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Date : 20220916


Dossier : A-88-21

Référence : 2022 CAF 157

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DAVID SIBBALD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LYNNE SIBBALD

défendeurs

Audience par vidéoconférence organisée par le greffe

tenue le 8 septembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 16 septembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20220916


Dossier : A-88-21

Référence : 2022 CAF 157

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DAVID SIBBALD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LYNNE SIBBALD

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. Introduction

[1] Le demandeur, M. David Sibbald, présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision LS c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et DS, 2021 TSS 75, rendue par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel). La division d’appel a infirmé la décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale), intitulée DS c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et LS, 2020 TSS 821, en attribuant la prestation d’enfant de cotisant invalide (la prestation) payable aux termes de l’alinéa 44(1)e) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, c. C-8 (le RPC), à l’ex-conjointe de M. Sibbald, Mme Lynne Sibbald.

II. Exposé des faits

[2] La prestation en litige en l’espèce est une prestation mensuelle à taux fixe payable à l’enfant d’une personne recevant une prestation d’invalidité du RPC. C’est l’enfant et non le parent qui en est le bénéficiaire. Cependant, la prestation ne peut être payée directement à un enfant de moins de 18 ans.

[3] L’enfant dont il est question avait moins de 18 ans durant la période en cause. La séparation physique des parents a eu lieu en décembre 2017 lorsque la mère, Mme Sibbald, a quitté le domicile familial. L’enfant a continué à demeurer à temps plein au domicile familial avec son père, M. Sibbald, à la suite du départ de sa mère. Avant la séparation, lorsque l’unité familiale était intacte, c’est Mme Sibbald qui touchait la prestation au bénéfice de l’enfant puisque c’est elle qui est le cotisant invalide.

[4] L’article 75 du RPC s’applique aux situations dans lesquelles une prestation est payable à l’enfant d’un cotisant invalide et l’enfant n’a pas encore 18 ans. Lorsque l’enfant ne vit pas avec le cotisant invalide, l’article prévoit que le paiement doit être fait à la personne qui a la garde et la surveillance de l’enfant. Les termes « la garde et la surveillance » ne sont pas définis dans le texte du RPC.

[5] En l’espèce, après la séparation physique des parties, la question à trancher était celle de déterminer quel parent devait recevoir la prestation au bénéfice de l’enfant, c’est-à-dire le parent ayant la garde et la surveillance de l’enfant.

[6] Après la séparation, en novembre 2018, Mme Sibbald a informé le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) par téléphone que l’enfant vivait avec le père qui en avait la garde et la surveillance.

[7] En décembre 2018, M. Sibbald a demandé de recevoir la prestation au bénéfice de l’enfant et le ministre a accueilli la demande de paiements commençant en décembre 2018.

[8] M. Sibbald a demandé au ministre d’examiner à nouveau sa décision afin que le paiement de la prestation commence rétroactivement en janvier 2018 pour correspondre à la période pendant laquelle l’enfant demeurait uniquement avec son père.

[9] Le 17 mai 2019, Mme Sibbald a rempli un questionnaire fourni par le ministre et a répondu « oui » à la question [traduction] « Le père a-t-il la garde et la surveillance [de l’enfant] à temps plein? » Dans le même questionnaire, elle a indiqué avoir quitté le domicile familial en décembre 2017 et a déclaré : [traduction] « [l’enfant] vit avec son père 100 % du temps et on se voit quand c’est possible » (dossier du défendeur, volume I, p. 313).

[10] Le 30 mai 2019, le ministre a écrit à M. Sibbald et, le 31 mai 2019, il a écrit à Mme Sibbald pour lui fournir la décision après nouvel examen.

