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Date : 20221018


Dossier : A-152-20

Référence : 2022 CAF 177

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

IOULIA GALLINGER

 

 

défenderesse

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE WEBB

 


Date : 20221018


Dossier : A-152-20

Référence : 2022 CAF 177

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

IOULIA GALLINGER

 

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] Par la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur, le procureur général du Canada, souhaite obtenir l’annulation de la décision rendue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) intitulée Gallinger c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 54. Dans cette décision, il est établi que l’employeur de la défenderesse avait fait preuve de discrimination à son égard, en raison de son invalidité, en la licenciant alors qu’elle était en congé de maladie non payé (CNP de maladie).

[2] La Commission a ordonné que la défenderesse soit réintégrée, que son CNP de maladie soit prorogé pendant que l’employeur, la défenderesse et son syndicat terminaient un processus de retour au travail et que la défenderesse se voit restituer le statut d’employée rémunérée à compter de la date de la décision de la Commission, dans la mesure où les renseignements médicaux étayaient cette décision. La Commission a également accordé à la défenderesse une indemnité de 15 000 $ pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) et une indemnité spéciale de 7 500 $ en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la LCDP).

[3] La compétence de la Commission en matière de licenciement découle du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi). Sa compétence pour interpréter et appliquer la LCDP dans le cas de toute question renvoyée à l’arbitrage découle de l’alinéa 226(2)a) de la Loi.

[4] La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [arrêt Vavilov]; Gulia c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 106 au para. 8; Canada (Procureur général) c. Alexis, 2021 CAF 216 au para. 5. Pour être raisonnable, la décision de la Commission selon laquelle le licenciement était discriminatoire, doit appartenir à un éventail d’issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 47 [Dunsmuir]. Notre Cour ne peut pas se demander quelle décision elle aurait prise, mais elle doit plutôt uniquement « décider du caractère raisonnable de la décision rendue par [la Commission] – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » : Vavilovau para. 83. Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov au para. 100.

[5] Le demandeur fait valoir que la conclusion de la Commission, selon laquelle l’employeur n’a pas pris une mesure d’adaptation à l’égard de la défenderesse jusqu’à la limite de la contrainte excessive, était déraisonnable étant donné que la Commission n’a jamais établi si, au moment de son licenciement, la défenderesse pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible, malgré l’élément de preuve dont disposait la Commission selon lequel elle ne pouvait pas le faire. Subsidiairement, le demandeur affirme que l’octroi d’une indemnité spéciale en vertu de la LCDP était déraisonnable, car la Commission a fondé cet octroi sur des considérations non pertinentes et s’est écartée de la [traduction] « jurisprudence bien établie » selon laquelle une discrimination intentionnelle ou une manière d’agir téméraire ou insouciante est nécessaire pour justifier l’octroi d’une indemnité spéciale.

[6] Pour les motifs suivants, j’ai conclu que la décision de la Commission, selon laquelle le licenciement était discriminatoire, est raisonnable, mais que la décision d’octroyer une indemnité spéciale en vertu de la LCDP ne l’est pas.

I. Contexte

[7] La défenderesse, Ioulia Gallinger, était une employée de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’employeur). À la suite d’un congé de maternité qui a pris fin en février 2015, elle n’a pas été en mesure de retourner au travail en raison de maladie. Elle a donc commencé un CNP de maladie. Entre janvier 2015 et février 2017, la défenderesse a fourni à son employeur neuf notes de médecins indiquant qu’elle n’était pas en mesure de retourner au travail, mais que ses progrès seraient évalués de nouveau. La dernière de ces notes, en date du 22 février 2017, faisait suite à la demande faite par l’employeur en vue de connaître la date de retour au travail ou la « nature du congé [de la défenderesse] » et, si elle ne retournait pas au travail, en vue de recevoir un certificat médical. Cette note du médecin indiquait que la défenderesse serait évaluée de nouveau en juin.

[8] Le 15 mars 2017, après deux ans de CNP de maladie et conformément à la politique du Conseil du Trésor, l’employeur a envoyé à la défenderesse une lettre d’options dans laquelle étaient présentées trois options : (i) retourner au service actif, (ii) prendre les mesures nécessaires pour prendre sa retraite pour raisons médicales ou (iii) démissionner de la fonction publique. Cette lettre demandait que la défenderesse prenne une décision au plus tard le 24 avril 2017 et, si elle choisissait de retourner au travail, elle exigeait la présentation d’un certificat médical indiquant la date prévue de son retour au travail et toute mesure d’adaptation dont elle pourrait avoir besoin. La lettre l’informait qu’en l’absence de ces renseignements, l’employeur pourrait demander qu’elle subisse une évaluation de l’aptitude au travail (EAT). La lettre l’avertissait que l’employeur pourrait envisager de mettre fin à son emploi s’il n’obtenait pas de réponse de sa part avant la date limite et l’invitait à communiquer avec l’employeur si elle avait des questions.

[9] La défenderesse n’a pas communiqué avec son employeur pour lui poser des questions, mais elle lui a remis une note de son médecin en date du 19 avril 2017 qui l’informait qu’elle avait obtenu un rendez-vous avec un spécialiste et que son médecin espérait pouvoir fournir au plus tard le 1er juillet 2017 une mise à jour fournissant les renseignements demandés par l’employeur dans sa lettre du 15 mars.

[10] Le 18 mai 2017, l’employeur a envoyé à la défenderesse une deuxième lettre d’options accusant réception de la note du médecin d’avril. Dans cette lettre, il était indiqué que [traduction] « [m]alheureusement, aucune date de retour au travail n’a été indiquée » et que l’employeur avait donc conclu que [traduction] « malheureusement, votre état de santé ne vous permet pas de retourner au travail dans un avenir prévisible ». Cette deuxième lettre d’options n’offrait à la défenderesse que deux options : la retraite pour raisons médicales ou la démission. Il n’y avait plus l’option de retour au travail. La lettre fixait la date limite pour répondre au 2 juin 2017.

[11] La lettre d’options de mai invitait la défenderesse à communiquer avec son syndicat pour obtenir de l’aide. À la fin du mois de mai, le syndicat a demandé une prorogation du délai du 2 juin 2017 à la première semaine de juillet pour que la défenderesse puisse [traduction] « exercer l’une des trois options mentionnées dans la lettre du 15 mars ». L’employeur a accepté de proroger la date limite qu’il a fixée au 10 juillet 2017.

[12] Le 4 juillet 2017, la défenderesse a demandé à son employeur un congé non payé de trois mois pour s’occuper de sa famille, comme l’autorise la convention collective et elle a soutenu que le congé suspendrait les conséquences de la lettre d’options. Son employeur a répondu immédiatement et rejeté la demande, en indiquant que la défenderesse devait régler la question relative au CNP de maladie avant de demander un autre type de congé. Le 7 juillet 2017, l’employeur a envoyé une troisième lettre d’options dans laquelle il confirmait son refus de la demande de congé, il réitérait uniquement les deux options mentionnées dans sa lettre d’options de mai et il fixait une date limite pour répondre au 14 juillet.

[13] Le 10 juillet 2017, l’employeur a envoyé à la défenderesse un courriel pour l’informer que, comme elle n’était [traduction] « pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, [elle] ne pouv[ait] pas passer du congé de maladie à un autre type de congé, puisque cela ne permet pas de régler notre situation relative au congé de maladie ». La défenderesse a déposé un grief au sujet du refus de sa demande de congé. Ce grief n’est pas en litige en l’espèce.

[14] Le 14 juillet 2017, la date limite fixée pour répondre à la troisième lettre d’options (c.‑à‑d. le 7 juillet 2017), la défenderesse a écrit à son employeur pour l’informer qu’elle attendait toujours des renseignements d’un spécialiste et qu’elle avait besoin d’une prorogation [traduction] « pour avoir assez de temps pour prendre une décision éclairée sur la date à laquelle je serais en mesure de retourner au travail ». L’employeur lui a demandé quelle était la durée de la prorogation qu’elle demandait. Le 20 juillet 2017, elle a répondu que sa meilleure estimation était que huit à dix semaines de plus seraient nécessaires, mais elle a aussi dit qu’elle était confrontée à des contraintes qui échappaient à son contrôle.

[15] Dans sa quatrième lettre d’options en date du 31 juillet 2017, l’employeur a approuvé une prorogation jusqu’au 15 septembre 2017 [traduction] « afin que vous puissiez prendre une décision éclairée relative aux options qui vous ont été envoyées le 7 juillet » (c.-à-d. prendre des mesures pour prendre une retraite pour raisons médicales ou démissionner de la fonction publique). Cette lettre réitérait l’avertissement selon lequel, si l’employeur n’avait pas de nouvelles de la défenderesse au plus tard le 15 septembre 2017, il envisagerait un licenciement.

[16] À une réunion tenue le 3 août 2017 entre l’employeur et le représentant syndical de la défenderesse pour discuter du grief de la défenderesse concernant le congé qui lui a été refusé, la situation de la défenderesse et les défis qu’elle devait relever pour obtenir les renseignements médicaux ont été discutés. Après cette réunion, le syndicat a informé la défenderesse qu’il avait averti l’employeur qu’un licenciement entraînerait un grief et une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, mais il l’a avertie que l’employeur ne prorogerait pas la date limite au-delà du 15 septembre 2017 et qu’il était [traduction] « impératif » d’essayer de respecter cette date limite pour fournir les renseignements médicaux.

