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Date : 20221110


Dossiers : A-151-21

A-152-21

Référence : 2022 CAF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

Dossier : A-151-21

ENTRE :

JEREMY LEONARD

appelant/

intimé dans l’appel incident

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé/

appelant dans l’appel incident

Dossier : A-152-21

ET ENTRE :

CAROL TENNEY

appelante/

intimée dans l’appel incident

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé/

appelant dans l’appel incident

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 11 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20221110


Dossiers : A-151-21

A-152-21

Référence : 2022 CAF 195

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

Dossier : A-151-21

ENTRE :

JEREMY LEONARD

appelant/

intimé dans l’appel incident

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé/

appelant dans l’appel incident

Dossier : A-152-21

ET ENTRE :

CAROL TENNEY

appelante/

intimée dans l’appel incident

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé/

appelant dans l’appel incident

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] Les présents appels et appels incidents de la Couronne portent sur le jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2021 CCI 33, le juge Sommerfeldt) qui a accueilli la déclaration, de la part M. Leonard, d’une perte subie en 2011 à la suite de certaines opérations. Le montant de la perte qui a été admis était toutefois inférieur à celui de la perte déclarée par M. Leonard dans sa déclaration de revenus de 2011. Mme Tenney est l’épouse de M. Leonard et l’issue de l’appel de Mme Tenney dépend entièrement de l’issue de l’appel de M. Leonard, car l’appel de Mme Tenney ne découle que des changements apportés au revenu de son époux.

[2] Dans son appel, M. Leonard soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en déterminant que la perte était inférieure à celle qu’il avait déclarée dans sa déclaration de revenus. Selon lui, la seule question dont était saisie la Cour de l’impôt était la qualification de la perte au titre du revenu ou du capital.

[3] Dans les appels incidents, la Couronne affirme que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que la créance hypothécaire que détenait M. Leonard était un bien distinct de la dette qu’elle garantissait et que M. Leonard avait disposé d’un bien qui pouvait donner lieu à la perte en cause.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais les appels incidents et je rejetterais les appels.

I. Contexte

[5] Comme l’a fait remarquer le juge de la Cour de l’impôt, M. Leonard possède des résidences en Alberta et à Hawaï et, par l’intermédiaire de ses sociétés, il exerce des activités en Alberta, à Hawaï et au Brésil. En 2004 ou 2005, M. Leonard a fait la connaissance de M. Anderson, qui était promoteur immobilier. Au cours des années suivantes, M. Leonard a prêté des fonds à M. Anderson.

[6] M. Anderson a acquis deux lots contigus (B-2 et B-3) à Kukio, Hawaï. Le lot B-2 était vacant et il y avait une maison sur le lot B-3. La City Bank (qui a ensuite fusionné avec la Central Pacific Bank) détenait des hypothèques grevant ces deux lots. Seules les opérations liées au lot B-2 sont pertinentes dans le présent appel.

[7] À la suite du ralentissement économique de 2008, M. Anderson éprouvait de graves difficultés financières. D’après M. Leonard, M. Anderson avait fait l’objet de jugements rendus contre lui qui portaient sur une somme totale d’environ 40 millions de dollars, et il était incapable de rembourser toutes ses dettes.

[8] M. Anderson était également en défaut de paiement de l’hypothèque que la banque détenait relativement au lot B-2. La banque avait engagé une procédure de saisie concernant cette hypothèque.

[9] En 2009, M. Leonard a acquis la dette de M. Anderson envers la banque ainsi que la créance hypothécaire grevant le lot B-2. Il existe un différend concernant le montant d’argent payé pour la dette et la créance hypothécaire. Cependant, il n’est pas contesté que le montant d’argent payé était d’au moins 1,3 million de dollars. Pour les besoins du présent appel, il n’est pas nécessaire d’établir le montant d’argent qui a réellement été versé à la banque à l’endroit de la dette et de la créance hypothécaire connexe.

[10] La procédure de saisie engagée par la banque devait être terminée avant que M. Leonard puisse vendre son intérêt détenu dans le lot B-2. Environ deux ans après que M. Leonard a acquis la dette et la créance hypothécaire, la vente judiciaire découlant de la mesure de forclusion a eu lieu. Lors de la vente aux enchères, M. Leonard était le seul soumissionnaire. Son offre était de 500 000 $. À la suite de la clôture de la mesure de forclusion, M. Leonard a obtenu un jugement ordonnant le paiement différentiel de 1 472 006 $ contre M. Anderson. M. Anderson n’a rien payé en lien avec ce jugement ordonnant le paiement différentiel.

[11] Dans sa déclaration de revenus pour 2011, M. Leonard a déclaré une créance irrécouvrable correspondant au montant du jugement ordonnant le paiement différentiel (1 472 006 $). En déclarant cette déduction, il a réalisé une perte autre qu’une perte en capital qu’il a reportée prospectivement à ses déclarations de revenus de 2012, de 2013 et de 2014. Il a fait l’objet d’une nouvelle cotisation dans laquelle sa demande de déduction d’une dépense pour créance irrécouvrable a été rejetée pour le motif que la créance n’avait pas été incluse auparavant dans le calcul de son revenu. Par conséquent, la perte autre qu’une perte en capital qui correspondait à cette déclaration relative à une créance irrécouvrable a été refusée. Mme Tenney a également fait l’objet d’une nouvelle cotisation uniquement fondée sur les modifications apportées au revenu de M. Leonard découlant du refus de sa déclaration relative à la perte autre qu’une perte en capital.

