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Date : 20220928


Dossier : A-57-21

Référence : 2022 CAF 162

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

MAOZ BETSER-ZILEVITCH

appelant

intimé dans l’appel incident

et

PETROCHINA CANADA LTD.

intimée

appelante dans l’appel incident

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 septembre 2022.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 28 septembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20220928


Dossier : A-57-21

Référence : 2022 CAF 162

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

MAOZ BETSER-ZILEVITCH

appelant

intimé dans l’appel incident

et

PETROCHINA CANADA LTD.

intimée

appelante dans l’appel incident

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 28 septembre 2022.)

LE JUGE LOCKE

[1] L’appelant, Maoz Betser-Zilevitch (M. Betser), interjette appel d’une décision de la Cour fédérale (le « jugement », 2021 CF 85, le juge Manson) rejetant son action contre l’intimée, PetroChina Canada Ltd. (PCC), alléguant la contrefaçon de son brevet canadien no 2 584 627 (le brevet 627). M. Betser fait également appel de la décision de la Cour fédérale sur les dépens découlant de son action (le « jugement sur les dépens », 2021 CF 151, le juge Manson). Pour sa part, PCC interjette un appel incident du rejet par la Cour fédérale, dans le jugement, de sa demande reconventionnelle alléguant l’invalidité du brevet 627.

[2] Pour les motifs qui suivent, nous avons conclu que l’appel et l’appel incident doivent être rejetés dans leur intégralité.

[3] L’appel de M. Betser à l’encontre de la contrefaçon est fondé sur l’argument selon lequel la Cour fédérale a commis une erreur dans son interprétation du terme « premier niveau » dans les revendications en litige du brevet 627. M. Betser affirme que ce terme aurait dû être interprété comme étant un volume d’espace (ou une région) suffisant pour englober les tuyaux (y compris les conduites d’écoulement) du système prétendument contrefait de PCC plutôt qu’un plan horizontal unique, comme l’affirme PCC. Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui devrait s’appliquer à l’analyse de la présente question par la Cour, mais il n’est pas nécessaire de trancher ce point. Nous rejetterions l’appel sans tenir compte de la norme de contrôle.

[4] M. Betser affirme que la Cour fédérale a importé à tort dans les revendications un « commentaire » (ou une mention isolée) du paragraphe 53 du brevet 627 selon lequel l’invention consiste à placer un tuyau entre les modules au point le plus bas possible « sans nécessiter l’utilisation d’échafaudages », ce qui a pour effet de « réduire les problèmes [...] liés à la sécurité ». Le paragraphe 16 du brevet 627 désigne l’amélioration de la sécurité comme un objet de l’invention. La Cour fédérale a conclu, au paragraphe 117 des motifs de son jugement, que le terme « premier niveau » renvoie à ce qui suit :

[U]n plan horizontal situé à une hauteur donnée au‑dessus du sol qui permet aux opérateurs d’accéder aux conduites d’écoulement au niveau du sol, sans nécessiter l’utilisation d’échafaudages, ce qui a pour effet de réduire les problèmes et les coûts liés à la sécurité et d’offrir aux opérateurs un accès plus facile aux conduites d’écoulement.

[5] La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur susceptible de révision dans l’interprétation de l’expression « premier niveau ». Elle a conclu à juste titre que le terme est ambigu, et a eu recours de façon appropriée à la divulgation du brevet 627 pour l’interpréter (voir les arrêts Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751, au para. 30 (C.A.F.); Tetra Tech EBA Inc. c. Georgetown Rail Equipment Company, 2019 CAF 203, au para. 103). Plus qu’un commentaire ou une mention isolée, le paragraphe 53 du brevet 627 décrit les caractéristiques de l’invention en référence à ses objets, et l’élimination du recours à l’échafaudage est pertinente pour le but en question qui est d’assurer une meilleure sécurité. Nous rejetons la prétention selon laquelle la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur le paragraphe 53.

[6] Puisqu’il n’est pas contesté que le système prétendument contrefait de PCC ne violerait le brevet 627 que si le terme « premier niveau » englobait un volume suffisant pour nécessiter un échafaudage, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que PCC n’a pas contrefait le brevet.

[7] L’appel n’étant pas fondé, il n’est pas nécessaire de discuter des prétentions des parties concernant les réparations en cas de contrefaçon. Quant au jugement sur les dépens, nous ne voyons aucune erreur susceptible de révision. Par conséquent, l’appel sera rejeté avec dépens.

