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Date : 20220906


Dossier : A-98-21

Référence : 2022 CAF 153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

appelant

et

PREVENTOUS COLLABORATIVE HEALTH,

PROVITAL HEALTH et COPEMAN HEALTHCARE CENTRE

intimés

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 6 septembre 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20220906


Dossier : A-98-21

Référence : 2022 CAF 153

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

appelant

et

PREVENTOUS COLLABORATIVE HEALTH,

PROVITAL HEALTH et COPEMAN HEALTHCARE CENTRE

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2022.)

LE JUGE STRATAS

[1] Quelqu'un a demandé, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi), la transmission de documents. Certains de ces documents concernent des tiers – Preventous Collaborative Health, Provital Health et Copeman Healthcare Centre. Ces documents sont en la possession de l’appelant, le ministre, lequel avait l’intention de les transmettre conformément à la demande.

[2] Les tiers ont répondu en intentant un recours à la Cour fédérale en application de l’article 44 de la Loi, afin d’empêcher la transmission de ces documents. L’article 44 de la Loi permet à des tiers susceptibles d’être touchés d’« exercer un recours en révision ».

[3] Les tiers ont ensuite déposé une requête en application de la Règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), afin d’obtenir du ministre la communication de certains renseignements. Cette requête relève davantage d’une tentative de mettre la main sur les documents recueillis par le ministre en réponse à la demande, ainsi que d’autres renseignements, notamment ceux attestant de consultations que le ministre a eues avec d’autres personnes.

[4] Le ministre s’est opposé à la requête présentée en application de la Règle 317, en faisait valoir que l’instance devant la Cour fédérale ne constituait pas un contrôle judiciaire de la décision du ministre, que le recours à cette disposition était un moyen détourné de contraindre la communication préalable et que la requête était trop générale et mal à propos. Les tiers ont répondu en sollicitant de la part de la Cour fédérale une ordonnance portant exécution de leur requête présentée au titre de la Règle 317.

[5] La protonotaire Ring de la Cour fédérale a rejeté la requête des tiers au motif que la Règle 317 des Règles ne s’appliquait pas aux recours prévus à l’article 44 de la Loi.

[6] Dans le cadre d’un appel interjeté en application de la Règle 51, la Cour fédérale (sous la plume du juge Bell) a infirmé la décision de la protonotaire et conclu que la Règle 317 s’appliquait aux recours prévus à l’article 44 de la Loi : 2021 CF 253. Le ministre interjette maintenant appel.

[7] Le présent appel devrait être accueilli pour les motifs qui suivent.

[8] La Règle 317 dispose que « [t]oute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande [...] ». La Règle 317 se veut un moyen par lequel la partie qui demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un tribunal administratif peut demander la production du dossier du tribunal afin que la cour de révision puisse en être saisie.

[9] Comme l’a conclu la protonotaire, la Règle 317 ne s’applique pas en l’espèce. Pour reprendre le libellé de la Règle 317, il n’existe en l’espèce aucune « ordonnance [qui] fait l’objet de la demande ». Qui plus est, les tiers ont présenté un recours prévu à l’article 44 de la Loi, et non une demande de contrôle judiciaire; or, comme je l’explique dans les présents motifs, les recours prévus à l’article 44 diffèrent des demandes de contrôle judiciaire. Dans le cas du premier, il n’y a pas de dossier susceptible d’être transmis conformément à l’article 317 des Règles comme dans le cas d’un contrôle judiciaire.

[10] Les tiers ont fait valoir à l’audience que [traduction] « l’intérêt de la justice » permet d’invoquer l’article 317 des Règles pour obtenir la transmission de documents qui sont en la possession du ministre. La jurisprudence confirme que ce n’est pas le cas et que cette disposition ne permet rien d’autre que d’obtenir le dossier d’un administrateur dans le cadre d’un contrôle judiciaire : 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national), [1999] A.C.F. no 1432 (QL); Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224 au para. 17; Atlantic Prudence Fund Corp. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1156 (QL) au para. 11; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para. 115.

[11] Des tiers qui veulent empêcher une institution fédérale de transmettre, en application de la Loi, des renseignements qui les concernent, peuvent, lorsque l’institution les a informés qu’elle a l’intention de transmettre les renseignements, exercer le recours prévu à l’article 44 de la Loi. C’est ce qu’ont fait les tiers en l’espèce. Il leur était loisible de procéder ainsi.

[12] Il convient toutefois de rappeler que le recours prévu à l’article 44 ne constitue pas un contrôle judiciaire d’une décision administrative et qu’il s’agit plutôt, pour reprendre le libellé de l’article 44, d’un nouveau « recours en révision ». La « révision » a pour but de déterminer si les renseignements demandés devraient être transmis. Dans un grand nombre d’affaires, l’importante question qui se pose est de savoir si les exceptions prévues par la Loi s’appliquent : Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23 aux para. 53 et 250.

[13] L’article 44.1 de la Loi, édicté récemment, étaye une telle interprétation. L’article 44.1 dispose que les recours auprès de la Cour fédérale « sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire ». L’instance ne porte pas sur ce que le détenteur des renseignements demandés, en l’occurrence le ministre, a ou n’a pas fait, ou devrait ou aurait dû faire. Ces questions ressortissent à une demande de contrôle judiciaire, et non au recours prévu à l’article 44. Ce dernier intéresse plutôt la question de savoir si les renseignements demandés devraient être transmis à l’auteur de la demande. Voir l’arrêt Merck Frosst.

