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Date : 20230120


Dossier : A-394-19

Référence : 2023 CAF 12

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

 

ENTRE :

ALLAN JAY GORDON

ET JAMES ALLAN DEACUR

appelants

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 16 janvier 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

 

 


Date : 20230120


Dossier : A-394-19

Référence : 2023 CAF 12

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

 

ENTRE :

ALLAN JAY GORDON

ET JAMES ALLAN DEACUR

appelants

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1] Allan Jay Gordon et James Allan Deacur, les appelants, contestent la décision du juge Barnes de la Cour fédérale (le juge) rendue le 25 juin 2019 (2019 CF 853). Dans sa décision, le juge a rejeté les actions en dommages‑intérêts des appelants intentées contre le gouvernement du Canada.

[2] Les actions civiles des appelants découlent d’une enquête criminelle de l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui a débuté en 1995. Cette enquête faisait suite à plusieurs vérifications de routine concernant des demandes de crédit d’impôt relatives à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental (RS&DE), présentées au nom de clients de James A. Deacur and Associates Ltd. (JAD) en échange d’honoraires conditionnels. L’enquête de l’ARC a donné lieu à la mise en accusation et à la poursuite de James Allan Deacur et d’Allan Jay Gordon pour cinq chefs de fraude, de tentative de fraude et de possession de produits du crime. L’audience préliminaire relative à ces chefs d’accusation s’est tenue sur une période de près de quatre ans, entre 1999 et 2003. Les appelants se sont finalement engagés à subir leur procès; toutefois, le 24 septembre 2004, le sursis de l’instance a été prononcé.

[3] En mars 2006, de concert avec JAD, les appelants ont engagé une instance auprès de la Cour fédérale. Ils ont réclamé plusieurs millions de dollars en dommages-intérêts sur la base de plusieurs causes d’action, dont les suivantes : enquête menée d’une manière négligente, violation de leurs droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), faute dans l’exercice d’une charge publique, poursuite abusive et ingérence intentionnelle dans des rapports contractuels (décision du juge, au para. 3).

[4] Le procès s’est déroulé devant le juge entre le 15 octobre et le 20 décembre 2018, et a été suivi d’une plaidoirie qui s’est tenue durant la semaine du 4 février 2019. Au total, 23 témoins ont déposé et 461 pièces ont été produites.

[5] Dans une décision de 135 pages, le juge a conclu que l’enquête de l’ARC se concentrait sur l’utilisation de documents antidatés dans le but de déclarer des dépenses en RS&DE prétendument engagées au cours d’années précédentes (décision du juge, aux para. 24 à 47). Dans certains cas, cette méthode consistait à créer une société fictive et des contrats de RS&DE antidatés. Dans d’autres cas, les salaires des employés incluaient de prétendus travaux de RS&DE et étaient établis après coup selon l’évaluation par JAD de la juste valeur du marché du coût de la main-d’œuvre. Le juge a conclu que ces méthodes, utilisées dans différents contextes et différentes combinaisons étaient indéfendables et équivalaient à une fausse déclaration (décision du juge, aux para. 77, 80, 81, 83, 134, 258 et 262).

[6] Le juge a reconnu que les enquêteurs de l’ARC avaient une obligation de diligence envers les appelants (aux para. 141 à 166), mais a conclu que l’enquête n’avait pas été menée d’une façon qui pourrait être considérée comme négligente et qu’elle ne révélait aucune intention malveillante ou illégitime (décision du juge, aux para. 243, 244 et 263). Le juge a conclu que l’enquête était amplement étayée dans son ensemble et que, même s’il a reconnu que quelques faux pas ont peut-être été commis, il a fait observer qu’« une enquête parfaite, cela n’existe pas » (décision du juge, aux para. 270 à 273). Le juge a donc rejeté les actions.

[7] Insatisfaits de cette conclusion, les appelants demandent à la Cour d’annuler la décision du juge et de rendre un jugement en leur faveur. L’appel de la société appelante JAD a été rejeté dans une ordonnance de la Cour le 27 janvier 2021, pour défaut de représentation juridique. Les appelants devant la Cour sont donc Allan Jay Gordon et James Allan Deacur.

[8] Dans le contexte d’un appel d’une décision de première instance de la Cour fédérale, les normes de contrôle en appel s’appliquent : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (arrêt Housen). Depuis l’arrêt Housen, les questions de droit sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte, tandis que les questions mixtes de droit et de fait ainsi que les questions de fait sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[9] Devant la Cour, les appelants soulèvent une série de questions, et contestent les conclusions du juge à tout bout de champ. Bien que certaines de ces questions soient formulées comme des questions de droit, lors de l’examen du fondement des arguments des appelants, il s’avère que ce sont toutes des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, les questions soulevées dans le présent appel peuvent se résumer à une seule question : le juge a-t-il commis des erreurs manifestes et dominantes dans son évaluation de la preuve?

[10] Les appelants allèguent que la mauvaise compréhension des exigences juridiques de la part du juge concernant une demande valide de crédit d’impôt pour des activités de RS&DE l’a amené à ne pas être attentif ou à omettre d’accorder suffisamment de poids à la preuve démontrant que l’enquête de l’ARC était dénuée de fondement, avait été conduite négligemment ou motivée par un objectif illégitime, à savoir la réalisation d’un gain financier personnel par les enquêteurs de l’ARC.

