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Date : 20221201


Dossier : A-450-19

Référence : 2022 CAF 205

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

appelant

et

DANSON DÉCOR INC.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 6 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20221201


Dossier : A-450-19

Référence : 2022 CAF 205

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

appelant

et

DANSON DÉCOR INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Il s’agit d’un appel d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal ou le TCCE) rendue le 6 septembre 2019 (dont les motifs ont été rendus le 25 septembre 2019), dans laquelle le Tribunal a décidé que les pierres naturelles tirées d’un lit de rivière en Chine devraient être correctement classées comme des produits minéraux, plus particulièrement de « Cailloux […] des types généralement utilisés pour le bétonnage ou pour l’empierrement des routes, des voies ferrées ou autres ballasts » conformément à la description à la position 25.17 de l’annexe du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36 (le Tarif) : Danson Décor Inc. c. Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2019 CanLII 112351 (décision du Tribunal). En tirant cette conclusion, le Tribunal a infirmé une décision antérieure du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) selon laquelle les marchandises étaient classées sous le numéro tarifaire 6802.99.00 comme « pierres de taille ou de construction (autre que l’ardoise) travaillées et ouvrages en ces pierres, à l’exclusion de ceux du no 68.01 ».

[2] La question en litige dans le présent appel consiste à savoir si le Tribunal a commis une erreur en classant les marchandises sans tenir compte des règles d’interprétation du classement tarifaire et sans preuve à l’appui, et si le Tribunal a commis une erreur en élargissant la portée des dispositions qui s’appliquent aux produits minéraux.

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que le présent appel devrait être rejeté.

I. Faits

[4] Les parties ne contestent pas le fait que les marchandises en litige consistent en divers types de pierres de rivière naturelles tirées d’un lit de rivière. Toutes les marchandises sont lavées, tamisées et triées selon leur taille et leur couleur. Ensuite, elles sont polies par culbutage dans un tonneau de polissage motorisé, puis emballées dans de petits sacs allant de 0,4 à 0,8 kilogramme pour être ensuite importées de la Chine. Les marchandises servent à différentes fins décoratives ainsi qu’à l’artisanat.

[5] Bien que des envois antérieurs de marchandises importées par l’intimée Danson Décor Inc. (Danson) aient été déclarés, à des fins tarifaires, sous la position 25.17, l’ASFC a entrepris une vérification de conformité conformément à l’article 59 de la Loi sur les douanes, (L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.)). L’ASFC a déterminé que ces marchandises devraient plutôt être classées sous la position 68.02. Par conséquent, l’ASFC a rajusté rétroactivement les droits payables par Danson (de 0 % à 6,5 %) pour plusieurs années d’envois antérieurs de pierres de rivière.

[6] Danson a interjeté appel de cette décision et a soutenu que le « polissage » est un traitement qui entre dans la portée de la position 25.17, que les marchandises s’inscrivent directement dans la portée de la position 25.17 puisqu’il s’agit de cailloux, et qu’elles sortent de la portée du chapitre 68 puisqu’elles sont des « matériaux », et non des « ouvrages en pierre » comme en traite le chapitre 68. L’ASFC a répliqué que les marchandises étaient exclues du chapitre 25, car le « polissage » n’est pas expressément inscrit comme procédé permis dans les notes sur le chapitre 25. Le TCCE a finalement donné raison à Danson.

II. La décision en litige

[7] Pour classer les pierres de rivière comme des produits minéraux, le Tribunal a dû d’abord déterminer si « polis » par culbutage dans un tambour rotatif est inclus au sens des expressions « soumis à lévigation » ou « broyés », deux des procédés permis pour le classement des produits minéraux au chapitre 25 de l’annexe au Tarif. Le Tribunal a jugé que le témoignage d’expert rendu par un ingénieur en métallurgie pour le compte de l’ASFC relativement au sens de « soumis à lévigation » n’était pas pertinent, puisque le domaine scientifique le plus pertinent aux marchandises est la géologie. Puisqu’il n’y avait pas de preuve quant à savoir si ce procédé est connu au sein de ce domaine, le Tribunal s’est fié aux définitions générales du dictionnaire du mot « léviger » qui inclut « rendre lisse, polir ».

