Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20221107


Dossier : A-318-21

Référence : 2022 CAF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

KEENAN A. FEENEY

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 26 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20221107


Dossier : A-318-21

Référence : 2022 CAF 190

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

KEENAN A. FEENEY

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1] Il s’agit d’un appel d’une décision rendue par le juge Simon Fothergill de la Cour fédérale (le juge saisi de la requête) publiée sous la référence 2021 CF 1213 (la décision), qui a accueilli la requête de l’intimé (la Couronne fédérale) afin d’obtenir une ordonnance :

a) radiant la déclaration présentée par l’appelant contre la Couronne fédérale (sans autorisation de la modifier) en application du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les Règles),

b) déclarant l’appelant plaideur quérulent conformément à l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi).

[2] L’appelant, qui agit pour son propre compte, a intenté une action contre la Couronne fédérale. Dans sa déclaration, il allègue avoir été [traduction] « victime d’un détournement intentionnel et malveillant du cours de la justice » commis par les [traduction] « représentants de la Couronne, au sein de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et de la Cour d’appel de l’Alberta ». Selon l’appelant, ces [traduction] « représentants de la Couronne » (qui sont principalement des juges) l’ont privé de [traduction] « son droit d’obtenir justice pour les dommages découlant de l’attaque malveillante qui a été portée contre sa réputation ». La demande de l’appelant découle de ses tentatives infructueuses – remontant à 2014 – d’annuler une ordonnance d’outrage civil pour parjure qui a été rendue contre lui dans le cadre d’une instance introduite devant les tribunaux de l’Alberta. Il contestait dans ces instances sous‑jacentes une ordonnance de protection en cas d’urgence rendue contre lui par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (comme elle se nommait alors).

[3] L’appelant demande un jugement lui accordant la somme de 25 millions de dollars en dommages-intérêts majorés et en dommages-intérêts punitifs.

[4] Les décisions rendues sur des requêtes présentées aux termes du paragraphe 221(1) des Règles ou de l’article 40 de la Loi sont de nature discrétionnaire (Lafrenière c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 110, au para. 2; Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, au para. 23 et 31 (Olumide); Simon c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 28, aux paras. 8 à 20 (Simon)). Pour que notre Cour intervienne dans des affaires de ce genre, elle doit être convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur sur une question de droit ou qu’elle a commis une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 23; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215). L’erreur manifeste et dominante est une norme qui appelle un degré élevé de retenue; la Cour n’interviendra à l’égard d’une décision portée en appel que si l’erreur est évidente et qu’elle a eu une incidence sur l’issue de l’affaire (Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au para. 38; H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401, aux paras. 55, 56, 69 et 70; Contact Lens King Inc. c. Canada, 2022 CAF 154, aux paras. 76 et 84).

L’ordonnance radiant la déclaration

[5] Le juge saisi de la requête a radié la déclaration de l’appelant au motif qu’elle n’avait aucune chance d’être accueillie. Il a fondé sa conclusion sur cette question en s’appuyant sur les points suivants :

a) la déclaration de l’appelant repose sur de nombreuses allégations vagues et n’établit pas suffisamment de faits pertinents ni ne fournit de précisions pour appuyer les allégations de l’appelant de négligence, de fausses déclarations, de fraude et d’intention frauduleuse;

b) rien dans la déclaration ne lie les allégations de l’appelant à la Couronne fédérale ou n’établit comment la Couronne fédérale pourrait être tenue responsable des actions des juges ou d’autres fonctionnaires de l’Alberta; et, dernier point, mais non le moindre;

c) la Cour fédérale n’a pas compétence pour examiner les allégations formulées dans la déclaration contre les juges et d’autres fonctionnaires de l’Alberta.

