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Date : 20221123


Dossier : A-317-20

Référence : 2022 CAF 200

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

DARRELL BROWN

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20221123


Dossier : A-317-20

Référence : 2022 CAF 200

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

DARRELL BROWN

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] M. Brown interjette appel du jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt (2020 CCI 123), qui a rejeté son appel à l’égard des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), relativement à ses années d’imposition 2011, 2012 et 2013. M. Brown a également présenté une requête visant la production de nouveaux éléments de preuve dans le présent appel.

[2] La principale question en litige dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que les services de gestion offerts par M. Brown comprenaient un aspect personnel. M. Brown fournissait des services de gestion à une société à numéro dont lui et son épouse étaient les propriétaires. La société à numéro exploitait une galerie d’art. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il s’agissait d’une démarche personnelle, puisque M. Brown a commencé à fournir des services de gestion parce que son épouse n’était plus en mesure de gérer la galerie en raison de sa maladie et de sa grossesse.

[3] Pour les motifs énoncés ci-après, j’accueillerais le présent appel et je rejetterais la requête en production de nouveaux éléments de preuve de M. Brown.

I. Contexte

[4] M. Brown est un avocat et son épouse, Lyudmila Bezpala-Brown, est une artiste en arts visuels et une historienne de l’art. Ils ont décidé d’ouvrir une galerie d’art à Toronto. Ils ont créé une société à numéro pour exploiter la galerie; M. Brown détenait 51 % des actions ordinaires de la société et Mme Bezpala-Brown détenait les 49 % restants. Leur ami, Fariz Ahmadov, participait lui aussi à l’exploitation de la galerie.

[5] Mme Bezpala-Brown et M. Ahmadov ont mené une étude de marché approfondie afin de déterminer les probabilités de réussite de la galerie. Ils ont conclu qu’il serait possible d’exploiter une galerie financièrement rentable à Toronto, mais qu’il faudrait environ cinq ans et un investissement considérable pour atteindre le seuil de rentabilité.

[6] À l’automne 2009, M. Brown a entrepris des démarches auprès de Rotveil Technologies en vue d’obtenir un financement pour la nouvelle galerie. Le frère de Mme Bezpala-Brown était l’un des directeurs de Rotveil Technologies.

[7] La galerie a ouvert ses portes en avril 2010 et a reçu un accueil chaleureux de la communauté artistique. Elle a aussi fait l’objet de critiques dans les journaux. À l’époque, M. Brown fournissait quelques services à la galerie, mais ceux-ci étaient assez limités.

[8] En septembre 2010, Mme Bezpala-Brown est tombée malade et elle n’a plus été en mesure de diriger la galerie. Elle est aussi tombée enceinte à l’automne 2010. M. Brown a donc dû s’investir davantage dans l’exploitation de la galerie, tout comme M. Ahmadov.

[9] Au début de 2011, il est devenu évident que l’absence de Mme Bezpala-Brown rendait M. Ahmadov de plus en plus anxieux. À la même période, M. Brown a appris que Rotveil Technologies ne fournirait pas un financement à la galerie sur une base continue. Les dépenses de la galerie étaient alors supérieures au revenu qu’elle générait.

[10] Le 4 janvier 2011, les administrateurs de la société à numéro ont adopté une résolution visant à retenir les services de M. Brown pour la prestation de plusieurs services de gestion à la société. Il était également prévu que M. Brown toucherait des honoraires de gestion correspondant à 20 % des revenus annuels de la galerie qui excéderaient 100 000 $. La taxe de vente harmonisée (TVH) serait versée en plus des honoraires de gestion, si M. Brown était inscrit aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, ou si ses honoraires de gestion dépassaient 30 000 $. La résolution prévoyait également les modalités suivantes :

[traduction]

La société examinera le présent accord de prestation de services de gestion avant la fin de l’année civile 2012 afin de déterminer s’il y a lieu de conclure un accord de services à plus long terme ou si les services de gestion seront offerts à l’interne et que l’entente contractuelle conclue avec Darrell Brown sera résiliée. Cependant, si, à la date de la révision de l’accord de prestation des services de gestion, la société n’a versé aucun honoraire de gestion à Darrell Brown, ce dernier aura alors le droit de conclure un contrat de services de gestion de cinq ans selon les modalités négociées entre lui et la société, afin que M. Brown ait la possibilité de recouvrer les pertes qu’il pourrait avoir subies en 2011-2012 par la prestation de ces services de gestion, ainsi que de réaliser un profit grâce aux honoraires de gestion générés qui lui seraient versés par la société selon les hausses de revenu réalisées durant cette période de cinq ans.

