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Date : 20230130


Dossier : A-94-22

Référence : 2023 CAF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

MARY LINDA WHITFORD et ALICIA MOOSOMIN

appelantes

et

JASON CHAKITA, MANDY CUTHAND, LUX BENSON, DANA FALCON,

HENRY GARDIPY, SAMUEL WUTTUNEE, SHAWN WUTTUNEE

et LA PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20230130


Dossier : A-94-22

Référence : 2023 CAF 17

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

MARY LINDA WHITFORD et ALICIA MOOSOMIN

appelantes

et

JASON CHAKITA, MANDY CUTHAND, LUX BENSON, DANA FALCON,

HENRY GARDIPY, SAMUEL WUTTUNEE, SHAWN WUTTUNEE

et LA PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Les appelantes et les particuliers intimés sont tous membres de la Première Nation Red Pheasant intimée (PNRP). Les appelantes Mary Linda Whitford et Alicia Moosomin ont contesté les résultats d’une élection aux postes de chef et de conseillers de la PNRP, affirmant que les particuliers intimés, entre autres, avaient commis plusieurs infractions à la Loi sur les élections au sein de premières nations, L.C. 2014, ch. 5 (la LEPN) et qu’ils avaient participé à plusieurs formes de fraude électorale grave, y compris l’achat de votes.

[2] Dans une décision publiée sous la référence 2022 CF 436, la Cour fédérale a conclu que six des sept particuliers intimés avaient contrevenu à la LEPN et avaient participé à une fraude électorale pendant l’élection. Bien qu’étant convaincue de la gravité de leur inconduite, la Cour a néanmoins conclu que cela ne justifiait pas de priver de leur droit de participer au scrutin les personnes qui avaient voté pour eux. Par conséquent, la Cour fédérale a refusé d’annuler leur élection aux postes de conseillers de la PNRP. Le présent appel porte sur cet aspect de la décision de la Cour fédérale.

[3] La Cour fédérale a cependant annulé l’élection de Clinton Wuttunee au poste de chef de la PNRP ainsi que celle de Gary Nicotine au poste de conseiller. Ce dernier volet de la décision de la Cour fédérale fait l’objet de deux autres appels (A-97-22 et A-98-22) et d’une décision distincte (2023 CAF 18).

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il était loisible à la Cour fédérale de refuser d’annuler l’élection des particuliers intimés aux postes de conseillers de la PNRP, et que ce faisant, elle n’a commis aucune erreur. Par conséquent, je rejetterais le présent appel.

I. Exposé des faits

[5] La PNRP a tenu une élection pour les postes de chef et de conseillers le 20 mars 2020. Les particuliers intimés se sont portés candidats aux postes de conseillers, faisant partie d’une liste de candidats appelée [traduction] « équipe Clinton ». Ils ont tous réussi à se faire élire aux postes qu’ils visaient.

[6] Les faits de l’espèce ne sont plus contestés. Dans une longue décision détaillée et minutieuse, la Cour fédérale a conclu que tous les particuliers intimés, à l’exception de Dana Falcon, avaient participé à une fraude électorale grave, comportant dans certains cas des infractions à l’alinéa 16f) de la LEPN, dont une bonne partie concernait l’achat de votes ou l’usage abusif des bulletins de vote postaux.

[7] L’alinéa 16f) de la LEPN dispose que « [n]ul ne peut, relativement à une élection [...] offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné ». Le texte intégral de l’alinéa 16f) de la Loi et des autres dispositions législatives mentionnées dans les présents motifs est joint en annexe à la présente décision.

[8] Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que Lux Benson avait commis une seule infraction à la LEPN et qu’il avait été mêlé directement à un cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes avec des fonds provenant de la PNRP. La Cour fédérale a conclu que cela constituait « une fraude électorale particulièrement grave ».

[9] La Cour fédérale a également conclu que Jason Chakita avait commis une infraction à la LEPN et qu’il avait été mêlé à un cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes. Cependant, contrairement à Lux Benson, Jason Chakita n’avait pas utilisé les fonds provenant de la PNRP pour l’achat du vote en question.

[10] La Cour fédérale a conclu que Mandy Cuthand avait été mêlé directement à deux cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes, mais que l’argent de la bande n’avait pas été utilisé dans ces cas.

[11] En ce qui concerne Henry Gardipy, la Cour fédérale a conclu qu’il avait été mêlé directement à un seul cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes, mais que l’argent de la bande n’avait pas été utilisé pour l’achat du vote d’un membre de la bande.

[12] La Cour fédérale a conclu que Samuel Wuttunee avait commis trois infractions à la LEPN et qu’il avait été mêlé directement à trois cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes, même si l’argent de la bande n’avait pas été utilisé pour acheter les votes.

[13] La Cour fédérale a conclu que Shawn Wuttunee avait commis une infraction à la LEPN et qu’il avait été mêlé directement à un cas de fraude électorale grave relativement à l’achat d’un vote, mais que l’argent de la bande n’avait pas été utilisé pour l’achat du vote en question.

[14] Enfin, la Cour fédérale a conclu qu’il n’avait pas été établi que Dana Falcon avait commis des infractions à la LEPN, ou qu’il avait participé directement à toute autre forme de fraude électorale.

