Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20221012


Dossier : A-171-21

Référence : 2022 CAF 170

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

GRIGORIOS TRIGONAKIS

appelant

et

LIGNES AÉRIENNES SKY REGIONAL INC.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 12 octobre 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20221012


Dossier : A-171-21

Référence : 2022 CAF 170

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

GRIGORIOS TRIGONAKIS

appelant

et

LIGNES AÉRIENNES SKY REGIONAL INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2022.)

LE JUGE STRATAS

[1] Une compagnie aérienne a décidé de retirer l’appelant, un pilote, du service actif. Plusieurs copilotes avaient signalé un comportement agressif et instable de la part de l’appelant alors qu’il pilotait un aéronef de passagers. La compagnie aérienne voulait effectuer des tests pour évaluer l’aptitude au travail de l’appelant. Cependant, après plusieurs échanges de communications pendant quatre mois, l’appelant a refusé de coopérer. La compagnie aérienne a licencié le pilote.

[2] L’appelant a allégué que son congédiement était injuste. Un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, a souscrit à cette allégation et ordonné des dommages-intérêts tenant lieu de réintégration. La compagnie aérienne a sollicité un contrôle judiciaire de cette décision.

[3] La Cour fédérale (le juge Annis) (2021 CF 513) a accordé le contrôle judiciaire et annulé la décision de l’arbitre, estimant que l’arbitre « n’a pas cerné les questions et les normes essentielles qui auraient dû régir l’audience » (au para. 239). La Cour fédérale a renvoyé l’affaire à un nouvel arbitre pour une nouvelle décision.

[4] L’appelant interjette maintenant appel, cherchant à faire annuler le jugement de la Cour fédérale et à rétablir la décision de l’arbitre.

[5] Nous sommes d’accord sur le résultat avec la Cour fédérale et nous rejetons donc l’appel. Comme la Cour fédérale, nous concluons que l’arbitre a interprété et appliqué de manière déraisonnable la norme législative régissant cette situation, l’article 602.02 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/ 96-433 dans sa version alors en vigueur : les compagnies aériennes doivent empêcher un pilote de piloter un aéronef s’ils ont « des raisons de croire… [que] la personne elle-même… n’est pas ou ne sera probablement pas apte au travail… ».

[6] Nous sommes d’accord avec la Cour fédérale que l’arbitre a appliqué de manière déraisonnable une norme de preuve beaucoup plus élevée, une norme exigeant – selon le libellé de l’arbitre, [traduction] « un motif sérieux [et] un danger imminent nécessitant des mesures correctives immédiates » – une norme qui mettrait en péril la sécurité des passagers et minerait l’objectif de l’article 602.02. L’arbitre a également omis de manière déraisonnable de mettre en application le droit contractuel clair de la compagnie aérienne dans ces circonstances, après avoir donné une explication, d’exiger que l’appelant subisse un examen médical effectué par un médecin examinateur de l’aviation civile. L’arbitre a également considéré de manière déraisonnable l’évaluation comme une [traduction] « mesure draconienne » pouvant être appliquée seulement dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles et précises », plutôt que comme une mesure qui pouvait être prise pour garantir qu’il n’y avait aucun problème de sécurité. Ces aspects de la décision de l’arbitre ne peuvent être soutenus par aucune interprétation raisonnable de la norme législative ou des documents contractuels.

[7] Dans ses motifs, la Cour fédérale, censée procéder à un examen du caractère raisonnable, a adopté sa propre interprétation de l’expression « des raisons de croire » fondée sur un examen incomplet et sans doute erroné de la jurisprudence et a appliqué cette interprétation à la décision de l’arbitre. Il s’agissait d’un contrôle erroné selon la norme de la décision correcte. Il appartient à un nouvel arbitre d’interpréter l’expression « des raisons de croire » en tenant particulièrement compte de la jurisprudence évaluant cette expression et en tenant dûment compte du contexte de cette expression dans la loi et à la lumière de son objet législatif.