[8] Il est toutefois nécessaire d’examiner l’appel incident, car il concerne des revendications de brevet et des mesures de réparation qui ne sont pas en litige en matière de contrefaçon. PCC affirme que la Cour fédérale a accordé une attention inadéquate à la preuve de l’évidence de l’emplacement de la conduite d’injection de vapeur au premier niveau de même que la conduite d’écoulement de la production de pétrole lourd (qui était la seule différence entre l’invention et l’antériorité), et au fait que l’on en était arrivé au même résultat avec les « modules Orion » avant la date pertinente pour évaluer l’évidence. Il convient de noter qu’il n’est pas contesté que les modules Orion n’étaient pas « accessibles au public » à ce moment-là et qu’ils ne pouvaient donc pas être considérés comme de l’antériorité aux fins de l’évidence (voir l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4.

[9] PCC a affirmé devant la Cour fédérale que les modules Orion constituaient des indices secondaires d’évidence en ce qu’ils établissaient qu’une autre personne versée dans l’art était en mesure de réaliser l’invention à l’époque pertinente, bien que de manière non publique. PCC affirme maintenant qu’il était incorrect de décrire les modules Orion comme des indices secondaires d’évidence, et qu’ils devraient plutôt être considérés comme un facteur primaire dans l’évaluation de l’évidence. Cet argument ne saurait prévaloir. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets décrit l’antériorité qui est principalement pertinente pour établir l’évidence, et les modules d’Orion ne sont manifestement pas admissibles. Ils ne pourraient être que des indices secondaires. En outre, il ne s’ensuit pas que l’invention simultanée indique nécessairement l’évidence. Même la jurisprudence invoquée par PCC reconnaît que l’invention simultanée [traduction] « peut ou non être une indication d’évidence » : Ecolochem, Inc. v. Southern California Edison Co., 227 F.3d 1361, p. 1379 (Cir. féd. 2000). Par exemple, la ou les personnes qui ont conçu l’invention simultanée peuvent avoir elles-mêmes fait preuve d’ingéniosité inventive en le faisant. En l’espèce, il semble y avoir peu ou pas d’éléments de preuve que ceux qui ont conçu les modules Orion étaient dépourvus d’esprit inventif.

[10] PCC soutient également que la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 627 était évident lorsqu’elle a rejeté ce que PCC dit être la seule raison proposée par l’expert de M. Betser, Richard Beale, pour expliquer pourquoi une personne versée dans l’art n’aurait pas réalisé l’invention. PCC fait valoir que les autres éléments de preuve d’expert ont mené à la conclusion que l’invention était évidente. Cependant, les brevets sont présumés valides, et il incombait à PCC de prouver l’évidence. La Cour fédérale était en droit de rejeter l’argument de PCC sur cette question, même en l’absence de toute preuve d’inventivité. La Cour fédérale a expliqué ses réserves concernant la preuve d’expert de PCC sur la validité. La Cour fédérale a également expliqué qu’« une myriade de facteurs » entraient dans la conception de modules du type décrit dans le brevet 627, et a conclu qu’il n’aurait pas été évident pour une personne versée dans l’art de déplacer la conduite d’injection de vapeur au premier niveau. Cette conclusion commande la déférence, et nous ne voyons aucune erreur susceptible de révision dans cette analyse.

[11] PCC conteste également la déclaration de la Cour fédérale, au paragraphe 171 de ses motifs, selon laquelle « la preuve démontre que personne dans l’industrie n’[avait déplacé la conduite d’injection de vapeur au premier niveau] avant que l’invention brevetée 627 ne soit rendue publique ». PCC fait valoir que cette déclaration fait abstraction à tort des modules Orion. Nous rejetons la prétention selon laquelle la Cour fédérale a commis une erreur à cet égard. Les paragraphes qui précèdent immédiatement cette déclaration montrent que la Cour fédérale a compris et pris en compte les modules Orion. L’explication la plus probable de la déclaration de la Cour fédérale est qu’elle se référait aux utilisations publiques, qui peuvent être invoquées en tant qu’antériorité.

[12] Nous sommes également d’avis que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en déclarant que « [l]es éléments de preuve invoqués par [PCC] illustrent bien le problème que pose l’examen de la présente contestation fondée sur l’évidence, à savoir qu’[traduction] “avec le recul, tout est toujours plus net” ». Cette conclusion de la Cour fédérale était cohérente avec son point de vue sur les éléments de preuve, et il lui était loisible de tirer celle-ci.

[13] N’ayant pas trouvé d’erreur sur la question de l’évidence, nous rejetons l’appel incident avec dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-57-21

 

APPEL D’UN JUGEMENT ET D’UN JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE RENDU PAR L’HONORABLE JUGE MANSON DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 26 JANVIER 2021 ET DU 15 FÉVRIER 2021, DOSSIER NO T-1158-18

 

INTITULÉ :

MAOZ BETSER-ZILEVITCH c. PETROCHINA CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE LOCKE

COMPARUTIONS :

Michael Crinson

Jennifer Ko

Pour l’appelant

D. Doak Horne

Nikolas Purcell

Sarah Li

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crinson Law LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

Gowling WLG (Canada) LLP

Calgary (Alberta)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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