Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230104


Dossier : A-102-20

Référence : 2023 CAF 2

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présente : LA JUGE GLEASON

ENTRE :

DROITS DES VOYAGEURS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intervenant

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20230104


Dossier : A-102-20

Référence : 2023 CAF 2

Présente : LA JUGE GLEASON

ENTRE :

DROITS DES VOYAGEURS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intervenant

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE GLEASON

[1] Je suis saisie de trois requêtes concernant la divulgation de documents dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[2] La première requête est présentée par le demandeur en vue d’obtenir une ordonnance exigeant que :

  • l’Office des transports du Canada (l’OTC) mène des recherches supplémentaires afin de trouver des documents permettant de répondre aux ordonnances de divulgation rendues précédemment dans la présente affaire;

  • l’OTC produise les documents obtenus dans le cadre des recherches précitées, le défendeur présente toute autre requête relative aux revendications de privilège à l’égard de ces documents, et que l’OTC rende compte à la Cour et aux parties de ses efforts de recherche, le tout en conformité avec les échéanciers et les modalités détaillés dans l’avis de requête du demandeur;

  • l’OTC produise les documents que le demandeur a appelés [traduction] « documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 » et [traduction] « courriels Jones-Cuber »; et

  • Transports Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour préserver les documents pertinents dans le cadre de la présente demande.

[3] La deuxième requête est présentée par le défendeur et, dans l’éventualité où les [traduction] « documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 » et les [traduction] « courriels Jones-Cuber » soient jugés pertinents, recherche une ordonnance qui les exempteront de divulgation en raison d’un privilège. Conformément aux ordonnances précédentes dans cette affaire, le défendeur a signifié et déposé une version publique de cette requête, ainsi qu’une version confidentielle qui comprend des copies non expurgées des deux documents en question.

[4] La troisième requête est présentée par le demandeur qui souhaite déposer un affidavit supplémentaire de M. Lukács pour ajouter des renseignements d’Entrust sur le déverrouillage de documents chiffrés. Cette requête a été déposée après que l’OTC ait déposé ses documents en réponse à la première requête du demandeur. Le demandeur allègue que cet affidavit supplémentaire permet de répondre à des éléments du dossier de réponse de l’OTC.

I. Contexte

[5] Un rappel des faits est nécessaire pour mettre toutes ces requêtes en perspective.

[6] Dans sa demande de contrôle judiciaire sous-jacente en l’espèce, le demandeur conteste une déclaration concernant les crédits qui a été publiée sur le site Web de l’OTC le 25 mars 2020, peu après le début de la pandémie de COVID-19. L’OTC a estimé dans cette déclaration que les compagnies aériennes pourraient accorder des crédits aux passagers plutôt que de les rembourser pour les vols annulés en raison de la pandémie.

[7] Le demandeur allègue, entre autres, que la publication de la déclaration concernant les crédits soulève une crainte raisonnable de partialité pour deux raisons : d’abord, parce qu’elle démontre un jugement préalable des plaintes qui pourraient donner lieu à une demande de remboursement de la part des passagers dont les vols ont été annulés; et ensuite, parce que des tiers ont influencé l’élaboration de la déclaration.

[8] Dans son avis de demande, déposé le 9 avril 2020, le demandeur a demandé à l’OTC de divulguer diverses catégories de documents en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, concernant la déclaration sur les crédits. À l’époque, les documents demandés n’incluaient pas les communications entre le personnel du CTA et les tiers. Au contraire, dans la mesure où il s’agit de communications à destination ou en provenance du personnel du CTA (par opposition à son président, son vice-président ou ses membres), la divulgation demandée ne comprenait que les communications concernant la déclaration entre le personnel du CTA et les passagers ou entre le personnel du CTA et l’industrie du voyage.

[9] Le demandeur a ensuite présenté une requête le 3 janvier 2021, dans laquelle certains aspects de la portée de la demande de divulgation de documents avaient été élargis et d’autres réduits. Dans sa requête, il a demandé la divulgation de tous les documents en possession de l’OTC relativement à la déclaration concernant les crédits durant la période du 9 mars au 28 avril 2020.