[11] Lors de ce nouvel examen de la décision, le ministre est revenu sur sa position suivant les termes de la politique de paiement relative à la prestation d’enfant de cotisant invalide du Régime des pensions du Canada (la politique) établie en août 2018, laquelle détermine que la prestation devait être versée à Mme Sibbald, celle-ci étant le cotisant invalide. Selon la nouvelle position du ministre, il résulte de l’application de la politique dans le cas d’un enfant de moins de 18 ans qui ne vit pas avec le cotisant invalide que la prestation doit être payée au cotisant invalide dans la mesure où celui-ci [traduction] « entretient une relation avec l’enfant, même à un degré minime » (dossier du défendeur, volume 1, p. 324).

[12] M. Sibbald a interjeté appel de la décision du ministre devant la division générale.

[13] La division générale a tenu une audience par téléconférence et entendu le témoignage des deux parents. Elle a également examiné la documentation présentée par les parents, notamment le questionnaire rempli par Mme Sibbald et les extraits de l’enregistrement téléphonique des déclarations de Mme Sibbald au ministre en novembre 2018, dans lesquels Mme Sibbald affirme ne pas être le principal fournisseur de soins de l’enfant depuis son départ du domicile familial.

[14] Témoignant devant la division générale, M. Sibbald a affirmé que l’enfant vivait avec lui à plein temps et qu’il n’avait jamais passé une nuit chez Mme Sibbald depuis qu’elle avait quitté le domicile familial. La division générale a entendu que M. Sibbald offrait à l’enfant l’usage de sa voiture et organisait le transport pour les activités parascolaires. M. Sibbald a indiqué qu’il avait la responsabilité financière de la nourriture, du logement et de tous les besoins de l’enfant au quotidien. C’est lui également qui amenait l’enfant à ses rendez-vous médicaux et dentaires. S’ajoutent au témoignage de M. Sibbald les lettres du dentiste, du médecin et de l’école de l’enfant qui sont au dossier et qui confirment que M. Sibbald est bien la personne ressource de l’enfant et que l’adresse de l’enfant est celle du domicile familial. Pour terminer, M. Sibbald a déclaré n’avoir reçu aucun soutien financier de Mme Sibbald pour l’enfant.

[15] Dans son témoignage devant la division générale, Mme Sibbald a dit qu’elle parlait souvent à l’enfant et qu’elle le voyait lorsqu’il avait du temps libre à passer avec elle. Elle a affirmé qu’elle ne signait aucun formulaire pour l’enfant.

[16] La division générale a estimé qu’elle n’était pas liée par la politique, mais bien par l’article 75 du RPC.

[17] La division générale a examiné tous les éléments de preuve pour conclure selon la prépondérance des probabilités que M. Sibbald avait « la garde et la surveillance » de l’enfant, en conformité avec l’article 75 du RPC, et lui a accordé le paiement de la prestation au bénéfice de l’enfant à compter de janvier 2018.

III. Décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale

[18] Mme Sibbald a présenté par courriel une demande informelle à la division d’appel pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale au motif que cette décision était fondée sur une conclusion de fait erronée aux termes de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005. c. 34 (la Loi sur le MEDS). La division d’appel a autorisé l’appel pour ce motif.

[19] À l’audience, la division d’appel n’a pas entendu de nouveaux témoignages, mais a pris en considération un nouveau document, l’ordonnance de la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario qui établit la pension alimentaire et les arrangements parentaux concernant l’enfant. La division d’appel a également pris en considération les documents déposés auprès de la division générale et a écouté les enregistrements sonores et les observations orales présentées par les parties à la division générale.

[20] Pour parvenir à sa décision, la division d’appel a tiré les conclusions suivantes.

[21] D’abord, la division d’appel a conclu qu’elle pouvait prendre en considération l’ordonnance même s’il s’agissait d’un nouvel élément de preuve puisque cette ordonnance confirmait la preuve orale des deux parties et n’était pas contestée. Plus précisément, la division d’appel a conclu que les parties avaient la garde conjointe de l’enfant (décision de la division d’appel au para. 20).

