Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20221101


Dossiers : A-38-21 (dossier principal)

A-36-21

A-37-21

Référence : 2022 CAF 184

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY, INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

appelantes

et

APOTEX INC., PHARMASCIENCE INC., DR. REDDY’S LABORATORIES LTD. et DR. REDDY’S LABORATORIES, INC.

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN


Date : 20221101


Dossiers : A-38-21 (dossier principal)

A-36-21

A-37-21

Référence : 2022 CAF 184

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

appelantes

et

APOTEX INC., PHARMASCIENCE INC., DR. REDDY’S LABORATORIES LTD. et DR. REDDY’S LABORATORIES, INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

I. Contexte

[1] Dans trois instances distinctes (dossiers nos A-38-21 (le dossier principal), A-36-21 et A-37-21) intentées contre, respectivement, les intimées Apotex Inc. (Apotex), Pharmascience Inc. et, collectivement, Dr. Reddy’s Laboratories Ltd. et Dr. Reddy’s Laboratories, Inc., les appelantes (Janssen Inc, Janssen Oncology, Inc. et BTG International Ltd.) interjettent appel d’une décision de la Cour fédérale (2021 CF 7, sous la plume du juge Michael L. Phelan, la décision) qui a déclaré le brevet canadien no 2 661 422 (le brevet 422), détenu par les appelantes Janssen Oncology, Inc. et BTG International Ltd., invalide pour cause d’évidence. La Cour fédérale, dans la décision rendue à l’issue d’un procès tenu dans plusieurs actions intentées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), D.O.R.S./93-133 (le Règlement), a également ordonné que le brevet 422 soit radié du registre des brevets défini dans le Règlement.

[2] Dans un appel distinct (dossier no A-267-20), les appelantes contestent deux ordonnances rendues par le juge Phelan juste avant le procès, qui ont permis (i) l’ajout tardif par Apotex d’un addenda au rapport de son expert Robert Nam et (ii) une modification correspondante à sa demande reconventionnelle. Cet appel a été entendu le même jour que les autres et a été tranché par une décision distincte (2022 CAF 185).

[3] En guise de contexte, il peut être intéressant de noter qu’un litige similaire entre les appelantes et Apotex concernant l’évidence du brevet 422 avait été entendu et tranché précédemment par le juge Phelan (voir 2019 CF 1355, l’instance de 2019). Suivant cette décision découlant d’une demande présentée sous le régime du Règlement tel qu’il était libellé avant les modifications apportées en 2017, les allégations d’Apotex selon lesquelles le brevet 422 est invalide (pour plusieurs motifs, dont l’évidence) n’étaient pas justifiées. Déboutée dans cette affaire, Apotex a interjeté appel devant notre Cour, qui l’a rejeté (2021 CAF 45). Ainsi, la validité du brevet 422 n’était pas entachée. Même si les appelantes dans les présents appels ont eu gain de cause dans l’instance 2019, il n’est pas contesté que, dans le cadre de la décision, les conclusions antérieures de la Cour fédérale ne liaient pas les parties ou les tribunaux. L’instance de 2019 était étayée par un dossier de preuve différent, et les témoignages dans cette affaire ont été présentés par transcription plutôt qu’à l’audience.

II. Le brevet 422

[4] Le brevet 422 est intitulé « Procédés et compositions servant à traiter un cancer », et ses revendications concernent le traitement du cancer de la prostate chez l’homme. Plus précisément, les revendications concernent l’administration simultanée d’acétate d’abiratérone (AA) et de prednisone (PN).

[5] L’aperçu suivant de la Cour fédérale sur la technologie qui a conduit au brevet 422 est utile :

[20] Le cancer de la prostate, prolifération incontrôlée des cellules de la prostate, est le cancer le plus souvent diagnostiqué chez les hommes et la deuxième cause de décès par cancer chez les hommes. Si le cancer de la prostate au stade précoce peut être traité ou non et surveillé, après un temps, le cancer peut se propager à d’autres parties du corps et devenir métastatique.

[21] La plupart des hommes atteints d’un cancer de la prostate métastatique sont traités par un traitement antiandrogénique, car les hormones sexuelles mâles (androgènes), en particulier la testostérone, favorisent la progression du cancer de la prostate.

Depuis les années 1940, le traitement antiandrogénique du cancer de la prostate métastatique s’effectuait principalement par castration médicale ou chirurgicale, de façon à inhiber la production d’androgènes dans les testicules. Il est à noter que les patients qui reçoivent un traitement antiandrogénique ont tout de même des taux résiduels d’androgènes dans leur organisme parce que la glande surrénale produit environ 10 % des androgènes circulants chez l’homme.

[22] Lorsque le cancer de la prostate progresse à la suite d’un traitement antiandrogénique, on parle de « cancer de la prostate hormonorésistant » [CPHR] et, si le cancer avait métastasé, de « cancer de la prostate métastatique hormonorésistant ».

[...]

[26] Avant 2007, l’aminoglutéthimide et le kétoconazole étaient utilisés dans le traitement du cancer de la prostate, mais n’amélioraient pas la survie. Ils étaient considérés comme des inhibiteurs non spécifiques de la synthèse des stéroïdes surrénaliens et provoquaient de graves effets secondaires, notamment une déficience en glucocorticoïdes qui nécessitait parfois une utilisation concomitante de glucocorticoïdes. [...]