[15] La Cour fédérale a également conclu que plusieurs personnes qui ne sont pas parties au présent appel avaient fait preuve d’inconduite électorale grave. Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que les agents des particuliers intimés avaient fait preuve d’inconduite électorale à leur place et qu’en outre, l’inconduite du chef Wuttunee et du conseiller Nicotine avait porté atteinte à l’intégrité de l’élection. La Cour fédérale a souligné que la PNRP avait été désignée à titre d’intimée en l’espèce aux seules fins d’une éventuelle ordonnance relative aux dépens.

[16] Comme je l’ai mentionné précédemment, bien que la Cour fédérale ait conclu que l’inconduite des six candidats mentionnés ci-dessus était grave, elle a décidé de ne pas annuler leurs élections. En parvenant à cette conclusion, la Cour fédérale a estimé que leur inconduite ne justifiait pas de priver de leur droit de participer au scrutin les personnes qui avaient voté pour eux.

II. Thèse des appelantes

[17] Les appelantes soutiennent que, comme la Cour fédérale a conclu que les six particuliers intimés mentionnés ci-dessus et leurs agents avaient commis des infractions à la FNEA et avaient participé à une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes, elle était tenue d’annuler leur élection.

[18] Les appelantes reconnaissent que la Cour fédérale a un pouvoir discrétionnaire important de refuser d’annuler une élection lorsqu’un candidat ou son agent n’a pas personnellement commis d’infractions à la LEPN ou d’autres formes de fraude électorale. Elles mentionnent toutefois qu’un tel pouvoir discrétionnaire n’existe pas lorsqu’un candidat retenu, son agent ou ses agents ont participé à une fraude électorale grave, comme l’achat de votes, et que dans de tels cas, leur élection doit être annulée.

[19] En renvoyant au paragraphe 38 de la décision de la Cour fédérale intitulée Papequash c. Brass, 2018 CF 325 (décision Papequash CF), conf. par 2019 CAF 245 (arrêt Papequash CAF), les appelantes soutiennent que l’achat de votes est [traduction] « un affront à la démocratie » qui ne se limite pas qu’à affaiblir l’intégrité d’une élection. Il s’agit plutôt de l’attaque la plus directe et délibérée à l’intégrité d’une élection et d’une pratique insidieuse qui affaiblit et compromet l’intégrité du processus électoral. De plus, l’achat de votes est [traduction] « incompatible avec les exigences de la démocratie et l’autonomie gouvernementale ».

[20] En l’espèce, la Cour fédérale a conclu que huit des neuf membres de l’équipe Clinton (y compris le chef Wuttunee et le conseiller Nicotine) ont contrevenu à l’alinéa 16f) de la LEPN ou avaient participé à une fraude électorale grave. La Cour fédérale a en outre conclu que ces personnes avaient personnellement pris part à l’achat de votes et que leur conduite avait gravement affaibli et compromis l’intégrité de l’élection. De plus, la Cour fédérale a conclu que des membres de l’équipe Clinton avaient eu accès à des informations confidentielles relatives au processus électoral provenant du président d’élection de la PNRP, et qu’ils les avaient exploitées.

[21] Les appelantes affirment que les élections entachées par l’achat de votes doivent être annulées dans tous les cas, sauf les plus exceptionnels, peu importe que la marge de victoire des candidats retenus dépasse le nombre réel de votes achetés par le candidat : Gadwa c. Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, aux paras. 87 à 89 (décision Gadwa CF), conf. par Joly c. Gadwa, 2017 CAF 203 (arrêt Gadwa CAF).

[22] La Cour fédérale a aussi conclu que les agents de l’équipe Clinton avaient commis plusieurs actes de fraude électorale grave. Les appelantes mentionnent que, dans l’arrêt Sideleau c. Davidson (Controverted election for the Electoral District of Stanstead), [1942] R.C.S. 306, la Cour suprême du Canada a conclu que les candidats subissent les conséquences des actes des personnes à qui ils ont confié leur destin : au paragraphe 36. Voir également l’arrêt Brassard et al. c. Langevin, [1877] 1 R.C.S. 145.

[23] Selon les appelantes, après avoir conclu que l’intégrité de l’élection de 2020 avait été gravement affaiblie, la Cour fédérale a commis une erreur de droit et de principe en refusant d’annuler l’élection de tous les candidats retenus, et en n’annulant que celle du chef Wuttunee et du conseiller Nicotine. Soit l’élection avait été tenue de façon intègre, soit elle ne l’avait pas été. Ayant conclu que l’intégrité de l’élection avait été remise en question, il s’en est suivi que les résultats de l’ensemble du processus électoral auraient dû être annulés, et la Cour fédérale a commis une erreur en tenant compte de la question de la culpabilité personnelle au moment de décider s’il convenait d’annuler l’élection de candidats en particulier.

[24] Les appelantes font également valoir qu’en exerçant son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler l’ensemble du processus électoral, la Cour fédérale n’a pas tenu compte des considérations de fait pertinentes. À l’appui de cette prétention, les appelantes soulignent que les membres de l’équipe Clinton se présentaient comme une équipe, accordant leur appui à l’élection de chacun d’eux. Lorsque le chef Wuttunee et le conseiller Nicotine, leurs agents et d’autres membres de l’équipe Clinton ont acheté des votes ou ont commis d’autres actes de corruption électorale grave, ils ne l’ont pas fait qu’en leur propre nom. Ils ont agi en tant que membres d’une équipe, et les votes qu’ils ont achetés ont vraisemblablement profité aux autres membres de l’équipe. Selon les appelantes, la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les membres de l’équipe Clinton et leurs agents ont travaillé de concert pour mener à bien leur élection respective.

