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Date : 20221115


Dossier : A-195-21

Référence : 2022 CAF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

BLAIR CARON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 13 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20221115


Dossier : A-195-21

Référence : 2022 CAF 196

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

BLAIR CARON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. Résumé

[1] Le demandeur, Blair Caron, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission), datée du 24 juin 2021, dans la décision Caron c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2021 CRTESPF 74 (la décision). Dans une lettre datée du 16 novembre 2015, l’employeur du demandeur, la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), a avisé le demandeur qu’il était licencié pour rendement insatisfaisant, en application de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), c F-11.

[2] Le demandeur a présenté un grief concernant son licenciement en invoquant plusieurs motifs, y compris que la CCSN a mis fin à son emploi pour des raisons disciplinaires. L’agent négociateur du demandeur a renvoyé le grief de ce dernier à l’arbitrage, en application de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, c 22, art. 2 (la Loi), en invoquant l’existence d’une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[3] Trois conclusions clés concernant la compétence de la Commission ne sont pas contestées :

  • 1)le demandeur n’avait pas obtenu l’approbation de son agent négociateur pour le représenter durant la procédure d’arbitrage, comme il est requis pour contester l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective aux termes de l’alinéa 209(1)a) de la Loi;

  • 2)le demandeur n’est pas un fonctionnaire de l’administration publique centrale, comme il est requis pour contester un licenciement pour rendement insatisfaisant ou pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, en application de l’alinéa 209(1)c) de la Loi;

  • 3)l’employeur n’est pas un organisme distinct, comme il est requis pour contester un licenciement pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, en application de l’alinéa 209(1)d) de la Loi.

[4] Puisque le motif invoqué par l’employeur pour le licenciement n’était pas de nature disciplinaire, pour que la Commission puisse avoir compétence pour entendre le bien-fondé du grief aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, elle devait estimer que le licenciement était une forme de mesure disciplinaire déguisée. La Commission a rejeté le grief au motif que le licenciement ne constituait pas une forme de mesure disciplinaire déguisée et que, par conséquent, elle n’avait pas compétence pour se pencher sur le bien-fondé du licenciement.

II. Norme de contrôle

[5] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 au para. 23 [Vavilov]). En ce qui concerne les présumés manquements de la Commission à l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, par. 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, 291 A.C.W.S. (3d) 8 aux para. 33 et 34. Lorsqu’elle entreprend une analyse relative à l’équité procédurale, notre Cour doit établir quelles sont les procédures et les garanties requises et, si celles-ci n’ont pas été respectées, elle doit intervenir.

[6] Le demandeur soutient que la décision de la Commission est déraisonnable. De plus, le demandeur soutient qu’il était injuste que la Commission refuse de se pencher sur une [traduction] « question centrale de mauvaise foi » relevant de sa compétence, sans donner avis aux parties, et [traduction] « bloque » les questions liées directement ou indirectement à la discrimination et à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation qui incombe à l’employeur. À l’audience devant notre Cour, le demandeur a précisé sa position et indiqué que son employeur avait agi de mauvaise foi, et que son licenciement était un subterfuge ou un camouflage. Selon le demandeur, il a été licencié pour des raisons autres que le rendement, et les gestes de mauvaise foi de l’employeur constituaient une mesure disciplinaire déguisée.

[7] Le demandeur a tenté de qualifier certains de ses arguments comme étant des questions d’équité procédurale, mais, à mon avis, ces arguments concernent en fait le caractère raisonnable ou non de la décision. Ils sont liés à la question de savoir si la Commission aurait dû prendre en compte les arguments de mauvaise foi présentés par le demandeur pour déterminer si les mesures prises par l’employeur menant au licenciement du demandeur constituaient une forme de mesure disciplinaire déguisée.

[8] La seule question en litige devant nous est de déterminer s’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le licenciement du demandeur ne constituait pas une forme de mesure disciplinaire déguisée aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, ce qui enlevait toute compétence à la Commission pour entendre le grief.

[9] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision est raisonnable.

III. Contexte

[10] Un bref résumé des faits offre un certain contexte pour les présents motifs.

[11] Le demandeur était à l’emploi, depuis 2007, de la CCSN, à la Division des systèmes et de la gestion des ressources financières. Au départ, le rendement au travail du demandeur n’a posé aucun problème, mais des problèmes liés à son rendement, à sa ponctualité et à son assiduité sont par la suite apparus (Décision aux para. 1, 12, 20).