[27] La PN, un glucocorticoïde, était utilisée comme traitement palliatif chez les patients atteints d’un cancer de la prostate et permettait d’atténuer les effets secondaires du traitement. Il s’agissait d’un médicament classique, disponible depuis les années 1950. On savait que la PN avait des effets anticancéreux, mais on ne savait pas comment et dans quelle mesure. Elle était utilisée à des fins palliatives, pour le soulagement des effets secondaires et procurait certains effets anticancéreux (parfois appelés activité antitumorale), mais il n’était pas établi qu’elle améliorait la survie. La PN n’avait pas été approuvée comme médicament anticancéreux.

[28] Comme indiqué dans le brevet 422, les inhibiteurs de l’enzyme CYP17, dont l’AA fait partie, se sont révélés utiles dans le traitement du cancer de la prostate. L’AA était un médicament plus récent que la PN.

[29] L’enzyme CYP17 (17α-hydroxylase/C17,20-lyase) agit de deux façons dans la synthèse des hormones stéroïdes surrénaliennes : l’activité 17α-hydroxylase est nécessaire à la production du cortisol et des androgènes, tandis que l’activité 17,20‑lyase ne concerne que la production des androgènes.

[6] C’est l’inhibition de la production de cortisol par l’activité 17α- hydroxylase de l’enzyme CYP17 qui pourrait entraîner comme effet secondaire la carence en glucocorticoïdes.

[7] Un aspect important du brevet 422 est sa définition précise des termes « traiter » ou « traitement ». Aux termes du paragraphe 22 du brevet 422, ces termes signifient notamment [traduction] « l’éradication, l’ablation, la modification, la prise en charge et le contrôle d’une tumeur ou de cellules ou tissus cancéreux primitifs, localisés ou métastatiques, ainsi que la réduction ou le ralentissement de la propagation du cancer » Notamment, cette définition ne mentionne pas qu’il peut s’agir d’un traitement palliatif des symptômes ou des effets secondaires; elle ne mentionne pas non plus qu’il peut y avoir amélioration de la survie.

III. Décision portée en appel

[8] La décision traite de plusieurs motifs d’invalidité, mais le seul nécessitant une discussion en l’espèce est l’évidence. À cet égard, la Cour fédérale mentionne l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, qui établit le fondement légal de l’invalidité pour cause d’évidence (voir paragraphe 125 de la décision). Au paragraphe 129, la Cour fédérale mentionne également le cadre en quatre étapes pour l’évaluation de l’évidence établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 61 (Sanofi), au para. 67 :

[traduction]

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[9] La Cour fédérale signale également que, comme les progrès sont souvent obtenus par l’expérimentation, il pourrait être justifié d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » à la quatrième étape.

[10] La Cour fédérale procède ensuite à l’analyse des différentes étapes. Au paragraphe 138 de la décision, elle mentionne que la première étape ne donne guère lieu à controverse. Il convient de noter les points suivants concernant l’état de la technique :

  1. L’expert des appelantes, Matthew Rettig, a accepté les faits suivants, qu’il avait niés dans son témoignage dans le cadre de l’instance de 2019 :

  1. L’aminoglutéthimide, le kétoconazole et l’AA étaient connus comme étant des inhibiteurs de l’enzyme CYP17 bloquant la synthèse des androgènes, et faisaient partie d’une classe de médicaments utilisés pour traiter le cancer de la prostate métastatique hormonorésistant (décision, au para. 141);

  2. L’aminoglutéthimide était connu pour avoir des effets anticancéreux dans les brevets relatifs au traitement du cancer de la prostate (décision, au para. 142);

  3. Le kétoconazole a été utilisé hors indication dans le traitement du cancer de la prostate (décision, au para. 143);

  1. L’administration d’inhibiteurs des androgènes surrénaliens était connue pour avoir une incidence sur plusieurs voies de synthèse des stéroïdes et pour compromettre la production de cortisol et nécessite un traitement substitutif par glucocorticoïdes (décision, au para. 144);

  2. Le traitement substitutif par glucocorticoïdes avec la PN était une pratique courante (décision, au para. 144);

  3. Il était connu que la PN pouvait traiter les cancers de la prostate (décision, au para. 156);

  4. L’AA, un inhibiteur de l’enzyme CYP17, s’est avéré utile dans le traitement du cancer de la prostate. Le rôle des inhibiteurs de l’enzyme CYP17 [...] dans le traitement du cancer de la prostate est reconnu dans le brevet 422 (décision, au para. 145).

  5. Selon O’Donnell 2004 (A. O’Donnell et al., « Hormonal impact of the 17α-hydroxylase/C17,20-liase inhibitor abiraterone acetate (CB7630) in patients with prostate cancer » (2004) 90:12 British J. Cancer 2317) note que l’AA faisait passer la testostérone en dessous des valeurs obtenues par castration (décision, au para. 146);

  6. La nécessité d’un traitement substitutif par glucocorticoïdes lors de l’administration d’AA a été reconnue (décision, aux para. 147 et 151);

  7. L’AA était plus sélectif que les deux autres inhibiteurs connus de l’enzyme CYP17 (décision, au para. 148);

  8. L’AA, en raison de sa nature plus sélective, était de toute évidence un traitement cible (décision, au para. 154);

  9. L’utilisation d’agents anticancéreux en association était largement acceptée. Rien ne laissait craindre que les glucocorticoïdes (et la PN en particulier) annulent ou entravent l’activité anticancéreuse des inhibiteurs de l’enzyme CPY17 tels que l’AA (décision, aux para. 157 et 158).