[10] Après le règlement d’autres affaires qui ne sont pas pertinentes en ce qui concerne ces requêtes, la Cour a rendu une ordonnance le 15 octobre 2021, en application de la règle 318 des Règles des Cours fédérales, obligeant l’OTC à divulguer au demandeur :

a) tous les documents qui ne sont pas protégés par un privilège et qui sont envoyés à un membre de l’OTC ou par celui-ci (y compris son président ou son vice-président) entre le 9 et le 25 mars 2020 relativement au message concernant les crédits, publié sur le site Web de l’OTC le 25 mars 2020;

b) tous les documents qui ne sont pas protégés par un privilège et qui sont envoyés à un tiers par l’OTC ou reçus d’un tiers par l’OTC entre le 9 et le 25 mars 2020 relativement au message concernant les crédits, affiché sur le site Web de l’OTC le 25 mars 2020; et

c) tous les documents qui ne sont pas protégés par un privilège concernant les réunions auxquelles a assisté un membre de l’OTC (y compris son président ou son vice-président) entre le 9 et le 25 mars 2020, durant lesquelles le message concernant les crédits a fait l’objet de discussions.

[11] Des désaccords ont été soulevés quant à la portée de l’ordonnance qui précède et le demandeur a présenté une autre requête demandant, entre autres, une ordonnance de divulgation de documents plus détaillée.

[12] Le 11 avril 2022, la Cour a accueilli en partie la requête et a ordonné à l’OTC de divulguer, entre autres, des documents qui ne sont pas protégés par un privilège relativement aux appels auxquels les membres de l’OTC, le président ou le vice-président ont participé et pendant lesquels ils ont parlé du message concernant les crédits durant la période couverte par l’ordonnance de divulgation de documents du 15 octobre 2021. Parmi ces appels, l’un d’entre eux a été classé par le demandeur dans ses documents de requête comme étant le C5. Cet appel a eu lieu le 22 mars 2020.

[13] Les documents que le demandeur a appelés [traduction] « documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 » et les [traduction] « courriels Jones-Cuber » ont été diffusés peu de temps après l’appel du 20 mars 2020. À moins d’être protégés par un privilège, ils feraient partie des documents visés par l’ordonnance du 11 avril 2022, étant considérés comme de [traduction] « la correspondance relative aux décisions et aux résultats attendus au cours de la réunion », comme indiqué au point C5e) dans l’annexe de l’ordonnance du 11 avril 2022.

[14] L’ordonnance du 11 avril 2022 exigeait aussi que la personne à l’OTC responsable de veiller au respect de l’ordonnance du 15 octobre 2021 signifie et dépose un affidavit expliquant les mesures que l’OTC a prises pour s’assurer que la divulgation des documents demandés soit faite parce que l’OTC avait, entre autres, indiqué qu’il ne possédait plus certains courriels chiffrés qui ont été échangés entre Transports Canada et l’OTC pendant la période couverte par l’ordonnance du 15 octobre 2021 relativement au message concernant les crédits.

[15] Les motifs de l’ordonnance du 11 avril 2022 indiquaient que cet affidavit devait porter sur les points suivants :

a) comment l’OTC a réduit les milliers de pages de documents à moins de deux cents pages qu'il avait divulguées;

b) quelles mesures ont été prises, le cas échéant, pour rassembler et/ou conserver les documents après avoir reçu l'avis de demande le 9 avril 2020;

c) quel est l’employé de l’OTC qui a effectué la recherche de documents;

d) si l’OTC a examiné ses courriels ou ses documents codés;

e) quels sont les systèmes de conservation des documents dont dispose l'OTC et si tous ces systèmes ont été consultés à la recherche de documents pertinents;

f) si l’OTC dispose des copies de sauvegarde ou d’archives de ses courriels et d’autres documents électroniques, et si ces copies de sauvegarde ou archives ont été consultées;

g) si l’OTC a mené une enquête après avoir appris que certains documents n’existaient plus, et si des mesures ont été prises pour récupérer ces documents; et

h) si le système d’audioconférence ou de vidéoconférence de l’OTC est doté d'une fonction d'enregistrement et si les conférences tenues entre le 9 et le 25 mars 2020 ont été enregistrées.