[17] Même si la défenderesse a reçu une note de son médecin de famille en date du 13 septembre 2017, elle ne l’a pas envoyée à son employeur. Il semble qu’elle pensait que son syndicat cherchait à proroger la date limite au 15 septembre 2017 et qu’elle devait envoyer la note à son syndicat qui la transmettrait à l’employeur. Elle n’a pas envoyé la note à son syndicat avant le 22 septembre 2017, témoignant qu’elle a dû relever des difficultés pour le faire. La note du médecin de famille indiquait que la défenderesse n’était pas en mesure de retourner au travail à ce moment-là, mais qu’après le traitement qu’elle suivrait à l’automne, elle serait en mesure de fixer avec plus de certitude la date de son retour au travail. La note indiquait qu’un retour progressif au travail au cours des premiers mois de 2018 pourrait être possible si le traitement de la défenderesse se déroulait bien.

[18] Le 15 septembre 2017 est passé sans que la défenderesse ou son syndicat communique avec l’employeur. L’employeur n’a pas effectué un suivi auprès de la défenderesse ou de son syndicat, mais il a mis fin à l’emploi de la défenderesse pour incapacité médicale, à compter du 22 septembre 2017. La lettre de licenciement, que la défenderesse a reçue le 26 septembre 2017, décrivait les trois options offertes à la défenderesse : [traduction] « le retour au service avec l’attestation médicale pertinente, la démission ou la retraite pour raisons médicales sous réserve de l’approbation de Santé Canada ». La lettre mentionnait les trois prorogations qui lui avaient été accordées, son omission de confirmer sa décision dans le délai prescrit et l’absence des renseignements médicaux demandés par l’employeur, outre la note du 19 avril 2017.

[19] Le 3 octobre 2017, la défenderesse a écrit à son employeur pour indiquer qu’elle avait tenté d’obtenir les renseignements nécessaires à son retour au travail, qu’elle pensait que son syndicat avait obtenu la prorogation de la date limite fixée au 15 septembre et qu’elle avait été licenciée en raison des erreurs commises par ses représentants du syndicat. Elle a demandé à l’employeur de réexaminer le licenciement et de lui donner la possibilité de fournir les documents médicaux. Le 4 octobre 2017, le syndicat a également demandé de proroger la date limite fixée au 15 septembre.

[20] Le 11 octobre 2017, la défenderesse a reçu une autre note médicale de son médecin de famille qui indiquait que, même si la défenderesse ne s’était pas complètement rétablie, elle estimait être en mesure de retourner au travail graduellement, à compter du 30 octobre 2017. Le médecin de famille a précisé qu’il s’attendait à ce que le retour au travail se fasse nécessairement sur une période de plusieurs mois, en commençant par deux jours et demi par semaine, et il a décrit plusieurs restrictions et les mesures d’adaptation proposées.

[21] Le syndicat a rencontré l’employeur le 16 octobre 2017 et lui a fourni les notes du médecin du 13 septembre et du 11 octobre qui l’informaient qu’il pouvait communiquer avec le médecin de la défenderesse s’il avait besoin de plus amples renseignements. Le 30 octobre 2017, la défenderesse a déposé un grief contre la décision de mettre fin à son emploi prise par l’employeur, dans lequel elle affirmait que son licenciement et le contenu de la lettre de licenciement étaient contraires à sa convention collective et discriminatoires en raison de son incapacité. Devant la Commission, le représentant de l’employeur a témoigné que, parce que les notes du médecin seraient traitées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, l’employeur n’a pas répondu à la demande de réexamen de la décision de licenciement eu égard aux renseignements obtenus à l’occasion de la réunion du 16 octobre 2017.

[22] Le grief a été entendu en novembre 2017 et en date du 20 mars 2018, la réponse émise par le dernier palier de la procédure interne de grief a confirmé la décision de licencier la défenderesse, car [traduction] « [à] la date de [son] licenciement, [elle était] en congé de maladie non payé depuis plus de deux ans et [elle n’avait] pas établi [qu’elle serait] en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible ».

[23] Cela a conduit au renvoi du grief à la Commission aux fins d’arbitrage.

II. Décision de la Commission concernant la question du licenciement considéré comme discriminatoire

[24] Renvoyant à l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, (1985), 23 D.L.R. (4th) 321, la Commission a indiqué qu’il incombait initialement à la défenderesse d’établir une preuve prima facie de discrimination et que, si elle l’établissait, il incombait à l’employeur de justifier le licenciement en établissant que la prise d’une mesure d’adaptation à l’égard de la défenderesse imposerait une contrainte excessive. Voir aussi l’article 15 de la LCDP.

[25] La Commission a conclu que la défenderesse avait établi une preuve prima facie de discrimination. Cependant, elle a établi que l’employeur n’avait pas démontré qu’il avait pris une mesure d’adaptation pour répondre aux besoins de la défenderesse jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Par conséquent, la Commission a conclu que le licenciement de la défenderesse par son employeur était discriminatoire en raison de son incapacité.

[26] Le demandeur ne conteste pas le fait que la Commission a défini le critère juridique approprié. En outre, le demandeur ne conteste pas le fait que la défenderesse s’est acquittée de son fardeau.

[27] Le demandeur affirme plutôt que la Commission a commis une erreur en ne répondant pas à une question préliminaire, celle de savoir si, au moment où l’emploi de la défenderesse a pris fin, elle pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible. La Commission a elle-même admis qu’elle n’a ni répondu à cette question ni n’a été en mesure de le faire. Le demandeur affirme que, non seulement la défenderesse, avant son licenciement, n’a fourni à son employeur aucun élément de preuve selon lequel elle pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible, mais la preuve relative aux événements survenus après le licenciement dont disposait la Commission [traduction] « établissait hors de tout doute » qu’elle n’en fournirait pas. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la Commission omette de tenir compte de cette preuve lorsqu’elle a entrepris une analyse de la contrainte excessive.

[28] De plus, le demandeur fait valoir qu’une contrainte excessive est établie lorsque l’employé n’est pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible. Bien qu’il admette que ce qui constitue l’avenir prévisible dépend des circonstances, le demandeur soutient qu’après une absence de deux ans, un délai de six mois pour fournir des renseignements médicaux pourrait raisonnablement constituer l’avenir prévisible.

[29] Enfin, selon le demandeur, la décision de la Commission selon laquelle le licenciement était discriminatoire reposait principalement sur le fait que l’employeur n’avait pas communiqué avec la défenderesse ou son syndicat après que la date limite, fixée au 15 septembre, avait été dépassée. Cependant, la conclusion de la Commission, selon laquelle l’employeur aurait dû prendre contact, était déraisonnable étant donné qu’elle impose à l’employeur une obligation procédurale d’accommodement, malgré l’absence d’obligation procédurale d’accommodement distincte.

A. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son application du critère de détermination de la contrainte excessive en ne demandant pas si la défenderesse pouvait retourner au travail au moment où son emploi a pris fin?

[30] Une fois que la défenderesse établissait l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, la Commission devait décider si l’employeur satisfaisait au critère de détermination de la contrainte excessive. Comme la Commission l’a fait remarquer, les principes applicables sont énoncés dans l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43. Dans cet arrêt, la Cour suprême a indiqué, au paragraphe 17, que « si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de la preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive ».

[31] En l’espèce, la Commission a conclu que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau, étant donné qu’il n’a pas établi « que la mesure d’adaptation à l’égard de [la défenderesse] consistant à attendre d’autres renseignements médicaux constituait une contrainte excessive » (motifs au para. 136). L’employeur avait la note du 19 avril 2017 qui n’était « pas [...] un énoncé clair et positif de [l’]incapacité [de la défenderesse] de retourner au travail dans un avenir prévisible » et qui « n’indiquait rien au sujet d’un retour au travail possible à un moment donné dans un avenir lointain. Elle indiquait simplement qu’elle attendait de consulter un spécialiste » (motifs au para. 130).

[32] Tout en reconnaissant que la note du 19 avril 2017 ne renfermait pas les renseignements que l’employeur avait demandés, de l’avis de la Commission, cette note ne justifiait pas la « conclusion [...] selon laquelle [la défenderesse] ne pouvait pas retourner au travail dans un avenir prévisible » (motifs au para. 131, caractères gras ajoutés par la Commission), une conclusion qui a conduit l’employeur à supprimer l’option de retour au travail dans la deuxième lettre d’options (du 18 mai 2017) et, finalement, à mettre fin à l’emploi de la défenderesse.

[33] La Commission a établi une comparaison avec les décisions invoquées par le demandeur, en les qualifiant de décisions où « les employeurs en question disposaient d’énoncés clairs de professionnels de la santé selon lesquels les retours au travail des fonctionnaires s’estimant lésés étaient ‘d’une durée indéterminée’, ‘ne serait possible que’, dans peut‑être deux ans ou ‘[…] pas […] dans un avenir prévisible […]’ » (motifs au para. 129). La Commission a expressément indiqué qu’elle ne disait « pas qu’un employeur est tenu de proroger un CNP de maladie pendant une période indéterminée en raison de l’incertitude des renseignements médicaux » (motifs au para. 136, caractères gras ajoutés par la Commission). Cependant, elle a fait observer que, dans les cas invoqués par l’employeur, les fonctionnaires avaient établi une « preuve claire » qu’ils ne retourneraient pas au travail dans un avenir prévisible, à quoi s’ajoute le fait « que les employeurs qui avaient déjà offert un CNP de maladie d’une durée plus longue que celle offerte par l’[employeur] à [la défenderesse] » (motifs au para. 137).

[34] Étant donné que l’employeur savait que la défenderesse a éprouvé des difficultés à obtenir les renseignements médicaux, la Commission a établi que l’employeur aurait dû faire un suivi après que la défenderesse n’a pas réussi à respecter la date limite fixée au 15 septembre. Il « existait d’autres options raisonnables » (notamment demander une EAT) qui « n’auraient pas constitué une contrainte excessive », mais qui auraient plutôt « permis à l’employeur de s’acquitter de sa part dans l’effort multipartite » de traiter la situation de la défenderesse (motifs au para. 161). La Commission a donc conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir « qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il n’avait pas mis fin à son emploi » (motifs au para. 162).