[6] L’appelant soutient qu’il est « absurde » de conclure que [traduction] « [l]es juges nommés par le gouvernement fédéral ne relèvent pas de la compétence de la Cour fédérale du Canada » et que la Couronne fédérale n’est pas responsable du fait d’autrui pour leur conduite délictuelle. Il soutient que les juges nommés par le gouvernement fédéral représentent le Canada et qu’ils sont donc des employés de la Couronne fédérale. Cette conclusion est confirmée, dit-il, par le fait que [traduction] « [l]a nomination des juges est administrée par le Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale » (mémoire de l’appelant, au para. 2).

[7] Pour les motifs qui suivent, les arguments de l’appelant ne peuvent pas être retenus.

[8] Selon l’alinéa 221(1)a) des Règles, un acte de procédure en Cour fédérale peut être radié s’il « ne révèle aucune cause d’action valable ». Pour qu’une requête présentée aux termes de cette règle soit accueillie, il doit être « évident et manifeste » – dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés – que l’acte de procédure contesté ne révèle aucune cause d’action (R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, au para. 17 (Imperial)). Comme l’a expliqué la Cour suprême dans Imperial, bien que les requêtes en radiation ne sauraient être accueillies à la légère, elles demeurent une « importante mesure de gouverne judiciaire à l’efficacité et à l’équité des procès. [Elles] permet[tent] d’élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l’instruction des demandes susceptibles d’être accueillies ». (Imperial, au para. 19).

[9] Bien que le juge saisi de la requête n’ait pas énoncé textuellement le critère d’Imperial dans ses motifs, il est néanmoins clair qu’il a appliqué le bon critère en accueillant la requête. Les motifs du juge saisi de la requête indiquent clairement qu’il était convaincu que les demandes de l’appelant n’avaient « aucune chance d’être accueillies » (décision au para. 4). Ainsi, il ne fait aucun doute que le juge saisi de la requête n’a pas commis d’erreur dans son application du critère d’ Imperial.

[10] De plus, comme l’a déterminé le juge saisi de la requête, il est évident et manifeste que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre les allégations formulées par l’appelant contre des juges et d’autres fonctionnaires de l’Alberta. Ces juges et fonctionnaires ne sont tout simplement pas des « employés du Canada » au sens d’employés du gouvernement du Canada. On ne peut donc pas affirmer que leur conduite délictuelle alléguée engage la responsabilité de la Couronne fédérale de quelque manière que ce soit.

[11] Comme notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Crowe c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 298, au para. 16 (Crowe) – un litige qui portait de façon semblable sur la radiation d’une action en dommages-intérêts déposée auprès de la Cour fédérale contre plusieurs défendeurs, notamment des juges nommés par le gouvernement fédéral – la Cour fédérale « est un tribunal d’origine législative et [...] elle n’a donc que la compétence qui lui est conférée par la loi. Ce n’est pas un tribunal qui possède une compétence générale inhérente comme les cours supérieures provinciales [...] ». (Voir aussi l’arrêt Succession Ordon c. Grail, 1998 CanLII 771 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 437, au para. 46.)

[12] Autrement dit, la compétence de la Cour fédérale ne peut être présumée. Elle doit plutôt être démontrée de manière affirmative (Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, aux paras. 46-46). D’après les faits qui m’ont été présentés, cette compétence n’a pas été démontrée.

[13] Comme notre Cour l’a énoncé dans Crowe, le législateur fédéral n’a pas attribué à la Cour fédérale de compétence sur la prétendue conduite délictuelle des juges (Crowe, au para. 18). Que la Cour fédérale ait compétence concomitante avec les cours supérieures provinciales pour entendre des actions en responsabilité délictuelle contre la Couronne fédérale par l’effet combiné du paragraphe 17(1) de la Loi et du paragraphe 21(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (LRCÉCA) n’y change rien.