[25] Les appelantes soutiennent également que l’annulation de l’élection du conseiller Nicotine à l’un des postes de conseiller avait eu une incidence sur l’élection des autres candidats, ce que la Cour fédérale n’a pas pris en considération. Le conseiller Nicotine a obtenu 599 votes, soit 385 votes de plus que les votes obtenus par le candidat qui est arrivé deuxième, tandis que la majorité des votes obtenues par le conseiller élu avec le moins de votes était de 333 votes de plus que le candidat qui est arrivé deuxième. Selon les appelantes, la Cour fédérale aurait dû tenir compte de l’incidence de l’annulation de l’élection du conseiller Nicotine pour déterminer si l’élection des sept autres candidats devrait être annulée.

[26] Les appelantes font valoir qu’un appel en matière électorale n’est pas un affrontement entre les parties, mais plutôt une décision concernant l’intérêt public. La culpabilité ou l’innocence d’un candidat revêt une importance secondaire par rapport à la question de savoir si l’élection a été tenue avec intégrité. Après avoir conclu que l’intégrité de l’élection de 2020 avait été compromise par une fraude électorale grave, notamment l’achat de votes, la Cour fédérale était tenue d’annuler l’ensemble du processus électoral.

III. Question en litige et norme de contrôle

[27] Comme je l’ai fait remarquer précédemment, les appelantes ne mettent nullement en cause les conclusions de fait tirées par la Cour fédérale. Elles font toutefois valoir que le fait d’avoir conclu que six particuliers intimés (ainsi que le chef Wuttunee, le conseiller Nicotine et les agents de l’équipe Clinton) avaient participé à une fraude électorale grave comportant dans certains cas des infractions à la LEPN, de sorte que l’intégrité de l’élection de 2020 avait été compromise, la Cour fédérale était tenue d’annuler l’ensemble du processus électoral.

[28] Comme nous sommes en présence d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, la norme de contrôle est celle énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 : arrêt Papequash CAF, au para. 11. C’est-à-dire que les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Les conclusions de fait et les inférences de fait doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins qu’une erreur de droit isolable puisse être démontrée, auquel cas cette erreur doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

[29] Bien que la décision d’annuler ou non une élection soit discrétionnaire, de sorte qu’elle est susceptible de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, la Cour fédérale doit bien comprendre et appliquer les règles de droit applicables régissant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : Canada c. Paletta, 2022 CAF 86, au para. 32.

IV. Cadre législatif

[30] La LEPN a été adoptée en 2014, créant un code législatif régissant l’élection de chefs et de conseillers des premières nations participantes. Entre autres, l’adoption de la LEPN visait à s’écarter du modèle « désuet et paternaliste » de gouvernance des premières nations qui prévalait dans la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. Sous le régime de la Loi sur les Indiens, les appels en matière d’élections contestées étaient entendus par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et en dernier ressort, tranchés par le gouverneur en conseil : Débats du Sénat (Hansard), 2e session, 41e législature, vol. 149, no 29 (29 janvier 2014), pages 269a et 270a.

[31] La LEPN ne s’applique pas automatiquement à toutes les élections tenues au sein des premières nations; chacune des premières nations doit accepter d’être régie par ce régime. Une première nation adhère à ce régime lorsque son conseil de bande présente au ministre des Services aux Autochtones une résolution demandant son ajout à la liste des premières nations participantes, laquelle est jointe en annexe à la Loi. La PNRP est une première nation participante.

[32] La LEPN dispose d’un mécanisme qui permet de contester une élection. À ce sujet, l’article 30 de la Loi est particulièrement pertinent en l’espèce, car il dispose que la contestation de la validité de l’élection d’un chef ou d’un conseiller d’une première nation participante ne peut être contestée que sous le régime des articles 31 à 35 de la Loi.

[33] L’article 31 de la Loi est également pertinent, car il dispose que les électeurs d’une première nation participante peuvent contester l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation « pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection ». Enfin, le paragraphe 35(1) de la LEPN dispose que le tribunal peut invalider l’élection contestée « si le motif visé à l’article 31 est établi ». Par ailleurs, la LEPN ne comprend aucune condition ou restriction ayant pour effet de rendre l’annulation obligatoire.

[34] La question à trancher est donc de savoir si, ayant conclu que l’intégrité de l’élection de 2020 avait été compromise, il était loisible à la Cour fédérale de refuser d’annuler l’élection de six intimés déclarés coupables d’avoir fait preuve d’inconduite électorale ou si l’ensemble du processus électoral devait être annulé.

V. Analyse

[35] Afin de situer la question à trancher dans son contexte législatif, il faut commencer par réitérer ce que la LEPN prévoit au sujet des pouvoirs de réparation de la Cour fédérale dans les affaires où une élection est contestée. Selon le paragraphe 35(1) de la LEPN, « [a]u terme de l’audition, le tribunal peut, si le motif visé à l’article 31 est établi, invalider l’élection contestée » [Non souligné dans l’original].