[14] L’article 44.1 dispose que la Cour fédérale doit entendre les éléments de preuve comme s’il s’agissait d’une « nouvelle affaire »; en d’autres termes, le dossier de preuve doit être monté de toutes pièces, et ce dossier ne se limite pas à ce qui a été présenté au ministre ou au commissaire à l’information. De plus, les observations des parties en Cour fédérale ne concernent pas seulement ce qui a été présenté au ministre ou au commissaire à l’information, comme ce serait le cas dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Au contraire, les parties sont libres de présenter des observations sur l’opportunité de la transmission des renseignements prévue par la Loi. Après avoir pris connaissance des observations, la Cour fédérale doit tirer ses propres conclusions de fait à la lumière de ce nouveau dossier de preuve, puis elle doit examiner ce dossier au regard des dispositions de la Loi et de la jurisprudence pour finir par déterminer si les renseignements devraient être communiqués. Bref, comme il ressort de nombreuses affaires, la Cour fédérale procède de ce fait à un examen de novo : voir, par exemple, l’arrêt Merck Frosst aux para. 53, 250 et 251 et la jurisprudence qui y est mentionnée.

[15] Cette interprétation de l’article 44.1 est corroborée, non seulement par le libellé même de la Loi et les motifs de l’arrêt Merck Frosst, mais aussi par l’énoncé précis de l’objet de la Loi, suivant lequel les décisions quant à « la communication [sont] susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif » : alinéa 2(2)a). Le fait que la Cour fédérale, indépendante et impartiale, soit investie du pouvoir de révision de novo de la transmission de renseignements détenus par l’administration fédérale favorise cet objet.

[16] Des précisions sur la manière de constituer le dossier de preuve seront utiles aux parties en l’espèce et à celles qui exerceront des recours prévus à l’article 44 à l’avenir.

[17] La partie 5 des Règles énonce la marche à suivre pour la présentation des demandes : voir la Règle 300b) des Règles qui s’applique « aux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande [...] ». Sous le régime de cette partie, les parties sont habilitées par les Règles 306 et 307 à signifier des affidavits, par la Règle 308 à mener des contre-interrogatoires et par les Règles 309 et 310 à déposer des dossiers.

[18] De plus, dans le cadre d’une requête déposée sur avis signifié à toutes les parties concernées, la Cour fédérale peut ordonner la production de la preuve nécessaire pour permettre que la demande soit véritablement entendue et tranchée : voir, de façon générale, l’arrêt Tsleil-Waututh Nation, ci-dessus. La demande présentée en application de l’article 44 ne peut être véritablement entendue et tranchée que si la Cour a compétence en la matière : voir, par analogie, l’arrêt Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394, 1992 CanLII 68. Subsidiairement, le pouvoir de la Cour fédérale de rendre une telle ordonnance découle des pouvoirs qui lui sont conférés par la Règle 313 des Règles, son pouvoir général de surveillance en matière administrative (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, 1998 CanLII 818), de ses pleins pouvoirs de rendre les ordonnances nécessaires au déroulement des instances (voir, par exemple, Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 et la jurisprudence qui y est mentionnée), ainsi que de son pouvoir de contraindre la production d’éléments de preuve en vertu d’autres dispositions des Règles des Cours fédérales ou de l’article 4, qui prévoit une procédure par analogie avec les Règles. À l’audience, les parties ont semblé convenir qu’il existe plusieurs outils permettant de recueillir des éléments de preuve dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 44.

[19] Signalons, en toile de fond, que le recours prévu à l’article 44 doit être tranché « en procédure sommaire », aux termes de l’article 45. Pour respecter cette exigence, les parties doivent collaborer avec célérité et diligence pour déterminer le meilleur moyen de faire en sorte que la Cour soit saisie d’un dossier de preuve complet.

[20] Passons ensuite au règlement du présent appel. Nous sommes appelés à examiner la décision de la Cour fédérale à la lumière de la norme de contrôle en appel définie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : Canada (Santé) c. Elanco Canada Limited, 2021 CAF 191 aux para. 22 à 24. Cette démarche est logique, car, aux termes de l’article 44, la Cour fédérale tranche en première instance au regard des faits et du droit.

[21] Comme il ressort de ce qui précède, la Cour fédérale a commis une erreur de droit en infirmant la décision de la protonotaire et en invoquant la Règle 317 pour enjoindre au ministre de transmettre les renseignements demandés. La Règle 317 ne s’applique pas.

[22] Les divers moyens énoncés précédemment pourraient éventuellement permettre la communication. Cependant, comme les tiers n’ont pas épuisé ces moyens, nous refusons de nous prononcer sur la pertinence des renseignements dont ils demandent la transmission pour les fins du recours exercé en vertu de l’article 44 et sur leur célérité à agir. Il appartiendra à la protonotaire en première instance de trancher ces questions dans le cadre d’une nouvelle requête, si une telle requête est déposée.

[23] Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale, je rétablirais l’ordonnance de la protonotaire et j’adjugerais à l’appelant les dépens en l’espèce et en première instance.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-98-21

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE BELL LE 25 MARS 2021, DOSSIERS NOS T-189-19, T-190-19 et T-191-19

INTITULÉ :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) c. PREVENTOUS COLLABORATIVE HEALTH et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

JUGEMENT PRONONCÉ À L’AUDIENCE :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Andrew Cosgrave

Kerry Boyd

 

Pour l’appelant

 

Gérald D. Chipeur, c.r.

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’appelant

 

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

Pour les intimés

 

 

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