilisant les trois doses que le Dr Goodman avait déterminées comme les plus sûres : 10, 15 et 20 mg bid. La personne moyennement versée dans l’art aurait su qu’Acorda, qui avait parrainé les deux essais, avait tous les détails sur l’étude MSF-201 avant de faire ce choix. Selon ces faits et compte tenu du fait que la Cour fédérale a examiné la motivation ainsi que la conduite des inventeurs, il était loisible au juge des faits d’arriver à la conclusion qu’il a tirée.

[165] J’ajouterai quelques commentaires sur la démarche des inventeurs à laquelle, selon les appelantes, le juge des faits n’a pas accordé suffisamment de poids. Comme je l’ai mentionné précédemment, le poids attribué à ce facteur (comme à tout autre) peut varier selon les circonstances. À cet égard, il est évident que les appelantes devaient établir l’existence d’une erreur manifeste et dominante, car cela est au cœur même de la mise en balance des facteurs effectuée par les Cours pour déterminer l’évidence à laquelle j’ai fait mention au paragraphe 143 ci-dessus. Or, elles ne l’ont pas fait.

[166] La Cour fédérale a pris en compte cette démarche pour évaluer le niveau d’efforts qu’une personne moyennement versée dans l’art devrait déployer et le niveau des difficultés qu’elle rencontrerait à cet égard et a tiré quelques conclusions très pertinentes. Premièrement, elle a convenu que l’analyse a posteriori, c’est-à-dire l’examen des données obtenues au cours d’un essai pour déterminer pourquoi un résultat attendu n’a pas été atteint, est couramment effectuée à la suite d’un essai clinique. Le Dr Ebers l’a affirmé très clairement lors de son contre-interrogatoire (dossier d’appel, vol. 32, à la p. 9256). Il convient de rappeler que contrairement à l’attente de l’équipe qui a conçu cet essai, aucune des trois doses ne semblait fonctionner comme traitement (c.-à-d. excédant des variations connues, dont l’effet placebo non attribuable à un ingrédient actif). Pourquoi? Il est logique, si l’on doit consacrer du temps et de l’argent à un essai, que l’on essaie de comprendre ce qu’il pourrait nous enseigner. Franchement, il est difficile de comprendre comment quelqu’un a pu avancer le point de vue contraire. Je ne comprends certainement pas non plus pourquoi le Dr Leist limite expressément son commentaire à un [traduction] « enquêteur moyen » au paragraphe 415 de son rapport, alors que partout ailleurs, il fait référence à la personne versée dans l’art, et nuance à nouveau ce commentaire en renvoyant à [traduction] « d’autres analyses uniques ».

[167] Deuxièmement, la Cour fédérale a essentiellement conclu qu’en examinant des données sujet par sujet, ou des réponses obtenues au cours de l’essai (semblable à l’essai n = 1 mentionné par le Dr Ebers au paragraphe 35 de son rapport) ou qui seraient obtenues d’un essai de plus petite envergure, la personne moyennement versée dans l’art pourrait facilement repérer un sous-groupe de patients qui ont répondu à l’ingrédient actif par opposition aux variabilités connues mentionnées plus tôt dans mon analyse.

[168] Je souligne à cet égard que le Dr Cohen a expliqué dans son témoignage, que lorsqu’il examinait les données obtenues sujet par sujet (il demandait cette information qui était disponible et facilement compilable par le statisticien), il ne lui fallait que quelques heures pour repérer un tel groupe. Il a également déclaré avoir fait appel à son [traduction] « esprit clinique » pour effectuer une [traduction] « analyse clinique » afin de repérer le sous-groupe de patients pour lesquels les trois doses étaient effectivement efficaces (dossier d’appel, vol. 28 aux pp. 9068 à 9069). Cela est conforme aux conclusions de la Cour fédérale et les confirme en fait. Selon les connaissances générales courantes, en raison de son mécanisme d’action, l’ingrédient actif ne serait efficace comme traitement que chez une partie des patients atteints de la sclérose en plaques qui en ont besoin. Après avoir repéré ce sous-groupe, il n’était pas nécessaire de prendre les mesures supplémentaires destinées à convaincre la FDA.