[12] Dans son avis d’opposition, M. Leonard a énoncé ce qui suit :

[traduction]

Le contribuable fait valoir la thèse suivante à l’égard de la nouvelle cotisation :

1. M. Leonard exploite une entreprise consistant à acquérir des créances hypothécaires et à prêter de l’argent. Lorsque le bien a été vendu, il n’a pas reçu la pleine valeur de la créance hypothécaire qu’il a achetée à la banque. Par conséquent, le contribuable soutient qu’il était en droit de déclarer la perte subie à l’égard de la créance hypothécaire dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

La qualification des 1 472 006 $ ne constitue pas une créance irrécouvrable au sens de l’alinéa 20(1)p) de la Loi de l’impôt sur le revenu. [...]

[13] M. Leonard a reconnu qu’il n’était pas en droit de déduire les dépenses pour créances irrécouvrables qu’il avait déclarées dans sa déclaration de revenus. Comme cette déduction n’était pas fondée, il a cherché à la justifier en invoquant le fait qu’il exploitait une entreprise consistant à acquérir des créances hypothécaires et à prêter de l’argent dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial. Il a affirmé qu’il avait subi la perte, car [traduction] « il n’avait pas reçu la pleine valeur de la créance hypothécaire qu’il avait achetée à la banque [...] [l]orsque le bien a été vendu ». En décrivant la vente du bien, il a déclaré que le bien avait été vendu et avait donné un produit net de 472 746,74 $. Il ne s’est pas présenté comme [traduction] « l’acquéreur » du bien et n’a pas divulgué le jugement ordonnant le paiement différentiel contre M. Anderson de 1 472 006 $ (la somme qu’il a déclarée comme créance irrécouvrable). Il n’est pas tout à fait clair d’après son avis d’opposition de quelle manière l’engagement dans un projet ou une affaire de caractère commercial entraînerait la perte déclarée.

[14] L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a ratifié la nouvelle cotisation. Dans l’avis de ratification, l’ARC semble avoir interprété l’argument de M. Leonard comme étant une créance irrécouvrable aux termes du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), c. 1 (5e suppl.) (la Loi) pour le motif qu’il exploitait une entreprise de prêt d’argent. L’ARC a décrit les motifs d’opposition de M. Leonard de la façon suivante :

[traduction]

os oppositions pour les années d’imposition mentionnées ci-dessus reposent sur les éléments suivants :

a) Vous avez admis que « [l]a qualification des 1 472 006 $ ne constitue pas une créance irrécouvrable au sens de l’alinéa 20(1)p) de la Loi de l’impôt sur le revenu ».

b) Vous avez affirmé que vous exploitiez une entreprise consistant à acquérir des créances hypothécaires et à prêter de l’argent. Par conséquent, vous devriez avoir le droit de revendiquer une perte (1 472 006 $) subie lors de la disposition de la créance hypothécaire, et la perte devrait relever du revenu puisque l’opération était un projet comportant un risque de caractère commercial. Vous avez demandé le rétablissement de votre perte nette d’entreprise de 2011 à 1 278 252 $.

c) Même si votre demande de déduction de la créance irrécouvrable a été refusée au titre du sous-alinéa 20(1)p)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), vous avez affirmé que la perte de 1 472 006 $ était déductible de votre revenu d’entreprise en application du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi parce que vous exerciez des activités de prêt d’argent pendant les années en question. Par conséquent, votre demande de rétablissement de votre perte nette d’entreprise de 2011 devrait être accueillie.

[15] L’ARC, dans la première phrase citée ci-dessus, inclut l’admission par M. Leonard dans son avis d’opposition qu’il n’était pas en droit de demander la déduction d’une créance irrécouvrable au titre de l’alinéa 20(1)p) de la Loi. Cependant, ce renvoi à l’alinéa 20(1)p) de la Loi dans l’avis d’opposition et l’avis de ratification auraient vraisemblablement dû être un renvoi au sous-alinéa 20(1)p)(i) de la Loi, car il semble que M. Leonard faisait valoir à l’ARC qu’il avait droit à une déduction au titre du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi, et il inclut également un renvoi au sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi dans son avis d’appel à la Cour de l’impôt.

[16] Lors de sa déclaration liminaire à l’audience devant la Cour de l’impôt, M. Leonard a abandonné son argument selon lequel la perte avait été subie dans le cadre d’une activité d’acquisition de créances hypothécaires et de prêt d’argent (et a donc abandonné son argument selon lequel il était en droit de demander la déduction d’une dépense pour créance irrécouvrable aux termes du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi) tout en indiquant qu’il limitait son argumentation à la question de savoir s’il s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial.

II. Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[17] Le juge de la Cour de l’impôt a énoncé les questions fondamentales concernant les appels au paragraphe 5 de ses motifs de la façon suivante :

a) S’il y a eu perte, s’agissait-il d’une perte en capital ou d’une perte subie dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial (c’est-à-dire une perte autre qu’une perte en capital)?

b) Y a-t-il eu perte et, dans l’affirmative, M. Leonard a-t-il subi la perte en 2011, et quel était le montant de cette perte?

[18] Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que M. Leonard s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial et qu’il y avait eu une perte à la suite de la disposition de la créance hypothécaire par M. Leonard. Selon le juge de la Cour de l’impôt, 99,9 % de la somme payée par M. Leonard pour acquérir la créance hypothécaire et la dette connexe devrait être attribué à la créance hypothécaire. En conséquence, seulement 0,1 % de la somme versée devrait être attribué au billet et à la dette.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[19] L’avis d’appel et le mémoire de M. Leonard portent entièrement sur la question de savoir si, d’après les actes de procédure déposés auprès de la Cour de l’impôt, le juge de la Cour de l’impôt pouvait réduire le montant d’argent déclaré par M. Leonard au titre de la perte. Selon M. Leonard, la seule question dont était saisie la Cour de l’impôt était la qualification de la perte – s’agissait-il d’une perte relevant du revenu ou du capital?

[20] Dans le présent appel, la première question à examiner est la suivante : de quelles questions la Cour de l’impôt était-elle saisie? Plus précisément, la seule question dont était saisie la Cour de l’impôt était-elle la qualification de la perte comme une perte relevant du revenu ou une perte relevant du capital, ou encore, la question de savoir s’il y avait eu ou non une perte était-elle l’une des questions à trancher par le juge de la Cour de l’impôt? Si la Cour de l’impôt était saisie, à bon droit, de la question de savoir s’il y avait eu une perte, la question suivante consiste à savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que M. Leonard avait subi une perte à la suite de la disposition de la créance hypothécaire.

[21] Si aucune perte n’a été subie, la question de savoir si M. Leonard s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial n’est pas pertinente. La question de savoir si une perte donnée relève du revenu ou du capital ne se posera qu’une fois que cette perte aura été subie.

[22] Les questions de droit seront examinées selon la norme de la décision correcte, alors que les questions de fait ou les questions de droit et de fait seront examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

IV. Analyse

A. De quelles questions la Cour de l’impôt était-elle saisie?

[23] En faisant valoir que la seule question dont la Cour de l’impôt était saisie consistait à savoir si la perte relevait du revenu ou du capital, M. Leonard s’est concentré sur l’admission de la Couronne, dans la réponse qu’elle a déposée à la Cour de l’impôt, que la perte était de 1 472 006 $. Selon M. Leonard, cela ne laissait à la Cour de l’impôt que la question de la qualification à trancher, à savoir s’il s’agit d’une perte qui relève du revenu ou du capital.

[24] Cependant, il est nécessaire d’examiner le contexte qui a mené à l’appel interjeté à la Cour de l’impôt pour comprendre le contexte dans lequel l’avis d’appel et la réponse ont été rédigés. De plus, la réponse doit être interprétée dans son intégralité.

[25] Le point de départ est la déclaration de revenus de M. Leonard pour 2011. Dans cette déclaration de revenus, il a déclaré une déduction de 1 472 006 $ (qui correspondait au montant établi dans le jugement ordonnant le paiement différentiel mentionné ci-dessus) à titre de créance irrécouvrable. L’alinéa 20(1)p) de la Loi prescrit une déduction pour créances irrécouvrables :

20 (1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

20 (1) Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), 18(1)(b) and 18(1)(h), in computing a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto:

[…]

p) le total des montants suivants :

(p) the total of

(i) les créances du contribuable qu’il a établies comme étant devenues irrécouvrables au cours de l’année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure,

(i) all debts owing to the taxpayer that are established by the taxpayer to have become bad debts in the year and that have been included in computing the taxpayer’s income for the year or a preceding taxation year, and

(ii) les montants représentant chacun la partie du coût amorti, pour le contribuable à la fin de l’année, d’un prêt ou d’un titre de crédit (sauf un bien évalué à la valeur du marché, au sens du paragraphe 142.2(1)) que le contribuable a établie, au cours de l’année, comme étant devenue irrécouvrable, lequel prêt ou titre, selon le cas :

(ii) all amounts each of which is that part of the amortized cost to the taxpayer at the end of the year of a loan or lending asset (other than a mark-to-market property, as defined in subsection 142.2(1)) that is established in the year by the taxpayer to have become uncollectible and that,

(A) si le contribuable est un assureur ou si son activité d’entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l’argent, a été consenti ou acquis dans le cours normal des activités de son entreprise d’assurance ou de prêt d’argent,

(A) where the taxpayer is an insurer or a taxpayer whose ordinary business includes the lending of money, was made or acquired in the ordinary course of the taxpayer’s business of insurance or the lending of money, or

(B) si le contribuable est une institution financière au sens du paragraphe 142.2(1) au cours de l’année, compte parmi ses titres de créance déterminés au sens de ce paragraphe;

(B) where the taxpayer is a financial institution (as defined in subsection 142.2(1)) in the year, is a specified debt obligation (as defined in that subsection) of the taxpayer;

[26] L’alinéa 20(1)p) prescrit une déduction dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien. La déduction est fondée sur la créance que le contribuable détenait toujours, mais qui était une créance douteuse (sous-alinéa (i)) ou une créance irrécouvrable (sous-alinéa (ii)).

