Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230206


Dossier : A-17-21

Référence : 2023 CAF 24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

FÉDÉRATION MÉTISSE DU MANITOBA INC.

appelante

et

LA RÉGIE DE L’ÉNERGIE DU CANADA ET LA RÉGIE DE L’HYDRO-ÉLECTRICITÉ DU MANITOBA

intimées

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

intervenant

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe,

les 21 et 22 juin 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 février 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20230206

Dossier : A-17-21

Référence : 2023 CAF 24

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

FÉDÉRATION MÉTISSE DU MANITOBA INC.

appelante

et

LA RÉGIE DE L’ÉNERGIE DU CANADA ET LA RÉGIE DE L’HYDRO-ÉLECTRICITÉ DU MANITOBA

intimées

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN


Table des matières

I. Introduction 4

II. Questions en litige 9

III. Norme de contrôle 10

IV. Exposé des faits 13

A. L’histoire des Métis du Manitoba et de la FMM 14

B. Processus ayant mené à l’approbation, à la construction et à l’exploitation du projet 15

C. Le texte modifié des conditions 3 et 15 19

D. La plainte de la FMM auprès de l’ONÉ (ultérieurement remplacé par la Commission de la Régie de l’énergie du Canada) 21

E. L’historique du contentieux lié au projet devant les tribunaux du Manitoba 24

V. La décision faisant l’objet de l’appel 25

VI. Discussion 27

A. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte ou d’appliquer le principe de l’honneur de la Couronne dans la décision? 27

B. La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant incorrectement le sens de la condition 3, dans sa version modifiée par le décret fédéral? 35

(1) Les observations de la FMM 35

(2) La décision de la Commission 36

(3) Principes d’interprétation des lois applicables à la condition 3 40

(a) L’analyse du libellé de la condition 3 41

(b) L’analyse du contexte de la condition 3 45

(i) Bref aperçu de la Loi sur la RCÉ 46

(ii) Décision EH-001-2017 48

(iii) Le Rapport sur la consultation et l’accommodement 50

(iv) Le décret fédéral 55

(c) L’analyse de l’objet de la condition 3 57

(4) Conclusion de l’interprétation de la condition 3 59

C. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte les effets de la décision sur les droits garantis aux Métis par l’article 35, comme l’exige le paragraphe 56(1) de la Loi sur la RCÉ? 64

D. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir une audience publique avant de rendre la décision, comme l’exige le paragraphe 52(1) de la Loi sur la RCÉ? 67

VII. Conclusion 69


I. Introduction

[1] L’appelante, la Manitoba Métis Federation Inc. (MMF) ou Fédération métisse du Manitoba (FMM), représente les intérêts des Métis du Manitoba dans le présent appel. La FMM interjette appel de la décision rendue par la Commission de la Régie de l’énergie du Canada (la Commission) le 11 août 2020, dans le dossier OF-FAC-IPL-M180-2015-01 04 (la décision). La décision porte sur la mise en œuvre et le suivi des engagements pris envers les Métis, dans le cadre du Projet de transmission Manitoba – Minnesota (le projet).

[2] Ce projet consiste en une ligne internationale de transport d’électricité de 213 kilomètres, qui va de Winnipeg jusqu’à la frontière entre le Manitoba et le Minnesota. La zone de développement du projet est constituée d’un peu moins de 716 hectares de terres publiques, dont 293 hectares sont des terres publiques inoccupées. Ces terres publiques inoccupées sont des zones à l’intérieur desquelles les Métis sont libres d’exercer leurs droits de récolte sans obtenir l’autorisation de l’État. Le projet traverse le cœur du territoire de la communauté métisse, à l’intérieur duquel les Métis pratiquent la chasse, la pêche et le piégeage et recueillent des aliments, des pierres et des minéraux à des fins domestiques, sociales et rituelles.

[3] L’intimée, la Régie de l’hydro-électricité du Manitoba (Manitoba Hydro), est une société d’État provinciale et un agent de la Couronne de la province du Manitoba, établie sous le régime de la Loi sur l’Hydro-Manitoba, c. H190 de la C.P.L.M. Manitoba Hydro est le promoteur du projet, responsable de sa construction et de son exploitation.

[4] La première intervenante, la Régie de l’énergie du Canada (la Régie), participe à la présente instance pour aider la Cour à comprendre la mission et les champs de compétence qui sont conférés à la Régie et à sa Commission par la loi, notamment le rôle de la Commission qui est de veiller à ce que les promoteurs, comme Manitoba Hydro, respectent les conditions assorties aux certificats d’utilité publique qui sont délivrés pour la construction et l’exploitation de lignes internationales de transport d’électricité. La Régie ne se prononce pas sur le fond de l’appel.

[5] Le deuxième intervenant, le procureur général du Manitoba, représente le gouvernement du Manitoba et participe à la présente instance parce que les questions en litige soulevées dans l’appel sont d’intérêt général pour la province.

[6] Le projet traverse une frontière internationale. Il est donc assujetti à diverses exigences réglementaires provinciales et fédérales. Manitoba Hydro devait obtenir une licence provinciale conformément à la Loi sur l’environnement du Manitoba, c. E125 de la C.P.L.M., un processus qui exigeait la réalisation d’une évaluation environnementale et la tenue d’audiences devant la Commission de protection de l’environnement du Manitoba. Manitoba Hydro devait également obtenir les autorisations fédérales requises aux termes de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N-7, abrogée par la Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, L.C. 2019, ch. 28, art. 44 (la Loi sur l’ONÉ), ainsi que de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52, abrogée par la Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, L.C. 2019, ch. 28, art. 9 (la Loi sur la RCÉ). Les processus provinciaux et fédéraux ont été coordonnés.

[7] En décembre 2016, Manitoba Hydro a demandé un permis en application de l’article 58.11 de la Loi sur l’ONÉ, afin d’obtenir de l’Office national de l’énergie (l’ONÉ) l’autorisation de construire et d’exploiter le projet (la demande de projet ou demande).

[8] En octobre 2017, en réponse à des préoccupations soulevées par des groupes autochtones, l’ONÉ a recommandé au ministre des Ressources naturelles (désigné par le gouverneur en conseil comme responsable de la Loi sur l’ONÉ) d’exiger pour le projet un certificat d’utilité publique en application de l’article 58.16 de la Loi sur l’ONÉ, plutôt qu’un permis délivré aux termes de l’article 58.11 de la Loi sur l’ONÉ. L’ONÉ a formulé cette recommandation, car il estimait que l’évaluation exigée pour la délivrance d’un certificat était plus rigoureuse que celle requise pour la délivrance d’un permis. L’évaluation exigée pour la délivrance d’un certificat offre également une plus grande souplesse sur le plan procédural et requiert la tenue d’une audience publique devant l’ONÉ. Les audiences publiques aident l’ONÉ à s’acquitter de ses obligations constitutionnelles envers les groupes autochtones touchés par le projet, et confèrent à l’ONÉ des pouvoirs réparateurs suffisants pour étudier les préoccupations autochtones susceptibles d’être soulevées en lien avec la demande de projet. Cette évaluation exige également que le projet soit approuvé par le gouverneur en conseil avant qu’un certificat puisse être délivré.

[9] En décembre 2017, le gouverneur en conseil a désigné le projet comme étant une ligne internationale de transport d’électricité devant être construite et exploitée conformément au certificat délivré aux termes de la Loi sur l’ONÉ.

[10] En mars 2018, la Couronne fédérale a informé l’ONÉ et toutes les parties concernées qu’elle se fonderait sur l’évaluation exigée aux fins de la délivrance du certificat aux termes de la Loi sur l’ONÉ, pour s’acquitter de son obligation constitutionnelle de consulter les groupes autochtones dont les droits pourraient être lésés par le projet.

[11] En juin 2018, l’ONÉ a tenu des audiences publiques sur plusieurs semaines, au cours desquelles il a entendu une preuve traditionnelle orale, mené des contre-interrogatoires, entendu des plaidoiries et reçu des observations écrites.

[12] Après que l’ONÉ a terminé ses audiences publiques, mais avant qu’il publie ses motifs, notre Cour a rendu l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2019] 2 R.C.F. 3 [Tsleil-Waututh I]. Se fondant sur les orientations énoncées dans l’arrêt Tsleil-Waututh I, la Couronne fédérale, représentée par le Bureau de gestion des grands projets, a élargi ses consultations auprès des groupes autochtones touchés par le projet.

[13] Le 15 novembre 2018, l’ONÉ a présenté au ministre des Ressources naturelles ses motifs de la décision EH-001-2017 (décision EH-001-2017), décision dans laquelle l’ONÉ recommandait d’approuver le projet sous réserve de 28 conditions.

[14] Le 3 juin 2019, le Bureau de gestion des grands projets a présenté son Rapport sur la consultation et l’accommodement pour le projet de ligne de transmission Manitoba-Minnesota (le Rapport) au gouverneur en conseil.

[15] Le 13 juin 2019, le gouverneur en conseil a modifié certaines conditions énoncées dans la décision EH-001-2017 par voie d’un décret portant le numéro C.P. 2019-0784 (le décret fédéral). Comme je l’explique ultérieurement, les questions en litige dans le présent appel portent essentiellement sur la manière dont la Commission a interprété les modifications qui ont été apportées à la condition 3 et, plus précisément, sur le sens à donner aux expressions « tous les engagements pris envers les groupes autochtones » et « ou autrement consignés dans les dossiers ».

[16] Le 18 juin 2019, l’ONÉ a délivré le certificat EC-059 (le certificat), qui autorisait Manitoba Hydro à procéder à la construction et à l’exploitation du projet sous réserve de 28 conditions assorties au certificat (les conditions de l’ONÉ, modifiées par le décret fédéral).

[17] La construction du projet est maintenant terminée.

[18] Le 23 juillet 2019, la FMM a écrit à l’ONÉ pour lui faire savoir que Manitoba Hydro ne mettait pas en œuvre les engagements énoncés à la condition 3 du certificat, ni n’assurait le suivi de ces engagements comme l’exigeait la condition 15. Je décrirai plus en détail les conditions 3 et 15 aux paragraphes 58 et 59 des présents motifs.

[19] Le 28 août 2019, la Loi sur l’ONÉ a été abrogée et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, L.C. 2019, ch. 28, art. 10 (le Loi sur la RCÉ), a été édictée. Conformément à la Loi sur la RCÉ, l’ONÉ a été remplacée par la Régie de l’énergie du Canada et chaque certificat délivré par l’ONÉ est considéré l’avoir été aux termes de la Loi sur la RCÉ.

[20] Le 4 juin 2020, la FMM a déposé un avis de requête auprès de la Commission, demandant qu’il soit déclaré que Manitoba Hydro avait enfreint la condition 3 du certificat, dans sa version modifiée par le décret fédéral. Dans l’avis de requête, la FMM alléguait que Manitoba Hydro avait omis [traduction] « d’appliquer, ou de faire appliquer, […] tous les engagements pris envers les groupes autochtones, dont il est fait mention dans la demande ou qui sont autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 » [soulignement omis].

[21] Le 11 août 2020, la Commission a rendu sa décision et a conclu que Manitoba Hydro s’était conformée aux conditions 3 et 15 du certificat. C’est cette décision qui fait l’objet du présent appel prévu par la loi.

II. Questions en litige

[22] La FMM invoque les quatre motifs d’appel suivants :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte ou d’appliquer le principe de l’honneur de la Couronne dans la décision?

  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant incorrectement le libellé de la condition 3, dans sa version modifiée par le décret fédéral?

  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte les effets de la décision sur les droits des Métis, confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, comme l’exige le paragraphe 56(1) de la Loi sur la RCÉ?

  4. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir une audience publique avant de rendre la décision, comme l’exige le paragraphe 52(1) de la Loi sur la RCÉ?

[23] La FMM fait valoir que ces questions sont toutes des questions de droit.

[24] Elle affirme que la Commission a commis une erreur à l’égard de chacune de ces questions et elle demande à notre Cour d’accueillir l’appel, d’infirmer la décision et de renvoyer l’affaire à la Commission aux fins d’un nouvel examen.

[25] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel avec dépens.

III. Norme de contrôle

[26] Le paragraphe 72(1) de la Loi sur la RCÉ dispose qu’il peut être interjeté appel devant notre Cour, avec son autorisation, d’une décision de la Commission sur une question de droit ou de compétence. Notre Cour a autorisé l’appel le 19 novembre 2020. Par conséquent, la norme de contrôle en appel qui s’applique aux questions de droit soulevées dans le présent appel est la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 au para. 37 [Vavilov]; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 au para. 8).

