Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220926


Dossier : A-12-22

Référence : 2022 CAF 159

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

JILL ANDREWS

demanderesse

et

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220926


Dossier : A-12-22

Référence : 2022 CAF 159

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

JILL ANDREWS

demanderesse

et

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 20 décembre 2021 par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission), qui a rejeté la plainte pour manquement au devoir de représentation équitable (la plainte) déposée par la demanderesse contre son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le syndicat). La Commission a conclu, en se fondant sur les observations écrites présentées par les parties, que les allégations formulées par la demanderesse à l’encontre du syndicat, même si elles étaient tenues pour avérées, ne permettaient pas d’établir une cause défendable selon laquelle le syndicat avait agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi : Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141 (la décision de la Commission).

[2] Après avoir examiné avec soin le dossier qui a été présenté à la Cour ainsi que les observations orales et écrites des parties, je maintiendrais la décision de la Commission et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Je suis d’avis que la décision de la Commission est tout à fait raisonnable et que les observations de la demanderesse équivalent à une tentative de remettre en litige les questions qui ont déjà été tranchées par la Commission.

I. Contexte

[3] La demanderesse travaillait pour le ministère des Pêches et des Océans et était membre du Syndicat des travailleurs de la santé et de l’environnement (STSE), un élément du syndicat. En mars 2019, elle a été mise en congé payé en attendant son évaluation de l’aptitude au travail. Puis, en avril 2019, elle a été mise en congé non payé jusqu’à son licenciement, en janvier 2020.

[4] La demanderesse a eu une première rencontre avec des représentants syndicaux le 4 juin 2019 pour discuter de divers sujets liés à sa situation d’emploi, notamment de harcèlement en milieu de travail, de même que de son évaluation de l’aptitude au travail et du congé unilatéral non payé qui en a découlé. Au cours des mois subséquents, le processus d’évaluation a suivi son cours; la demanderesse a fait l’objet d’une évaluation de l’aptitude au travail et son médecin traitant a jugé qu’elle était apte à reprendre le travail. Entre-temps, la demanderesse a déménagé de St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador) à Ottawa et elle a demandé à l’employeur de l’autoriser à faire du télétravail. Ce dernier a rejeté sa demande et lui a plutôt envoyé une lettre dans laquelle il lui proposait quatre options : retourner au travail à Terre-Neuve-et-Labrador, présenter une demande de congé en bonne et due forme, démissionner ou prendre sa retraite. La demanderesse avait jusqu’au 16 octobre 2019 pour répondre à cette lettre, un délai qui a été prorogé jusqu’au 10 décembre 2019. Le 9 décembre 2019, un représentant syndical a demandé à l’employeur de proroger le délai de 30 jours supplémentaires, demande à laquelle l’employeur a acquiescé, et une dernière prorogation de délai jusqu’au 31 janvier 2020 a été accordée. La demanderesse, n’ayant choisi aucune des options qui lui avaient été proposées, a été licenciée.

[5] La demanderesse a communiqué avec le syndicat en janvier 2020 pour s’enquérir des prochaines mesures qu’il pourrait prendre advenant son licenciement. On l’a informée qu’elle devrait aviser le syndicat de son licenciement, et que celui-ci déposerait alors, avec son consentement, un grief pour licenciement, et qu’elle aurait à fournir des documents pour étayer son grief. Malheureusement, la demanderesse a mal compris la procédure à suivre; elle croyait qu’elle devait fournir une preuve reposant sur des faits ainsi qu’un compte rendu détaillé des événements ayant mené à son licenciement avant qu’un grief puisse être déposé, et elle n’a pas réalisé qu’il y avait un délai à respecter pour présenter un grief.

