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Date : 20220819


Dossier : A-310-19

Référence : 2022 CAF 147

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

ENTRE :

 

RANDALL BARRS

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national à titre de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 avril 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 août 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220819


Dossier : A-310-19

Référence : 2022 CAF 147

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

ENTRE :

 

RANDALL BARRS

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national à titre de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] Il y a plus de trente-cinq ans, l’appelant, Randall Barrs, et plusieurs autres contribuables ont investi dans un stratagème fiscal qui s’est avéré frauduleux. Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé les pertes déclarées et les déductions demandées par l’appelant et les autres contribuables en rapport avec le stratagème. Plusieurs des investisseurs, dont M. Barrs, ont contesté les nouvelles cotisations établies par le ministre pour les années d’imposition au cours desquelles ils ont déclaré des pertes et demandé des déductions liées à ce stratagème fiscal, mais ils n’ont pas eu gain de cause (Garber c. La Reine, 2014 CCI 1, [2014] 4 C.T.C. 2077).

[2] Pendant que l’affaire suivait son cours à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) et devant les tribunaux, les intérêts ont continué de s’accumuler sur les dettes fiscales impayées des contribuables. M. Barrs et plusieurs autres contribuables ont fait, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), une demande d’allègement de l’obligation de payer les intérêts courus. Le ministre a partiellement accédé à leurs demandes d’allègement dans une série de décisions. La dernière d’entre elles a été rendue par un délégué du ministre le 23 avril 2018 (la décision relative à l’examen indépendant de troisième niveau).

[3] L’appelant et plusieurs autres contribuables ont présenté des demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale afin d’annuler la décision relative à l’examen indépendant de troisième niveau. Dans le jugement en appel, publié sous l’intitulé Brandimarte c. Canada, 2019 CF 1034 (le juge Boswell) [Brandimarte], la Cour fédérale a rejeté leurs demandes de contrôle judiciaire.

[4] M. Barrs interjette maintenant appel, devant notre Cour, du jugement de la Cour fédérale dans son dossier. Plusieurs autres contribuables dont les demandes ont également été rejetées par la Cour fédérale dans la décision Brandimarte ont également interjeté appel devant notre Cour. Dans l’arrêt Belchetz c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 225 [Belchetz], notre Cour a rejeté leurs appels.

[5] Comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, la situation de M. Barrs diffère sur un point important de celle des contribuables dont les appels ont été rejetés dans l’arrêt Belchetz. L’arrêt Belchetz ne nous lie pas en ce qui concerne la question qui se pose uniquement dans le contexte de l’appel de M. Barrs, car cette question n’a pas été examinée dans l’arrêt Belchetz.

[6] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais le présent appel, sans dépens, aux conditions énoncées ci-après.

I. Contexte

[7] Afin de placer en contexte les questions qui sont soulevées dans le présent appel, il est nécessaire d’examiner brièvement les faits.

[8] À partir de 1984, plusieurs contribuables (dont M. Barrs) ont investi dans des sociétés en commandite promues et commercialisées par la société Overseas Credit and Guaranty Corporation (OCGC) comme un moyen d’investir dans une entreprise d’affrètement de yachts de luxe. La société OCGC a promu l’investissement comme étant un placement qui permettrait aux investisseurs de réaliser des économies d’impôt par le transfert de pertes imputables à l’exercice, des coûts d’amortissement, des frais d’intérêt et des honoraires versés.

[9] En 1986, l’ARC a entrepris une vérification de la société OCGC et d’un grand nombre de contribuables qui avaient acheté l’une de ces sociétés en commandite.

[10] À partir de 1987, l’ARC a envoyé des lettres aux contribuables investisseurs, dont M. Barrs, les informant que leurs déclarations de revenu étaient mises en suspens jusqu’à la fin de la vérification de l’ARC. Dans ces lettres, l’ARC offrait aux contribuables la possibilité de faire établir une cotisation à l’égard de leurs déclarations sans inclure les pertes. M. Barrs, ainsi que plusieurs autres contribuables, dont les appelants dans l’arrêt Belchetz, ont refusé de répondre à cette invitation.