[12] Le 10 mai 2012, le chef d’équipe du demandeur lui a fait parvenir une lettre d’instructions, dans laquelle il exprimait ses préoccupations au sujet de l’absentéisme et des retards du demandeur, affectant son rendement au travail et l’efficacité de son équipe (Décision au para. 21).

[13] La lettre d’instructions indique que des discussions fréquentes ont eu lieu entre le demandeur et son chef d’équipe concernant son absentéisme et ses retards, et que la situation était inacceptable. Lors de ces discussions, on a demandé au demandeur s’il avait un problème de santé nécessitant des mesures d’adaptation, ou si un problème personnel l’empêchait de satisfaire aux attentes en matière de rendement énoncées dans la lettre. L’employeur avait demandé, à trois reprises, que le demandeur subisse une évaluation de l’aptitude à travailler et le demandeur avait refusé de répondre à ces requêtes. La lettre d’instructions indique que la situation ne pouvait plus être tolérée parce qu’elle nuisait aux opérations. On y recommande au demandeur de communiquer avec le Programme d’aide aux employés si des problèmes personnels l’empêchent d’avoir un rendement au travail satisfaisant. On y indique également que le non‑respect des instructions concernant la présence au travail risquait d’entraîner des mesures administratives ou disciplinaires.

[14] Une liste des [traduction] « instructions/attentes » concernant la présence au travail était jointe à la lettre d’instructions du 10 mai 2012. L’une de ces attentes obligeait le demandeur à présenter un certificat médical signé et daté par un médecin pour justifier tous les congés de maladie et les rendez‑vous chez le médecin.

[15] Le 3 avril 2014, la CCSN a écrit au demandeur pour l’informer que l’obligation de fournir un certificat médical pour les congés de maladie, conformément à ce qui était indiqué dans la lettre d’instructions, avait été supprimée, étant donné que le recours du demandeur à des congés de maladie avait diminué au cours de l’exercice financier précédent. L’employeur se réservait expressément le droit de rétablir cette exigence au cas où les absences non prévues augmenteraient ou deviendraient préoccupantes. Le demandeur n’avait donc plus l’obligation de présenter un certificat médical à son chef d’équipe pour ses absences non prévues.

[16] À la mi-février 2015, le demandeur a été affecté à un système différent pour le processus de fin d’exercice 2014-2015, système connu sous le nom de Performance Budgeting for Human Capital (PBHC) (Décision au para. 29). Au retour de vacances du demandeur, son employeur a affirmé qu’il aurait commis des erreurs importantes dans son travail en vue de la fin de l’exercice, et que d’autres membres de l’équipe avaient dû refaire le processus de fin d’exercice au cours de la fin de semaine de Pâques (Décision au para. 33).

[17] Conséquemment, le demandeur a reçu une mauvaise évaluation du rendement de fin d’exercice, a été soumis à un plan de gestion du rendement, et a choisi d’être réaffecté à un projet spécial. La date de début du projet spécial était fixée au 6 juillet 2015 et la date limite était le 31 décembre 2015 (Décision aux para. 33, 34, 38).

[18] Des réunions concernant le plan d’action pour faire le point sur l’évolution du projet spécial se tenaient habituellement toutes les deux semaines, en présence du demandeur et de ses superviseurs. Après chacune des réunions, on présentait au demandeur des commentaires sur les progrès qu’il avait réalisés au cours des deux semaines précédentes (Décision au para. 39).

[19] Le 14 août 2015, et de nouveau le 21 octobre 2015, la superviseure du demandeur lui a présenté des lettres concernant ses problèmes de rendement. Il a été informé qu’il avait réalisé peu de progrès en ce qui concerne le projet spécial, ce qui était insuffisant pour respecter la date butoir fixée au 31 décembre 2015, et que son rendement demeurait insatisfaisant. Le demandeur était aussi avisé officiellement dans les lettres que, s’il ne répondait pas aux objectifs et aux attentes, il pourrait être licencié pour rendement insatisfaisant (Décision au para. 40).