[35] Contrairement à ce que le demandeur a fait valoir, la Commission n’a pas omis de poser une question qu’elle était tenue de poser, à savoir si, à la date à laquelle l’emploi de la défenderesse a pris fin, celle-ci pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible. Le demandeur admet qu’une fois que la défenderesse s’est acquittée de sa charge initiale, il incombait à l’employeur d’établir que la prise d’une autre mesure d’adaptation à l’égard de la défenderesse lui imposerait une contrainte excessive. En tentant de s’acquitter de cette obligation, l’employeur a uniquement souligné le fait que la défenderesse n’a pas réussi à établir qu’elle pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible. Cependant, la Commission a conclu que l’employeur avait mis fin à l’emploi de la défenderesse sans savoir si elle pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible et qu’il n’a pas établi qu’il avait pris une mesure d’adaptation à son égard jusqu’à la limite de la contrainte excessive, car il existait d’autres options. Compte tenu de ces conclusions, la Commission n’a pas estimé que cette question était pertinente. À mon avis, vu les conclusions de fait de la Commission, il était raisonnable que la Commission tire ces conclusions dans les circonstances de l’espèce.

B. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve relative aux événements survenus après le licenciement lorsqu’elle a entrepris son analyse de la contrainte excessive?

[36] La preuve relative aux événements survenus après le licenciement en question comportait des renseignements de février 2018 à janvier 2020, notamment des notes du médecin, des demandes de retraite pour raisons de santé et de pension d’invalidité, aux termes du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, c. C-8, présentées par la défenderesse, les renseignements fournis par la défenderesse à la Sun Life, le fournisseur de prestations d’invalidité, et ceux que la défenderesse avait reçus de la Sun Life. La preuve indiquait que la défenderesse n’était toujours pas en mesure de travailler pendant une période prolongée après son licenciement.

[37] La Commission a estimé que la preuve n’était pas pertinente pour trancher la question de savoir si l’employeur a établi qu’au moment de décider de mettre fin à l’emploi de la défenderesse, il ne pouvait pas prendre une mesure d’adaptation à son égard au point de subir une contrainte excessive. Le demandeur, en renvoyant aux arrêts Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4 aux para. 49 et 50 [McGill], Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131 [Cruden] et Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, 144 D.L.R. (4th) 385 [Conseil de l’éducation de Toronto], affirme que la Commission aurait dû tenir compte de cette preuve.

[38] Ces arrêts ne sont pas utiles au demandeur. L’arrêt Cruden portait sur la question de savoir si la conclusion, selon laquelle prendre des mesures d’adaptation destinées à répondre aux besoins de l’employé entraînerait une contrainte excessive, empêchait d’accorder une indemnité en application de la LCDP, en raison de l’existence d’une obligation procédurale d’adaptation distincte. Notre Cour était d’accord pour dire qu’une fois qu’un employeur établit qu’une norme discriminatoire est une exigence professionnelle, même si elle est fondée sur une preuve postérieure aux faits, il n’y a pas d’acte discriminatoire. Contrairement à ce qu’a fait valoir le demandeur, notre Cour n’a pas exigé qu’il faille tenir compte de la preuve relative aux événements survenus après le licenciement.

[39] Dans l’arrêt McGill, l’employée a tenté plusieurs fois, sans succès, de retourner au travail. À la date de son licenciement, les rapports médicaux indiquaient que la date de son retour au travail était indéterminée. L’arbitre a tenu compte des faits postérieurs au licenciement, car ils concordaient avec les faits antérieurs au licenciement qui révélaient que l’employée était totalement incapable d’accomplir ses tâches habituelles ou celles d’un emploi analogue pour des raisons d’ordre médical.

[40] Dans l’arrêt Conseil de l’éducation de Toronto, la Cour suprême a affirmé que la Commission ne pouvait pas ignorer la preuve d’événements subséquents, qui révélait une conduite répréhensible continue, et annuler une décision de congédiement, jugée raisonnable en raison de ce comportement, en l’absence de preuve selon laquelle la conduite était temporaire. En l’espèce, la preuve relative aux événements survenus après le licenciement diffère de celle dans l’arrêt Conseil de l’éducation de Toronto. Dans cet arrêt, la décision initiale de congédier l’employé a été considérée comme étant justifiée en raison des renseignements dont disposait l’employeur au moment du congédiement. En l’espèce, la Commission a conclu que les renseignements dont disposait l’employeur au moment de mettre fin à l’emploi de la défenderesse ne justifiaient pas le licenciement.

[41] Dans l’arrêt Cie minière Québec Cartier c. Québec (Arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095, 125 D.L.R. (4th) 577 [Cartier], la Cour suprême a conclu qu’on ne pouvait pas se fonder sur une preuve d’événements subséquents révélant la réussite d’une cure de désintoxication pour infirmer une décision qui était raisonnable au moment où elle a été rendue.

[42] La question que la Commission devait trancher était de savoir si la décision de mettre fin à l’emploi de la défenderesse était discriminatoire au moment où elle a été rendue. La Commission a conclu qu’elle l’était.

[43] Les arrêts Cartier et Conseil de l’éducation de Toronto enseignent qu’on ne peut pas se fonder sur une preuve constituée d’événements subséquents pour transformer une décision, qui était justifiée lorsqu’elle a été rendue, en une décision qui devrait être infirmée. En l’espèce, l’employeur a tenté d’utiliser la preuve d’événements subséquents pour étayer une décision que la Commission a jugée déraisonnable et discriminatoire au moment où elle a été rendue. Conformément aux arrêts Cartier et Conseil de l’éducation de Toronto, la Commission a conclu que la preuve d’événements subséquents qui, avec le recul, indique que la décision de licenciement rendue par l’employeur pourrait avoir été raisonnable au moment où elle a été rendue, ne pouvait pas être utilisée pour transformer une décision qui n’était pas justifiée en une décision qui l’était.

[44] La Commission a tenu compte de la position du demandeur concernant la preuve relative aux événements survenus après le licenciement, mais elle n’y a pas souscrit pour des motifs qu’on peut discerner si on lit la décision dans son ensemble. Je ne constate aucune erreur quant à l’approche adoptée par la Commission concernant l’importance de la preuve relative aux événements survenus après le licenciement qui permet de conclure que la décision de licenciement était discriminatoire.

C. La Commission a-t-elle commis une erreur en imposant à l’employeur une obligation procédurale d’adaptation?

[45] Le demandeur soutient qu’en concluant que l’employeur aurait dû communiquer avec la défenderesse ou son syndicat à partir du 15 septembre 2017 et avant de rendre la décision de licenciement, la Commission a imposé à l’employeur une obligation procédurale. Cependant, en invoquant les arrêts Cruden et Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290 [Duval], le demandeur affirme que notre Cour a reconnu qu’il n’existe aucune obligation procédurale d’adaptation distincte aux termes de la LCDP. Le demandeur fait valoir que l’analyse de la Commission aurait dû se terminer lorsqu’elle a conclu qu’elle ne pouvait pas établir si la défenderesse pouvait retourner au travail et à quel moment.

[46] Les arrêts Cruden et Duval ne sont pas utiles au demandeur. Dans l’arrêt Cruden, au paragraphe 21, notre Cour a conclu que si des mesures d’adaptation font subir une contrainte excessive, il n’existe pas de droit procédural en la matière. Dans cette affaire, l’employeur a établi qu’il ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’employée sans subir une contrainte excessive. Ayant établi cela, il était inutile d’en faire plus. En l’espèce, la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas établi qu’il ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’employée sans subir une contrainte excessive : l’employeur n’avait pas démontré pourquoi le fait d’attendre plus longtemps, faire un suivi auprès de la défenderesse ou de son syndicat après le 15 septembre 2017 ou prendre d’autres mesures raisonnables, comme demander une EAT, constitueraient une contrainte excessive.

[47] Dans l’arrêt Duval, l’arbitre avait établi que la procédure adoptée par l’employeur pour réintégrer l’employé constituait en soi une non-prise de mesures d’accommodement. En appel, notre Cour a affirmé que, même s’il « n’existe pas de droit procédural à un accommodement distinct qui impose une procédure particulière que l’employeur doit suivre lorsqu’il cherche à prendre des mesures d’accommodement en faveur d’un employé », elle a souligné que « dans chaque cas, la question de savoir si l’employeur a ou non établi qu’il a pris des mesures d’accommodement à l’égard d’un plaignant au point de constituer une contrainte excessive est une question de fait » : Duval au para. 25.

[48] En l’espèce, la Commission n’imposait pas à l’employeur une procédure particulière. Au contraire, dans les circonstances en l’espèce – l’employeur savait que la défenderesse éprouvait des difficultés à obtenir les renseignements médicaux, l’employeur a accordé des « prorogations insuffisantes des délais » qu’il a fixés dans les lettres d’options (motifs au para. 143) et l’employeur n’a pas demandé une EAT, ayant affirmé qu’il pourrait en faire la demande s’il ne recevait pas les renseignements médicaux demandés – l’employeur n’a pas établi qu’il avait pris une mesure d’adaptation à l’égard de la défenderesse jusqu’à la limite de la contrainte excessive. La Commission a conclu que l’employeur a agi sans disposer de renseignements et n’a pas pris des mesures raisonnables « qui n’auraient pas constitué une contrainte excessive » (motifs au para. 161) avant de décider s’il devait mettre fin à l’emploi de la défenderesse.