[36] Les appelantes reconnaissent que l’emploi, par le législateur, du terme « peut » dans le libellé du paragraphe 35(1) indique que la décision d’annuler ou non une élection dans un cas donné est une décision discrétionnaire. Elles reconnaissent également que la LEPN ne contient aucune indication sur les principes qui devraient guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal dans des situations où il a été conclu que des infractions à l’article 31 ont été commises.

[37] Les appelantes prétendent toutefois que cela ne signifie pas que le pouvoir discrétionnaire du tribunal est absolu, affirmant qu’il doit être exercé conformément aux principes de la common law et à ce qu’elles appellent les [traduction] « gradations de responsabilité ». De plus, renvoyant à l’arrêt de notre Cour intitulé Porter c. Boucher-Chicago, 2021 CAF 102, les appelantes affirment que la Cour ne devrait pas adopter une interprétation des lois électorales comme la LEPN qui aurait pour effet de dénaturer l’intention du législateur au moment où il a adopté la loi.

[38] Les appelantes n’ont cependant fourni que des renseignements limités sur l’intention du législateur au moment d’adopter la LEPN, y compris l’extrait de Hansard mentionné précédemment dans les présents motifs. Elles ont également fourni un extrait des délibérations du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, 7 novembre 2013, à la page 1110, au moment où la LEPN était à l’étude.

[39] À ce moment-là, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a de nouveau souligné le paternalisme du processus prévu dans la Loi sur les Indiens. Le ministre a également déclaré que, bien que la Loi sur les Indiens autorise la révocation des élus reconnus coupables de s’être livrés à des pratiques électorales frauduleuses, elle ne créait aucune infraction ni sanction concernant les violations relatives aux élections. Le ministre a fait remarquer que la LEPN corrigerait cette lacune législative, et créerait des infractions et des sanctions définies relativement aux activités frauduleuses, comme l’achat de votes, l’intimidation et l’entrave au processus électoral. Les infractions criminelles créées par la LEPN ne sont toutefois pas en cause en l’espèce.

[40] Les appelantes n’ont pas non plus renvoyé à d’autres dispositions de la LEPN prévoyant un contexte factuel visant à limiter le pouvoir discrétionnaire conféré aux tribunaux par le paragraphe 35(1) de la Loi de la façon dont elles l’ont proposée.

[41] Si le législateur entendait que chaque élection jugée entachée de fraude, de manœuvre frauduleuse ou d’un acte illégal soit frappée de nullité, il aurait pu le prévoir expressément : voir, par exemple, la Loi électorale, L.R.Q., ch. E-3.3 en cause dans la décision Thérien c. Pellerin, 1997 CanLII 10408, [1997] R.J.Q. 816 (QCCA).

[42] Cela dit, comme je l’ai mentionné précédemment, le paragraphe 35(1) de la LEPN a été examiné par les tribunaux, quoique de façon assez limitée. Les appelantes s’appuient en fait sur des décisions antérieures pour affirmer que les tribunaux n’ont pas le pouvoir discrétionnaire d’annuler des élections dans des cas d’infractions à la LEPN mettant en cause l’achat de votes, faisant en sorte que l’intégrité d’une élection était compromise. Je vais maintenant passer à l’examen de cette jurisprudence.

VI. Jurisprudence sur l’annulation d’élections en cas de fraude électorale grave

[43] Je conviens avec les appelantes que la jurisprudence qu’elles ont invoquée aurait pu étayer une conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’ensemble du processus électoral de 2020 devrait être annulé. L’inconduite dont ont fait preuve les membres de l’équipe Clinton (à l’exception de Dana Falcon) et leurs agents était grave, et a donné une image très négative de l’état de la gouvernance démocratique au sein de la PNRP.

[44] En fait, sur ce point, la Cour fédérale n’était pas en désaccord avec les appelantes. Au paragraphe 17 de ses motifs, la Cour fédérale a mentionné expressément que l’inconduite électorale dont ont fait preuve les conseillers Lux Benson, Jason Chakita, Mandy Cuthand, Henry Gardipy, Samuel Wuttunee et Shawn Wuttunee était telle qu’elle aurait pu annuler leur élection, mais que la Cour exerçait néanmoins son pouvoir discrétionnaire de s’abstenir de le faire.

[45] La question à trancher n’est cependant pas de savoir si la Cour fédérale aurait pu annuler l’ensemble du processus électoral de 2020, mais si elle avait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante en refusant d’annuler l’élection des personnes mentionnées ci‑dessus.

[46] En répondant à cette question, le point de départ de l’analyse de la Cour est l’arrêt de la Cour suprême du Canada Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55. Bien que l’arrêt Opitz ait été tranché suivant la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9 (LEC), des dispositions de la LEC correspondent grandement à celles de la LEPN.