[11] L’étape 2 de l’analyse de l’évidence commande que soit déterminée l’idée originale. Au paragraphe 171 de la décision, la Cour fédérale définit l’idée originale des revendications des appelantes comme étant la même que celle des revendications interprétées : « l’association de quantités thérapeutiquement efficaces d’AA et de PN dans le traitement du cancer de la prostate (revendications 3, 6 et 7), du cancer réfractaire (revendication 14) et du cancer de la prostate réfractaire qui ne répond pas à un agent anticancéreux (revendication 15) chez un être humain ».

[12] À l’étape 3 de l’analyse de l’évidence, la Cour fédérale se penche sur les différences entre l’idée originale et l’état de la technique. Elle conclut qu’elles ne sont pas importantes au point où une personne versée dans l’art dénuée d’imagination ne pourrait pas continuer sur la voie de l’invention (décision, au para. 170). Elle fait remarquer qu’on savait que l’AA et la PN était connus pour traiter efficacement le cancer de la prostate, et que l’état de la technique enseignait l’association de médicaments comme l’AA et la PN (décision, au para. 172). La Cour fédérale affirme ensuite que « [t]out ce qu’il manque à l’état de la technique et aux connaissances générales courantes est une personne qui combine concrètement l’AA et la PN en vue de traiter le cancer de la prostate, y compris le cancer de la prostate réfractaire. Compte tenu de la preuve, cette démarche était une étape logique dans l’évolution du traitement du cancer de la prostate » (décision, au para. 173).

[13] À l’étape 4, la Cour fédérale examine le critère de l’essai allant de soi et conclut que l’association allait de soi (décision, au para. 197).

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[14] C’est pour cause d’évidence que les appelantes ont échoué dans la décision de première instance, qui examinait la question de la validité. Elles ne contestent pas l’ensemble du raisonnement de la Cour fédérale sur cette question. Elles ne font valoir que les erreurs suivantes :

  1. Conclure que l’AA était connu comme traitement du cancer de la prostate;

  2. Recenser et appliquer les différences entre l’état de la technique et l’idée originale;

  3. Déclarer que le brevet 422 est invalide;

  4. Ordonner la radiation du brevet 422 du registre des brevets.

[15] En ce qui a trait à ces questions, les appelantes invoquent des points précis, qui sont examinés dans l’analyse suivante.

[16] Il est incontesté que la norme de contrôle applicable aux questions en litige en l’espèce est énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit isolables, mais à défaut d’erreur sur une telle question, notre Cour ne modifiera pas les conclusions de la Cour fédérale sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’une erreur manifeste (évidente) et dominante (qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire).

[17] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais les appels à l’égard de toutes les questions.

V. Analyse

A. Conclure que l’AA était connu comme traitement du cancer de la prostate

[18] Les appelantes affirment que la Cour fédérale a conclu que l’AA était connu comme traitement du cancer de la prostate sur le fondement de deux conclusions erronées : (i) qu’un aveu à cet effet dans le brevet 422 liait les appelantes et (ii) que les résultats d’une étude sur l’AA comme traitement du cancer de la prostate (l’étude 001) étaient publiés dans l’article O’Donnell 2004 sur l’état de la technique. À mon avis, aucun de ces arguments ne permet d’infirmer la conclusion de la Cour fédérale. J’examine chacun à tour de rôle.

1) Aveu dans le brevet 422

[19] Le paragraphe 35 du brevet 422 indique que les inhibiteurs de l’enzyme CYP17, dont l’AA fait partie, se sont révélés utiles dans le traitement du cancer de la prostate. Ce paragraphe mentionne le brevet américain n° 5 604 213 (le brevet 213) à l’appui de cette affirmation. Les appelantes signalent que le brevet 213 divulgue des études effectuées in vitro et sur des rongeurs, mais aucune étude sur des humains. Elles prétendent qu’il ne peut donc pas soutenir la déclaration du brevet 422 selon laquelle il a été démontré que l’AA s’était révélé utile dans le traitement du cancer de la prostate. Les appelantes soutiennent également que la Cour fédérale a commis une erreur en traitant le paragraphe 35 du brevet 422 comme un aveu contraignant.

[20] La Cour fédérale s’exprime sur cette question au paragraphe 115 de la décision :

[115] Le brevet indique que l’AA était déjà connu comme traitement pour le cancer de la prostate. Les défenderesses font valoir que Janssen « est lié[e] » par son admission (voir Bristol-Myers Squibb Canada c Apotex Inc, 2017 CF 296 au para 183 et les affaires citées).

Il semble que les demanderesses n’ont pas contesté ce fait, et ce n’était pas possible non plus, compte tenu de la preuve concernant les connaissances générales courantes.

[21] Il ne ressort pas de ce qui précède que la Cour fédérale a forcément accepté l’argument des intimées selon lequel l’aveu était contraignant. Elle semble plutôt avoir accordé de l’importance à (i) l’absence de différend quant à savoir si l’AA était déjà connu pour le traitement du cancer de la prostate (même si les appelantes soutiennent que ce point était en fait contesté) et (ii) aux connaissances générales courantes soutenant l’aveu.

[22] Il n’est pas nécessaire de décider en l’espèce si un aveu dans un brevet est contraignant pour le breveté, et auquel cas dans quelle mesure et dans quelles circonstances. La Cour fédérale ne dit pas qu’elle estime l’aveu contraignant; elle affirme plutôt avoir fondé sa conclusion sur la preuve relative à l’art antérieur concernant l’AA comme traitement du cancer de la prostate. Des éléments de preuve étayaient cette conclusion. Par exemple, le paragraphe 305 du rapport d’expertise du Dr Nam mentionne des renvois à l’art antérieur qui décrivent le recours à l’AA comme traitement du cancer de la prostate. Les appelantes ne m’ont pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en tirant cette conclusion factuelle.