[11] Le 5 octobre 2012, M. Brown et la société à numéro ont signé un accord écrit qui disposait que M. Brown offrirait les mêmes services que ceux qu’il avait fournis aux termes de la résolution adoptée par les administrateurs en 2011 et que les modalités de rémunération seraient les mêmes. L’accord était d’une durée de cinq ans.

[12] M. Brown a fourni des services de gestion à la galerie durant les années en question et, durant chacune de ces années, les revenus de la galerie n’ont pas été suffisants pour que des honoraires lui soient versés. Le revenu total de la galerie a été de 39 000 $ en 2011, de 48 513 $ en 2012 et de 98 029 $ en 2013. La galerie a subi des pertes de 93 415 $ en 2011, de 121 224 $ en 2012 et de 77 220 $ en 2013.

[13] Durant son témoignage, M. Brown a déclaré que la galerie avait eu à faire face à plusieurs problèmes et revers, notamment la vente de l’immeuble dans lequel la galerie était située à un nouveau propriétaire qui ne voulait pas de la galerie comme locataire, le refus du propriétaire de permettre à la galerie de terminer des rénovations pour ouvrir un bar artistique, ainsi que les constantes inondations dans la galerie.

[14] M. Brown a demandé la déduction de pertes autres qu’en capital de 90 696 $, de 115 200 $ et de 113 932 $, respectivement pour les années 2011, 2012 et 2013. Ces déductions lui ont été refusées, et de nouvelles cotisations ont été établies à l’égard de M. Brown pour le motif que les services de gestion qu’il avait fournis ne constituaient pas une source de revenu et que les sommes déclarées à titre de dépenses étaient déraisonnables. Il n’était pas allégué que M. Brown était un employé de la société à numéro lorsqu’il a fourni les services en cause. Lors de l’audience devant la Cour de l’impôt, M. Brown a admis que les pertes autres qu’en capital qui étaient en litige devraient être révisées à la baisse pour se chiffrer à 49 086 $ pour l’année 2011 et à 45 457 $ pour l’année 2012.

II. Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[15] Le juge de la Cour de l’impôt a renvoyé à l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Stewart c. Canada, 2002 CSC 46 (arrêt Stewart), dans lequel la Cour suprême définit au paragraphe 50 une méthode à deux volets pour établir si le contribuable a une source de revenu et, le cas échéant, si cette source de revenu est constituée d’une entreprise ou d’un bien :

(i) L’activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?

(ii) S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

[16] La conclusion du juge de la Cour de l’impôt, selon laquelle les services de gestion comportaient un aspect personnel, est exposée aux paragraphes 33 et 34 de ses motifs :

[33] Le premier volet de cette méthode consiste à déterminer si M. Brown a fourni des services de gestion dans le but de réaliser un profit ou s’il s’agissait d’une démarche personnelle. En l’espèce, il ressort clairement des éléments de preuve qu’au cours des années d’imposition concernées, l’activité en cause comportait un aspect personnel. D’après les éléments de preuve, M. Brown n’a commencé à fournir un éventail de services de gestion à la Galerie que parce que Mme Brown est tombée malade et qu’elle est tombée enceinte par la suite. En raison de ces événements, elle n’était plus en mesure de gérer la Galerie comme ils l’avaient tous deux prévu. Selon M. Brown, au début de janvier 2011, alors que Mme Brown était encore malade, la situation s’est aggravée, car M. Ahmadov n’était plus en mesure de supporter la pression imposée par l’exercice, à lui seul, des activités quotidiennes de la Galerie.

[34] Par conséquent, la Cour estime que M. Brown n’a commencé à fournir des services de gestion qu’en raison des problèmes de santé de Mme Brown. Selon la preuve, c’est l’une des raisons pour lesquelles il a continué à fournir des services de gestion à la Galerie tout au long des années d’imposition visées. Par conséquent, l’activité de M. Brown comportait un aspect personnel au cours de toutes lesdites années d’imposition.