[20] Dans une lettre datée du 16 novembre 2015, le demandeur a été informé qu’il était licencié pour rendement insatisfaisant. Le 17 décembre 2015, le demandeur a déposé un grief contestant son licenciement. Il avançait que la lettre de licenciement manquait de précisions ou d’éléments de preuve, qu’elle avait été rédigée de mauvaise foi, et qu’il semblait s’agir d’une mesure disciplinaire déguisée (Décision aux para. 2, 6).

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[21] Dans une décision de 95 pages, la Commission a examiné les faits, traité des arguments présentés, et conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre le grief.

[22] La Commission a commencé son analyse par la question préliminaire de savoir si elle avait compétence pour entendre le grief du demandeur.

[23] Plus précisément, la Commission s’est penchée sur la question de savoir si elle avait compétence pour entendre les allégations selon lesquelles l’employeur avait harcelé le demandeur au cours des six mois précédant son licenciement. La disposition pertinente de la convention collective, soit la clause sur l’élimination de la discrimination, traite en partie du harcèlement (Décision au para. 59). La Commission a retenu l’argument de l’employeur, selon lequel une allégation de harcèlement doit être examinée aux termes de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, et selon lequel l’agent négociateur doit avoir consenti à représenter le demandeur à l’arbitrage, comme l’exige le paragraphe 209(2). La Commission a souligné que le demandeur n’avait pas allégué une violation de la convention collective, et n’avait pas le soutien de son agent négociateur à l’arbitrage. La Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les allégations de harcèlement, mais a décidé d’examiner la preuve factuelle pertinente, peu importe la façon dont elle était désignée, en vue de déterminer si l’employeur avait pris une mesure disciplinaire déguisée (Décision aux para. 60, 63).

[24] Ensuite, la Commission s’est penchée sur la question de savoir si elle avait compétence pour examiner les allégations selon lesquelles l’employeur avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour le demandeur, fondées sur l’incapacité, que lui impose la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), c H-6. La Commission a renvoyé à sa décision provisoire sur la question, rendue le 20 décembre 2019, dans laquelle la Commission a conclu que [traduction] « les questions qui ont trait à la discrimination et à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne font pas partie du grief dont la Commission est saisie ». La décision provisoire indiquait que le grief avait été renvoyé à la Commission au titre du paragraphe 209(1)b) de la Loi, attendu que [traduction] « [l]es dispositions portant sur la discrimination et l’obligation de prendre des mesures d’adaptation sont incorporées à la convention collective », et que c’est l’alinéa 209(1)a) de la Loi qui traite des griefs relatifs à la convention collective (Décision au para. 75). La Commission a écrit ce qui suit :

[traduction]

Selon la Loi, avant de renvoyer à l’arbitrage un grief individuel concernant des questions liées à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective, le fonctionnaire doit obtenir de son agent négociateur qu’il accepte de le représenter dans les procédures d’arbitrage. L’agent négociateur n’a pas appuyé le grief comme l’exige la Loi. La Commission n’a pas le droit inhérent d’interpréter et d’appliquer les dispositions législatives en matière de droits de la personne si elle n’est pas saisie d’un grief en bonne et due forme.

(Décision au para. 75).

[25] La Commission a invoqué les décisions Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50, [2015] ACF no 22 (QL), et Remtulla c. Conseil du Trésor (Agence de la santé publique du Canada), 2013 CRTFP 132, et a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les allégations de discrimination et de manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation (Décision aux para. 76 à 85).

[26] La Commission a conclu que « la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief en question, sauf si le fonctionnaire avait pu démontrer que son licenciement constituait une mesure disciplinaire déguisée. » (Décision au para. 86).

[27] L’alinéa 209(1)b) de la Loi dispose qu’un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur « une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». Comme le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une mesure disciplinaire, la Commission a examiné les événements ayant mené à son licenciement, afin de déterminer si une mesure disciplinaire déguisée avait mené au licenciement, ce qui aurait conféré compétence à la Commission d’entendre le grief.

[28] La Commission a invoqué l’arrêt de notre Cour intitulé Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30, [2017] ACF no 142 (QL) [Bergey], demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée, 37657 (15 février 2018), qui énonce les principes permettant de faire la distinction entre une mesure disciplinaire et une mesure non disciplinaire (Décision aux para. 88 à 90).

[29] La Commission a présenté un résumé exhaustif des faits et des observations des parties sur les événements ayant mené au licenciement du demandeur (Décision aux para. 99 à 363).

