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Date : 20220927


Dossier : A-147-21

Référence : 2022 CAF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

ZEIFMANS LLP

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 septembre 2022.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 27 septembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20220927


Dossier : A-147-21

Référence : 2022 CAF 160

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

ZEIFMANS LLP

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 27 septembre 2022.)

LE JUGE STRATAS

[1] L’appelante, un cabinet comptable, interjette appel du jugement de la Cour fédérale rendu le 26 avril 2021 : 2021 CF 363 (la juge Walker). La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire du cabinet comptable. Par ce contrôle judiciaire, le cabinet comptable avait demandé une ordonnance pour annuler la demande péremptoire du ministre de fournir des renseignements concernant certains des clients du cabinet.

[2] La Cour fédérale a procédé au contrôle de la demande péremptoire du ministre concernant la fourniture de renseignements selon la norme de la décision raisonnable. Cette décision était adéquate. La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable par présomption : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 [Vavilov]. Et, contrairement aux prétentions du cabinet comptable, rien en l’espèce ne réfute cette présomption; il ne s’agit pas d’un cas rare comme celui décrit dans l’arrêt Vavilov, où la loi habilitante nous donnerait des indices pointant vers l’application de la norme de la décision correcte.

[3] Devant la Cour fédérale, le cabinet comptable soutenait, entre autres choses, que la disposition régissant la fourniture de renseignements, l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), oblige le ministre à obtenir une autorisation judiciaire avant de présenter sa demande péremptoire.

[4] La Cour fédérale a conclu que le ministre avait raisonnablement interprété l’article 231.2 et qu’une autorisation préalable n’était pas nécessaire. Il semblerait que le ministre ait été d’avis qu’une autorisation judiciaire préalable n’est requise que lorsque la demande péremptoire s’applique à des renseignements et à des documents liés à des personnes identifiables et non désignées nommément pour vérifier que ces personnes ont rempli leurs obligations aux termes de la Loi. Selon les faits en l’espèce, la Cour fédérale a conclu qu’il « n’y a aucun élément de preuve dans le dossier indiquant que les personnes non désignées nommément sont visées par l’enquête actuelle » (au para. 64) et que la décision du ministre de délivrer la demande sans autorisation judiciaire préalable était raisonnable.

[5] Nous sommes du même avis. Selon les observations de la Cour fédérale, l’interprétation que fait le ministre de l’article 231.2 de la Loi est conforme au niveau conceptuel avec une jurisprudence abondante : les multiples décisions qui lient notre Cour (Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c. Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68, [2006] 2 R.C.F. F-15 et eBay Canada Limited c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145 au para. 23); une remarque incidente de la Cour suprême du Canada qui est conforme au niveau conceptuel avec l’arrêt Artistic Ideas (Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643); de nombreuses décisions de la Cour fédérale qui ont suivi l’arrêt Artistic Ideas (p. ex. Canada (Revenu National) c. Morton, 2007 CF 503, [2007] 4 C.T.C. 108 au para. 11, Canada (Revenu national) c. Advantage Credit Union, 2008 CF 853, [2009] 2 R.C.F. 185 aux para. 16 et 17, Canada (Revenu national) c. Banque Amex du Canada, 2008 CF 972, [2009] 2 R.C.F. F-3 au par. 54, London Life c. Canada (Procureur général), 2009 CF 956 aux para. 21 à 24, et Ghermezian c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1137, [2021] 1 R.C.F. F-16 aux para. 39 à 41). Nous estimons que nous sommes liés par l’interprétation de l’article 231.2 que notre Cour en a fait dans les arrêts Artistic Ideas et eBay, des décisions postérieures qui diffèrent, au niveau conceptuel et dans leur interprétation, de l’arrêt Canada (Ministre du Revenu National) c. Banque Toronto Dominion, 2004 CAF 359, [2006] 1 R.C.F. F-18.

[6] La décision d’adopter et d’appliquer une interprétation de l’article 231.2 de la Loi qui est conforme aux jugements Artistic Ideas et eBay ainsi qu’aux jugements rendus dans leur foulée est une décision raisonnable du ministre. Les jugements Artistic Ideas et eBay ainsi que les jugements rendus dans leur foulée interprètent l’article 231.2 correctement. L’arrêt Banque Toronto Dominion ne doit pas être suivi dans la mesure où il propose une autre interprétation que celle adoptée dans les jugements Artistic Ideas et eBay ainsi que dans les jugements rendus dans leur foulée. C’est exactement ce qu’a dit la Cour fédérale. Nous souscrivons à cette conclusion, essentiellement pour les motifs que la Cour fédérale a donnés.