[169] Il n’est pas nécessaire de discuter des brèves observations fournies par les appelantes après l’audience relativement à la jurisprudence concernant les essais cliniques et leur importance dans l’analyse de l’« essai allant de soi ». Après les avoir examinés, je ne peux discerner aucun principe particulier ou général applicable autre que ceux déjà énoncés dans l’arrêt Sanofi auxquels la Cour fédérale a fait mention. Une question de fait demeure toujours si les efforts requis étaient excessifs dans ce domaine où les essais cliniques sont habituellement nécessaires. Je ne suis pas convaincue que la Cour fédérale ait commis une erreur manifeste et dominante en n’accordant pas plus de poids à la preuve invoquée par les appelantes quant à l’envergure de l’étude MSF-202. Il convient de rappeler qu’en l’espèce, la personne mythique moyennement versée dans l’art a été définie par la Cour fédérale comme ayant de l’expérience dans la conception et l’analyse d’essais sur la sclérose en plaques (décision de la CF au para. 80).

[170] J’ai examiné très attentivement le dossier de preuve, car les deux parties nous ont confirmé à l’audience que cette décision n’était pas urgente. Je ne peux que conclure que la Cour fédérale était en droit d’estimer qu’elle était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les revendications invoquées étaient invalides pour cause d’évidence. Même si, à l’égard de certaines conclusions pertinentes, les éléments de preuve étaient peu étoffés, il ne nous appartient pas de substituer aux conclusions du juge des faits notre propre appréciation des éléments de preuve en appel.

[171] Bref, je ne suis pas convaincue que la Cour ait commis des erreurs susceptibles de révision qui justifieraient l’intervention de notre Cour.

E. Dernières remarques

[172] Comme je l’ai mentionné, il n’est pas nécessaire de discuter des conclusions de la Cour fédérale à l’égard de l’antériorité, et la présente affaire ne convient pas à l’examen des remarques incidentes sur la question de savoir comment l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 (Hospira) et la conclusion de la Cour fédérale sur l’anticipation pourraient avoir une incidence sur les inventions nécessitant des investissements dans de vastes essais cliniques, comme je l’ai brièvement expliqué.

[173] Cela dit, il est important de rappeler que rien dans les présents motifs ni dans ma conclusion selon laquelle l’appel devrait être rejeté ne doit être interprété comme entérinant la conclusion de la Cour fédérale sur l’antériorité. De plus, ni notre Cour dans l’arrêt Hospira ni la Cour fédérale n’avaient l’intention de modifier le critère bien établi énoncé dans l’arrêt Sanofi (décision de la CF aux para. 114 et 115).

V. Conclusion

[174] Compte tenu de ce qui précède, je rejetterais l’appel et l’appel incident, avec dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-145-20 et A-146-20

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MANSON DATÉE DU 15 MAI 2020, DOSSIERS NOS T-l163- l8 et T-220-19

DOSSIER :

A-145-20

 

 

INTITULÉ :

BIOGEN CANADA INC., BIOGEN INTERNATIONAL GMBH et ACORDA THERAPEUTICS INC. c. PHARMASCIENCE INC.

 

 

ET DOSSIER :

A-146-20

 

 

INTITULÉ :

BIOGEN CANADA INC., BIOGEN INTERNATIONAL GMBH et ACORDA THERAPEUTICS INC. c. TARO PHARMACEUTICALS INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 février 2022

 

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 août 2022

 

COMPARUTIONS :

John Norman

Alex Gloor

Adam Heckman

Rebecca Johnston

 

Pour les appelantes

Marcus Klee

Aleem Abdulla

 

Pour l’intimée

PHARMASCIENCE INC.

 

Jonathan Stainsby

Scott Beeser

Pour l’intimée

TARO PHARMACEUTICALS INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

Pour les intimées

 

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