[16] D’autres désaccords entre le demandeur et l’OTC sont survenus concernant la portée de la divulgation des documents requise et les dispositions prises pour le contre-interrogatoire de Mme Cuber, l’auteure de l’affidavit en question. Ces désaccords ont mené à la délivrance d’une autre ordonnance le 19 juillet 2022, après le dépôt d’autres requêtes dans lesquelles le demandeur demandait entre autres de faire respecter une demande de divulgation de documents contenue dans une assignation à comparaître signifiée par le demandeur à Mme Cuber, lui demandant d’apporter plusieurs autres documents à son contre-interrogatoire.

[17] Cette demande a été en grande partie rejetée parce que j’ai jugé que la demande de divulgation de tous les documents que l’OTC s’opposait à fournir n’était pas fondée, mis à part la demande de divulgation des documents contenant les mots-clés cherchés lors de la recherche électronique dans les documents (points 9 et 13 de l’assignation à comparaître) et les documents qui pourraient nous expliquer quand et comment les courriels chiffrés originaux échangés entre l’OTC et Transports Canada relativement au message concernant les crédits ont été supprimés (point 12 de l’assignation à comparaître). Mme Jones, qui était à l’époque la dirigeante principale de la stratégie de l’OTC, a reçu l’un de ces courriels chiffrés supprimés de l’échange. L’autre courriel chiffré a été envoyé à l’un de ses subalternes.

[18] Le contre-interrogatoire de Mme Cuber a eu lieu le 16 septembre 2022 et a duré presque une journée complète. Pendant son contre-interrogatoire, Mme Cuber a témoigné qu’elle avait échangé avec Mme Jones des courriels pertinents pour les ordonnances de divulgation de documents de la Cour, sur lesquels elle s’est appuyée lors de sa recherche de documents. Cet échange de courriels correspond à ce que le demandeur a appelé [traduction] « courriels Jones-Cuber ».

[19] Mme Cuber a plus précisément indiqué à la question 48 (page 304 du dossier de requête du demandeur déposé le 14 novembre 2022) que Mme Jones [TRADUCTION] « [lui] avait dit pendant [cet] échange où trouver ses documents en réponse à la demande et qu’elle ne savait rien au sujet des autres documents ». Elle a ajouté ce qui suit aux questions 146 et 147 (pages 331 et 332 du dossier de requête du demandeur déposé le 14 novembre 2022) :

[TRADUCTION]

146. Q. Entre le 15 octobre 2021 et aujourd’hui, avez-vous tenté de joindre Mme Marcia Jones pour lui demander des documents ou lui demander de l’aide pour fournir ou trouver des documents pour l’ordonnance d’octobre, d’avril ou de juillet?

R. Non, parce que nous avions déjà eu un échange à ce sujet en janvier 2021 et je savais où trouver les documents en réponse à la demande dont elle n'avait pas connaissance.

147. Q. Que voulez-vous dire par « dont elle n'avait pas connaissance»?

R. Elle a indiqué qu’elle ne savait rien sur les procès-verbaux de réunions ou les notes de service relativement au message concernant les crédits et que les documents en réponse à la demande avaient été obtenus lors de recherches pour des demandes d’accès à l’information.

[20] Le témoignage de Mme Cuber établit qu’elle a pris plusieurs mesures pour effectuer sa recherche des documents en réponse à l’ordonnance de divulgation. Elle a d’abord examiné les résultats de recherche de deux demandes de divulgation de documents antérieures présentées en application de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (les demandes d’AIPRP).

[21] La première demande d’AIPRP a été reçue par l’OTC le ou vers le 5 mai 2020. Les documents demandés sont décrits comme des documents de référence de réunions, des notes et des échanges non publiés, pendant la période du 1er juin 2019 au 25 mars 2020 qui ont mené l’OTC à suspendre l’application de certaines dispositions de la déclaration des droits des passagers le 13 mars 2020 et à publier le message concernant les crédits le 25 mars 2020.

[22] La deuxième demande d’AIPRP a été reçue par l’OTC le ou vers le 25 août 2020 et a été présentée par le président du demandeur, M. Gabor Lukács. Cette demande visait [traduction] « tous les documents, y compris les courriels, les notes, les procès-verbaux de réunions, la correspondance interne et tout autre document écrit concernant la rédaction, la révision, l’approbation ou la publication du message concernant les crédits » pendant la période du 11 mars 2020 au 9 avril 2020.