[8] Le Tribunal a ensuite examiné la correspondance entre Danson et son fournisseur chinois et a jugé qu’elle était admissible comme preuve par ouï-dire, car elle répondait aux critères de fiabilité et de nécessité. Sur ce fondement, il a conclu que les pierres avaient été polies et rendues lisses par culbutage dans un tonneau de polissage motorisé qui tourne sur un axe cylindrique. Il a conclu en outre que, pour que des marchandises soient soumises à une main-d’œuvre supérieure à ce que permet le chapitre 25, cette main-d’œuvre devait excéder le traitement « purement mécanique » et donner lieu à « une transformation ou à une conversion intrinsèque du produit » (décision du Tribunal, au para. 133). À son avis, ce n’était pas le cas en l’espèce :

134. Le polissage des pierres dans un tonneau rotatif est un procédé purement mécanique. Il n’entraîne aucune modification de la structure chimique ou cristalline des pierres ni de leurs propriétés intrinsèques. Les photographies produites par Danson montrent que les produits sont des « pierres » avant d’être placées dans le tonneau de polissage, et qu’elles sont toujours des « pierres » lorsqu’elles en ressortent. Les parties reconnaissent que les marchandises sont des « pierres » au moment de leur importation.

[9] Subsidiairement, le Tribunal a également examiné le classement au chapitre 68 proposé par l’ASFC, et en mettant l’accent sur le libellé de la position 68.02 et ses notes explicatives, il a conclu que le procédé supplémentaire pour que les pierres entrent dans sa portée en est la conversion en « ouvrages en pierres » :

143. À ce titre, pour que les marchandises soient à la fois exclues du chapitre 25 et correctement classées dans le chapitre 68, elles doivent avoir subi une « ouvraison » qui comprend une intervention humaine sous forme d’une application des compétences artistiques ou artisanales, de la maîtrise et du savoir-faire associés aux métiers de tailleur ou de sculpteur. On ne retrouve pas ces caractéristiques dans le traitement effectué par le fournisseur chinois de Danson. Les pierres ne sont pas polies à la main; le « polissage » découle plutôt d’un procédé purement mécanique et du mouvement aléatoire des pierres qui sont mélangées dans le tonneau. Le mouvement aléatoire de pierres dans un tonneau motorisé ne s’apparente pas au jugement, à la maîtrise et aux compétences dont ferait preuve un artisan comme un tailleur ou un sculpteur « travaillant » la pierre.

[10] Le Tribunal a donc conclu que les marchandises n’étaient pas exclues du chapitre 25 et qu’elles étaient bien classées sous la position 25.17, plus précisément sous le numéro tarifaire 2517.10.00.

III. Questions en litige

[11] Les parties conviennent que les questions en litige pour le présent appel peuvent être formulées de deux façons :

A. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en classant les pierres de rivière polies dans une disposition du Tarif incompatible avec les règles de classement tarifaire pour l’interprétation, et sans preuve à l’appui?

B. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en élargissant indûment la portée des dispositions du Tarif qui s’appliquent aux produits minéraux?

IV. Analyse

[12] Il n’y a aucun doute que la norme de contrôle applicable en appel s’applique lorsque les législatures prévoient des mécanismes d’origine législative pour en appeler des décisions administratives devant les tribunaux. Il s’agit de l’un des cas les plus nets où l’examen de la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable est réfuté : voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, aux paras. 36 à 49 (arrêt Vavilov).