[47] En décrivant le fondement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’annuler des élections dans l’arrêt Opitz, la Cour suprême a déclaré que, lorsqu’il est établi qu’un candidat élu est inéligible, le tribunal doit constater la nullité de l’élection : dans une telle situation, c’est comme si aucune élection n’avait eu lieu. Cependant, en présence d’irrégularités, de fraude, de manœuvre frauduleuse ou d’un acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection, « le tribunal peut prononcer l’annulation de l’élection » [Non souligné dans l’original]. Dans l’arrêt Opitz, la Cour suprême a ajouté que, dans de tels cas, le tribunal doit décider si l’élection qui a été tenue a été compromise à un point tel que son annulation est justifiée : au para. 22.

[48] Il convient de noter que, bien que la Cour suprême ait déclaré dans l’arrêt Opitz que les élections doivent être annulées dans des cas d’inéligibilité, les tribunaux peuvent annuler des élections en cas de fraude, de manœuvre frauduleuse ou d’acte illégal. Il est important de mentionner que la Cour suprême n’a pas déclaré que les tribunaux doivent annuler les élections dans tous les cas où une fraude électorale grave ou des infractions à la loi électorale pertinentes ont été relevées.

[49] Ce point a été examiné dans la décision Papequash CF, une affaire jugée sous le régime de la LEPN. Dans cette décision, la Cour fédérale a fait remarquer que, bien qu’une fraude électorale grave puisse fausser le résultat d’une élection, « il ne faut pas négliger la mise en garde de la Cour [dans l’arrêt Opitz] selon laquelle une cour de révision se réserve le droit de refuser d’annuler une élection, même dans des cas de fraude ou d’autres formes de corruption » : décision Papequash CF, au para. 36. La décision Papequash CF de la Cour fédérale a par la suite été confirmée par notre Cour dans l’arrêt Papequash CAF. Même si notre Cour n’a pas expressément abordé ce point, elle a mentionné que la Cour fédérale avait « dûment appliqué la jurisprudence au contexte de l’espèce » : au para. 13.

[50] Dans la décision Papequash CF, la Cour fédérale a ajouté qu’au paragraphe 81 de la décision McEwing c. Canada (Procureur général), 2013 CF 525 (une autre affaire tranchée suivant la LEC), la Cour fédérale avait souligné que les commentaires formulés dans l’arrêt Opitz ne permettent pas de dire que la Cour fédérale peut annuler le résultat d’une élection dans chaque cas où une fraude électorale, une manœuvre frauduleuse ou un acte illégal a été établi. En corollaire, un tribunal n’est pas tenu de le faire dans tous les cas de fraude électorale, de manœuvre frauduleuse ou d’acte illégal.

[51] Dans la décision McEwing, la Cour fédérale a ajouté que les juges majoritaires dans l’arrêt Opitz avaient précisé que l’annulation d’une élection prive non seulement les personnes dont les votes sont rejetés de leur droit de participer au scrutin, mais prive aussi de ce droit tous les électeurs qui ont voté dans la circonscription. Il est vrai que, dans la décision McEwing, la Cour fédérale a ensuite ajouté que les tribunaux ne devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire d’annuler une élection que lorsqu’il existe une raison sérieuse de croire que les résultats auraient été différents si la fraude n’avait pas été commise ou lorsqu’un candidat ou son agent officiel a participé à la fraude : au para. 82. La Cour fédérale n’a toutefois pas mentionné que les tribunaux doivent le faire dans de tels cas.

[52] Dans la décision Good c. Canada (Procureur général), 2018 CF 1199, la Cour fédérale a réitéré qu’elle conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas invalider des élections, même dans des cas entachés de fraude ou d’autres formes de corruption : au para. 55. De nombreuses autres décisions ont été rendues dans le même sens : voir, par exemple, Flett c. Première Nation de Pine Creek, 2022 CF 805, au para. 17; Bird c. Première Nation de Paul, 2020 CF 475, au para. 31; Paquachan v. Louison, 2017 SKQB 239, aux paras. 20 et 25.

[53] Il est vrai que la Cour fédérale a tiré une conclusion contraire dans la décision Gadwa c. Kehewin Première Nation, 2016 CF 597. Dans cette décision, la Cour fédérale a souligné qu’un candidat qui se livre à un achat de votes tente en fait de corrompre le processus électoral. Par conséquent, sans égard au nombre de votes que le candidat a acheté ou tenté d’acheter et peu importe si le candidat remporte l’élection avec un plus grand écart que le nombre de votes ayant été acheté, le candidat ne peut être sauvé et son élection demeure viciée : au para. 88.

[54] Il est aussi vrai que la décision Gadwa rendue par la Cour fédérale a été confirmée par notre Cour dans l’arrêt Gadwa CAF, sans commentaires sur ce point.

[55] Il convient toutefois de mentionner que la décision Gadwa n’a pas été rendue sous le régime de la LEPN. L’élection en cause avait été tenue dans le cadre des dispositions de la loi électorale coutumière de la Première Nation Kehewin, et les commentaires formulés par la Cour fédérale doivent être lus en gardant cela à l’esprit.

[56] En fait, la juge de la Cour fédérale qui a rendu la décision Gadwa est parvenue à la conclusion contraire dans une décision où la LEPN s’applique. Dans la décision Flett, la juge a conclu que la Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 35(1) de la LEPN, de refuser d’annuler une élection dans un cas où une fraude électorale, une manœuvre frauduleuse ou un acte illégal a été établi : au para. 17.