[11] En 1994, l’ARC a accepté de régler les dossiers des contribuables, y compris celui de M. Barrs, puis a rapidement répudié l’entente. La répudiation reposait principalement sur la conviction de la Couronne que le règlement pourrait nuire à l’affaire criminelle intentée contre les dirigeants d’OCGC. Plusieurs années plus tard, les contribuables ont demandé un allègement devant la Cour de l’impôt au motif que la répudiation constituait un abus de procédure. La demande a été rejetée au motif qu’il n’y avait pas de fondement juridique pour accorder l’allègement demandé (Garber c. La Reine, 2005 CCI 635, conf. par 2006 CAF 177, 60 D.T.C. 6358).

[12] En 2004, un groupe de contribuables touchés, dont M. Barrs ne faisait pas partie, mais qui comprenait les appelants dans l’arrêt Belchetz, a demandé, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR, à être libéré de l’obligation de payer les intérêts courus, alors que leurs affaires étaient toujours en cours. Le paragraphe 220(3.1) de la LIR, tel qu’il était libellé au moment où ils ont présenté leur demande, n’imposait aucune limite à la période pour laquelle le ministre pouvait accorder un allègement.

[13] En 2005, le paragraphe 220(3.1) de la LIR a été modifié pour limiter à dix ans la période pendant laquelle le ministre peut accorder un allègement. Voici ce que prévoyait le paragraphe 220(3.1) de la LIR à l’époque pertinente au présent appel (ces dispositions sont toujours en vigueur actuellement) :

220 (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220 (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

[14] M. Barrs a présenté sa demande d’allègement en 2014, après le rejet de l’appel devant la Cour de l’impôt.

[15] En juin 2015, l’agent d’examen de premier niveau, qui a examiné les demandes d’allègement au nom du ministre, a accordé à ceux qui avaient fait leur demande d’allègement en 2004 un allègement pour les intérêts qui s’étaient accumulés sur 168 mois ou environ 14 ans, remontant au moins, dans certains cas, à l’année d’imposition 1985. Ceux qui, comme M. Barrs, ont présenté des demandes après la modification du paragraphe 220(3.1) de la LIR, ont obtenu un allègement pour les intérêts qui s’étaient accumulés pendant 51 mois, remontant à dix ans avant la date à laquelle ils ont présenté leur demande. Dans la période postérieure à 2004, les deux groupes de contribuables ont bénéficié d’un allègement pour les mêmes mois. L’agent d’examen de premier niveau a déterminé qu’un allègement partiel pour la période de dix ans précédant 2014 était justifié en raison des retards dans le traitement des demandes d’allègement des contribuables qui, selon l’agent, étaient attribuables à la Couronne au cours de cette période.

[16] Les contribuables ont demandé un deuxième examen et, en 2017, un agent d’examen de deuxième niveau a accordé à tous les contribuables un allègement supplémentaire de 12 mois en raison des retards survenus au cours de la procédure d’appel.

[17] Ces deux révisions ont fait en sorte que des allègements partiels beaucoup plus importants ont été accordés à ceux qui ont demandé un allègement en 2004. Pour ceux qui, comme M. Barrs, n’ont fait leur demande qu’en 2014, l’allègement n’a été accordé que pour 63 mois, soit un peu plus de la moitié de la période de dix ans précédant leur demande d’allègement.

[18] Des demandes de contrôle judiciaire ont été déposées à l’égard des décisions de deuxième niveau, mais elles ont été abandonnées après que les parties ont signé un règlement amiable. Le règlement amiable prévoyait, entre autres, que les demandes d’allègement soient renvoyées pour réexamen à un bureau de l’ARC autre que celui de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard (où l’examen initial a été effectué) et à un agent qui n’était pas intervenu auparavant dans le dossier. Le règlement amiable prévoyait en outre que l’agent d’examen indépendant de troisième niveau considérerait la demande comme une demande de groupe et rendrait une décision unique pour le groupe. En ce qui concerne la portée de l’examen, les paragraphes 4 à 6 du règlement amiable prévoyaient ce qui suit :

