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Date : 20220907


Dossier : A-22-20

Référence : 2022 CAF 152

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

BCE INC., BELL CANADA, BELL EXPRESSVU INC.

et BELL EXPRESSVU LIMITED PARTNERSHIP

demanderesses

et

QUÉBECOR MÉDIA INC., GROUPE TVA INC., CONSEIL PROVINCIAL DU SECTEUR DES COMMUNICATIONS DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, YVES BERNIER et YVAN ALLARD

défendeurs

Demande entendue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 4 avril 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC


Date : 20220907


Dossier : A-22-20

Référence : 2022 CAF 152

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

BCE INC., BELL CANADA, BELL EXPRESSVU INC.

et BELL EXPRESSVU LIMITED PARTNERSHIP

demanderesses

et

QUÉBECOR MÉDIA INC., GROUPE TVA INC., CONSEIL PROVINCIAL DU SECTEUR DES COMMUNICATIONS DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, YVES BERNIER et YVAN ALLARD

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] BCE Inc., Bell Canada, Bell ExpressVu Inc. et Bell ExpressVu Limited Partnership (collectivement Bell) demandent le contrôle judiciaire d’une décision (CRTC 2019-427) du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le Conseil) dans laquelle ce dernier a conclu que Bell avait accordé une préférence indue à son service de télévision facultatif de langue française consacré aux sports, RDS, et avait indûment désavantagé le service TVA Sports des défendeurs (la décision ou la décision sur la plainte de préférence indue). TVA Sports est un service produit par Groupe TVA inc., lequel est la propriété et sous le contrôle de Québecor Media Inc. (ces deux derniers appelés collectivement Québecor).

[2] Bell soutient que la décision sur la plainte de préférence indue est déraisonnable parce que la question du caractère équitable de sa combinaison (que nous appellerons « assemblage » par souci de cohérence avec les décisions du CRTC) a été tranchée lors d’un processus d’arbitrage de l’offre finale en 2018. L’assemblage désigne la façon dont une entreprise de distribution de radiodiffusion (EDR) offre un service de programmation à ses abonnés, que ce soit dans des forfaits préassemblés ou à la carte. En l’espèce, le différend porte sur la décision de Bell d’inclure TVA Sports dans ses forfaits Mieux et Meilleur, à coûts plus élevés, plutôt que dans son forfait Bon, le moins cher et le plus populaire, qui comprend RDS.

[3] Bell formule sa thèse en recourant aux termes utilisés dans l’arrêt de la Cour suprême Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 [Vavilov]. Bell fait valoir que la décision est déraisonnable parce qu’elle contient un certain nombre d’erreurs de logique et que le Conseil n’a pas respecté les contraintes factuelles et juridiques auxquelles il était tenu dans l’exercice des pouvoirs qui lui ont été délégués. Pour l’essentiel, elle soutient que la question du caractère équitable de son assemblage a été tranchée par le processus d’arbitrage de l’offre finale de 2018 entre elle et Québecor, lors duquel le Conseil a accepté son offre finale, ce qui empêchait le Conseil de réexaminer la question de l’assemblage sous le couvert d’une plainte alléguant que Bell s’était accordé une préférence indue.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de Bell, avec dépens.

II. Les faits

[5] Bell et ses sociétés associées exploitent à la fois des EDR et des entreprises de programmation (EP). En termes simples, les EDR distribuent des émissions et d’autres contenus au moyen de systèmes de câble, de systèmes par satellite ou de diffusion en continu sur Internet, tandis que les EP produisent du contenu (appelé services de programmation) qui sera distribué par les EDR. RDS est un produit de l’EP de Bell et est distribué par l’EDR de Bell. Québecor est propriétaire de l’EP qui produit TVA Sports, un service également distribué par l’EDR de Bell. En 2014 et 2017, Bell et Québecor n’ont pas réussi à s’entendre sur le tarif que Bell devrait payer pour la distribution de TVA Sports par ses EDR. Elles ont chaque fois eu recours à un processus d’arbitrage de l’offre finale devant le Conseil, un processus initié par Bell à la fin de 2014 et par Québecor à la fin de 2017. Ces processus ont donné lieu à deux décisions dans lesquelles le Conseil a accepté les offres de Bell : la décision de radiodiffusion CRTC 2015-182 (la décision d’arbitrage de 2015) et la décision de radiodiffusion CRTC 2018-17 (la décision d’arbitrage de 2018). Ces deux décisions sont importantes pour le différend qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[6] Le Conseil a compétence pour régler les différends en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11 (la Loi), et du Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555 (le Règlement). L’alinéa 10(1)h) de la Loi est libellé ainsi :

10 (1) Dans l’exécution de sa mission, le Conseil peut, par règlement :

10 (1) The Commission may, in furtherance of its objects, make regulations

[…]

[…]

h) pourvoir au règlement — notamment par la médiation — de différends concernant la fourniture de programmation et survenant entre les entreprises de programmation qui la transmettent et les entreprises de distribution;

(h) for resolving, by way of mediation or otherwise, any disputes arising between programming undertakings and distribution undertakings concerning the carriage of programming originated by the programming undertakings;

[7] Les articles 12 à 15 du Règlement portent sur le règlement des différends. L’article 12 est libellé ainsi :

12 (1) En cas de différend entre, d’une part, le titulaire d’une entreprise de distribution et, d’autre part, l’exploitant d’une entreprise de programmation autorisée ou exemptée au sujet de la fourniture ou des modalités de fourniture de la programmation transmise par l’entreprise de programmation — y compris le tarif de gros et les modalités de la vérification visée à l’article 15.1 —, l’une des parties ou les deux peuvent s’adresser au Conseil.

12 (1) If there is a dispute between the licensee of a distribution undertaking and the operator of a licensed programming undertaking or an exempt programming undertaking concerning the carriage or terms of carriage of programming originated by the programming undertaking — including the wholesale rate and the terms of any audit referred to in section 15.1 — one or both of the parties to the dispute may refer the matter to the Commission.

[8] De plus, le Conseil a publié des Bulletins de radiodiffusion et de télécommunication portant sur le fonctionnement de ses pratiques concernant le règlement des différends. Le bulletin relatif à ces deux arbitrages de l’offre finale a été publié le 28 novembre 2013 et porte la référence CRTC 2013‑637.

[9] Les deux arbitrages de l’offre finale font partie du contexte de la présente demande parce qu’essentiellement Bell fait valoir dans sa demande de contrôle judiciaire que la décision d’arbitrage de 2018 était une décision définitive et exécutoire sur le tarif à payer pour TVA Sports (et implicitement sur le caractère équitable de son assemblage que le Conseil ne peut réexaminer sous prétexte de juger une plainte de préférence indue. Par conséquent, il sera utile de jeter un œil sur ces deux arbitrages de l’offre finale entre Bell et Québecor.

[10] À la fin de 2014, Bell et Québecor n’avaient pas réussi à s’entendre sur le tarif à payer pour la distribution de TVA Sports. Bell a demandé au Conseil d’accepter cette question dans son processus d’arbitrage de l’offre finale. Québecor y a consenti. Le Conseil a en fin de compte retenu l’offre de Bell, mais, ce faisant, il a formulé plusieurs observations sur l’offre de Québecor, qui, comme nous le verrons, sont importantes pour l’offre de Québecor de 2018.

[11] À la fin de 2017, au terme du délai fixé dans la décision d’arbitrage de 2015, Québecor a demandé au Conseil de mener un deuxième processus d’arbitrage de l’offre finale concernant, une fois de plus, le tarif à payer pour la distribution de TVA Sports. Bell a appuyé la démarche. Le 18 octobre 2017, le Conseil a avisé les parties qu’il acceptait la demande d’arbitrage et qu’il déterminerait « le tarif pour la distribution linéaire des services de TVA Sports par Bell dans le marché francophone » : décision d’arbitrage de 2018, par. 3.