[23] En ce qui concerne la conclusion de la Cour fédérale quant à l’absence de différend, je crois comprendre qu’elle invoque la notion du recours à l’AA comme traitement du cancer de la prostate, plutôt qu’un cas réel. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur à cet égard. Si les appelantes peuvent affirmer que l’AA n’avait pas été étudié dans l’art antérieur comme traitement du cancer de la prostate, il avait certainement été proposé à cette fin dans l’attente qu’il serait efficace.

2) Publication dans O’Donnell 2004 des résultats de l’étude 001

[24] Suivant le paragraphe 100 de la décision, les résultats de l’étude 001 ont été publiés dans O’Donnell 2004. Les parties conviennent que cette affirmation est incorrecte. L’étude 001 a été lancée après la publication de O’Donnell 2004, et ses résultats n’ont donc pas pu être publiés dans cet article. De plus, l’étude 001 ne faisait pas partie de l’art antérieur. Les appelantes soutiennent que cette erreur de la Cour fédérale est manifeste. Je suis du même avis.

[25] Cependant, je ne souscris pas à l’argument des appelantes selon lequel l’erreur est également prépondérante en ce qu’elle [traduction] « a probablement influé sur la conclusion [de la Cour fédérale] suivant laquelle l’AA était connu comme un traitement du cancer de la prostate, car elle a réduit les différences entre l’état de la technique et l’idée originale ».

[26] Je ne suis pas persuadé que la Cour fédérale ait réellement cru que l’étude 001 était mentionnée dans l’art antérieur, ou qu’elle ait autrement mal compris l’état de la technique. La description par la Cour fédérale de la preuve relative à l’art antérieur était par ailleurs détaillée et ne contenait pas d’erreur manifeste. Il ne semble pas que la Cour fédérale ait tenu pour acquis que l’étude 001 faisait partie de l’art antérieur. Je souscris à l’argument des intimées selon lequel l’affirmation erronée de la Cour fédérale était une simple distraction, et qu’elle avait probablement l’intention de dire que les résultats de l’étude O’Donnell 2004 ont été publiés dans l’étude 001, ce qui est exact.

[27] Les appelantes soutiennent qu’il aurait fallu demander la correction par voie de requête en réexamen en vertu du paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106. À mon avis, l’erreur commise par la Cour fédérale ne relève pas du paragraphe 397(1) des Règles, car elle ne concerne ni une discordance entre les motifs et la décision qui en résulte, ni une question qui a été négligée. En outre, le paragraphe 397(2) des Règles prescrit que les fautes de transcription « peuvent être corrigées à tout moment par la Cour ».

B. Recenser et appliquer les différences entre l’état de la technique et l’idée originale

[28] Les appelantes font valoir deux erreurs sous cette rubrique, que j’examine successivement.

1) Il doit être démontré que tant l’AA que la PN contribuent à l’effet

[29] Les appelantes signalent que, suivant l’interprétation acceptée des revendications, il faut non seulement que la combinaison d’AA et de PN traite le cancer de la prostate, mais aussi que chacun des deux composés contribue individuellement au traitement procuré par cette combinaison. Elles soutiennent que, pour conclure à l’évidence du brevet 422, il faudrait conclure qu’il était évident que l’AA contribuait au traitement du cancer indépendamment de la PN. Les appelantes notent que l’analyse relative à l’évidence menée par la Cour fédérale était viciée au motif qu’elle n’a jamais expliqué comment une personne versée dans l’art aurait pu comprendre que l’AA contribuait aux effets anticancéreux indépendamment de la PN. Elles invoquent le témoignage du Dr Nam concernant la question de l’utilité, selon lequel une telle compréhension aurait nécessité une étude de l’AA en tant que monothérapie aux fins de comparaison avec le traitement procuré par la combinaison. Elles affirment que rien ne démontre qu’une personne versée dans l’art aurait mené une telle étude.

[30] Les intimées notent que l’évaluation du critère de l’essai allant de soi est différente de l’évaluation de l’utilité. Dans le second cas, l’utilité de l’invention doit avoir été démontrée avant la date de dépôt, à défaut de quoi la divulgation doit inclure des renseignements qui étayent une prédiction valable d’utilité. Elles soutiennent qu’il est inhérent au concept de l’essai allant de soi que l’invention n’a pas fait l’objet d’un essai et que son résultat est incertain. La clé est l’attente de réussite.

[31] Les intimées notent que la Cour fédérale a fait les constatations de fait suivantes qui sont pertinentes aux fins de l’analyse relative au concept de l’essai allant de soi :

  1. Il était connu que l’AA s’est avéré utile au traitement du cancer de la prostate (décision, au para. 145);

  2. Il était connu que la PN pouvait traiter les cancers de la prostate (décision, aux para. 27 et 156);

  3. La combinaison de l’AA et de la PN dans le traitement du cancer de la prostate était motivée par plusieurs raisons, y compris leurs effets anticancéreux distincts (décision, au para. 185);

  4. La personne versée dans l’art s’attendrait à ce que l’AA et la PN fonctionnent ensemble sans interférer l’un avec l’autre (décision, au para. 157 et 185).