D. Conclusion sur la question de savoir si la décision rendue par la Commission, selon laquelle le licenciement était discriminatoire, était raisonnable

[49] À mon avis, la décision de la Commission, déterminant que le licenciement était discriminatoire et que l’employeur n’avait pas établi qu’il ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la défenderesse sans s’imposer une contrainte excessive, appartient à un éventail d’issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir au para. 47. La Commission a défini le critère juridique approprié, examiné la preuve en profondeur et établi des conclusions de fait fondées sur cette preuve et sur des inférences qu’elle a tirées de cette preuve. La Commission a présenté les thèses des parties et analysé la jurisprudence qu’elles ont invoquée, en établissant des distinctions considérées comme appropriées par la Commission, pour les motifs qu’elle a expliqués.

[50] Par conséquent, à mon avis, cette décision satisfait aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité et je ne vois aucun motif de l’infirmer.

[51] J’ai lu les motifs de mon collègue le juge Webb. Un employeur doit s’efforcer d’accommoder un employé tout au long de la relation de travail. Faute d’agir en ce sens, l’employeur pourrait être taxé de discrimination : McGill au para. 22. Une fois survenue, l’obligation d’accommodement cesse uniquement au point de contrainte excessive – dans le contexte de l’espèce, lorsque l’employée n’est plus en mesure de travailler dans un avenir prévisible : Hydro-Québec au para. 19. C’est sur ce fondement que l’employeur a mis fin à l’emploi de la défenderesse et c’est dans ce contexte que la Commission a ainsi formulé la « principale question » dont elle était saisie : « si l’employeur a établi qu’il ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation en vue de répondre aux besoins de la [défenderesse] sans s’imposer une contrainte excessive » (motifs au para. 6).

[52] Devant la Commission, le demandeur n’a pas fait valoir que l’employeur n’avait pas une obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la défenderesse ou que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’était pas survenue au moment de son licenciement. En général, on ne peut contester le caractère raisonnable d’une décision administrative en invoquant une question qui n’a pas été soulevée devant le décideur administratif : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para. 22 à 29, [Alberta Teachers] et Gordillo c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 23 au para. 99. En l’espèce, la Commission est le décideur qui juge du fond et notre Cour ne peut qu’examiner la décision selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov au para. 84.

[53] Devant notre Cour, le demandeur a admis que la défenderesse s’était acquittée du fardeau initial d’établir que son licenciement était discriminatoire. Devant notre Cour, la question, comme elle a été formulée par le demandeur, était de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable, car la Commission n’a pas appliqué correctement le critère de contrainte excessive, un critère qui est pertinent lorsqu’une obligation de prendre des mesures d’adaptation est apparue. Bien qu’une cour d’appel puisse soulever une nouvelle question (en supposant que le problème mentionné dans l’arrêt Alberta Teachers n’existe pas), elle ne peut le faire que si son omission de le faire risque d’entraîner une injustice. En outre, si elle choisit de le faire, l’équité procédurale exige que les parties en soient avisées et qu’elles aient l’occasion de présenter des observations éclairées : R. c. Mian, 2014 CSC 54 aux para. 41 et 54; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30 au para. 26 et Adamson c. Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153 au para. 89. Les parties n’ont pas été avisées en l’espèce.

[54] Même s’il n’est pas nécessaire que je m’attarde davantage sur les questions soulevées par mon collègue, ma décision de ne pas le faire ne devrait pas être interprétée comme l’indication que je souscris à ses conclusions.

III. Procédure de règlement des griefs à l’interne

[55] Ayant conclu que le licenciement de la défenderesse était discriminatoire, la Commission a fait observer que son « analyse pourrait se terminer ici » (motifs au para. 162). Néanmoins, la Commission a ensuite examiné le processus de règlement informel (c.-à-d. la demande de la défenderesse de réexaminer la décision de licenciement et la réunion du syndicat avec l’employeur le 16 octobre 2017) et la procédure de règlement des griefs à l’interne qui a suivi le dépôt du grief le 30 octobre 2017.

[56] La Commission a conclu qu’ayant reçu les notes du médecin du 13 septembre et du 11 octobre 2017, après le licenciement, « la mesure raisonnable pour l’employeur aurait été d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour demander des renseignements supplémentaires » du médecin de la défenderesse ou pour lui demander de subir une EAT. L’employeur ayant omis de le faire; « il n’a pas établi qu’il ne pouvait prendre aucune autre mesure d’adaptation sans subir une contrainte excessive » (motifs au para. 183).

[57] Selon le demandeur, la Commission aurait dû limiter son analyse au licenciement lui-même, car la décision de l’employeur, prise après le licenciement, de ne pas réintégrer la défenderesse et la procédure de règlement des griefs à l’interne ne sont pas pertinentes pour la question de savoir si l’employeur avait des motifs valables de mettre fin à l’emploi de la défenderesse au moment où il l’a fait. Le demandeur affirme que la Commission n’avait pas compétence pour examiner la procédure de règlement des griefs à l’interne et la décision de ne pas réintégrer la défenderesse.

[58] L’arbitrage par la Commission du grief de la défenderesse constitue une audience de novo et non un examen de la procédure de règlement des griefs à l’interne en soi : Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291. En outre, un plaignant ne peut pas changer la nature du grief présenté à l’arbitre : Burchill c. Le Procureur général du Canada, (1980), [1981] 1 C.F. 109, 37 N.R. 530 (C.A.F.); Schofield c. Canada (Procureur général)) 2004 CF 622; Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192 [Shneidman] au para. 26.

[59] Cette restriction est également exprimée au paragraphe 209(1) de la Loi : « [a]près l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire [...] peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel [...] ». Le motif est que « les règles en matière d’équité procédurale dictent qu’un employeur ne devrait pas avoir à se défendre [...] sur des questions dont la caractérisation est très différente de celle en litige au cours de la procédure de règlement de grief » : Roy Leslie Boudreau c. Le Procureur général du Canada, 2011 CF 868 au para. 19; Shneidman aux para. 26 à 28.

[60] Je suis d’accord pour dire que la réponse de l’employeur et la procédure de règlement des griefs à l’interne qui ont suivi la décision de licenciement ne sont pas pertinentes pour déterminer si le licenciement de la défenderesse le 22 septembre 2017 était discriminatoire. Cependant, la conclusion de la Commission, selon laquelle le licenciement était en soi discriminatoire, n’est pas fondée sur les commentaires de la Commission concernant la réponse de l’employeur qui a suivi la décision de licenciement. La Commission considère plutôt que la réponse qui a suivi la décision de licenciement étaye sa conclusion selon laquelle en « agi[ssant] de manière déraisonnable pendant la période avant le licenciement et lorsqu’il n’a pas fait un suivi auprès d’elle afin de savoir si d’autres renseignements seront fournis », l’employeur « n’a pas établi qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il n’avait pas mis fin à son emploi » (motifs au, para. 162).

[61] Même si la Commission a établi que les décisions de l’employeur de ne pas évaluer les notes du médecin qu’il a reçues peu de temps après la décision de licenciement, de ne pas demander des renseignements supplémentaires et de ne pas réexaminer sa décision de licenciement faisaient « partie intégrante du grief » dont elle a été saisie, la Commission a exposé les raisons qui l’ont amenée à cette conclusion.

[62] La jurisprudence appuie le raisonnement de la Commission. La question à se poser est de savoir si les allégations formulées au stade de l’arbitrage ont « eu pour effet […] de modifier [le] grief original au point d’en changer la nature et d’en faire un nouveau grief » : Canada c. Rinaldi, [1997] ACF no 225 au para. 26, et Price c. Canada (Procureur général) 2016 CF 1408 au para. 77.

[63] En l’espèce, très peu de temps après avoir reçu la lettre de licenciement et avant le dépôt du grief, la défenderesse a demandé à l’employeur de lui accorder du temps pour fournir les renseignements médicaux et pour la tenue d’un réexamen du licenciement. L’employeur a reçu, à la mi-octobre, avant le dépôt du grief, les notes du médecin du 13 septembre et du 11 octobre 2017. Elles ont été présentées de nouveau à l’employeur à l’audition du grief au dernier palier, ainsi qu’une demande d’annuler le licenciement et une demande de mesures d’adaptation et un retour au travail à compter du 30 octobre 2017.

[64] Ainsi, à mon avis, la Commission pouvait raisonnablement conclure que les questions qui ont suivi le licenciement avaient été tranchées au cours de la procédure de règlement des griefs à l’interne et qu’elles lui avaient donc été dûment soumises.

IV. Indemnité spéciale en vertu de la LCDP

[65] La LCDP autorise l’octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral par suite d’un acte discriminatoire et la Commission a accordé à la défenderesse une indemnité pour préjudice moral. Bien que le demandeur n’ait pas contesté cet octroi, il est évident qu’il n’aurait pas pu être confirmé si le demandeur avait réussi à établir que la décision de la Commission, selon laquelle le licenciement était discriminatoire, était déraisonnable : Cruden au para. 16.

[66] Une indemnité spéciale est une somme supplémentaire qui peut être octroyée en application du paragraphe 53(3) de la LCDP si la Commission « en vient à la conclusion que l’acte [commis par l’employeur en l’espèce] a été délibéré ou inconsidéré ». Il s’agit d’« une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires » : Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, [Johnstone (CF)], appel accueilli pour des motifs distincts, 2014 CAF 110 au para. 155.

[67] Le demandeur allègue que la Commission a tenu compte de considérations non pertinentes, notamment les renseignements médicaux dont ne disposait pas l’employeur au moment où il a mis fin à l’emploi de la défenderesse, pour accorder l’indemnité spéciale. Le demandeur attire l’attention non seulement sur les notes du médecin du 13 septembre et du 11 octobre 2017, mais sur d’autres documents (preuve postérieure au grief) issus de la période comprise entre octobre 2018 et janvier 2020, notamment les notes du médecin et les documents concernant les prestations pour lesquelles la défenderesse a présenté une demande au cours de cette période.