[12] Une politique du Conseil était en place à l’époque concernant les relations entre les EDR et les EP, la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-438 (le Code sur la vente en gros). Le Code sur la vente en gros a été établi pour que les abonnés aient plus de choix et de souplesse dans les services de programmation qu’ils reçoivent, que les services de programmation soient variés, disponibles et repérables sur de multiples plateformes, et que les EP et les EDR négocient de manière juste. Le Code sur la vente en gros couvre divers aspects de la relation entre les EDR et les EP. L’article 6, qui présente un intérêt particulier en l’espèce, est libellé ainsi :

6. Dans le cadre de la négociation d’un tarif de gros pour un service de programmation fondé sur la juste valeur marchande, une entreprise de programmation, EDR ou entreprise de médias numériques exemptée doit tenir compte des facteurs suivants, s’il y a lieu :

a. l’évolution des tarifs dans le temps;

b. le taux de pénétration, les remises sur la quantité et l’assemblage du service;

c. les tarifs payés par les EDR non liées pour le service de programmation;

d. les tarifs payés pour des services de programmation de valeur semblable aux yeux des consommateurs, en tenant compte des cotes d’écoute;

e. le nombre d’abonnés qui s’abonnent à un forfait totalement ou partiellement en raison de la présence du service de programmation dans ce forfait, en tenant compte des cotes d’écoute;

f. le tarif de détail exigé pour le service pris individuellement;

g. le tarif de détail de tout forfait dans lequel le service est inclus.

[13] Dans sa décision d’arbitrage de 2018, le Conseil a informé les parties qu’il avait examiné les tarifs proposés au « regard des facteurs déterminant la juste valeur marchande applicables dans le cas présent » :

- l’évolution des tarifs dans le temps;

- le taux de pénétration, les remises sur la quantité et l’assemblage du service;

- les tarifs payés par les EDR non liées pour le service de programmation;

- les tarifs payés pour des services de programmation de valeur semblable aux yeux des consommateurs, en tenant compte des cotes d’écoute.

Décision d’arbitrage de 2018, par. 25.

[14] Le Conseil a indiqué qu’il avait également tenu compte des objectifs de la politique publique voulant que les risques et les bénéfices soient partagés entre les EDR et les EP, pour qu’il y ait un juste équilibre entre le fait de permettre aux EDR d’offrir davantage de choix et de souplesse à leurs abonnés et celui d’assurer des revenus prévisibles et raisonnables pour les EP. En l’espèce, le Conseil a estimé que les tarifs historiques, les tendances d’écoute et les dépenses de programmation, ainsi que les tarifs payés pour des services de valeur semblable aux yeux des abonnés étaient des facteurs qui avaient une plus grande valeur probante pour déterminer la valeur du service en question.

[15] En ce qui concerne les tendances d’écoute, le Conseil a conclu que les cotes d’écoute de TVA Sports avaient récemment affiché une tendance à la hausse, mais que cette tendance avait été atténuée par la volatilité des cotes d’écoute. L’augmentation significative des cotes d’écoute en 2016-2017 était contrebalancée par une diminution en 2015-2016 par rapport à des cotes d’écoute plus élevées lors d’une année antérieure, ce qui a amené le Conseil à conclure que l’évolution dans le temps des tendances d’écoute de TVA Sports jouait en faveur du tarif proposé par Bell.

[16] Le Conseil a également fait observer que TVA Sports avait investi considérablement dans la programmation au cours de la période 2014-2015 – une augmentation de 279 % par rapport à l’année précédente –, mais que ces dépenses avaient connu des augmentations limitées au cours des années suivantes. Ainsi, l’évolution dans le temps des données sur les dépenses de programmation jouait également en faveur du tarif proposé par Bell.

[17] En ce qui concerne la comparaison entre TVA Sports et des services de valeur semblable offerts aux abonnés, le Conseil a noté que RDS, le service comparable le plus similaire, avait vu ses cotes d’écoute diminuer l’année précédente, mais qu’il avait toujours plus de téléspectateurs que TVA Sports. Malgré le rétrécissement de l’écart entre les deux services, le Conseil a constaté que RDS semblait avoir des cotes d’écoute plus fortes et plus stables dans l’ensemble. Le Conseil a estimé qu’il s’agissait d’un indice de la valeur que lui accordaient les téléspectateurs. Par conséquent, le tarif proposé par Bell a été jugé plus raisonnable que celui de Québecor relativement à ce critère.

[18] Le Conseil a conclu que les facteurs associés aux remises sur la quantité et aux tarifs payés par les EDR non liées étayaient la conclusion que les tarifs proposés par Québecor étaient plus raisonnables. Toutefois, le Conseil a également conclu que les EDR non liées n’étaient pas comparables à Bell en ce qui a trait au nombre d’abonnés, de sorte que le tarif payé par ces EDR était un facteur moins important.

[19] Le Conseil a conclu que les deux offres permettaient à Bell d’offrir du choix et de la souplesse à ses abonnés. Puisque le nombre d’abonnés de Bell augmentait alors que le taux de pénétration de TVA Sports sur Bell était resté relativement constant depuis janvier 2013, le Conseil a conclu que les revenus de TVA Sports provenant de Bell allaient vraisemblablement augmenter plutôt que diminuer sous le régime de l’une ou l’autre des offres. En réponse à l’observation de Québecor selon laquelle les tarifs proposés par Bell ne permettraient pas à TVA Sports d’obtenir des revenus suffisants et raisonnables, le Conseil a conclu que la différence entre les deux offres était peu susceptible d’avoir une incidence importante sur la viabilité de TVA Sports pendant la durée du contrat. De plus, le Conseil n’était pas convaincu que le pourcentage des revenus de Québecor provenant de Bell était déraisonnable compte tenu de la proportion de téléspectateurs qu’elle fournissait.

[20] Par conséquent, le Conseil a conclu que les deux offres étaient conformes aux objectifs de la politique publique applicables.

[21] À la lumière des facteurs pertinents relatifs à la juste valeur marchande qu’il a examinés et de leur valeur probante, ainsi que des facteurs de politique publique qu’il a examinés, le Conseil a conclu que les éléments de preuve n’étayaient pas l’augmentation de tarif proposée par Québecor. Par conséquent, il a choisi l’offre de Bell.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[22] Environ un an après la publication de la décision d’arbitrage de 2018 du Conseil, Québecor a présenté une plainte de préférence indue contre Bell. Le résumé ci-après des faits procéduraux est extrait de la décision :

3. TVA Sports est un service de télévision national facultatif de langue française consacré aux sports, particulièrement aux sports professionnels canadiens. Le service a été lancé en septembre 2011 et Bell a commencé à le distribuer à ses abonnés en décembre 2011.

4. RDS, pour lequel une licence de radiodiffusion a été octroyée en 1987, est un service de télévision national facultatif de langue française consacré aux sports. RDS est demeuré au service de base de la majorité des EDR du marché de langue française jusqu’en 2015. En octobre 2011, Bell Média a lancé un deuxième service facultatif de sports de langue française, RDS2. Conformément à une entente entre TVA et Bell, TVA Sports a été assemblé dans les mêmes forfaits que RDS2.

5. En vertu de la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-96 et du Règlement sur la distribution de radiodiffusion (le Règlement), lesquels obligent notamment les EDR à offrir un petit service de base, Bell offre un petit service de base qui n’inclut ni RDS ni TVA Sports.

6. Depuis le 1er mars 2016, RDS fait partie des forfaits Bon, Mieux et Meilleurs de Bell et est offert à la carte, dans des forfaits sur mesure ainsi que dans les forfaits faisant l’objet d’une « clause de préservation des droits acquis » (c.-à-d. qui existaient avant la mise en place de la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-96). TVA Sports est offert dans les forfaits Mieux et Meilleur, ainsi qu’à la carte ou dans des forfaits sur mesure.

[…]

8. Québecor avance que le forfait Bon, dans lequel se trouve RDS, a un taux de pénétration beaucoup plus élevé que les forfaits Mieux et Meilleur, dans lesquels se trouve TVA Sports. De plus, RDS continue de bénéficier de droits acquis en raison de sa distribution antérieure au service de base, ce qui désavantage TVA Sports.

Décision sur la plainte de préférence indue, par. 3 à 6, 8.

