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Date : 20220929


Dossier : A-68-20

Référence : 2022 CAF 163

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

HAROLD PEACH

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 20 septembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20220929


Dossier : A-68-20

Référence : 2022 CAF 163

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

HAROLD PEACH

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2020 CCI 12, rendu par la juge Monaghan). La Cour de l’impôt a accueilli, en partie, l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national pour l’année d’imposition 2011. La Cour de l’impôt a réduit le gain en capital de l’appelant pour tenir compte d’une dépense en capital que le ministre n’avait pas prise en compte, mais a par ailleurs rejeté tous les arguments présentés par l’appelant.

[2] Le contexte du présent appel est entièrement exposé dans le jugement de la Cour canadienne de l’impôt. Pour les besoins du présent appel, il suffit de souligner que l’appelant possédait plusieurs biens locatifs qu’il louait à ses fils. Il a déclaré dans sa déclaration de revenus des pertes importantes liées à ces biens. L’appelant a transféré l’un de ces biens locatifs à son fils et n’a pas déclaré cette disposition ni un gain ou une perte en capital qui s’y rapporte dans sa déclaration de revenus de 2011. L’appelant exploitait également une entreprise de vente d’assurance-vie et de fonds communs de placement à une clientèle composée en grande partie d’amis et de membres de la famille. L’appelant a gagné un revenu de 27 $ et a déduit plus de 19 600 $ en dépenses d’entreprise au cours de l’année d’imposition 2011.

[3] Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard du revenu de l’appelant pour 2011 au-delà de la période normale de nouvelle cotisation de trois ans. Il a supprimé toutes les recettes de location et les pertes qui s’y rattachent de son revenu, a réduit les dépenses d’entreprise déclarées et a ajouté un gain en capital relativement au transfert du bien locatif à son fils.

[4] La juge de la Cour de l’impôt a conclu que le ministre avait le droit d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant au-delà de la période normale de nouvelle cotisation en application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). La juge a conclu que l’appelant avait fait une présentation erronée des faits dans sa déclaration de revenus de 2011 par inattention ou négligence.

[5] Elle a également conclu que l’appelant ne cherchait pas à réaliser un profit en louant ses biens locatifs à ses fils en 2011, car il les louait à un taux inférieur au taux du marché. Ensuite, la juge a conclu que les dépenses d’entreprise de l’appelant, au-delà de celles admises par le ministre, étaient déraisonnables. Enfin, elle a jugé que l’appelant avait disposé du bien locatif en le transférant à son fils, avec qui il avait un lien de dépendance, et qu’il avait ainsi réalisé un gain en capital.

[6] Dans ses observations présentées de vive voix à notre Cour, l’appelant a souligné deux points.

[7] Premièrement, l’appelant soutient que l’intimé ne pouvait établir une nouvelle cotisation d’une partie de son revenu au-delà de la période normale de nouvelle cotisation de trois ans prescrite à l’alinéa 152(3.1)b) de la Loi. L’appelant affirme que le ministre a eu suffisamment de temps pour examiner tous les documents nécessaires et établir une nouvelle cotisation dans le délai de trois ans et que les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada n’ont donné aucune raison valable justifiant le retard.

[8] Deuxièmement, l’appelant soutient que la Cour de l’impôt a manqué à son obligation d’équité procédurale. Il affirme que la juge a porté atteinte à son droit de défendre sa cause. Plus précisément, l’appelant affirme que la juge a interrompu son contre-interrogatoire, lui a indiqué comment procéder et l’a interrogé sur ses éléments de preuve.

[9] Notre Cour doit examiner les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit de la Cour de l’impôt selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). À l’égard de l’argument de l’appelant relatif à l’équité procédurale, notre Cour doit se « demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121 au para. 54). La Cour évaluera les allégations d’apparence de partialité au regard du critère bien établi énoncé par le juge de Grandpré, dissident, dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autre c. L’Office national de l’énergie et autres, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 369 à la p. 394.

[10] Nous ne relevons aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la juge de la Cour de l’impôt ni dans la manière dont elle a mené l’instruction.

[11] Premièrement, la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que le ministre avait le droit d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant au-delà de la période normale de nouvelle cotisation. Pour établir une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation de trois ans prévue au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, le ministre doit établir que le contribuable « soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi ». La Cour de l’impôt a bien défini le critère juridique applicable et a souligné qu’il incombait au ministre de prouver que la conduite de l’appelant satisfaisait à l’exigence de la loi (motifs aux para. 71 à 73).

[12] La Cour de l’impôt a conclu que l’appelant n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable ni agi comme une « personne sage et prudente » en remplissant ses déclarations de revenus de 2011 (motifs aux para. 82 à 84). Il était loisible à la juge d’arriver aisément à cette conclusion en se fondant sur les éléments de preuve.

[13] Néanmoins, l’appelant soutient que le ministre n’avait pas le droit d’établir une nouvelle cotisation à son égard au-delà de la période normale de nouvelle cotisation parce qu’il disposait de la documentation nécessaire et de suffisamment de temps pour terminer sa vérification avant la fin de cette période. Il s’agit d’un argument dénué de fondement. Le libellé du sous-alinéa 152(4)a)(i) indique clairement que le ministre peut établir une nouvelle cotisation pour un contribuable après la période normale de nouvelle cotisation dans les circonstances en l’espèce. La question de savoir si le ministre avait des motifs légitimes de ne pas établir de nouvelle cotisation dans le délai de trois ans n’est pas pertinente en présence d’une conclusion de présentation erronée par négligence ou inattention en application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[14] Deuxièmement, l’appelant affirme que la Cour de l’impôt a porté atteinte à son droit de présenter ses éléments de preuve à l’audience. Il conteste également ce qui semble être les questions de clarification de la juge et les indications des points sur lesquels elle n’était pas convaincue de la position juridique ou des éléments de preuve de l’appelant.