[27] La prétention de M. Leonard dans sa déclaration de revenus selon laquelle il avait droit à une créance irrécouvrable était fondée sur le sous-alinéa 20(1)p)(i) de la Loi. Dans son avis d’opposition, il a remplacé son argument par un argument fondé sur le sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi.

[28] Dans son bref avis d’appel à la Cour de l’impôt, M. Leonard définit l’« opération » comme l’achat du « billet à ordre » au prix de 1 487 551 $ et définit le « billet à ordre » comme le billet à ordre d’un montant principal de 1 500 000 $ qu’il a acheté à la Central Pacific Bank.

[29] Dans son avis d’appel, M. Leonard déclare ce qui suit :

[traduction]

8. À la suite de l’opération, [M. Leonard] a subi une perte totale de 1 472 006 $ (la perte).

9. [M. Leonard] a déclaré la perte comme une créance irrécouvrable et comme une perte commerciale nette connexe. [...]

[30] Les seules dispositions de la Loi auxquelles a renvoyé M. Leonard, dans son avis d’appel à la Cour de l’impôt, étaient le sous-alinéa 20(1)p)(ii) (dépenses pour créances irrécouvrables), l’alinéa 111(1)a) (application des pertes autres que des pertes en capital à d’autres années d’imposition) et le paragraphe 248(1) (définitions). Parmi celles-ci, seul le sous-alinéa 20(1)p)(ii) (dépenses pour créances irrécouvrables) pourrait entraîner une perte.

[31] Dans sa déclaration liminaire à l’audience de la Cour de l’impôt, M. Leonard a renoncé à sa prétention selon laquelle il exploitait une entreprise de prêt d’argent et à sa prétention selon laquelle il avait droit à la déduction d’une dépense pour créance irrécouvrable. En conséquence, il est loin d’être clair (d’après son avis d’appel) sur quel fondement il prétendait qu’une perte avait été subie. M. Leonard a défini l’« opération » comme l’achat du billet à ordre. L’achat d’un bien, en soi, ne donne pas lieu à une perte. Toute perte liée au bien ne surviendrait qu’en cas de disposition ou de disposition réputée du bien.

[32] Les seules mentions d’un engagement dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial figurent dans la section de l’avis d’appel de M. Leonard relative aux motifs sur lesquels il se fonde. Dans cette section, l’argument selon lequel il s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial est proposé comme argument de rechange sans explication sur la façon dont l’engagement dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial entraînerait la perte pour laquelle il demandait la déduction :

F. MOTIFS SUR LESQUELS L’APPELANT ENTEND SE FONDER

[traduction]

12. [M. Leonard] exerce des activités d’acquisition de créances hypothécaires et de prêts d’argent. Subsidiairement, les activités d’acquisition de créances hypothécaires et de prêts d’argent de [M. Leonard] constituent un projet comportant un risque de caractère commercial.

13. L’opération a été effectuée dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise de [M. Leonard] ou constituait un projet comportant un risque de caractère commercial.

14. La perte relevait donc du revenu. De plus, la perte était déductible du revenu d’entreprise de [M. Leonard].

[33] Une fois que M. Leonard a abandonné son argument selon lequel la perte en cause était survenue dans le contexte d’une activité de prêt d’argent et qu’il était en droit de déclarer une créance irrécouvrable aux termes du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi, il ne restait rien dans son avis d’appel pour étayer toute conclusion selon laquelle il avait subi une perte en 2011. Le simple fait de déclarer qu’il s’était engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial ne donne aucune indication sur la façon dont la perte qu’il déclarait a été subie.

[34] Le juge Bowie, dans la décision Zelinski c. La Reine, 2001 CanLII 406 (CCI), 2002 D.T.C. 1204, [2002] 1 C.T.C. 2422 (C.C.I.), confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2002 CAF 330, 2002 D.T.C. 7395, [2003] 1 C.T.C. 53, a énoncé le but d’un acte de procédure ainsi :

4 L’acte de procédure a pour but de définir les questions faisant l’objet du litige entre les parties aux fins de production et de communication préalable ainsi qu’en prévision du procès. Il incombe aux parties de présenter un exposé concis des faits pertinents sur lesquels elles se fondent. Les faits pertinents sont ceux qui, dans l’éventualité où ils sont établis au cours du procès, concourront à démontrer que la partie ayant déposé l’acte de procédure a droit au redressement demandé. De façon générale, il convient que la modification d’un acte de procédure soit autorisée, dans la mesure où cela n’est pas préjudiciable à l’autre partie – qui n’a pas droit à une contrepartie sous forme de dépens ou sous une autre forme –, les Règles visant à assurer, dans la mesure du possible, un procès équitable portant sur les vraies questions en litige entre les parties.