[13] Par conséquent, les appels interjetés en application du paragraphe 68(1) de la Loi sur les douanes comme celui-ci ne sont plus assujettis à un examen en fonction des normes du droit administratif, mais plutôt aux termes de la norme de contrôle applicable en appel. Je suis donc d’avis que l’évaluation de la preuve, et plus précisément du témoignage d’expert, est hors du ressort de la Cour siégeant en appel des décisions du Tribunal. Puisque le paragraphe 68(1) accorde un droit d’appel prévu par la loi des décisions du TCCE à la Cour strictement sur les questions de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : arrêt Vavilov, au para. 37. La première question en litige consiste donc à examiner les motifs de l’appel afin de déterminer s’ils soulèvent bien une question de droit. Comme l’a noté la Cour dans l’arrêt Neptune Wellness Solutions c. Canada (Agence des services frontaliers), 2020 CAF 151 [2020] CarswellNat 4287 (au para. 16), il n’est pas toujours facile de déceler une question de droit isolable intégrée à une question mixte de droit et de fait. Pour déterminer si un appel interjeté en application du paragraphe 68(1) de la Loi sur les douanes pose une question de droit isolable, la Cour doit s’efforcer de déterminer la « nature essentielle » ou le « sens réel » de l’appel, et la meilleure façon d’y arriver est d’examiner l’avis d’appel et, au besoin, le mémoire des faits et du droit de l’appelant : Canada (Procureur général) c. Impex Solutions Inc., 2020 CAF 171, [2020] CarswellNat 4332, au para. 37; Keurig Canada Inc. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2022 CAF 100, [2022] CarswellNat 1814, au para. 17 (arrêt Keurig).

[14] En l’espèce, il est très évident à partir de l’avis d’appel et du mémoire de l’appelant que le sens de ce qui est soulevé se caractérise le mieux comme une question de droit et vise l’interprétation appropriée de l’annexe du Tarif, et plus précisément celle des positions 25.17 et 68.02. En effet, une bonne partie des arguments tournaient autour des divers procédés auxquels les marchandises peuvent être soumises sans être exclues du chapitre 25, et de la distinction entre « polis » et « soumis à lévigation », ce qui est clairement une question de droit. Quant à l’allégation d’absence de toute preuve à l’appui, celle-ci est souvent caractérisée comme une erreur de droit : voir Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161, [2021] CarswellNat 2923, au para. 25. Je contrôlerai donc la décision du TCCE en fonction de la norme de la décision correcte.

A. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en classant les pierres de rivière polies dans une disposition du Tarif incompatible avec les règles de classement tarifaire pour l’interprétation, et sans preuve à l’appui?

[15] Le Canada est signataire de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (R.T. Can. 1998 no 38) mise en œuvre au moyen de la liste des dispositions tarifaires établie à l’annexe du Tarif. Cette liste prévoit le classement des marchandises importées au Canada et établit le tarif auquel elles seront assujetties. Chaque marchandise importée est classée selon un nombre à huit chiffres, représentant un chapitre (les deux premiers chiffres), une position (quatre premiers chiffres), une sous-position (six premiers chiffres) et un numéro tarifaire (les huit chiffres).

[16] Conformément au paragraphe 10(1) du Tarif, le classement des marchandises est établi, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé et aux Règles canadiennes énoncées à l’annexe. L’article 11 du Tarif prévoit en outre qu’« il est tenu compte » des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et de leurs modifications publiées par l’Organisation mondiale des douanes. Contrairement au Système harmonisé et aux Règles générales, les Notes explicatives ne sont pas contraignantes, mais il faudrait quand même « à tout le moins les prendre en considération » dans le classement des marchandises importées au Canada : Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII), [2016] 2 R.C.S. 80, au para. 8.

[17] L’exercice de classement commence à la règle 1 des Règles générales, selon lesquelles le classement des marchandises sera déterminé au départ par renvoi seulement aux positions d’un chapitre, ainsi qu’à toute section ou note de chapitre pertinente. Dans certains cas, la règle 1 suffira à déterminer irréfutablement le classement des marchandises et il ne sera pas nécessaire d’avoir recours aux autres Règles générales. Si l’application de la règle 1 ne donne pas lieu au classement d’une marchandise sous une seule position, on aura recours aux autres règles par ordre hiérarchique. La seule autre règle pertinente des Règles générales à nos fins est la règle 6, qui instruit qu’une fois les marchandises classées sous une position, leur classement dans une sous-position est déterminé de la même façon, conformément aux modalités de la sous-position, de toute note de la sous-position et des Règles générales.