[8] De plus, la Cour fédérale s’est inutilement penchée sur de nombreuses autres questions, offrant de nombreuses observations à leur sujet qui sont discutables. Nous ne devrions pas être considérés comme étant d’accord avec les observations de la Cour fédérale sur ces autres questions.

[9] Lors de sa plaidoirie, l’appelant a souligné, avec passion et éloquence, ce qu’il considérait personnellement comme l’injustice générale de cette situation, surtout à la lumière de ses antécédents et de ses motivations ainsi que de la conduite et des motivations de son employeur. Cependant, lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la tâche de la Cour fédérale et de cette Cour est limitée : dans des cas comme celui-ci, nous ne pouvons vérifier que l’acceptabilité et la justesse d’une décision administrative, comme la décision de l’arbitre en l’espèce, sur la base du fondement juridique des normes établies dans les dispositions législatives, de tout autre document juridique tel que des contrats, ainsi que des faits constatés dans le dossier de la preuve. Nous ne pouvons pas fonctionner en dehors de ces limites. Nous ne pouvons pas rendre n’importe quelle décision qui pourrait, de façon générale, sembler juste à nos yeux ou à ceux d’un tiers.

[10] Également dans sa plaidoirie, l’appelant nous a invités à revoir le dossier factuel et à tirer des conclusions de fait en sa faveur. C’est à un décideur administratif, ici à l’arbitre, et non à nous, d’établir les faits, et nous ne pouvons pas intervenir dans l’établissement des faits en l’absence d’une erreur fondamentale qui la vicie et la rend déraisonnable. Nous ne voyons pas un tel caractère déraisonnable ici.

[11] Juste avant notre audience, l’intimée a déposé des motifs de jugement modifiés de la Cour fédérale. Apparemment, après que la Cour fédérale a rendu sa décision dans cette affaire et qu’elle est devenue functus officio, cette cour a modifié ses motifs. Dans ces circonstances, c’était une erreur. Une fois devenue functus officio, une cour peut corriger des erreurs typographiques et grammaticales et des erreurs autres que des erreurs portant sur des questions de fond dans ses motifs de jugement, mais il ne peut pas apporter de modifications portant sur des questions de fond. Il s’agit du fonctionnement naturel du principe du caractère définitif des jugements et des règles 397 à 399 des Règles des Cours fédérales abordés par cette Cour dans l’arrêt Canada c. MacDonald, 2021 CAF 6. En l’espèce, certaines des modifications que la Cour fédérale a apportées à ses motifs allaient au-delà de ces limites. Ces modifications n’auraient pas dû être apportées. Par conséquent, dans l’examen du présent appel, nous n’avons pas tenu compte des motifs modifiés de la Cour fédérale. Quoi qu’il en soit, les motifs modifiés n’ont aucune incidence sur le raisonnement ou les observations que nous présentons ci-dessus, ni sur le règlement du présent appel.

[12] En fin de compte, comme je l’ai mentionné ci-dessus, la Cour fédérale a, dans son jugement, renvoyé l’affaire à un nouvel arbitre pour obtenir une nouvelle décision.

[13] L’intimée n’a pas interjeté d’appel incident contre cette décision. Plus précisément, il n’a pas cherché à obtenir un mandamus obligeant le nouvel arbitre à rejeter la plainte de l’appelant au motif que ce rejet était le seul résultat raisonnable compte tenu des faits de l’espèce, de la norme législative et des documents contractuels : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 au para. 142, renvoyant à Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 aux para. 228 à 230, Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205, 50 C.R. (7th) 1 aux para. 53-54 et Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, 411 D.L.R., (4th) 175 aux para. 51 à 56 et 84. Ainsi, nous devons maintenir la décision de la Cour fédérale.

[14] Par conséquent, nous rejetterons l’appel, le tout avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-171-21

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE ANNIS LE 2 FÉVRIER 2022, NO DE DOSSIER T-616-20

INTITULÉ :

GRIGORIOS TRIGONAKIS c. LIGNES AÉRIENNES SKY REGIONAL INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 octobre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Grigorios Trigonakis

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Grant R. Nuttall

John-Paul Alexandrowicz

 

Pour l’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’INTIMÉE

 

 

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