[22] Par la suite, la division d’appel a estimé que la division générale avait commis une erreur en concluant que Mme Sibbald ne voyait pas l’enfant régulièrement après la séparation puisque Mme Sibbald a dit dans son témoignage que, dernièrement, elle voyait l’enfant régulièrement lorsqu’elle allait prendre un café avec lui et promener son chien (décision de la division d’appel au para. 21).

[23] Ensuite, la division d’appel a conclu que la division générale avait eu tort d’affirmer de manière générale que Mme Sibbald ne savait pas ce qui se passait dans la vie de l’enfant. Se référant au témoignage de Mme Sibbald, la division d’appel a indiqué que Mme Sibbald aidait l’enfant à prendre des décisions, par exemple, quand l’enfant lui a téléphoné lorsqu’il a été mêlé à une situation où une intervention policière avait été demandée (décision de la division d’appel aux para. 22– 23).

[24] Selon la division d’appel, ces « erreurs de fait » étaient des exemples appuyant la position juridique de la mère, à savoir qu’elle était impliquée dans les soins et la prise de décision concernant l’enfant (décision de la division d’appel au para. 24).

[25] Pour ces motifs, la division d’appel a conclu que la conclusion de fait de la division générale voulant que le père ait la garde et la surveillance de l’enfant était erronée, cette conclusion laissant entendre que Mme Sibbald ne l’avait pas (décision de la division d’appel au para. 25).

[26] La division d’appel a accueilli l’appel. Elle a conclu que la division générale avait fondé sa décision sur une « erreur de fait importante ». La division d’appel a corrigé cette erreur en concluant que M. Sibbald et Mme Sibbald avaient tous les deux la garde et la surveillance de l’enfant durant la période en cause. Selon la division d’appel, par l’application de la loi, la prestation doit être payable à Mme Sibbald, qui est le cotisant invalide (décision de la division d’appel au para. 8).

IV. Rôle de la division d’appel et norme de contrôle

[27] Le rôle de la division d’appel est limité par le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. « Celle-ci [la division d’appel] ne peut intervenir que si la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle a commis une erreur de droit ou qu’elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. Elle ne peut pas intervenir pour la seule raison qu’elle aurait soupesé les éléments de preuve différemment. » : Uvaliyev c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 222, 338 A.C.W.S. (3d) 295 au para. 7.

[28] Lors d’un contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour est de déterminer si la décision de la division d’appel est raisonnable en tenant compte de ces limites : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S 653 aux para. 23, 83, 86 [Vavilov]; Stojanovic c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 6, 313 A.C.W.S. (3d) 563 au para. 34. Autrement dit, la question que notre Cour doit trancher est celle de savoir si la division d’appel pouvait raisonnablement conclure que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[29] Au paragraphe 41 de l’arrêt Walls v. Canada (Procureur général), 2022 CAF 47, 2022 A.C.W.S. 742, notre Cour a récemment clarifié la signification des termes de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS de la façon suivante :

[U]ne conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire est une conclusion qui contredit carrément les éléments de preuve ou qui n’est pas étayée par ces derniers [...] [L]e critère de « l’absurdité » a été interprété comme le fait d’« avoir sciemment statué à l’opposé de la preuve ». Le critère du « caractère arbitraire » ou de la constatation des faits sans tenir compte des éléments de preuve comprendrait les circonstances « où la conclusion n’était rationnellement étayée d’aucun élément de preuve […] ou celles où le décideur a omis de tenir raisonnablement compte d’éléments de preuve importants qui étaient contraires à sa conclusion. »

[30] Compte tenu de la norme de contrôle et de l’application par la division d’appel des facteurs énoncés à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS, je suis d’avis que la décision de la division d’appel est déraisonnable pour les motifs suivants.

V. Analyse

A. Critère concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve

[31] À titre de question préliminaire, je vais aborder brièvement l’admissibilité du nouvel élément de preuve dont la division d’appel disposait.