[23] Mme Cuber a également affirmé dans son affidavit qu’elle avait consulté une série de documents dans le système de gestion des dossiers, des documents et de l’information (SGDDI) de l’OTC qui avaient été préservés en avril 2021 en réponse à une demande présentée en mars 2021 par le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes pour la divulgation des communications entre l’OTC et Transports Canada, y compris le cabinet du ministre des Transports, au sujet des billets d’avion annulés.

[24] Mme Cuber a affirmé qu’elle avait aussi demandé qu’une nouvelle recherche électronique soit faite dans les comptes Outlook de tous les membres du personnel de l’OTC en novembre 2021, ainsi que des recherches manuelles dans certains comptes Outlook et le SGDDI, et a tenu plusieurs discussions à ce sujet avec le personnel de l’OTC, y compris l’équipe de la Gestion de l’information et des technologies. Parmi les termes de recherche utilisés pour certaines de ces recherches supplémentaires figurait une recherche de courriels ayant pour objet « From MinO », alors que d’autres documents divulgués indiquaient qu’il s’agissait de l’objet d’au moins un des courriels chiffrés qui n’a pas pu être récupéré.

[25] Pendant le contre-interrogatoire de Mme Cuber, il est devenu évident que l’une des recherches électroniques effectuées par l’OTC contenait une erreur typographique.

[26] Le demandeur a demandé que plusieurs engagements soient pris pendant le contre-interrogatoire, y compris une demande pour que certaines recherches électroniques supplémentaires soient effectuées. L’OTC a pris ces demandes en considération et a par la suite effectué des recherches électroniques dans les comptes Outlook de tout le personnel de l’OTC et dans le SGDDI pour la période du 9 au 25 mars 2020 en utilisant les mots-clés de recherche : « refund* OU voucher* OU rembourse* OU crédit ». Plusieurs milliers de documents ont été obtenus et examinés. Seul un document supplémentaire visé par les ordonnances de divulgation qui n’avait pas encore été divulgué a été découvert. L’OTC a fourni ce document, ainsi que tous les détails de ces recherches au demandeur.

[27] Aucune de ces diverses recherches effectuées avant et après le contre-interrogatoire de Mme Cuber n’a permis de trouver les courriels chiffrés échangés entre l’OTC et Transports Canada. L’OTC a admis qu’ils ont existé, mais n’est pas parvenu à les trouver.

[28] Mme Jones et le président de l’OTC, M. Streiner, ont quitté l’OTC en juin 2021. À ce moment, le compte Outlook de chacun a été fermé définitivement.

[29] Dans son affidavit, M. Guindon, le gestionnaire des opérations informatiques de l’OTC, a expliqué qu’il était impossible de faire des recherches dans les comptes Outlook d’employés ayant quitté l’organisation et que les disques de sauvegarde ne sont conservés que pendant une courte période. Les disques couvrant la période du 9 au 25 mars 2020 n’existaient plus lorsque la première ordonnance de divulgation a été délivrée dans cette affaire.

[30] M. Guindon a également expliqué que la fonction de recherche électronique dans les comptes de courriel ne pourrait pas accéder au corps des courriels chiffrés à moins qu’ils aient été déchiffrés par le destinataire. Cependant, l’objet de ces courriels pourrait faire l’objet d’une recherche. Comme je l’ai indiqué, une recherche de l’objet d’au moins un des courriels chiffrés que l’OTC n’a pas réussi à trouver a été effectuée.

II. Documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 et les courriels Jones-Cuber

[31] En gardant ce contexte à l’esprit, je vais maintenant évaluer les requêtes qui m’ont été présentées. Il convient d’examiner d’abord la demande de divulgation des [traduction] « documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 » et les [traduction] « courriels Jones-Cuber ».

[32] Après avoir examiné les deux documents, qui ont été présentés de façon confidentielle, j’ai déterminé qu’une portion des [traduction] « courriels Jones-Cuber » doit être divulguée au demandeur, mais que les [traduction] « documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 » ne doivent pas être divulgués.

