Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230207


Dossier : A-260-21

Référence : 2023 CAF 28

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

11316753 CANADA ASSOCIATION

appelante

et

LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

Audience tenue à Montréal (Québec), le 12 janvier 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 février 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20230207


Dossier : A-260-21

Référence : 2023 CAF 28

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

11316753 CANADA ASSOCIATION

appelante

et

LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

I. Introduction

[1] La Cour est saisie de l’appel d’un jugement prononcé le 4 août 2021 par le juge Sébastien Grammond de la Cour fédérale (le Jugement). Aux termes du Jugement, répertorié à 2021 CF 819, le juge Grammond (le Juge) rejetait la demande de contrôle judiciaire introduite par l’appelante à l’encontre d’un arrêté pris le 4 mai 2020 par le ministre des Transports du Canada (le Ministre) aux termes de l’article 4.32 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, c. A-2 (la Loi). Cet arrêté (l’Arrêté de mai 2020) interdisait l’aménagement projeté par l’appelante d’un aérodrome à Saint‐Roch‐de‐l’Achigan, au Québec.

[2] L’article 4.32 de la Loi autorise en effet le Ministre à prendre un tel arrêté lorsqu’il estime que l’aménagement d’un aérodrome « risque de compromettre la sécurité aérienne ou n’est pas dans l’intérêt public ». En l’espèce, le Ministre a jugé que l’intérêt public justifiait la prise de l’Arrêté de mai 2020.

[3] L’appelante a contesté l’Arrêté de mai 2020 devant la Cour fédérale. Elle estimait que le Ministre, en prenant en compte, notamment, l’opposition citoyenne au projet d’aérodrome de même que des préoccupations relevant des compétences législatives des provinces, avait excédé les limites du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 4.32 de la Loi. Ses arguments ont été rejetés par le Juge.

[4] Devant cette Cour, l’appelante, à la faveur d’un changement de procureurs, a ajusté son tir, et ce de deux manières. D’une part, elle ne semble plus mettre de l’avant l’argument à saveur constitutionnelle qu’elle avait fait valoir en première instance pour attaquer la raisonnabilité de l’Arrêté de mai 2020; elle se concentre plutôt, devant nous, sur la portée du pouvoir conféré au Ministre par l’article 4.32 de la Loi dont l’exercice, selon elle, « [doit] respecter la lettre et l’esprit de la procédure consultative imposée par voie réglementaire » (Mémoire de l’appelante au para. 3). L’appelante fait ici référence à la Sous-partie 7 de la partie III du Règlement sur l’aviation canadien, DORS/96-433 (le Règlement). En d’autres termes, elle plaide, pour l’essentiel, que le Règlement viendrait délimiter, en quelque sorte, l’étendue de ce pouvoir ministériel au nom, notamment, de la prévisibilité des obligations des promoteurs souhaitant aménager un aérodrome.

[5] D’autre part, l’appelante avance un nouvel argument fondé, celui-là, sur l’équité procédurale. Elle plaide en effet, ce qu’elle n’a pas fait devant le Juge, que le Ministre aurait violé les règles de l’équité procédurale en prenant l’Arrêté de mai 2020 sur la base de considérations différentes de celles qui lui avaient été signalées au cours des phases antérieures du processus ayant mené à la prise dudit Arrêté, et ce, sans lui donner l’occasion d’y répondre. Elle invoque aussi le fait qu’on ne lui a ni transmis copie d’une lettre adressée au Ministre le 2 décembre 2019, par le maire de la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan, dans laquelle celui‐ci réitère l’opposition de sa municipalité au projet d’aérodrome, ni donné, encore une fois, l’occasion d’y répondre.

[6] Pour les motifs qui suivent, l’appelante ne m’a pas convaincu qu’il y a lieu d’intervenir.

II. Contexte

[7] Le présent litige a pour toile de fond la fermeture, en novembre 2016, de l’aéroport de Mascouche, alors exploité, sous une autre dénomination corporative, par des membres et dirigeants de l’appelante, et les efforts de relocalisation de cet aéroport. Divers sites ont été envisagés.

[8] Le 4 novembre 2016, le Ministre informe ces membres et dirigeants de l’appelante qu’il ne s’objecte pas à l’aménagement d’un nouvel aérodrome sur des terrains chevauchant les territoires des villes de Mascouche et de Terrebonne (le site Les Moulins); il se dit satisfait de l’apport économique d’un tel projet, lequel « permettra aux écoles de pilotage déjà établies à l’aéroport existant de Mascouche de poursuivre leurs activités et de former les pilotes de demain. » (Lettre Transports Canada, 4 novembre 2016, Dossier d’appel aux pp. 2632-2633)

[9] Toutefois, un imbroglio judiciaire entre les promoteurs du projet et la ville de Mascouche, principalement, vient compromettre la réalisation de ce projet de relocalisation. L’affaire se règle et au printemps 2019, les promoteurs se tournent vers le site de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan et constituent l’appelante en organisme à but non lucratif dont la mission est de relocaliser les activités aéronautiques de l’ancien aéroport de Mascouche.

[10] En avril 2019, l’appelante présente, en amont du processus de consultation prévu à la Sous-partie 7 de la partie III du Règlement (le Processus de consultation), la nouvelle mouture de son projet de relocalisation à Transports Canada, à la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan de même qu’à Nav Canada, le fournisseur de services de navigation aérienne au Canada. Cette initiative donne lieu à deux rencontres avec les autorités de la municipalité de même qu’à la participation de l’appelante à deux soirées publiques d’information organisées par la municipalité.