[68] Je ne suis pas de cet avis. Bien que la Commission affirme que la preuve postérieure au grief est pertinente pour la mesure de redressement, rien n’indique que la preuve ait influencé la décision de la Commission au sujet de l’indemnité spéciale en vertu de la LCDP. Face à ces éléments de preuve, la Commission a plutôt décidé qu’elle ne pouvait pas « conclure de manière fiable à quel moment [la défenderesse] aurait pu reprendre le travail à temps plein » (motifs au, para. 224). Cela empêchait la Commission de réintégrer rétroactivement la défenderesse. Ainsi, la preuve postérieure au grief était pertinente pour la mesure de redressement, mais à aucun moment au cours de la discussion sur les indemnités accordées en vertu de la LCDP la Commission ne mentionne la preuve postérieure au grief.

[69] Le demandeur allègue que l’indemnité spéciale accordée par la Commission [traduction] « s’écarte de la jurisprudence bien établie » qui [traduction] « exige que la partie fautive ait agi intentionnellement ou que ses actes témoignent d’une indifférence quant à leurs conséquences » : mémoire du demandeur au para. 41, renvoyant à la décision Johnstone (CF). La défenderesse n’est pas d’accord et affirme que l’indemnité est raisonnable au regard du droit et des faits.

[70] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême explique que, lorsqu’un décideur administratif fournit des motifs, ils « servent à communiquer la justification de sa décision » (para. 84). La cour de révision doit accorder une attention particulière aux motifs écrits, en les interprétant de façon globale et contextuelle pour comprendre le fondement sur lequel repose la décision. Les motifs de la Commission, interprétés de façon globale et contextuelle, communiquent-ils la justification de l’octroi de l’indemnité spéciale, compte tenu de la loi qui restreint le décideur – en l’espèce la LCDP – et du contexte factuel? À mon avis, la réponse est non.

[71] En l’espèce, l’acte discriminatoire pertinent au sens de la LCDP était le fait « de refuser d’employer ou de continuer d’employer » la défenderesse : alinéa 7a) de la LCDP. Pour justifier l’octroi d’une indemnité spéciale, l’employeur doit avoir commis cet acte de manière délibérée ou inconsidérée. Rien ne permet de conclure que l’employeur a agi délibérément et rien dans le dossier n’étayerait une conclusion selon laquelle il a agi de cette façon.

[72] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Douglas, 2021 CAF 89, notre Cour a approuvé la description suivante d’un acte inconsidéré tirée de la décision Johnstone (CF)) au para. 155 :

On entend par « acte inconsidéré » celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante.

[73] La Commission a condamné l’employeur à verser une indemnité spéciale, car « l’employeur a agi de manière inconsidérée lorsqu’il a supprimé l’option de retourner au travail des lettres d’options nos 2 et 4, lorsqu’il a omis de communiquer avec la fonctionnaire et son syndicat lorsque la date limite du 15 septembre 2017 n’a pas été respectée et lorsqu’il n’a pas réexaminé de manière appropriée sa décision pendant la procédure de règlement des griefs » (motifs au para. 258).

[74] Le troisième motif invoqué par la Commission concernait la période postérieure au licenciement. À mon avis, même si les actes d’un employeur après un licenciement pourraient être pertinents pour l’octroi d’une indemnité spéciale, le fait que la procédure de règlement des griefs à l’interne n’ait pas donné lieu à une réintégration ne peut pas constituer le fondement de l’octroi d’une indemnité spéciale, en l’absence d’une conclusion selon laquelle la procédure était en soi biaisée ou que, par ailleurs, elle a été menée de façon incorrecte. Rien dans le dossier n’indique que cela était le cas en l’espèce.

[75] En outre, les motifs de la Commission ne déterminent pas adéquatement comment ou pourquoi ces actes sont inconsidérés, au sens où cette expression a été interprétée à cet effet. La Commission ne fait qu’affirmer qu’ils sont inconsidérés et que « la conduite inconsidérée est moins manifeste ou délibérée que ce qui semble être le cas » dans la décision Rogers c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 101 [Rogers] ou Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3 [Nicol] (motifs au para. 258).

[76] Dans Nicol, la conduite de l’employeur était « répétée, soutenue et calculée pour s’assurer que le fonctionnaire ne retourne pas au travail et [...] a duré pendant près de quatre ans » (para. 157). Dans Rogers, l’employeur « n’a démontré aucune volonté de discuter du retour au travail avec le fonctionnaire et son agent négociateur, ce qui est contraire à sa propre politique ». Dans Rogers, l’employeur disposait des renseignements d’un médecin, selon lesquels l’employé retournerait au travail, mais il « a fait preuve de la plus grande indifférence à l’égard des préoccupations du fonctionnaire », a traité le fonctionnaire « comme une personne non voulue », « n’a rien fait pour faciliter son retour au travail » et a « ignor[é] complètement les dispositions de la Politique relative aux blessures et aux maladies, plus précisément la partie où il est question de favoriser le retour au travail des employés malades ou blessés » (para. 109 et 110).

[77] À l’inverse, l’employeur en l’espèce a accordé à la défenderesse trois prorogations du délai pour soumettre les renseignements médicaux concernant sa capacité à retourner au travail. Bien que la Commission ait conclu que l’employeur a agi de manière déraisonnable et a commis un acte discriminatoire en mettant fin à l’emploi de la défenderesse au moment où il l’a fait, cette conclusion à elle seule ne correspond pas à une conduite inconsidérée.

[78] Dans d’autres décisions récentes, où une indemnité spéciale a été accordée, la Commission a conclu que l’employeur a agi « de mauvaise foi » (Santawirya c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2018 CRTESPF 58, 294 L.A.C. (4th) 223, demande de contrôle judiciaire accueillie pour d’autres motifs 2019 CAF 248) ou que les actes de l’employeur étaient « scandaleux » (Hare c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) 2019 CRTESPF 59). Je ne constate aucune conclusion analogue dans les motifs de la Commission et aucune conclusion d’acte discriminatoire délibéré selon Johnstone (CF).

[79] Même si la question qu’il faut se poser est de savoir si l’employeur a eu une conduite inconsidérée – et non de savoir si la défenderesse ou son syndicat ont eu cette conduite – à mon avis, l’évaluation visant à déterminer si la conduite de l’employeur est inconsidérée devrait être réalisée au cas par cas, en tenant compte du contexte particulier. Ce contexte comprend la manière dont les autres parties ont agi ou ont omis d’agir, surtout lorsque ces actes ou omissions sont susceptibles d’avoir influencé les actions ou les inactions de l’employeur.

[80] En l’espèce, la Commission a à juste titre reconnu que, prendre des mesures d’adaptation à l’égard des employés handicapés nécessite un effort multipartite, et elle conclut que « chacune des trois parties – l’employeur, [la défenderesse] et son syndicat – ont omis d’agir à des moments cruciaux lorsqu’ils pouvaient et auraient dû agir » (motifs au para. 6).

[81] La Commission qualifie l’omission de la défenderesse de respecter la date limite du 15 septembre 2017, après deux prorogations des délais précédents, de l’« un des aspects les plus troublants de cette affaire », étant donné que son syndicat et l’employeur « l’avai[en]t informée que son omission d’exercer une option avant cette date limite pourrait entraîner son licenciement » et que « [s]on syndicat l’avait informé que l’employeur n’accorderait aucune prorogation » (motifs au para. 154).

[82] La défenderesse a rencontré son médecin le 13 septembre 2017 et obtenu une note de ce médecin, mais elle ne l’a pas fournie à l’employeur et ne l’a transmise qu’à son syndicat, plus d’une semaine plus tard. La Commission a conclu qu’elle « a eu beaucoup de mal à choisir la bonne voie à suivre », du fait des conseils de son médecin, du sentiment qu’elle avait que son syndicat estimait qu’elle devrait travailler pendant cette période et de la mise en garde de son syndicat, selon laquelle elle devait évaluer l’incidence sur ses prestations d’assurance-invalidité (motifs au para. 155). La Commission affirme aussi que, même si « l’employeur a choisi de passer immédiatement au licenciement lorsqu’il existait d’autres options raisonnables », elle « doi[t] tenir [la défenderesse] principalement responsable de ne pas avoir respecté la date limite du 15 septembre » (motifs au para au 161).

[83] La Commission a également conclu que « l’omission de [la défenderesse] de déposer des éléments de preuve de nature médicale a nui considérablement à son argument selon lequel elle était prête et apte à retourner au travail à l’automne 2017 » (motifs au para. 240), de sorte qu’elle n’a pas pu « conclure de manière fiable à quel moment [la défenderesse] aurait pu reprendre le travail à temps plein » (motifs au para. 224).

[84] Compte tenu de ces conclusions, à mon avis, la décision de la Commission, selon laquelle l’employeur a eu une conduite inconsidérée, ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité. La Commission n’a pas attiré l’attention sur un acte téméraire ou insouciant et n’a pas expliqué pourquoi, dans le contexte d’un si grand nombre d’omissions de la part de toutes les parties, les actions ou inactions de l’employeur étaient inconsidérées.

[85] Par conséquent, j’annulerais l’octroi d’une indemnité spéciale en vertu de la LCDP et je renverrai l’affaire à la Commission pour qu’elle procède à un nouvel examen.

