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Date : 20221102


Dossier : A-135-22

Référence : 2022 CAF 186

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

KARSON MACKIE

demandeur

et

CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

défenderesse

et

VIA RAIL CANADA INC.

intervenante

Requête tranchée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2022.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20221102


Dossier : A-135-22

Référence : 2022 CAF 186

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

KARSON MACKIE

demandeur

et

CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

défenderesse

et

VIA RAIL CANADA INC.

intervenante

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

[1] La défenderesse, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, demande par voie de requête la radiation de certains passages de l'affidavit du demandeur, Karson Mackie, du 27 juillet 2022. Le demandeur se fonde sur son affidavit pour étayer sa demande de contrôle judiciaire d'une décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), qui a rejeté sommairement sa plainte selon laquelle la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable à son égard, comme l'exige l'article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (la plainte).

[2] La défenderesse conteste chaque paragraphe de l'affidavit du demandeur, ainsi que plusieurs des pièces qui y sont jointes. La défenderesse fait valoir que l'affidavit du demandeur comprend, selon le cas, des renseignements (i) dont le CCRI n'était pas saisi lorsqu'il a statué sur la plainte du demandeur (et qui ne devraient donc pas être pris en compte lors du contrôle judiciaire de sa décision), (ii) qui sont une opinion ou une observation plutôt que des faits, (iii) qui sont du ouï‑dire, (iv) qui n'ont pas de pertinence dans la présente demande. Les observations écrites de la défenderesse à l'appui de sa requête traitent séparément de chaque paragraphe de l'affidavit du demandeur. En ce qui concerne les pièces en cause (les pièces B, D, G, H, I, J et K), la défenderesse fait valoir que le CCRI n'était pas saisi de ces documents lorsqu'il a statué sur la plainte.

[3] La défenderesse invoque à juste titre la jurisprudence qui a établi le principe général selon lequel on ne devrait pas tenir compte, lors du contrôle judiciaire, d'éléments de preuve qui n'ont pas été présentés au tribunal administratif. Notre Cour a décrit le principe comme suit lors du contrôle judiciaire d'une décision de la Commission du droit d'auteur dans l'arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 (Access Copyright) :

[18] La Cour est saisie en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de la décision sur le fond qui a ainsi été rendue. Dans le cas d'une telle demande, notre Cour ne dispose que de pouvoirs limités en vertu de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. 1985, ch. F‑7] en ce qui concerne le contrôle de la décision de la Commission du droit d'auteur. Notre Cour ne peut examiner que la légalité générale de ce que la Commission a fait et elle ne peut se pencher sur le bien‑fondé de la décision de la Commission ou rendre une nouvelle décision sur le fond.

[19] En raison des rôles bien distincts que jouent respectivement notre Cour et la Commission du droit d'auteur, notre Cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond. Par conséquent, en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission. En d'autres termes, les éléments de preuve qui n'ont pas été portés à la connaissance de la Commission et qui ont trait au fond de l'affaire soumise à la Commission ne sont pas admissibles dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. Ainsi que notre Cour l'a déclaré dans l'arrêt Gitxan Treaty Society c. Hospital Employees' Union, [2000] 1 C.F. 135, aux pages 144 et 145 (C.A.F.), « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n'ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance » (voir également les arrêts Kallies c. Canada, 2001 CAF 376, au paragraphe 3, et Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11).

[4] La défenderesse reconnaît qu'il existe des exceptions à ce principe général, mais affirme qu'aucune ne s'applique en l'espèce. Ces exceptions sont énoncées dans l'arrêt Access Copyright au paragraphe 20 et dans l'arrêt Sharma c. Procureur général du Canada, 2018 CAF 48, au paragraphe 8 :

[...] De nouveaux éléments de preuve peuvent être admis (1) lorsqu'ils contiennent des informations générales qui sont susceptibles d'aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui ne vont pas plus loin en fournissant de nouveaux éléments de preuve se rapportant au fond de la question, (2) lorsqu'ils font ressortir l'absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu'il a tiré une conclusion déterminée, ou (3) lorsqu'ils portent à l'attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu'on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif : Access Copyright, par. 20; Tsleil‑Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; Tsleil‑Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 116. Comme l'a expliqué notre Cour dans l'arrêt Access Copyright, au paragraphe 20, « en fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif ».

[5] La défenderesse reconnaît également qu'une requête en vue d'obtenir une décision anticipée sur l'admissibilité de la preuve lors d'une demande de contrôle judiciaire est discrétionnaire et que la Cour ne devrait exercer son pouvoir discrétionnaire à cet égard que lorsque cela est clairement justifié pour permettre à l'audience de se dérouler de façon plus rapide et plus ordonnée : Access Copyright, aux para. 10 à 12.

