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Date : 20221014


Dossier : A-286-18

Référence : 2022 CAF 168

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

RENÉ SIMON, ÉRIC CANAPÉ, GÉRALD HERVIEUX, DIANE RIVERIN, JEAN-NOËL RIVERIN, RAYMOND ROUSSELOT, MARIELLE VACHON ET LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

appelants

et

JÉROME BACON ST-ONGE

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 12 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20221014


Dossier : A-286-18

Référence : 2022 CAF 168

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

RENÉ SIMON, ÉRIC CANAPÉ, GÉRALD HERVIEUX, DIANE RIVERIN, JEAN-NOËL RIVERIN, RAYMOND ROUSSELOT, MARIELLE VACHON ET LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

appelants

et

JÉROME BACON ST-ONGE

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1] Les appelants (sauf le Conseil) étaient tous des membres du conseil des Innus de Pessamit élus le 17 août 2016. Cette élection a été annulée par un jugement de la Cour fédérale daté du 21 décembre 2017 (la juge St-Louis). Les appelants interjettent appel d’une ordonnance de la Cour fédérale datée du 10 août 2018 (le juge Roger Lafrenière) les déclarant coupables d’outrage au tribunal (sauf le Conseil) pour le non-respect du jugement de 2017. Ci-après, l’expression « appelants » n’inclut pas le Conseil, sauf indication contraire.

[2] Cet appel a été entendu en même temps que ceux dans les dossiers A-285-18 et A‑258‑19, lesquels visent deux autres ordonnances de la Cour fédérale, l’une datée du 15 août 2018 fixant, entres autres, la date de la prochaine élection au 17 septembre 2018, et l’autre datée du 7 juin 2019 établissant la sentence applicable à chacun des appelants condamnés le 10 août 2018.

[3] Bien que la décision sur l’outrage faisant l’objet du présent appel a été rendue sur le banc, des motifs plus détaillés étaient à suivre et ont été inclus dans les motifs de l’ordonnance du 7 juin 2019.

[4] Depuis ces décisions, d’autres ordonnances pour outrages et sentences ont été rendues contre certains appelants (2021 CF 217 et 2021 CF 1093), dont l’une fait l’objet d’un autre appel (A-319-21). Il est donc important de trancher le présent appel promptement, surtout compte tenu du fait que l’audience des trois dossiers devant nous a déjà été retardée suite à un ajournement en octobre 2021.

[5] Je suis d’avis que l’appel doit être rejeté avec dépens.

[6] Dans leur mémoire dans le présent dossier, les appelants arguent que la Cour fédérale a commis plusieurs erreurs justifiant notre intervention. D’abord, ils allèguent que la Cour n’a pas considéré leur défense de diligence raisonnable. À cet effet, ils affirment que la Cour fédérale s’est trompée en consultant les Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156 (les Règles), au lieu de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S-26 (la Loi), et en concluant que l’article 65.1 de la Loi, sur lequel ils insistaient, n’existait plus en août 2018. Selon les appelants, la Cour aurait dû prendre en compte leur requête de sursis déposée le 20 juillet 2018 devant la Cour suprême du Canada. Ils soutiennent que la Cour fédérale ne pouvait se prononcer vraisemblablement sur l’outrage avant que la Cour suprême du Canada ne se prononce sur leur demande de sursis visant le jugement de décembre 2017. Je note ici que, bien qu’il s’agissait d’un sursis, cette requête visait à obtenir un redressement « extraordinaire » puisqu’il ne s’agissait pas de sursoir à l’ordonnance du 23 avril 2018, mais bien d’obtenir le redressement refusé dans cette ordonnance (article 62 des Règles). De plus, il est opportun de mentionner que le 6 juillet 2018, le juge Locke avait émis une ordonnance ex parte convoquant les appelants à comparaitre pour entendre la preuve sur les accusations d’outrage au tribunal portées contre eux et présenter leur défense. On peut s’interroger sur la motivation des appelants, vu le délai à déposer la demande de permission et la requête pour un sursis devant la Cour suprême.

