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Date : 20230202


Dossier : A-212-22

Référence : 2023 CAF 23

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent: LE JUGE WEBB

ENTRE :

BRIGHTLINE FOUNDATION

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 2 février 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

 


Date : 20230202


Dossier : A-212-22

Référence : 2023 CAF 23

Présent : LE JUGE WEBB

ENTRE :

BRIGHTLINE FOUNDATION

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE WEBB

[1] Le ministre du Revenu national (le ministre) a déposé la présente requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant une demande déposée par la Brightline Foundation (Brightline). La demande de Brightline visait à obtenir une ordonnance reportant la date à laquelle le ministre pourrait publier, dans la Gazette du Canada, une copie de l’avis de révocation proposée quant à l’enregistrement de Brightline comme organisme de bienfaisance enregistré. Le ministre a présenté la requête en vue d’obtenir le rejet de la demande de Brightline pour le motif qu’elle était théorique, car une copie de cet avis a maintenant été publiée dans la Gazette du Canada.

[2] Le paragraphe 168(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), c. 1 (5e suppl.) (la Loi) dispose que le ministre peut envoyer à un organisme de bienfaisance enregistré, sous pli recommandé, un avis selon lequel le ministre propose de révoquer l’enregistrement de cet organisme. La révocation ne prend effet que lorsqu’une copie de l’avis est publiée dans la Gazette du Canada (paragraphe 168(2) de la Loi). La copie de l’avis ne peut être publiée qu’après l’expiration d’un délai de 30 jours à compter de la date de mise à la poste de l’avis à l’organisme de bienfaisance enregistré ou d’un délai plus long fixé par la Cour sur demande, conformément à l’alinéa 168(2)b) de la Loi :

(2) Si le ministre, dans le cas de l’alinéa a) et dans les autres cas, publie dans la Gazette du Canada copie de l’avis prévu au paragraphe (1), sur publication de cette copie, l’enregistrement de l’organisme de bienfaisance, de l’association canadienne de sport amateur ou de l’organisation journalistique est révoqué. La copie de l’avis doit être publiée dans les délais suivants :

(2) If the Minister gives notice under subsection (1) to a registered charity, to a registered Canadian amateur athletic association or to a registered journalism organization,

a) immédiatement après la mise à la poste de l’avis, si l’organisme de bienfaisance, l’association ou l’organisation a adressé la demande visée à l’alinéa (1)a);

(a) if it has applied to the Minister in writing for the revocation of its registration, the Minister shall, forthwith after the mailing of the notice, publish a copy of the notice in the Canada Gazette, and on that publication of a copy of the notice, the registration is revoked; and

b) dans les autres cas, soit 30 jours après la mise à la poste de l’avis, soit à l’expiration de tout délai supérieur à 30 jours courant de la mise à la poste de l’avis que la Cour d’appel fédérale ou l’un de ses juges fixe, sur demande formulée avant qu’il ne soit statué sur tout appel interjeté en vertu du paragraphe 172(3) au sujet de la signification de cet avis.

(b) in any other case, the Minister may, after the expiration of 30 days from the day of mailing of the notice, or after the expiration of such extended period from the day of mailing of the notice as the Federal Court of Appeal or a judge of that Court, on application made at any time before the determination of any appeal pursuant to subsection 172(3) from the giving of the notice, may fix or allow, publish a copy of the notice in the Canada Gazette, and on that publication of a copy of the notice, the registration is revoked.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[3] Un avis de révocation proposée de l’enregistrement de Brightline en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré daté du 8 septembre 2022 (l’avis de révocation) a été envoyé à Brightline. Le 5 octobre 2022, Brightline a déposé une demande, comme le prescrit l’alinéa 168(2)b) de la Loi, pour obtenir une ordonnance empêchant le ministre de publier, dans la Gazette du Canada, une copie de l’avis de révocation [traduction] « jusqu’à ce que [Brightline] ait terminé le processus d’opposition, aux termes du paragraphe 168(4) de la Loi et, au besoin, un appel devant la Cour, aux termes du paragraphe 173(2) de la Loi ».

[4] Dans son avis de demande, Brightline a demandé au ministre [traduction] « tous les documents produits par le ministre, auxquels il a fait référence, qu’il a consultés ou sur lesquels il s’est fondé de quelque manière que ce soit » en rapport avec la proposition de révocation de l’enregistrement de Brightline en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré. Brightline a indiqué qu’elle faisait cette demande en application des Règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Le 26 octobre 2022, le ministre s’est opposé à la production des documents demandés pour le motif que la Règle 317 ne s’appliquait pas à la demande présentée par Brightline. Brightline a ensuite demandé à notre Cour de donner des directives aux termes de la Règle 318(3) concernant la procédure à suivre pour présenter des observations sur l’objection soulevée par le ministre.

[5] Une directive fixant les délais dans lesquels les parties doivent présenter leurs observations par écrit a été publiée le 2 novembre 2022. À la suite de la publication de cette directive, une copie de l’avis de révocation a été publiée dans la Gazette du Canada le 19 novembre 2022, soit 71 jours après l’envoi de cet avis à Brightline.