V. Conclusion

[86] Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, sans dépens, j’annulerais la décision de la Commission d’accorder une indemnité spéciale en application du paragraphe 53(3) de la LCDP et je renverrai l’affaire à la Commission pour qu’elle procède à un nouvel examen, en fonction du dossier existant, à la lumière des motifs qui précèdent.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

J.B. Laskin, j.c.a. »


LE JUGE WEBB (Motifs dissidents)

[87] La Commission a conclu que l’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard de la défenderesse en mettant fin à son emploi, étant donné que, si l’employeur s’était davantage renseigné, lorsque la défenderesse n’a pas respecté la date limite du 15 septembre 2017 qui lui avait été accordée pour aviser l’employeur de l’option qu’elle voulait choisir, cela ne lui aurait pas fait subir une contrainte excessive. Bien que mes collègues aient conclu que cette décision de la Commission était raisonnable, ma conclusion quant à cette décision est différente.

[88] À mon avis, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins de la défenderesse jusqu’à la limite de la contrainte excessive n’a pas été déclenchée. Par conséquent, aucune obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la défenderesse, jusqu’à la limite de la contrainte excessive, n’était imposée à l’employeur en l’espèce. La Commission ne s’est pas penchée sur la question de savoir si l’employeur avait l’obligation d’agir équitablement et de bonne foi en congédiant la défenderesse et, le cas échéant, si l’employeur a manqué à cette obligation.

I. Contexte et conclusions de fait de la Commission

[89] Les faits sont exposés en détail dans les motifs de mes collègues. Seuls quelques faits seront soulignés.

[90] La défenderesse était en congé de maladie non payé depuis le 3 février 2015. Après l’expiration de la période de deux ans, l’employeur a commencé à envoyer à la défenderesse des lettres pour établir si elle retournerait au travail. La première lettre transmise à la défenderesse comprenait trois options (un retour au service, une retraite pour raisons médicales ou une démission), mais les lettres suivantes ne comprenaient que les deux dernières options.

[91] La seule note du médecin fournie par la défenderesse (avant son licenciement) était une brève note datée du 19 avril 2017 qui a été présentée au paragraphe 36 des motifs de la Commission :

La présente fait suite à votre lettre à Mme Gallinger en date du 15 mars 2017. Elle a finalement obtenu un rendez‑vous avec un spécialiste au cours des prochaines semaines. Je crois que l’avis du spécialiste fournira d’autres conseils sur le diagnostic et la gestion et je proposerais que je vous donne une mise à jour au plus tard le 1er juillet 2017 à l’aide des renseignements que vous avez demandés dans votre lettre.

[92] La dernière lettre de l’employeur exigeait que la défenderesse indique l’option qu’elle choisirait avant la date limite du 15 septembre 2017. Avant cette date limite, la défenderesse a reçu une note de son médecin datée du 13 septembre 2017. Le contenu de cette note est présenté au paragraphe 56 des motifs de la Commission :

Veuillez noter que j’ai vu Ioulia au bureau aujourd’hui. Elle ne sera pas en mesure de retourner au travail à l’instant. Ioulia subira un traitement à l’automne et elle sera plus en mesure de prédire son retour au travail. Je prévois qu’elle devra faire l’objet d’un retour progressif au travail. Si son traitement va bien, ce sera aux débuts de 2018.

[93] La défenderesse n’a pas envoyé cette note à l’employeur avant son licenciement, le 22 septembre 2017.

[94] Cette note n’indiquait qu’un retour possible au travail au début de 2018 (« si son traitement va bien »). Une note ultérieure, en date du 11 octobre 2017, « proposait un retour progressif au travail commençant à la fin de ce mois » (motifs de la Commission au para. 238). Cependant, cette note ne persuadait toujours pas la Commission que la défenderesse avait établi si et quand elle pourrait retourner au travail :

[217] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que l’absence de preuves médicales détaillées et de témoignages dans une affaire comme l’espèce limite considérablement ma capacité de parvenir à des conclusions quant à savoir si et quand la fonctionnaire était en mesure de retourner au travail. Elle a eu l’occasion de présenter cette preuve à l’audience, mais elle ne l’a pas fait. La fonctionnaire n’a donc pas présenté la preuve médicale requise pour établir qu’elle était en mesure de travailler à compter du 30 octobre 2017 et devrait être réintégrée à compter de cette date, soit la mesure de redressement qu’elle a demandée lorsque son grief a été présenté.

[Non souligné dans l’original.]

II. Décision de la Commission

[95] Au début de ses motifs, la Commission a précisé ce qu’elle considérait être la principale question :

[6] [l]a principale question dont je suis saisi consiste à savoir si l’employeur a établi qu’il ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation en vue de répondre aux besoins de Mme Gallinger sans s’imposer une contrainte excessive.

[96] La conclusion de la Commission, selon laquelle le fait de se renseigner davantage n’imposerait pas à l’employeur une contrainte excessive, après que la défenderesse n’a pas respecté la date limite du 15 septembre 2017, est énoncée au paragraphe 161 de ses motifs :

[161] Je dois tenir Mme Gallinger principalement responsable de ne pas avoir respecté la date limite du 15 septembre. Toutefois, je conclus que l’employeur a choisi de passer immédiatement au licenciement lorsqu’il existait d’autres options raisonnables, c.-à-d. un appel téléphonique ou un courriel à la fonctionnaire ou à son représentant syndical afin de vérifier si d’autres renseignements seront fournis. À mon avis, de telles mesures n’auraient pas constitué une contrainte excessive. Elles auraient permis à l’employeur de s’acquitter de sa part dans l’effort multipartite visant à examiner la situation de Mme Gallinger.

[Caractères gras ajoutés par la Commission.]

[97] Même si, au paragraphe 162 de ses motifs, la Commission mentionnait sa conclusion selon laquelle l’employeur avait agi de manière déraisonnable, dans le même paragraphe, la Commission a rappelé que l’employeur n’a pas établi qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il n’avait pas mis fin à l’emploi de la défenderesse.

[162] Ayant conclu que l’employeur a agi de manière déraisonnable pendant la période avant le licenciement et lorsqu’il n’a pas fait un suivi auprès d’elle afin de savoir si d’autres renseignements seront fournis, mon analyse pourrait se terminer ici. L’employeur n’a pas établi qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il n’avait pas mis fin à son emploi.

[98] La Commission s’est fondée sur sa conclusion selon laquelle l’employeur n’avait pas établi qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il s’était renseigné davantage, au lieu de mettre fin à l’emploi de la défenderesse après qu’elle a omis d’aviser l’employeur de l’option qu’elle avait choisie avant la date limite du 15 septembre 2017.

III. Contrainte excessive

[99] Comme la Commission l’a fait remarquer au paragraphe 111 de ses motifs, l’obligation de répondre aux besoins d’une personne jusqu’à la limite de la contrainte excessive découle du paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (LCDP). Ce paragraphe dispose qu’un employeur peut établir qu’un certain acte énoncé à l’alinéa 15(1)a) de la LCDP constitue une exigence professionnelle justifiée (et n’est donc pas un acte discriminatoire) si « les mesures destinées à répondre aux besoins [de l’employé] [...] visé[...] constituent, pour [l’employeur] [...], une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité ». Les paragraphes 15(1) et (2) de la LCDP prévoient notamment ce qui suit :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15 (1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

[…]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

[100] La question de savoir si un employeur a établi que la prise de mesures d’adaptation destinées à répondre aux besoins d’une personne en particulier imposerait une contrainte excessive ne se pose que si l’obligation de prendre des mesures d’adaptation destinées à répondre aux besoins d’un employé, prévue au paragraphe 15(2), jusqu’à la limite de la contrainte excessive, est déclenchée.

IV. À quel moment l’obligation d’offrir des mesures d’adaptation est-elle déclenchée?

[101] L’obligation imposée à l’employeur d’offrir des mesures d’adaptation afin de répondre aux besoins d’un employé qui ne travaille pas en raison d’une incapacité n’est déclenchée qu’une fois qu’un employé fournit la preuve qu’il peut retourner au travail et indique les besoins particuliers auxquels l’employeur devra répondre. Cette condition préalable à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été énoncée dans la décision Katz et al. v. Clarke, 2019 ONSC 2188 (Katz) (Cour supérieure de justice de l’Ontario [Cour divisionnaire]) :

[traduction]

[28] Le juge des requêtes a toutefois conclu qu’il existait une « véritable question litigieuse » au motif que le seul souhait exprimé par l’intimé de retourner au travail suffisait pour créer la possibilité que la question de l’obligation imposée à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation se pose, malgré l’état des documents présenté à l’intimé. Cependant, le droit est clair que l’obligation qui incombe à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est déclenchée que lorsqu’un employé non seulement avise un employeur de son souhait de retourner au travail, mais qu’il fournit aussi la preuve de sa capacité à retourner au travail, y compris toute assistance liée à une déficience qui lui permettrait de le faire : voir la décision Lemesani au para. 187. Comme l’a résumé le juge Fregeau dans la décision Nason v. Thunder Bay Orthopaedic Inc., 2015 ONSC 8097 (C.S.J. de l’Ont.) au paragraphe 144, « l’employé doit communiquer sa capacité, pas simplement son souhait, de retourner au travail ». En l’espèce, l’intimé n’a jamais fourni ces renseignements à l’appelant.

[Non souligné dans l’original.]