[32] Je suis d’accord avec les intimées pour dire que ces conclusions de fait, qui ne sont pas manifestement erronées, sont suffisantes pour étayer la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’invention du brevet 422 allait de soi. Il n’est pas essentiel de déterminer si la personne versée dans l’art mettant à l’essai l’invention saurait immédiatement ou non que l’AA a des effets anticancéreux, indépendamment de la combinaison. D’une part, une telle détermination n’apporterait rien d’utile à l’utilisation de l’invention. De plus, rien n’indique qu’il faille faire preuve d’inventivité pour confirmer que l’AA et la PN contribuent indépendamment au traitement du cancer de la prostate lorsqu’ils sont administrés ensemble. Il suffit qu’une personne versée dans l’art se soit attendue à ce que l’AA et la PN contribuent tous deux à l’effet.

[33] À mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la contribution de l’AA en ce qui concerne le concept de l’essai allant de soi.

2) Cancer de la prostate réfractaire

[34] Les appelantes notent que la Cour fédérale affirme à bon droit au paragraphe 126 de la décision qu’une question essentielle en l’espèce est celle de savoir ce qui était original dans la combinaison de l’AA et de la PN aux fins du traitement du cancer de la prostate, y compris le cancer de la prostate réfractaire. Les appelantes affirment que la Cour fédérale a fait fi du traitement du cancer de la prostate réfractaire dans son analyse de l’évidence. Elles soulignent le paragraphe 184 de la décision, qui indique ce qui suit : « [c]ompte tenu du succès d’autres associations, il était raisonnable de s’attendre au succès d’un traitement anticancéreux associant l’AA et la PN chez les patients atteints d’un CPHR, à l’exclusion de ceux ayant un cancer réfractaire ». [Non souligné dans l’original.]

[35] Je suis d’accord avec les intimées pour dire qu’il s’agit d’une autre distraction; on aurait dû lire « y compris » au lieu de « à l’exclusion de ». À la lumière de la décision dans son ensemble, je ne vois pas d’autre raison pour laquelle la Cour fédérale aurait reconnu l’importance des cancers réfractaires, et semble ensuite écarter ces derniers de son examen, sans aucune justification. Je note que le paragraphe 173 de la décision, cité au paragraphe 12 des présents motifs, inclut les cancers réfractaires dans l’analyse. Bien que l’erreur du paragraphe 184 soit manifeste et malheureuse, il semble bien qu’il s’agisse d’une simple erreur de transcription. Selon mon interprétation, l’expression « à l’exclusion de » au paragraphe 184 signifie « y compris ».

C. Déclarer que le brevet 422 est invalide et ordonner sa radiation du registre des brevets

1) Addenda du Dr Nam et modification de la demande reconventionnelle

[36] Les arguments des appelantes quant à la déclaration d’invalidité du brevet 422 et à la radiation du registre des brevets sont repris de l’appel distinct interjeté dans le dossier A-267-20 mentionné plus haut. Cet appel concerne le bien-fondé de la décision d’autoriser (i) un addenda tardif à un rapport d’expert et (ii) une modification de la demande reconventionnelle ayant pour objet d’y ajouter les questions soulevées dans cet addenda. Apotex a déposé l’addenda après s’être rendu compte, tardivement, que le rapport d’expert initial du Dr Nam ne traitait pas de la validité des revendications non invoquées par les appelantes. Le court addenda indiquait essentiellement que ces revendications étaient semblables aux revendications invoquées (n’y ajoutant que des limites dépourvues d’esprit inventif) et que l’opinion du Dr Nam sur l’évidence (ainsi que sur d’autres questions) s’appliquait également à elles. La Cour fédérale a autorisé la production de l’addenda dans l’intérêt de la justice. La Cour fédérale a également fait remarquer qu’une modification de la demande reconventionnelle précisant que l’évidence des revendications non invoquées était en cause pourrait être souhaitable. Dans une ordonnance ultérieure, la Cour fédérale a autorisé une telle modification.

[37] Les appelantes soutiennent qu’il n’y avait pas lieu d’autoriser l’addenda et la modification, et que la validité des revendications non invoquées n’était pas véritablement en cause. Il s’ensuivrait que les revendications non invoquées du brevet 422 resteraient valides, et le brevet 422 ne serait pas radié du registre des brevets.

[38] Comme il est indiqué ci-dessus, l’appel interjeté à l’encontre des ordonnances rendues avant l’instruction par la Cour fédérale est traité dans une décision distincte. L’analyse qui suit part du principe que le recours distinct a été rejeté et que l’addenda et la demande reconventionnelle modifiée demeurent en place.

2) Revendications non invoquées et paragraphe 6(3) du Règlement

[39] La Cour fédérale s’est manifestement rangée à l’avis du Dr Nam sur la similitude des revendications invoquées et non invoquées. Au paragraphe 118 de la décision, elle affirme que « [l]es revendications non invoquées sont essentiellement les mêmes » que les revendications invoquées. Les appelantes ne contestent pas cette conclusion.