[17] Sa conclusion est exposée au paragraphe 41 de ses motifs :

[41] La Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que l’activité de M. Brown comportait des aspects indicatifs d’une démarche personnelle. La Cour conclut également que l’activité n’a pas été exercée de manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu d’entreprise. M. Brown n’a pas démontré que son intention prédominante était de tirer un profit de l’activité. Par conséquent, le ministre a déterminé, à juste titre, que la déduction des pertes d’entreprise demandée par M. Brown pour les années d’imposition 2011, 2012 et 2013 devait être refusée.

III. Questions en litige et normes de contrôle

[18] La principale question en litige dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les raisons personnelles pour lesquelles M. Brown a fourni des services de gestion à la société à numéro ont fait en sorte qu’il s’agissait d’une démarche personnelle, selon les critères définis par la Cour suprême dans l’arrêt Stewart. Dans l’hypothèse où il y a une absence d’aspect personnel, il s’agit ensuite de déterminer si M. Brown a offert ces services de gestion dans le but de réaliser un profit.

[19] Les questions de droit seront examinées selon la norme de la décision correcte, alors que les questions de fait ou les questions de droit et de fait seront examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

IV. Analyse

[20] Je suis d’avis que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en interprétant l’arrêt Stewart de la Cour suprême, car il s’est concentré sur les raisons personnelles de M. Brown de fournir des services de gestion pour conclure que cette activité constituait une démarche personnelle, plutôt que de se concentrer sur l’activité elle-même pour déterminer si les services de gestion comportaient des aspects personnels ou récréatifs.

A. Méthode à utiliser pour déterminer s’il existe une source de revenu

[21] Au paragraphe 50 de l’arrêt Stewart, la Cour suprême a décrit la méthode à deux volets à utiliser pour déterminer si un contribuable a une source de revenu constituée d’une entreprise ou d’un bien aux fins de l’application de la Loi. Le premier volet est défini comme suit :

(i) L’activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?

[22] La Cour suprême a mentionné que, lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, il n’est pas nécessaire de pousser l’analyse plus loin pour déterminer si la personne a une source de revenu. La Cour suprême a précisé, aux paragraphes 53 et 60, qu’une démarche personnelle en est une où l’activité en cause comporte certains aspects personnels ou récréatifs. Si l’activité comporte des aspects personnels ou récréatifs, une analyse plus poussée doit alors être menée pour déterminer si cette activité est suffisamment commerciale pour être considérée comme une source de revenu.

[23] Au paragraphe 51 de l’arrêt Stewart, la Cour suprême a ajouté ce qui suit :

Assimiler la « source de revenu » à une activité exercée « en vue de réaliser un profit » concorde avec la définition traditionnelle du mot « entreprise » qui est donnée en common law, à savoir [traduction] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit ».

[24] Dans l’arrêt Canada c. Paletta, 2022 CAF 86, rien n’indiquait que l’activité en cause comportait un aspect récréatif ou personnel. Notre Cour a confirmé que l’activité devait néanmoins être exercée dans le but de réaliser un profit pour être considérée comme une source de revenu. Il ne fait aucun doute qu’il existe de nombreuses activités qui ne comportent aucun aspect récréatif ou personnel. La personne qui exerce ces activités n’aura une source de revenu que si elle les exerce dans le but de réaliser un profit.

[25] La démarche à utiliser pour déterminer si une personne a une source de revenu peut donc être reformulée comme suit :

  • ¨L’activité en cause comporte-t-elle un aspect personnel ou récréatif?

  • ·Si l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif, il s’agit ensuite de déterminer « si cette activité est ou non exercée d’une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu » (arrêt Stewart, par. 60).

  • ·Si l’activité en cause ne comporte aucun aspect personnel ou récréatif, il s’agit ensuite de déterminer si cette activité est exercée dans le but de réaliser un profit.