[6] Ce n’est donc qu’en juillet 2020 que la demanderesse a informé le syndicat de son licenciement. Le 7 août 2020, elle a informé le syndicat qu’elle avait réuni tous les documents pertinents pour étayer son grief et qu’elle était maintenant prête à formuler un grief. En septembre 2020, le syndicat a écrit à la demanderesse pour lui expliquer que le délai prévu pour le dépôt d’un grief était de 25 jours; or, comme ce délai était depuis longtemps expiré, le syndicat ne déposerait pas de grief en son nom. Le passage pertinent de ce courriel est rédigé comme suit :

[traduction]

La convention collective est un contrat au sens de la loi, qui relève de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF) – la loi-cadre qui régit les modalités et conditions d’emploi des fonctionnaires fédéraux – et elle est immuable. Nos dossiers indiquent que vous n’avez communiqué avec nous au sujet de votre licenciement qu’à la mi-août, ce qui est cinq mois au-delà du délai prescrit par la loi. Nous aurions pu tenter de demander une exemption si le retard avait été d’environ une semaine, en invoquant des problèmes engendrés par la pandémie de COVID-19, mais pas pour un retard de plus de cinq mois. De plus, je vous ai déjà envoyé des courriels pour vous informer que le dépôt d’un grief devait avoir lieu dans un délai de 25 jours, mais vous ne nous avez jamais fait part de votre intention de le faire.

Pour ces motifs, il nous est impossible de déposer un grief en votre nom [...].

[7] En janvier 2021, la demanderesse a de nouveau communiqué avec le syndicat pour lui demander encore une fois de déposer un grief à l’égard de son licenciement. Dans sa réponse, le syndicat a réitéré à la demanderesse qu’il ne présenterait pas de réclamation pour congédiement abusif contre l’employeur, étant donné que la demanderesse avait largement dépassé le délai prescrit pour le dépôt d’un grief, que les arguments qu’elle avait invoqués pour justifier son retard n’auraient aucune incidence sur le délai prévu à cette fin et qu’il était désormais impossible de déposer un grief.

[8] Après avoir communiqué avec la Commission, la demanderesse a été informée de la possibilité de demander une prorogation de délai pour le dépôt d’un grief. Le 5 février 2021, elle a envoyé un message texte au syndicat pour obtenir de plus amples renseignements à ce sujet. Elle n’a reçu aucune réponse.

[9] En mai 2021, la demanderesse a déposé une plainte contre le syndicat pour pratique déloyale, en application de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. (2003), ch. 22, art. 2 (la Loi). Dans cette plainte, elle alléguait que le syndicat avait omis : 1) de bien lui expliquer la procédure de règlement des griefs; 2) de l’informer de la possibilité de demander une prorogation du délai pour le dépôt d’un grief; et 3) de demander une prorogation du délai pour le dépôt de son grief après qu’elle lui eut expressément demandé de le faire. Le syndicat a déposé sa réponse en juillet 2021, et la demanderesse a déposé sa réplique plus tard au cours du même mois.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] Le 20 décembre 2021, la Commission a rejeté la plainte de la demanderesse à l’encontre du syndicat, sur le fondement des observations des parties et sans la tenue d’une audience, comme le lui permet l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. (2013), ch. 40, art. 365. Les faits de l’espèce qui sous-tendent les observations des parties étaient fondés exclusivement sur les documents écrits déposés auprès de la Commission, plus particulièrement sur la plainte, les observations écrites des parties et les documents que les parties avaient joints à leurs observations.

[11] La Commission a d’abord noté que, pour que la demanderesse ait gain de cause en application de l’article 187 de la Loi, elle devait démontrer que le syndicat avait agi « de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi […] ». Comme aucune allégation de discrimination n’avait été formulée dans la plainte, la Commission n’a pas tenu compte de cet élément dans sa décision.