[57] Je conclus donc qu’en droit, la Cour fédérale conserve en définitive le pouvoir discrétionnaire d’ordonner une nouvelle élection, même dans les cas entachés de fraude ou d’autres formes de corruption électorale. La question qui reste à trancher est de savoir si la Cour fédérale a commis des erreurs manifestes et dominantes en refusant d’annuler l’élection de six intimés qui ont été reconnus coupables d’avoir participé à une fraude électorale grave.

[58] Avant d’examiner cette question, il est toutefois important de mentionner que, bien que la protection du droit de vote et le maintien de l’intégrité du processus électoral soient des facteurs incontestablement importants, toute une gamme d’autres valeurs démocratiques, souvent concurrentes, peuvent être prises en compte dans l’analyse de la Cour lorsqu’il s’agit de décider si une élection devrait être annulée dans un cas donné.

VII. Autres facteurs pertinents

[59] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’annulation d’une élection a des conséquences sérieuses, privant de leur droit de participer au scrutin non seulement les personnes dont les votes ont été rejetés (ou encore achetés, en l’espèce), mais en prive aussi tous les électeurs, y compris ceux qui ont voté sans avoir contrevenu à la loi électorale : voir Opitz, au para. 48.

[60] Le fait de permettre que des élections soient annulées à la légère augmenterait également le risque de contestation ultérieure. Par extension, cela ébranle la certitude des résultats démocratiques, une valeur intrinsèque en soi dans une démocratie : voir Opitz, aux paras. 48 et 49; McEwing, au para. 56; Flett, au para. 17.

[61] En outre, dans l’arrêt Opitz, la Cour suprême a souligné que le fait d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection « n’est pas une solution parfaite » en ce qu’elle « porte toujours l’empreinte du résultat apparent de l’élection qu’elle remplace ». De nouvelles élections peuvent également causer des inconvénients aux électeurs, et rien ne peut garantir l’absence de problèmes additionnels, notamment de fraude. De plus, il arrive souvent que de nouvelles élections minent la stabilité de la démocratie en remettant en question la sécurité et l’efficacité des mécanismes de vote, et cela pourrait être une source de désillusion ou de lassitude pour les électeurs : arrêt Opitz, au para. 48, renvoyant à l’article du professeur Steven F. Huefner, “Remedying Election Wrongs” (2007), 44 Harv. J. on Legis. 265, pages 295 et 296.

[62] Les tribunaux peuvent tenir compte d’un autre facteur en présence d’une contestation des résultats d’une élection mettant en cause les premières nations. La LEPN vise des institutions externes (à savoir les tribunaux) à qui l’on demande d’intervenir dans le processus démocratique des premières nations. Même si cet engagement était expressément envisagé par le législateur au moment d’adopter la LEPN, et que la PNRP a demandé expressément que ses élections soient régies par la LEPN, les tribunaux doivent néanmoins être conscients du fait que l’un des objets de la LEPN était de s’écarter du modèle « désuet et paternaliste » de gouvernance des premières nations, qui prévalait dans la Loi sur les Indiens.

[63] Ayant conclu que la Cour fédérale avait le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’annuler une élection dans un cas de fraude ou d’autres formes de corruption électorale, la question est alors de savoir si, en l’espèce, la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

VIII. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en refusant d’annuler l’élection des six intimés ayant participé à une fraude électorale grave?

[64] L’examen de la question de savoir si l’effet de la fraude sur les résultats d’une élection est suffisamment important pour justifier l’annulation des résultats d’une élection relève du pouvoir discrétionnaire du juge : voir McEwing, au para. 79. La norme de l’erreur manifeste et dominante ne donne pas à notre Cour le pouvoir de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de juger l’affaire à nouveau : Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2018 CAF 147, au para. 61. Voir également l’arrêt Nation Crie de Eeyou Istchee (Grand Conseil) c. McLean, 2019 CAF 185, aux paras. 9 et 10.

[65] Les cours d’appel doivent présumer que les tribunaux de première instance (comme la Cour fédérale) ont examiné et apprécié tous les éléments de preuve dont ils étaient saisis, en l’absence de preuve contraire : voir Housen, au para. 46; Mahjoub, aux paras. 66 et 67. En l’espèce, les appelantes n’ont pas réfuté cette présomption.

[66] La cour fédérale était parfaitement au courant de la gravité de l’inconduite électorale dont ont fait preuve les particuliers intimés (à l’exception de Dana Falcon) – ce qui a clairement été précisé au début des longs motifs détaillés de la Cour fédérale.

[67] D’ailleurs, la Cour fédérale a fait remarquer que « les tentatives par des candidats à une élection ou leurs agents d’acheter le vote des électeurs constituent une pratique insidieuse qui affaiblit et compromet l’intégrité d’un processus électoral » : renvoyant à la décision Papequash CF, au para. 38. La Cour fédérale a ensuite ajouté que les candidats qui tentent d’acheter des votes « tente[nt] en fait de corrompre le processus électoral », renvoyant à la décision Gadwa CF, au para. 88.

[68] La Cour fédérale a de plus souligné que le nombre de votes que le candidat a acheté ou le fait qu’il ait remporté ou non l’élection avec un plus grand écart que le nombre de votes ayant été acheté importe peu (ce qu’on appelle le critère du « nombre magique »). En raison de la gravité d’une fraude, d’une manœuvre électorale frauduleuse ou d’un acte illégal, l’élection d’un candidat peut – et dans certains cas doit – être annulée. La décision d’annuler ou non une élection est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal.