[27] L’arrêt Vavilov exige de notre Cour qu’elle s’écarte de sa jurisprudence passée selon laquelle un appel prévu par la loi, interjeté à l’encontre de l’ONÉ – le prédécesseur de la Régie de l’énergie du Canada – aurait commandé l’application de la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, Tsleil-Waututh I aux para. 212 à 219; Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418 au para. 145).

[28] Je suis d’avis que les quatre motifs d’appel soulèvent tous des questions de droit.

[29] En ce qui a trait au premier motif d’appel, la question de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant de prendre en compte ou d’appliquer le principe de l’honneur de la Couronne dans la décision doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

[30] Le deuxième motif d’appel invoqué par la FMM porte sur l’interprétation du libellé de la condition 3. Bien que la distinction entre le droit et les faits semble ici quelque peu « floue », cette question a un fort contenu juridique et elle commande une réponse essentiellement fondée sur le droit et les normes juridiques. Notre Cour devrait adopter ici la norme « de la question de droit isolable ou du principe juridique isolable » (voir Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573 aux para. 26 à 28 [Emerson Milling]).

[31] Si l’on pousse l’analyse plus loin et que l’on suit l’approche adoptée par notre Cour dans l’arrêt Emerson Milling, il appert que, selon la FMM, le caractère essentiel de ce motif d’appel est l’erreur de droit que la Commission a commise en faisant une interprétation juridiquement erronée des engagements pris envers un groupe autochtone dans les dossiers de l’instance de l’ONÉ. Ce motif d’appel soulève donc une question liée à l’interprétation d’un texte législatif : qu’entend-on par « engagements [...] consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 »? En l’espèce, les engagements englobent-ils plus précisément le document intitulé MAP (Major Agreed Points)?

[32] Il s’agit d’une question de droit isolable. Il n’y a qu’une seule bonne réponse à la question de savoir si le MAP constitue un engagement consigné dans les dossiers de l’instance EH-001-2017. Cette question est limitée par le contexte précis dans lequel l’instance de l’ONÉ a mené à la décision EH-001-2017, par les consultations supplémentaires qui ont suivi ainsi que par le décret fédéral.

[33] En d’autres termes, la Commission devait essentiellement déterminer la portée de ses propres dossiers. En sa qualité de tribunal administratif et de cour d’archives, la Commission a le pouvoir de déterminer ce qui constitue un engagement qui a été consigné dans les dossiers et qui, dans les faits, deviendra une condition exécutoire assortie au certificat.

[34] Comme c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à cette question, notre Cour n’a pas à faire preuve de déférence à l’endroit de la Commission. Elle doit faire sa propre interprétation du texte législatif afin de déterminer si la Commission a commis une erreur.

[35] Le troisième motif d’appel soulève la question de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte des droits reconnus par l’article 35. La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte.

[36] Le dernier motif d’appel soulève des questions d’équité procédurale. La Cour suprême du Canada a récemment confirmé que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale dans le cadre d’un appel prévu par la loi (Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, [2022] A.C.S. no 29 (QL) aux para. 27 et 30).

IV. Exposé des faits

[37] Avant de commencer l’analyse, il serait utile de situer les questions en litige en examinant plus en détail le contexte. Un rappel des faits ayant amené la FMM à se présenter devant notre Cour, ainsi que du rôle de la Régie à titre d’organisme de réglementation, aidera à comprendre le texte, le contexte et l’objet de la condition 3. Cela nous fournira également des éléments permettant de déterminer si la Commission s’est acquittée de son obligation aux termes du paragraphe 56(1) de la Loi sur la RCÉ de prendre en compte tout effet préjudiciable que la décision pourrait avoir sur les droits garantis aux Métis par l’article 35.

[38] Je répéterai certains événements mentionnés dans l’introduction des présents motifs afin d’en établir clairement la chronologie.

A. L’histoire des Métis du Manitoba et de la FMM

[39] Pendant des années, les Métis se sont battus afin que les tribunaux reconnaissent et protègent leurs droits ancestraux constitutionnels, et ils y sont parvenus. Leur histoire comprend la création même de la province du Manitoba, en 1870. À l’époque, les Métis représentaient quatre-vingt-cinq (85) pour cent de la population de ce qui est aujourd’hui le Manitoba.

[40] En 2013, la Cour suprême du Canada a été le premier tribunal à reconnaître que les obligations constitutionnelles envers les Métis engageaient l’honneur de la Couronne aux termes de l’article 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, L.C. 1870, ch. 3 (la Loi sur le Manitoba). La Cour suprême a conclu que l’article 31 de la Loi sur le Manitoba n’était pas un traité, mais qu’il s’agissait d’une obligation constitutionnelle qui était destinée à répondre aux préoccupations des Autochtones et qui a ensuite permis la création de la province du Manitoba (Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623 aux para. 93 et 94 [MMF de 2013]). La Cour suprême a également conclu que l’honneur de la Couronne était engagé et que cela avait engendré une obligation envers les Métis de réalisation diligente de l’objectif visé (MMF de 2013 au para. 94). La Cour suprême a jugé que cela n’avait pas été fait dans cette affaire et qu’un gouvernement qui aurait eu l’intention sincère de respecter l’obligation que lui commandait son honneur pouvait et aurait dû faire mieux (MMF de 2013 au para. 128).

[41] Dans le même arrêt, la Cour suprême a, pour la première fois, accordé à la FMM qualité pour représenter les intérêts collectifs des Métis du Manitoba (MMF de 2013 au para. 44).

[42] Les Métis ont aussi été reconnus comme faisant partie des peuples autochtones du Canada aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. C’est ainsi que les Métis bénéficient d’un droit constitutionnel garanti par l’article 35 de pratiquer des activités comme la chasse qui, historiquement, ont constitué des caractéristiques importantes de leurs communautés distinctes (R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207).

B. Processus ayant mené à l’approbation, à la construction et à l’exploitation du projet

[43] En 2014, la FMM, la province du Manitoba et Manitoba Hydro ont conclu l’entente Kwaysh-kin-na-mihk la paazh (qui, en langue michif, signifie « tourner la page » [l’ETP]). L’ETP décrit l’intention des parties d’établir une relation de travail productive, non contradictoire et tournée vers l’avenir, dans le contexte des projets de développement et d’exploitation actuels et futurs de Manitoba Hydro. Cette entente prévoit un processus permettant aux parties de déterminer les effets des projets de développement actuels et futurs de Manitoba Hydro sur les droits garantis aux Métis par l’article 35 et, au besoin, un processus pour déterminer les accommodements requis pour atténuer ces effets.

[44] Conformément à l’ETP, Manitoba Hydro et la FMM ont tenu des rencontres pour discuter du projet, ainsi que d’autres projets de transmission existants et futurs, à partir de 2014.

[45] Le 12 janvier 2016, Manitoba Hydro et la FMM ont conclu une entente de contribution (l’entente de contribution) qui prévoyait le versement à la FMM d’un financement pour mener une étude visant à évaluer les effets potentiels du projet sur l’utilisation et l’occupation des terres par les Métis. L’étude sur l’utilisation et l’occupation des terres par les Métis a été publiée en décembre 2016.

[46] Le 1er mars 2017, Manitoba Hydro et la FMM ont signé un protocole d’entente. Ce protocole d’entente faisait référence à l’ETP et définissait un processus de négociation précis et d’une durée limitée auquel devaient se soumettre Manitoba Hydro et le FMM dans le cadre du projet.

[47] Ces négociations ont permis de convenir de plusieurs points principaux à l’égard du projet et d’autres projets de transmission existants et futurs. Les principaux points convenus ont été consignés par écrit le 29 juin 2017 dans un document intitulé Major Agreed Points (le MAP). Le MAP prévoyait : (1) le versement par Manitoba Hydro à la FMM de la somme de 1,5 million de dollars par année pendant 20 ans et (2) le versement d’un paiement forfaitaire unique de 37 500 000 $ dans un fonds des legs destiné aux Métis. En contrepartie de ces paiements, la FMM devait présenter une décharge totale et définitive à l’égard du projet, ainsi que d’autres projets de transmission existants et futurs qui seraient entrepris par Manitoba Hydro durant les 20 premières années de l’entente.

[48] Le 5 juillet 2017, le conseil d’administration de Manitoba Hydro a confirmé, dans son procès-verbal, qu’il était disposé à négocier et à signer avec la FMM une entente qui respecterait essentiellement les conditions énoncées dans le MAP. L’approbation du MAP restait toutefois subordonnée à l’exigence voulant que Manitoba Hydro informe le gouvernement du Manitoba et définisse les détails de l’entente, ainsi qu’à un examen par les avocats-conseils.

[49] Le 31 octobre 2017, l’ONÉ a recommandé au ministre des Ressources naturelles que le projet soit désigné par décret du gouverneur en conseil comme étant une ligne internationale de transport d’électricité devant être construite et exploitée aux termes d’un certificat d’utilité publique délivré en application de l’article 58.16 de la Loi sur l’ONÉ.

[50] Le 15 décembre 2017, le gouverneur en conseil a désigné le projet comme étant une ligne internationale de transport d’électricité devant être construite conformément au certificat délivré aux termes de la Loi sur l’ONÉ.

[51] Le 21 décembre 2017, l’ONÉ a rendu un décret portant avis et établissant le calendrier des audiences publiques en vue de l’évaluation du certificat. Dix-neuf parties, dont la FMM, ont obtenu le statut d’intervenant. Les audiences se sont déroulées sur une période de six mois, de décembre 2017 à juin 2018.

[52] Les audiences publiques furent l’occasion, pour Manitoba Hydro et les intervenants, de présenter des demandes de renseignements, des lettres de commentaires et une preuve écrite et verbale, de mener des contre-interrogatoires, ainsi que de présenter des observations finales écrites et orales. Les intervenants autochtones ont eu la possibilité de présenter une preuve traditionnelle orale. L’ONÉ a recueilli et pris en compte tous ces renseignements et éléments de preuve pour rendre sa décision, avant de soumettre le projet à l’approbation du gouverneur en conseil. Je reviendrai sur ce point ultérieurement, au paragraphe 211, lorsque j’examinerai la question de savoir si la Commission a enfreint les principes d’équité procédurale avant de rendre la décision.

[53] Le 21 mars 2018, alors que les audiences publiques devant l’ONÉ se poursuivaient, le lieutenant-gouverneur en conseil du Manitoba a pris le décret no 82/2018 (le décret du Manitoba) enjoignant à Manitoba Hydro de ne pas aller de l’avant avec le MAP à ce stade. Le lieutenant-gouverneur en conseil du Manitoba a donné cette directive en invoquant le pouvoir qui lui est conféré par le paragraphe 13(1) de la Loi sur la gouvernance et l’obligation redditionnelle des corporations de la Couronne, c. C.P.L.M, c. C336.

[54] Du 4 au 8 juin 2018, divers intervenants autochtones ont présenté une preuve traditionnelle orale à l’ONÉ dans le cadre des audiences publiques. La FMM n’a présenté aucune preuve traditionnelle écrite ou orale. Cependant, à la clôture des audiences de l’ONÉ, la FMM a ajouté les documents de l’ETP et du MAP au dossier des audiences de l’ONÉ, dans le cadre de sa réponse à la première demande de renseignements de l’ONÉ. Durant sa plaidoirie devant l’ONÉ, Manitoba Hydro a demandé à l’ONÉ de rendre une décision radiant la réponse de la FMM du dossier, car il y était fait mention du MAP. L’ONÉ a rejeté la requête de Manitoba Hydro et a ainsi autorisé le maintien de l’ETP et du MAP dans les dossiers de l’instance, malgré les objections de Manitoba Hydro.

[55] En août 2018, notre Cour a rendu l’arrêt Tsleil-Waututh I, dans lequel elle énonçait des orientations sur la manière dont la Couronne fédérale peut engager un véritable dialogue précis et ciblé avec les groupes autochtones dont les droits pourraient être lésés par de grands projets tels que des pipelines. La Couronne fédérale a immédiatement suivi les orientations définies dans l’arrêt Tsleil-Waututh I et a chargé le Bureau de gestion des grands projets d’étendre les consultations auprès de 21 groupes autochtones susceptibles d’être touchés par le projet, dont la FMM.

[56] En novembre 2018, l’ONÉ a publié sa décision concernant le projet, la décision EH-001-2017, dans laquelle il recommandait que le projet soit approuvé sous réserve de 28 conditions.

[57] Le 3 juin 2019, avant que le gouverneur en conseil rende sa décision concernant l’approbation du certificat, le Bureau de gestion des grands projets a publié son Rapport sur la consultation et l’accommodement, dans lequel il était recommandé que les conditions 3, 15, 21, 22 et 26 énoncées dans la décision EH-001-2017 soient modifiées pour prendre en compte les préoccupations soulevées par les groupes autochtones durant la phase de consultation supplémentaire.