[7] Pour ce qui est de la conclusion de fait de la Cour fédérale, selon laquelle l’Agence du revenu du Canada ne visait pas les personnes non désignées nommément par une enquête, seules les erreurs de droit ou les erreurs manifestes et dominantes pourraient nous amener à l’écarter. La Cour fédérale disposait d’éléments de preuve pour tirer cette conclusion de fait et elle n’a commis aucune erreur de droit. Par conséquent, notre Cour doit maintenir la conclusion de fait de la Cour fédérale, selon laquelle les personnes non désignées nommément n’étaient pas visées par une enquête.

[8] Le cabinet comptable tente de jeter un doute sur cette question d’une autre manière. Il note que le ministre n’a jamais fourni une interprétation explicite de l’article 231.2. À son avis, il s’ensuit que le ministre n’avait jamais réfléchi à l’interprétation de l’article 231.2 et, par conséquent, n’a jamais fait son travail. Renvoyant au paragraphe 96 de l’arrêt Vavilov, le cabinet comptable nous met en garde de ne pas faire le travail omis par le ministre en fournissant au ministre des motifs. Au contraire, nous devons annuler la demande péremptoire du ministre et ordonner à ce dernier d’examiner l’affaire de nouveau.

[9] Nous ne pouvons accepter cet argument. L’arrêt Vavilov ne s’arrête pas là. Il nous enseigne que les cours de révision ne doivent pas insister pour que les motifs soient aussi explicites, longs et détaillés que si elles les avaient elles-mêmes rédigés si on les avait saisies de cette tâche (Vavilov aux para. 91 à 94). Exiger qu’il en soit ainsi pourrait miner l’intention du législateur qui était de rendre les processus administratifs efficaces, efficients et diligents.

[10] L’arrêt Vavilov nous en dit davantage. Selon l’arrêt, une décision administrative doit être maintenue si la cour de révision peut discerner à partir du dossier les raisons motivant la décision et que cette décision est par ailleurs raisonnable (Vavilov aux para. 120 à 122; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156 aux para. 38 à 42). En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que les motifs fassent référence à tous les points essentiels. Ces motifs peuvent être implicites ou sous-entendus. En examinant l’ensemble du dossier, la cour de révision doit avoir la certitude que le décideur administratif était bien au fait des questions litigieuses importantes, notamment des questions d’interprétation législative, pour en arriver à ses décisions, en vérifiant ce qui est explicite dans les motifs ou ce qui est implicite ou sous-entendu dans le dossier.

[11] En l’espèce, pour obtenir cette certitude, il suffit d’examiner le dossier dont disposait le ministre et la décision du ministre : nous connaissons le point de vue du ministre, le ministre était conscient de l’article 231.2, le ministre a adopté de façon implicite ou sous-entendue une interprétation de l’article 231.2 qui est conforme aux jugements Artistic Ideas et eBay ainsi qu’aux jugements rendus dans leur foulée, et le ministre a appliqué raisonnablement cette interprétation aux faits de l’espèce. La décision du ministre s’avère raisonnable.

[12] Le cabinet comptable renvoie à une politique de l’Agence du revenu du Canada portant sur l’article 231.2 qui, selon lui, soutient sa thèse. Cependant, une politique n’a pas valeur de loi. Le ministre a l’obligation de suivre le sens véritable de la loi et non le contenu essentiel des politiques administratives (voir Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, [2012] 1 R.C.F. F-3).

[13] Le cabinet comptable répète également d’autres arguments qu’il a présentés à la Cour fédérale pour contester la demande péremptoire délivrée par le ministre. Nous rejetons ces arguments essentiellement pour les motifs énoncés par la Cour fédérale. Plus précisément, pour les motifs énoncés par la Cour fédérale, nous concluons que la demande péremptoire n’est pas trop vague et nous estimons que l’avis signifié au cabinet comptable au nom de la société en nom collectif était valide et applicable.

[14] Dans l’ensemble, nous souscrivons pour l’essentiel à l’analyse et aux conclusions de la Cour fédérale. La décision du ministre de délivrer la demande péremptoire était raisonnable.

[15] Par conséquent, malgré les plaidoiries habiles de Me Marciano, nous rejetons l’appel, avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-147-21

APPEL D’UN JUGEMENT DE LA JUGE WALKER DE LA COUR FÉDÉRALE RENDU LE 26 AVRIL 2021, DOSSIER NO T-400-19.

INTITULÉ :

ZEIFMANS LLP c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Domenic Marciano

Pour l’appelantE

Rita Araujo

Jesse Epp-Franson

Peter Swanstrom

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marciano Beckenstein LLP

Avocats

Concord (Ontario)

Pour l’appelantE

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

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