[7] Les appelants prétendent aussi que le jugement du 21 décembre 2017 n’était pas suffisamment clair et n’était qu’un jugement déclaratoire, ne pouvant donc servir d’assise à une condamnation d’outrage. Ils ajoutent d’autres arguments à l’encontre de cette condamnation dans leur mémoire des faits et du droit déposé dans le dossier A-258-19. Il est évident que tous les arguments à l’encontre de la condamnation pour outrage auraient dû être soumis dans un même dossier. Ceci étant dit, afin de simplifier et de traiter tous les arguments portant sur la condamnation pour outrage ensemble, notre Cour les a considérés.

[8] Les appelants arguent également que la Cour fédérale ne pouvait les condamner sans aussi condamner le Conseil. Ils soutiennent que la Cour fédérale n’a pas suffisamment considéré qu’à la date de la présentation de la requête ex parte de l’intimé, soit le 27 juin 2018 (ordonnance du juge Locke datée du 6 juillet 2018), ils n’avaient pas encore commis d’actes irréversibles pouvant constituer un outrage. Selon eux, la Cour fédérale aurait aussi dû considérer qu’après le 10 août 2018, ils ont tenté d’exécuter le jugement de 2017 en fixant la date des élections au 17 septembre 2018, par voie de résolution adoptée le 13 août 2018. Les appelants ajoutent que la Cour n’a pas bien soupesé la preuve ni justifié certaines conclusions de fait, notamment, quant au commentaire du Chef Simon que la juge St-Louis était une « Auassiu ». Cette dernière question est plus pertinente à la détermination de la sentence qu’à la condamnation pour outrage, et sera traitée dans le dossier A‑258‑19.

[9] Comme je l’ai indiqué à l’audience, il est bien établi que règle générale, les appelants ne peuvent soulever en appel des questions mixtes de faits et de droit qu’ils n’ont pas soulevées devant la Cour fédérale. Ils ne peuvent pas non plus nous demander d’intervenir en appel au motif que la Cour de première instance n’a pas exercé sa discrétion après l’audience sur la sentence afin de renverser sa propre décision les condamnant à outrage (Carey c. Laiken, 2015 CSC 17, [2015] 2 R.C.S. 79 au para. 65) (Carey). Ils n’ont jamais demandé à la Cour fédérale d’exercer ce pouvoir, se contentant d’affirmer que la résolution du 13 août 2018 constituait un facteur atténuant justifiant une sentence suspendue ou une très faible amende.

[10] Je note que la juridiction de la Cour fédérale s’étend tant au Conseil qu’aux chef et aux conseillers lorsqu’ils agissent ou sont censés agir à titre officiel (Horseman c. Première Nation de Horse Lake, 2013 CAF 159 au para. 6). Dans le cas présent, le chef et les conseillers étaient des défendeurs devant la Cour fédérale lorsque le jugement de décembre 2017 a été rendu. Les critères applicables en matière d’outrage ont été examinés en 2018 à l’égard de leurs agissements à titre de personnes expressément décrites dans le jugement de décembre 2017 comme étant responsables de son exécution. C’est afin de permettre l’exécution du jugement que les appelants ont été maintenus en fonction.

[11] En l’espèce, ce sont les normes établies dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, qui s’appliquent. La question à savoir s’il y avait matière à déclarer les appelants coupables d’outrage au tribunal est une question mixte de faits et de droit soumise à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Même s’il fallait considérer les commentaires de la Cour fédérale quant à l’existence de l’article 65.1 de la Loi comme une erreur de droit isolable sujette à la norme de la décision correcte, une telle erreur ne justifierait notre intervention que si elle pouvait avoir un impact sur le résultat. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[12] En effet, bien qu’il soit évident que l’article 65.1 existe toujours dans la Loi, plutôt que dans les Règles, cela n’a en soi aucune incidence en l’espèce, puisque le droit est clair. Une requête en vertu de l’article 65.1, comme toute autre demande de sursis, ne rend pas une ordonnance dûment rendue sans effet. Le sursis est simplement le remède recherché, et les appelants étant dûment représentés par leur procureur, comprenaient bien cette distinction. Le jugement du 21 décembre 2017 restait valide et exécutoire jusqu’à ce qu’il soit infirmé ou actuellement suspendu (Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892 à la p 974.