[traduction]
4. les demandeurs conviennent que l’examen indépendant sera limité à l’examen de la question du retard pendant la vérification des sociétés en commandite d’OCGC et de leurs investisseurs, pendant l’étape des appels/oppositions et pendant le contentieux devant la Cour canadienne de l’impôt et, sous réserve du paragraphe 5 ci-dessous, de toutes les questions soulevées par les demandeurs dans leur demande d’examen administratif de deuxième niveau de leur demande d’allègement pour les contribuables;

5. les demandeurs conviennent qu’en procédant à l’examen indépendant, l’Agence ne sera pas tenue de prendre en considération les facteurs et circonstances individuels énoncés au paragraphe 33 de la Circulaire d’information IC07-l [R1] et ne soulèveront pas comme motif d’allègement le fait que l’Agence ne l’a pas fait si les demandeurs demandent un contrôle judiciaire de la décision rendue par l’Agence à la suite de l’examen indépendant;

6. malgré les dispositions des paragraphes 4 et 5 ci-dessus, l’Agence, en réalisant l’examen indépendant, prendra en considération tous les faits, documents, circonstances et arguments juridiques pertinents que les demandeurs, en tant que groupe, ont présentés à l’Agence.

[19] La Circulaire d’information IC07-1R1, mentionnée au paragraphe 5 du règlement amiable, était la circulaire de l’ARC alors en vigueur qui énonçait les lignes directrices concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel en vertu de plusieurs dispositions de la LIR, notamment le paragraphe 220(3.1). Le paragraphe 33 de la Circulaire d’information IC07-1R1 prévoyait ce qui suit :

33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, une incapacité de payer ou des difficultés financières ont empêché un contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants serviront à déterminer si un fonctionnaire délégué du ministre du Revenu national annulera les pénalités et les intérêts ou y renoncera. On évaluera si le contribuable a :

a) respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b) en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) fait des efforts raisonnables et géré de façon responsable ses affaires selon le régime d’autocotisation;

d) agi rapidement pour remédier à tout retard ou à toute omission.

II. Question en litige différente dans le dossier de M. Barrs

[20] Je me penche maintenant, plus précisément, sur les faits qui distinguent la situation de M. Barrs de celle des appelants dans l’arrêt Belchetz.

[21] La seule question qui se pose dans le cas de M. Barrs et qui ne s’est pas posée dans les dossiers des autres contribuables dont la Cour a été saisie dans l’arrêt Belchetz concerne une demande de traitement équitable de la part du groupe de contribuables qui ont bénéficié d’un allègement plus important parce qu’ils avaient demandé un allègement en 2004, avant que la prescription décennale n’entre en vigueur. Au moment où l’appel dans l’arrêt Belchetz a été entendu par notre Cour, tous les contribuables qui ont fait leurs demandes d’allègement en 2014, à l’exception de M. Barrs, avaient réglé leurs dossiers. Ainsi, M. Barrs était et demeure le seul contribuable qui a interjeté appel devant notre Cour et auquel s’applique le délai de prescription de dix ans prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR.

[22] En ce qui concerne la demande d’allègement équitable formulée au nom de M. Barrs et des contribuables qui avaient présenté leur demande d’allègement en 2014, l’avocat a indiqué à l’agent d’examen de premier niveau qu’un allègement supplémentaire devrait être accordé pour la période à l’égard de laquelle il serait loisible au ministre d’agir (c.-à-d., pour la période de dix ans pendant laquelle l’allègement est permis en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR) afin d’assurer l’équité avec les contribuables qui avaient présenté leur demande en 2004. Voici ce qu’indiquaient les paragraphes 62 et 63 des observations des contribuables :

[traduction]
62. L’essence du paragraphe 220(3.1) de la LIR est d’accorder un allègement aux contribuables, non pas en fonction d’un principe de droit fiscal, mais plutôt en fonction de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans toutes les circonstances pertinentes. Dans les présentes observations, nous avons exposé les raisons pour lesquelles l’application stricte des intérêts courus et composés quotidiennement serait injuste.

63. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, rien n’empêche le ministre d’accorder un allègement aux investisseurs qui n’ont pas déposé de demandes bénéficiant de droits acquis au cours des dix années précédant cette demande. Par souci de justice et pour que tous les contribuables soient traités de la même manière, il est proposé qu’une fois les périodes d’exemption d’intérêts calculées pour les investisseurs bénéficiant de droits acquis, un montant égal soit crédité aux contribuables ne bénéficiant pas de droits acquis au cours des années où l’allègement peut être accordé. Cela permettra au ministre de se conformer au principe de l’équité requis par le paragraphe 220(3.1) de la LIR, tant dans sa lettre que dans son esprit.

[23] L’agent d’examen de premier niveau a rejeté cette demande.

[24] Cette demande n’a pas été traitée en particulier par l’agent d’examen de deuxième niveau, qui a conclu qu’aucun allègement supplémentaire n’était justifié pour ce groupe et que le paragraphe 220(3.1) de la LIR interdisait l’allègement pour les intérêts courus pour des années d’imposition autres que les dix années précédant la demande d’allègement.

[25] L’agent d’examen indépendant de troisième niveau avait devant lui la demande de traitement équitable déposée au premier niveau pour ceux qui ont fait leur demande d’allègement en 2014. En vertu des paragraphes 4 à 6 du règlement amiable, l’agent d’examen indépendant de troisième niveau était tenu d’examiner la demande d’allègement supplémentaire pour la période à l’égard de laquelle il serait loisible au ministre d’agir au nom de M. Barrs et des autres contribuables qui ont présenté leurs demandes d’allègement en 2014.

[26] L’agent d’examen indépendant de troisième niveau a refusé d’accorder un allègement supplémentaire aux contribuables. Pour ceux qui, comme M. Barrs, avaient fait leur demande d’allègement en 2014, l’agent d’examen indépendant de troisième niveau a déclaré ce qui suit dans la lettre de décision qui leur a été adressée :

[traduction]
Nous pouvons envisager un allègement des intérêts pour n’importe quelle année d’imposition. Toutefois, les intérêts doivent avoir été accumulés au cours des dix années civiles précédant la demande initiale. Par conséquent, la présente décision concerne les intérêts qui se sont accumulés depuis le 1er janvier 2004.

[27] Dans le reste de la décision, l’agent a expliqué pourquoi un allègement supplémentaire n’était pas justifié pour l’un ou l’autre groupe de contribuables, selon des considérations qui s’appliquaient de la même manière aux deux groupes.

[28] Dans un document plus détaillé intitulé « Third Independent Review: Overseas Credit and Guaranty Corporation (OCGC) Taxpayer Relief Report » (Troisième examen indépendant : Rapport d’allègement pour les contribuables relatif à la société Overseas Credit and Guaranty Corporation (OCGC)), le responsable de l’examen indépendant de troisième niveau a expliqué plus clairement ses conclusions. Une copie de ce rapport a été fournie à l’avocat de M. Barrs. Dans ce document, l’agent d’examen indépendant de troisième niveau n’a examiné qu’un seul aspect de la demande de traitement équitable faite au nom de M. Barrs et d’autres personnes qui avaient présenté leurs demandes d’allègement en 2014. Plus précisément, l’agent d’examen indépendant de troisième niveau a déterminé que le paragraphe 220(3.1) de la LIR et la Circulaire d’information IC07-1R1 empêchaient le ministre d’accorder un allègement à l’égard des [traduction] « intérêts qui ont couru au-delà des 10 années précédant l’année civile au cours de laquelle la demande a été présentée ». L’agent d’examen indépendant de troisième niveau a déterminé que [traduction] « [e]n conséquence, [le ministre n’a pas été] en mesure de considérer les contribuables ne bénéficiant pas de droits acquis qui ont fait des demandes d’allègement en 2014 de la même manière que les contribuables bénéficiant de droits acquis qui ont fait des demandes d’allègement en décembre 2004 ».