[23] Le Conseil a ensuite énoncé les positions respectives des parties. Son résumé de la réponse de Bell à la plainte de Québecor présente un intérêt particulier :

14. […] [Bell] affirme que l’entente d’affiliation initiale entre TVA et Bell obligeait Bell à assembler TVA Sports avec RDS2 [un deuxième service sportif de l’EP de Bell] et non RDS. Les ententes qui ont suivi offraient à Bell une souplesse d’assemblage ne l’obligeant pas à assembler TVA Sports avec RDS. [Bell] ajoute que l’assemblage est conforme au Code sur la vente en gros, énoncé à l’annexe de la politique réglementaire de radiodiffusion 2015-438. [Bell] soutient que le Code sur la vente en gros ne confère pas les mêmes mesures de protection en matière d’assemblage aux entités intégrées verticalement comme Québecor qu’aux services indépendants.

15. [Bell] indique également que l’ampleur de la programmation sportive offerte par les deux services, leurs cotes d’écoute ainsi que leurs parts de marché respectives sont considérablement différentes et que, par conséquent, la valeur relative des deux services ne peut pas être comparée. [Bell] soutient que TVA Sports ne présente que très peu de programmation unique à la station, n’a pas l’exclusivité de la plupart des grands événements sportifs qu’il diffuse et la plupart de ses émissions à coûts élevés sont accessibles sur des canaux de langue anglaise à grande pénétration.

16. Selon [Bell], l’assemblage de TVA Sports dans le forfait Bon serait une régression vers la microréglementation. Ceci aurait une incidence considérable sur la souplesse, l’abordabilité et le choix des consommateurs, car le prix du forfait Bon devrait être augmenté, et ce, même pour les abonnés qui ne désirent pas regarder TVA Sports. [Bell] ajoute que les abonnés ont déjà plusieurs options pour accéder à TVA Sports. Ils peuvent notamment ajouter le service à la carte ou créer un forfait personnalisé pour l’inclure. [Bell] précise qu’un nombre important de ses abonnés choisit déjà l’une de ces options.

17. En ce qui concerne les objectifs de la Loi, [Bell] soutient avoir respecté les objectifs de la Loi, particulièrement les articles 3(1)t)(ii) et 3(1)t)(iii), en assurant efficacement la fourniture de TVA Sports à un tarif abordable pour les consommateurs et en fournissant des modalités raisonnables pour la fourniture, la combinaison et la vente au détail des services de programmation. [Bell] indique que cela est conforme aux ententes contractuelles du service.

18. Enfin, [Bell] indique que le Conseil a déjà tranché la question qui fait l’objet de la présente plainte de Québecor, notamment lors du processus d’arbitrage de l’offre finale de 2018 concernant la distribution de TVA Sports. [Bell] soutient que lors de ce processus, le Conseil a examiné plusieurs facteurs, dont le taux de pénétration, les remises sur la quantité et l’assemblage du service. Ainsi, [Bell] est d’avis que le Conseil a rendu une décision finale et exécutoire en faveur de Bell à cet égard et Québecor tente désormais d’obtenir ce qu’elle n’a pu avoir lors de ce processus d’arbitrage de l’offre finale.

Décision sur la plainte de préférence indue, par. 14 à 18.

[24] Il convient de souligner que, parmi les nombreux arguments qu’elle a invoqués à l’encontre de la plainte de préférence indue de Québecor, Bell a soutenu que l’assemblage a fait l’objet d’une décision définitive et exécutoire.

[25] Le Conseil a commencé son analyse en définissant les questions de fond qu’il devait examiner :

a) La question soulevée par Québecor a-t-elle déjà été réglée?

b) Y a-t-il préférence ou désavantage?

c) Dans l’affirmative, la préférence ou le désavantage sont-ils indus?

Décision sur la plainte de préférence indue, par. 28.

[26] En ce qui concerne la première question, le Conseil a considéré que Bell confondait les analyses à l’égard du processus d’arbitrage de l’offre finale et à l’égard des plaintes de préférence indue. Le Conseil a expliqué qu’il examine des facteurs distincts dans chaque processus et que ces facteurs ne sont pas comparables. L’arbitrage de l’offre finale s’effectue en fonction des facteurs pertinents relatifs à la juste valeur marchande. Il n’existe pas de critères de ce type pour analyser les allégations de préférence indue. Par conséquent, l’assemblage, la principale question soulevée dans la plainte, n’a pas été examinée dans la décision d’arbitrage de 2018.

[27] Le Conseil a ensuite défini ce qui constituait une préférence, c’est-à-dire un traitement différent d’entités comparables. La première question à examiner était donc de savoir si les deux services étaient comparables. Le Conseil a noté qu’ils offrent tous les deux du contenu similaire, c’est-à-dire une programmation sportive variée, y compris des droits de diffusion pour des sports de ligues majeures et des événements sportifs populaires. En outre, les deux offrent des programmes de format semblable, comme des commentaires sportifs et des émissions d’information. Les deux services visent le même public cible : les amateurs de sport. Compte tenu de la similitude de leur programmation, le Conseil a jugé probable que les abonnés considèrent les services comme étant similaires et en concurrence. De plus, il a noté que RDS et TVA Sports sont des services facultatifs qui sont assujettis aux mêmes conditions de licence normalisées.

[28] Le Conseil a jugé inutile de tenir compte des différences entre les deux services au chapitre des cotes d’écoute et des parts de marché, puisqu’il ressortait clairement du dossier dont il disposait que les deux services étaient comparables.

[29] Le Conseil a ensuite examiné la question de savoir si les deux services faisaient l’objet d’un traitement différent. Il a d’abord pris note de l’observation de Bell selon laquelle son assemblage était conforme au Code sur la vente en gros, mais a fait remarquer que la souplesse accrue de Bell en matière d’assemblage ne la libère pas des responsabilités qui lui incombent au titre de l’article 9 du Règlement, qui interdit les préférences indues. Le Conseil a fait observer que RDS était inclus dans tous les forfaits facultatifs de Bell, y compris Bon, son forfait le plus populaire et qui a le plus grand taux de pénétration. Les forfaits Mieux et Meilleur, qui incluent TVA Sports, sont plus chers et ont un taux de pénétration plus faible. Comme les deux services sont comparables, le Conseil a conclu qu’en raison des différences importantes entre les assemblages, Bell traite différemment TVA Sports et RDS et que cela désavantage TVA Sports.

[30] La dernière étape de l’analyse du Conseil consistait à déterminer si le désavantage était indu. À son avis, cette analyse exigeait que l’on examine si le désavantage avait une incidence négative importante sur Québecor et si le désavantage avait eu ou aurait une incidence sur la réalisation des objectifs de la loi.

[31] En ce qui concerne l’incidence du désavantage sur Québecor, le Conseil a conclu que l’exclusion de TVA Sports du forfait Bon avait privé Québecor d’un nombre important d’abonnés et de plusieurs millions de dollars par année de revenus d’abonnement et de publicité. Le Conseil a fait observer que le fardeau de démontrer que le désavantage n’était pas abusif incombait à Bell, mais que cette dernière n’avait pas fourni les données qui auraient pu réfuter la perte de revenus prévue de Québecor. Toutefois, Bell avait fourni des renseignements sur le nombre d’abonnés du forfait Bon qui avaient ajouté TVA Sports à leur forfait à la carte ou dans un forfait sur mesure. Ces renseignements ont permis au Conseil de conclure que le nombre d’abonnés qui ne l’avaient pas fait avait privé Québecor de centaines de milliers de dollars par mois de revenus d’abonnés non réalisés, alors que ceux qui avaient ajouté TVA Sports à leur forfait avaient contribué aux revenus de Bell. Le Conseil a souligné que les services sportifs comptent sur les revenus découlant de la distribution pour financer l’acquisition de droits de radiodiffusion coûteux. Les revenus supplémentaires que Bell a reçus de ces abonnés additionnels de TVA Sports ont conféré à Bell un avantage concurrentiel dans l’obtention de droits de distribution pour les émissions sportives.