5 Le principe applicable est formulé ainsi par Holmsted et Watson :

[traduction]

Il s’agit de la grande règle en matière d’actes de procédure; toutes les autres règles sont essentiellement des règles accessoires ou des réserves à cette règle de base selon laquelle le plaideur doit exposer les faits pertinents sur lesquels il fonde sa demande ou sa défense. La règle comporte quatre composantes distinctes : (1) chaque acte de procédure doit exposer des faits et non pas simplement des conclusions de droit; (2) il doit exposer les faits pertinents et ne pas contenir de faits dénués de pertinence; (3) il doit exposer des faits, non les éléments de preuve qui serviront à étayer ces faits; (4) il doit exposer les faits avec concision.

[soulignement dans l’original]

[35] M. Leonard a omis d’exposer des faits qui étayeraient une demande de déduction d’une perte subie dans le cadre d’un projet comportant un risque ou d’une affaire de caractère commercial.

[36] Comme je l’ai mentionné précédemment, au début de l’audience de la Cour de l’impôt, M. Leonard a abandonné son argument selon lequel il était en droit de demander la déduction d’une créance irrécouvrable. Ce faisant, il admettait que les motifs pour lesquels il avait

  • déclaré une créance irrécouvrable (et la perte qui en résulte) dans sa déclaration de revenus de 2011,

  • déposé son avis d’opposition, et

  • déposé son avis d’appel à la Cour de l’impôt

n’étaient pas valables. M. Leonard ne peut maintenant se plaindre que le juge de la Cour de l’impôt ait examiné si, en regard de l’abandon par M. Leonard de son argument relatif aux dépenses pour créance irrécouvrable, il y avait un fondement sur lequel la perte pouvait être déclarée.

[37] M. Leonard n’a pas abordé la question des lacunes de son avis d’appel ni son abandon, à l’audience de la Cour de l’impôt, de son argument selon lequel il était en droit de demander la déduction d’une dépense pour créance irrécouvrable. M. Leonard a choisi plutôt d’affirmer, étant donné la réponse déposée par la Couronne, que la seule question dont était saisie la Cour de l’impôt était la qualification de la perte.

[38] Au paragraphe A1 de la réponse déposée par la Couronne, celle-ci admet les faits tels qu’ils sont énoncés dans divers paragraphes de l’avis d’appel de M. Leonard, dont le paragraphe 8 :

[traduction]

8. À la suite de l’opération, [M. Leonard] a subi une perte totale de 1 472 006 $ (la perte).

[39] M. Leonard a également soutenu que les hypothèses de fait formulées par le ministre ne comprennent aucune hypothèse indiquant que la Couronne contestait le fait qu’une perte avait été subie.

[40] De plus, M. Leonard a fait valoir que l’ARC, dans son avis de ratification, avait également reconnu que la perte en question avait été subie et que la seule question était de savoir si la perte relevait du revenu ou du capital.

[41] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’avis de ratification ou la réponse se limitent à la seule question de savoir si la perte relevait du revenu ou du capital.

[42] Plusieurs questions ont été examinées dans l’avis de ratification de 16 pages. Plus précisément, une question examinée aux pages 14 et 15 consistait à savoir si [traduction] « la possession du bien immobilier garanti [était] une opération distincte de l’acquisition du billet et de la créance hypothécaire, ou si elle faisait partie d’une opération ou d’un plan d’investissement global? » En répondant à cette question, l’ARC a noté à la page 15 :

[traduction]

Par conséquent, selon la Direction générale des appels, le bien immobilier garanti et toutes les mesures qui s’y rattachaient faisaient partie d’une opération ou d’un plan d’investissement global.

Étant donné que vous détenez toujours le titre du bien immobilier, l’opération ou le plan d’investissement global n’est pas considéré comme réalisé, et donc aucun gain ni aucune perte ne serait réalisé avant que vous ne vendiez le bien immobilier.

[43] Cela démontre que l’avis de ratification ne se limite pas à la seule question de savoir si la perte déclarée relevait du revenu ou du capital. Il soulève également la question de savoir si une perte avait été subie en 2011.

[44] Dans la réponse déposée auprès de la Cour de l’impôt, la première question indiquée au paragraphe 13 est de savoir si [traduction] « [l]e ministre a correctement établi que, si [M. Leonard] a subi une perte résultant du billet à ordre, cette perte relevait du capital et non du revenu » (non souligné dans l’original).

[45] La Couronne a également soutenu, dans la section de sa réponse intitulée [traduction] « Motifs invoqués et mesure de redressement demandée », que M. Leonard [traduction] « n’a pas justifié qu’il avait subi une perte à l’égard du billet à ordre et de la créance hypothécaire » (paragraphe 17) et que [traduction] « [s]i [M. Leonard] a subi une perte, ce que l’intimé n’admet pas, mais nie, cette perte relève du capital et non du revenu » (paragraphe 18, non souligné dans l’original).