[12] Invoquant la jurisprudence, la Commission a d’abord noté que, pour s’acquitter de son devoir de représentation, l’agent négociateur devait avoir une conduite « juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié » : Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509, 9 D.L.R. (4th) 641, à la p 527 (arrêt Gagnon). Tout désaccord quant à la manière dont l’agent négociateur a traité la situation n’équivaut pas à de la mauvaise foi ou à une conduite arbitraire : arrêt Gagnon, à la p 527; Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, au para 43; Boudreault c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 87, au para 32; Bergeron c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 48, aux para. 89 et 91.

[13] La Commission a ensuite conclu que les réserves exprimées par la demanderesse face aux actions du syndicat n’équivalaient pas à un manquement au devoir de représentation équitable et que le syndicat avait bien suivi les étapes prévues pour expliquer à la demanderesse la procédure de règlement des griefs et les délais à respecter pour ce faire, avant que celle-ci ne soit licenciée. Sur cette question, la Commission a écrit ce qui suit :

[31] Dans sa réplique, la plaignante n’a pas réfuté les affirmations de la défenderesse selon lesquelles elle lui avait effectivement expliqué la procédure de règlement des griefs et qu’elle avait offert de déposer un grief dès qu’elle recevait une copie de la lettre de licenciement. Elle s’est plutôt concentrée sur le fait que le STSE lui a dit qu’elle aurait besoin de présenter des allégations détaillées pour son grief. De toute évidence, il y a eu un malentendu, mais je ne peux en tenir rigueur à la défenderesse. La plaignante n’a pas envoyé la lettre de licenciement au STSE dès qu’elle l’a reçue, comme les représentants du STSE lui avaient dit de faire.

[14] En ce qui concerne la plainte de la demanderesse selon laquelle le syndicat a omis de répondre à sa demande d’aide pour déposer une demande de prorogation du délai pour le dépôt d’un grief, la Commission a conclu que le syndicat s’était déjà penché sur la question du délai en septembre 2020, lorsqu’il a refusé de déposer un grief à l’encontre du licenciement. La Commission n’a pas mis en doute le fait que la demanderesse croyait avoir demandé au syndicat de demander une prorogation de délai lorsqu’elle a envoyé un message texte au représentant syndical, au début février 2021. Là encore, toutefois, la Commission a conclu que l’inaction du syndicat sur cette question était le résultat d’un sincère malentendu :

[34] Je comprends également pourquoi la défenderesse n’a pas vu dans ce message texte une demande d’agir au nom de la plaignante. Rien dans le message texte ne demande à la défenderesse de poser un geste quelconque; il semble avoir été envoyé à titre d’information seulement. Encore une fois, il s’agit d’un malentendu, mais je ne peux le reprocher à la défenderesse. À deux reprises, elle avait déjà clairement indiqué qu’étant donné le retard de cinq mois, elle ne déposerait pas de grief en son nom. Il ne s’agissait pas de négligence ou de mauvaise foi; il s’agissait de l’estimation de la situation par la défenderesse, fondée sur l’examen de la situation, de la convention collective et de l’application de la loi.

[15] Enfin, la Commission a jugé que la défenderesse avait rencontré la demanderesse, avait discuté de son cas et l’avait conseillée sur différentes questions, et que c’était le défaut de la demanderesse de communiquer avec la défenderesse qui a limité les actions de cette dernière : décision de la Commission, aux para. 35 et 36. En résumé, la Commission a conclu que les représentants de la défenderesse « étaient prêts et disposés à agir au nom de la plaignante. Elle ne leur a pas donné cette occasion au bon moment » : décision de la Commission, au para 36.

III. Questions en litige

[16] À mon avis, la présente demande soulève les trois questions suivantes :

A. Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse sont-ils admissibles?

B. La décision de la Commission était-elle raisonnable?

C. La demanderesse a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

IV. Analyse

A. Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse sont-ils admissibles?

