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Date : 20221107


Dossier : A-167-21

Référence : 2022 CAF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

CATHY TURNER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20221107


Dossier : A-167-21

Référence : 2022 CAF 192

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

 

CATHY TURNER

 

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2022.)

LA JUGE GLEASON

[1] La demanderesse demande l’annulation de la décision rendue par un arbitre de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTESPF) intitulée Turner c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2021 CRTESPF 52, 2021 CarswellNat 2051 (WL). Dans cette décision, l’arbitre a conclu qu’un abus de pouvoir s’était produit dans le processus de dotation non annoncé visant deux postes, dont les qualifications essentielles avaient été mal établies par l’employeur. Cependant, l’arbitre a limité la mesure de redressement à une déclaration selon laquelle l’abus avait eu lieu. L’arbitre n’a fourni aucune raison pour limiter ainsi la mesure de redressement au-delà du fait que la CRTESPF devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordonnance révoquant les nominations « [...] que dans de rares circonstances » (au para. 79 de la décision).

[2] Contrairement à ce que fait valoir le défendeur, nous ne croyons pas qu’il soit possible d’interpréter équitablement la décision de l’arbitre d’une autre façon ou d’invoquer la prétendue concession quant aux qualifications des titulaires pour les postes. Si nous le faisions, nous récririons la décision, ce que notre Cour ne peut pas faire, comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux paras. 96 à 98, [2019] 4 RCS 653 (arrêt Vavilov).

[3] Comme le fait remarquer à juste titre la demanderesse, la déclaration de l’arbitre selon laquelle la révocation n’est que rarement accordée est en conflit avec la jurisprudence de la CRTESPF et de son prédécesseur, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), car les arbitres ont souvent ordonné la révocation de la nomination faite lorsqu’il est établi qu’un abus de pouvoir a eu lieu dans le processus de dotation. En effet, la révocation semble avoir été prononcée dans près de la moitié des décisions publiées.

[4] Dans la jurisprudence présentée par les parties, qui semble être la totalité de la jurisprudence rapportée à cet égard, la révocation a été ordonnée dans les décisions Burke c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 3, 2009 CarswellNat 6892 (WL); Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, 2009 CarswellNat 6911 (WL); Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, 2009 CarswellNat 6268 (WL); Ayotte c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 16, 2010 CarswellNat 7736 (WL); Martin c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 19, 2010 CarswellNat 6365 (WL); Rochon c. le sous-ministre des Pêches et des Océans, 2011 TDFP 7, 2011 CarswellNat 1760 (WL); Bain c. le sous-ministre des Ressources naturelles, 2011 TDFP 28, 2011 CarswellNat 5762 (WL); Marcil c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 31, 2011 CarswellNat 5767 (WL); Kress c. le sous-ministre d’Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TDFP 41, 2011 CarswellNat 6128 (WL); Whalen c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2012 TDFP 7, 2012 CarswellNat 1735 (WL); Pardy c. le sous-ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2012 TDFP 14, 2012 CarswellNat 2922 (WL); Spirak c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 TDFP 20, 2012 CarswellNat 4106 (WL); Renaud c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26, 2013 CarswellNat 3421 (WL); Ryan c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 9, 2014 CarswellNat 1999 (WL); Healey c. Président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2014 TDFP 14, 2014 CarswellNat 3574 (WL); De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34, 2016 CarswellNat 2892 (WL); Goncalves c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2017 CRTESPF 2, CarswellNat 6954 (WL); Sachs c. la présidente de l’Agence de la santé publique du Canada, 2017 CRTESPF 3, 2017 CarswellNat 6965 (WL); Burt c. Sous-ministre d’Anciens Combattants Canada, 2019 CRTESPF 31, 2019 CarswellNat 1667 (WL); et Regier c. Administrateur général du Service correctionnel du Canada, 2021 CRTESPF 123, 2021 CarswellNat 6437 (WL). De plus, dans la décision Patton c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 8, 2011 CarswellNat 8248 (WL), la révocation a été ordonnée sous conditions; dans la décision Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6, 2012 CarswellNat 3309 (WL), la révocation a été ordonnée à l’égard de l’une des mesures de dotation en litige; et dans la décision Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2019 CRTESPF 107, 2019 CarswellNat 7758 (WL), un arbitre a indiqué que la révocation aurait été ordonnée si les plaignants l’avaient demandée.