[29] Comme nous l’avons indiqué au paragraphe 22 ci-dessus, l’avocat a fait valoir lors de l’examen de premier niveau que les contribuables comme M. Barrs qui ont présenté leur demande d’allègement en 2014 devraient se voir accorder un allègement supplémentaire pour la période à l’égard de laquelle il serait loisible au ministre d’agir afin de garantir un traitement équitable par rapport aux autres contribuables qui ont présenté leur demande plus tôt. L’agent d’examen indépendant de troisième niveau n’a pas pris en compte cette demande. Étant donné qu’un allègement avait été accordé au cours des deux premiers niveaux d’examen à l’égard d’environ la moitié seulement des intérêts courus au cours de la période de dix ans précédant 2014, il aurait été possible pour le ministre d’accorder un allègement supplémentaire à l’égard de cette période sans enfreindre le délai de prescription prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR. Si un allègement plus important était accordé pour la période à l’égard de laquelle il serait loisible au ministre d’agir, la différence dans la proportion relative d’intérêts remis entre les deux groupes serait réduite. Cet aspect de la demande faite au nom de M. Barrs n’a pas été pris en compte par l’agent d’examen indépendant de troisième niveau.

III. Décision Brandimarte de la Cour fédérale et arrêt Belchetz de notre Cour

[30] Dans le jugement en appel, la décision Brandimarte, la Cour fédérale a consacré l’essentiel de ses motifs à des questions centrées sur les différents arguments avancés au nom de tous les contribuables autres que la revendication de la nécessité de traiter les deux groupes de contribuables équitablement. Les arguments avancés au nom de tous les contribuables comprenaient des allégations concernant la responsabilité à l’égard des retards encourus dans la prise d’une décision sur le bien-fondé des nouvelles cotisations qui découleraient du retard dans la délivrance des avis de nouvelle cotisation et de l’injustice qui aurait été créée par la répudiation de l’accord de règlement par la Couronne.

[31] Sur la question de l’inégalité de traitement entre les deux groupes de contribuables, la Cour fédérale a déterminé que le traitement de la question par l’agent d’examen indépendant de troisième niveau était raisonnable. La Cour fédérale a limité son examen de la question à un examen de l’incidence du délai de prescription de dix ans prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR. Elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 58 de ses motifs :

Pour ce qui est de créer l’égalité entre les demandeurs, à mon avis, le délégué a, à juste titre, refusé l’allègement des intérêts au‑delà de 10 ans pour les demandeurs de 2014. En vertu du paragraphe 220(3.1), le ministre n’a plus le pouvoir discrétionnaire d’annuler des intérêts ou d’y renoncer au‑delà de dix ans avant la demande d’allègement d’un contribuable, peu importe le moment où la dette fiscale sous‑jacente a pris naissance (Bozzer c Canada, 2011 CAF 186, par. 12 et 58 et 59).

[32] Comme nous l’avons déjà noté, tous les contribuables dont les appels ont été entendus par notre Cour dans l’arrêt Belchetz avaient présenté leurs demandes d’allègement en 2004. Ainsi, notre Cour n’a pas examiné la question de savoir si la Cour fédérale avait commis une erreur en répondant aux demandes de traitement équitable des contribuables, mais notre Cour a examiné le traitement par la Cour fédérale de tous les autres arguments avancés au nom de M. Barrs et a rejeté l’appel à leur égard.

IV. Analyse

[33] L’arrêt Belchetz nous lie. Toutefois, étant donné que l’arrêt Belchetz ne portait pas sur une demande de traitement équitable formulée par un contribuable ayant demandé un allègement en 2014, il ne permet pas de décider si la Cour fédérale a commis une erreur d’appréciation sur cette question.

[34] En ce qui concerne cette question, notre Cour est tenue d’appliquer les normes de contrôle applicables aux appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale dans les demandes de contrôle judiciaire. Cette norme exige que nous déterminions si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et, le cas échéant, si elle l’a appliquée correctement (Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42 au para. 12, 462 D.L.R. (4th) 585; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para. 46, [2013] 2 R.C.S. 559). Essentiellement, nous devons par conséquent nous mettre à la place de la Cour fédérale et procéder de nouveau à l’analyse requise.