[102] Le principe selon lequel l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est déclenchée que lorsqu’un employé fournit la preuve de sa capacité de retourner au travail, y compris tout besoin découlant d’une déficience, a été confirmé par notre Cour dans l’arrêt Babb c. Canada, 2022 CAF 55 (Babb) :

[60] L’obligation qui incombe à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est déclenchée que lorsqu’un employé informe un employeur de son désir de retourner au travail et qu’il fournit la preuve de sa capacité à retourner au travail, y compris tout besoin particulier qui lui permettrait de le faire (Katz et al. v. Clarke, 2019 ONSC 2188, 2019 CarswellOnt 6703 au para. 28). Cependant, comme je l’ai affirmé précédemment, en l’espèce, le demandeur n’a jamais fourni de tels renseignements à l’employeur. Il était raisonnable que la Commission conclue que l’employeur n’était pas tenu de faire quoi que ce soit d’autre, compte tenu de la durée de l’absence du demandeur et de la preuve médicale indiquant qu’il était incapable de retourner au travail dans un avenir prévisible.

[103] La Commission, dans la décision dont est saisie notre Cour, a appliqué l’obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la limite de la contrainte excessive avant que la défenderesse établisse sa capacité à retourner au travail, sans indiquer les besoins auxquels l’employeur devra répondre pour lui permettre de retourner au travail.

[104] Comment un employeur peut-il manquer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation destinées à répondre aux besoins d’une personne handicapée s’il ignore quelles mesures d’adaptation seront nécessaires pour permettre à cette personne de retourner au travail? Si l’employeur ignore quelles mesures d’adaptation seront nécessaires pour permettre le retour au travail d’une personne, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas déclenchée. La question connexe de savoir si une mesure en particulier imposerait à l’employeur une contrainte excessive ne se pose pas.

[105] Ce principe, selon lequel l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’existe que lorsque l’employé fournit la preuve qu’il peut retourner au travail et qu’il indique les besoins particuliers qui devront être satisfaits pour qu’il puisse retourner au travail, est compatible avec l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 (Hydro-Québec) de la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a expliqué le but de l’obligation de prendre des mesures d’accommodement :

[14] Comme le dit la juge L’Heureux-Dubé, les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. En pratique, ceci signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.

[15] L’obligation d’accommodement n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. Le fardeau qu’a imposé la Cour d’appel en l’espèce est mal formulé. Voici ce qu’a dit la Cour d’appel :

Hydro-Québec n’a pas fait la preuve que, à la suite des évaluations de [la plaignante], il lui était impossible de composer avec ses caractéristiques, alors que certaines mesures étaient envisageables et même proposées par les experts. [Souligné par la juge Deschamps; par. 100.]

[16] Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

[17] En raison du caractère individualisé de l’obligation d’accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir de contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l’employé, ou même procéder à autoriser des déplacements de personnel, permettant à l’employé de fournir sa prestation de travail, l’employeur devra alors ainsi accommoder l’employé. Ainsi, dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, 2007 CSC 4, l’employeur avait autorisé des absences non prévues à la convention collective. De même, en l’espèce, Hydro-Québec a tenté pendant plusieurs années d’adapter les conditions de travail de la plaignante : aménagement physique du poste de travail, horaires à temps partiel, attribution d’un nouveau poste, etc. Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive.

[Non souligné dans l’original au paragraphe 14.]

[106] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême, l’obligation de prendre des mesures d’accommodement vise à veiller à ce qu’un employé, qui est capable de travailler, puisse le faire, pourvu que toutes les mesures d’accommodement nécessaires puissent être mises en œuvre sans imposer à l’employeur une contrainte excessive. Bien que des règles rigides concernant les mesures d’accommodement qui seraient acceptables soient à éviter, il convient de souligner que les exemples fournis par la Cour suprême se rapportent tous à des conditions de travail ou au milieu de travail. Ils permettent de réfléchir à ce qui serait nécessaire pour permettre à une personne de travailler.

[107] Dans l’arrêt Hydro-Québec, l’employeur a été informé des mesures d’accommodement particulières qui seraient nécessaires pour que la personne continue à travailler :

[5] L’arbitre saisi du dossier rejette le grief. Il est d’avis « que l’[e]mployeur pouvait en principe mettre fin au contrat de travail qui le liait à la plaignante dans la mesure où il pouvait faire la preuve qu’au moment où fut prise cette décision administrative, la plaignante ne pouvait, dans un avenir raisonnablement prévisible, remplir la prestation de travail soutenue et régulière prévue au contrat ». L’arbitre indique que, selon les experts patronaux, aucun médicament ne permet de traiter efficacement une affection comme un trouble de la personnalité, et que la psychothérapie permet tout au plus d’apporter une très légère atténuation des symptômes. Ces experts estiment le risque de rechute dépressive à plus de 90 p. 100. Selon eux, « le futur sera à l’image du passé ». Par ailleurs, l’arbitre retient que l’expert du Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) (« Syndicat »), qui représente la plaignante et est intimé devant notre Cour, est d’avis que la plaignante pourrait

effectuer une prestation de travail satisfaisante dans la mesure où l’on réussit à éliminer les stresseurs qui affectent la plaignante, et provoquent son incapacité, tant ceux qui proviennent du travail que ceux qui proviennent de ses rapports avec sa famille immédiate. Il propose un changement complet du milieu de travail de la plaignante.

[6] L’arbitre conclut que, compte tenu des particularités de la maladie de la plaignante, si la suggestion de l’expert du Syndicat était retenue « l’[e]mployeur devrait fournir périodiquement, sur une base récurrente, un nouvel environnement de travail, un nouveau supérieur immédiat et de nouveaux collègues de travail, pour suivre l’évolution du cycle amour-haine que [...] la plaignante entretiendra avec ses supérieurs et ses collègues ». L’arbitre souligne que la condition de la plaignante dépend aussi de facteurs qui ne relèvent pas de l’employeur, que celui-ci ne peut, comme le requerrait la suggestion de l’expert du Syndicat, supprimer les facteurs de stress liés au milieu familial de la plaignante. Pour l’arbitre, les conditions suggérées par l’expert du Syndicat constitueraient une contrainte excessive. Selon lui, l’employeur a agi de façon correcte, patiente, voire tolérante envers la plaignante. Il rejette le grief. Le Syndicat demande alors la révision judiciaire de la décision de l’arbitre.

[108] Par conséquent, dans l’arrêt Hydro-Québec, l’obligation de prendre des mesures d’accommodement a été déclenchée.

[109] En l’espèce, la Commission n’a pas appliqué le principe énoncé dans Katz et elle n’a pas non plus fourni de justification pour expliquer pourquoi ce principe ne s’appliquait pas. La Commission a imposé à l’employeur l’obligation de se renseigner davantage au motif qu’il n’en subirait pas une contrainte excessive, en l’absence de toute conclusion selon laquelle la défenderesse pourrait retourner au travail et sans indication des mesures d’adaptation qui seraient nécessaires pour permettre à la défenderesse de retourner au travail.

[110] Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême a souligné ce qui suit :

[111] Il coule de source que le droit – tant la loi que la common law – limitera l’éventail des options qui s’offrent légalement au décideur administratif chargé de trancher un cas particulier : voir Dunsmuir, par. 47 et 74. [...]

[112] Tout précédent sur la question soumise au décideur administratif ou sur une question semblable aura pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables. La décision d’un organisme administratif peut être déraisonnable en raison de l’omission d’expliquer ou de justifier une dérogation à un précédent contraignant dans lequel a été interprétée la même disposition. Si, par exemple, une cour de justice a examiné une disposition législative dans un jugement pertinent, il serait déraisonnable que le décideur administratif interprète ou applique celle‑ci sans égard à ce précédent. Le décideur devrait être en mesure d’indiquer pourquoi il est préférable d’adopter une autre interprétation, par exemple en expliquant pourquoi l’interprétation de la cour de justice ne fonctionne pas dans le contexte administratif : M. Biddulph, « Rethinking the Ramification of Reasonableness Review : Stare Decisis and Reasonableness Review on Questions of Law » (2018), 56 Alta. L.R. 119, p. 146. Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il est tout simplement déraisonnable que le décideur administratif n’applique ou n’interprète pas une disposition législative en conformité avec un précédent contraignant. Par exemple, dans les cas où une cour de justice compétente en matière d’immigration est appelée à décider si un acte constitue une infraction criminelle en droit canadien (voir, p. ex., la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 35 à 37), il serait à l’évidence déraisonnable que le tribunal retienne une interprétation d’une disposition pénale qui soit incompatible avec l’interprétation que lui ont donnée les cours criminelles canadiennes.

[111] En l’espèce, la Commission a appliqué l’obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la limite de la contrainte excessive, avant que la défenderesse fournisse la preuve qu’elle pouvait retourner au travail et avant qu’elle indique les mesures d’adaptation qui seraient nécessaires pour lui permettre de le faire. Cela va à l’encontre du principe juridique établi dans Katz (et ultérieurement confirmée dans Babb). Cela est aussi incompatible avec le but de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation qui est, selon ce qu’affirme la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec, de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. L’absence d’explication, pour justifier le fait que la Commission s’est écartée de ce principe juridique ou qu’elle a exigé que l’employeur se renseigne davantage, afin qu’il satisfasse à son obligation de prendre des mesures d’adaptation destinées à répondre aux besoins de la défenderesse – qui n’ont pas été précisés – pour qu’elle puisse retourner au travail, rend sa décision déraisonnable.

V. Obligation d’agir équitablement et de bonne foi

[112] La Cour suprême, dans l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd. (faisant affaire sous la dénomination sociale Public Press), [1997] 3 R.C.S. 701, a fait remarquer qu’un employeur a l’obligation d’agir de bonne foi et équitablement en congédiant un employé :

[95] [...] À mon avis, pour que les employés puissent bénéficier d’une protection adéquate, les employeurs devraient assumer une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement [...].

[...]

[98] Il n’est pas possible de définir exactement l’obligation de bonne foi et de traitement équitable. Cependant, je crois tout au moins que, dans le cadre d’un congédiement, les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables. [...]