[30] En ce qui concerne la lettre d’instructions, la Commission a conclu qu’elle a continué de régir les conditions d’emploi du demandeur jusqu’à son licenciement, mais qu’aucun élément de preuve n’appuyait l’allégation selon laquelle la lettre d’instructions constituait une mesure disciplinaire déguisée (Décision au para. 150).

[31] Après un examen rigoureux des éléments de preuve, la Commission a affirmé qu’il lui était « impossible de trouver des éléments qui [lui] permettraient de conclure que l’employeur a camouflé quelque chose ou qu’il a tenté de prendre des mesures disciplinaires déguisées lorsqu’il a licencié M. Caron pour rendement insuffisant » (Décision au para. 471) et « qu’il exist[ait] un lien rationnel entre la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire pour rendement insuffisant et les considérations opérationnelles ». (Décision au para. 475).

[32] En conclusion, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence et a rejeté le grief (Décision au para. 486).

V. Arguments du demandeur

[33] Le demandeur avance plusieurs arguments détaillés sur la théorie de la mesure disciplinaire déguisée et son application aux faits en l’espèce. Je ne répète pas ici tous les arguments du demandeur, mais je m’arrête à ses observations les plus pertinentes.

[34] Le principal argument du demandeur est que l’employeur a agi de mauvaise foi, a créé des parodies d’évaluations du rendement et a entrepris une campagne de harcèlement, en rejetant notamment ses demandes de mesures d’adaptation pour des raisons médicales et d’horaire flexible. Tous ces gestes de l’employeur, selon le demandeur, concernent la question de savoir s’il a été licencié pour des raisons disciplinaires, par opposition à des raisons de rendement.

[35] Par exemple, le demandeur s’appuie sur un courriel qu’il a envoyé à l’employeur le 28 mars 2014, dans lequel il mentionnait que d’autres fonctionnaires travaillaient chez eux sur leur BlackBerry lorsqu’ils étaient malades, ce qui, selon lui, serait l’événement ayant mené à un [traduction] « licenciement constituant une mesure disciplinaire déguisée ». Le demandeur renvoie aux paragraphes 365 à 368 de la décision pour affirmer que l’arbitre a par erreur examiné un courriel antérieur qu’il avait envoyé le 11 mars 2014 (portant sur le même incident), plutôt que le courriel [traduction] « inapproprié » daté du 28 mars 2014. Il soutient également que la Commission n’a pas correctement analysé ou traité ses arguments entourant le courriel du 28 mars 2014.

[36] Deuxièmement, le demandeur affirme que l’évaluation de son utilisation du système PBHC pour le processus de fin d’exercice 2014-2015 ressemblait à une forme de mesure disciplinaire déguisée, à un leurre et à un camouflage, ou qu’elle a été faite de mauvaise foi. Il a soumis tous ces arguments à la Commission, mais cette dernière n’a pas fourni de motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées, ni fait mention de certains faits portés à son attention concernant le système PBHC.

[37] Troisièmement, le demandeur renvoie à une lettre officielle de réprimande qu’il a reçue de son employeur le 30 juin 2015, laquelle fait état d’une inconduite de sa part. Il avait été réprimandé après avoir envoyé à sa superviseure un courriel virulent dans lequel il affirmait avoir été forcé de signer un formulaire d’évaluation du rendement de fin d’exercice « bidon ». Ces faits et arguments n’ont pas été pris en compte dans la décision, selon le demandeur.

[38] Enfin, le demandeur renvoie à des exemples où il affirme avoir été traité injustement par son employeur, parce que ses demandes pour obtenir des mesures d’adaptation ou un horaire de travail flexible avaient été rejetées et parce qu’il devait fournir des certificats médicaux pour justifier ses absences.

[39] Dans l’ensemble, le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte du dossier dont elle disposait, et qu’il était déraisonnable que la Commission n’en soit pas arrivée à la conclusion que l’intention de l’employeur était de punir ou de corriger la conduite du demandeur. Le demandeur invoque l’arrêt Bergey, où l’on affirme que la mauvaise foi de l’employeur peut bien révéler des intentions de nature disciplinaire (Bergey au para. 80).

[40] Le demandeur s’appuie également sur une jurisprudence selon laquelle les cours de justice et les tribunaux ont indiqué que la présence d’un subterfuge, d’un camouflage ou d’une mauvaise foi conférait compétence à la Commission.