[40] Cependant, même si l’analyse qui suit part du principe que l’addenda et la demande reconventionnelle modifiée sont au dossier, il reste nécessaire d’examiner l’argument des appelantes selon lequel la validité des revendications non invoquées n’aurait pas dû être examinée dans la décision. Cet argument est principalement fondé sur la thèse des appelantes selon laquelle le Règlement ne permet pas à un défendeur dans une action intentée sous le régime du paragraphe 6(1) de présenter une demande reconventionnelle en vue de faire déclarer invalides des revendications qui ne lui sont pas opposées. À l’appui de cet argument, elle invoque l’alinéa 6(3)a) du Règlement, qui prescrit ce qui suit :

6 (3) La seconde [ici, Apotex] personne peut faire une demande reconventionnelle afin d’obtenir une déclaration :

6 (3) The second [here, Apotex] person may bring a counterclaim for a declaration

a) soit au titre des paragraphes 60(1) ou (2) de la Loi sur les brevets à l’égard de toute revendication se rapportant à un brevet faite dans le cadre de l’action intentée en vertu du paragraphe (1); [non souligné dans l’original]

(a) under subsection 60(1) or (2) of the Patent Act in respect of any patent claim asserted in the action brought under subsection (1); or [emphasis added]

[41] Les appelantes soutiennent que le libellé de cette disposition vise seulement les revendications invoquées et ne permet pas une demande reconventionnelle concernant des revendications non invoquées. Pour leur part, les intimées soutiennent que l’alinéa 6(3)a) ne circonscrit pas étroitement les revendications susceptibles d’être visées dans une demande reconventionnelle présentée dans le cadre d’une action intentée sous le régime du paragraphe 6(1).

[42] Soulignons que les ordonnances rendues avant le procès avaient pour objet de décider s’il y avait lieu d’accorder une prorogation de délai à Apotex pour la présentation d’une preuve d’expert et s’il y avait lieu d’autoriser la modification d’un acte de procédure. Les considérations juridiques relatives à ces questions ne concernent qu’accessoirement l’interprétation qu’il convient de donner à l’alinéa 6(3)a) du Règlement. Avant le procès, la Cour fédérale n’était pas chargée de décider de l’admissibilité de cette preuve d’expert.

[43] Dans la décision rendue à la suite du procès, la Cour fédérale traite la question de la portée de la demande reconventionnelle en ces termes :

[229] Les demanderesses s’opposent à ce que les défenderesses présentent une demande reconventionnelle à l’égard des revendications non invoquées au motif que le droit de présenter une demande reconventionnelle est limité en vertu du paragraphe 6(3) aux demandes reconventionnelles à l’égard des revendications invoquées.

[230] Dans le contexte de la présente affaire, la question relative à la demande reconventionnelle ne semble pas avoir de pertinence particulière, sauf pour les observations en appel.

[231] Les demanderesses soutiennent que l’article 6.01 limite une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) aux revendications invoquées, bien que ces termes ne soient pas utilisés. Le Règlement AC indique qu’une demande reconventionnelle intentée en vertu du paragraphe 6(3) se limite précisément aux revendications invoquées.

[232] Deux choses préoccupent la Cour. Premièrement, les demanderesses ont consenti à la demande reconventionnelle sans réserve à l’époque. Deuxièmement, un défendeur pourrait ne pas être en mesure d’attaquer la validité d’un brevet, mais uniquement d’attaquer des revendications précises invoquées dans une action fondée sur un AC.

[233] Le Règlement AC n’est pas un code complet, mais le paragraphe 6(3) doit avoir pour objet de confirmer l’existence du droit de présenter une demande reconventionnelle dans l’action fondée sur un AC; il se limite toutefois aux revendications invoquées dans l’action.

[234] Une demande reconventionnelle est une action distincte. Le paragraphe 6(3) ne fait que permettre à une partie de contester un brevet dans le cadre d’une action fondée sur un AC à l’égard de revendications invoquées. La question de savoir si une revendication d’invalidité distincte pourrait être jointe à une action fondée sur un AC n’est pas tranchée.

[235] Vu le consentement des demanderesses en l’espèce, les parties ont trouvé un moyen plus rapide de traiter les revendications non invoquées, dont aucune n’a d’incidence sur le jugement rendu en l’espèce.

[236] Une analyse plus approfondie de l’incidence globale du paragraphe 6(3) du Règlement AC devrait attendre un meilleur dossier et des arguments juridiques plus complets.

[44] Bien que ces paragraphes ne soient pas un modèle de clarté, il semble que la Cour fédérale ait conclu qu’elle n’avait pas à se prononcer sur l’interprétation du paragraphe 6(3) du Règlement parce que les appelantes avaient déjà accepté « sans réserve » de traiter de la validité des revendications non invoquées dans la demande reconventionnelle.

[45] Les appelantes soutiennent que, comme la Cour fédérale a été constituée par voie législative, sa compétence se limite aux matières prévues par sa loi habilitante, et ni les parties au litige ni la Cour fédérale même ne sont habilitées à convenir de l’élargir. Certes, mais les appelantes reprochent ensuite à la Cour fédérale de ne pas avoir tenu compte de sa compétence pour se prononcer sur la validité des revendications non invoquées du brevet 422.

[46] Pour examiner la thèse des appelantes, il est nécessaire de décider si le Règlement permet, dans une action intentée sous le régime du paragraphe 6(1), une demande reconventionnelle portant sur des revendications qui n’ont pas été invoquées dans l’action, soit de plein droit, soit avec l’autorisation de la Cour. Examinons le second cas. À l’instar de la Cour fédérale, je remets à une autre occasion la question de savoir si un défendeur, dans une action intentée sous le régime du paragraphe 6(1), peut présenter une demande reconventionnelle de plein droit.

[47] Je n’ajoute pas foi à la thèse voulant que la compétence de la Cour fédérale à l’égard d’une demande reconventionnelle visant des revendications non invoquées présentée dans le cadre d’une action intentée sous le régime du paragraphe 6(1) du Règlement soit prévue dans le Règlement même. La Cour fédérale est expressément habilitée, par la Loi sur les brevets et les Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106, à trancher une contestation de la validité d’un brevet, introduite par demande reconventionnelle dans le cadre d’une action pour contrefaçon de brevet ou autrement. La question qui se pose est celle de savoir si le Règlement limite cette compétence en interdisant soit (i) aux parties de convenir de faire examiner, dans le cours de l’instance, la validité des revendications non invoquées, soit (ii) à la Cour fédérale de rendre une ordonnance à cet effet.