[33] Les [traduction] « courriels Jones-Cuber » sont une chaîne de courriels échangés entre Mme Jones et Mme Cuber, avocate principale de l’OTC. Pendant le contre-interrogatoire de Mme Cuber, le demandeur a demandé un engagement de l’OTC à produire les [traduction] « courriels Jones-Cuber ». L’OTC a pris la demande en délibéré et a plus tard refusé de divulguer les courriels échangés, affirmant qu’ils n’étaient pas pertinents et étaient protégés contre la divulgation pour des raisons de privilège. Le défendeur, conformément aux jugements antérieurs dans cette affaire, a déposé des observations sur la question du privilège.

[34] En ce qui concerne la pertinence, les passages cités ci-dessus du contre-interrogatoire de Mme Cuber indiquent qu’elle s’est fiée aux [traduction] « courriels Jones-Cuber » pour la recherche de documents de Mme Jones. Comme je l’ai mentionné précédemment, Mme Jones a reçu l’un des courriels chiffrés échangés entre l’OTC et Transports Canada au sujet des crédits pendant la période couverte par les ordonnances de divulgation que l’OTC n’est pas parvenu à récupérer. Le fil de discussion contenant l’autre message chiffré perdu a été envoyé à l’un de ses subalternes.

[35] Un fondement suffisant a donc été posé pour la divulgation des portions de cette chaîne de courriels à laquelle Mme Cuber a fait référence pendant son contre-interrogatoire. Conformément aux ordonnances rendues plus tôt pour cette affaire, l’OTC devait déposer un affidavit pour expliquer sa recherche de documents et le demandeur pouvait contre-interroger l’auteure de l’affidavit sur la question de la suffisance des recherches. Ces ordonnances ont rendu les portions de la chaîne de courriels auxquelles Mme Cuber s’est fiée pertinentes parce qu’elles concernent la recherche de documents qui a été mise en cause par les ordonnances précédentes. Par conséquent, les portions des [traduction] « courriels Jones-Cuber » auxquelles Mme Cuber s’est référée sont visées par la divulgation à moins d’être protégées par un privilège.

[36] Le défendeur a fait valoir que les [traduction] « courriels Jones-Cuber » sont exempté de la divulgation en raison du privilège du secret professionnel de l’avocat et du privilège relatif au litige. Je conviens que le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique à la portion de la chaîne de courriels dans laquelle des conseils juridiques sont demandés et offerts, mais je juge que le demandeur a renoncé à son privilège pour la partie de cette portion de l’échange de courriels à laquelle Mme Cuber a fait référence lors de son contre-interrogatoire. Je juge aussi que le reste des [traduction] « courriels Jones-Cuber » ne sont pas protégé par le privilège relatif au litige.

[37] Plus précisément, en ce qui concerne la question du privilège du secret professionnel de l’avocat, le passage du paragraphe 70 de la décision de la Cour fédérale intitulée Right to Life Association of Toronto and Area v. Canada (Employment, Workforce and Labour), [2019] F.C.J. No. 1636, 2019 CanLII 9189 (F.C.) cité par le défendeur résume bien les limites de ce privilège. Ce passage est rédigé ainsi :

[traduction]

Les critères pour déterminer si le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique à une communication sont que : (1) il doit s’agir d’une communication entre un avocat et son client; (2) qui comporte une consultation ou un avis juridiques (3) que les parties considèrent comme confidentielle et (4) qui ne doit pas avoir eu pour but de favoriser un comportement illégal : voir l’arrêt Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 RCS 821, à la p. 835; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 RCS 809, 2004 CSC 31, au para. 15 [arrêt Pritchard]; arrêt Slansky, au para. 74. Il est reconnu que la consultation juridique inclut non seulement le fait d’expliquer le droit à un client, mais également la prestation de conseils « sur les mesures raisonnables et prudentes à prendre dans le contexte juridique en cause » (arrêt Slansky, au para. 77).

[38] Les [traduction] « courriels Jones-Cuber » contiennent deux échanges dans lesquels Mme Jones a demandé un avis juridique et Mme Cuber lui en a offert un. Compte tenu du contexte, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que nous pouvons conclure que ces communications étaient considérées comme confidentielles dans la mesure où elles ne devaient pas être communiquées en dehors de l’OTC et rien n’indique qu’elles auraient eu pour but de favoriser un comportement illégal. Par conséquent, à moins d’une renonciation au privilège, le privilège du secret professionnel de l’avocat empêcherait la divulgation de ces passages dans les [traduction] « courriels Jones-Cuber ».