[6] Les parties ont fourni leurs observations écrites conformément à la directive les 23 novembre 2022, 14 décembre 2022 et 21 décembre 2022. Toutes les observations ont été déposées après la publication d’une copie de l’avis de révocation dans la Gazette du Canada et, par conséquent, comme le prescrit le paragraphe 168(2) de la Loi, après la révocation de l’enregistrement de Brightline comme organisme de bienfaisance enregistré.

[7] Dans ses observations déposées le 14 décembre 2022, Brightline a déclaré ce qui suit :

[traduction]

9. Dans l’[avis de révocation], le directeur général a menacé de publier l’[avis de révocation] 30 jours après son envoi, mais a également promis de ne pas publier l’[avis de révocation] avant que la Cour n’ait examiné une demande en application de l’alinéa 168(2)b) (fr), si une telle demande était présentée :

Toutefois, veuillez noter que même si [Brightline] dépose un avis d’opposition auprès de l’ARC, cela n’empêchera pas l’ARC de publier l’avis de révocation dans la Gazette du Canada immédiatement après l’expiration d’un délai de 30 jours à compter de la date de mise à la poste de cet avis.

[Brightline] a la possibilité de déposer une demande auprès de la Cour d’appel fédérale (CAF), comme l’indique l’alinéa 168(2)b) de la Loi, afin de demander une ordonnance de suspension de la publication de l’avis de révocation dans la Gazette du Canada. La CAF, après examen de cette demande, peut prolonger la période de 30 jours pendant laquelle l’ARC ne peut pas publier une copie de l’avis.

[8] Rien dans cet extrait de l’avis de révocation n’appuie l’argument de Brightline selon lequel le ministre avait promis de ne pas publier une copie de l’avis de révocation jusqu’à ce que la demande de Brightline aux termes de l’alinéa 168(2)b) de la Loi ait été entendue et qu’une décision ait été rendue par la Cour. L’argument de Brightline est dénué de fondement.

[9] Brightline affirme également que l’alinéa 168(2)b) de la Loi [traduction] « interdit au ministre de publier un avis d’intention de révocation tant qu’un droit d’appel potentiel en application du paragraphe 172(3) (fr) existe, et certainement, par respect fondamental pour la procédure judiciaire, une fois qu’une demande est présentée » (paragraphe 21 de ses observations). Toutefois, cet argument n’est pas étayé par le libellé de l’alinéa 168(2)b) de la Loi :

[...] dans les autres cas, soit 30 jours après la mise à la poste de l’avis, soit à l’expiration de tout délai supérieur à 30 jours courant de la mise à la poste de l’avis que la Cour d’appel fédérale ou l’un de ses juges fixe, sur demande formulée avant qu’il ne soit statué sur tout appel interjeté en vertu du paragraphe 172(3) au sujet de la signification de cet avis [...]

[10] L’alinéa 168(2)b) de la Loi permet simplement à la Cour (à la suite d’une demande présentée par un organisme de bienfaisance enregistré aux termes de cet alinéa) de fixer ou d’autoriser un délai plus long avant qu’une copie de l’avis envoyé à l’organisme de bienfaisance enregistré aux termes du paragraphe 168(1) de la Loi puisse être publiée dans la Gazette du Canada. Rien dans le libellé de l’alinéa 168(2)b) de la Loi n’indique qu’il est [traduction] « interdit » au ministre de publier une copie de l’avis de révocation en attendant l’audition de la demande présentée par Brightline aux termes de l’alinéa 168(2)b) de la Loi.

[11] Le 15 décembre 2022, le ministre a présenté cette requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant la demande de Brightline visant à obtenir une ordonnance reportant la date à laquelle une copie de l’avis de révocation pourrait être publiée dans la Gazette du Canada. Le fondement de la requête était que la demande était théorique puisqu’une copie de l’avis de révocation avait été publiée dans la Gazette du Canada le 19 novembre 2022.

[12] Dans ses observations en réponse à la requête de rejet de sa demande, Brightline ne fait pas valoir que sa demande n’est pas théorique. Elle soutient plutôt que la requête devrait être rejetée parce qu’elle est inutile ou vexatoire ou qu’elle constitue un abus de procédure.

[13] La requête n’est pas superflue. Dans ses observations écrites déposées conformément à la directive donnée le 2 novembre 2022, le ministre a soulevé la question de savoir si la demande de Brightline était théorique en raison de la publication de la copie de l’avis de révocation dans la Gazette du Canada. Toutefois, il s’agissait d’observations sur une autre question (celle de savoir si l’article 317 des Règles était applicable à la demande de Brightline de reporter la date à laquelle une copie de l’avis de révocation pouvait être publiée). Par conséquent, il n’aurait pas été approprié de demander une ordonnance de rejet de la demande de Brightline dans ces observations. Par conséquent, la requête en vue d’obtenir le rejet de la demande de Brightline n’est pas inutile.