[13] De plus, dans cette affaire, une demande de sursis et un appel du jugement ne sont pas en soi des actes pouvant être invoqués au soutien d’une défense de « diligence raisonnable afin de respecter le jugement de la Cour », tel que l’allèguent les appelants. Cette défense vise des actes faits pour se conformer à une ordonnance de la Cour (par exemple, commencer les démarches nécessaires pour la tenue d’une élection, et être empêché de tenir l’élection par des événements hors de leur contrôle). Ici, les gestes posés, soit l’appel du jugement de décembre 2017 et les trois requêtes afin d’obtenir un sursis, visaient tous à éviter d’avoir à obéir au jugement du 21 décembre 2017. L’erreur quant à l’application de l’article 65.1 ne peut donc aucunement justifier une intervention de notre part.

[14] Les autres arguments des appelants ne peuvent être retenus non plus. Il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a tenu compte des trois éléments qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable avant d’imposer une condamnation pour outrage au tribunal (Carey aux para. 32-35). Elle a conclu que l’ordonnance était très claire, qu’elle avait été très bien comprise par tous les défendeurs, et que les défendeurs l’avaient sciemment ignorée. La chronologie des faits établie devant la Cour fédérale appuie cette dernière conclusion. Il ne fait aucun doute que le code électoral de 1994 n’avait pas été modifié, et donc qu’une élection devait être tenue le 17 août 2018. La Cour fédérale a qualifié la preuve à l’égard de ces éléments, de preuve écrasante justifiant une décision sur le banc. Après un examen attentif de la preuve au dossier, je ne suis pas persuadée que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante nous permettant d’intervenir.

[15] L’appel devrait donc être rejeté avec dépens. L’intimé demande que ceux-ci soient fixés à nouveau sur une base avocat-client, comme en première instance. À cet égard, je note que les appelants étaient prêts à se désister sans frais dans ce dossier, mais que l’intimé insistait pour les dépens qu’il nous demande. Je propose que, compte tenu de toutes les circonstances, les dépens en appel soient fixés à 2 000,00 $.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Marianne Rivoalen j.c.a. »

« Je suis d’accord

Sylvie E. Roussel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE LAFRENIÈRE DU 10 AOÛT 2018, NO. DU DOSSIER T-2135-16

DOSSIER :

A-286-18

 

INTITULÉ :

RENÉ SIMON, ÉRIC CANAPÉ, GÉRALD HERVIEUX, DIANE RIVERIN, JEAN-NOËL RIVERIN, RAYMOND ROUSSELOT, MARIELLE VACHON ET LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT c. JÉROME BACON ST-ONGE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence EN LIGNE

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 octobre 2022

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 octobre 2022

 

 

COMPARUTIONS :

Kenneth Gauthier

Pour les appelants

RENÉ SIMON, ÉRIC CANAPÉ, GÉRALD HERVIEUX, JEAN-NOËL RIVERIN, RAYMOND ROUSSELOT, MARIELLE VACHON ET LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

 

Jean-Yves Groleau

Pour l’appelantE

DIANE RIVERIN

François Boulianne

 

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kenneth Gauthier Avocat

Baie-Comeau (Québec)

Pour les appelants

RENÉ SIMON, ÉRIC CANAPÉ, GÉRALD HERVIEUX, JEAN-NOËL RIVERIN, RAYMOND ROUSSELOT, MARIELLE VACHON ET LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

 

Bureau d'Aide Juridique de Baie-Comeau

Baie-Comeau (Québec)

 

Pour l’appelantE

DIANE RIVERIN

 

Neashish & Champoux, S.E.N.C.

Wendake (Québec)

Pour l'intimé

 

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