[35] La Cour fédérale a eu raison de choisir la norme de contrôle de la décision raisonnable, qui a été fermement établie comme étant la norme applicable au contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR (voir, par exemple, l’arrêt Belchetz au para. 30). Toutefois, à mon avis, la Cour fédérale a commis une erreur dans l’application de cette norme à la façon dont l’agent d’examen indépendant de troisième niveau a donné suite à la demande de M. Barrs d’être traité équitablement.

[36] À cet égard, notre Cour a jugé, dans l’arrêt Bozzer c. Canada, 2011 CAF 186 aux. paras. 12, 58 à 59, [2013] 1 R.C.F. 242, que le délai de prescription prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR empêche le ministre d’accorder un allègement des intérêts courus au cours des années d’imposition antérieures aux dix années précédant la date de présentation de la demande d’allègement, mais permet d’accorder un allègement des intérêts courus au cours de la période de dix ans pertinente sur des dettes contractées avant son début. Cependant, la présence de la période de prescription de dix ans dans le paragraphe 220(3.1) de la LIR n’est pas une réponse complète à la demande de M. Barrs d’être traité équitablement, et il pourrait être loisible au ministre de lui accorder un allègement supplémentaire des intérêts qui se sont accumulés au cours de la période à partir de 2004, afin de promouvoir l’équité avec le groupe de contribuables qui avaient demandé un allègement en 2004.

[37] La demande d’égalité de traitement de M. Barrs n’est pas frivole. Compte tenu des taux d’intérêt qui ont prévalu depuis la naissance de la dette fiscale et de la manière dont les intérêts sont calculés en vertu de la LIR, M. Barrs se trouve confronté à une facture d’intérêts qui dépasse de loin celle des contribuables qui ont présenté leur demande d’allègement en 2004. Pourtant, ils ont tous investi dans le même stratagème et leurs demandes d’exemption d’intérêts ont été examinées par les mêmes agents d’examen compte tenu des mêmes faits.

[38] Étant donné que l’agent d’examen indépendant de troisième niveau n’a pas abordé la demande d’un allègement plus important pour la période à l’égard de laquelle il serait loisible au ministre d’agir pour assurer un traitement équitable, sa décision doit être annulée. Cette demande a été présentée à l’agent d’examen indépendant de troisième niveau, mais il n’y a pas vraiment répondu. Le fait de ne pas tenir compte d’un argument important avancé par une partie rendra généralement une décision administrative déraisonnable, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras. 127 à 128, [2019] 4 R.C.S. 653.

[39] La décision d’accorder ou non un allègement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR est une décision discrétionnaire qui appartient au ministre. Par conséquent, il y a lieu de renvoyer cette question au ministre pour une nouvelle détermination. À la lumière des modalités du règlement amiable, la question en litige devrait être renvoyée à un agent d’examen de l’ARC situé dans un bureau autre que celui de Summerside (Î.-P.-É.) et qui n’est jamais intervenu dans ces dossiers.

V. Règlement proposé

[40] J’accueillerais donc le présent appel et j’annulerais la décision Brandimarte de la Cour fédérale en ce qui concerne M. Barrs. Je renverrais sa demande d’allègement au ministre, conformément aux directives qui précèdent quant à l’agent auquel elle doit être remise, afin de réexaminer la demande d’allègement encore plus important pour la période à l’égard de laquelle il serait loisible au ministre d’agir pour promouvoir le principe de l’équité entre M. Barrs et les contribuables qui ont demandé un allègement en 2004. Je n’allouerais pas de dépens, car l’appelant n’était pas représenté par un avocat et a indiqué au cours de ses observations qu’il ne cherchait pas à obtenir l’adjudication des dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Judith Woods, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-310-19

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national à titre de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 avril 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

Le 19 août 2022

COMPARUTIONS :

J. Randall Barrs

Pour l’appelant

Andrea Jackett

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Randall Barrs

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour les intimés

 

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