[32] Une copie de l’ordonnance rendue le 16 juillet 2019 par la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a été déposée devant la division d’appel sans l’avoir été devant la division générale. Cette ordonnance nous indique que les parties ont la garde conjointe de l’enfant. Elle nous indique également que la résidence principale de l’enfant est celle de M. Sibbald et que Mme Sibbald doit avoir accès à l’enfant conformément aux points de vue et aux souhaits de l’enfant. De plus, l’ordonnance précise que Mme Sibbald n’est pas tenue de payer une pension alimentaire pour l’enfant en raison de son niveau de revenus et du fait que la prestation alimentaire matrimoniale au profit de l’épouse que doit payer M. Sibbald tient compte du fait qu’il soutient financièrement l’enfant.

[33] L’ordonnance avait été rendue un an avant l’audience devant la division générale. Le décideur administratif était au courant de l’existence de l’ordonnance en raison du témoignage des parties, mais aucune des parties n’avait présenté une copie de celle-ci. La division générale a fait savoir lors de l’audience qu’elle ne pouvait prendre en considération cette ordonnance si aucune partie ne la présentait en preuve, mais a informé les parties qu’elles pouvaient déposer l’ordonnance en preuve si elles le désiraient. Or, elles ne l’ont pas fait.

[34] La division d’appel a accepté l’ordonnance à titre de nouvel élément de preuve.

[35] Au paragraphe 13 de l’arrêt Gittens c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 256, 311 A.C.W.S. (3d) 211, notre Cour a reconnu que « les audiences devant la Division d’appel ne sont pas de nouvelles audiences fondées sur des éléments de preuve à jour par rapport à ceux dont disposait la Division générale. La Division d’appel procède au contrôle des décisions de la Division générale en utilisant les mêmes éléments de preuve. »

[36] Notre Cour a expliqué la règle générale concernant l’admissibilité des éléments de preuve lors d’un contrôle judiciaire au paragraphe 19 de l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297 [Access Copyright], que je cite :

[L]e dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission. En d’autres termes, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance de la Commission et qui ont trait au fond de l’affaire soumise à la Commission ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour.

[37] Dans l’arrêt Access Copyright, notre Cour a relevé trois exceptions, potentiellement non exhaustives, à cette règle générale : 1) les renseignements d’ordre général, 2) les vices de procédure portés à l’attention de la Cour, et 3) la mise en lumière d’une absence totale de preuve. La Cour a également souligné que « [c]es exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif » (Access Copyright au para. 20).

[38] Notre Cour s’est fondée sur l’arrêt Access Copyright en se prononçant dans l’arrêt Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, 288 A.C.W.S. (3d) 790 au paragraphe 9 [Sharma]. Cependant, dans l’arrêt Sharma, la question en litige était de savoir si notre Cour, et non pas la division d’appel, devait prendre en considération les nouveaux éléments de preuve.

[39] Lorsqu’elle détermine si elle doit accepter de nouveaux éléments de preuve, la division d’appel doit être guidée par les mêmes principes que ceux qui ont été indiqués dans l’arrêt Access Copyright. La division d’appel n’est pas le juge des faits. Ce rôle appartient à la division générale. Dans certaines circonstances, la division d’appel pourrait admettre un nouvel élément de preuve, notamment lorsque cet élément de preuve fournit des renseignements d’ordre général ou, peut-être de façon exceptionnelle, lorsque les deux parties acceptent de présenter un document important. Ce type de décision dépend de l’affaire en cause et doit être réservé à la division d’appel.

[40] Ce ne sont pas de nouveaux principes pour la division d’appel. Je sais que la division d’appel les a récemment appliqués à de nouveaux éléments de preuve (voir, par exemple, RK c. Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2020 TSS 1024; KD c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 631 et HZ c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 550).