[46] Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec M. Leonard pour dire que la seule question soulevée par l’ARC ou par la Couronne était la qualification de la perte en cause comme une perte relevant du revenu ou du capital. De plus, rien n’indique qu’à l’audience de la Cour de l’impôt, M. Leonard se soit opposé aux arguments ou aux observations relativement à la question de savoir si une perte avait été subie.

[47] Par conséquent, le juge de la Cour de l’impôt a correctement indiqué qu’il lui appartenait de décider si une perte avait été subie.

B. Le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant à une perte à l’égard de la créance hypothécaire

[48] Bien que le juge de la Cour de l’impôt ait entrepris son analyse en se penchant sur la question de savoir si M. Leonard s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial, la bonne approche aurait été, à mon avis, de décider d’abord si M. Leonard avait subi une quelconque perte. Si aucune perte n’a été subie, il serait sans importance que M. Leonard se soit engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial.

[49] La perte établie par le juge de la Cour de l’impôt en l’espèce était attribuable à la disposition de la créance hypothécaire. Le juge de la Cour de l’impôt a fait remarquer que la « disposition », telle qu’elle est définie au paragraphe 248(1) de la Loi, comprend toute opération ou tout événement par lequel une créance hypothécaire est en totalité ou en partie rachetée, acquise ou annulée. Il a conclu que la créance hypothécaire avait été annulée et que, par conséquent, il y avait eu disposition de la créance hypothécaire. Il a ensuite établi le coût de la créance hypothécaire. À son avis, le prix d’achat de la créance hypothécaire, du billet et de la dette était de 1,3 million de dollars, et 99,9 % ou 1 298 700 $ devaient être attribués à la créance hypothécaire en tant que bien distinct.

[50] À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en traitant la créance hypothécaire comme un bien distinct pour l’application de la Loi et en attribuant à la créance hypothécaire 99,9 % du montant d’argent payé par M. Leonard à la banque.

[51] Dans ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a mentionné trois biens – la créance hypothécaire, le billet et la dette. Bien qu’il ait qualifié le billet et la dette comme deux biens différents, rien n’indiquait que M. Anderson devait 1,5 million de dollars à la banque à titre de dette et 1,5 million de dollars supplémentaires à l’égard du billet à ordre. Le billet à ordre représentait simplement sa dette de 1,5 million de dollars.

[52] Concernant la séparation de l’hypothèque et de la dette, la Cour suprême du Canada a confirmé, dans l’arrêt Royal Trust Co. v. New Brunswick (Secretary Treasurer), [1925] S.C.R. 94, à la page 96, qu’une hypothèque ne peut effectivement être séparée de la dette qu’elle garantit :

[traduction]

Le bien dans chaque cas, du point de vue économique ou commercial, est, bien sûr, le titre dans son intégralité; l’obligation personnelle de payer une somme d’argent, plus la sûreté enregistrée sur le bien grevé d’une hypothèque par laquelle le paiement est garanti. Toutefois, du point de vue juridique, l’obligation personnelle est, à bien des égards, considérée comme distincte de la sûreté, bien que la relation entre elles soit telle que le créancier hypothécaire ne peut effectivement transférer la dette personnelle tout en conservant la propriété de la sûreté ni exiger le paiement de la dette sans libérer le bien grevé de l’hypothèque, ou, par une procédure appropriée, sans le convertir en argent applicable à la réduction de la dette. [...]

[53] J’ajouterais que l’inverse est également vrai – le créancier hypothécaire ne peut effectivement transférer la sûreté sur le bien, mais conserver la dette.

[54] Dans l’arrêt Bank of Montreal v. Orr (1986), 4 B.C.L.R. (2d) 1, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fait remarquer qu’une dette est une partie essentielle d’une hypothèque :

[traduction]

25 Une hypothèque comporte deux volets : a) un contrat, de la part du débiteur hypothécaire, prévoyant le remboursement d’une dette au créancier hypothécaire; et b) l’aliénation (dans le cas d’une hypothèque en equity, un simple titre donné en gage) d’un domaine ou d’un droit du débiteur hypothécaire au créancier hypothécaire à titre de garantie du remboursement de la dette. Toute hypothèque suppose une dette (quantifiée ou vérifiable) et une obligation de la part du débiteur hypothécaire de la payer. Une dette hypothécaire remboursable est un élément essentiel d’une hypothèque.

[55] Par conséquent, le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que, pour l’application de la Loi, la créance hypothécaire pouvait effectivement être séparée de la dette qu’elle garantit et qu’un pourcentage de 99,9 % du montant d’argent payé par M. Leonard à la banque pour acquérir la créance hypothécaire et la dette doit être attribué à la créance hypothécaire.