[11] En substance, les appelants allèguent que les procédures énoncées dans le Manuel des opérations de l’impôt (MOI) 11 concernant les enquêtes de l’ARC n’ont pas été correctement suivies. Les appelants affirment de plus que certaines des demandes qu’ils avaient préparées ont été acceptées par les vérificateurs de l’ARC en appel, soit avant, soit après l’enquête préliminaire, validant ainsi leur méthode de demande de crédits d’impôt pour des activités de RS&DE. De façon similaire, les appelants s’appuient sur ce qu’ils considèrent comme l’approbation préalable de leur méthode de demande de crédits d’impôt pour des activités de RS&DE par un cabinet d’avocats qui a participé par la suite à la poursuite intentée contre les appelants. Les appelants allèguent de plus que la méthode privilégiée par l’ARC pour évaluer les coûts de main‑d’œuvre était viciée et que, par conséquent, l’ARC, dans son enquête sur le gonflement des salaires, a fait preuve de négligence. Selon les appelants, le juge a commis une erreur dans son interprétation des faits et de la preuve qui les appuyait, ce qui l’a amené à rejeter leurs arguments sans en tenir compte pleinement.

[12] Je ne puis souscrire à ce raisonnement.

[13] L’analyse du juge démontre une évaluation bien motivée et minutieuse du dossier de la preuve dont il a été saisi. En se fondant sur ce dossier, le juge a conclu que les appelants ne s’étaient pas acquittés du fardeau de démontrer que l’enquête n’était pas valable en droit ou que les fonctionnaires de l’ARC avaient agi illégalement, avec malveillance ou en faisant preuve de négligence dans la conduite de l’enquête (décision du juge, au para. 277). Plus précisément et contrairement aux déclarations des appelants, le juge a souligné la compétence et l’équité dont a fait preuve l’enquêteur principal (décision du juge, aux para. 4 et 13 à 15). Pour ce qui est de l’argument lié au MOI 11 concernant les enquêtes de l’ARC, le juge a noté à juste titre que le MOI 11 « est un ensemble de lignes directrices qui n’ont aucun effet juridique exécutoire et leur non-respect n’est pas en soi une preuve de poursuite injustifiée ou de négligence » (décision du juge, au para. 168). Le juge a également étudié et rejeté la prétention des appelants selon laquelle l’enquête sur les salaires gonflés pourrait être dissociée de la façon dont JAD a documenté et présenté ses demandes à l’ARC (aux para. 72 à 76, 82 et 83). Le juge a conclu qu’il n’y avait guère de conflit quant à ce qui s’est réellement passé durant l’enquête en question : en effet, bien que 20 ans se soient écoulés depuis la tenue de l’enquête de l’ARC, elle était correctement documentée, et au-delà des simples affirmations des appelants, peu de faits sont contestés dans le dossier.

[14] De plus, la plupart des éléments de preuve sur lesquels les appelants se sont appuyés devant la Cour ont été entièrement et expressément traités par le juge dans une analyse détaillée des observations des parties. Le juge a examiné les éléments de preuve pouvant indiquer que l’ARC avait confirmé leur méthode d’antidater les dossiers pour établir la valeur des réclamations concernant les activités de RS&DE (décision du juge, aux para. 85 à 112). Le juge a conclu qu’il n’y avait jamais eu d’approbation expresse des méthodes utilisées par les appelants et que l’issue de ces appels n’équivalait pas à une répudiation de l’enquête criminelle (décision du juge, au para. 96). Les appelants n’ont pas réussi à signaler à la Cour un élément de preuve démontrant le contraire.

[15] Pour ce motif, je ne peux davantage conclure que le juge a commis une erreur en rejetant chaque demande des appelants, selon une analyse plus ou moins approfondie, y compris les allégations qui se fondent sur la Charte et l’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique (décision du juge, aux para. 244 et 269). Non seulement le juge a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer les allégations de négligence, mais il a conclu que l’enquête, quoiqu'imparfaite, a été néanmoins menée avec diligence et s’appuyait sur de solides fondements probants. Par conséquent, comme le juge l’a conclu, les éléments de preuve n’ont pas permis d’établir une violation de la Charte ou une faute.

[16] En conclusion, il convient de rappeler qu’une grande déférence doit être accordée aux conclusions de fait du juge de première instance. La norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante est très rigoureuse et reconnaît la position avantageuse du juge qui préside et qui entend directement les témoignages (arrêt Housen, aux para. 12 à 14). En l’espèce, le juge a fait des observations réfléchies sur la crédibilité de différents témoins et tiré des conclusions de fait lorsque les témoignages se contredisaient, envers lesquelles il faut faire preuve de déférence. De plus, comme le souligne l’intimé, il s’agit d’un principe bien établi selon lequel un juge est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve (arrêt Housen, aux para. 46 et 72; arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, 387 C.R.R. (2d) 1, au para. 67). Au vu de ces principes et de l’échec des appelants à démontrer l’existence d’une erreur manifeste et dominante, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions du juge.

[17] Pour tous ces motifs, je rejetterais l’appel en conséquence, avec dépens payables par les appelants à l’intimé.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-394-19

 

 

INTITULÉ :

ALLAN JAY GORDON ET JAMES ALLAN DEACUR c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Allan Jay Gordon

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

James Allan Deacur

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

Wendy Linden

Rishma Bhimji

Kieran Woods

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimé

 

 

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