[69] La Cour fédérale a ensuite conclu que divers membres de l’équipe Clinton (y compris six particuliers intimés en l’espèce) ainsi que leurs agents avaient participé à une fraude électorale grave, à savoir l’achat de votes et activités semblables, de sorte que l’intégrité de l’élection des membres de l’équipe avait été compromise.

[70] Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que les gestes posés par le chef Wuttunee et le conseiller Nicotine [traduction] « ont dépassé de loin les comportements acceptables ». Ils ont tous deux été mêlés directement à plusieurs cas de fraude électorale grave, y compris des infractions à la LEPN, comme l’achat de votes et activités semblables, et ont également contrevenu au Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015-86 relativement aux votes par la poste.

[71] La Cour fédérale a conclu que la gravité de l’inconduite électorale du chef Clinton Wuttunee et du conseiller Gary Nicotine était telle que leur élection devait être annulée. En parvenant à cette conclusion, la Cour fédérale a relevé plusieurs facteurs aggravants ayant rendu la conduite du chef Wuttunee et du conseiller Nicotine encore plus odieuse.

[72] La Cour a conclu que le fait que le chef Wuttunee et le conseiller Nicotine aient utilisé des fonds provenant de la PNRP pour acheter des votes constituait une [traduction] « fraude électorale particulièrement grave ».

[73] De plus, la Cour fédérale a conclu que le chef Wuttunee avait eu accès à des informations confidentielles relatives au processus électoral provenant du président d’élection de la PNRP (ou des représentants de son bureau), notamment des listes électorales indiquant les noms des électeurs dont la demande de bulletins de vote postaux avait été acceptée ou refusée, et qu’ils les avaient exploitées.

[74] La Cour fédérale a indiqué la présence d’un autre facteur aggravant, soit le fait que le chef Wuttunee et le conseiller Nicotine occupaient des postes de direction au sein de la PNRP, et qu’à ce titre, ils étaient censés montrer l’exemple. Au lieu d’agir comme les « gardiens de la démocratie » d’une première nation, ils ont plutôt tenté de corrompre le processus démocratique.

[75] D’autres renseignements sur la nature et l’ampleur de l’inconduite électorale dont ont fait preuve le chef Wuttunee et le conseiller Nicotine font partie de la décision rejetant leurs appels, rendue en même temps que la présente décision.

[76] La Cour fédérale a conclu que les conseillers intimés Lux Benson, Jason Chakita, Mandy Cuthand, Henry Gardipy, Samuel Wuttunee et Shawn Wuttunee avaient également participé à une fraude électorale grave. Ils y avaient toutefois participé à un degré moindre que celui du chef Wuttunee et du conseiller Nicotine. Cela a amené la Cour à conclure que, bien qu’elle aurait pu annuler l’élection de ces intimés, il était approprié qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas le faire.

[77] En parvenant à cette conclusion, la Cour fédérale était parfaitement au courant que les membres de l’équipe Clinton et leurs sympathisants encourageaient et appuyaient les autres membres de l’équipe, et que le groupe agissait de façon concertée pour mener à bien leur élection respective. La Cour a souligné que les membres de l’équipe se sont fait photographier, et que les photos avaient été largement diffusées sur Facebook, que des tee-shirts promotionnels ont été distribués pendant la campagne dans le but de susciter l’enthousiasme sur leur plateforme et promouvoir les candidats. La Cour fédérale était également consciente du fait que des membres de l’équipe Clinton travaillaient en étroite collaboration avec d’autres membres et leurs sympathisants en vue de commettre une fraude électorale grave et de contrevenir à la LEPN et à son Règlement.

[78] Appelée à décider si elle annulait l’élection de chacun des six intimés reconnus comme ayant fait preuve d’inconduite électorale, la Cour fédérale a examiné attentivement la nature et l’ampleur de l’inconduite de chacune de ces personnes, en démontrant qu’elle était parfaitement au courant de la gravité de son inconduite. La Cour fédérale a conclu que le degré de culpabilité de chacun des six intimés était moins élevé que celui du chef Wuttunee et du conseiller Nicotine, même si elle a reconnu que Samuel Wuttunee avait participé à des fraudes électorales d’une gravité supérieure à celle des cinq autres intimés.

[79] La Cour fédérale a également tenu compte de facteurs aggravants, comme le fait que la plupart, voire tous les intimés, tout comme le chef Wuttunee et le conseiller Nicotine, occupaient des postes de direction au sein de la PNRP, et qu’ils ne se sont pas acquittés de leurs fonctions. La Cour a aussi fait remarquer que les fonds provenant de la PNRP ont servi à acheter un seul vote dans un cas donné.

[80] Par ailleurs, la Cour fédérale a tenu compte des facteurs atténuants, y compris le fait que l’inconduite des intimés était moins inacceptable que celle du chef Wuttunee et le conseiller Nicotine. La Cour fédérale a également souligné que (contrairement au chef Wuttunee et au conseiller Nicotine), certains intimés n’avaient pas envoyé de documents frauduleux au président d’élection de la PNRP. En outre, à l’exception de l’un des cas mentionnés précédemment, aucun des intimés n’avait utilisé les fonds de la bande pour acheter des votes. La Cour fédérale a aussi tenu compte du fait que l’annulation de l’élection des six intimés aurait pour effet de priver les électeurs, qui avaient légitimement voté pour eux, de leur droit de participer au scrutin.