[18] En l’espèce, le Tribunal devait déterminer si les marchandises importées par Danson devraient être classées sous la position 25.17 comme « Cailloux (…) des types généralement utilisés pour le bétonnage ou pour l’empierrement des routes, des voies ferrées ou autres ballasts », ou sous la position 68.02 comme « Pierres de taille ou de construction (…) travaillées ». Puisque les parties semblaient s’entendre que les pierres de rivière naturelles sont des « pierres », le Tribunal semble avoir tenu pour acquis qu’elles relèvent, prima facie, du titre du chapitre 25 (« Sel; soufre; terres et pierres; plâtres, chaux et ciments »), lui-même se trouvant à la section V (« produits minéraux »). Étant donné que la note 1a) du chapitre 68 exclut spécifiquement les marchandises du chapitre 25, et qu’aucune note d’exclusion correspondante ne se trouve au chapitre 25, le Tribunal a donc conclu que l’exercice de classement devait commencer par un examen des dispositions du chapitre 25 et a mis l’accent sur les caractéristiques des marchandises en vue de déterminer si elles devraient être inclues dans les paramètres du chapitre 25 et de ses positions ou exclues de ceux-ci.

[19] L’appelant est d’avis que le Tribunal a commis une erreur en procédant ainsi, et qu’il a omis de mettre en application la règle 1 conformément à laquelle les modalités d’une position sont primordiales, parce qu’il n’a porté aucune attention aux modalités intégrales de la position 25.17. Selon l’appelant, il ne suffit pas que des pierres de rivière naturelles soient considérées comme des « cailloux »; elles doivent aussi être « des types généralement utilisés pour le bétonnage ou pour l’empierrement des routes, des voies ferrées ou autres ballasts ». Pourtant, selon l’appelant, le Tribunal ne s’est pas penché sur cette partie de la description des marchandises, et il n’y avait pas de preuve à l’appui lui permettant de conclure que les marchandises correspondaient à cette partie de la définition.

[20] Cet argument pose deux problèmes. Premièrement, je ne trouve aucune indication d’un tel argument, ni dans le mémoire de l’ASFC ni dans ses observations orales devant le Tribunal. Les observations faites par l’appelant devant le Tribunal étaient exclusivement axées sur les procédés auxquels les marchandises étaient soumises et si les pierres polies importées par Danson étaient travaillées au-delà des procédés prévus au chapitre 25. On ne peut reprocher à un décideur administratif, ni d’ailleurs à une cour d’instance, de ne pas aborder un argument qui n’a pas été présenté par une partie, et de nouveaux arguments ne seront généralement pas entendus en appel.

[21] Deuxièmement, mais surtout, la position 25.17 n’indique pas que les cailloux s’inscrivent dans la description que s’ils servent au bétonnage ou pour l’empierrement des routes, des voies ferrées ou autres ballasts, mais elle saisit plutôt toutes les pierres « des types généralement utilisés » à ces fins. Il n’y a aucun doute que les pierres de rivière, achetées en vrac, serviraient généralement pour les types de fins énumérées à la position 25.17. Cela ne les empêche pas, dans les faits, d’être aussi vendues et utilisées à d’autres fins, comme pour l’artisanat.

[22] Je conviens qu’il eut été préférable que le Tribunal traite de cette question et qu’il examine la description complète des marchandises énumérées à la position 25.17. Je suis néanmoins disposé à accepter que les marchandises en litige s’inscrivaient correctement, prima facie, dans le titre du chapitre 25 et que la position pertinente de ce chapitre était le no 25.17. Je note, entre parenthèses, que les parties ont semblé s’entendre que la position 25.17 était la position pertinente du chapitre 25 (décision du Tribunal, au para. 105). Pour cette raison, et en l’absence de tout argument à l’égard du fait que les pierres de rivière en litige pouvaient servir à d’autres fins que celles énumérées à la position 25.17, je ne crois pas qu’une preuve à l’appui était requise pour la conclusion du Tribunal qu’il s’agissait de la rubrique pertinente figurant sous le chapitre 25.

B. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en élargissant indûment la portée des dispositions du Tarif qui s’appliquent aux produits minéraux?