[41] Dans le contrôle judiciaire dont nous sommes saisis, M. Sibbald ne convient pas que l’ordonnance devrait avoir été admise en preuve pour examen par la division d’appel. Il dit qu’il n’a pas eu l’occasion de fournir d’autres éléments de preuve concernant l’ordonnance, les arrangements parentaux et les arrangements en matière de pension alimentaire pour l’enfant. Il soutient également que le nouvel élément de preuve ne constitue pas des renseignements d’ordre général. Par conséquent, il fait valoir que l’autorisation de soumettre ce nouvel élément de preuve était injuste et préjudiciable à la position qu’il défend. Je suis d’accord.

[42] L’ordonnance examinée par la division d’appel n’entre pas dans le champ des exceptions au titre des renseignements d’ordre général et, par conséquent, elle n’aurait pas dû être admise comme élément de preuve.

B. La division d’appel a réévalué les éléments de preuve

[43] La division générale avait l’obligation d’appliquer l’article 75 du RPC à la question dont elle était saisie. Elle devait décider lequel des parents avait la garde et la surveillance de l’enfant, et recevrait par conséquent la prestation au bénéfice de l’enfant. À titre de juge des faits, la division générale devait prendre en considération les témoignages de vive voix, les documents et les observations des deux parties afin de décider quel parent avait la garde et la surveillance de l’enfant.

[44] J’ai examiné le dossier dont disposait la division générale. On ne peut affirmer que les erreurs relevées par la division d’appel aux paragraphes 22 à 24 ci-dessus étaient des constatations de faits qui allaient à l’encontre des éléments de preuve. La division générale a plutôt tiré ces constatations à partir des éléments de preuve portés à sa connaissance. En effet, les éléments de preuve étaient plus que suffisants pour en arriver raisonnablement à la conclusion que M. Sibbald avait la garde et la surveillance de l’enfant dès janvier 2018. Cela ressort de mon exposé, aux paragraphes 14 et 15 ci-dessus, concernant les témoignages et des éléments de preuve déposés par les parties.

[45] De même, la division générale n’a omis ni écarté aucun élément de preuve important. Elle a pris en considération comme il se doit tous les éléments de preuve, ceux de M. Sibbald comme ceux de Mme Sibbald, y compris les documents qu’ils ont déposés et leurs observations orales. La division générale a soupesé ces éléments de preuve tout en tenant compte de la signification du terme « garde », grâce à la définition de ce terme qui se dégage de la jurisprudence liée à la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.) : Abbott v. Abbott, 2001 BCSC 323, 89 B.C.L.R. (3d) 68. Elle a également pris en considération une décision de la Commission d’appel des pensions (CAP) qui était saisie d’une question semblable en matière de responsabilité parentale : Ministre du Développement des ressources humaines c. Warren (10 décembre 2001), CP 14995 (CAP). La division générale a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Sibbald avait la garde et la surveillance de l’enfant.

[46] Les arguments que Mme Sibbald a invoqués sur les constatations de fait de la division générale, que la division d’appel a acceptés, portent sur le poids à accorder aux éléments de preuve et plaident pour un nouvel examen de ces éléments. Lorsqu’elle rend sa décision, la division générale n’a pas l’obligation de mentionner chacun des éléments de preuve portés à sa connaissance, mais elle est réputée avoir examiné et pris en considération l’ensemble des éléments de preuve. La division générale a la tâche d’évaluer et d’apprécier les éléments de preuve. Elle peut accepter ou rejeter les assertions factuelles des parties selon qu’elle juge les éléments de preuve crédibles ou non, convaincants ou non. La division générale décide, selon la prépondérance des probabilités, si les éléments de preuve d’une partie la convainquent mieux que ceux de la partie opposée. Par la suite, elle présente par écrit des motifs qui énoncent les conclusions de fait qu’elle a tirées et la manière d’appliquer ces conclusions à la question juridique dont elle est saisie. C’est exactement ce que la division générale a fait en l’occurrence.