[48] Tout d’abord, le libellé de l’alinéa 6(3)a) (reproduit au paragraphe 40 des présents motifs) est certes large. S’il prévoit la possibilité d’une demande reconventionnelle à l’égard d’une revendication faite, il n’interdit rien expressément. Les appelantes font valoir que l’interdiction ressort implicitement de la mention d’une revendication faite et du silence quant aux revendications non invoquées. Il s’agit d’un argument raisonnable. Toutefois, à mon avis, toute limitation implicite de cette nature doit être étayée par le contexte ou l’objet du Règlement.

[49] D’autres dispositions du Règlement fournissent des arguments en faveur de l’une ou l’autre de ces thèses. D’une part, les appelantes soulèvent des dispositions introduites avec les modifications de 2017 qui visent à simplifier les instances afin qu’elles puissent facilement aboutir à une décision après le procès dans le délai de 24 mois prévu. Par exemple, l’article 6.02 dispose que, sauf exceptions limitées, aucune autre action ne peut être réunie à une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement pendant la période de 24 mois. En outre, l’article 6.09 exige que les parties collaborent de manière raisonnable pour accélérer l’instruction de l’action intentée en vertu des paragraphes 6(1) et 6(3). D’autre part, Apotex note que de nombreuses dispositions du Règlement impératives sont rédigées au moyen de formules expresses comme « sont tenus de »; dans ces cas, aucune déduction n’est nécessaire. Selon Apotex, si le Règlement ne permettait pas, dans une demande reconventionnelle, les revendications non invoquées, le paragraphe 6(3) aurait pu le préciser.

[50] Apotex affirme également que le fait de limiter les demandes reconventionnelles pour l’application du paragraphe 6(3) aux revendications invoquées n’emporterait pas forcément l’accélération de l’instruction. Exiger d’une seconde personne (un défendeur) dans une instance intentée sous le régime du Règlement qu’elle intente une action distincte pour obtenir une déclaration d’invalidité (ou d’absence de contrefaçon) à l’égard de revendications non invoquées risque d’emporter la multiplication inutile des instances, une utilisation accrue des ressources judiciaires, ainsi que des décisions contradictoires. De plus, toutes les dispositions du Règlement ne sont pas destinées à limiter la portée des instances intentées sous le régime de l’article 6. Le paragraphe 6(3) lui-même est un excellent exemple : il permet le dépôt d’une demande reconventionnelle. Dans sa défense contre une action pour contrefaçon, un défendeur peut certes faire valoir l’invalidité des revendications invoquées, mais il n’est pas nécessaire que cette défense soit présentée sous forme de demande reconventionnelle. Soulever simplement l’invalidité en défense suffirait pour faire trancher l’action intentée en vertu du paragraphe 6(1). Permettre la demande reconventionnelle (pour obtenir une déclaration d’invalidité) a principalement pour objet d’éviter des poursuites judiciaires supplémentaires, par le même défendeur ou une autre personne désirant obtenir une telle déclaration, mais réduit également le risque de décisions contradictoires. On peut soutenir que ces objets s’appliquent également aux revendications non invoquées. En outre, on peut soutenir que le Règlement vise l’efficacité globale plutôt que l’accélération de l’instruction de chaque instance.

[51] L’examen du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagne les modifications de 2017 est intéressant. Il a été publié dans la Gazette du Canada, partie II, vol. 151, édition spéciale no 1, le 7 septembre 2017. Le REIR mentionne explicitement l’objectif (i) d’« efficacité accrue » à la fin de la section « Enjeux » à la page 32, (ii) d’« efficacité globale » à la fin de la section « Description » à la page 35, et (iii) d’« efficacité » à la fin de la section « Justification » à la page 52. Le demandeur qui accepte, dans le contexte de son action intentée en vertu du paragraphe 6(1), de se défendre à l’encontre d’une demande reconventionnelle alléguant l’invalidité de revendications non invoquées reconnaît les gains d’efficacité découlant de l’examen de ces questions dans une seule et même instance. C’est particulièrement le cas en l’espèce, car les revendications non invoquées sont si semblables aux revendications invoquées. Sous la rubrique « Objectifs », à la page 34, le REIR souligne l’objectif consistant à « fournir souplesse et choix aux parties touchées ». Plus loin sur la même page, le REIR reconnaît que l’objectif d’accélération de l’instruction s’applique parallèlement au désir de « confér[er] à la Cour un large pouvoir discrétionnaire pour gérer les instances ». Dans le même ordre d’idées, le REIR note, sous la rubrique « Description » à la page 35, la décision de limiter l’introduction de règles de procédure, et de « laisser à la Cour le soin de s’occuper de ces questions au cas par cas ».

[52] Le REIR mentionne parmi les objectifs l’élimination de la « pratique coûteuse et inefficace des doubles litiges » (voir page 34), qui existait sous l’ancien Règlement. Cet objectif est repris sous la rubrique « Revendications en litige » à la page 37 où, dans la discussion d’une ancienne limite sur les types de revendications possibles, le REIR précise qu’il n’est plus nécessaire « d’introduire une procédure distincte pour examiner toutes les revendications d’un même brevet ». Ce même avantage peut être obtenu par un examen combiné de la validité des revendications non invoquées et des revendications invoquées.