[23] Les aspects pertinents des notes du chapitre 25 prévoient que celui-ci traite de certains produits minéraux, comme des pierres, qui peuvent subir des procédés spécifiques, mais qui ne peuvent pas subir une main-d’œuvre supérieure à ces procédés. La note 1 du chapitre 25 est rédigée comme suit (les Notes explicatives utilisent un langage presque identique pour décrire les procédés permis pour les produits minéraux) :

Sauf dispositions contraires et sous réserve de la Note 4 ci-après, n’entrent dans les positions du présent Chapitre que les produits à l’état brut ou les produits lavés (même à l’aide de substances chimiques éliminant les impuretés sans changer la structure du produit), concassés, broyés, pulvérisés, soumis à lévigation, criblés, tamisés, enrichis par flottation, séparation magnétique ou autres procédés mécaniques ou physiques (à l’exception de la cristallisation), mais non les produits grillés, calcinés, résultant d’un mélange ou ayant subi une main-d’œuvre supérieure à celle indiquée dans chaque position.

[24] Il est évident qu’au moment de l’importation, le lavage et le tri des pierres ne les excluaient pas des positions du chapitre 25, car il s’agit de procédés qui sont spécifiquement énumérés comme permis à la note 1 du chapitre 25. La question la plus litigieuse est l’interprétation du verbe « léviger » et si le polissage des pierres est issu d’un procédé de lévigation (ou autre procédé acceptable), ou s’il est plutôt un procédé en soit qui dépasse la portée du chapitre 25. Selon son examen de la preuve et son interprétation de la note 1 du chapitre 25, le Tribunal a conclu que le polissage des pierres n’est pas un procédé qui dépasse ce que permet le chapitre 25.

[25] Le procureur général fait valoir que l’interprétation du Tribunal des procédés permis pour le classement des produits minéraux au chapitre 25 va à l’encontre de l’approche moderne de l’interprétation des lois, et du sens de ces expressions dans l’industrie minière. Plus particulièrement, il soutient que le terme « polies » n’est pas l’un des procédés spécifiques énumérés à la note 1, et qu’il n’est pas dû à une inadvertance, car le même terme est inclus expressément dans les procédés permis à la note 4 qui explique les procédés permis pour les marchandises particulières visées par la position 25.30. Le procureur général ajoute que le Tribunal a commis une erreur en rejetant le témoignage de l’ingénieur en transformation des minéraux pour aider à interpréter les termes « soumis à lévigation » et « broyés », pour le motif que le domaine scientifique le plus pertinent des marchandises est la géologie, et non la métallurgie.

[26] Sur ce dernier point, comme je l’ai déjà mentionné, je suis d’avis que la Cour n’est pas compétente pour revoir l’appréciation de la preuve par le Tribunal. En application du paragraphe 68(1) de la Loi sur les douanes, seules les questions de droit peuvent être présentées à la Cour. Ainsi, la question ultime que nous devons trancher est de savoir si les marchandises ont subi une main-d’œuvre supérieure à ce que permet le chapitre 25. Il ne fait aucun doute que le témoignage d’experts, et la décision d’accepter le témoignage d’un expert ou de préférer le témoignage d’un expert plutôt que d’un autre, peut avoir une incidence sur l’interprétation que le Tribunal donne à la position. Pourtant, sauf si le procureur général peut relever une erreur de droit isolable, il ne revient pas à la Cour de réévaluer la preuve pour déterminer si le TCCE avait raison de classer les marchandises comme il l’a fait : arrêt Keurig, au para. 37.

[27] Même si j’étais disposé à accepter, pour les fins de la discussion, que le Tribunal ait commis une erreur en concluant que la géologie était la discipline scientifique la plus pertinente aux marchandises, plutôt que la métallurgie, cela n’équivaut pas à une erreur de droit. Je ne constate non plus aucune incohérence équivalant à une erreur de droit dans la reconnaissance à titre d’expert de l’ingénieur principal en transformation de minéraux retenu par l’appelant, et en concluant que le procédé de lévigation décrit par cet expert était peu ou pas pertinent. Comme l’a concédé l’appelant, le Tribunal n’a pas établi le domaine d’expertise de l’ingénieur principal, et le Tribunal était certainement libre de conclure que son témoignage était peu utile.