[56] Même si une hypothèque pouvait être traitée comme un bien différent de la dette qu’elle garantit, aucune partie du montant d’argent payé par M. Leonard à la banque pour la dette et la créance hypothécaire ne pourrait raisonnablement être attribuée à l’hypothèque. Le raisonnement du juge de la Cour de l’impôt conduirait à la conclusion selon laquelle M. Leonard aurait pu acheter la créance hypothécaire à la banque pour 1,3 million de dollars (en utilisant le montant d’argent déterminé par le juge de la Cour de l’impôt comme prix d’achat), mais la banque pourrait tout de même conserver la dette que M. Anderson devait à la banque. Si tel était le cas, qu’aurait acquis M. Leonard? M. Anderson ne serait pas tenu de payer plus que la somme due à la banque et, par conséquent, aucune somme ne serait payable à M. Leonard à titre de « créancier hypothécaire ».

[57] Au contraire, une créance hypothécaire augmenterait simplement la valeur de la dette qu’elle garantit. Supposons, par exemple, que M. Anderson doit 1,5 million de dollars individuellement à deux créanciers. La dette d’un créancier est garantie par une hypothèque, et la dette de l’autre créancier n’est pas garantie. Quel créancier pourrait recevoir le prix le plus élevé pour sa créance sur le marché libre? Logiquement, le créancier dont la créance est garantie par une hypothèque pourra vendre sa créance pour une somme plus élevée. La différence dépendra des circonstances et de la valeur du bien grevé par la garantie.

[58] Par conséquent, le fondement de la perte tel que le juge de la Cour de l’impôt l’a établi n’est pas valable. S’il n’y a aucun autre fondement pour déclarer une perte en 2011, M. Leonard n’était pas en droit de déclarer une perte en 2011.

C. Autres arguments de M. Leonard

[59] Après avoir renoncé à sa prétention selon laquelle il était en droit de déclarer une perte résultant du fait que la créance est devenue une créance irrécouvrable, les arguments oraux que M. Leonard a présentés devant notre Cour justifiant son droit à une perte en 2011 étaient les suivants :

  • il a engagé une dépense et, parce que ses dépenses ont dépassé son revenu pour l’année, il a subi la perte;

  • même s’il a acquis un élément d’actif en contrepartie de la somme qu’il a payée à la banque, l’élément d’actif n’était pas un bien figurant dans un inventaire;

  • puisque la créance était irrécouvrable depuis le début, il était en droit de déduire la somme totale payée pour acquérir la créance;

  • l’activité dans laquelle il s’est engagé à titre de projet comportant un risque ou d’affaire de caractère commercial avait pris fin.

[60] Aucun de ces arguments n’est fondé.

[61] En ce qui concerne son argument selon lequel ses dépenses ont excédé ses revenus et que, par conséquent, il a subi une perte, il est nécessaire d’établir ce qui a été acquis pour la dépense en cause. Il est clair que M. Leonard a payé la somme d’argent à la banque pour acquérir la dette de M. Anderson (comme en témoigne le billet à ordre, garanti par l’hypothèque) auprès de la banque. Au paragraphe 5 de son avis d’appel à la Cour de l’impôt, M. Leonard a déclaré avoir [traduction] « acheté le billet à ordre pour la somme de 1 487 551 $ ». Dans sa réponse, la Couronne a admis que M. Leonard [traduction] « avait acheté le billet à ordre pour la somme de 1 487 551 $ ». Au début de l’audience devant la Cour de l’impôt, l’avocat de M. Leonard a déclaré [traduction] « [d]onc, ce qui s’est passé ici, [...] il a acheté un prêt pour 1,5 million $ ». Les documents déposés auprès de la Cour de l’impôt, le témoignage de M. Leonard et la déclaration liminaire de son avocat à la Cour de l’impôt confirment tous que M. Leonard a payé la somme à la banque pour acquérir la dette de M. Anderson et la créance hypothécaire connexe.

[62] Bien qu’il semble y avoir un différend relativement à la somme réelle payée à la banque pour acquérir la dette (comme l’atteste le billet à ordre, garanti par l’hypothèque), il est clair que l’opération intervenue entre M. Leonard et la banque a entraîné l’acquisition par M. Leonard, d’un élément d’actif – la somme payable par M. Anderson à la banque qui était garantie par une créance hypothécaire sur le lot B-2.

[63] La somme payée pour acquérir un élément d’actif, même si M. Leonard s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial, n’est pas déductible en l’absence d’une disposition de la Loi qui permettrait la déduction. Rien n’indique que le coût de l’élément d’actif aurait été déductible dans le calcul du profit pour l’application de l’article 9 de la Loi et M. Leonard n’a mentionné aucune disposition de la Loi qui permettrait cette déduction.

[64] M. Leonard a fait valoir que la créance qu’il a acquise ne faisait pas partie des biens figurant dans un inventaire puisqu’il ne l’avait pas acquise aux fins de revente. Si la créance n’a pas été acquise dans le but de la revendre et qu’elle ne faisait pas partie des biens figurant dans un inventaire, il s’agissait alors d’un bien en immobilisation, et toute perte découlant de la disposition de la créance entraînerait une perte au titre du capital et non une perte au titre du revenu. Comme l’a noté le juge Major, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 :

[28] […] La Loi définit deux types de biens, qui correspondent respectivement à chacune de ces sources de revenu. Les biens en immobilisation (définis à l’al. 54b)) engendrent un gain ou une perte en capital lors de leur aliénation. Les biens figurant dans un inventaire sont des biens dont le coût ou la valeur entre dans le calcul du revenu d’entreprise. La Loi crée ainsi un système simple qui ne reconnaît que deux catégories générales de biens. La qualification d’un bien comme bien figurant dans un inventaire ou comme bien en immobilisation est fondée principalement sur le type de revenu qui sera tiré de ce bien.