B. Les services de gestion offerts par M. Brown comportent-ils quelque aspect récréatif ou personnel?

[26] Comme nous l’avons mentionné précédemment, la Cour suprême, aux paragraphes 53 et 60 de l’arrêt Stewart, a insisté sur le fait que l’analyse plus poussée sur la commercialité de l’activité n’est nécessaire que si l’activité en cause comporte un aspect récréatif ou personnel :

[53] Nous soulignons que ce critère de l’existence d’une source « en vue de réaliser un profit » ne doit faire l’objet d’une analyse que dans les situations où l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif. En toute déférence, nous estimons que les tribunaux ont commis une erreur, dans le passé, en appliquant le critère de l’ERP [expectative raisonnable de profit] à des activités comme l’exercice du droit et la restauration qui ne comportent aucun aspect personnel de cette nature : voir, par exemple, Landry, précité; Sirois, précité; Engler c. Canada, [1994] A.C.F. no 483 (QL) (1re inst.). Lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, il n’est pas nécessaire d’analyser les décisions commerciales du contribuable. De telles démarches comportent nécessairement la recherche d’un profit. Il existe donc par définition une source de revenu et il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin.

[...]

[60] En résumé, la question de savoir si le contribuable a ou non une source de revenu doit être tranchée en fonction de la commercialité de l’activité en cause. Lorsque l’activité ne comporte aucun aspect personnel et qu’elle est manifestement commerciale, il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin. Lorsque l’activité peut être qualifiée de personnelle, il faut alors déterminer si cette activité est ou non exercée d’une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu. Toutefois, refuser la déduction de pertes pour le seul motif que les pertes indiquent l’inexistence d’une entreprise (ou d’un bien) comme source de revenu va à l’encontre du texte et de l’économie de la Loi. La question de savoir s’il existe une entreprise est distincte de celle de la déductibilité des dépenses. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[27] Pour déterminer si une analyse plus poussée de la commercialité de l’activité doit être faite, il faut se concentrer sur l’activité elle-même en cherchant à déterminer si celle-ci comporte quelque aspect personnel ou récréatif. En l’espèce, l’activité consiste en des services de gestion. La question est donc de savoir si les services de gestion fournis par M. Brown comportaient un aspect personnel ou récréatif. Je suis d’avis que la décision de M. Brown de fournir ces services de gestion, en raison de l’incapacité de son épouse de continuer à gérer la galerie, ne signifie pas que ces services de gestion comportent un aspect personnel ou récréatif selon le critère défini par la Cour suprême.

[28] De nombreuses entreprises sont transmises de génération en génération. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les services de gestion fournis par M. Brown comportaient un aspect personnel, lorsque celui-ci a commencé à offrir ces services parce que son épouse était devenue incapable de continuer à gérer la galerie. Si l’on applique ce raisonnement au transfert intergénérationnel d’une entreprise, cela signifie que, chaque fois que la génération suivante prend la relève de ses parents parce que ces derniers ne sont plus capables de continuer, une analyse doit être faite afin d’établir si la génération suivante exerce l’activité d’une manière suffisamment commerciale pour que celle-ci soit considérée comme une source de revenu. Cependant, le simple fait qu’un enfant reprenne l’entreprise d’un de ses parents parce que celui-ci n’est plus en mesure de l’exploiter ne devrait pas mener à la conclusion que l’entreprise que l’enfant mène désormais comporte un aspect personnel.

[29] Une motivation ou une raison personnelle pour mener une activité ne peut, en soi, signifier que cette activité comporte nécessairement un aspect personnel ou récréatif. Il est possible de trouver une raison personnelle dans toute activité que mène une personne. Par exemple, une personne peut être amenée à exercer une activité particulière parce qu’elle souhaite générer les revenus qui lui permettront de financer son mode de vie personnel, ou parce qu’elle désire personnellement offrir de meilleurs services ou de meilleurs produits que ceux qui sont actuellement offerts sur le marché.

[30] Chaque activité pourrait donc potentiellement faire l’objet d’une analyse plus poussée pour déterminer si elle satisfait au critère de la commercialité. Dans les faits, cela signifierait que le critère de l’expectative raisonnable de profit (dont la Cour suprême a limité l’application aux activités qui comportent un aspect personnel ou récréatif) s’appliquerait à toutes les activités. Cela ne peut pas être l’objectif de la Cour suprême dans l’arrêt Stewart.