[32] Le Conseil a ensuite examiné l’effet de l’assemblage de Bell quant aux objectifs de la politique de la Loi sur la radiodiffusion. Pour sa part, Bell a soutenu qu’elle s’était conformée aux sous-alinéas 3(1)t)(ii) et (iii) de la Loi sur la radiodiffusion, qui sont libellés ainsi :

t) les entreprises de distribution :

(t) distribution undertakings

[…]

[…]

(ii) devraient assurer efficacement, à l’aide des techniques les plus efficientes, la fourniture de la programmation à des tarifs abordables,

(ii) should provide efficient delivery of programming at affordable rates, using the most effective technologies available at reasonable cost,

(iii) devraient offrir des conditions acceptables relativement à la fourniture, la combinaison et la vente des services de programmation qui leur sont fournis, aux termes d’un contrat, par les entreprises de radiodiffusion,

(iii) should, where programming services are supplied to them by broadcasting undertakings pursuant to contractual arrangements, provide reasonable terms for the carriage, packaging and retailing of those programming services, and

[33] Québecor a souligné l’importante contribution de TVA Sports à la programmation canadienne, que ce soit dans les dépenses de programmation canadienne ou par la radiodiffusion de contenu canadien. Québecor a affirmé que Bell n’avait pas donné la priorité à la programmation canadienne dans le cadre de ses pratiques, contrairement à ce que prévoit le sous-alinéa 3(1)t)(i) de la Loi sur la radiodiffusion, et qu’elle n’avait pas offert de conditions acceptables pour la fourniture, l’assemblage et la vente de TVA Sports, contrairement à ce que prévoit le sous-alinéa 3(1)t)(iii).

[34] Bell a répondu que de nombreux événements coûteux diffusés par TVA Sports étaient également diffusés par des services de langue anglaise, ce qui prouvait, selon elle, que les abonnés anglophones du Québec n’avaient pas besoin de s’abonner à TVA Sports. Québecor a soutenu que, sans TVA Sports, les amateurs de sports francophones seraient privés d’émissions en français couvrant les grands événements sportifs, ce qui est contraire à l’intérêt public.

[35] Sur la foi du dossier dont il disposait, le Conseil a conclu que TVA Sports répondait aux besoins des amateurs de sport en diffusant une programmation canadienne variée qui présente un intérêt pour la population canadienne et que le désavantage découlant de la préférence indue de Bell empêchait TVA Sports de contribuer pleinement aux objectifs de la Loi sur la radiodiffusion.

[36] Par conséquent, le Conseil a conclu que l’assemblage de TVA Sports faite par Bell désavantageait indûment TVA Sports et conférait une préférence indue à RDS. Le Conseil a ordonné à Bell de remédier à la situation en incluant TVA Sports dans la même offre de programmation que RDS et de lui faire rapport dans un délai déterminé.

IV. Exposé des questions

[37] Puisque Bell a déjà demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du Conseil sur une question de droit ou de compétence en vertu du paragraphe 31(2) et que cette demande a été rejetée, la question qui se pose maintenant est de savoir si elle peut présenter une demande de contrôle judiciaire visant la même décision. Il s’agit d’une question préliminaire soulevée par Bell, et elle sera donc examinée dans mon analyse.

[38] Une autre question préliminaire est de savoir si le rejet de la demande d’autorisation d’appel de Bell signifie que les questions qui y étaient soulevées ne sont pas des questions de droit et peuvent donc être soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire, vraisemblablement comme questions mixtes de fait et de droit. Cette question découle de l’argument de Bell selon lequel le Conseil n’a pas respecté les contraintes juridiques qui limitaient l’exercice de son pouvoir délégué. Étant donné que les règles de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure pour remise en cause sont manifestement des règles de droit, la question se pose de savoir si Bell peut les faire valoir dans la présente demande.

[39] Selon la jurisprudence de notre Cour sur les demandes d’autorisation d’appel, pour obtenir cette autorisation, le demandeur doit établir qu’il dispose d’arguments solides (ou cause défendable) pour soutenir que la décision contestée était fondée sur une erreur de droit ou de compétence : CKLN Radio Incorporated c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 135, par. 6; Lukács c. Swoop Inc., 2019 CAF 145, par. 15; Lufthansa German Airlines c. Canada (Office des transports), 2005 CAF 295, par. 8 à 9; Krishnapillai c. Canada, 2001 CAF 378, par. 10 à 11 [Krishnapillai]; Radio India (2004) Ltd. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), 2006 CAF 253, par. 1. Dans l’arrêt Krishnapillai, notre Cour a conclu ce qui suit au paragraphe 11 de ses motifs :

Une décision qui accorde l’autorisation ou qui la refuse ne constitue pas une décision quant au fond. Je n’ai connaissance d’aucune décision d’octroi ou de refus dont on se soit autorisé pour prétendre que les points soulevés dans une demande d’autorisation ont été effectivement décidés dans un sens ou dans l’autre.

[40] Il en résulte que le rejet d’une demande d’autorisation d’appel n’équivaut pas à une décision établissant que la question soulevée dans la demande n’est pas une question de droit (ou de compétence). Cette interprétation peut certes être correcte, mais il existe d’autres possibilités, notamment que la Cour n’ait pas été convaincue que des arguments solides avaient été présentés, que les faits n’étayaient pas le point soulevé ou que le point de droit soulevé ne permettait pas de trancher l’appel : Krishnapillai, par. 10.

[41] Une partie pourrait, dans une demande de contrôle judiciaire, soulever une question mixte de fait et de droit qu’elle avait soulevée comme question de droit dans la demande d’autorisation d’appel infructueuse. Toutefois, comme le rejet de la demande d’autorisation d’appel ne règle pas nécessairement la question de savoir si la question soulevée était une question de droit, il incombe à la partie qui soulève la même question dans la demande de contrôle judiciaire subséquente, limitée aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, de démontrer qu’il s’agit effectivement d’une question de ce type.

[42] En ce qui concerne l’exposé que fait Bell des questions en litige, le mémoire des faits et du droit de celle‑ci cite abondamment l’arrêt Vavilov, dans lequel la Cour suprême a continué à développer le droit administratif. Dans cet arrêt, la Cour suprême a exposé certains types d’erreurs qui rendent une décision déraisonnable, enseignement que Bell semble avoir pris au sérieux.

[43] Cela dit, il ne suffit pas simplement de signaler des erreurs figurant dans les motifs d’un tribunal; les erreurs doivent avoir une incidence importante sur l’issue de l’affaire :

Lorsqu’[elles] sont saisi[e]s d’une contestation d’une décision administrative, les cours de révision doivent également tenir compte de la gravité des erreurs dont serait entaché le raisonnement du décideur. Dans le cadre du contrôle judiciaire fondé sur la norme de la décision raisonnable, une erreur ne suffit pas nécessairement en soi à justifier l’annulation d’une décision. La gravité de l’erreur dépend invariablement de la mesure dans laquelle elle influe sur la décision. L’erreur ne peut servir de fondement à une demande de contrôle judiciaire lorsqu’elle est secondaire au regard du raisonnement du décideur administratif ou mineure par rapport aux arguments plus solides invoqués pour justifier le résultat souhaité.

Vavilov, par. 300

Sans appréciation de la gravité des erreurs, les parties déboutées auraient tout intérêt à se lancer dans une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » afin d’être en mesure de soutenir que la décision était déraisonnable en raison de la quantité d’erreurs, aussi insignifiantes soient-elles. L’approche de Bell en l’espèce tient quelque peu de cette démarche.

[44] Bell a résumé son point de vue sur les questions en litige en l’espèce au paragraphe 39 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

Le motif de contrôle énoncé à l’alinéa 18.1(4)d) vise la conduite du CRTC en l’espèce. Le CRTC : a) a tiré une conclusion de fait erronée, c’est-à-dire que, dans la décision d’arbitrage 2018, il n’a pas examiné le facteur de la combinaison; b) a tiré sa conclusion de manière abusive et arbitraire en recourant à un raisonnement intrinsèquement incohérent qui ne tenait pas compte des contraintes factuelles et juridiques pertinentes; c) a fondé sa décision d’entendre et, en fin de compte, d’accueillir la plainte de Québecor sur la base de cette conclusion erronée.

[45] Bell cherche à démontrer que les erreurs qu’elle énumère sont importantes en soutenant que c’est à cause d’elles que le Conseil a accepté d’entendre la plainte de préférence indue de Québecor. Il s’agit d’une référence indirecte aux contraintes juridiques que Bell fait valoir plus loin dans son mémoire.