[6] Pour sa part, le demandeur reconnaît que le CCRI n'était pas saisi de certaines parties de sa preuve lorsque celui-ci a rendu la décision contestée, mais il affirme que cette preuve ne devrait néanmoins pas être radiée. L'essentiel de son argument est que les éléments de preuve en question sont pertinents et doivent être pris en compte. Il invoque la décision de la Cour suprême du Canada Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759 (Palmer), à la p. 775, pour étayer son argument selon lequel des éléments de preuve supplémentaires peuvent être admis selon les principes suivants :

(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles : voir McMartin c. La Reine, [1964] R.C.S. 484.

(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu'elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu'on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4) elle doit être telle que si l'on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

[7] Il est important de noter, toutefois, que l'arrêt Palmer portait sur un appel d'une condamnation pénale en vertu du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. L'arrêt Palmer ne s'applique pas au présent contrôle judiciaire. De plus, la disposition en cause dans l'arrêt Palmer envisageait expressément le dépôt de nouveaux éléments de preuve. En l'espèce, le législateur a confié au CCRI la tâche d'évaluer le bien‑fondé de la plainte du demandeur. Le rôle de la Cour n'est pas de refaire ce travail lors d'un contrôle judiciaire. En outre, la législation applicable en l'espèce ne prévoit pas le dépôt de nouveaux éléments de preuve.

[8] La même distinction s'applique en ce qui concerne le recours du demandeur à la décision de la Cour d'appel de l'Ontario Sengmueller v. Sengmueller, 1994 CanLII 8711, 17 R.J.O. (3e) 208. Dans cette décision, on a accepté le dépôt de nouveaux éléments de preuve en raison de l'équité, mais lors d'un appel, et non d'un contrôle judiciaire. Là encore, la loi envisageait explicitement le dépôt de nouveaux éléments de preuve.

[9] Les observations du demandeur sur les différentes pièces en cause (les pièces B, D, G, H, I, J et K) ne contestent pas l'argument de la défenderesse selon lequel le CCRI n'en était pas saisi. Le demandeur ne prétend pas non plus que ces pièces répondent à l'une des exceptions à l'exclusion du dépôt de nouveaux éléments de preuve lors d'une demande de contrôle judiciaire, comme l'envisage la jurisprudence. Je suis convaincu qu'il convient que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire de radier ces pièces de l'affidavit du demandeur. Le faire à cette étape‑ci permettra à l'audience de se dérouler de manière plus rapide et plus ordonnée.

[10] J'arrive à la même conclusion en ce qui concerne tous les paragraphes de l'affidavit du demandeur qui traitent des pièces B, D, G, H, I, J et K. Il s'agit des paragraphes 3, 5, 8, 9, 10 (comme l'indique la défenderesse, à partir de [TRADUCTION] « M. Stead n'a jamais fourni [...] »), 11 (comme l'indique la défenderesse, à partir de [TRADUCTION] « Un autre incident lié à la pièce I [...] »), 12, 13 et 15. Ces paragraphes portent sur de nouveaux éléments de preuve inadmissibles.

[11] Je suis également d'accord avec l'argument de la défenderesse selon lequel les paragraphes 1 et 16 (numéroté « 13 » par erreur) devraient être radiés. Ces paragraphes ne comprennent que des observations, et l'affidavit ne doit pas comprendre d'observations.

[12] Je n'exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire pour radier les paragraphes 2, 4, 6, 7 et 14. Je ne suis pas d'accord avec l'argument de la défenderesse selon lequel le paragraphe 14 contient une opinion. Les autres paragraphes traitent des pièces qui n'ont pas été radiées. À mon avis, la radiation de ces paragraphes, ou des passages de ceux-ci qui sont des observations ou des arguments (comme le soutient la défenderesse), ne permettrait pas à l'audience de se dérouler de manière plus rapide et plus ordonnée.

[13] Je rendrai une ordonnance enjoignant au demandeur de déposer un affidavit modifié conforme aux présents motifs. Comme le demandeur a déjà déposé son dossier de demande, il faudra déposer un nouveau dossier qui comprend l'affidavit modifié.

« George R. Locke »

j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-135-22

 

INTITULÉ :

KARSON MACKIE c. CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA et VIA RAIL CANADA INC.

 

REQUÊTE TRANCHÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 novembre 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Karson Mackie

 

demandeur

(pour son propre compte)

 

Michael A. Church

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CaleyWray

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l'intervenante

 

 

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