[28] En l’absence d’un témoignage d’expert pertinent quant au sens de l’expression « soumis à lévigation », le Tribunal a consulté les définitions générales du dictionnaire sur cette expression et a trouvé que certaines de ces définitions incluaient « rendre lisse, polir ». Il s’est ensuite tourné vers les renseignements que Danson a obtenus de son fournisseur, et a conclu sur ce fondement que le polissage des pierres découlait d’un procédé purement mécanique. En effet, l’appelant ne conteste pas que les surfaces des pierres semblent avoir été rendues lisses après avoir culbuté dans un tonneau motorisé. Le Tribunal a reconnu que la preuve de Danson aurait pu être plus détaillée, mais il a accepté néanmoins qu’elle était suffisante pour lui permettre de tirer des inférences et des conclusions raisonnables concernant le traitement des marchandises. Je le répète, non seulement ces conclusions sont-elles des conclusions de nature factuelle que le Tribunal pouvait tirer correctement et qui étaient appuyées par une preuve, mais surtout, elles dépassent la portée du présent appel.

[29] Je suis d’accord qu’il aurait été préférable que le Tribunal traite de l’utilisation du mot « polies » comme un procédé permis dans le contexte de la note 4 du chapitre 25. Je suis toutefois d’avis que le défaut de se référer à cet argument textuel n’en mine pas indubitablement le raisonnement. Loin d’élargir indûment la portée du chapitre 25, je conclus que l’interprétation téléologique donnée à la note 1 du chapitre 25 représente exactement la portée du chapitre 25. Je suis d’accord avec le Tribunal que la caractéristique commune des procédés énumérés à la note 1 du chapitre 25 est leur nature physique ou mécanique. Comparativement aux procédés qui servent à exclure des marchandises du chapitre 25 (« grillés, calcinés, résultant d’un mélange »), il est évident que les procédés acceptables diffèrent de ceux-ci, car ils ne donnent pas lieu à une transformation intrinsèque du produit et n’entraînent pas la modification de la structure chimique des pierres ni de leurs propriétés intrinsèques. Il est clair que les roches qui sont importées ne sont intrinsèquement ni transformées ni modifiées; il s’agit essentiellement des mêmes pierres avant et après avoir été placées dans le tonneau.

[30] Enfin, un autre facteur contextuel à examiner est la position de rechange en vertu de laquelle on pourrait prétendre classer les marchandises, notamment la position 68.02. Les notes explicatives de cette position énoncent qu’elle touche « les ouvrages de tailleur, de tourneur ou de sculpteur de pierres ». Il ressort clairement de la preuve qu’il n’y a pas de telle intervention humaine relativement aux marchandises visées en l’espèce. De plus, les notes ajoutent que la pierre qui n’a pas subi de traitement supérieur « aux blocs, moellons ou plaques (tranches) bruts, simplement débités (fractionnés ou refendus), dégrossis (grossièrement équarris) ou simplement débités par sciage » relève du chapitre 25. À mon avis, les opérations exécutées par le fournisseur chinois de Danson ne sont pas supérieures aux simples procédés auxquels se limite le chapitre 25. Comme l’a noté le Tribunal, les pierres ne sont pas polies à la main ou manipulées de quelque façon méthodique, mais elles sont plutôt assujetties à un procédé mécanique rudimentaire qui n’exige aucun jugement ou aucune aptitude artistique. Je suis donc d’accord avec le Tribunal que les pierres importées par Danson n’ont pas été « travaillées » dans l’étendue qui les classerait comme des « pierres de taille travaillées » aux fins de la position 68.02.

[31] À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que le Tribunal a commis une erreur de droit en classant les marchandises sous la position 25.17. Non seulement les marchandises ne sont-elles pas exclues du chapitre 25, mais il n’existe aucune autre solution de rechange, car elles ne correspondent clairement pas à la position 68.02. Puisque les marchandises sont admissibles pour le classement à la position 25.17, il n’y a aucun désaccord que la seule sous-position pertinente est la position 2517.10.00. Par conséquent, l’appel devrait être rejeté avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

René LeBlanc, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-450-19

 

INTITULÉ :

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA c. DANSON DÉCOR INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 octobre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Luc Vaillancourt

David Di Sante

 

Pour l’appelant

 

Michael Taylor

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’appelant

 

Lapointe Rosenstein Marchand Melançon S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimée

 

 

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