[14] En effet, la Couronne fédérale – qui, jusqu’à l’adoption de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.C. 1952-53, ch. 30 en 1953, ne pouvait être poursuivie de plein droit en responsabilité délictuelle – peut être tenue responsable, mais uniquement pour la faute commise par ses préposés, (Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621, au para. 58; Peter W. Hogg, Patrick J. Monahan et Wade K. Wright, Liability of the Crown, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2011)). Il est important de noter toutefois que les juges – notamment les juges nommés par le gouvernement fédéral – ne sont pas des employés de la Couronne fédérale. Ils ne sont pas non plus des « préposés » ou des « mandataires » de la Couronne au sens de la LRCÉCA, car ces termes renvoient à une personne qui travaille sous le contrôle ou la direction de la Couronne (Administration du pipe-line du Nord c. Perehinec, 1983 CanLII 167 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 513, p. 519 à 521; R. c. Eldorado Nucléaire Ltée; R. c. Uranium Canada Ltée, 1983 CanLII 34 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 551, p. 573 et 574).

[15] Dans Crowe, notre Cour a expliqué pourquoi les juges ne sont pas véritablement des employés, des préposés ou des mandataires de la Couronne dans le paragraphe suivant :

[24] Les actes de procédure précités ne mentionnent aucun préposé de la Couronne comme tel, mais ils mentionnent des juges et la magistrature canadienne. Or, les juges ne sont ni des préposés de l’État ni des employés du gouvernement fédéral. Le principe de l’indépendance de la magistrature est un principe constitutionnel (Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 106). Son application exige que les juges soient à l’abri de toute ingérence de la part du gouvernement en place et qu’ils soient perçus comme étant à l’abri d’une telle ingérence. Cette indépendance est incompatible avec le statut d’employé. Il s’ensuit que même si un juge déborde le cadre de ses attributions, sa conduite n’engage pas la responsabilité du gouvernement fédéral. Le juge des requêtes a estimé avec raison que la demande visant le gouvernement fédéral devait échouer parce qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable parce que même en étant tenues pour avérées, les allégations de M. Crowe n’engagent pas la responsabilité de la Couronne.

[16] L’appelant demande à la Cour d’examiner à nouveau cette question. Toutefois, afin d’assurer la constance, l’uniformité et l’invariabilité du droit, la Cour suit normalement ses précédents (Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, au para. 9 (Miller)). Ce n’est que dans des « circonstances exceptionnelles » qu’elle infirmera la décision d’une autre formation. Cela se produit généralement si « [une] décision en cause [est] manifestement erronée, du fait que la Cour n’aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qui aurait dû être respecté... » (Miller, au para. 10).

[17] L’appelant n’a pas réussi à démontrer l’existence de telles « circonstances exceptionnelles ». Fait à souligner, il peut y avoir d’autres moyens à sa disposition pour remédier à ce qu’il qualifie de [traduction] « traitement persistant et cruel de la part de juges négligents et abusifs de la Cour supérieure de l’Alberta ». Toutefois, une réclamation en dommages-intérêts devant la Cour fédérale n’est manifestement pas une de ces voies. Comme la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre la demande de l’appelant, les questions de l’immunité judiciaire qu’il a soulevées dans sa déclaration et dans ses observations dans le présent appel ne se posent pas « étant donné qu’il n’y a pas de responsabilité susceptible d’exécution forcée devant la Cour fédérale à laquelle une telle immunité pourrait s’appliquer ». De telles allégations ne « confère[nt] pas compétence à la Cour fédérale » (Crowe, au para. 18).

[18] Enfin, le renvoi au Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale dans les observations de l’appelant devant notre Cour ne lui est d’aucune utilité pour deux raisons. Premièrement, il n’y a aucune mention de ce genre dans la déclaration contestée et, à ce titre, cet argument n’a pas été correctement plaidé. Deuxièmement, même s’il y avait eu cette mention, ce Bureau, contrairement à ce que l’appelant a soutenu à l’audience, ne joue aucun rôle dans la nomination réelle des juges nommés par le gouvernement fédéral. Ces nominations, conformément à l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Vict., ch. 3, reproduite dans L.R.C. (1985), annexe II, no 5, relèvent de la seule compétence du gouverneur général.