[31] En l’espèce, l’activité en cause consistait à fournir des services de gestion à la société (la société à numéro) qui exploitait la galerie, lesquels services ont permis à la galerie de poursuivre ses activités. Rien n’indique que ces services de gestion comportaient quelque aspect personnel ou récréatif. Le seul aspect personnel relevé par le juge de la Cour de l’impôt était la volonté de M. Brown de fournir ces services, car son épouse était incapable de continuer à gérer la galerie.

[32] Je suis d’avis que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les services de gestion fournis par M. Brown comportaient un aspect personnel du fait que celui-ci a exercé ces activités en raison de l’incapacité de son épouse de continuer à gérer la galerie. Comme il n’existe aucun autre fondement pour conclure que les services de gestion offerts par M. Brown comportaient un aspect personnel ou récréatif, ces services constituaient une source de revenu s’ils ont été offerts dans le but de réaliser un profit.

C. M. Brown cherchait-il à réaliser un profit?

[33] Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, il est nécessaire de prouver l’intention de réaliser un profit pour conclure que M. Brown exploitait une entreprise. Les conclusions du juge de la Cour de l’impôt, quant à l’intention de M. Brown de réaliser un profit, sont énoncées au paragraphe 36 de ses motifs :

D’après la preuve, M. Brown a fourni des services de gestion à la Galerie afin d’aider Mme Brown et d’assumer autant que possible les dépenses de la Galerie. Tout cela dans le but de permettre l’exploitation de la Galerie jusqu’à ce que ses revenus soient suffisants pour payer toutes ses dépenses. C’est ce que M. Brown a déclaré dans son témoignage. D’après les éléments de preuve, cela n’a jamais changé au cours de l’année d’imposition concernée. Il est clair que M. Brown n’a pas commencé à fournir des services et n’a pas continué à le faire dans le but de réaliser un profit. En s’appuyant sur ce seul motif, la Cour a conclu que M. Brown n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son intention prédominante n’était pas de tirer un profit de l’activité et que, par conséquent, l’activité n’était pas une source de revenu d’entreprise pendant les années d’imposition concernées.

[34] Le juge de la Cour de l’impôt a fondé sa conclusion sur l’intention prédominante de M. Brown. Dans l’arrêt Massé c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 351, notre Cour, renvoyant au paragraphe 60 de l’arrêt Stewart, a mentionné ce qui suit :

[20] Dorénavant, ce n’est que dans la mesure où l’activité comporte un aspect personnel que la Cour peut considérer les facteurs énumérés dans l’arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480. Plus précisément, l’existence d’un aspect personnel :

[...] oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l’activité et que l’activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux (Stewart, au para 54).

[35] L’existence d’un aspect personnel dans l’activité en cause entraîne l’analyse de l’intention prédominante du contribuable. En l’absence d’aspect personnel, la question est de savoir si le contribuable exerce l’activité en cause dans le but de réaliser un profit, et non s’il s’agit de son intention prédominante. Le contribuable n’exploite pas une entreprise si la preuve démontre l’absence d’intention de réaliser des profits (arrêt Paletta, par. 39).

[36] En concluant que M. Brown ne cherchait pas à réaliser un profit, le juge de la Cour de l’impôt s’est concentré sur les déductions demandées par M. Brown. Il a essentiellement évalué l’expectative de profit de M. Brown, plutôt que de simplement déterminer si celui-ci cherchait à réaliser un profit.

[37] La question de la recherche de profit diffère de la question de la déductibilité des dépenses demandées. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Stewart :

[56] En plus de restreindre l’application du critère permettant de déterminer l’existence d’une source aux activités comportant un aspect personnel, il faut distinguer l’activité que le contribuable qualifie de source de revenu des déductions particulières qu’il associe à cette source. [...]