[17] La demanderesse affirme que notre Cour devrait admettre son affidavit et les nombreuses pièces qu’elle a produites à titre de nouvelle preuve, même si la plupart de ces pièces n’ont pas été présentées à la Commission. Elle reconnaît qu’une nouvelle preuve est généralement inadmissible dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, mais soutient que les pièces 1 à 33 et 35 à 39 satisfont à l’exception à cette règle dans le cas des renseignements généraux. Elle estime que les pièces contestées n’ont pas un caractère argumentatif et qu’elles aideront notre Cour à comprendre les circonstances pertinentes ainsi que la nature de cette affaire dont les faits sont complexes. La radiation de ces éléments de preuve empêcherait la Cour de comprendre l’intégralité de l’affaire. La demanderesse fait en outre valoir que l’acceptation de ces pièces ne causerait aucun préjudice à la défenderesse, puisque celle-ci possède des copies de bon nombre d’entre elles et qu’elle a fait allusion à certaines d’entre elles dans la réponse qu’elle a déposée auprès de la Commission.

[18] Personne ne conteste le fait que les seuls éléments de preuve qui peuvent être pris en compte dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire sont, en principe, ceux dont a été saisi le décideur : voir, par exemple, Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, aux para. 18 à 20 (arrêt Access Copyright); Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294, 466 N.R. 44, aux para. 7 et 8; et Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 261 A.C.W.S. (3d) 441, aux para. 13 à 22, 29 à 36 (arrêt Bernard). Ce principe découle du rôle de la cour de révision, qui n’est pas de tirer des conclusions de fait ou de trancher des questions sur le fond, mais qui consiste plutôt à examiner le caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif. L’acceptation, par la cour de révision, de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire équivaudrait à réaliser une analyse de novo de la preuve proprement dite.

[19] Il y a trois exceptions reconnues à cette règle, qui cadrent avec le rôle de notre Cour en tant que cour de révision; l’une de ces exceptions est celle liée aux « renseignements généraux », qui est invoquée par la demanderesse dans ses observations. Selon cette exception, une partie peut déposer un affidavit contenant de nouveaux renseignements si ceux-ci sont susceptibles d’aider la cour de révision à mieux comprendre les questions pertinentes : Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, 472 N.R. 171, aux para. 44 à 46; Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, 288 A.C.W.S. (3d) 790, au para 8 (arrêt Sharma). L’exception liée aux renseignements généraux se limite aux énoncés non argumentatifs ou aux résumés de la preuve dont a été saisi le juge du fond; en aucun cas ne peut-elle s’appliquer à la présentation de nouveaux renseignements portant sur le bien-fondé de l’affaire : arrêt Bernard, au para 23.

[20] Dans le cas qui nous occupe, les éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission sont faciles à déterminer, puisque la décision a été rendue sur le fondement de la plainte initiale de la demanderesse, des observations présentées en réponse par le syndicat ainsi que de la réplique de la demanderesse. Si la demanderesse l’avait voulu, elle aurait pu présenter à la Commission les nombreuses pièces qu’elle a jointes à son affidavit et qu’elle a déposées auprès de notre Cour. Même si le décideur administratif disposait de certains des renseignements figurant dans ces pièces, les documents eux-mêmes n’avaient pas été présentés à la Commission lorsque celle-ci a rendu sa décision. Qui plus est, les pièces contestées ne consistent pas en de simples résumés de la preuve qui a été présentée à la Commission, ni ne peuvent véritablement être qualifiées de renseignements généraux. Au contraire; les renseignements contenus dans ces documents portent directement sur le bien-fondé de l’affaire, et la demanderesse les invoque pour contester les conclusions de fait de la Commission.

[21] La question de savoir si l’affidavit et les pièces contestées porteraient préjudice à la défenderesse ou causeraient des interruptions inutiles sont des facteurs essentiellement non pertinents à l’examen des questions en litige dont nous sommes saisis. Selon la jurisprudence de notre Cour, le principal facteur dont il faut tenir compte pour déterminer l’admissibilité d’une nouvelle preuve dans une instance en contrôle judiciaire est le rôle limité de la cour dans l’exercice de cette fonction : arrêt Bernard, aux para. 14 à 18; arrêt Access Copyright, aux para. 17 à 19; arrêt Sharma, au para 8. En l’espèce, l’admission de près de 40 documents – qui n’ont pas été présentés à la Commission alors qu’ils étaient disponibles lorsqu’elle a rendu sa décision – est manifestement incompatible avec le rôle de la Cour en contrôle judiciaire.

