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Date : 20221026


Dossier : A-319-20

Référence : 2022 CAF 181

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

appelant

et

D.V.

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20221026


Dossier : A-319-20

Référence : 2022 CAF 181

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

appelant

et

D.V.

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

A. Introduction

[1] La Cour de justice de l’Ontario a déclaré l’intimé, un jeune délinquant, coupable d’agression sexuelle. Elle l’a condamné à 60 jours de détention, à 30 jours de surveillance dans la collectivité et à une probation de deux ans. Il a interjeté appel de cette décision. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel : 2006 CanLII 35185. Il a formé un pourvoi auprès de la Cour suprême qui l’a rejeté : 2007 CanLII 67881.

[2] Deux ans plus tard, l’intimé a présenté au ministre une demande de révision de sa condamnation en application de l’article 696.1 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Aux termes de cet article, une personne peut demander une révision de sa condamnation au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise. Le ministre a rejeté cette demande.

[3] Neuf ans après, l’intimé a de nouveau demandé une révision ministérielle. La première étape de la révision ministérielle consiste pour le ministre à effectuer un examen préliminaire pour déterminer le bien-fondé potentiel de la demande. C’est ce qu’a fait le ministre en l’espèce et il a rejeté la demande de l’intimé : il n’y avait aucun fondement raisonnable pour conclure qu’une erreur judiciaire avait été probablement commise.

[4] En réponse, l’intimé a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, lui demandant d’annuler la décision du ministre. La Cour fédérale (la juge Simpson) a accueilli la demande et annulé la décision du ministre : 2020 CF 1118. Le ministre interjette maintenant appel devant notre Cour.

[5] L’appel doit être accueilli et la décision de la Cour fédérale annulée. La Cour fédérale n’a pas procédé à un examen du caractère raisonnable : elle a plutôt substitué à tort son point de vue sur la question à celui du ministre. Au cours de son analyse, plutôt que de procéder à un examen du caractère raisonnable, la Cour fédérale a appliqué son propre point de vue sur les dispositions relatives à la révision ministérielle, un point de vue tout à fait contraire à toute interprétation raisonnable de ces dispositions.

[6] Dans un litige comme en l’espèce, nous devons procéder à un nouvel examen du caractère raisonnable : Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, 462 D.L.R. (4th) 585.

[7] Pour les motifs qui suivent, la décision du ministre passe avec succès le contrôle du caractère raisonnable. Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l’intimé et je rétablirais la décision du ministre.

B. Le processus d’examen préliminaire en application des dispositions relatives à la révision ministérielle

[8] Dans les présents motifs, le décideur administratif qui a statué sur la demande de révision ministérielle de l’intimé est décrit comme le « ministre ». Dans la pratique, c’est le Groupe de la révision des condamnations criminelles du ministre qui procède à l’examen préliminaire des demandes. Mais il le fait au nom du ministre. C’est le ministre qui est le décideur juridique.

[9] Dans le cas d’une demande de révision ministérielle en application des articles 696.1 à 696.6 du Code criminel, le ministre procède à une évaluation préliminaire de la demande : Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002‑416, alinéa 3b).

[10] Si le ministre constate qu’il « pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite », il procède à une enquête sur la demande : Règlement, alinéa 4(1)a). Cependant, si, entre autres choses, le ministre « est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite », il n’a pas à mener d’enquête sur la demande : Règlement, sous-alinéa 4(1)b)(ii). Dans ces circonstances, la demande est écartée et rejetée. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[11] Les évaluations préliminaires des demandes de révision ministérielle sont guidées par les considérations énoncées à l’article 696.4 du Code criminel. Ces considérations indiquent que les demandes ne sont accueillies que rarement. Les facteurs à prendre en considération sont les suivants :

  • la demande doit « repose[r] sur de nouvelles questions importantes » qui n’ont pas été étudiées précédemment par les tribunaux ou prises en considération par le ministre ailleurs dans le Code criminel;

  • les renseignements présentés relativement à la demande doivent être fiables et pertinents;

  • la demande ne doit pas « tenir lieu d’appel ultérieur ».

Dans l’ensemble, toute mesure de redressement accordée à la suite d’une révision ministérielle doit être « extraordinaire ».