[5] Cependant, la révocation n’a pas été ordonnée dans les décisions Cameron et Maheux c. l’administrateur général de Service Canada et al., 2008 TDFP 16, 2008 CarswellNat 8070 (WL); Chiasson c. le sous-ministre de Patrimoine canadien et al., 2008 TDFP 27, 2008 CarswellNat 5221 (WL); Hughes c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 16, 2011 CarswellNat 3367 (WL); Hammouch c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 12, 2012 CarswellNat 2488 (WL); Ostermann c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2012 TDFP 28, 2012, CarswellNat 4564 (WL); Gabon c. le sous-ministre d’Environnement Canada, 2012 TDFP 29, 2012 CarswellNat 4652 (WL); Payne c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 15, 2013 CarswellNat 3488 (WL); Laviolette c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2015 CRTEFP 6, 2015 CarswellNat 281 (WL); Hill c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2017 CRTESPF 21, 2017 CarswellNat 4986 (WL); Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83, 2019 CarswellNat 5350 (WL); Gomy c. Sous-ministre de la Santé, 2019 CRTESPF 84, 2019 CarswellNat 5390 (WL); Desalliers c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CRTESPF 70, 2022 CarswellNat 3887 (WL); et Massabki c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2022 CRTESPF 79, 2022 CarswellNat 4213 (WL). Cependant, dans plusieurs de ces décisions, les circonstances étaient différentes de celles de l’espèce.

[6] En l’espèce, la demanderesse a soutenu devant l’arbitre qu’il y avait lieu d’ordonner la révocation parce que les qualifications essentielles des postes pourvus sans concours avaient été mal établies et que, par conséquent, les titulaires n’avaient pas été évalués par rapport aux qualifications essentielles pertinentes.

[7] L’arbitre n’a tenu compte d’aucun des pouvoirs pertinents de la CRTESPF ou du TDFP sur la question du redressement et n’a donné aucune explication quant à la raison pour laquelle il avait conclu que la révocation n’était pas justifiée, à part l’affirmation erronée qu’elle est rarement pertinente.

[8] La décision de l’arbitre est donc déraisonnable parce que la jurisprudence exige que, pour être raisonnable, une décision administrative doive, entre autres, fournir des motifs pour s’écarter de la jurisprudence interne et s’attaquer de façon significative aux arguments principaux soulevés par les parties : arrêt Vavilov, aux paras. 127 à 132; Walker c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 44, au para. 9, 314 A.C.W.S. (3d) 843; et Bell Canada c. Société de perception des droits d’auteurs du Canada, 2021 CAF 148, au para. 43, 336 A.C.W.S. (3d) 538.

[9] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, le tout avec dépens établis à 2 500 $ tout compris. La partie de la décision de l’arbitre portant sur la mesure de redressement sera annulée. Dans les circonstances, nous croyons qu’il convient que les questions relatives aux mesures de redressement soient renvoyées à un autre arbitre pour nouvel examen. Nous laissons à cet arbitre le soin de décider quels éléments de preuve supplémentaires, s’il y a lieu, pourraient être nécessaires pour nouvel examen des questions relatives aux mesures de redressement du fait que, comme il est habituel dans une affaire en matière de droit du travail, il n’y a pas de transcriptions des éléments de preuve présentés au premier arbitre.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-167-21

INTITULÉ :

CATHY TURNER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 novembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LA JUGE GLEASON

COMPARUTIONS :

Andrew Astritis

Simcha Walfish

Pour la DEMANDERESSe

Richard Fader

Laetitia B. Auguste

Pour lE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour la DEMANDERESSE

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour lE DÉFENDEUR

 

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