[39] En ce qui concerne le privilège relatif aux litiges, ce privilège a été élaboré à l’origine pour permettre aux avocats de préparer leurs dossiers en toute confidentialité. Il s’applique aussi aux documents et communications dont l’objet principal est la préparation d’un litige (Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52, aux paras. 19 à 25, 404 D.L.R. (4th) 389; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, au para. 60, 270 D.L.R. (4th) 257; Webasto Product North America Inc. c. Shasta Equities Ltd., 2014 CAF 135, au para. 25, 374 D.L.R. (4th) 757).

[40] Un examen des [traduction] « courriels Jones-Cuber » indique que l’objet principal de sa création n’était pas la préparation du présent litige ou d’un autre litige. Il ne ressemble pas du tout aux genres de documents pour lesquels le privilège relatif au litige est habituellement évoqué, comme les dossiers d’avocats, les communications avec des experts tiers et des témoins, des évaluations de dossiers, des discussions stratégiques et autres documents semblables. Les [traduction] « courriels Jones-Cuber » découlaient plutôt d’une enquête quant à la nature d’une étape dans ce litige et on y demandait une copie du dossier d’une requête accessible au public qui avait été signifiée à l’OTC. Le document n’a pas été créé dans le but de faire progresser le litige. Par conséquent, je conclus que les deux premiers courriels envoyés dans la chaîne des [traduction] « courriels Jones-Cuber » ne sont pas protégés par le privilège relatif au litige.

[41] J’aborderai maintenant la question de la renonciation. Un client peut renoncer à son privilège de manière intentionnelle ou implicite. Le dernier sera le cas s’il soumet une communication qui, dans d’autres circonstances, serait protégée par un privilège pour soutenir sa position dans l’instance (voir, par exemple, Simcoff v. Simcoff, 2009 MBCA 80, aux paras. 25 à 30, 179 A.C.W.S. (3d) 218; Verney v. Great-West Life Assurance Co., 38 O.R. (3d) 474, 77 A.C.W.S. (3d) 1154 (O.N.S.C.); R. v. Smithen-Davis, 2021 ONCA 731, 175 W.C.B. (2d) 142; R. c. Campbell, [1999] 1 RCS 565, aux paras. 46 à 48, 171 D.L.R. (4th) 193; et l’ouvrage de Sidney N. Lederman, Michelle K. Fuerst et Hamish C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant: The Law of Evidence in Canada, 6e éd. (Toronto : LexisNexis Canada, 2018), au para. 14.163).

[42] En l’espèce, l’OTC, dans le témoignage produit en réponse à l’ordonnance antérieure de la Cour, a mis en cause les parties des [traduction] « courriels Jones-Cuber » auxquelles Mme Cuber a fait référence pour témoigner de la suffisance de ses recherches de documents. Mme Cuber a mentionné la chaîne de courriels plusieurs fois pendant son contre-interrogatoire dans sa réponse aux questions concernant la suffisance de ses recherches des courriels chiffrés. Elle a invoqué les renseignements qui lui ont été communiqués dans les [traduction] « courriels Jones-Cuber » pour expliquer qu'elle avait compris quels documents existaient et qu'il n'était pas nécessaire de demander plus d'informations. Elle a donc mis en cause le contenu de ces messages par ailleurs privilégiés dans la chaîne où étaient discutés les documents en possession de Mme Jones. Par conséquent, la renonciation couvre le courriel de Mme Jones dans lequel elle formule la demande d’avis et discute des documents qu’elle détenait, mais pas la réponse de Mme Cuber qui contient l’avis et n’aborde pas les documents.

[43] Donc, pour résumer, toutes les portions de la chaîne des [traduction] « courriels Jones-Cuber » doivent être divulguées au demandeur à l’exception du dernier courriel que Mme Cuber a envoyé à Mme Jones daté du 5 janvier 2021 à 17 h 39, qui est protégé par un privilège et ne mentionne pas les documents en possession de Mme Jones. Les courriels précédant dans la chaîne ne sont pas visés par un privilège ou il y a eu une renonciation au privilège.

[44] L’OTC doit divulguer les courriels qui précèdent au demandeur dans un délai de dix jours à compter de la date des présents motifs.