[12] Dans le cadre de l’évaluation préliminaire de la demande de révision présentée par l’intimé, le ministre n’a trouvé aucun motif raisonnable de croire qu’une erreur judiciaire avait probablement été commise. Le ministre a donc rejeté la demande aux termes de l’alinéa 696.3(3)b) du Code criminel. Comme nous l’avons mentionné, dans sa décision, la Cour fédérale a annulé le rejet de la décision. Le ministre nous demande maintenant d’annuler le jugement de la Cour fédérale.

C. Contrôle selon la norme de la décision raisonnable

[13] La tâche de la Cour fédérale consistait à examiner le caractère raisonnable de la décision du ministre. Selon cette norme de contrôle, les cours de révision doivent examiner le résultat auquel est parvenu le ministre et s’assurer qu’une explication raisonnée de ce résultat peut être discernée : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 aux para. 74, 82 à 87 [Vavilov].

[14] En examinant le caractère raisonnable du résultat auquel est arrivé un décideur administratif, les cours de révision doivent examiner « de façon globale et contextuelle » les motifs écrits à la lumière de l’ensemble du contexte, y compris le dossier de la preuve et les observations présentées, « en tenant dûment compte du régime administratif » (Vavilov aux para. 94, 97, 103 et 123). En d’autres termes, les cours de révision examinent les motifs fournis et tout ce qui, dans le contexte juridique et le dossier qui leur a été soumis, peut éclairer la thèse de l’administrateur.

[15] Ce faisant, les cours de révision doivent garder à l’esprit le fait que le législateur a fait du décideur administratif – en l’espèce le ministre – le décideur du bien-fondé selon les faits et le droit. Cela signifie qu’il n’appartient pas aux cours de révision d’analyser elles-mêmes les faits et le droit, de parvenir à une conclusion définitive sur le bien-fondé de la décision administrative, puis d’imposer leur propre conclusion en ce qui concerne le « caractère raisonnable » de toute disparité dans la décision administrative (Vavilov au para. 83, renvoyant à Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; voir aussi Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 au para. 28, et Girouard c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 129 au para. 42). La cour de révision ne doit pas non plus se livrer à une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une [quelconque] erreur » (Vavilov au para. 102, invoquant Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458 au para. 54).

[16] Les cours de révision doivent plutôt cerner « les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir [qui peut varier selon le contexte], ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » et se demander si la décision se situait à l’intérieur de cet espace ou si elle constituait par ailleurs une solution admissible (Vavilov au para. 90). Les cours de révision doivent partir de la décision de l’administrateur et de ses fondements, en accordant une attention respectueuse à toute motivation, en tenant compte de l’expertise, de l’expérience et de l’historique de la réglementation, le tout dans le but de comprendre le point de vue de l’administrateur, de déceler toute « lacune ou déficience » « suffisamment capitale », « importante », « grave », et d’évaluer si les contraintes ont été dépassées (Vavilov aux para. 93, 100 à 103, 127 à 128).

[17] Les cours de révision doivent également être en mesure de discerner une « analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » sur les « point[s] centra[ux] » des motifs ou du contexte qui permet de comprendre les motifs (Vavilov aux para. 85, 100 à 103, 127 à 128). Pour ce motif, on dit parfois que la justification d’une décision, suffisante pour en soutenir le caractère raisonnable, est implicite : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156 au para. 41. Les administrateurs échouent également lorsqu’ils « ne font pas état d’une analyse rationnelle », fournissent une « approche erronée » ou s’appuient sur « une analyse déraisonnable » telle que des « erreurs manifestes sur le plan rationnel » ou « un raisonnement tautologique ou [...] de faux dilemmes, [...] des généralisations non fondées ou [...] une prémisse absurde » (Vavilov aux para. 96 et 103 à 104). Les explications motivées sont adéquates lorsque « les parties [sont assurées] que leurs [principales] préoccupations ont été prises en considération », que l’administrateur a démontré qu’il était « effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » et que les cours de révision peuvent « évaluer, valablement, si [l’administrateur] a satisfait aux normes minimales de la légalité » (Vavilov aux para. 127 à 128; Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 R.C.F. 425 au para. 16. Voir aussi Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 157).