C. Le texte modifié des conditions 3 et 15

[58] Le 13 juin 2019, le gouverneur en conseil a donné son aval aux recommandations formulées dans le Rapport sur la consultation et l’accommodement et a délivré le certificat. La condition 3 (telle qu’elle avait été recommandée par l’ONÉ) a été modifiée comme suit. Les modifications apportées à la condition 3 par le gouverneur en conseil sont soulignées et en italique. Le texte en caractère gras l’était déjà dans les conditions initiales recommandées par l’ONÉ dans sa décision EH-001-2017 :

3. Mise en œuvre des engagements

3. Implementation of Commitments

Manitoba Hydro doit appliquer, ou faire appliquer, l’ensemble des politiques, pratiques, mesures d’atténuation, recommandations et marches à suivre, concernant la protection de l’environnement et la promotion de la sécurité dont il est fait mention dans la demande ou dont elle a convenu dans les documents connexes de même que tous les engagements pris envers les groupes autochtones dans la demande ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017.

Manitoba Hydro must implement or cause to be implemented all of the policies, practices, mitigation measures, recommendations, and procedures for the protection of the environment and promotion of safety referred to in its application, or as otherwise agreed to in its related submissions as well as all commitments made to Indigenous groups through its Project application or otherwise on the record of the EH-001-2017.

[59] La condition 15 a elle aussi été modifiée, afin d’obliger Manitoba Hydro à déposer un tableau de suivi des engagements. La portion pertinente est reproduite ci-après [les modifications apportées à la condition 15 par le gouverneur en conseil sont soulignées et en italique].

15. Tableau de suivi des engagements

15. Commitments Tracking Table

Manitoba Hydro doit:

Manitoba Hydro must:

a) déposer auprès de [la Commission] et afficher sur son site Web […] un tableau de suivi des engagements énumérant tous les engagements qu’elle a pris dans sa demande, y compris tous les engagements pris envers les collectivités autochtones, ou dont elle a convenu dans ses réponses aux questions ou dans les documents déposés au cours de l’instance EH-001-2017 de l’[ONÉ], de même que les engagements d’intérêt fédéral pris devant la Commission de protection de l’environnement, et indiquant :

a) file with the [Commission] and post on its website […] a commitments tracking table listing all commitments made in its application, including all commitments made to Indigenous communities, and otherwise agreed to during questioning or in its related submissions in the [NEB]’s EH-001-2017 proceeding, as well as commitments from the Clean Environment Commission hearing process that are of federal interest, and that includes references to:

i) le document où chaque engagement est énoncé (p. ex., la demande, les réponses aux demandes de renseignements, les transcriptions de l’audience, les exigences relatives aux permis, les dépôts liés aux conditions ou d’autres documents),

i. the document in which each commitment appears (for example, the application, responses to information requests, hearing transcripts, permit requirements, condition filings, or other document);

ii) la personne responsable de la réalisation de chaque engagement,

ii. the accountable lead for implementing each commitment; and,

iii) les délais estimatifs pour la réalisation de chaque engagement;

iii. the estimated timeline associated with the fulfillment of each commitment;

[…]

[…]

[Le texte souligné et en italique représente les amendements faits à la Condition 15].

[The underlined and italicized portion represents the amendments made to Condition 15].

[60] Comme je l’ai mentionné précédemment, la question centrale dans le présent appel porte sur l’interprétation que la Commission a faite d’une phrase contenue dans la condition 3 (« tous les engagements pris envers les groupes autochtones dans la demande ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 »).

D. La plainte de la FMM auprès de l’ONÉ (ultérieurement remplacé par la Commission de la Régie de l’énergie du Canada)

[61] Le 23 juillet 2019, la FMM a déposé une plainte par écrit auprès de l’ONÉ, dans laquelle elle alléguait que Manitoba Hydro ne mettait pas en œuvre les engagements qu’elle avait pris envers la FMM ni n’en faisait le suivi, comme l’exigeaient les conditions 3 et 15. La FMM faisait valoir que l’entente de contribution et le MAP constituaient, collectivement, des engagements envers la FMM au sens de la condition 3 et que Manitoba Hydro devait honorer ces engagements dans le cadre des conditions imposées par le gouverneur en conseil pour la délivrance du permis du projet.

[62] Durant les mois qui ont suivi, la FMM et Manitoba Hydro ont présenté plusieurs lettres à l’ONÉ dans lesquelles elles exposaient leur position respective sur cette question. Durant cette période, la Loi sur la RCÉ est entrée en vigueur le 28 mai 2019 et la Commission est ainsi devenue responsable de la gestion du projet.

[63] Le 4 juin 2020, la FMM a déposé un avis de requête auprès de la Commission, lui demandant d’exercer ses pouvoirs et de rendre un jugement déclaratoire portant que Manitoba Hydro avait enfreint la condition 3 du certificat. La FMM demandait que le certificat soit suspendu. Elle demandait également la tenue d’une audience publique en application du paragraphe 52(1) de la Loi sur la RCÉ.

[64] Dans son avis de requête, la FMM a énoncé ses motifs comme suit :

[TRADUCTION]

  • Le projet aura d’importantes répercussions sur les droits constitutionnels garantis aux Métis par l’article 35, répercussions qui sont bien documentées dans l’étude sur l’utilisation et l’occupation des terres par les Métis et dans les dossiers présentés à l’ONÉ. Pour répondre à ces répercussions, la FMM et Manitoba Hydro ont établi un document définissant les principaux points, intitulé Major Agreed Points (le MAP). La FMM décrit le MAP comme une entente d’accommodement qui prend en compte toutes les préoccupations des Métis à l’égard du projet et qui y répond intégralement et définitivement.

  • Malgré les objections de Manitoba Hydro, la FMM a obtenu que le MAP soit versé aux dossiers de l’ONÉ.

  • La question pour la Commission est de savoir si le MAP constitue un engagement qui a été pris envers un groupe autochtone dans la demande de projet de Manitoba Hydro ou qui a été autrement consigné dans les dossiers de l’instance EH-001-2017, et dont la Commission doit assurer la mise en application.

  • Cette question engage l’honneur de la Couronne, car c’est l’honneur de la Couronne qui donne naissance à l’obligation pour la Couronne de consulter et, s’il y a lieu, de prendre des mesures d’accommodement pour atténuer les effets sur les droits constitutionnels garantis par l’article 35, et qui a mené aux modifications qui ont été apportées à la condition 3 par le Canada. L’honneur de la Couronne exige non seulement que la Couronne mène des consultations et mette en place des mesures d’accommodement précises, mais aussi que ces mesures soient mises en œuvre de manière à ce qu’elles ne constituent pas une promesse vide envers des groupes autochtones comme la FMM.

[65] La FMM soutient que le MAP est un engagement qui a été pris envers les groupes autochtones [traduction] « dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 ». Selon la FMM, Manitoba Hydro a enfreint la condition 3 du certificat en omettant d’appliquer, ou de faire appliquer, le MAP.

[66] Dans sa lettre de décision datée du 11 août 2020, la Commission a conclu que Manitoba Hydro s’était conformée aux conditions 3 et 15. Pour rendre sa décision, la Commission a consulté les dossiers créés durant les audiences publiques ainsi que les lettres échangées entre Manitoba Hydro et la FMM dans lesquelles elles exposaient leur thèse respective. La Commission a également tenu compte du Rapport sur la consultation et l’accommodement invoqué par la FMM dans ses observations écrites.

E. L’historique du contentieux lié au projet devant les tribunaux du Manitoba

[67] Comme je l’ai indiqué précédemment au paragraphe 53, en mars 2018, le gouvernement du Manitoba a pris un décret enjoignant à Manitoba Hydro de ne pas aller de l’avant avec le MAP « à ce stade ». Le décret du Manitoba a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la FMM à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba (Manitoba Métis Federation Inc. v. Brian Pallister et al., 2020 MBQB 49, [2020] 8 W.W.R. 523) [décision Pallister], et a par la suite fait l’objet d’un appel auprès de la Cour d’appel du Manitoba (Manitoba Métis Federation Inc. v. Brian Pallister et al., 2021 MBCA 47, [2021] 7 W.W.R. 475, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC rejetée, 39799 (3 mars 2022) [arrêt Pallister]).

[68] La Cour d’appel du Manitoba a retenu la thèse de la FMM et a indiqué que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que l’honneur de la Couronne n’était pas engagé et ne s’appliquait pas à l’ETP ou au décret du Manitoba. La Cour d’appel a accepté les observations de la FMM selon lesquelles l’honneur de la Couronne s’applique à l’ETP, laquelle s’applique au MAP, et qu’il est donc lié au décret du Manitoba (arrêt Pallister aux para. 49 à 51). La Cour d’appel a toutefois conclu que le gouvernement du Manitoba avait traité de manière honorable les questions concernant le MAP (arrêt Pallister aux para. 55, 67 et 87). La requête de la FMM visant à obtenir l’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été rejetée.

[69] En plus des demandes de contrôle judiciaire, la FMM a déposé une déclaration auprès de la Cour du Banc du Roi du Manitoba contre Manitoba Hydro et le gouvernement du Manitoba, dans laquelle elle demande notamment qu’il soit déclaré que le MAP est une entente ayant force exécutoire. Cette instance est toujours en cours.

[70] Je vais maintenant examiner la décision contestée.

V. La décision faisant l’objet de l’appel

[71] La Commission a conclu que Manitoba Hydro s’était conformée aux conditions 3 et 15 du certificat. Elle a également conclu qu’il n’y avait aucune raison d’accorder la mesure de redressement que la FMM avait demandée, que ce soit dans ses lettres ou dans son avis de requête (décision à la p. 1).

[72] La Commission a ajouté qu’on ne lui demandait pas de se prononcer sur la « qualification juridique » de l’ETP, de l’entente de contribution ou du MAP (collectivement les documents du MAP). Elle a conclu que le contentieux entre la FMM et Manitoba Hydro portait plutôt sur la question de savoir si les documents du MAP et, plus précisément, le MAP lui-même constituent des engagements au sens de la condition 3 du certificat. Si les documents du MAP et, plus précisément, le MAP lui-même, sont des engagements, il s’agissait alors pour la Commission de déterminer si ces engagements devaient figurer dans le tableau de suivi des engagements exigé à la condition 15 du certificat (décision à la p. 7).

[73] La Commission a conclu que Manitoba Hydro n’avait pris ni reconnu aucun engagement à l’égard des documents du MAP dans ses documents relatifs à la demande ou dans les dossiers de la décision EH-001-2017. La Commission a mentionné que Manitoba Hydro s’était au contraire opposée à ce que les documents du MAP et, plus précisément, le MAP lui-même soient présentés à l’ONÉ, car Manitoba Hydro estimait que le MAP n’avait pas force exécutoire et qu’il ne faisait pas partie de sa demande présentée à l’ONÉ. La Commission a jugé qu’il n’y avait pas eu d’engagement explicite ni de reconnaissance officielle de la part de Manitoba Hydro indiquant que les documents du MAP constituaient un engagement (décision à la p. 10).

[74] La Commission a donc conclu que les documents du MAP ne constituaient pas un engagement pris par Manitoba Hydro dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 ou dans sa demande (décision à la p. 10).

[75] Dans sa conclusion, la Commission a déclaré que les documents du MAP ne constituaient pas un engagement au sens de la condition 3 et qu’ils n’avaient donc pas à figurer dans le tableau de suivi des engagements exigé à la condition 15. Étant arrivée à cette conclusion, la Commission a indiqué que rien ne justifiait qu’elle prenne d’autres mesures relativement au respect des conditions, ou qu’elle accorde l’une ou l’autre des mesures de redressement demandées par la FMM (décision à la p. 15).

[76] Je vais maintenant passer à l’analyse des questions en litige.

VI. Discussion

A. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte ou d’appliquer le principe de l’honneur de la Couronne dans la décision?

[77] Le principe de l’honneur de la Couronne tire son origine « de l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et par l’exercice de fait de son autorité sur des terres et ressources qui étaient jusque-là sous l’autorité de ce peuple » (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511 au para. 32 [Nation haïda]). Ce principe remonte à la Proclamation royale de 1763 qui renvoie aux « nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre protection » (MMF de 2013 au para. 66), et par laquelle la Couronne s’est engagée « sur l’honneur à protéger les peuples autochtones contre l’exploitation de la part des peuples non autochtones » (Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103 au para. 42 [Little Salmon]).

[78] Le principe de l’honneur de la Couronne a pour objectif la réconciliation des sociétés autochtones préexistantes qui n’ont jamais été conquises avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne (Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550 au para. 24; MMF de 2013 au para. 66; Nation haïda au para. 25). L’honneur de la Couronne est un principe constitutionnel visé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Little Salmon au para. 42; MMF de 2013 au para. 69). Ce principe s’applique, que ce soit ou non l’intention des parties (Little Salmon au para. 61).