[38] La Couronne a fait valoir que M. Brown n’avait pas l’intention de réaliser un profit, car certaines dépenses dont il a demandé la déduction étaient des dépenses de la galerie et que l’accord conclu entre M. Brown et la galerie ne prévoyait pas le remboursement direct de ces dépenses. Cette absence, dans l’accord, de disposition prévoyant le remboursement direct des dépenses dont M. Brown demandait la déduction ne permet toutefois pas nécessairement de conclure que celui-ci ne cherchait pas à réaliser un profit. Si ses honoraires de gestion (calculés en fonction des revenus annuels de la galerie) avaient dépassé les sommes déclarées à titre de dépenses, il aurait réalisé un profit. Si toutes les sommes dont il demandait la déduction à titre de dépenses n’étaient pas des dépenses admissibles, le seuil à atteindre pour réaliser un profit aurait été encore plus bas. Cependant, la question est de savoir si, en offrant des services de gestion, M. Brown avait l’intention de réaliser un profit, et non s’il avait une expectative raisonnable de profit ou s’il aurait pu choisir un modèle d’entreprise différent.

[39] Les modalités de l’accord conclu entre M. Brown et la société à numéro montrent que l’absence de disposition prévoyant le remboursement direct des dépenses de la galerie dont il demandait la déduction ne signifie pas nécessairement que M. Brown n’avait pas l’intention de réaliser un profit. Ses honoraires de gestion correspondaient à 20 % des revenus annuels de la galerie excédant 100 000 $. Par exemple, si la galerie avait réalisé un revenu de 350 000 $, ses honoraires de gestion auraient été de 50 000 $ (350 000 $ - 100 000 $ = 250 000 $ x 20 % = 50 000 $). Cette somme aurait été supérieure à celles dont il demande maintenant la déduction à titre de dépenses pour les années 2011 et 2012. Puisque la société n’a eu à verser aucun honoraire de gestion pour aucune des années en litige, les pertes déclarées pour les années 2011 et 2012 correspondaient presque aux dépenses dont M. Brown demandait la déduction.

[40] Pour l’année 2013, les pertes (et les dépenses dont il demandait la déduction) s’élevaient à 113 932 $. Si la galerie avait généré un revenu annuel de 670 000 $, ses honoraires de gestion auraient été de 114 000 $. Cette somme aurait couvert toutes les dépenses dont M. Brown demandait la déduction, notamment les dépenses de la galerie et ses dépenses personnelles. La question de savoir si la galerie aurait réalisé un profit après avoir payé les honoraires de gestion de M. Brown n’est pas en litige dans le présent appel. La question en litige dans le présent appel est de savoir si M. Brown – et non si la société à numéro – cherchait à réaliser un profit.

[41] Par conséquent, le fait que l’accord ne comportait aucune clause prévoyant le remboursement direct des dépenses de la galerie dont M. Brown demandait la déduction ne signifie pas que ce dernier n’offrait pas ses services de gestion à la société à numéro dans le but de réaliser un profit. La résolution des administrateurs dont j’ai fait mention précédemment prévoyait également l’adoption d’un accord de cinq ans pour la prestation de services de gestion, afin de permettre à M. Brown de recouvrer ses pertes et de réaliser un profit.

[42] La Couronne ne conteste pas le fait que la société à numéro exploitait une entreprise en exploitant la galerie et, donc, que la société à numéro exploitait la galerie dans le but de réaliser un profit. M. Brown a offert des services de gestion qui ont permis à la société à numéro d’exploiter la galerie. Comme l’a souligné le juge de la Cour de l’impôt au paragraphe 36 de ses motifs, « M. Brown a fourni des services de gestion à la Galerie afin d’aider [Mme Bezpala-Brown] et d’assumer autant que possible les dépenses de la Galerie [...] dans le but de permettre l’exploitation de la Galerie jusqu’à ce que ses revenus soient suffisants pour payer toutes ses dépenses ». Bien que le juge de la Cour de l’impôt ait conclu que cela étayait sa conclusion selon laquelle M. Brown ne cherchait pas à réaliser un profit, je suis d’avis au contraire que cela appuie la conclusion opposée.

[43] Les services de gestion fournis par M. Brown étaient inextricablement liés à l’exploitation de la galerie. Son revenu correspondait à un pourcentage du chiffre d’affaires brut de la galerie. Plus la galerie était rentable, plus ses services de gestion seraient lucratifs. L’intention de M. Brown, en fournissant des services de gestion qui ont permis à la galerie de poursuivre ses activités jusqu’à ce qu’elle puisse générer des revenus suffisants pour couvrir toutes ses dépenses, était de permettre à la galerie de générer des revenus qui, en retour, lui donneraient droit à des honoraires de gestion et lui permettraient ainsi de réaliser un profit.