[18] Là encore, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne doit pas être transformé en contrôle selon la norme de la décision correcte, par exemple en utilisant une « norme de perfection » ou en appliquant les « normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits » (Vavilov aux para. 91 et 104).

[19] Même avant l’arrêt Vavilov, les cours fédérales ont procédé à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable des décisions de révision ministérielle de cette manière : Winmill c. Canada (Justice), 2016 CAF 250; Walchuk c. Canada (Justice), 2015 CAF 85, 469 N.R. 360; Timm c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 282, 451 N.R. 250; Timm c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 199. À bien des égards, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a ratifié l’approche de notre Cour quant à la norme de la décision raisonnable : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 R.C.F. 374 aux para. 23 à 37, conf. par 2022 CSC 30.

[20] Dans l’arrêt Winmill, notre Cour s’est penchée précisément sur la manière dont le contrôle selon la norme de la décision raisonnable des décisions rendues lors de la phase d’évaluation préliminaire devrait être effectué. Une cour de révision doit « vérifier si le ministre, durant l’évaluation préliminaire, a suivi une démarche propre à réaliser l’objet du cadre légal, et qu’il a fondé sa décision sur une preuve solide » (au para. 11). Une cour de révision ne peut « procéder elle-même à l’appréciation des faits et substituer ses [propres] conclusions à celles du ministre » (au para. 11).

[21] Il va également sans dire que la cour de révision doit s’attacher à déterminer si le ministre a adopté une interprétation raisonnable des dispositions du Code criminel relatives à la révision ministérielle et ne pas procéder à sa propre interprétation des dispositions ou, pire encore, imposer au ministre sa propre vision de ce que les dispositions devraient dire.

D. Ce que la Cour fédérale a fait

[22] À un moment donné dans ses motifs, la Cour fédérale s’est demandée (au para. 23) s’il était raisonnable pour le ministre de conclure que les motifs invoqués par l’intimé ne soulevaient pas de nouvelles questions importantes au sens des dispositions législatives.

[23] C’était là la bonne question. La Cour fédérale aurait dû s’arrêter là et analyser les motifs de la décision du ministre à la lumière du dossier et du contexte global. Cependant, la Cour fédérale a agi différemment. Elle a effectué sa propre analyse de la preuve présentée au procès criminel et à l’appel criminel de l’intimé, s’est forgé sa propre opinion sur le bien-fondé de la demande de révision ministérielle de l’intimé et a utilisé cette opinion comme critère pour évaluer celle du ministre. Il s’agissait d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, et non selon la norme de la décision raisonnable.

[24] En fait, la Cour fédérale est allée plus loin que son rôle de tribunal appelé à examiner le caractère raisonnable. Elle s’est demandé si le ministre avait considéré la question de savoir si les éléments de l’infraction d’agression sexuelle avaient été prouvés lors du procès (au para. 38). Ce faisant, la Cour fédérale a attribué au ministre un rôle en matière de révision ministérielle qui ne figure pas aux articles 696.1 à 696.6 du Code criminel.

[25] Et, comme nous le verrons, en examinant ce que le ministre a fait dans l’exercice de ce rôle, la Cour fédérale a agi comme une cour d’appel criminelle exerçant des pouvoirs étendus de révision de novo, passant au crible le dossier devant la Cour de justice de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario, examinant les condamnations à la recherche de toute erreur. Il s’agissait d’un rôle encore plus large que celui de la Cour d’appel de l’Ontario dans les appels en matière criminelle, sans parler du rôle d’une cour de révision effectuant un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[26] Ce point est mis en évidence par certaines parties de l’analyse de la Cour fédérale qui, selon le ministre, sont en contradiction avec les jugements de la Cour de justice de l’Ontario et de la Cour d’appel de l’Ontario et avec le dossier de la preuve. Je ne porte pas de jugement sur celles-ci, car ce n’est pas mon rôle dans le cadre de l’examen du caractère raisonnable. Mais elles montrent que la Cour fédérale, pour les meilleurs motifs qui soient – essayer de protéger les intérêts de l’intimé non représenté – a cessé d’être une cour de révision effectuant un contrôle selon la norme de la décision raisonnable pour devenir quelque chose qui s’apparente à une cour d’appel criminelle exerçant des pouvoirs étendus de révision de novo. Aucune interprétation des articles 696.1 à 696.6 du Code criminel, ni aucune lecture de l’arrêt Vavilov, n’appuient cette transformation.