[79] Personne ne conteste dans le présent appel que l’honneur de la Couronne s’applique à la décision. La Loi sur la RCÉ contient plusieurs dispositions qui exigent l’application du principe de l’honneur de la Couronne. À titre d’exemple, le paragraphe 10(2) de la Loi sur la RCÉ dispose que la Régie est un mandataire de la Couronne. L’alinéa 11h) dispose que la mission de la Régie consiste notamment « à exercer ses attributions de manière à respecter les engagements du gouvernement du Canada à l’égard des droits des peuples autochtones du Canada ». En ce qui a trait plus précisément à la Commission, l’article 56 dispose que la Commission est tenue, lorsqu’elle rend une décision ou une ordonnance ou qu’elle formule une recommandation au titre de la Loi sur la RCÉ, « de prendre en compte les effets préjudiciables que la décision, l’ordonnance ou la recommandation peut avoir sur les droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ».

[80] Dans ses observations, la FMM affirme que la Commission a omis de prendre en compte ou d’appliquer le principe de l’honneur de la Couronne au moment de rendre sa décision.

[81] La FMM ne conteste pas les consultations menées par le gouvernement fédéral. Elle affirme plutôt que la Commission elle-même a omis de reconnaître et de protéger les accommodements convenus entre Manitoba Hydro et la FMM durant le processus d’évaluation du certificat de l’ONÉ. Elle affirme que [traduction] « l’honneur de la Couronne est tout aussi engagé en aval, lorsqu’une mesure d’accommodement est mise en œuvre, qu’elle l’est en amont, durant les consultations. Par conséquent, les organismes de réglementation [comme la Commission], qui agissent en aval en qualité de représentants de la Couronne, sont tenus d’interpréter et de mettre en œuvre les accommodements de manière à ce que l’honneur de la Couronne soit préservé dès l’approbation du projet et durant tout son cycle de vie » (mémoire des faits et du droit de l’appelante au para. 50; en italique dans l’original).

[82] Je ne souscris pas à ces observations de la FMM, pour les motifs énoncés ci-après.

[83] Je note en premier lieu que la question dont a été saisie la Commission ne portait pas sur le bien-fondé de l’obligation que le gouvernement fédéral a envers les groupes autochtones de tenir des consultations. Afin de s’acquitter de ses obligations de consulter les groupes autochtones touchés par le projet, le gouvernement fédéral s’est en partie fondé sur le processus d’audiences publiques de l’ONÉ, comme il est en droit de le faire : Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge Inc., 2017 CSC 41, [2017] 1 R.C.S. 1099 aux para. 32 à 34; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069 aux para. 21 et 22; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650 au para. 56.

[84] Comme je l’ai expliqué précédemment, le gouvernement fédéral, en plus de se fonder sur le processus d’audiences de l’ONÉ, s’est appuyé sur les orientations définies par notre Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh I et a élargi ses consultations auprès des groupes autochtones pour examiner les répercussions du projet sur leurs droits. Ce processus a mené à la production du Rapport sur la consultation et l’accommodement, qui présentait des renseignements supplémentaires dont le gouverneur en conseil devait tenir compte avant d’approuver ou de refuser le certificat. De fait, ce rapport est à l’origine des modifications qui ont été apportées aux conditions 3 et 15 assorties au certificat. Ces consultations ne sont pas visées par le présent appel.

[85] En ce qui a trait maintenant à la décision, la Commission a d’abord décrit l’examen qu’elle avait fait du Rapport sur la consultation et l’accommodement et elle a mentionné que ce rapport était à l’origine des modifications apportées aux conditions 3 et 15. La Commission a rejeté les allégations de la FMM selon lesquelles les modifications avaient été apportées dans le but de régler le différend entre elle et Manitoba Hydro au sujet des documents du MAP (décision à la p. 12).

[86] Pour en arriver à cette conclusion, la Commission a également mentionné le libellé du préambule du décret fédéral, dans lequel il est indiqué que le gouverneur en conseil est d’avis que les préoccupations qui subsistent chez les peuples autochtones peuvent faire l’objet de mesures d’accommodement par la modification de certaines des conditions énoncées dans la décision EH-001-2017. La Commission a déclaré que le libellé du préambule, lu conjointement avec le Rapport sur la consultation et l’accommodement, appuie la thèse selon laquelle les documents du MAP ne s’inscrivent pas dans la portée des engagements prévus au sens des conditions 3 et 15 (décision à la p. 13).

[87] La Commission a conclu que le gouverneur en conseil, après avoir examiné comment les préoccupations qui subsistent chez les peuples autochtones pourraient faire l’objet de mesures d’accommodement, « a décidé de modifier les conditions de [l’ONÉ] qui liaient les engagements à ceux consignés au dossier de l’instance, en étant conscient […] des ententes annulées ou contestées entre Manitoba Hydro, la FMM et d’autres peuples autochtones » (décision à la p. 14).

[88] La Commission a conclu que, « s’appuyant sur l’article 56 de la [Loi sur la RCÉ], [elle] est convaincue que la conclusion à laquelle elle arrive dans [la décision], à savoir que les documents du MAP ne constituent pas un engagement, ne porte pas atteinte à l’honneur de la Couronne ni ne mine l’acquittement de son obligation de consulter et d’accommoder » (décision à la p. 13).

[89] Cet examen montre que la Commission a bel et bien pris en compte et appliqué le principe de l’honneur de la Couronne dans sa décision. Elle a examiné le compte rendu des audiences de l’ONÉ, notamment les observations de la FMM et les documents du MAP. Elle a examiné le Rapport sur la consultation et l’engagement qui a été produit à la suite des consultations supplémentaires. Elle a examiné le décret fédéral qui traitait des mesures d’accommodement visant à répondre aux préoccupations des Autochtones. La Commission a réellement tenu compte des mesures d’accommodement prises par le gouverneur en conseil par ses modifications aux conditions 3 et 15. On ne peut pas dire que la Commission a omis de prendre en compte et d’appliquer l’honneur de la Couronne lorsqu’elle a fait son analyse et rendu sa décision.

[90] De plus, la Commission a compris l’importance du contentieux entre la FMM et le gouvernement du Manitoba et elle en a tenu compte. La Commission était au fait de la décision rendue par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba relativement à la demande de contrôle judiciaire présentée par la FMM à l’encontre du décret du Manitoba (décision Pallister), par laquelle la Cour avait conclu que l’honneur de la Couronne n’était pas engagé.

[91] De fait, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, ayant conclu que l’honneur de la Couronne ne s’appliquait pas à l’ETP, et donc qu’il ne s’appliquait pas au MAP, est allée encore plus loin. Elle a déclaré que, même si elle avait commis une erreur en concluant que l’honneur de la Couronne ne s’applique pas à la l‘ETP, elle restait d’avis que le décret du Manitoba et la directive donnée à Manitoba Hydro de ne pas aller de l’avant avec le MAP n’engageaient pas l’honneur de la Couronne.

[92] Avant que la décision Pallister soit connue, la FMM avait fait valoir, dans des observations précédentes présentées à la Commission, que le décret du Manitoba était contraire à la loi et qu’il portait atteinte à l’honneur de la Couronne. À la suite de la publication de la décision Pallister, la Commission a demandé à la FMM et à Manitoba Hydro de lui présenter des mises à jour et leurs observations sur cette décision (décision à la p. 4).

[93] La Commission a examiné les conséquences de la décision Pallister avant de rendre sa décision. On peut présumer que, si la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en était arrivée à une conclusion différente, la Commission en aurait également tenu compte avant de rendre sa décision.

[94] L’arrêt Pallister de la Cour d’appel du Manitoba a été publié le 6 mai 2021, quelques mois après la décision en litige en l’espèce. Bien que la Cour d’appel du Manitoba ait conclu que la Cour du Banc de la Reine du Manitoba avait commis une erreur de droit et que l’honneur de la Couronne était engagé, elle a néanmoins jugé que le gouvernement du Manitoba avait [traduction] « agi de manière raisonnable quant à son obligation d’agir honorablement » (arrêt Pallister au para. 109).

[95] Je note que, dans la mesure où la FMM est concernée, l’arrêt Pallister tranche de manière définitive la question de l’applicabilité de l’honneur de la Couronne du Manitoba sur cette question, puisque la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre son pourvoi. La Cour d’appel du Manitoba a jugé que le fait que le lieutenant-gouverneur en conseil du Manitoba ait enjoint à Manitoba Hydro de ne pas aller de l’avant avec les documents du MAP ne constituait pas un manquement à l’honneur. Eu égard à cette conclusion, on ne peut pas dire que la Commission a agi d’une manière contraire à l’honneur en refusant de considérer les documents du MAP comme des engagements auxquels Manitoba Hydro devait se conformer aux termes de la condition 3 du certificat.

[96] Je conclus que la Commission était consciente de son rôle et qu’elle a appliqué le principe de l’honneur de la Couronne et en a tenu compte dans la décision. La Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’honneur de la Couronne n’exige pas que les documents du MAP soient considérés comme des engagements au sens de la condition 3 du certificat, dans sa version modifiée par le décret fédéral.

[97] Je mentionnerais toutefois que l’obligation du gouvernement de consulter et d’accommoder les peuples autochtones est une obligation continue, car l’honneur de la Couronne est toujours en jeu (Nation haïda au para. 16; Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34, [2020] 3 R.C.F. 3 au para. 60, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC rejetée, 39111 (2 juillet 2020) [Coldwater]). Les consultations consécutives à l’approbation sont pertinentes et importantes pour déterminer si la Couronne s’est acquittée de cette obligation (Coldwater au para. 60). En d’autres termes, comme l’affirme la FMM, les organismes de réglementation comme la Régie, lorsqu’ils agissent à titre de représentants de la Couronne « en aval », ont toujours une obligation envers les groupes autochtones touchés, et ce, durant tout le cycle de vie du projet. La FMM a le droit de soulever auprès de la Commission ses préoccupations au sujet de la mise en œuvre des engagements par Manitoba Hydro pendant toute la durée du projet.

B. La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant incorrectement le sens de la condition 3, dans sa version modifiée par le décret fédéral?

(1) Les observations de la FMM

[98] La FMM affirme que l’interprétation qu’a faite la Commission de la condition 3 va à l’encontre de son sens ordinaire. Elle fait valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que Manitoba Hydro était la seule partie qui pouvait prendre un engagement en son nom. Selon la FMM, ce raisonnement confond à tort, d’une part, la question de fait de savoir si Manitoba Hydro a pris un engagement et, d’autre part, la question de l’interprétation qui est de savoir « qui » peut inscrire un engagement au dossier aux fins de la condition 3.

[99] La FMM affirme en outre que la Commission a omis de tenir compte de l’historique et du contexte des relations entre la FMM, Manitoba Hydro et la Couronne qui ont mené à l’établissement de la condition 3. La FMM invoque les [traduction] « actions unilatérales inexpliquées » du gouvernement du Manitoba, ainsi que les consultations supplémentaires qui ont été nécessaires [traduction] « parce que l’ONÉ n’a pas fait son travail ». La FMM soutient que ces facteurs auraient dû éclairer la décision, mais que la décision n’en fait nullement mention (mémoire des faits et du droit de l’appelante au para. 57).

[100] Enfin, selon la FMM, la Commission, en interprétant la condition 3 comme elle l’a fait, a agi d’une manière inadmissible, car elle a fait une analyse « axée sur le résultat », plutôt que l’interprétation neutre, impartiale et objective du texte qui est exigée par la loi pour [traduction] « dégager le sens véritable de cette condition et l’appliquer » (mémoire des faits et du droit de l’appelante au para. 82, renvoyant à Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 R.C.F. 374 au para. 42, confirmé par 2022 CSC 30, [2022] A.C.S. no 30 (QL); Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174 au para. 50).

(2) La décision de la Commission

[101] En ce qui a trait à la décision, je conviens avec la FMM que la Commission n’a pas fait un exercice d’interprétation officiel de la condition 3, comme l’exige la loi, lorsqu’elle a examiné les questions en litige que la FMM lui a exposées. Les extraits suivants de la décision témoignent de l’interprétation que la Commission a faite de la condition 3.

[102] En premier lieu, la Commission a reconnu, à juste titre, que son rôle était de « tenter de dégager le sens clair et évident des modifications, lorsqu’elles sont lues dans leur intégralité avec la condition » (décision à la p. 9). La Commission n’a toutefois pas analysé de manière explicite le terme « engagement ».

[103] La Commission a également indiqué qu’elle « interprète la condition 3 comme exigeant de Manitoba Hydro qu’elle mette en œuvre les engagements qu’elle a pris envers les peuples autochtones, mais elle relève aussi que la modification du gouverneur en conseil comprend une réserve qui fait expressément référence aux engagements pris envers les peuples autochtones “dans la demande ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017” » (décision à la p. 9; non souligné dans l’original).