[46] Plus loin dans ses observations, Bell classe les erreurs qui rendent la décision du Conseil déraisonnable en deux catégories. Dans la première catégorie, Bell lie l’erreur du raisonnement intrinsèquement incohérent précédemment signalée aux indices de décision déraisonnable énoncés aux paragraphes 102 et 104 de l’arrêt Vavilov : des erreurs sur le plan rationnel, telles qu’une prémisse absurde, une généralisation non fondée et l’absence de raisonnement cohérent.

[traduction]

a) [le Conseil] se fonde sur la prémisse absurde qu’il n’existe pas de critères pour analyser les allégations de préférence indue tels que ceux utilisés dans les procédures d’arbitrage;

b) [le Conseil] formule la généralisation non fondée que les facteurs examinés dans la décision d’arbitrage de 2018 et les décisions relatives à la préférence indue ne sont pas comparables;

c) la conclusion définitive [du Conseil] selon laquelle la combinaison n’a pas été considérée dans la décision d’arbitrage de 2018 ne peut pas découler du mode d’analyse qu’il a avancé.

Mémoire des faits et du droit de Bell, par. 45.

[47] La deuxième catégorie d’erreurs soulevée par Bell se rapporte à son argument selon lequel le Conseil n’a pas respecté les contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Le détail des contraintes exposées par Bell peut être résumé ainsi :

Contraintes factuelles : les observations de Bell dans la procédure relative à la plainte de préférence indue et les concessions de Québecor dans la procédure d’arbitrage.

Contraintes juridiques : le paragraphe 31(1) de la Loi sur la radiodiffusion et les règles de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure pour remise en cause.

[48] Il devrait être évident qu’un tribunal peut rendre une décision déraisonnable sans nécessairement commettre l’un des types d’erreurs énumérés par la Cour suprême. Les catégories d’erreurs qui rendent une décision déraisonnable ne sont pas exhaustives. En conséquence, les tentatives de faire correspondre les erreurs alléguées aux catégories mentionnées dans l’arrêt Vavilov peuvent s’avérer malavisées, comme en l’espèce, et peuvent en fait éclipser une explication plus cohérente exposant le caractère déraisonnable de la décision rendue par le tribunal. Il est certain que les catégories d’erreurs énoncées dans l’arrêt Vavilov fourniront, dans de nombreux cas, une façon concise de décrire certains types d’erreurs, mais elles ne constituent pas un modèle à suivre obligatoirement pour faire ressortir le caractère déraisonnable d’une décision.

[49] Si l’on met de côté la catégorisation faite par Bell des erreurs qu’aurait commises le Conseil, sa thèse peut être présentée en deux affirmations. La première est que la décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la plainte de préférence indue tranchaient la même question. Bell soutient que le Conseil a commis une erreur de fait en ne reconnaissant pas cette adéquation. La deuxième est que, étant donné cette adéquation, le Conseil aurait dû invoquer la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure et refuser d’examiner une deuxième fois la même question sous le couvert d’une plainte de préférence indue. Il reste à décider s’il est loisible à Bell de faire valoir cette thèse dans la présente demande, étant donné qu’elle semble invoquer une erreur de droit.

[50] Si l’on considère les deux groupes d’erreurs ensemble, il semble que les questions soulevées au titre de la catégorie des erreurs de logique sont importantes pour savoir si les deux décisions tranchaient la même question. C’est ce lien qui rend ces questions importantes, et non le manque de logique allégué de ces décisions.

[51] Par conséquent, je formulerais les questions à trancher dans la présente demande de la manière suivante :

A. Bell a-t-elle le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire après s’être vu refuser l’autorisation de faire appel de la décision?

B. La décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la plainte de préférence indue tranchaient-elles la même question?

C. Si oui, le Conseil a-t-il commis une erreur en n’appliquant pas les règles de droit qui visent à empêcher le réexamen de questions déjà tranchées entre les mêmes parties?

D. Le Conseil a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des contraintes factuelles qui limitent l’exercice de son pouvoir délégué?

[52] Étant donné que les questions soulevées dans la présente demande ne relèvent pas des exceptions limitées à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, cette norme s’applique à ces questions.

V. Analyse

A. Bell a-t-elle le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire après s’être vu refuser l’autorisation de faire appel de la décision?

[53] Cette question découle des effets conjugués du paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion et des articles 18.5 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7.

[54] Bell a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision en vertu du paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion, qui dispose que les décisions du Conseil sont susceptibles d’appel devant notre Cour, si celle-ci en accorde l’autorisation, sur une question de droit ou de compétence. Dans sa demande d’autorisation, Bell a indiqué que le Conseil avait commis une erreur de droit en n’appliquant pas la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée à l’égard de la décision d’arbitrage de 2018 dans laquelle, selon Bell, la même question entre les mêmes parties avait été tranchée de manière définitive. Bell a également soutenu que la décision encourageait la multiplication des procédures et qu’elle constituait, de ce fait, un abus de procédure. Le dernier argument de Bell était que le Conseil n’avait pas examiné la question de savoir si la plainte de préférence indue de Québecor constituait une contestation indirected de la décision d’arbitrage de 2018. La demande d’autorisation d’appel de Bell a été rejetée. Conformément à la pratique habituelle de notre Cour, ce rejet n’était pas accompagné de motifs.

[55] Bell a déclaré en toute franchise dans sa demande d’autorisation qu’elle présentait également une demande de contrôle judiciaire au cas où sa demande d’autorisation serait rejetée ou, si l’autorisation était accordée, au cas où son appel subséquent serait rejeté. Étant donné que sa demande d’appel a été rejetée, Bell défend maintenant sa demande de contrôle judiciaire.

[56] Dans sa demande, Bell se fonde sur l’alinéa 28(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales, qui dispose que notre Cour a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire « visant les offices fédéraux suivants : […] le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ». Bell reconnaît que son droit au contrôle judiciaire est limité par l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, reproduit ci-dessous, qui vise notre Cour du fait du paragraphe 28(2) de la même Loi :

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi. [Non souligné dans l’original.]

18.5 Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to the Federal Court, the Federal Court of Appeal, the Supreme Court of Canada, the Court Martial Appeal Court, the Tax Court of Canada, the Governor in Council or the Treasury Board from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act. (My emphasis)

[57] Bell admet qu’elle ne peut pas plaider que la décision du Conseil était déraisonnable à l’égard de questions de droit ou de compétence. Ces questions peuvent faire l’objet d’un appel devant notre Cour et, par conséquent, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales interdit les demandes de contrôle judiciaire fondées sur ce motif. Bien que la distinction entre les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit soit facile à énoncer, elle est plus difficile à faire : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, 1997 CanLII 385 (C.S.C.), par. 35.

[58] La question de la portée du droit au contrôle judiciaire dans ces circonstances a été examinée par notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161 [Best Buy], affaire dans laquelle une demande de contrôle judiciaire avait été déposée nonobstant le droit d’appel pour des questions de droit prévu à l’article 68 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.). Notre Cour était unanime sur la manière de trancher l’appel, mais elle était divisée sur la question de savoir si la limitation prévue à l’article 18.5 excluait les demandes de contrôle judiciaire à l’égard de questions de fait. Selon les motifs de la minorité, il n’y avait pas de droit à cet égard parce que le législateur voulait, en soustrayant la possibilité que les questions de fait puissent faire l’objet d’un appel, mettre les conclusions de fait à l’abri d’un appel ou d’un contrôle. Les juges majoritaires (sur cette question) ont conclu que l’interdiction complète de tout contrôle judiciaire ne serait pas conforme au principe de la primauté du droit, citant les arrêts de la Cour suprême Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et Vavilov (voir Best Buy, par. 112). Par conséquent, la question de la capacité de Bell à présenter sa demande de contrôle judiciaire, même si elle ne peut le faire qu’en invoquant des moyens limités, a été tranchée en sa faveur.

B. La décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la plainte de préférence indue tranchaient-elles la même question?

[59] Puisque cette question porte sur les motifs que le Conseil a exposés dans la décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la plainte de préférence indue, il sera utile de revoir brièvement les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov au sujet des motifs écrits d’une décision administrative.