[22] De plus, je ne puis conclure qu’aucune de ces pièces ne porte préjudice à la défenderesse. À titre d’exemple, la demanderesse allègue que le syndicat a été informé de son licenciement le 7 juillet 2020 puisqu’il a reçu copie d’une lettre qu’elle a envoyée ce jour-là au ministre de Services publics et Approvisionnement Canada. Dans cette lettre, la demanderesse mentionnait deux lettres qu’elle avait reçues du Centre des pensions du gouvernement du Canada, dans lesquelles il était indiqué qu’elle avait quitté le ministère des Pêches et des Océans en février 2020 et qu’elle ne faisait plus partie de la fonction publique. Comme l’a souligné la défenderesse, la lettre de la demanderesse est ambiguë et n’indique pas clairement qu’elle a été licenciée; si cette lettre avait été déposée auprès de la Commission, le syndicat aurait pu formuler des observations à ce sujet.

[23] Enfin, la demanderesse se fonde sur une nouvelle preuve qu’elle cherche à présenter à notre Cour pour étayer plusieurs nouvelles observations. Notre Cour ne peut tenir compte de ces nouvelles observations car, comme il a été indiqué précédemment, son rôle est rigoureusement limité dans une instance en contrôle judiciaire. Dans ses observations écrites, par exemple, la demanderesse allègue que le syndicat [traduction] « l’a correctement informée, en juin 2019, de la procédure de règlement des griefs applicable, notamment du délai de 25 jours à respecter pour déposer un grief » (mémoire de la demanderesse, au para 77), mais elle ajoute que le syndicat l’a par la suite mal informée quant à ses obligations et qu’il lui a fourni des explications contradictoires (mémoire de la demanderesse, au para 78). La demanderesse allègue également, en se fondant sur l’affidavit et les pièces déposés auprès de notre Cour, que le syndicat a fait preuve d’incompétence en omettant de réagir à son licenciement imminent et d’y donner suite, un argument qu’elle n’a pas invoqué devant la Commission et qui ne figure nulle part dans sa plainte initiale.

[24] Pour tous les motifs précités, je suis donc d’avis que les pièces 1 à 33 et 35 à 39 de l’affidavit de la demanderesse devraient être radiées du dossier.

B. La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[25] Il est maintenant bien établi que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable lorsque la cour doit examiner le bien-fondé d’une décision administrative : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, aux para. 23 et 72 (arrêt Vavilov). Aucune des situations décrites par la Cour suprême, où cette présomption d’application de la norme de la décision raisonnable serait réfutée, ne s’applique en l’espèce.

[26] La demanderesse a tenté d’énoncer plusieurs observations comme étant des arguments qui soulèvent des questions d’équité procédurale. Elle allègue, plus précisément, que certaines conclusions de la Commission n’étaient pas corroborées par la preuve qui lui a été présentée ou que la Commission a tiré des [traduction] « conclusions non fondées ». Essentiellement, toutefois, la demanderesse conteste le caractère raisonnable des conclusions de fait de la Commission et exprime ainsi son désaccord avec ces conclusions. Ses observations ne portent pas sur l’équité procédurale, et la meilleure façon d’en tenir compte est de procéder à un examen sur le fond du bien-fondé de la décision selon la norme de la décision raisonnable. De fait, notre Cour a confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission portant sur le bien-fondé d’affaires concernant des plaintes mettant en cause le devoir de représentation équitable : Osman c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CAF 227, 340 A.C.W.S. (3d) 84, au para 9; Pierre c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 CAF 223, 454 N.R. 223, au para 11.