[104] La Commission a ensuite conclu « qu’il n’y a pas eu d’engagement explicite ni de reconnaissance officielle de la part de Manitoba Hydro des documents du MAP comme un engagement. À l’opposé, [Manitoba Hydro] a pris des mesures pour consigner sa position selon laquelle ce document n’était pas exécutoire et ne faisait pas partie de sa demande présentée à [l’ONÉ] » (décision à la p. 10).

[105] De l’avis de la Commission, si l’on fait une interprétation franche de la condition 3, « la seule partie qui est en mesure de prendre un engagement pour Manitoba Hydro est Manitoba Hydro elle-même » (décision aux pp. 10 et 11).

[106] Enfin, la Commission note que « cette interprétation ne signifie pas que Manitoba Hydro pourrait, à sa guise, annuler ou résilier un engagement une fois celui-ci ou la promesse versé au dossier de l’audience, puisque le libellé de la condition 3 ferait de l’engagement une exigence réglementaire » (décision à la p. 11).

[107] Un examen des questions que la FMM a soumises à la Commission montre que ces questions ont varié et évolué au fil des ans.

[108] D’une part, la Commission devait déterminer si certains processus prévus dans les documents du MAP constituaient des engagements. D’autre part, dans l’avis de requête, il était demandé à la Commission de déterminer si le MAP en soi constituait un engagement pris envers un groupe autochtone dans la demande de projet présentée par Manitoba Hydro, ou autrement consigné dans les dossiers. La Commission a jugé que sa tâche était de déterminer si les documents du MAP et, plus précisément, le MAP lui-même, constituaient des engagements au sens de la condition 3. Je ne vois aucun problème dans la manière dont la Commission a défini sa tâche.

[109] Durant l’audience devant notre Cour, la FMM, en réponse à des questions du tribunal, a insisté davantage sur le fait que c’étaient les processus énoncés dans l’entente de contribution et le MAP, et non le MAP lui-même, qui constituaient les engagements pris par Manitoba Hydro envers la FMM.

[110] Lors de sa plaidoirie devant notre Cour, la FMM a plus précisément fait valoir que Manitoba Hydro doit achever les processus susceptibles de mener à la mise en œuvre d’autres mesures d’atténuation, voire d’indemnisation, à l’égard des Métis. La FMM a déclaré que [traduction] « la suppression du MAP ne signifie pas pour autant que Manitoba Hydro peut écarter et omettre de prendre en compte les répercussions sous-jacentes du projet sur les droits des Métis. Cela n’élimine pas l’honneur de la Couronne ».

[111] Suivant cette ligne de raisonnement, notre Cour a demandé à la FMM si elle pouvait lui indiquer quelque engagement résiduel, qui avait été pris envers la FMM durant les consultations supplémentaires à l’égard des répercussions du projet sur les droits garantis à la FMM par l’article 35, mais qui n’avait été pris en compte dans le certificat. La FMM n’a pu fournir de réponse précise à cette question.

[112] Les allégations de la FMM peuvent essentiellement se résumer à ce qui suit. Elle affirme qu’il n’est pas nécessaire que Manitoba Hydro ait consenti à inscrire l’engagement dans les dossiers de l’instance EH-001-2017. La FMM a versé les documents du MAP dans les dossiers de l’instance qui ont mené à la décision EH-001-2017. Si les documents du MAP, et les processus qui y sont énoncés, figurent au dossier, ils doivent alors être considérés comme des engagements pris envers la FMM, même si Manitoba Hydro n’est pas de cet avis et qu’elle s’y oppose.

[113] Si nous acceptions les allégations de la FMM, cela signifierait qu’une partie autre que Manitoba Hydro pourrait créer un engagement que Manitoba Hydro serait tenue de mettre en application, simplement en inscrivant cet engagement dans les dossiers de l’instance de l’ONÉ. Il s’agit là d’une proposition surprenante. En aucun moment Manitoba Hydro ne s’est-elle engagée devant l’ONÉ à appliquer les documents du MAP. Cette allégation est d’autant plus préoccupante que Manitoba Hydro, en l’espèce, n’était pas légalement habilitée à prendre l’engagement allégué (appliquer le MAP) à cause du décret du Manitoba.

[114] En dépit de mes réserves, j’examinerai maintenant la question dont a été saisie la Commission et je présenterai mon analyse, afin de déterminer si quelque allégation de la FMM peut être retenue.

[115] L’exercice d’interprétation de la loi permettra de répondre à la question de savoir si le MAP constitue un engagement au sens de la condition 3.

(3) Principes d’interprétation des lois applicables à la condition 3

[116] Selon les articles 247 et 262 de la Loi sur la RCÉ, le certificat est le document officiel qui autorise Manitoba Hydro à construire et à exploiter le projet. La Commission a délivré le certificat assorti de conditions modifiées, qui ont été approuvées par le gouverneur en conseil.

[117] Le certificat est donc un produit du décret fédéral et il doit être interprété d’une manière conforme à l’interprétation des décrets. Les principes modernes d’interprétation des lois s’appliquent aux décrets, même si ceux-ci ont été pris par le pouvoir exécutif du gouvernement (Amaratunga c. Organisation des pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest, 2013 CSC 66, [2013] 3 R.C.S. 866 au para. 36).

[118] L’objectif principal de l’interprétation d’une loi est de « dégager l’intention du législateur en tenant compte du libellé de la disposition, de son contexte et d’autres indices de l’objectif législatif » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 au para. 40 [Hypothèques Trustco Canada]). Selon les principes d’interprétation des lois, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) [1998] 1 R.C.S. 27, [1998] A.C.S. no 2 (QL) au para. 21 (CSC), renvoyant à Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2éd. (Toronto: Butterworths, 1983) à la p. 87). Au paragraphe 10 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, la Cour suprême a affirmé que « [...] [l]’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble ».

[119] Quelques années plus tard, la Cour suprême du Canada a précisé que, même si le sens ordinaire est présumé être celui voulu par le législateur, les tribunaux doivent tenir compte d’autres éléments pour interpréter un texte législatif, car une disposition en apparence sans ambiguïté peut se révéler ambiguë une fois mise en contexte (McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 au para.43 [McLean]). En d’autres termes, même si le sens ordinaire semble, à première vue, manifeste, les tribunaux doivent faire un « examen approfondi » du contexte afin de déterminer le sens véritable du texte législatif (McLean au para. 44). En l’espèce, le contexte comprend le cadre législatif et réglementaire de la Commission et de l’instance dont elle est saisie.

[120] Je présenterai maintenant l’interprétation que je fais de la condition 3. J’examinerai d’abord le texte et le sens des termes « engagement » et « ou autrement consignés dans les dossiers » qui figurent dans la condition 3. J’examinerai ensuite le contexte dans le cadre duquel la condition 3 et ses modifications ont été établies. Enfin, j’examinerai l’objet de la condition 3 et des modifications qui y ont été apportées.

(a) L’analyse du libellé de la condition 3

[121] Quel sens doit-on donner à la phrase « Manitoba Hydro doit appliquer, ou faire appliquer, […] tous les engagements pris envers les groupes autochtones [...] ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 »?

[122] Dans sa décision, la Commission n’interprète pas de manière explicite le sens du mot « engagement ». Le terme « engagement » n’est pas défini dans la Loi sur l’ONÉ ou la Loi sur la RCÉ, ni dans le contexte réglementaire global du droit public. Il m’apparaît donc utile d’examiner le sens grammatical et ordinaire du mot « engagement ».

[123] Divers dictionnaires donnent une définition du terme « engagement » :

  • Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. (Don Mills [Ontario], Oxford University Press, 2004) sub verbo « commitment » (engagement) : [traduction] « un engagement ou une obligation (essentiellement financière) qui restreint la liberté d’action ».

  • Cambridge Dictionary, en ligne : <dictionary.cambridge.org> sub verbo « commitment » (engagement) : [traduction] « promesse ou ferme décision de faire quelque chose ».

  • Merriam-Webster Collegiate Dictionary, 11e éd. (Springfield, Mass: Merriam-Webster, 2016) sub verbo « commitment » (engagement) : [traduction] « promesse de faire quelque chose dans l’avenir ou entente en ce sens ».

  • Collins English Dictionary, 13e éd. (Glasgow: Collins, 2018) sub verbo « commitment » (engagement) : [traduction] « une obligation, une promesse, etc., qui restreint la liberté d’action ».

[124] J’en déduis de ces définitions qu’un engagement n’est pas nécessairement un contrat. Il s’agit d’une promesse exécutoire qui peut être faite unilatéralement ou dans le cadre d’une entente.

[125] Le début de la phrase « Manitoba Hydro doit appliquer, ou faire appliquer, […] tous les engagements pris envers les groupes autochtones » est clair; Manitoba Hydro est le promoteur qui doit remplir cette promesse exécutoire. C’est le reste de la phrase qui est ambigu. J’examinerai maintenant le sens des mots « ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 ».

[126] La Commission ne fournit aucune interprétation des mots « ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 ». Cela pourrait s’expliquer du fait que le sens du mot « dossiers » n’est pas contesté en l’espèce. La Commission, tout comme l’était son prédécesseur, est une cour d’archives aux termes du paragraphe 31(1) de la Loi sur la RCÉ. Nul ne conteste que les termes « dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 » renvoient aux dossiers dont disposait l’ONÉ lorsqu’il a rendu la décision EH-001-2017.

[127] Les « dossiers » mentionnés dans la condition 3 sont donc les dossiers qui ont été créés durant les audiences publiques de l’ONÉ. Ces dossiers comprennent : la demande de projet présentée par Manitoba Hydro, tout décret rendu dans le cadre de la demande et les motifs y afférents, l’ensemble des transcriptions de la preuve verbale et des observations orales présentées, y compris les contre-interrogatoires, les demandes de renseignements présentées par écrit et les réponses obtenues, les observations finales présentées oralement et par écrit, ainsi que tout autre document écrit (sous forme papier ou en format électronique) dont le versement aux dossiers de l’ONÉ a été autorisé. En d’autres termes, les dossiers comprennent l’ensemble des éléments de preuve et des documents liés au projet qui ont été présentés au décideur (l’ONÉ, puis la Régie de l’énergie du Canada), à partir de la date à laquelle Manitoba Hydro a présenté la demande jusqu’à la date à laquelle l’ONÉ a rendu la décision EH-001-2017.

[128] Afin d’éviter un chevauchement entre les mesures prises par Manitoba Hydro et le gouvernement du Manitoba relativement au projet, l’ONÉ a intégré dans son dossier de l’audience l’intégralité des dossiers créés durant l’évaluation environnementale provinciale menée par la Commission de protection de l’environnement, établie sous le régime de la Loi sur l’environnement du Manitoba.

[129] Les dossiers de l’ONÉ comprennent donc des documents qui ont été créés en dehors de la demande de projet, dans le cadre de l’évaluation environnementale provinciale réalisée par la Commission de protection de l’environnement. Le 12 septembre 2017, la Commission de protection de l’environnement a terminé son évaluation et le gouvernement du Manitoba a délivré à Manitoba Hydro une licence de catégorie 3 (no 3288) qui l’autorisait à construire et à exploiter le projet.

[130] J’ajouterais qu’il ne fait aucun doute que les documents du MAP figuraient aux dossiers de l’instance qui ont mené à la décision EH-001-2017. L’ONÉ a autorisé le maintien des documents du MAP dans les dossiers, malgré les oppositions de Manitoba Hydro.

[131] Un examen de la version française de la condition 3 nous amène à la même conclusion. Le dictionnaire Le petit Larousse illustré (Paris, Larousse, 2017) définit le terme sub verbo « engagement » comme suit : « fait de s’engager à faire qqch; promesse, contrat par lesquels on s’engage à accomplir qqch ». Le dictionnaire Le Petit Robert de la langue française (Paris, Dictionnaires Le Robert, 2022) définit le terme sub verbo « engagement » comme suit : « action de se lier par une promesse ou une convention ». De plus, la mention « ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 » renvoie clairement aux dossiers de l’ONÉ qui ont mené à la décision EH-001-2017.

[132] Par conséquent, le texte de la condition 3 m’amène à croire que toute promesse obligatoire (engagement) prise par Manitoba Hydro doit avoir été prise dans la demande de projet qu’elle a présentée dans le cadre de l’instance devant l’ONÉ ou, subsidiairement, durant l’évaluation environnementale provinciale réalisée par la Commission de protection de l’environnement.