[60] Ces indications de la Cour suprême se trouvent aux paragraphes 91 à 95 de ses motifs. La Cour suprême a commencé par rappeler aux cours de révision que les motifs écrits d’une décision administrative ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Les décideurs administratifs ne recourent pas nécessairement aux mêmes techniques juridiques que les tribunaux judiciaires. Les concepts et le vocabulaire qu’ils emploient sont souvent propres à leur champ d’expertise et d’expérience et à leur cadre institutionnel, ce qui peut influer tant sur la forme que sur la teneur de leurs motifs.

[61] La Cour suprême a insisté sur le fait que les décideurs mettent à profit leur expertise, comme en témoignent leurs motifs. Se montrer attentif à l’expertise dont fait preuve un tribunal administratif peut révéler à la cour de révision que des conclusions (ou un raisonnement) qui sont déroutantes ou contre-intuitives à première vue peuvent néanmoins être conformes aux buts et aux réalités pratiques du régime administratif pertinent. Lorsqu’établies, cette expérience et cette expertise peuvent elles aussi expliquer pourquoi l’analyse d’une question donnée est moins étoffée qu’elle ne l’aurait été dans une décision judiciaire.

[62] La Cour suprême a ensuite rappelé aux cours de révision que les motifs du décideur doivent être appréciés à la lumière du contexte dans lequel ils ont été rendus. Les considérations pertinentes comprennent les éléments de preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices de l’office fédéral accessibles au public dont a tenu compte le décideur, ainsi que les décisions antérieures de l’office fédéral. Ce contexte peut éclairer certains aspects du raisonnement du décideur qui ne ressortent pas à l’évidence des motifs eux-mêmes; il peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune dans les motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence. D’autres éléments peuvent éclairer les motifs du décideur, notamment le fait que les parties adverses ont pu faire des concessions pour que certaines questions ne soient pas en litige ou le fait que le décideur a suivi une jurisprudence administrative bien établie qui n’a pas été contestée au cours de l’instance. Le fait qu’un décideur ait adopté une interprétation énoncée dans la politique d’interprétation publiée par l’organisme administratif dont il fait partie est également pertinent lorsqu’il s’agit de juger la qualité de la décision du décideur.

[63] En résumé, il ne faut pas interpréter les décisions du Conseil sans tenir compte des lignes directrices en matière de procédure et de pratique auxquelles celui-ci est tenu. Il est également important de noter que les parties qui se retrouvent devant le Conseil sont souvent bien informées, comme Bell et Québecor, et connaissent très bien ses politiques et ses procédures. En l’espèce, le Conseil dispose du bulletin de radiodiffusion et de télécommunications CRTC 2013-637, qui traite des « Pratiques et procédures concernant la médiation assistée par le personnel, l’arbitrage de l’offre finale et les audiences accélérées ». De même, le Code sur la vente en gros présente les facteurs qui aident à déterminer la juste valeur marchande d’un service. Ces documents éclairent l’analyse du Conseil. La conclusion à tirer des observations de la Cour suprême sur les motifs des tribunaux administratifs est qu’ils ne doivent pas être interprétés comme si chacune des considérations pertinentes devait être examinée de près dans la décision même.

[64] Plus particulièrement, le Conseil n’a pas à expliquer aux parties ce qu’elles savent déjà. C’est pourquoi les décisions du Conseil en l’espèce étaient brèves. Les motifs du Conseil reflètent le fait qu’ils ont été rédigés à l’intention de parties bien informées qui ont accès à sa documentation concernant les questions de procédure et de fond.

[65] Cela dit, la question soulevée par Bell est de savoir si la décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la plainte de préférence indue tranchent la même question. Comme nous l’avons fait observer plus haut, Bell a soulevé cette question auprès du Conseil dans l’instance sur la plainte de préférence indue. En réponse à la plainte de Québecor, Bell a fait valoir ce qui suit sans ses observations finales à l’égard de cette question :

[traduction]

Indépendamment de nos remarques sur le bien-fondé de l’allégation de préférence indue [de Québecor], nous sommes d’avis que les questions qu’elle soulève dans la présente demande ont déjà été tranchées par le Conseil. En effet, la présente demande est une tentative à peine déguisée de faire annuler les décisions d’arbitrage de l’offre finale du Conseil et de réaliser l’objectif qu’elle n’a pu atteindre à l’aide des processus d’arbitrage de l’offre finale. Il s’agit également d’une tentative d’infirmer la décision de la Cour d’appel fédérale de rejeter la demande d’autorisation d’appel [de Québecor].

Plus précisément, dans [la décision d’arbitrage de 2018], le Conseil a examiné le taux de pénétration de TVA Sports et il a conclu que les tarifs proposés par Bell TV étaient raisonnables. À cet égard, nous réitérons que c’est TVA Sports qui a exigé un modèle de tarif de gros fixe dans les modalités de l’arbitrage de l’offre finale, en étant pleinement consciente de la façon dont Bell TV avait procédé à la combinaison de TVA Sports. Cette question a été examinée par le Conseil, qui a conclu qu’elle ne constituait pas une question fondamentale.

Plus particulièrement, le Conseil a examiné les offres finales des parties en se fondant sur les facteurs clés suivants relatifs à la juste valeur marchande :

- l’évolution des tarifs dans le temps;

- le taux de pénétration, les remises sur la quantité et l’assemblage du service;

- les tarifs payés par les EDR non liées pour le service de programmation;

- les tarifs payés pour des services de programmation de valeur semblable aux yeux des consommateurs, en tenant compte des cotes d’écoute.

Par conséquent, le Conseil a examiné la question précise au cœur du différend en l’espèce et a rendu une décision définitive et exécutoire en faveur de Bell.

Dossier de demande, p. 245 et 246 [caractères gras dans l’original].

[66] Le Conseil a répondu à cette observation de Bell ainsi :

Le Conseil estime que [Bell] confond les analyses effectuées lors d’un arbitrage de l’offre finale et celles effectuées lors d’une plainte portant sur une préférence indue. Le Conseil examine des facteurs distincts dans le cadre de chaque processus, et ceux-ci ne sont pas comparables. L’analyse d’un arbitrage de l’offre finale est réalisée en fonction d’éléments en matière de juste valeur marchande qui sont pertinents pour le dossier en arbitrage. Il n’existe généralement pas de critères semblables lors d’analyses d’allégations de préférence ou de désavantage indus. Ainsi, dans le cadre de l’arbitrage de l’offre finale mentionné par [Bell], l’assemblage n’était pas un élément sur lequel le Conseil s’est penché, alors qu’il constitue l’enjeu principal dans le cas présent.

Décision sur la plainte de préférence indue, par. 31.

[67] Lorsqu’on examine la thèse que Bell a présentée au Conseil, on constate que Bell interprète la décision d’arbitrage de 2018 comme établissant que, puisque le Conseil a estimé que l’offre tarifaire de Bell était raisonnable, il a également conclu que les assemblages de Bell incluant TVA Sports étaient équitables, et donc qu’elle n’a pas désavantagé indûment TVA Sports. Le Conseil a répondu en réfutant l’affirmation de Bell selon laquelle il avait statué sur la question du caractère équitable de l’assemblage de Bell en soulignant que l’arbitrage portait sur la juste valeur marchande, ce qui n’était pas le cas de la plainte de préférence indue. Dans son analyse de la plainte de Québecor, le Conseil a structuré son analyse autour de trois questions :

  • Les services sont-ils comparables? Le Conseil a conclu qu’ils l’étaient.

  • Le traitement des services est-il différent? Le Conseil a conclu qu’il l’était.

  • La préférence et le désavantage sont-ils indus? Le Conseil a conclu qu’ils l’étaient.

[68] Ces questions ne sont pas de la même nature que celles examinées dans les analyses de la juste valeur marchande effectuées lors des processus d’arbitrage de l’offre finale.

[69] Les arbitrages de l’offre finale menés par le Conseil sont effectués conformément au Bulletin de radiodiffusion et de télécommunication CRTC 2013-637. Le bulletin prévoit que l’arbitrage de l’offre finale ne peut être utilisé que pour les différends de nature exclusivement pécuniaire. Les parties doivent informer le Conseil des questions sur lesquelles une décision est requise. Si le Conseil accueille la demande d’arbitrage de l’offre finale, il informe les parties des questions qu’il examinera. Les observations présentées au Conseil par les parties en vue de l’arbitrage doivent porter sur les questions que le Conseil tranchera.