[113] Cette obligation d’agir équitablement en congédiant un employé a également été soulignée dans la décision Dwyer v. Advanis Inc., 2009 CanLII 23869, [2009] O.J. no 1956 :

[traduction]

[50] Les employeurs qui congédient des employés ont l’obligation d’agir équitablement. Ils doivent être francs, raisonnables et honnêtes. S’ils agissent autrement, ils pourraient être responsables des dommages subis, même s’il incombe à l’employé d’établir que l’employeur a agi de mauvaise foi ou qu’il lui a fait subir un traitement inéquitable, dans le cadre du congédiement.

[114] La Commission n’a pas examiné si cette obligation d’agir équitablement et de bonne foi s’appliquait si un employeur congédiait un employé handicapé, avant que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation soit déclenchée, c’est-à-dire avant que l’employé fournisse la preuve qu’il est capable de retourner au travail et qu’il indique les mesures d’adaptation dont il aura besoin.

[115] Même si l’obligation d’agir équitablement et de bonne foi peut très bien signifier qu’un employeur doit prendre des mesures qui n’imposeraient pas à ce dernier de contrainte excessive, il peut aussi être établi qu’un employeur, bien que n’ayant pas pris de mesure particulière qui ne lui imposerait pas de contrainte excessive, a agi équitablement et de bonne foi. La question que la Commission devait trancher n’était pas de savoir si le fait de se renseigner davantage imposerait à l’employeur une contrainte excessive, mais plutôt si l’employeur avait satisfait à son obligation d’agir équitablement et de bonne foi, en fonction des circonstances de l’espèce et des mesures que l’employeur a prises.

VI. La question du déclenchement de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est-elle nouvelle?

[116] Dans l’arrêt R. c. Mian, 2014 CSC 54, la Cour suprême a énoncé le critère qui permet d’établir si une cour d’appel a soulevé une nouvelle question :

[35] En résumé, on conclura qu’une question soulevée par une cour d’appel est nouvelle lorsqu’elle n’a pas été posée par les parties et lorsqu’on ne peut raisonnablement affirmer qu’elle découle des questions formulées par ces dernières, si bien que celles-ci devront en être informées afin qu’elles puissent présenter des observations éclairées.

[117] Dans la demande qui nous a été présentée, le demandeur n’a pas mentionné précisément la question de savoir si l’obligation de prendre des mesures d’adaptation était déclenchée. Cependant, au paragraphe 19, le demandeur a fait valoir ce qui suit :

[traduction]

[...] la Commission a omis de répondre à une question préliminaire, celle de savoir si la défenderesse était effectivement capable de retourner au travail dans un avenir prévisible. Comme l’a établi la Cour suprême du Canada [arrêt Hydro-Québec, par. 19], « [l]’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible ».

[118] Le demandeur a ensuite examiné certains des éléments de preuve indiquant que la défenderesse ne serait pas capable de retourner au travail. Dans cette partie de ses observations, le demandeur n’a pas déterminé de mesure prise par l’employeur.

[119] Le demandeur a ensuite soutenu ce qui suit :

[traduction]

24. N’ayant pas tenu compte des éléments de preuve, la Commission n’a pas répondu à la question préliminaire que la Cour suprême du Canada a posée dans l’arrêt Hydro-Québec, à savoir si la défenderesse était capable de retourner au travail dans un avenir prévisible au moment du licenciement. Sans tenir compte des éléments de preuve sur ce point, la Commission ne pouvait pas raisonnablement conclure que l’ASFC n’avait pas pris des mesures d’adaptation à son égard jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Il incombe à la fonctionnaire de fournir la preuve permettant à la Commission de conclure qu’elle était capable de retourner au travail dans un avenir prévisible. La Commission elle-même a conclu que la défenderesse a eu l’occasion de présenter cette preuve, mais qu’elle ne l’a pas fait.

[120] Le demandeur a soutenu qu’il incombait à la défenderesse de fournir la preuve permettant d’établir qu’elle pouvait retourner au travail. Le demandeur a également soutenu que le retour possible au travail de la défenderesse n’ayant pas été établi, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation cessait ou il n’était pas raisonnable de conclure que l’employeur n’avait pas pris des mesures d’adaptation jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Dans cette partie de son argumentation, le demandeur ne mentionne aucune mesure prise par l’employeur. Par conséquent, l’argument selon lequel l’obligation de prendre des mesures d’adaptation cessait (ou qu’on ne pouvait pas conclure que l’employeur n’avait pas pris des mesures d’adaptation à son égard) reposait sur le fait qu’en l’absence d’une conclusion selon laquelle elle pouvait retourner au travail, l’employeur n’était pas tenu de faire quoi que ce soit relativement à cette obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[121] Dans la demande présentée à notre Cour, la défenderesse n’a pas fait valoir que les points suivants n’ont pas été soulevés devant la Commission, soit le fait que la question préliminaire que la Commission devait trancher était de savoir si la défenderesse était capable de retourner au travail ou, en l’absence d’une conclusion à cet égard, l’argument selon lequel [traduction] « la Commission ne pouvait pas raisonnablement conclure que l’ASFC n’avait pas pris des mesures d’adaptation à son égard jusqu’à la limite de la contrainte excessive ». La défenderesse n’a pas fait valoir le fait que le demandeur ne pouvait pas soulever ces questions dans sa demande présentée à notre Cour.

[122] Le demandeur a également inclus dans son dossier la décision Babb c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 42, de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. Dans cette décision, la Commission a conclu que « l’employeur aurait eu raison de penser [que M. Babb] était incapable de retourner au travail dans un avenir prévisible ». La Commission a ensuite conclu que « l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation avait pris fin » (décision de la Commission au para. 279).

[123] Dans la demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour, les questions dans l’arrêt Babb ont été énoncées de la manière suivante :

[33] Voici les questions en litige que la Cour doit trancher :

a) Était-il raisonnable de la part de la Commission de conclure que l’employeur n’avait pas agi de manière discriminatoire envers l’employé parce qu’il s’était acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation, ayant établi sa défense relative à l’EPJ prévue au paragraphe 15(2) de la LCDP?

b) Était-il raisonnable de la part de la Commission de conclure que l’employeur avait agi de bonne foi lorsqu’il avait mis fin à l’emploi du demandeur pour des raisons d’incapacité?

[124] En analysant la question de savoir si la décision Babb de la Commission relativement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation était raisonnable, notre Cour a déclaré ce qui suit :

[59] À mon avis, il était raisonnable que la Commission conclue que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation avait pris fin (décision au para. 279).

[60] L’obligation qui incombe à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est déclenchée que lorsqu’un employé informe un employeur de son désir de retourner au travail et qu’il fournit la preuve de sa capacité à retourner au travail, y compris tout besoin particulier qui lui permettrait de le faire [...].

[125] En mentionnant à la fois le fait que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation cessait puis, dans le paragraphe suivant, le fait que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’était pas déclenchée, notre Cour établissait que le déclenchement de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’était pas une nouvelle question, mais qu’il étayait plutôt sa conclusion selon laquelle il était raisonnable que la Commission soit convaincue que l’obligation qui incombait à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation cessait.

[126] Mentionner le déclenchement de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour étayer la conclusion selon laquelle cette obligation avait cessé peut être justifié par ce que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige de faire de la part d’un employeur. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec, « les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire ». L’obligation qui incombe à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation consiste à prendre des mesures d’adaptation destinées à répondre jusqu’à la limite de la contrainte excessive (en tenant compte de la santé, de la sécurité et des coûts) aux besoins d’une personne qui permettraient à cette dernière de travailler. Sans connaître les besoins particuliers auxquels l’employeur devra répondre en prenant des mesures d’adaptation, pour permettre à la personne de travailler, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est une fausse obligation : tant que le besoin n’a pas été établi, il n’existe pas de mesures d’adaptation particulières nécessaires. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation destinées à répondre à un besoin particulier n’obligera l’employeur qu’à prendre des mesures d’adaptation qui répondront à ce besoin, jusqu’à la limite de la contrainte excessive, une fois que le besoin est déterminé.

[127] Que cette question soit considérée comme une obligation de prendre des mesures d’adaptation qui a cessé, sans qu’aucun besoin particulier n’ait été déterminé, ou que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne soit pas déclenchée, tant que les besoins particuliers qui permettraient à une personne de travailler ne sont pas connus, l’issue est la même. Aucun besoin auquel l’employeur doit répondre par la prise de mesures d’adaptation n’a été déterminé.

[128] Par conséquent, à mon avis, il est raisonnable d’affirmer que la question de savoir si l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été déclenchée découle des questions soulevées par le demandeur.

VII. Conclusion

[129] Par conséquent, à mon avis, la décision de la Commission, selon laquelle l’employeur n’avait pas établi que le fait de se renseigner davantage auprès de la défenderesse lui imposerait une contrainte excessive et que l’employeur avait donc fait preuve de discrimination à l’égard de la défenderesse en mettant fin à son emploi, n’est pas raisonnable. Il s’ensuit nécessairement que l’octroi de dommages-intérêts en application de la LCDP est également déraisonnable. À mon avis, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, la décision de la Commission devrait être annulée et l’affaire devrait être renvoyée à la Commission afin qu’un nouvel examen soit mené.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE DÉCISION RENDUE PAR LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL ET DE L’EMPLOI DANS LE SECTEUR PUBLIC FÉDÉRAL EN DATE DU 20 MAI 2020, NO 2020 CRTESPF 54

DOSSIER :

A-152-20

 

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. IOULIA GALLINGER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Kieran Dyer

Karl Chemsi

 

Pour le demandeur

Peter Engelmann

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le demandeur

GOLDBLATT PARTNERS S.E.N.C.R.L.

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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