(b) L’analyse du contexte de la condition 3

[133] J’examinerai maintenant le contexte dans lequel le certificat et les conditions qui y sont assorties ont été délivrés. L’examen du texte dans son contexte permet d’éliminer toute ambiguïté ou incertitude.

[134] Le contexte est important en l’espèce, car la Régie est un organisme de réglementation hautement spécialisé et qu’il existe plusieurs outils contextuels pour guider l’interprétation de la condition 3. Nous savons que l’emplacement physique du projet, à savoir des terres publiques partiellement inoccupées à l’intérieur desquelles les Métis exercent leurs droits de récolte, engageait automatiquement le principe de l’honneur de la Couronne. De plus, l’article 74 de la Loi sur la RCÉ confère à la Régie la mission de tenir des consultations auprès des groupes autochtones touchés par le projet, en sus de toute consultation menée séparément par le gouvernement du Manitoba et Manitoba Hydro.

(i) Bref aperçu de la Loi sur la RCÉ

[135] La Régie de l’énergie du Canada est un établissement public, établi en application de l’article 10 de la Loi sur la RCÉ. Elle est notamment responsable de la réglementation des lignes internationales de transport d’électricité – en l’espèce, le projet (Loi sur la RCÉ, alinéa 11b)).

[136] La Régie comprend la Commission, une instance décisionnaire indépendante, qui statue notamment sur la délivrance des permis exigés pour les lignes de transport d’électricité et qui formule des recommandations au gouverneur en conseil relativement à la délivrance d’un certificat d’utilité publique pour de telles lignes. La Commission doit également veiller à la surveillance continue des opérations menées en application des certificats (Loi sur la RCÉ aux para. 26(1) et (2) et aux art. 257 et 262).

[137] Toute ligne internationale de transport d’électricité doit être approuvée aux termes d’une évaluation menant à la délivrance d’un permis ou d’un certificat (Loi sur la RCÉ, art. 247). Le gouverneur en conseil peut, par décret, désigner un projet comme étant une ligne internationale de transport d’électricité, laquelle devient alors assujettie à la délivrance d’un certificat (Loi sur la RCÉ au para. 258(1)).

[138] Lorsqu’une telle désignation est faite, la Commission doit tenir une audience publique et peut délivrer un certificat (Loi sur la RCÉ aux art. 52 et 262). Comme je l’ai mentionné précédemment, la Commission est une cour d’archives.

[139] Une fois les audiences publiques terminées, la Commission décide si un certificat devrait être délivré et, le cas échéant, elle recommande au ministre des Ressources naturelles que le gouverneur en conseil en approuve la délivrance (Loi sur la RCÉ aux para. 262(1) et 262(4)).

[140] Pour déterminer si elle devrait recommander la délivrance d’un certificat, la Commission doit tenir compte de toute connaissance autochtone qui lui a été communiquée. Elle doit également tenir compte des intérêts et des préoccupations des peuples autochtones du Canada, notamment quant à leur usage actuel des terres et des ressources à des fins traditionnelles, ainsi qu’aux effets du projet sur les droits reconnus aux peuples autochtones du Canada et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Loi sur la RCÉ au para. 262(2)).

[141] Le gouverneur en conseil peut approuver la délivrance du certificat ou refuser de l’approuver (Loi sur la RCÉ au para. 262(9)). Comme l’a fait en l’espèce le gouverneur en conseil, la délivrance du certificat peut également être assortie de conditions supplémentaires. Le processus de consultation ne dicte pas un résultat concret particulier (Tsleil-Waututh I au para. 634).

[142] Lors de la délivrance d’un certificat, la Commission peut assortir le certificat des conditions qu’elle estime nécessaires ou dans l’intérêt public (Loi sur la RCÉ au para. 278(2)). L’observation des dispositions de la Loi sur la RCÉ et de ses règlements constitue une condition de chaque certificat (Loi sur la RCÉ, art. 279).

[143] Il ressort clairement de mon examen de la Loi sur la RCÉ que le processus d’évaluation aux fins de la délivrance d’un certificat permet à la Commission de s’acquitter de son obligation de consulter les groupes autochtones touchés par un projet et d’assortir le certificat des conditions qu’elle juge nécessaires pour s’acquitter de ces obligations et pour protéger l’intérêt public.

(ii) Décision EH-001-2017

[144] Un deuxième outil contextuel important est la décision EH-001-2017.

[145] La décision EH-001-2017 présente un compte rendu détaillé des motifs pour lesquels l’ONÉ a recommandé au gouverneur en conseil de délivrer le certificat pour le projet, ainsi que de toutes les modalités et conditions que l’ONÉ jugeait nécessaires ou souhaitables d’assortir au certificat dans l’intérêt public. La décision EH-001-2017 est constituée de dix chapitres, de trois annexes, d’une liste des figures et d’une liste de tableaux.

[146] Le chapitre 3 de la décision EH-001-2017 présente un aperçu du projet, du processus d’évaluation environnementale du Manitoba ainsi que du processus de l’ONÉ. La section 3.3.7 précise que l’ONÉ a jugé que les 28 conditions rattachées aux instruments juridiques exigés pour le projet étaient nécessaires ou souhaitables dans l’intérêt public.

[147] Dans cette même section, l’ONÉ confirme que les 28 conditions font l’objet de discussions dans l’ensemble des autres chapitres de la décision EH-001-2017 et note que tous les engagements pris par Manitoba Hydro dans sa demande de projet ou dans des documents connexes qu’elle a produits au cours de l’instance font également partie des exigences réglementaires. Afin d’avoir l’assurance que Manitoba Hydro se conforme à tous les engagements qu’elle a pris dans le cadre du projet, l’ONÉ a imposé la condition 15 qui exige que Manitoba Hydro dépose un tableau de suivi des engagements du projet.

[148] Le chapitre 8 de la décision EH-001-2017 est consacré aux questions autochtones. De plus, l’annexe II présente un résumé des préoccupations et des questions générales et précises qui ont été soulevées par les communautés autochtones tout au long de l’instance, ainsi qu’un résumé des réponses fournies par Manitoba Hydro et par l’ONÉ (y compris les conditions) et des exigences qui s’appliquent aux termes des lois et règlements.

[149] Les questions portant plus précisément sur la FMM sont présentées au chapitre 8 et à l’annexe II de la décision EH-001-2017. Le chapitre 8 contient un renvoi aux documents du MAP, mais l’annexe II n’en fait pas mention. L’ONÉ note que « [l]a MMF a indiqué avoir présenté des préoccupations et des questions non réglées par écrit en juillet 2017. Ce document est actuellement en litige devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba » (cahier d’appel, vol. 4, onglet 21 aux pp. 900 et 901).

[150] L’annexe III présente la liste des 28 conditions imposées par l’ONÉ. Au sujet de ces conditions, l’ONÉ déclare que « [l]’objet premier des conditions est d’atténuer les risques et les effets potentiels d’un projet à toutes les phases de son cycle de vie, de manière à ce qu’il soit conçu, construit et exploité d’une façon qui garantit la protection des biens et de l’environnement, de même que la sécurité et la sûreté du public. […] Les conditions imposées par l’Office sont exécutoires en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie » (cahier d’appel, vol. 4, onglet 21 à la p. 1022).

[151] Il ressort clairement de cet examen de la décision EH-001-2017 que l’ONÉ était au courant de la directive qui avait été imposée à Manitoba Hydro par le décret du Manitoba, selon laquelle Manitoba Hydro ne devait pas aller de l’avant avec le MAP. L’ONÉ en a conclu que Manitoba Hydro n’avait pas l’autorité légale pour mettre en œuvre le MAP. L’ONÉ a également reconnu que la FMM contestait la « légalité » du décret du Manitoba devant les tribunaux du Manitoba. Par conséquent, lorsqu’on l’interprète dans ce contexte, le terme « engagements » au sens de la condition 3 ne peut comprendre le MAP.

(iii) Le Rapport sur la consultation et l’accommodement

[152] Un troisième outil contextuel est le Rapport sur la consultation et l’accommodement (le Rapport), qui a été publié après la publication de la décision EH-001-2017.

[153] Ce rapport est à l’origine des modifications qui ont été apportées aux conditions 3 et 15 par le gouverneur en conseil.

[154] Il décrit les consultations et le dialogue qui ont été menés activement entre le Bureau de gestion des grands projets et 21 groupes autochtones intéressés (dont la FMM) après la fin des audiences publiques de l’ONÉ. Le Rapport explique que des consultations supplémentaires ont été menées afin de mieux comprendre les effets potentiels du projet proposé sur les droits garantis par l’article 35 et d’inviter les groupes autochtones à suggérer des accommodements.

[155] Afin de donner suite aux préoccupations soulevées par de nombreux groupes autochtones, le Rapport proposait que des modifications soient apportées à cinq conditions imposées par l’ONÉ, notamment les conditions 3 et 15. Le Rapport précise que les modifications ont été proposées pour répondre aux préoccupations de groupes autochtones, en veillant à ce que Manitoba Hydro respecte les engagements pris envers les groupes autochtones et qu’elle prenne en considération les préoccupations soulevées par ces groupes au sujet des répercussions du projet.

[156] Le Rapport énumère les préoccupations suivantes comme étant les questions en litige auxquelles la condition 3 et ses modifications visaient à répondre :

  • Les effets négatifs potentiels de l’utilisation d’herbicides sur l’eau, le poisson et son habitat, la faune et son habitat et la santé humaine, ainsi que sur la capacité des groupes autochtones d’exercer leurs droits ancestraux et issus de traités garantis par l’article 35 (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1095).

  • Les possibilités d’emploi pour les Autochtones (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1100).

  • Les préoccupations concernant la protection de sites patrimoniaux (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1114).

  • Les préoccupations au sujet des effets potentiels du projet sur des sites comprenant des ressources culturelles sensibles, notamment des sites non découverts (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1114).

  • L’importance des plans d’intervention d’urgence et de la participation des communautés autochtones à l’élaboration de ces plans (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1116).

  • Le risque d’accidents et de défaillances durant les phases de construction et d’exploitation (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1117).

  • Les effets cumulatifs du développement sur les droits ancestraux et issus de traités garantis par l’article 35 (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1120).

  • Les préoccupations au sujet de la navigation et de la sécurité (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1123).

  • Les préoccupations quant au financement insuffisant d’études sur le savoir autochtone (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1126).

  • Les préoccupations quant aux effets potentiels du projet sur les terres humides et la végétation connexe, ainsi que sur la capacité des peuples autochtones d’exercer leurs droits ancestraux et issus de traités garantis par l’article 35 relativement aux milieux humides, comme la pêche et la récolte de végétaux (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1128).

[157] Si l’on fait abstraction de l’exigence relative à l’intégration d’un contenu autochtone dans les contrats de construction de la ligne de transmission afin de protéger les possibilités d’emploi pour les Autochtones, nulle part dans le Rapport n’est-il indiqué que les modifications apportées à la condition 3 visaient à répondre à des préoccupations liées aux retombées économiques du projet ou à une indemnisation financière en lien avec le projet. Les documents du MAP portent essentiellement sur les retombées économiques.

[158] De fait, le Rapport conclut expressément qu’aucune autre mesure n’était requise pour apaiser les préoccupations des Autochtones au sujet des retombées économiques et des indemnisations financières liées au projet. Cette conclusion reposait sur les engagements pris par Manitoba Hydro à l’égard du contenu autochtone, notamment les mesures visant à accroître le contenu autochtone dans les contrats, ainsi que sur les conditions 22 et 26 de l’ONÉ concernant les terres publiques et les terres humides (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1101).

[159] Comme je l’ai mentionné précédemment aux paragraphes 149 et 151, au moment de la rédaction du Rapport sur la consultation et l’accommodement, le gouverneur en conseil savait que Manitoba Hydro n’était pas légalement habilitée à mettre en œuvre le MAP. Par conséquent, le terme « engagements », lorsqu’il est interprété dans ce contexte, ne peut comprendre le MAP, ni ne peut en toute logique être interprété de manière à comprendre des « engagements » que Manitoba Hydro n’était pas légalement habilitée à prendre.

[160] Cette conclusion est corroborée par le Rapport lui-même qui confirme que la Couronne fédérale a conçu un outil pour [traduction] « faire un suivi de toute la correspondance avec chaque groupe autochtone. Elle a également fait un suivi des questions soulevées par les groupes autochtones durant l’instance de l’ONÉ » et consigné leurs préoccupations, comme en témoignent les éléments de preuve versés aux dossiers de l’ONÉ ainsi que les demandes de renseignements et les réponses obtenues (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1070). Le Rapport fait plus précisément mention de certaines préoccupations soulevées durant la phase supplémentaire de consultation, dont deux sont pertinentes pour déterminer le sens de la condition 3 :

  • Les préoccupations des Autochtones qui auraient pu sortir du cadre de l’évaluation du projet par l’ONÉ;

  • le contentieux entre la FMM, Manitoba Hydro et le gouvernement du Manitoba au sujet de la directive donnée par le Manitoba à Manitoba Hydro de ne pas conclure un accord d’indemnisation de 67 millions de dollars. Le Rapport précise que, dans les cas où la Couronne ne disposait d’aucune information quant à l’existence d’une entente entre Manitoba Hydro et les titulaires de droits ancestraux ou issus de traités garantis par l’article 35, elle a présumé qu’aucune entente de ce genre n’existait (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1066).