[27] Les questions d’équité procédurale sont celles qui touchent la procédure utilisée par le décideur administratif, ou celles qui portent atteinte à la possibilité, pour les personnes visées par la décision, d’être entendues et de présenter leurs points de vue et leurs éléments de preuve afin qu’ils soient pris en compte par le décideur : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, au para 22. Aucune des observations présentées par la demanderesse ne porte sur la procédure observée par la Commission ou sur le déni de son droit de participer pleinement à une procédure équitable et ouverte.

[28] La norme de la décision raisonnable est une norme qui justifie la déférence. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, le rôle d’une cour chargée de revoir une décision administrative selon cette norme n’est pas de rendre la décision à laquelle elle serait parvenue et de trancher elle-même les questions en litige, mais plutôt de se concentrer sur la décision qui a été rendue et de déterminer si cette décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle « est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : arrêt Vavilov, au para 85.

[29] La demanderesse soutient que la Commission a tiré des conclusions non fondées qui, soit allaient directement à l’encontre de la preuve qui lui a été présentée, soit n’étaient pas corroborées par la preuve. Elle allègue, plus précisément, que la Commission a conclu à tort que le syndicat avait porté son attention sur la question de la présentation d’une demande de prorogation du délai pour déposer un grief en septembre 2020, que la demanderesse n’avait pas expressément demandé au syndicat de présenter une telle demande et que le syndicat lui avait dit qu’elle devait l’informer « immédiatement » de son licenciement si elle voulait déposer un grief à l’encontre de son licenciement. Lorsqu’on les examine avec soin, ces observations constituent en fait une invitation à apprécier de nouveau la preuve et à faire une interprétation différente de la correspondance entre les parties. Par ses observations, la demanderesse demande donc à notre Cour d’outrepasser son rôle dans une instance en contrôle judiciaire. Certes, la demanderesse a le droit de ne pas souscrire aux conclusions de fait de la Commission et à l’interprétation qu’elle a faite de la preuve qui lui a été présentée, mais il en faut davantage pour que la décision soit jugée déraisonnable.

[30] Il en va de même pour les autres observations de la demanderesse qui portent toutes sur le [traduction] « défaut de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire » : mémoire de la demanderesse, au para 74. La demanderesse allègue que la Commission n’a pas dûment tenu compte des explications incohérentes et contradictoires du syndicat au sujet de la procédure de règlement des griefs, ni du défaut du syndicat d’assurer un suivi lorsqu’il a été informé du licenciement imminent de la demanderesse. Elle prétend également que la Commission a omis de dûment tenir compte du fait que le syndicat a omis de déposer un grief à l’encontre de son licenciement alors qu’il s’était engagé à le faire, et qu’il a également omis de l’informer de la possibilité de demander une prorogation du délai pour déposer un grief et de présenter une telle demande lorsqu’elle lui a demandé de le faire.

[31] La Commission a examiné toutes ces allégations, mais a conclu qu’elles n’équivalaient pas à un manquement au devoir de représentation équitable. La décision de la Commission est conforme aux règles de droit bien établies et elle est fondée sur une analyse rationnelle. Les syndicats bénéficient d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider de la meilleure façon de représenter leurs membres. Le rôle de la Commission dans l’examen d’une plainte liée au devoir de représentation équitable n’est pas de siéger en appel de décisions rendues par le syndicat en sa qualité d’agent négociateur, ni de déterminer si ces décisions étaient justes, mais plutôt de déterminer si les pratiques du syndicat satisfont aux critères énoncés à l’article 187 de la Loi. Il ne suffit pas qu’un employé soit en désaccord avec la décision rendue par son agent négociateur pour prouver un manquement à l’article 187 de la Loi. De fait, la cour de révision n’infirmera pas la décision rendue par le syndicat, si cette décision respecte les principes fondamentaux établis par la Cour suprême dans l’arrêt Gagnon (à la p 527) :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[32] L’analyse de la Commission est conforme à ces principes (voir la décision de la Commission, aux para. 28 et 29), et la demanderesse n’affirme pas que la Commission a commis une erreur de droit ou qu’elle a fait une erreur en définissant les règles de droit qui s’appliquent. La décision de la Commission est également conforme au principe constant selon lequel les membres d’une unité de négociation n’ont pas un droit absolu à la représentation; si le syndicat agit en tenant compte de facteurs pertinents et que ses décisions ne sont pas discriminatoires, arbitraires ou prises de mauvaise foi, il est libre de déterminer s’il doit offrir une représentation dans une situation donnée.