VI. Analyse

[41] En ce qui concerne les prétentions du demandeur en matière d’équité procédurale, j’estime que le demandeur n’a pas été en mesure de prouver qu’il y a eu manquements à l’obligation d’équité procédurale. La seule plainte sur la question de l’équité procédurale qui ne portait pas sur les conclusions de fait de la Commission, à savoir que la Commission avait invoqué une jurisprudence qui n’avait pas été communiquée au demandeur (Canada c. Rinaldi, 1997 CanLII 16721 (CF), [1997] ACF no 225 (QL), ne constitue pas un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Il ne s’agit pas d’un cas où la Commission a introduit un nouveau principe de droit ou engagé l’affaire sur une voie d’analyse substantiellement nouvelle et différente.

[42] Je souligne, comme je l’ai mentionné précédemment, que la question n’est pas de savoir si le demandeur a été en mesure de fournir à la Commission tous les éléments de preuve et arguments qui étaient selon lui nécessaires pour défendre sa cause. La critique du demandeur est plutôt liée à la question de savoir si la Commission a dûment tenu compte de tous les éléments de preuve et arguments qu’il a présentés.

[43] En général, le demandeur soutient que la Commission n’a pas dûment tenu compte de ses arguments et n’a pas pris en compte des faits pertinents qui auraient appuyé une conclusion de mauvaise foi et de mesure disciplinaire déguisée. Dans l’ensemble, le demandeur souligne plusieurs faits que, selon lui, la Commission a écartés, mal compris ou mal interprétés, ou auxquels elle n’a pas accordé suffisamment de poids. Pour les motifs suivants, je ne suis pas convaincue que ces critiques minent le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission, selon laquelle les mesures prises par l’employeur ne constituaient pas une forme de mesure disciplinaire déguisée.

[44] Pour commencer, lorsqu’il faut déterminer si une décision est raisonnable, l’arrêt Vavilov nous enseigne que les cours de justice ne doivent intervenir dans les affaires administratives « uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif ». Cette règle tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov au para. 13).

[45] Ensuite, il est bien établi en droit que la Commission « n’est pas tenu[e] de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais [elle] est présumé[e] avoir examiné l’ensemble de la preuve. […] [L]e poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits » (Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, [2012] ACF no 334 (QL) au para. 10). En l’espèce, l’audition des témoignages oraux a duré 22 jours, y compris des contre-interrogatoires, et le décideur a examiné plusieurs volumes d’éléments de preuve écrits et d’observations écrites. Je ne peux substituer mon propre point de vue sur la preuve à celui de la Commission au motif que j’aurais pu apprécier la preuve différemment.

[46] De plus, le paragraphe 63 de la décision appuie ma conclusion selon laquelle la Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve. Il fait référence à la décision de la Commission d’examiner « la preuve factuelle pertinente, peu importe la façon dont elle est désignée, en vue de déterminer si l’employeur [a] pris une mesure disciplinaire déguisée ». Je ne peux retenir les arguments du demandeur selon lesquels la Commission a omis de tenir compte de certains éléments de preuve faisant partie de ses arguments relatifs à une mesure disciplinaire déguisée.

[47] Par exemple, en ce qui concerne les prétentions du demandeur, selon lesquelles la Commission n’a pas tenu compte de ses arguments concernant la mauvaise foi alléguée de l’employeur, je souligne que la Commission a fait mention d’une « mauvaise foi » aux paragraphes 6, 183, 422, 423, 425, 428, 430, 478, 483 et 484 de la décision. Même si elle n’a pas retenu les arguments du demandeur, il ne peut être affirmé qu’elle ne les a pas examinés.

[48] Sur la question de l’obligation qui incombe à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation, la Commission en a fait mention aux paragraphes 42, 64, 65, 67, 71, 72, 75, 79, 85, 91 et 153 de la décision. La Commission a souligné au paragraphe 153 que l’employeur a avisé le demandeur que, si une raison médicale justifiait ses absences durant les heures de travail obligatoires, la direction lui recommandait de se soumettre à une évaluation de l’aptitude à travailler, ce qui lui permettrait de collaborer avec lui afin de prendre une mesure d’adaptation à l’égard de tous les problèmes de santé reconnus. Je ne peux souscrire aux allégations du demandeur, selon lesquelles la Commission a omis de tenir compte de ses arguments.