[161] Le Rapport précise en outre que, dans le cas du présent projet, Manitoba Hydro a signé six ententes communautaires particulières avec des groupes autochtones et a annulé la négociation de six autres (notamment avec la FMM). Ces ententes ne visaient pas à atténuer les répercussions du projet sur les droits ou à accorder une indemnisation financière, mais représentaient plutôt les retombées économiques du projet (cahier d’appel, vol. 4, onglet 23 à la p. 1098).

(iv) Le décret fédéral

[162] Le décret fédéral est le quatrième outil contextuel important. Dans son préambule, il est indiqué que le gouverneur en conseil a été informé des préoccupations liées au projet, qui ont été énoncées dans le Rapport sur la consultation et l’accommodement et soulevées par les groupes autochtones durant les consultations sur le projet, et que ces préoccupations ont une incidence sur la question de savoir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter.

[163] Le préambule précise en outre que, de l’avis du gouverneur en conseil, la modification de certaines des conditions énoncées dans la décision EH-001-2017 doit permettre de répondre aux préoccupations qui subsistent chez les groupes autochtones. Il y est indiqué que, « [a]ttendu que [le gouverneur en conseil est convaincu], après examen des préoccupations et des intérêts des groupes autochtones relevés dans le [Rapport], que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées, notamment la modification de certaines conditions […] ».

[164] Le décret fédéral dans son intégralité, et plus précisément les modifications apportées à la condition 15, mettent encore mieux en contexte le sens de la condition 3. Le texte pertinent de la condition 15 est reproduit au paragraphe 59 précité.

[165] La condition 15 précise qu’un engagement « autrement consigné dans les dossiers » s’entend d’un engagement dont Manitoba Hydro a convenu dans ses réponses aux questions ou dans ses observations présentées dans le cadre de l’instance EH-001-2017 de l’ONÉ, ou encore lors des audiences provinciales tenues par la Commission de protection de l’environnement sur une question d’intérêt fédéral. La condition 15 exige que tous les engagements pris par Manitoba Hydro envers les communautés autochtones ou d’autres groupes soient énumérés de façon précise sur le site Web de Manitoba Hydro, qu’ils fassent l’objet d’un suivi et qu’ils soient mis à jour sur une base trimestrielle. Ce suivi permet non seulement à la Commission de surveiller les progrès faits par Manitoba Hydro dans la réalisation de ses engagements, mais, plus important encore, il permet également à tous les tiers envers lesquels Manitoba Hydro a pris des engagements de faire le suivi de ces engagements et de veiller à ce que Manitoba Hydro s’y conforme durant tout le cycle de vie du projet.

[166] J’ajouterais que le tableau de suivi des engagements pris dans le cadre du projet, qui a été présenté le 16 juillet 2019, fait partie des documents qui ont été présentés à notre Cour. Ce tableau contient au total 314 engagements. Le tableau présente une description de chaque engagement et chaque engagement est identifié par un numéro; on y indique également un lien présentant la description de la source de chaque engagement ainsi que les pièces pertinentes qui ont été déposées durant l’instance ayant mené à la décision EH-001-2017. Pour certains de ces engagements, la description de la source comprend la transcription des audiences de la Commission de la protection de l’environnement. Le MAP ne figure pas dans le tableau de suivi des engagements (cahier d’appel, vol. 5, onglet 29 à la p. 1184).

[167] Les conditions 3 et 15 visent donc les mêmes engagements. La condition 3 exige la mise en œuvre des engagements et la condition 15 en exige le suivi. Lorsqu’on reconnaît que le champ d’application des conditions 3 et 15 est le même, on en déduit que le libellé plus précis de la condition 15 limite la portée de la condition 3 de deux façons importantes.

[168] Premièrement, la condition 15 précise clairement qu’il s’agit des engagements que Manitoba Hydro a énoncés dans sa demande, ou dont elle a autrement convenu dans ses réponses aux questions ou dans les observations qu’elle a présentées dans le cadre de l’instance devant l’ONÉ et qui ont mené à la décision EH-001-2017. Manitoba Hydro doit avoir accepté les engagements consignés dans les dossiers. Ces engagements ne peuvent donc pas comprendre les documents du MAP, car Manitoba Hydro ne les a pas acceptés durant l’instance devant l’ONÉ et qu’elle s’y est en fait opposée.

[169] Deuxièmement, en plus des engagements décrits précédemment, le tableau de suivi des engagements établi aux termes de la condition 15 doit comprendre les engagements découlant des audiences de la Commission de protection de l’environnement sur des questions d’intérêt fédéral. Les engagements de la Commission de protection de l’environnement et ceux convenus dans les réponses aux questions sont les engagements « autrement consignés dans les dossiers ».

[170] Cela conclut mon examen des outils contextuels. J’examinerai maintenant l’objet des modifications apportées à la condition 3.

(c) L’analyse de l’objet de la condition 3

[171] Un examen de la Loi sur la RCÉ permet de dégager l’objectif du libellé de la condition 3, dans sa version modifiée par le décret fédéral.

[172] Le préambule de la Loi sur la RCÉ précise que l’objectif fondamental de la Régie et du pouvoir qui lui est conféré d’assujettir les promoteurs de projets à certaines conditions est de veiller à ce que ces projets soient construits de manière sûre et sécuritaire et de manière à protéger les personnes, les biens et l’environnement.

[173] Le préambule énonce également l’engagement du gouvernement du Canada de mener à bien la réconciliation avec les groupes autochtones et d’avoir recours à des processus transparents, qui sont fondés sur une mobilisation précoce et la participation inclusive et dans le cadre desquels les décisions sont prises en tenant compte des meilleures connaissances scientifiques disponibles et du savoir autochtone.

[174] L’article 6 dispose que la Loi sur la RCÉ a pour objet de régir certaines questions relatives à l’énergie qui relèvent de la compétence du Parlement et, plus précisément, de veiller à ce que les lignes de transport d’électricité « soient construit[e]s, exploité[e]s et cessent d’être exploité[e]s de manière sûre, sécuritaire et efficace et de manière à protéger les personnes, les biens et l’environnement ». L’alinéa 6d) dispose que les audiences réglementaires et les processus décisionnels se rapportant à ces questions relatives à l’énergie doivent avoir un caractère juste, inclusif, transparent et efficace.

[175] Les conditions assorties aux certificats d’utilité publique visent clairement à garantir que les projets sont construits d’une manière sûre et sécuritaire de manière à protéger les personnes, les biens et l’environnement. De plus, dans le cadre du processus de réconciliation, la Commission doit tenir compte des engagements pris envers les groupes autochtones durant le processus d’évaluation du certificat.

(4) Conclusion de l’interprétation de la condition 3

[176] Je suis d’avis que l’interprétation prévue par la loi des modifications apportées à la condition 3 permet de formuler l’interprétation suivante en ce qui concerne la FMM. Un engagement au sens de la condition 3 s’entend d’une promesse exécutoire prise par Manitoba Hydro envers la FMM, sous la forme d’un accommodement dans le cadre du processus de réglementation de l’ONÉ et des audiences ayant mené à la décision EH-001-2017, ainsi que de l’évaluation environnementale provinciale ayant mené à la délivrance de la licence de catégorie 3 (no 3288). Le gouverneur en conseil n’a pas modifié la condition 3 pour répondre à des préoccupations découlant de l’annulation du MAP par le gouvernement du Manitoba.

[177] Ayant fait une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la condition 3, dans sa version modifiée par le décret fédéral, je conclus que les documents du MAP et, plus précisément, le MAP lui-même ne constituent pas des « engagements pris envers les groupes autochtones […] ou autrement consignés dans les dossiers de l’instance EH-001-2017 ». J’en arrive à cette conclusion pour les motifs énoncés ci-après.

[178] Premièrement, il ne fait aucun doute que le certificat résulte en partie des consultations qui ont été menées et des mesures d’accommodement qui ont été prises par la Couronne fédérale, le gouvernement du Manitoba ainsi que Manitoba Hydro à titre de promoteur du projet, auprès de divers groupes autochtones touchés par le projet. Le projet doit être approuvé par le gouverneur en conseil. De plus, pour qu’un certificat soit délivré, la Régie doit notamment avoir tenu compte des effets du projet sur les droits garantis par l’article 35 et être convaincue que le projet présente un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour l’avenir.

[179] Une fois délivré, le certificat confère à Manitoba Hydro le pouvoir fédéral de construire et d’exploiter le projet, sous réserve de certaines conditions réglementaires. La Commission veille à ce que Manitoba Hydro se conforme au certificat et à ses conditions pendant toute la durée de vie du projet. Pour ce qui est des engagements envers la FMM énoncés dans la condition 3, Manitoba Hydro doit avoir accepté ces engagements pour que la Commission soit en mesure d’en exiger la mise en application à titre de conditions réglementaires.

[180] Deuxièmement, le sens ordinaire du terme engagement (promesse exécutoire pouvant être prise unilatéralement) n’est pas ambigu. Les modifications apportées à la condition 3 du certificat exigent que Manitoba Hydro remplisse les promesses exécutoires (engagements) qu’elle a prises envers les groupes autochtones et qui sont autrement consignées dans les dossiers présentés à la Commission. La condition 15 exige l’établissement d’un tableau de suivi des engagements par lequel la Commission et, par extension, les groupes autochtones peuvent suivre les progrès faits par Manitoba Hydro et la réalisation de ces engagements durant tout le cycle de vie du projet.

[181] Un examen du contexte m’indique que la condition 15 circonscrit tous les engagements pris aux termes de la condition 3. La condition 15 limite les engagements à ceux dont Manitoba Hydro a convenu dans le cadre du processus réglementaire de l’ONÉ et qui ont été consignés dans les dossiers de l’ONÉ durant l’instance qui a mené à la décision EH-001-2017, ainsi qu’à ceux que Manitoba Hydro a pris envers les groupes autochtones durant l’évaluation environnementale provinciale qui a été réalisée par la Commission de la protection de l’environnement et qui a mené à la délivrance de la licence de catégorie 3 (no 3288).

[182] Par conséquent, même si une partie autre que Manitoba Hydro a inscrit un engagement dans les dossiers de l’instance ayant mené à la décision EH-001-2017, Manitoba Hydro doit avoir souscrit à cet engagement dans le contexte de l’instance de l’ONÉ ou de l’évaluation environnementale provinciale pour que cet engagement relève de la condition 3.

[183] La lettre adressée à l’ONÉ par le sous-ministre des Ressources naturelles, le 8 juillet 2019, vient renforcer cette restriction de la portée du terme « engagement ». Dans cette lettre, le sous-ministre a écrit ce qui suit :

[traduction]

Afin de mieux répondre aux préoccupations exprimées par les Autochtones quant aux effets potentiels du projet sur leurs droits ancestraux et issus de traités garantis par l’article 35, le [gouverneur en conseil] a, dans le cadre de sa décision, enjoint à l’ONÉ de délivrer le certificat en apportant des modifications à cinq conditions formulées par l’ONÉ […]. La présente lettre vise à vous fournir de plus amples renseignements sur les raisons qui justifient les modifications apportées par la Couronne […].

[…]

En ce qui a trait aux modifications apportées aux conditions 3 (mise en œuvre des engagements) et 15 (tableau de suivi des engagements), la Couronne cherchait ainsi à obtenir de plus amples garanties que Manitoba Hydro respectera les engagements pris envers les groupes autochtones dans le cadre des examens réglementaires menés par la Commission de la protection de l’environnement et l’ONÉ, ainsi que dans sa demande de projet. Les modifications apportées à la condition 15 de l’ONÉ visent, plus précisément, à garantir une plus grande transparence afin que les groupes autochtones soient mieux informés des détails de ces engagements, et elles confèrent à l’ONÉ la responsabilité d’en surveiller la mise en œuvre. Elles prévoient également que l’une des conditions assorties à la délivrance du certificat est que l’ONÉ exige de Manitoba Hydro qu’elle rende compte des engagements pris envers les groupes autochtones.