[44] Nulle part, dans la réponse déposée par la Couronne auprès de la Cour de l’impôt, n’est-il allégué que l’accord conclu entre M. Brown et la société à numéro était fictif. Il n’est donc pas allégué que le contrat entre M. Brown et la société à numéro ne reflétait pas les obligations des parties.

[45] En conséquence, je suis d’avis que rien ne permet de conclure que M. Brown ne cherchait pas à réaliser un profit en fournissant des services de gestion à la société à numéro; par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, il a fourni ces services de gestion dans le but de réaliser un profit.

D. La déductibilité des dépenses déclarées n’a pas été établie

[46] Cela ne signifie pas pour autant que M. Brown a le droit de déduire toutes les dépenses qu’il a déclarées dans le calcul de son revenu aux termes de la Loi. Même si M. Brown avait l’intention de réaliser un profit, le montant de son profit ou, en l’espèce, de ses pertes, doit être déterminé conformément aux dispositions de la Loi. La question de savoir si les dépenses déclarées par M. Brown sont déductibles aux termes de la Loi est une question distincte qui n’a pas été examinée par le juge de la Cour de l’impôt.

[47] Par conséquent, je renverrais l’affaire à la Cour de l’impôt afin qu’elle détermine les pertes autres qu’en capital qui, aux termes de la Loi, découlent, le cas échéant, des services de gestion fournis par M. Brown pour ses années d’imposition 2011, 2012 et 2013.

V. Requête en production de nouveaux éléments de preuve

[48] Les nouveaux éléments de preuve dont M. Brown demande la production portent sur la commercialité de la galerie et les services de gestion qu’il a fournis. Ainsi qu’il a été déterminé précédemment, ces éléments de preuve n’ont aucun lien avec l’examen de la question en litige et, pour ce seul motif, je rejetterais la requête.

[49] Cependant, quelques commentaires supplémentaires sur la requête s’imposent. Par cette requête, M. Brown cherche à présenter, en appel, un affidavit de 34 pages de Mme Bezpala-Brown et plus de 80 nouveaux documents. L’affidavit comprend des observations et des témoignages qui n’ont pas été présentés à la Cour de l’impôt.

[50] Un appel auprès de notre Cour ne constitue pas un procès de novo. Si le long affidavit et les nombreux documents nouveaux avaient été admis, la Couronne aurait eu le droit de contre-interroger Mme Bezpala-Brown, et l’appel serait ainsi devenu un nouveau procès. Or, comme l’a mentionné récemment la Cour suprême dans l’arrêt Nova Chemicals Corp. c. Dow Chemical Co., 2022 CSC 43, au paragraphe 72, la Cour suprême n’est pas un tribunal de première instance et il ne lui appartient pas de revoir l’ensemble du dossier et de tirer des conclusions de fait. Ces commentaires s’appliquent également à notre Cour.

VI. Dépens

[51] Après l’audition de l’appel, les parties ont informé la Cour qu’elles étaient parvenues à un accord relativement aux dépens afférents à la requête, à l’appel et à l’audience à la Cour de l’impôt. Cependant, les dépens doivent être déterminés par la Cour et, à mon avis, aucuns dépens ne devraient être alloués relativement à la requête ou au présent appel, puisque chacune des parties a eu partiellement gain de cause. De plus, comme je suis d’avis de renvoyer l’affaire à la Cour de l’impôt, les dépens afférents à l’audience auprès de cette Cour devraient être déterminés une fois que la Cour de l’impôt aura rendu une décision définitive.

VII. Conclusion

[52] Par conséquent, je rejetterais la requête déposée par M. Brown visant la production de nouveaux éléments de preuve, sans dépens. J’accueillerais l’appel, sans dépens, et j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Je renverrais l’affaire à la Cour de l’impôt afin qu’elle détermine les pertes autres qu’en capital qui, aux termes de la Loi, découlent, le cas échéant, des services de gestion fournis par M. Brown pour ses années d’imposition 2011, 2012 et 2013.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-317-20

 

INTITULÉ :

DARRELL BROWN c.

SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 octobre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 23 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Darrell Brown

POUR SON PROPRE COMPTE

Alexandra Humphrey

Tara Magill

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

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