[49] Sur la question du formulaire de gestion du rendement et du plan d’action « bidon », la Commission a fait mention des arguments du demandeur, des observations de l’employeur, et de la preuve globale concernant le formulaire de gestion du rendement aux paragraphes 182, 183, 185, 214, 229, 306, 307, 354, 359, 377, 398, 415, 421, 426, 444 et 460 de la décision, en concluant au paragraphe 444 que certaines mesures prises par l’employeur, y compris le formulaire de gestion du rendement, n’étaient pas de nature disciplinaire.

[50] Les arguments du demandeur reposent sur des conclusions de faits prétendument erronées et sur l’omission de faits de la part de la Commission. Il incombe à la Commission, à titre de décideur administratif, de tirer les conclusions de fait. C’est exactement ce qu’elle a fait ici, et je ne vois aucune raison de modifier sa conclusion selon laquelle elle n’avait pas compétence pour entendre le grief du demandeur.

[51] Contrairement aux allégations du demandeur, après un examen du dossier dont disposait la Commission, je ne peux affirmer que les conclusions de fait de la Commission étaient contraires à la preuve dont elle disposait. Il existait suffisamment d’éléments de preuve pour soutenir de manière rationnelle une conclusion selon laquelle le demandeur a été licencié pour rendement insuffisant. De même, je n’ai pas été convaincue que la Commission a omis ou écarté d’importants éléments de preuve. La Commission a évalué tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, et a tenu compte des observations des parties. Il revient à la Commission de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si les éléments de preuve d’une partie sont plus convaincants que ceux de la partie opposée. Je ne vois aucune erreur justifiant l’intervention de notre Cour.

[52] En ce qui concerne la jurisprudence, la Commission a à juste titre invoqué l’arrêt Bergey, une décision de notre Cour qui a fait jurisprudence, où une distinction a été établie entre les mesures disciplinaires et non disciplinaires prises par l’employeur. Comme il est souligné dans Bergey, les facteurs pertinents pour déterminer si une mesure est disciplinaire ou non disciplinaire sont les suivants : la nature des agissements de l’employé qui ont donné lieu à la mesure en question; la nature de la mesure prise par l’employeur; l’intention déclarée de l’employeur; l’intention réelle de l’employeur; et les répercussions de cette mesure sur l’employé (Bergey au para. 37).

[53] Dans Bergey, la juge Gleason a cité avec approbation la décision de la Cour fédérale intitulée Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, [2007] ACF no 1548 (QL) [Frazee], dans laquelle la Cour fédérale a affirmé que, pour déterminer si une mesure est disciplinaire, « la question n’est pas de savoir si la mesure prise par l’employeur est mal fondée ou mal exécutée, mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire visant la suspension » et que « les sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire » (Frazee au para. 21). La Cour fédérale a également souligné qu’une mesure n’est pas disciplinaire « si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes » (Frazee au para. 24).

[54] De plus, sur la question de savoir si la mauvaise foi constitue un facteur permettant de déterminer si une mesure est une mesure disciplinaire déguisée, notre Cour a affirmé, au paragraphe 80 de Bergey, que « bien que la mauvaise foi d’un employeur puisse bien révéler des intentions de nature disciplinaire, l’absence de mauvaise foi ne mène pas nécessairement à la conclusion contraire. Un examen beaucoup plus nuancé [...] est nécessaire pour décider si un employeur a pris une mesure disciplinaire déguisée ».

[55] Le demandeur doit quand même établir que l’employeur a pris une mesure disciplinaire déguisée, à laquelle sa mauvaise foi peut avoir contribué. En l’espèce, la Commission n’a pas retenu les allégations du demandeur, selon lesquelles la mauvaise foi alléguée de l’employeur justifiait une conclusion selon laquelle il avait pris une mesure disciplinaire déguisée. Je ne vois aucune raison d’intervenir en l’espèce.

[56] La jurisprudence invoquée par le demandeur, selon laquelle les cours de justice et les tribunaux ont indiqué que la présence d’un subterfuge, d’un camouflage ou d’une mauvaise foi conférait compétence à la Commission, est mal utilisée. Ces décisions concernent le licenciement d’employés en stage (Canada (Procureur général) c. Alexis, 2021 CAF 216, 337 A.C.W.S. (3d) 526 [Alexis]; Frezza c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2018 CRTESPF 18; Markovic c. Service de protection parlementaire, 2021 CRTESPF 128; Wrobel c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 14).