[15] Le paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2, exige que les juges de la Cour de l’impôt traitent les appels sous le régime de la procédure informelle « d’une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent ».

[16] Il n’existe aucune règle qui interdit à un juge d’intervenir dans un procès. Il y a cependant une interdiction d’intervenir de manière excessive ou inopportune.

[17] Un juge peut poser des questions pour préciser certaines choses ou obtenir des détails; en effet, les juges sont tenus de s’assurer qu’ils disposent des éléments de preuve nécessaires pour statuer sur l’affaire dont ils sont saisis, qu’ils sont fiables et qu’ils les comprennent parfaitement. Cela dit, dans la recherche de ces éléments de preuve, les questions des juges ne doivent pas donner l’impression qu’ils ont l’esprit fermé ou qu’ils ne sont plus impartiaux (NCJ Educational Services Limited c. Canada (Revenu national), 2009 CAF 131, [2009] A.C.F. no 507 (QL) aux para. 39 à 42 et 45). Une intervention excessive peut également nuire à la présentation efficace et juste de la cause, et une intervention inopportune peut effectivement anéantir un contre-interrogatoire (Yuill v. Yuill, [1945] 1 All E.R. 183, 172 L.T. 114 à la p. 185).

[18] En l’espèce, aucune de ces limitations imposées à un juge lors d’un procès ne s’applique. La transcription de l’audience à la Cour canadienne de l’impôt démontre que la juge n’est intervenue que pour s’assurer qu’elle comprenait bien les éléments de preuve et les arguments de l’appelant, et pour orienter l’appelant vers les considérations juridiques applicables. Les interventions étaient également nécessaires pour s’assurer que l’instance se déroulerait selon les procédures de base du procès, comme lorsque la juge a mis en garde l’appelant contre la déposition d’éléments de preuve au cours de son contre-interrogatoire du témoin de l’Agence du revenu du Canada. De plus, la juge a donné à l’appelant l’occasion de contre-interroger le témoin de l’intimé et de témoigner pleinement, et lui a même permis de témoigner en réponse à la suite de son contre-interrogatoire par l’intimé. En somme, le litige de l’appelant révèle que l’instance s’est déroulée à la fois de façon juste et accommodante. Il n’y a aucun fondement à ce moyen d’appel.

[19] Dans ses observations écrites, l’appelant a également soulevé les deux questions suivantes.

[20] Premièrement, l’appelant a soutenu que la Cour de l’impôt avait conclu à tort que ses biens locatifs n’étaient pas une source de revenus, en se fondant sur son application erronée de l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, [2002] 2 R.C.S. 645 [Stewart] et qu’elle avait commis une erreur en privilégiant les rapports de l’Agence du revenu du Canada dans l’évaluation des taux de la juste valeur locative plutôt que les siens. Deuxièmement, l’appelant a affirmé que la Cour canadienne de l’impôt avait commis une erreur en lui refusant la déduction des dépenses d’entreprise en se fondant sur le jugement qu’elle a porté sur son appréciation commerciale, renvoyant à l’arrêt Keeping c. La Reine, 2001 CAF 182, [2001] 3 C.F. F-46 [Keeping].

[21] La Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que les biens locatifs de l’appelant n’étaient pas une source de revenus et qu’il ne pouvait donc déduire de son revenu les pertes liées à ces biens. La Cour de l’impôt a examiné le critère de l’arrêt Stewart pour déterminer si les biens étaient une source de revenus (motifs au para. 14). La juge a conclu que l’activité de location de l’appelant comportait un élément personnel et ne visait pas à réaliser un profit. Cette conclusion était amplement étayée par les éléments de preuve qui établissaient que les trois locataires de l’appelant étaient ses fils et qu’il avait fixé le loyer des biens locatifs à un taux inférieur au taux du marché.

[22] De plus, la Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur en concluant que les dépenses d’entreprise de l’appelant étaient déraisonnables. Elle a minutieusement évalué le caractère raisonnable des dépenses d’entreprise par rapport à la norme selon laquelle un homme d’affaires à l’esprit commercial agirait s’il se retrouvait dans la même situation que celle de l’appelant. La juge a conclu que l’entreprise de l’appelant était exploitée depuis plus de dix ans sans réaliser de profit et qu’elle avait engagé des dépenses d’entreprise qui dépassaient de loin les revenus de cette année-là sans rechercher de nouveaux clients ou de nouvelles occasions d’affaires. Ces conclusions étayent la décision de la Cour de l’impôt selon laquelle un homme d’affaires à l’esprit commercial n’aurait pas engagé de telles dépenses s’il se retrouvait dans la même situation que celle de l’appelant.

[23] L’appelant a invoqué l’arrêt Keeping pour soutenir que la Cour de l’impôt avait commis une erreur en concluant que ses dépenses d’entreprise n’étaient pas déductibles en se fondant sur son piètre jugement en matière commerciale. Cet arrêt n’est pas utile pour l’appelant. L’arrêt Keeping établit que le rôle de la Cour de l’impôt n’est pas d’évaluer la perspicacité commerciale d’un contribuable, un principe que la Cour de l’impôt a respecté (motifs au para. 49). La Cour de l’impôt a évalué ce qu’un homme d’affaires raisonnable aurait fait s’il s’était retrouvé dans la même situation que celle de l’appelant, sans se fonder sur une analyse rétrospective ni remettre en question les choix de l’appelant.

[24] L’appel est donc rejeté avec dépens, que je fixerais à 2 895,26 $.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-68-20

INTITULÉ :

HAROLD PEACH c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Harold Peach

POUR SON PROPRE COMPTE

Cynthia Isenor

Payton Tench

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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