[65] En supposant que la créance constituait un bien figurant dans un inventaire tiré d’un projet comportant un risque ou d’une affaire de caractère commercial, aucune perte ne sera réalisée tant qu’il n’y aura pas eu disposition de la créance. Le paragraphe 10(1.01) de la Loi dispose que, pour toute personne engagée dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial, tout bien figurant dans l’inventaire est évalué à son coût d’acquisition pour le contribuable. Par conséquent, si M. Leonard s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial, il ne serait pas en droit de déclarer une somme à titre de réduction de la valeur du bien figurant à l’inventaire relativement à la créance. Toute perte ne serait réalisée qu’au moment de la disposition de cette créance. En l’espèce, M. Leonard ne soutient pas qu’il y a eu disposition de la créance, et rien dans le dossier n’indique qu’il y ait eu disposition de la créance.

[66] M. Leonard a fait valoir que sa créance était irrécouvrable depuis le début. Cet argument repose sur la prémisse que la créance n’avait aucune valeur au moment de son acquisition. Cependant, si tel était le cas, cela soulèverait des doutes quant à savoir s’il a acquis quoi que ce soit de la banque dans le but de réaliser un profit. Comme l’a souligné le juge de la Cour de l’impôt, l’intention de réaliser un profit est une considération importante pour établir si une personne est engagée dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial (motifs au paragraphe 55). L’argument selon lequel la créance était irrécouvrable depuis le début semble contredire la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle M. Leonard a acquis la créance dans le but de réaliser un profit.

[67] Quoi qu’il en soit, même si M. Leonard a trop payé pour la créance, parce qu’il s’agissait d’une opération entre parties sans lien de dépendance entre M. Leonard et la banque, le coût de la créance correspondrait à la somme qu’il a payée.

[68] Bien que M. Leonard ait affirmé que l’activité dans laquelle il s’était engagé à titre de projet comportant un risque ou d’affaire de caractère commercial était terminée, il est loin d’être clair quand cela s’est produit ou comment cela aurait entraîné la disposition de la créance, comme l’indique le jugement ordonnant le paiement différentiel. L’année au cours de laquelle la perte a été déclarée était 2011. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que M. Leonard avait l’intention de tirer un profit de la vente après forclusion (en supposant que quelqu’un offre un montant supérieur à celui que M. Leonard aurait été prêt à payer) ou de la vente du lot B-2 (en supposant qu’il l’ait acquis) (paragraphe 55 des motifs du juge de la Cour de l’impôt). Le juge de la Cour de l’impôt, après avoir souligné que les lots B-2 et B-3 avaient été regroupés en 2015, a également conclu :

[72] [...] Cependant, comme M. Leonard, au moment de l’audience, était toujours propriétaire des deux lots (bien qu’ils aient été regroupés en un seul lot), aucun profit ou perte n’avait encore été réalisé ou subie à la suite d’un projet comportant un risque de caractère commercial concernant ces lots.

[69] Rien dans le dossier n’étaye son argument selon lequel, en supposant qu’il s’était engagé dans un projet comportant un risque ou dans une affaire de caractère commercial, ce projet ou cette affaire avait pris fin en 2011. De plus, M. Leonard n’a invoqué aucune disposition de la Loi pour appuyer son argument selon lequel, même si le projet ou l’affaire avait pris fin, il aurait le droit de déduire la perte qu’il a déclarée.

[70] Par conséquent, aucun des arguments de M. Leonard selon lesquels il était en droit de déclarer la perte en question dans le calcul de son revenu pour 2011 n’est fondé.

V. Conclusion

[71] J’accueillerais l’appel incident à l’égard de l’appel de M. Leonard avec dépens et je rejetterais son appel sans dépens. J’accueillerais l’appel incident à l’égard de l’appel de Mme Tenney sans dépens et je rejetterais son appel sans dépens. J’annulerais les jugements rendus par la Cour de l’impôt dans chaque dossier. En rendant les jugements que la Cour de l’impôt aurait dû rendre, je rejetterais l’appel de M. Leonard à la Cour de l’impôt avec dépens et je rejetterais l’appel de Mme Tenney à la Cour de l’impôt sans dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-151-21

 

INTITULÉ :

JEREMY LEONARD c.

SA MAJESTÉ LE ROI

 

ET DOSSIER :

A-152-21

 

INTITULÉ :

CAROL TENNEY c.

SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 octobre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

Le 10 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Jeff Pniowsky

Pour JEREMY LEONARD et CAROL TENNEY

David Silver

Darren Grunau

Pour SA MAJESTÉ LE ROI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Winnipeg (Manitoba)

POUR JEREMY LEONARD ET CAROL TENNEY

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour SA MAJESTÉ LE ROI

 

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