[47] En l’espèce, la division d’appel a tout simplement réévalué les éléments de preuve portés à la connaissance de la division générale, pris en considération un nouvel élément de preuve et substitué son point de vue sur la valeur probante des éléments de preuve à celui de la division générale. Ce n’est pas raisonnable.

C. La politique ne lie pas le tribunal

[48] J’aimerais ajouter quelques mots au sujet de la politique. C’est avec raison que la division générale a jugé qu’elle n’était pas liée par les politiques du ministre (décision de la division générale au para. 9). Cette politique ne peut avoir priorité sur le RPC.

[49] Selon les directives de cette politique, lorsqu’un enfant de moins de 18 ans ne vit pas avec le cotisant invalide, la prestation doit être payée au cotisant invalide dans la mesure où [traduction] « le cotisant invalide partage la garde de l’enfant, même à un degré minime ».

[50] La politique va à l’encontre de l’article 75 du RPC; l’article 75 n’emploie pas la formulation de garde « minime ». En fait, l’article 75 du RPC exige que le décideur fasse enquête pour déterminer la personne qui a la garde et la surveillance de l’enfant. Le décideur doit tirer des conclusions de fait à partir d’éléments de preuve documentaires et possiblement de preuve orale pour savoir qui a la garde et la surveillance de l’enfant.

[51] Au cours de ses plaidoiries devant notre Cour, M. Sibbald a cité deux décisions du Tribunal de la sécurité sociale pour appuyer ses arguments. Ces décisions ont été rendues après celle de la division d’appel faisant l’objet du contrôle (KM c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et MM, 2021 TSS 693 [KM], et MM c. KM et Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 575 [MM]). La décision KM est une décision rendue par la division générale et la décision MM est celle rendue par la division d’appel dans le même dossier. À mon avis, l’approche adoptée pour rendre ces deux décisions s’avère utile. Les deux décisions offrent une analyse raisonnable de la question de savoir quel parent devrait recevoir la prestation au bénéfice de l’enfant lorsque l’enfant est mineur et ne réside pas avec le cotisant invalide. Ces deux décisions sont bien motivées et bien écrites et elles appliquent raisonnablement l’article 75 du RPC.

VI. Conseils

[52] Tout en ayant conscience de mon rôle à titre de juge de révision et de la déférence que notre Cour doit avoir à l’égard des décideurs administratifs, je pense qu’il pourrait être utile d’offrir des conseils tant à la division générale, à titre de juge des faits et de décideur administratif, qu’à la division d’appel, le tribunal administratif chargé de déterminer s’il doit modifier la décision de la division générale.

[53] Le Règlement sur le Régime de pensions du Canada, C.R.C., c. 385 (le Règlement sur le RPC), précise le type de renseignements qui doivent être fournis au ministre, sur demande, par les demandeurs de prestation d’enfant de cotisant invalide. Le cotisant invalide doit fournir des éléments prouvant qu’il a la garde et la surveillance de l’enfant dans une proportion qui est plus que minime.

[54] Plus précisément, le Règlement sur le RPC offre une liste détaillée de renseignements et d’éléments de preuve que le demandeur de la prestation au bénéfice de l’enfant doit présenter au ministre. L’alinéa 52(i) du Règlement sur le RPC exige des renseignements concernant si l’enfant à la charge du cotisant invalide :

  1. est son enfant,

  2. est son enfant adopté légalement,

  3. était légalement ou de fait sous sa garde et sa surveillance,

  4. est sous la garde et la surveillance du cotisant invalide,

  5. vit ailleurs que chez le cotisant invalide,

  6. est ou était entretenu par le cotisant invalide.

[55] Cette liste n’est pas exhaustive. De plus, l’alinéa 52(n) du Règlement sur le RPC autorise le ministre à demander « tout document, déclaration ou pièce supplémentaire que possède ou pourrait obtenir le requérant [...] pour aider le ministre à vérifier l’exactitude des renseignements et des preuves mentionnés [à l’article 52 du Règlement sur le RPC] ».