[81] Après avoir soupesé les facteurs aggravants et les facteurs atténuants, comme elle était tenue de le faire, la Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler l’élection des six intimés. Alors que la Cour fédérale aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire différemment, vu la gravité de l’inconduite des intimés, en l’espèce, les appelantes n’ont pas démontré que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

[82] Conformément à la demande des parties, je ne me prononcerais pas sur la question des dépens à ce moment-ci, mais j’autorisais les parties à présenter des observations écrites sur cette question.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Le juge Locke »

« Je suis d’accord.

La juge Monaghan »


ANNEXE

Loi sur les élections au sein de premières nations

First Nations Elections Act

L.C. 2014, ch. 5

S.C. 2014, c. 5

[…]

Interdictions générales

Prohibition — any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

a) voter ou tenter de voter sachant qu’il est inhabile à voter;

(a) vote or attempt to vote knowing that they are not entitled to vote;

b) inciter une autre personne à voter sachant que celle-ci est inhabile à voter;

(b) attempt to influence another person to vote knowing that the other person is not entitled to do so;

c) faire sciemment usage d’un faux bulletin de vote;

(c) knowingly use a forged ballot;

d) déposer dans une urne un bulletin de vote sachant qu’il n’y est pas autorisé par règlement;

(d) put a ballot into a ballot box knowing that they are not authorized to do so under the regulations;

e) par intimidation ou par la contrainte, inciter une autre personne à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné;

(e) by intimidation or duress, attempt to influence another person to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate; or

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[…]

Mode de contestation

Means of contestation

30 La validité de l’élection du chef ou d’un conseiller d’une première nation participante ne peut être contestée que sous le régime des articles 31 à 35.

30 The validity of the election of the chief or a councillor of a participating First Nation may be contested only in accordance with sections 31 to 35.

Contestation

Contestation of election

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

31 An elector of a participating First Nation may, by application to a competent court, contest the election of the chief or a councillor of that First Nation on the ground that a contravention of a provision of this Act or the regulations is likely to have affected the result.

Délai de présentation

Time limit

32 La requête en contestation doit être présentée dans les trente jours suivant la date à laquelle les résultats de l’élection contestée sont annoncés.

32 An application must be filed within 30 days after the day on which the results of the contested election were announced.

Compétence

Competent courts

33 Pour l’application de l’article 31, constituent le tribunal compétent pour entendre la requête la Cour fédérale ou la cour supérieure siégeant dans la province où se trouve une ou plusieurs réserves de la première nation participante en cause.

33 The following courts are competent courts for the purpose of section 31:

(a) the Federal Court; and

(b) the superior court of a province in which one or more of the participating First Nation’s reserves are located.

Signification

Service of application

34 Le requérant signifie sa requête au président d’élection et aux candidats ayant participé à l’élection contestée.

34 An application must be served by the applicant on the electoral officer and all the candidates who participated in the contested election.

Décision du tribunal

Court may set aside election

35 (1) Au terme de l’audition, le tribunal peut, si le motif visé à l’article 31 est établi, invalider l’élection contestée.

35 (1) After hearing the application, the court may, if the ground referred to in section 31 is established, set aside the contested election.

Transmission de la décision

Duties of court clerk

(2) Lorsque le tribunal invalide une élection, le greffier expédie un exemplaire de la décision au ministre.

(2) If the court sets aside an election, the clerk of the court must send a copy of the decision to the Minister.

Loi électorale du Canada

Canada Elections Act

L.C. 2000, ch. 9

S.C. 2000, c. 9

[…]

Contestation

Contestation of election

524 (1) Tout électeur qui était habile à voter dans une circonscription et tout candidat dans celle-ci peuvent, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection qui y a été tenue pour les motifs suivants :

524 (1) Any elector who was eligible to vote in an electoral district, and any candidate in an electoral district, may, by application to a competent court, contest the election in that electoral district on the grounds that

a) inéligibilité du candidat élu au titre de l’article 65;

(a) under section 65 the elected candidate was not eligible to be a candidate; or

b) irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection.

(b) there were irregularities, fraud or corrupt or illegal practices that affected the result of the election.

Précision

Exception

(2) La contestation ne peut être fondée sur les motifs prévus au paragraphe 301(2) pour un dépouillement judiciaire.

(2) An application may not be made on the grounds for which a recount may be requested under subsection 301(2).


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-94-22

INTITULÉ :

MARY LINDA WHITFORD ET AUTRE c. JASON CHAKITA ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 novembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Nathan Xiao-Phillips

Mervin C. Phillips

POUR LES APPELANTES

MARY LINDA WHITFORD ET AUTRE

John J. Wilson

POUR LES INTIMÉS

JASON CHAKITA ET AUTRES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillips & Co.

Regina (Saskatchewan)

POUR LES APPELANTES

MARY LINDA WHITFORD ET AUTRE

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

JASON CHAKITA ET AUTRES

 

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