[33] Après avoir tenu compte de ces principes et avoir réalisé un examen approfondi des faits, la Commission a conclu que le syndicat n’avait pas, par sa conduite, contrevenu à son devoir de représentation équitable. La Commission en est arrivée à cette conclusion en se fondant principalement sur les éléments suivants : a) le syndicat a représenté et défendu la demanderesse lorsqu’il a été en mesure de le faire à partir de juin 2019, et il a négocié une prorogation de délai de 30 jours afin qu’elle puisse examiner les options qui lui avaient été offertes; b) la demanderesse n’a pas réfuté les affirmations du syndicat selon lesquelles il lui avait expliqué la procédure de règlement offert et lui avait proposé de déposer un grief lorsqu’il recevrait son avis de licenciement; c) la demanderesse n’a pas respecté ces directives et a omis d’informer le syndicat de son licenciement; d) la demanderesse a indiqué qu’elle ne pouvait pas étayer son grief et respecter le délai prévu, mais elle n’a pas communiqué avec la défenderesse pour l’informer de ses problèmes; e) lorsque la demanderesse a finalement communiqué avec la défenderesse, elle n’a pas été informée de la possibilité de présenter une demande de prorogation de délai, mais la défenderesse a clairement examiné la question et déterminé que le retard était trop long et qu’il était inexpliqué; et f) lorsque la demanderesse a ultérieurement envoyé un bref message texte au syndicat pour lui demander s’il pourrait demander une prorogation de délai en son nom, le syndicat n’a pas répondu. On ne peut toutefois pas reprocher au syndicat de ne pas l’avoir fait, car il avait déjà indiqué à la demanderesse, à deux reprises, qu’il ne pouvait pas déposer de grief en son nom en raison du retard de cinq mois. Je suis d’avis qu’il était loisible à la Commission de tirer toutes ces conclusions, eu égard aux éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[34] La Commission a reconnu qu’il y a clairement eu des malentendus entre la demanderesse et les représentants syndicaux, d’abord au sujet de la procédure de règlement des griefs, puis au sujet du message texte que la demanderesse a envoyé à la défenderesse en février 2021 (qui se voulait une demande visant à obtenir une prorogation de délai, mais que le syndicat a interprété comme un simple message envoyé à titre d’information). La Commission a refusé d’imputer une faute au syndicat pour ces malentendus. Elle a plutôt conclu – et je suis d’accord avec elle – que ces malentendus n’équivalaient pas à de la négligence ou à de la mauvaise foi lorsqu’on les examinait en regard de l’ensemble du contexte.

[35] Pour tous les motifs précités, je suis donc d’avis que la décision de la Commission était raisonnable et justifiée au regard des faits et du droit. La Commission a appliqué les bonnes normes juridiques et ses conclusions de fait sont bien corroborées par les éléments de preuve. Par conséquent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, le tout avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-12-22

 

INTITULÉ :

JILL ANDREWS c. L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

Le 26 septembre 2022

COMPARUTIONS :

Jill Andrews

Pour la demanderesse

POUR SON PROPRE COMPTE

Morgan Rowe

Claire Michela

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RavenLaw LLP

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.