[27] Le ministre soulève les points suivants :

  • La Cour fédérale a évalué les éléments de preuve présentés devant la cour criminelle de première instance, notant que la plaignante [traduction] « a reconnu qu’elle n’était pas retenue » (au para. 5), et a accordé du poids à cet élément. Elle a également indiqué que l’absence d’objection de la plaignante aurait dû être interprétée par le juge du procès criminel comme un consentement. En réponse, le ministre affirme que la Cour fédérale a erronément fait un tri des éléments de preuve. De l’avis du ministre, d’autres éléments de preuve étaient pertinents pour la question du consentement. Par exemple, la plaignante a déclaré qu’elle avait l’impression de ne pas pouvoir partir. De plus, la plaignante n’a pas consenti à ce que ses vêtements soient enlevés ou à ce qu’elle soit tirée sur le lit, par-dessus l’intimé. Et même si la plaignante n’était pas retenue, « le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense » : R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330 à la p. 356.

  • La Cour fédérale s’est appuyée sur le fait qu’un passage des motifs du juge de première instance était [traduction] « partiellement erroné » (au para. 7). Cependant, le ministre affirme que, lorsque ce passage est lu dans son contexte, on peut voir qu’il était fondé sur les éléments de preuve présentés devant le juge de première instance.

  • La Cour fédérale a interprété de manière audacieuse (au para. 8) les motifs du juge du procès criminel pour indiquer [traduction] qu’« il était prêt à accepter que le comportement sexuel ait eu lieu avec le consentement de la plaignante ». Mais le juge de première instance, preuve à l’appui, a conclu que [traduction] « [l]e comportement de la plaignante, tel qu’elle l’a décrit dans son témoignage, aurait dû faire comprendre au défendeur et [au coaccusé] qu’elle n’était pas consentante ».

  • La Cour fédérale a examiné la preuve présentée devant le juge de première instance et a divisé l’activité sexuelle en deux phases, les [traduction] « préliminaires » et les [traduction] « attouchements », et a conclu [traduction] qu’« il se peut qu’il y ait eu » une absence de preuve au procès selon laquelle l’intimé s’était livré à des attouchements sexuels non désirés (au para. 38). Ce n’était pas la tâche qui lui incombait. Le juge du procès criminel n’a pas divisé artificiellement les actes accomplis par l’intimé et son coaccusé en phases distinctes de « préliminaires » et d’« attouchements »; il a plutôt conclu que tous les éléments constitutifs de l’actus reus de l’infraction d’agression sexuelle étaient réunis. Dans le cadre de cette conclusion générale, il a estimé que le témoignage de l’intimé n’était pas crédible.

  • La Cour fédérale a également examiné les incohérences entre le témoignage de la plaignante lors de l’enquête préliminaire et au procès d’un coaccusé (au para. 36). Le témoignage à l’enquête préliminaire n’a même pas été soulevé par l’intimé dans sa demande de révision ministérielle.

E. Évaluation du caractère raisonnable de la décision du ministre

[28] Nous devons maintenant évaluer à nouveau le caractère raisonnable de la décision du ministre. Selon l’arrêt Vavilov, il ne fait aucun doute que le caractère raisonnable est la norme de contrôle présumée et qu’aucune des exceptions au contrôle selon la norme de la décision raisonnable reconnues par la Cour suprême ne s’applique (Vavilov aux para. 17, 69 et 70).

[29] Premièrement, notre Cour doit examiner l’évaluation par le ministre de la portée et de la substance de la demande de révision ministérielle de l’intimé. La demande de l’intimé a soulevé des incohérences entre le témoignage de la plaignante au procès d’un coaccusé et son témoignage au procès de l’intimé. Elle a également soulevé [traduction] « d’autres questions nouvelles et d’autres interprétations erronées de la preuve » que l’intimé n’a appréciées qu’après que la Cour suprême eut rejeté son pourvoi. Dans une correspondance ultérieure, l’intimé a ajouté d’autres motifs de révision ministérielle. Au total, le ministre a estimé que le demandeur avait soulevé quatorze motifs distincts. Compte tenu du dossier dont disposait le ministre, cette conclusion était justifiable et, par conséquent, raisonnable.