[19] Compte tenu de ce qui précède, je ne vois aucune raison d’intervenir à l’égard de la conclusion du juge saisi de la requête selon laquelle la déclaration de l’appelant n’avait aucune chance d’être accueillie. Rien dans la déclaration ne lie les allégations de l’appelant à la Couronne fédérale. De plus – et surtout – « la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre les allégations [que l’appelant] formule contre des juges et d’autres fonctionnaires albertains » (décision au para. 4), ce qui ne peut être corrigé par des modifications (Simon c. Canada, 2011 CAF 6, aux paras. 8 à 10). Je rejetterais donc l’appel de l’appelant sur ce point.

L’ordonnance déclarant le plaideur quérulent

[20] Je ne vois non plus aucune raison d’intervenir à l’égard de l’ordonnance déclarant le plaideur quérulent. Comme l’a fait remarquer à juste titre le juge saisi de la requête, l’ordonnance déclarant le plaideur quérulent peut être fondée sur divers critères non exhaustifs (décision au para. 15). Dans l’arrêt Olumide, le juge Stratas a énoncé ces critères comme des « caractéristiques des plaideurs quérulents » ou des « signes de conduite vexatoire » (au para. 34). Ces « caractéristiques » comprennent les éléments suivants : (Olumide c. Canada, 2016 CF 1106, au para. 10) :

a) être sermonné par divers tribunaux pour avoir eu un comportement vexatoire et abusif;

b) intenter des poursuites frivoles (y compris des requêtes, des demandes, des actions en justice et des appels);

c) faire des allégations scandaleuses et non fondées contre les parties adverses à la Cour;

d) remettre en litige des questions ayant déjà été tranchées contre le plaideur quérulent;

e) interjeter couramment et systématiquement appel de décisions interlocutoires et finales, et ce, sans succès;

f) faire fi des ordonnances des tribunaux et des règles des tribunaux;

g) refuser de payer les dépens non réglés adjugés contre le plaideur quérulent.

[21] Comme l’a souligné à juste titre le juge saisi de la requête, les ordonnances déclarant un plaideur quérulent émanant d’autres tribunaux à l’égard du plaideur faisant l’objet d’une requête en application de l’article 40 de la Loi méritent un poids considérable (Simon, au para. 25). En l’espèce, comme l’a fait remarquer le juge saisi de la requête, l’appelant fait l’objet d’une telle ordonnance de la Cour d’appel de l’Alberta et fait également l’objet de restrictions provisoires d’accès à la Cour du banc du Roi de l’Alberta (Feeney v. Her Majesty the Queen in Right of Alberta, 2021 ABCA 255, au para. 38). L’appelant soutient qu’il ne faut pas accorder de poids à ces ordonnances des Cours de l’Alberta puisqu’elles font l’objet d’un appel (mémoire de l’appelant, au para. 9). Cependant, jusqu’à ce qu’elles soient annulées en appel ou suspendues en attendant l’appel (ce qui n’a pas encore eu lieu), je ne vois aucune raison pour laquelle le juge saisi de la requête ne pouvait pas tenir compte de ces ordonnances pour statuer sur la requête dont il était saisi. Rien dans le dossier dont la Cour dispose n’indique que ces ordonnances ne sont plus pleinement en vigueur.

[22] Le juge saisi de la requête a également fondé sa décision d’accueillir cette requête sur les antécédents de l’appelant devant la Cour fédérale. Après avoir observé que les plaideurs quérulents avaient tendance à se livrer à [traduction] « une recherche du tribunal le plus favorable », il a déterminé que la présente instance était « une tentative évidente de débattre à nouveau des allégations qui ont été radiées dans le dossier de la Cour no T‐272‐20, et qui ont déjà été tranchées à l’issue de litiges interminables dont [l’appelant] a saisi les tribunaux de l’Alberta ». Le juge saisi de la requête a précisé qu’elle était « vexatoire et abusive » (décision au para. 20).