[70] Lorsque le Conseil a accepté la demande d’arbitrage de l’offre finale ayant mené à la décision d’arbitrage de 2018, il a avisé les parties qu’il prendrait une décision sur « le tarif pour la distribution linéaire des services de TVA Sports par Bell dans le marché francophone » : décision d’arbitrage de 2018, par. 3.

[71] Dans sa décision, le Conseil a écrit ce qui suit :

Compte tenu des facteurs examinés à l’égard de la juste valeur marchande et des objectifs de politique publique pertinents et en tenant compte de leur valeur probante, le Conseil conclut que la preuve n’appuie pas l’augmentation proposée par Québecor. Par conséquent, conformément aux articles 3(1)i)(i) et 3(1)t)(iii) de la Loi, et en vertu de l’article 12(9) du Règlement et du paragraphe 25 du Bulletin, le Conseil choisit l’offre de Bell.

Décision d’arbitrage de 2018, par. 36 [caractères gras dans l’original].

[72] Il ressort clairement du bulletin et du texte même de la décision d’arbitrage de 2018 qu’il s’agissait d’une décision tarifaire. La question portait sur le tarif que Bell aurait à payer à Québecor pour distribuer TVA Sports (« le tarif pour la distribution linéaire des services de TVA Sports par Bell »). C’était la question au sujet de laquelle les parties devaient présenter des observations. Le choix d’une offre par rapport à une autre se fait sur le fondement de certains facteurs applicables relatifs à la juste valeur marchande. Le Conseil a tranché la question en choisissant l’offre finale de Bell plutôt que l’offre de Québecor, au motif que les éléments de preuve n’étayaient pas l’augmentation de tarif proposée par Québecor.

[73] Par contre, la question dans la plainte de préférence indue était de savoir si Bell avait abusé de sa position de distributeur de services de programmation en s’accordant (plus précisément, en accordant à son EP) une préférence indue aux dépens d’une autre EP. Le Conseil a énoncé les critères qu’il utiliserait dans son analyse, laquelle portait essentiellement sur les similitudes entre RDS (le service de Bell) et TVA Sports (le service de Québecor) et le traitement des deux par Bell. Le traitement en question était l’assemblage visant TVA Sports par rapport à celle visant RDS. En fin de compte, le Conseil a conclu que Bell avait indûment désavantagé TVA Sports et a ordonné à Bell qu’elle « remédi[e] à la situation et inclu[e] TVA Sports dans la même offre de programmation que son service RDS, et fass[e] état au Conseil [...] d’une nouvelle structure d’assemblage qui ne désavantagera pas indûment TVA Sports ou ne favorisera pas indûment RDS » : décision sur la plainte de préférence indue, par. 62. Même si la conclusion du Conseil sur la préférence indue peut avoir des répercussions sur le tarif payable à Québecor (« une nouvelle structure d’assemblage qui ne désavantagera pas indûment TVA Sports »), cela ne fait pas de sa décision une décision tarifaire.

[74] Il est vrai que le Conseil a déclaré dans la décision d’arbitrage de 2018 qu’il avait « examiné les offres finales [au] regard des facteurs déterminant la juste valeur marchande applicables dans le cas présent », qui comprenaient l’assemblage : décision d’arbitrage de 2018, par. 25. Mais il est également vrai qu’au paragraphe 27 de cette même décision, le Conseil a écrit qu’il avait conclu que les « tarifs historiques, les tendances d’écoute et les dépenses de programmation, ainsi que les tarifs payés pour des services de valeur semblable aux yeux des consommateurs, sont des facteurs qui ont une plus grande valeur probante pour déterminer la valeur du service ». Enfin, il est également vrai qu’il n’y avait pas d’autre mention de l’assemblage dans l’analyse du Conseil sur la question de savoir laquelle des deux offres qui lui avaient été présentées était la plus raisonnable. Dans les circonstances, le Conseil n’a pas eu tort de dire dans la décision sur la plainte de préférence indue que l’assemblage n’avait pas été examinée dans la décision d’arbitrage de 2018. Il en a été fait mention, mais elle n’a pas été examinée, en ce sens qu’elle ne constituait pas un élément du raisonnement suivi par le Conseil.

[75] Par conséquent, la question de savoir si le Conseil a examiné ou non l’assemblage dans la décision d’arbitrage de 2018 n’aide pas Bell à démontrer que la décision sur la préférence indue tranchait la même question.

[76] Il ressort des décisions elles-mêmes et du contexte dans lequel elles ont été rendues qu’elles portent sur deux questions différentes.

[77] L’erreur qui sous-tend la plainte de Bell est que cette dernière considère que la sélection d’une offre quant au tarif à payer pour un service (sur la base de facteurs relatifs à la juste valeur marchande) équivaut à l’assemblage équitable ou raisonnable de ce service. Bell tire cette conclusion en s’appuyant sur son opinion voulant que le Conseil ait examiné les mêmes facteurs, dans la décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la plainte de préférence indue, ce qui n’est pas le cas. Même si on supposait que les mêmes facteurs avaient été examinés dans les deux affaires, il ne s’ensuivrait pas que la même question aurait été tranchée dans les deux décisions. Le propriétaire d’une maison peut utiliser des bandelettes réactives pour tester l’eau de la piscine dans la cour et celle du robinet dans la cuisine. Les mêmes facteurs sont pris en considération dans les deux cas (pH, alcalinité, chloration), mais il ne s’ensuit pas que l’eau de la piscine est potable ou que l’eau du robinet est sécuritaire pour la baignade. La question n’est pas de savoir si les mêmes facteurs ont été examinés, mais de savoir pour quelles raisons ils ont été examinés.

[78] L’erreur de Bell est manifeste au paragraphe 87 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

Pour les raisons déjà présentées, il est clair que le caractère équitable et raisonnable de la combinaison de TVA Sports faite par Bell par rapport à RDS a été expressément examiné par le CRTC dans la décision d’arbitrage de 2018. Toutefois, même si ce n’était pas le cas, le CRTC s’est nécessairement et implicitement prononcé lorsqu’il a approuvé l’offre finale de Bell, qui proposait un forfait basé sur sa combinaison actuelle de TVA Sports qui n’inclut aucun ajustement pour corriger la différence dans la façon dont RDS a été combiné (p. ex. pour le taux de pénétration chez les abonnés ou les remises sur volume).

[79] La position de Bell est en contradiction avec le raisonnement du Conseil qui a mené au choix de l’offre de Bell, à savoir que « la preuve n’appuie pas l’augmentation proposée par Québecor » : décision d’arbitrage de 2018, par. 36.

[80] Par conséquent, Bell soutient erronément que le Conseil a implicitement statué sur le caractère équitable et raisonnable de l’assemblage de TVA Sports par Bell en approuvant l’offre finale de Bell. Que le Conseil ait retenu l’offre de Bell signifie simplement qu’il l’a jugée plus raisonnable que celle de Québecor, compte tenu des facteurs relatifs à la juste valeur marchande pris en considération. Le choix d’une offre par le Conseil n’est pas fondé sur une comparaison entre cette offre et la juste valeur marchande d’un service, qui aurait été déterminée par ailleurs. Le choix est fondé sur une comparaison de deux offres, qui ni l’une ni l’autre ne peut être considérée comme reflétant la juste valeur marchande d’un service puisqu’il est dans l’intérêt de l’EDR de sous-évaluer le service tout comme il est dans l’intérêt de l’EP de le surévaluer.

[81] Par conséquent, le fait que le Conseil ait choisi l’offre de Bell n’a en rien tranché la question du caractère approprié de l’assemblage de Bell, ni ne pouvait le faire. Le Conseil devait se limiter à trancher la question pécuniaire précise que les parties lui avaient posée et qu’il avait accepté d’entendre.

[82] En conséquence, je conclus que le Conseil n’a pas tranché la même question dans la décision d’arbitrage de 2018 et dans la décision sur la plainte de préférence indue. Dans la première, le Conseil a sélectionné une des deux offres quant au tarif à payer par Bell, tandis que, dans l’autre, il a conclu que l’assemblage de TVA Sports faite par Bell a entraîné un désavantage indu pour TVA Sports. Ces questions sont différentes.