[14] La requête n’est pas vexatoire et ne constitue pas un abus de procédure de la Cour. Le ministre (en l’absence d’une ordonnance de la Cour prévoyant le contraire) avait le droit de publier une copie de l’avis de révocation après l’expiration d’un délai de 30 jours à compter de la date de mise à la poste de cet avis à Brightline. Le délai qui doit expirer avant que l’avis puisse être publié aurait pu être prolongé par la Cour dans une ordonnance. Toutefois, le dépôt de la demande devant la Cour en vue d’obtenir un report de la date à laquelle une copie de l’avis de révocation pouvait être publiée n’a pas modifié la date à laquelle le ministre pouvait publier une copie de l’avis. En l’espèce, aucune ordonnance de la Cour ne prolonge le délai qui doit expirer avant que le ministre puisse publier une copie de l’avis de révocation dans la Gazette du Canada. Par conséquent, le 19 novembre 2022, le ministre avait le droit de publier une copie de l’avis de révocation dans la Gazette du Canada. La publication d’une copie de l’avis de révocation a rendu théorique la demande de Brightline de reporter la date à laquelle une copie de cet avis aurait pu être publiée.

[15] Le fait pour le ministre de présenter une requête en vue d’obtenir le rejet d’une demande pour le motif qu’elle soit théorique ne constitue pas un acte vexatoire ou un abus de procédure de la Cour. Il est plutôt plus efficace et moins coûteux de clore la présente affaire maintenant au lieu de procéder à une audition de la demande où la même question, soit celle de savoir si la demande est théorique, serait soulevée.

[16] Brightline affirme également, au paragraphe 20 de ses observations, que la requête en vue d’obtenir le rejet de sa demande constitue un abus de procédure parce que le ministre n’a pas [traduction] « établi, au paragraphe 5 de l’avis de requête, que le statut d’organisme de bienfaisance du demandeur a effectivement été révoqué. Rien ne prouve que le directeur général de la direction des organismes de bienfaisance s’est vu déléguer le pouvoir du ministre de publier un avis d’intention de révoquer le statut d’organisme de bienfaisance dans la Gazette du Canada. Par conséquent, il n’y a pas de preuve que l’avis publié dans la Gazette du Canada est exécutoire ».

[17] Le paragraphe 220(2.01) de la Loi permet au ministre d’autoriser un fonctionnaire ou une catégorie de fonctionnaires à exercer les pouvoirs ou les fonctions qui sont conférés au ministre en vertu de la Loi :

Le ministre peut autoriser un fonctionnaire ou une catégorie de fonctionnaires à exercer les pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés en vertu de la présente loi.

The Minister may authorize an officer or a class of officers to exercise powers or perform duties of the Minister under this Act.

[18] Le pouvoir de publier une copie de l’avis de révocation a été délégué au directeur général de la direction des organismes de bienfaisance (Loi de l’impôt sur le revenu – Autorisation d’exercer les pouvoirs et les fonctions du ministre du Revenu national publiée sur le site internet du gouvernement du Canada). Il n’y a aucun mérite à l’argument de Brightline selon lequel la publication d’une copie de l’avis de révocation n’a pas été dûment autorisée.

[19] La demande de Brightline vise à obtenir une ordonnance reportant la date à laquelle une copie de l’avis de révocation pourrait être publiée dans la Gazette du Canada. La publication d’une copie de cet avis a rendu cette demande théorique.

[20] Les parties ont demandé que la question de savoir si la Règle 317 s’applique à une demande au titre de l’alinéa 168(2)b) de la Loi soit, quoi qu’il en soit, traitée. Toutefois, puisque la demande de Brightline est théorique et qu’elle sera donc rejetée, tout commentaire sur l’applicabilité de l’article 317 des Règles serait une remarque incidente et la question de savoir si l’article 317 des Règles s’applique à une demande présentée aux termes de l’alinéa 168(2)b) de la Loi ne sera pas abordée.

[21] Il convient toutefois de mentionner qu’il existe un court délai de 30 jours entre la mise à la poste de l’avis de révocation proposée et la date à laquelle le ministre pourrait publier une copie de cet avis dans la Gazette du Canada. Ce court délai soulève la question de savoir s’il était prévu que la Règle 317 (qui entraînerait des retards dans l’audition d’une demande aux termes de l’alinéa 168(2)b) de la Loi) s’applique à une demande présentée en application de l’alinéa 168(2)b) de la Loi. Les retards dans l’audition de la demande la rendrait théorique si, comme en l’espèce, une copie de l’avis est publiée dans la Gazette du Canada avant l’audition de la demande et qu’une ordonnance est obtenue reportant la date à laquelle une copie de l’avis pourrait être publiée.

[22] La requête du ministre sera accueillie, avec dépens, et la demande de Brightline visant à obtenir une ordonnance prolongeant le délai qui devait expirer avant que le ministre puisse publier, dans la Gazette du Canada, une copie de l’avis de révocation, sera rejetée pour le motif que cette demande est théorique.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-212-22

INTITULÉ :

BRIGHTLINE FOUNDATION c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

Le 2 février 2023

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Josh Vander Vies

Pour la demanderesse

Spencer Landsiedel

Anatoliy Vlasov

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Versus Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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