(Cahier d’appel, vol. 5, onglet 28 aux pp. 1178 et 1179)

[184] Troisièmement, les modifications apportées à la condition 3 par le gouverneur en conseil visaient à répondre aux préoccupations soulevées par des groupes autochtones durant la phase de consultation supplémentaire. Les modifications ont été apportées à la condition 3 pour répondre à diverses préoccupations exprimées par des groupes autochtones, et non à des questions portant sur l’indemnisation ou les retombées économiques (à l’exception du contenu autochtone dans les contrats de construction).

[185] En réponse aux arguments invoqués par la FMM, bien que je convienne que la FMM ait pu consigner un engagement dans les dossiers, il faut que Manitoba Hydro ait souscrit à cet engagement pour que celui-ci soit une promesse exécutoire et qu’il devienne une condition réglementaire dont la Commission peut exiger la mise en application par Manitoba Hydro. Il est trop simpliste de prétendre que le MAP relève du champ d’application de la condition 3 du seul fait qu’il a été consigné dans les dossiers de l’instance de l’ONÉ. Comme je l’ai indiqué, une telle interprétation va à l’encontre du texte, du contexte et de l’objet de la condition 3.

[186] Ayant fait de la condition 3 l’interprétation exigée par la loi, je ne peux accepter les allégations de la FMM selon lesquelles l’interprétation que la Commission a faite de cette condition constitue une erreur susceptible de révision. Même si la décision aurait pu être plus claire, la Commission a examiné la question dont elle avait été saisie et a tranché la question de savoir si le MAP lui-même constituait un engagement ayant force exécutoire contre Manitoba Hydro. Il s’agit d’une question de droit à laquelle la Commission a répondu par la négative. Je ne relève aucune erreur, car j’en arrive à la même conclusion.

[187] J’aimerais ajouter un commentaire sur les allégations de la FMM selon lesquelles l’ONÉ [traduction] « n’a pas fait son travail », ce qui a exigé la tenue de consultations supplémentaires. Je ne peux souscrire à cette observation.

[188] Comme je l’ai indiqué précédemment aux paragraphes 12, 55 et 84, la Couronne fédérale a élargi son processus de consultation auprès des groupes autochtones susceptibles d’être touchés par le projet en réponse directement à la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh I. Aucun élément de preuve n’indique que la Couronne fédérale a relevé une lacune dans le processus de l’ONÉ.

[189] Enfin, par souci d’intégralité, il est important de comprendre que la question de savoir si les documents du MAP, ou le MAP lui-même, constituent des engagements exécutoires liant la FMM, Manitoba Hydro et le gouvernement du Manitoba est une question qui ne relève pas de la compétence de la Commission ni de celle de notre Cour, et qu’il appartient aux tribunaux du Manitoba de la trancher.

C. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte les effets de la décision sur les droits garantis aux Métis par l’article 35, comme l’exige le paragraphe 56(1) de la Loi sur la RCÉ?

[190] La FMM affirme que la Commission a omis d’appliquer le paragraphe 56(1) de la Loi sur la RCÉ, qui prescrit ce qui suit :

Considération par la Commission

Duty to consider — Commission

56 (1) La Commission est tenue, lorsqu’elle rend une décision ou une ordonnance ou qu’elle formule une recommandation au titre de la présente loi, de prendre en compte les effets préjudiciables que la décision, l’ordonnance ou la recommandation peut avoir sur les droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

56 (1) When making a decision, an order or a recommendation under this Act, the Commission must consider any adverse effects that the decision, order or recommendation may have on the rights of the Indigenous peoples of Canada recognized and affirmed by section 35 of the Constitution Act, 1982.

[191] La FMM affirme que la Commission, en rendant la décision, ne s’est pas acquittée de cette obligation prévue par la loi. La FMM affirme que la décision ne traite jamais de ce qui est exigé de la Commission aux termes du paragraphe 56(1) et elle soutient que cette omission est d’autant plus importante que la décision était la première occasion pour la Commission d’appliquer cette nouvelle disposition.

[192] Durant sa plaidoirie devant notre Cour, la FMM a invoqué un nouvel argument, celui du caractère inadéquat des motifs de la décision. La FMM affirme que la Commission n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi elle croyait que la Couronne avait agi de manière honorable ou qu’elle s’était acquittée de son obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement. Selon la FMM, la Commission a omis de tenir compte du point de vue des Métis et de la situation particulière de la FMM en ce qui a trait à l’honneur de la Couronne.

[193] Je ne peux souscrire aux observations de la FMM.

[194] Premièrement, je note que la décision mentionne expressément l’article 56 de la Loi sur la RCÉ et indique que « la Commission est convaincue que la conclusion à laquelle elle arrive dans la présente décision, à savoir que les documents du MAP ne constituent pas un engagement, ne porte pas atteinte à l’honneur de la Couronne ni ne mine l’acquittement de son obligation de consulter et d’accommoder » (décision à la p. 13).

[195] Deuxièmement, il est entendu, lors de l’examen des motifs de décisions rendues par des juges des faits, que ceux-ci bénéficient de la présomption qu’ils ont examiné l’intégralité du dossier qui leur a été présenté (Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, [2012] A.C.F. no 334 (QL) au para. 10).

[196] Le dossier en l’espèce est volumineux. Les sections précédentes des présents motifs décrivent d’une manière assez détaillée les documents sur lesquels la Commission s’est fondée pour rendre sa décision. On peut dégager du dossier le raisonnement de la Commission.

[197] En ce qui concerne le nouvel argument de la FMM concernant le caractère insuffisant des motifs, je me fonderai sur les règles définies par la Cour suprême du Canada pour déterminer quand les motifs sont insuffisants. Selon ces règles, les motifs sont insuffisants s’ils font obstacle à un examen valable en appel : R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869 aux para. 25 et 28 [Sheppard]. Même si l’arrêt Sheppard portait sur une affaire pénale, il est utile pour comprendre le seuil à franchir pour déterminer si les motifs sont suffisants.

[198] L’obligation de donner des motifs suffisants ne signifie pas qu’il faut atteindre la perfection. Il n’est pas nécessaire que les motifs « indique[nt] comment le juge est parvenu à sa conclusion » et il ne s’agit pas « d’une invitation à “suivre son raisonnement” » : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3 au para. 17 [R.E.M.], en italique dans l’original. La cour d’appel doit simplement être en mesure de voir « pourquoi » le juge de première instance a tranché l’affaire comme il l’a fait (R.E.M. au para. 17).

[199] Notre Cour a adopté les principes énoncés dans l’arrêt Sheppard pour déterminer quand accueillir les appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale pour cause de motifs insuffisants, et elle les a résumés dans l’arrêt Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, [2015] A.C.F. no 961 (QL) au para. 143. Dans cet arrêt, bien que notre Cour ait finalement rejeté ce motif d’appel, elle a souligné l’importance d’évaluer les motifs dans leur contexte global.

[200] Adoptant une approche pratique et fonctionnelle pour juger du caractère suffisant des motifs de la Commission, je conclus que, même si les motifs ne sont pas parfaits et qu’ils auraient pu être plus étoffés, ils n’empêchent pas de faire un examen significatif en appel. Un examen du dossier me permet de conclure que la Commission a implicitement tenu compte des effets de la décision sur les droits garantis aux Métis par l’article 35, comme l’exige le paragraphe 56(1) de la Loi sur la RCÉ. Pour les mêmes motifs que ceux que j’ai énoncés précédemment aux paragraphes 83 à 97, j’estime que la Commission était bien au fait des obligations auxquelles elle est tenue par la loi et qu’elle a tenu compte de l’honneur de la Couronne et des effets que sa décision aurait sur les droits constitutionnels des Métis.

[201] Je ne vois aucune erreur de droit.

D. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir une audience publique avant de rendre la décision, comme l’exige le paragraphe 52(1) de la Loi sur la RCÉ?

[202] La dernière question soulevée devant la Commission porte sur l’équité procédurale, ce qui est une question de droit.

[203] Dans son avis de requête, la FMM demandait à la Commission d’envisager l’annulation ou la suspension du certificat. Dans le présent appel, la FMM affirme que la Commission était obligée de tenir une audience publique en raison de la mesure de redressement qu’elle demandait.

[204] Je ne suis pas de cet avis.

[205] En l’espèce, personne ne conteste que la condition 3 fait partie du certificat, qui est un « décret » dont la Commission peut obliger la mise en application. En sa qualité de cour d’archives, la Commission est investie de tous les pouvoirs, droits et privilèges dévolus à une cour supérieure d’archives à l’égard des questions qui relèvent de sa compétence, notamment la mise en application de ses décrets.

[206] Il est vrai que certaines instances devant la Commission doivent être publiques, notamment les audiences qui portent sur la délivrance, la suspension ou l’annulation d’un certificat (Loi sur la RCÉ au para. 52(1)). Une audience publique peut également être tenue sur d’autres questions si la Commission le juge indiqué (Loi sur la RCÉ au para. 52(3)).

[207] En l’espèce, la principale question en litige soulevée dans l’avis de requête de la FMM était de savoir si le MAP était un engagement au sens de la condition 3 et si Manitoba Hydro avait omis de le mettre en application; en d’autres termes, si Manitoba Hydro avait omis de se conformer à la condition 3. La Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un engagement et elle a conclu que Manitoba Hydro s’était conformée à la condition 3. La question de l’annulation ou de la suspension n’a donc pas été soulevée.

[208] Le paragraphe 52(1) n’exige pas la tenue d’une audience publique du simple fait qu’une partie a demandé la suspension ou l’annulation d’un certificat. La suspension ou l’annulation doit soulever une véritable question en litige dont est saisie la Commission.

[209] Qui plus est, la Commission dispose d’une certaine latitude dans la manière de mener ses instances, qui lui permet d’adapter ses instances aux circonstances en présence, sous réserve du respect des exigences de la common law en matière d’équité procédurale (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653 à la p. 685, [1990] A.C.S. no 26 (QL). En conséquence, les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL) aux para. 22 à 28, pour déterminer quels droits procéduraux font partie de l’obligation d’équité, s’appliquent à la Commission.

[210] Les demandes et les instances dont la Commission est saisie doivent être traitées « le plus rapidement possible, compte tenu des circonstances et des principes d’équité procédurale et de justice naturelle » (Loi sur la RCÉ au para. 31(3)). À cette fin, la Commission peut établir des règles pour régir ses procédures et pratiques (Loi sur la RCÉ, al. 35d)); voir également les Règles de pratique et de procédure de l’Office national de l’énergie (1995), DORS/95-208, qui sont toujours en vigueur). C’est ce que la Commission a fait en l’espèce. Elle n’était pas tenue de tenir une audience publique dans les circonstances.

[211] Dans le présent appel, la FMM n’a pas fait valoir qu’elle n’a pas été entendue ou qu’elle n’a pas eu l’occasion de présenter des observations complètes à la Commission au sujet de ses préoccupations. Personne, en l’espèce, ne conteste le fait que la FMM a eu l’occasion de présenter des observations écrites complètes à la Commission sur une période de plusieurs mois.

[212] Je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale et je ne relève aucune erreur de droit.

VII. Conclusion

[213] En conclusion, il n’existe aucune erreur de droit qui justifierait l’intervention de notre Cour. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens. Je n’adjugerais aucuns dépens en faveur ou à l’encontre de la Régie de l’énergie du Canada ou du procureur général du Manitoba.


 

[214] J’aimerais remercier tous les avocats pour leurs observations écrites et orales et pour l’aide qu’ils ont apportée à la Cour.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-17-21

INTITULÉ :

FÉDÉRATION MÉTISSE DU MANITOBA INC. c. LA RÉGIE DE L’ÉNERGIE DU CANADA ET LA RÉGIE DE L’HYDRO-ÉLECTRICITÉ DU MANITOBA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence en ligne

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 21 juin 2022

Le 22 juin 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Jason Madden

Alexandria Winterburn

Alexander DeParde

 

Pour l’appelante

 

Marian Yuzda

Audrey Boctor

Olga Redko

 

Pour l’intimée

LA RÉGIE DE L’ÉNERGIE DU CANADA

 

Robert J.M. Adkins, c.r.

Deanna M.G. Hiebert

 

Pour l’intimée

LA RÉGIE DE L’HYDRO-ÉLECTRICITÉ DU MANITOBA

 

Maureen Killoran, c.r.

Sean Sutherland

John McCammon

Pour l’intervenant

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pape Salter Teillet LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

La Régie de l’énergie du Canada

Services juridiques

Calgary (Alberta)

 

Pour l’intimée

LA RÉGIE DE L’ÉNERGIE DU CANADA

 

IMK s.e.n.c.r.l./LLP

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimée

LA RÉGIE DE L’ÉNERGIE DU CANADA

 

Thompson Dorfman Sweatman

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour l’intimée

LA RÉGIE DE L’HYDRO-ÉLECTRICITÉ DU MANITOBA

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

Pour l’intervenant

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU MANITOBA

 

 

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