[56] Lorsqu’un dossier chemine du ministre jusqu’à la division générale, il peut s’avérer utile pour la division générale, en tant que décideur administratif, de demander des documents supplémentaires au requérant. Il peut s’agir, par exemple, de copies de déclarations de revenus permettant de déterminer quelle personne déclare l’enfant à sa charge afin de toucher à l’allocation canadienne pour enfants. Avant tout, les ordonnances ou les ententes liées aux arrangements parentaux pour la garde et la pension alimentaire pour enfant devraient être fournis. Ces ordonnances ou ces ententes devraient faire partie de l’ensemble des éléments de preuve à évaluer, parallèlement aux éléments de preuve présentés par les parties, pour montrer qui élève effectivement l’enfant. Il arrive parfois que des événements aient rendu l’ordonnance ou l’entente obsolète ou que la situation de l’enfant ne soit plus la même. Il se peut, en fait, que les parties en soient arrivées à un type d’arrangement qui, avec le temps, diffère de celui de l’ordonnance ou de l’entente, surtout lorsque les enfants grandissent.

[57] Même s’ils ne sont pas de nature déterminante, ces documents devraient faire partie des éléments de preuve portés à la connaissance du décideur.

[58] Enfin, depuis le 1er mars 2021, le terme « garde » inscrit dans la Loi sur le divorce a été remplacé par l’expression « responsabilités décisionnelles ». L’expression « responsabilités décisionnelles » s’entend de la responsabilité de la prise des décisions importantes sur la façon d’élever l’enfant et de s’occuper de lui. Les décisions en matière d’éducation, de soins médicaux, de religion et d’inscription à des activités parascolaires sont des exemples de décisions importantes touchant un enfant. L’expression « droit d’accès » a été remplacée par « temps parental ». Les « ordonnances parentales » remplacent dorénavant les ordonnances concernant la garde et l’accès aux termes de la Loi sur le divorce. Malgré d’importantes modifications apportées à la Loi sur le divorce en 2021, les ordonnances qui utilisent les termes « garde » et « accès » demeurent en vigueur, par exemple, les ordonnances antérieures aux modifications récentes et celles qui sont rendues en application d’une loi provinciale. En dépit de ces modifications, le RPC contient toujours les termes « la garde et la surveillance ».

VII. Conclusion

[59] Il était déraisonnable que la division d’appel intervienne dans les conclusions de faits de la division générale en l’espèce. Il était déraisonnable que la division d’appel prenne en considération de nouveaux éléments de preuve, réévalue les éléments de preuve dont disposait la division générale et substitue ses conclusions à celles de la division générale. Ce n’est pas le rôle de la division d’appel.

VIII. Recours

[60] Pour ces motifs, j’accueillerais la demande, sans dépens, et j’annulerais la décision de la division d’appel.

[61] À mon avis, le renvoi de l’affaire devant la division d’appel pour nouvelle détermination ne ferait que retarder le paiement de prestations dont l’enfant, qui est maintenant âgé de plus de 18 ans, devrait être bénéficiaire. Il est vrai que les tribunaux devraient généralement respecter l’intention du Parlement de confier les questions à des décideurs administratifs : Vavilov au para. 142. Cependant, l’affaire dont notre Cour est saisie se limitait à une question de fait en application de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS, et la division générale a eu la possibilité d’entendre les parties et d’apprécier les éléments de preuve. Vu les retards encourus et dans un souci d’équité envers l’enfant en question, j’exercerais mon pouvoir discrétionnaire pour refuser de renvoyer l’affaire à la division d’appel pour une nouvelle détermination et pour maintenir en vigueur la décision de la division générale : Blue c. Canada (Procureur général) 2021 CAF 211, 337 A.C.W.S. (3d) 534 aux para. 49–51.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-88-21

INTITULÉ :

DAVID SIBBALD c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LYNNE SIBBALD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 septembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

David Sibbald

 

demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Andrew Kirk

 

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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