[30] Ensuite, le ministre a énuméré les motifs et les documents dont il disposait aux fins d’examen. Le ministre a également présenté une analyse de la nature des révisions ministérielles aux termes des articles 696.1 à 696.6 du Code criminel et des Règlements connexes. Ces conclusions étaient raisonnables compte tenu des documents dont disposait le ministre et du cadre législatif.

[31] Puis, le ministre a précisé le sens de l’expression « nouvelles questions importantes » à l’alinéa 696.4a) – ou, selon les termes utilisés dans les motifs du ministre, les [traduction] « renseignements nouveaux et importants ». Le ministre a analysé le texte, le contexte et l’objet de cette disposition et des dispositions connexes. Le ministre a notamment souligné que la révision ministérielle [traduction] « n’est pas censée constituer un autre niveau d’appel ni un mécanisme permettant au ministre de substituer sa décision à celle des tribunaux ». Le ministre a ajouté qu’il ne suffit pas [traduction] « de faire valoir qu’il y avait des faiblesses dans les éléments de preuve présentés en première instance ou en appel ou de simplement répéter les mêmes éléments de preuve ou arguments juridiques qui ont été présentés au tribunal de première instance et à la cour d’appel ». Enfin, le ministre a également noté le critère rigoureux quant à l’admission de la preuve appliqué dans l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, 106 D.L.R. (3d) 212. Toutes ces observations et conclusions sont soutenues par une lecture raisonnable des dispositions législatives pertinentes.

[32] Le ministre a fait remarquer que son ministère a élaboré un critère pour les [traduction] « nouveaux renseignements » aux fins de l’alinéa 696.4a) : [traduction] « les tribunaux n’en ont pas tenu compte lors du procès ou de l’appel » et la personne condamnée [traduction] « n’en a pris connaissance qu’après la fin de tous les débats judiciaires ». Lorsque des éléments de preuve sont disponibles, mais n’ont pas été présentés pour des raisons stratégiques, [traduction] « les nouveaux renseignements doivent donner de fortes raisons de douter de l’exactitude factuelle du verdict ».

[33] Pour le ministre, un renseignement est [traduction] « important » au sens de l’alinéa 696.4a) s’il est admissible en application des règles de preuve, s’il peut raisonnablement être cru, s’il est pertinent pour répondre à une question décisive et s’il aurait pu influer sur le verdict s’il avait été présenté au procès.

[34] Ces critères relatifs à la nouveauté et à l’importance sont raisonnables à la lumière du libellé explicite et de l’objet général des dispositions du Code criminel relatives à la révision ministérielle.

[35] Ensuite, le ministre a résumé avec des détails admirables la preuve présentée au procès, en première instance et en appel, y compris l’issue du pourvoi de l’intimé formé auprès de la Cour suprême du Canada.

[36] Enfin, pendant neuf pages de motifs à simple interligne remplis de détails pertinents tirés assidûment du dossier de la preuve, le ministre a examiné chacun des quatorze motifs, démontrant que chacun d’entre eux était sans fondement juridique ou ne fournissait pas de [traduction] « renseignements nouveaux et importants ». En l’espèce, l’analyse du ministre était approfondie et logique, fondée sur la preuve et soutenue par le texte et l’objet sous-jacent aux dispositions du Code criminel relatives à la révision ministérielle, que le ministre a interprétées de façon raisonnable.

[37] Dans l’ensemble, donc, la décision du ministre de rejeter la demande de révision ministérielle de l’intimé est raisonnable.

F. Règlement proposé

[38] Par conséquent et pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Prononçant le jugement que la Cour fédérale aurait dû prononcer, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Puisque le ministre ne demande pas de dépens, je n’en adjugerais pas.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-319-20

APPEL D’UN JUGEMENT DE LA JUGE SIMPSON DATÉ DU 3 DÉCEMBRE 2020, NUMÉRO T-1420-19

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA JUSTICE c. D.V.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Sean Gaudet

Samantha Pillon

 

Pour l’appelant

 

D.V.

 

Pour son propre compte

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’appelant

 

 

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