[53] Enfin, mentionnons dans une dernière observation sur l’objet du Règlement, qu’aux termes du passage du REIR qui semble traiter directement du paragraphe 6(3), sous le titre « Accent sur la contrefaçon et la validité » à la page 36, une « seconde personne pourra présenter une demande reconventionnelle visant à faire invalider le brevet ». Il est à noter que ce passage mentionne l’invalidité du brevet, et non pas les revendications invoquées dans le brevet.

[54] À mon avis, le Règlement vise à accorder à la Cour fédérale le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la demande reconventionnelle prévue au paragraphe 6(3) qui comprend des revendications non invoquées. La Cour fédérale a exercé ce pouvoir discrétionnaire et a fourni les motifs cités au paragraphe 43 des présents motifs. Je ne modifierais pas l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la constatation d’invalidité de toutes les revendications du brevet 422, ni l’ordonnance de radiation du registre des brevets.

3) « Rejet » de la demande reconventionnelle

[55] La Cour fédérale est parvenue à une conclusion déroutante à la fin de la décision. Sur le fondement de sa conclusion selon laquelle les revendications du brevet 422 étaient évidentes, elle indique au paragraphe 261 de la décision : « Pour ces motifs, l’action des demanderesses [les appelantes] sera rejetée. La demande reconventionnelle sera également rejetée. L’invention est évidente et résultait d’un essai allant de soi. Le brevet 422 est et était invalide. » À la lumière des motifs, il est facile de comprendre pourquoi l’action des appelantes est rejetée, et le brevet 422 est jugé invalide. D’autre part, la raison du rejet de la demande reconventionnelle n’est pas évidente. Il semblerait que la conclusion suivant laquelle le brevet 422 est invalide pour cause d’évidence devrait emporter la décision d’accueillir la demande reconventionnelle, car cette déclaration y était sollicitée.

[56] La confusion a été aggravée par les jugements qui accompagnent les motifs. La Cour fédérale a rendu des jugements distincts à l’égard de chaque action intentée contre les intimées. Ces jugements déclarent le brevet 422 invalide pour cause d’évidence, et ordonnent sa radiation du registre des brevets. La décision tranchant l’action intentée contre Apotex (publiée sous la référence 2021 CF 3) ordonne également le rejet de l’action et de la demande reconventionnelle. Compte tenu de la constatation d’invalidité du brevet 422, il est difficile de comprendre le rejet de la demande reconventionnelle. De plus, étant donné le rejet de la demande reconventionnelle, on peut difficilement justifier la radiation du brevet 422 du registre des brevets.

[57] Il est remarquable que ni les appelantes ni Apotex n’aient demandé à la Cour fédérale de clarifier ses déclarations qui prêtent à confusion dans la décision et le jugement qui l’accompagne en ce qui a trait à Apotex (par exemple, au moyen d’une requête en réexamen visée au paragraphe 397(2) des Règles). Interrogées sur cette confusion à l’audience devant notre Cour, les deux parties semblaient prêtes à accepter que le rejet de la demande reconventionnelle était délibéré et non une erreur. Compte tenu de mes observations précédentes, je ne comprends pas comment c’est possible. À la lumière de la décision dans son ensemble, je ne crois pas qu’il était justifié de rejeter la demande reconventionnelle. À mon avis, la seule conclusion raisonnable est que la Cour fédérale avait l’intention de se prononcer en faveur des intimées tant sur la demande principale que sur la demande reconventionnelle, et de faire droit à la demande reconventionnelle. Considérer le rejet de la demande reconventionnelle comme une autre distraction permet de dissiper la confusion concernant la conclusion de la Cour fédérale. En conséquence, j’interpréterais la deuxième phrase du paragraphe 261 de la décision comme suit : « Il sera fait droit à la demande reconventionnelle ».

4) Modification du jugement concernant Apotex

[58] Si l’on estime que la Cour fédérale a en fait accueilli la demande reconventionnelle, il est nécessaire de modifier le jugement concernant Apotex. En rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, je modifierais le paragraphe 3 de celui-ci de la manière suivante :

L’action est rejetée, et la demande reconventionnelle est accueillie. Les dépens des deux instances sont adjugés à la défenderesse, et le montant global de ceux-ci sera déterminé par la Cour à une date ultérieure.

VI. Conclusion

[59] Je rejetterais les appels avec dépens et modifierais le jugement concernant Apotex (publié sous la référence 2021 CF 3) comme il est indiqué au paragraphe précédent.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-38-21 (dossier principal),

A-36-21, A-37-21

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY, INC. et BTG INTERNATIONAL LTD. c. APOTEX INC., PHARMASCIENCE INC., DR. REDDY’S LABORATORIES LTD, et DR. REDDY’S LABORATORIES, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er novembre 2022

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Stephanie Anderson

 

Pour les appelantes

 

Andrew Brodkin

Jenene Roberts

Kirby Cohen

 

POUR L’INTIMÉE,

APOTEX INC.

 

Kavita Ramamoorthy

POUR L’INTIMÉE,

PHARMASCIENCE INC.

Bryan Norrie

Yaseen Manan

POUR LES INTIMÉES,

DR. REDDY’S LABORATORIES LTD et DR. REDDY’S LABORATORIES, INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE,

APOTEX INC.

 

Fineberg Ramamoorthy, S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE,

PHARMASCIENCE INC.

 

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉES,

DR. REDDY’S LABORATORIES LTD et DR. REDDY’S LABORATORIES, INC.

 

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