C. Si oui, le Conseil a-t-il commis une erreur en n’appliquant pas les règles de droit qui visent à empêcher le réexamen de questions déjà tranchées entre les mêmes parties?

[83] Comme j’estime que la décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la préférence indue ne tranchaient pas la même question, il en découle que les questions soulevées par Bell quant aux contraintes juridiques ne s’appliquent pas. Plus précisément, les dispositions légales et les règles de droit visant à assurer le caractère définitif des décisions, c’est-à-dire le paragraphe 31(1) de la Loi sur la radiodiffusion et les règles relatives aux attaques indirectes, à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et à l’abus de procédure pour remise en cause, ne s’appliquent pas à la décision du Conseil d’entendre la plainte de préférence indue de Québecor puisque la plainte ne visait pas la remise en cause d’une question que le Conseil avait tranchée dans sa décision d’arbitrage de 2018.

[84] Étant donné que ces règles ne s’appliquent pas, je n’ai pas à décider si Bell pourrait les invoquer dans le cadre de la présente demande puisque son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire est limité. Je tiens toutefois à rappeler que Bell ne peut pas se soustraire à son obligation de ne pas outrepasser les limites de son droit à un contrôle judiciaire simplement en présentant des questions de droit sous les apparences de contraintes juridiques. Nulle part dans sa discussion des contraintes juridiques Bell ne tente de démontrer que les questions qu’elle soulève ne sont pas des questions de droit, mais des questions mixtes de fait et de droit.

D. Le Conseil a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des contraintes factuelles qui limitent l’exercice de son pouvoir délégué?

[85] Bell soutient que le Conseil a fait fi des éléments de preuve qui lui avaient été présentés et qu’il n’a pratiquement pas tenu compte de l’argument de Bell selon lequel il avait déjà tranché la question en litige dans la plainte de préférence indue.

[86] Je me suis prononcé plus haut sur l’argument de Bell concernant le caractère définitif des décisions et de la réponse du Conseil. La réponse est peut-être plus laconique que ce que Bell aurait souhaité, mais elle répond à l’argument de Bell et elle n’est pas déraisonnable. Le Conseil a simplement souligné que des critères différents s’appliquaient dans les deux instances et que ces critères n’étaient pas comparables. Manifestement il faut en déduire que différentes questions ont été tranchées. Il n’y a rien de déraisonnable dans la manière dont le Conseil a examiné les observations de Bell.

[87] Bell porte à notre attention les observations de Québecor dont le Conseil disposait dans la décision d’arbitrage de 2018 et soutient que Québecor a concédé que [traduction] « tout désavantage indu ou toute préférence indue sera réglé lors de l’audience pour la décision d’arbitrage 2018 » : mémoire des faits et du droit de Bell, par. 74. En tout respect, il s’agit d’une déformation flagrante de la position de Québecor, qui a affirmé que l’acceptation de son offre résoudrait tout désavantage découlant de l’assemblage de TVA Sports faite par Bell. Puisque l’offre de Québecor n’a pas été retenue, les désavantages sont demeurés non résolus.

[88] Les passages des observations de Québecor sur lesquels Bell s’appuie constituaient une réponse à la position que le Conseil a exposée dans la décision d’arbitrage de 2015. Dans cette décision, le Conseil a souligné les difficultés que présentait l’offre de Québecor. Il y a notamment écrit ce qui suit, au paragraphe 35 :

Par ailleurs, en ce qui concerne les objectifs de politique publique à l’égard de la souplesse d’assemblage et du choix des consommateurs, le Conseil estime que l’offre de Québecor pourrait limiter la capacité de Bell de continuer à offrir TVA Sports à ses abonnés selon son modèle de distribution actuel (forfaits pré-assemblés/sur mesure) et, ainsi, d’offrir un maximum de choix aux consommateurs. Selon l’offre de Québecor, afin de se prévaloir du même tarif que Vidéotron dans la distribution de TVA Sports, Bell devrait soit distribuer le service sur son service de base et augmenter la pénétration de façon importante, ou encore augmenter son volume d’abonnés dans le marché desservi, ce qui pourrait s’avérer difficile, voire impossible. Si un tel taux de pénétration ou un tel volume d’abonné ne sont pas atteints, l’augmentation du tarif qui en découlerait pourrait exercer une pression accrue sur les tarifs au détail des forfaits comprenant TVA Sports.

[89] Dans les arguments qu’elle a présentés lors de l’arbitrage de l’offre finale de 2018, Québecor a soutenu qu’elle avait examiné les observations du Conseil et qu’elle les avait prises au sérieux.

7 - Il est important de noter que l’offre finale de TVA Sports s’inspire grandement des déterminations de la Décision [de 2015] et applique ces enseignements à la lettre.

[…]

9- Deuxièmement, en ce qui concerne le taux de pénétration, les remises sur la quantité et les tarifs payés par les EDR non liées pour le service de programmation, nous expliquerons comment notre offre finale tient compte de la taille de Bell, du taux de pénétration, de la forfaitisation et du volume d’abonnés de TVA Sports, et la façon dont l’offre de TVA Sports favorise Bell au niveau du nombre d’abonnés et des marchés desservis.

[…]

11- Quatrièmement, en ce qui concerne les objectifs de politique publique à l’égard de la souplesse d’assemblage et du choix des consommateurs, l’offre de TVA Sports ne limite aucunement la capacité de Bell de continuer à offrir TVA Sports à ses abonnés selon son modèle de distribution actuel (forfaits préassemblés/sur mesure) et, ainsi, d’offrir un maximum de choix aux consommateurs. Bien au contraire, Bell n’aura pas besoin d’augmenter le taux de pénétration du service ou de déplacer TVA Sports dans un autre forfait afin de jouir du tarif préférentiel accordé dans notre offre finale. En effet, malgré un très bas taux de pénétration et un volume d’abonnés de moitié moindre par rapport à son plus proche compétiteur, #Confidentiel#Confidentiel#Confidentiel# … #Confidentiel#. Par conséquent, ces tarifs n’exerceront pas de pression accrue sur les tarifs au détail des forfaits comprenant TVA Sports.

Mémoire de Groupe TVA inc. – Arbitrage de l’offre finale

Dossier de la demanderesse aux pages 157-158

[90] Il ressort clairement de ces passages et d’autres que Québecor a demandé une décision d’arbitrage définitive en 2018 parce qu’elle était convaincue qu’elle avait fait une offre qui répondait à toutes les questions énoncées par le Conseil dans la décision d’arbitrage de 2015. Québecor n’a jamais affirmé que l’arbitrage de l’offre finale de 2018 résoudrait toute allégation de préférence indue, quel que soit le résultat. Québecor a fait valoir que l’acceptation de son offre résoudrait les questions qu’elle avait soulevées au sujet de l’assemblage. Mais, comme nous l’avons noté plus haut, le Conseil n’a pas accepté l’offre de Québecor parce que les éléments de preuve ne l’appuyaient pas.

[91] Par conséquent, les contraintes factuelles relevées par Bell n’en étaient pas réellement. Le Conseil a tenu raisonnablement compte des préoccupations de Bell dans sa décision.

VI. Conclusion

[92] Étant donné que la décision d’arbitrage de 2018 et la décision sur la plainte de préférence indue ne tranchaient pas la même question, que les contraintes juridiques invoquées par Bell ne s’appliquent pas dans les circonstances et que les contraintes factuelles sur lesquelles Bell s’appuie ne constituaient pas réellement des contraintes auxquelles le processus décisionnel du Conseil était assujetti, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire et j’adjugerais les dépens aux sociétés défenderesses.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-22-20

 

 

INTITULÉ :

BCE Inc. et al. c. QUÉBECOR MÉDIA INC. et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

le 7 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Steven Mason

Isabelle Vendette

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Neil A. Peden

 

POUR LES DÉFENDEURS

QUÉBECOR MÉDIA INC. et GROUPE TVA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Woods S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

QUÉBECOR MÉDIA INC. et GROUPE TVA INC.

 

 

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