[23] Le juge saisi de la requête a également mentionné l’historique procédural d’une affaire non liée pendante à la Cour fédérale entre l’appelant et son ancien employeur, les Forces armées canadiennes, concernant le remboursement de frais d’études et d’assistance sociale. Il a fait remarquer que cette instance a été introduite par le dépôt d’une action (dossier de la Cour no T‑19-20) de laquelle l’appelant s’est désisté à la suite d’une opposition de la part de la défenderesse selon laquelle l’action était en fait une tentative voilée visant le contrôle judiciaire de la décision contestée. Peu de temps après, l’appelant a déposé une demande de contrôle judiciaire (dossier de la Cour no 1515-20) ainsi qu’une seconde action portant sur le même objet (dossier de la Cour no T-275-21) (décision au para. 21).

[24] Comme la Cour l’a énoncé dans l’arrêt Olumide, au paragraphe 32, il n’est pas nécessaire de définir avec précision le terme vexatoire, car la conduite vexatoire « prend des formes et des aspects multiples ». Le juge saisi de la requête était convaincu, compte tenu des antécédents de l’appelant devant les tribunaux albertains et devant la Cour fédérale, qu’il était un plaideur quérulent. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion. Vu la grande latitude d’appréciation accordée à la Cour fédérale pour déterminer ce qu’est une conduite vexatoire au sens de l’article 40 de la Loi, il s’agit d’une conclusion que le juge saisi de la requête était en droit de tirer dans les circonstances de l’espèce.

[25] Lors de l’audition du présent appel, l’appelant a insisté sur le fait que la requête présentée par la Couronne fédérale au titre de l’article 40 de la Loi ne doit pas être accueillie parce que son but d’obtenir justice est légitime et finira par l’emporter. Malheureusement pour l’appelant, cet argument ne lui est d’aucune utilité. Comme notre Cour l’a déclaré dans Olumide, l’article 40 de la Loi ne vise pas seulement les plaideurs qui ont des buts inacceptables et engagent des litiges pour causer un préjudice. Il vise aussi ceux qui ont de bonnes intentions, mais qui « engagent des litiges de telle sorte à mettre en jeu l’objet de l’article 40 » (Olumide, au para. 33). Le juge saisi de la requête a conclu que c’était le cas en l’espèce dans sa décision sur cette requête, et encore une fois, je ne vois aucune raison d’intervenir à l’égard de cette conclusion.

[26] Avant de conclure, il convient de rappeler à l’appelant qu’une ordonnance déclarant un plaideur quérulent rendue en application de l’article 40 de la Loi ne l’empêche pas d’avoir accès aux tribunaux. Cette ordonnance réglemente plutôt l’accès du plaideur aux tribunaux en exigeant qu’il demande – comme le permet le paragraphe 40(3) de la Loi – et obtienne – une autorisation avant d’engager ou de poursuivre une instance (Olumide, au para. 27). En l’espèce, cela signifie que le juge saisi de la requête peut autoriser la poursuite de l’instance portant sur la question qui n’a pas encore été tranchée et qui avait été suspendue par l’ordonnance déclarant le plaideur quérulent (c’est-à-dire le dossier de la Cour no T-275-21) à condition que l’appelant obtienne une autorisation en ce sens de la Cour fédérale.

[27] Par conséquent, je rejetterais l’appel. La Couronne fédérale réclame ses dépens dans le présent appel d’une somme fixe de 1 500 $, tout compris. Vu l’issue de l’appel, j’adjugerais ces dépens en conséquence.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-318-21

 

 

INTITULÉ :

KEENAN A. FEENEY c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Keenan A. Feeney

 

Pour l’appelant

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Keelan Sinnott

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimé

 

 

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