[57] Le contexte juridique entourant le licenciement d’employés en stage diffère de celui qui prévaut pour les employés qui ne sont pas en stage. Le pouvoir de licencier des employés en stage est tiré de l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, c 22, art. 12 et 13 (LEFP). En règle générale, la Commission n’a pas compétence pour entendre un grief lorsque le licenciement est prévu sous le régime de la LEFP (Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, art. 211). Toutefois, les tribunaux ont conclu que, si le licenciement d’un stagiaire équivalait à du camouflage, à un subterfuge, ou qu’il a été fait de mauvaise foi, il ne s’agissait pas d’un licenciement valide aux termes de l’article 62 de la LEFP, et qu’il pouvait faire l’objet d’une mesure de réparation par la Commission aux termes de l’article 209 de la Loi (Alexis au para. 8). Il incombe au plaignant d’établir que le licenciement équivalait à un camouflage, à un subterfuge, ou a été effectué de mauvaise foi (Alexis au para. 9).

[58] D’un autre côté, le pouvoir de licencier des employés permanents est tiré de l’article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques. La Commission a compétence pour entendre un grief concernant un licenciement imposé sous le régime des alinéas 12(1)d) et e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, sous-al. 209(1)c)(i)).

[59] Par conséquent, dans les affaires concernant des employés en stage, les concepts de subterfuge, de camouflage et de mauvaise foi sont utilisés pour contourner l’article 211 de la Loi (qui exclut de la compétence de la Commission les griefs sur le licenciement d’employés en stage) et permettre que l’article 209 de la Loi puisse être applicable au licenciement d’employés en stage. Les concepts de subterfuge, de camouflage et de mauvaise foi ne sont pas utilisés pour établir que l’employeur a pris une mesure disciplinaire déguisée.

[60] En l’espèce, le demandeur n’était pas un employé en stage, puisqu’il était à l’emploi de la CCSN depuis 2007. La CCSN a invoqué l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques quand elle a licencié le demandeur.

[61] Dans le cas du licenciement d’un employé permanent, comme c’est le cas en l’espèce, l’article 211 de la Loi ne s’applique pas. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’appliquer les concepts de subterfuge, de camouflage et de mauvaise foi pour contourner l’article 211 de la Loi. La question dont notre Cour est saisie dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si l’employeur a pris une mesure disciplinaire déguisée, de telle sorte que le grief relatif au licenciement du demandeur peut être entendu par la Commission aux termes du paragraphe 209(1)b) de la Loi. Il s’agit d’une question différente de celle soulevée dans la jurisprudence concernant des employés en stage invoquée par le demandeur.

[62] La jurisprudence invoquée par le demandeur dans ce contexte a par conséquent un usage limité.

[63] J’ai examiné tous les arguments du demandeur. L’arrêt Vavilov m’enseigne que mon rôle à titre de juge siégeant en révision est de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. En d’autres termes, je dois déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para. 85). Il incombe à la Commission d’apprécier et d’évaluer la preuve qui lui a été soumise et, à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait (Vavilov au para. 125). De plus, les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse ou tirent une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à leur conclusion finale (Vavilov au para. 128).

[64] En tenant compte de mon rôle à titre de juge de révision, et après avoir examiné la décision dans son ensemble, je n’ai pas été convaincue par le demandeur que la décision est déraisonnable. À mon avis, il était raisonnable que la Commission tire la conclusion que le licenciement du demandeur ne constituait pas une forme de mesure disciplinaire déguisée et qu’elle n’avait pas compétence pour entendre le grief du demandeur présenté sous le régime de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[65] À la lumière du dossier dont disposait la Commission, et compte tenu de la jurisprudence pertinente invoquée par la Commission, la décision est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov au para. 99). Je conclus que la décision de la Commission ne comporte aucune lacune ou insuffisance suffisamment capitale ou importante pour avoir une incidence sur son fondement et rendre cette décision déraisonnable (Vavilov au para. 100).

[66] Je conclus également qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[67] En conclusion, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire. Comme le défendeur ne demande pas de dépens, je n’en adjugerais pas.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-195-21

INTITULÉ :

BLAIR CARON c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 octobre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Blair Caron

 

Pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Marc Séguin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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