[45] Passons aux documents que le demandeur a appelés [traduction] « documents retenus de la séance d'information urgente C-5 ». Les portions caviardées de ce document sont protégées par le privilège du secret professionnel de l’avocat et le privilège du délibéré, puisqu’un avis juridique a été demandé et rendu pour une affaire qui a fait l’objet d’une décision rendue ultérieurement par l’OTC. De plus, l’OTC indique dans ses observations que, même si l’affaire des crédits est mentionnée dans ces documents, les [traduction] « documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 » concernent principalement l’article 64 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, chapitre 10, qui n’est toutefois pas en litige en l’espèce. Par conséquent, ces documents sont de faible pertinence pour la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente dans cette affaire. Ainsi, les [traduction] « documents retenus relatifs à l’appel de compte rendu d’urgence C-5 » n’ont pas besoin d’être divulgués.

III. Les autres demandes du demandeur dans la première et la troisième requête

[46] Je passe maintenant aux questions restantes. J’ai déterminé que le reste des demandes formulées par le demandeur devrait être rejeté parce que le demandeur n’a pas réussi à établir qu’elles divulgueraient des documents autres que ceux qui ont déjà été divulgués. L’OTC a consacré beaucoup de temps et des efforts considérables à communiquer des documents à l’appelant.

[47] À cet égard, le demandeur n’a pas réussi à établir que les mesures supplémentaires qu’il suggère pour tenter de trouver les courriels et fouiller les téléphones ou les ordinateurs de Mme Jones ou de M. Streiner seraient susceptibles de mener à de nouvelles divulgations et même à établir s’il était possible de trouver ce matériel. Le demandeur n’a pas non plus établi comment des mots-clés de recherche différents pour une recherche électronique seraient susceptibles de mener à de nouvelles divulgations. Je note aussi que le demandeur n’a pas mentionné les mots-clés de recherche qu’il demande d’utiliser dans son avis de requête, son dossier de requête ou le contre-interrogatoire de Mme Cuber. Au lieu de cela, il propose de nouveaux mots-clés de recherche dans sa réponse, ce qui a empêché l’OTC de présenter des éléments de preuve pour ceux-ci.

[48] Compte tenu de l’ampleur des recherches déjà effectuées par l’OTC et de l’impossibilité de faire des recherches dans les boîtes de réception des membres du personnel qui ont quitté l’OTC, aucun élément démontre l’utilité de prendre les mesures supplémentaires que le demandeur souhaite voir imposer à l’OTC. Les mesures demandées ne sont rien de plus qu’une recherche à l’aveuglette.

[49] Pour ce qui est de la demande qu’une ordonnance soit rendue à l’égard de Transports Canada pour la préservation de documents, comme le défendeur l’indique, aucun fondement ne permet d’en arriver à une telle ordonnance. Une divulgation a été ordonnée jusqu’à présent dans cette affaire en application de la règle 318 des Règles des Cours fédérales et oblige l’OTC à fournir certains types de documents en sa possession, sous son contrôle ou sous sa garde. Rien dans la règle 318 ne permet de rendre une ordonnance de préservation de documents en ce qui concerne les documents entre les mains d’un tiers. Cette demande sera donc également rejetée.

[50] En fin de compte, rien ne justifie d’accepter l’affidavit supplémentaire que le demandeur souhaite déposer. Autrement dit, comme j’ai déterminé que l’OTC n’a pas besoin d’effectuer d’autres recherches de documents, la question du déverrouillage des documents chiffrés ne se pose pas.

[51] Par conséquent, la première requête du demandeur et la requête du défendeur sont accueillies en partie selon les modalités ci-dessus et la requête du demandeur visant à présenter d’autres éléments de preuve est refusée. Comme dans les affaires précédentes de cette nature, les dépens afférents aux présentes requêtes suivront l’issue de la cause.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-102-20

INTITULÉ :

DROITS DES VOYAGEURS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

REQUÊTES JUGÉES SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

Le 4 janvier 2023

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Simon Lin

AVOCAT DU demandeur

J. Sanderson Graham

AVOCAT DU DÉFENDEUR

Kevin Shaar

AVOCAT DE L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

Direction des services juridiques

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

Pour l’intervenant

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.