[11] Le 19 juin 2019, l’appelante met en branle le Processus de consultation prévu au Règlement. Même si elle jouit de certains appuis, son projet de relocalisation se heurte cependant à une forte opposition de la part de la municipalité, de la Municipalité régionale de comté Montcalm dont fait partie Saint‐Roch‐de‐l’Achigan (la MRC Montcalm), et d’un groupe de citoyens, qui forment, pour l’occasion, une coalition, la Coalition SRA (la Coalition). Même le gouvernement du Québec s’en mêle, exhortant le Ministre « à respecter la volonté de la population locale » (Note de breffage au Ministre, 29 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1716). Cette volonté s’est exprimée par le biais d’une consultation référendaire organisée par la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan. Le vote se tient le 11 août 2019 et enregistre un taux de participation de 52 % des personnes éligibles à voter. Le projet est rejeté dans une proportion de 96%.

[12] Le 12 août 2019, l’appelante dresse le rapport sommaire exigé par le Processus de consultation (le Rapport sommaire) et en remet copie au Ministre. Suivant les dispositions dudit Processus, l’appelante ne peut commencer les travaux d’aménagement de l’aérodrome projeté avant l’expiration d’un délai de 30 jours de la date à laquelle le Rapport sommaire est remis au Ministre.

[13] Dans les jours qui suivent la remise du Rapport sommaire, les fonctionnaires de Transports Canada préparent une note destinée (i) à présenter au Ministre une mise à jour du projet de relocalisation de l’appelante; (ii) à faire état des enjeux de sécurité et d’intérêt public soulevés par ce projet; et (iii) à « proposer des options pour une décision avant la fin de la période d’attente de 30 jours suivant le dépôt du rapport de consultation par [l’appelante] » (Note de breffage au Ministre, 29 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1715).

[14] Trois options sont alors présentées au Ministre : (i) ne pas intervenir et laisser l’appelante procéder avec son projet; (ii) imposer par arrêté ministériel des conditions auxquelles l’appelante devra satisfaire avant d’entreprendre les travaux d’aménagement de l’aérodrome projeté; et (iii) interdire ledit projet, tel que proposé, parce que contraire à l’intérêt public. C’est l’option d’interdire la réalisation du projet, sur la base des pouvoirs qui lui sont dévolus par l’article 4.32 de la Loi, qui est recommandée au Ministre et qui est acceptée par celui-ci (Note de breffage au Ministre, 29 août 2019, Dossier d’appel aux pp. 1723-1725).

[15] L’arrêté opérationnalisant cette décision est pris par le Ministre le 29 août 2019 (l’Arrêté d’août 2019) (Arrêté ministériel, 29 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1745). Le lendemain, 30 août 2019, dans une lettre communiquant sa décision à l’appelante, le Ministre précise que celle-ci a été prise compte tenu « des lacunes relevées quant à la consultation entreprise et à la proposition du projet d’aménagement de l’aérodrome, notamment le manque de clarté quant aux activités anticipées à l’aérodrome et plus particulièrement les répercussions de l’empreinte sonore de l’aérodrome proposé sur la collectivité » (Lettre du Ministre à l’appelante, 30 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1747).

[16] Le même jour l’appelante émet un communiqué dans lequel elle « réaffirme sa volonté de construire un aérodrome dans le respect des lois et règlements applicables et dans un esprit de minimiser les impacts dans le milieu sur une base rigoureuse et objective » et indique qu’elle « prendra donc le temps nécessaire pour évaluer les options disponibles [...] et pour prendre la meilleure décision dans l’intérêt de toutes les parties intéressées » (Communiqué de presse de l’appelante, 30 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1749).

[17] À l’automne 2019, l’appelante commande une étude d’impact sonore. Le 26 novembre 2019, elle publie un communiqué de presse dans lequel elle confirme son intention de soumettre au Ministre un rapport sommaire révisé. Elle y indique avoir entrepris, suite à la prise de l’Arrêté d’août 2019, de « clarifier les activités aéronautiques qui seront relocalisées suite à la fermeture de l’aéroport de Mascouche en novembre 2016 » (Communiqué de presse de l’appelante, 26 novembre 2019, Dossier d’appel à la p. 1817). Elle y précise également avoir commandé l’étude sonore précitée et y dresse un sommaire des conclusions de ladite étude. Finalement, elle « ajoute vouloir contribuer à l’économie locale de Saint-Roch », précise les investissements et les retombées économiques que l’aménagement de l’aérodrome entrainera, et invite les citoyens à lui faire part de « leurs préoccupations et questions » (Ibid à la p. 1818).

[18] Le 4 décembre 2019, l’appelante remet au Ministre un rapport sommaire révisé (le Rapport révisé). Ce rapport est précédé de rencontres tenues en novembre 2019 entre l’appelante et des représentants de la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan, de la Coalition et de la Chambre de commerce et d’industrie de Montcalm. Le Rapport révisé révèle, entre autres, que l’étude d’impact sonore n’apaise pas les préoccupations de la municipalité, de la MRC Montcalm et de la Coalition, lesquelles continuent à s’opposer fermement au projet et à réfuter, dans certains cas, toutes retombées économiques (Rapport révisé, 4 décembre 2019, Dossier d’appel aux pp. 1839-1841).

[19] En février 2020, le Ministre est saisi de nouveau du dossier par ses fonctionnaires. On lui présente encore une fois trois options (i) abroger l’Arrêté d’août 2019 et, donc, permettre le début des travaux d’aménagement de l’aérodrome; (ii) maintenir l’interdiction prononcée en août 2019; ou (iii) abroger l’Arrêté d’août 2019 et le remplacer par un arrêté imposant des conditions d’opération de l’aérodrome, ouvrant ainsi la voie au début des travaux d’aménagement. L’option de l’abrogation pure et simple de l’Arrêté d’août 2019 est l’option recommandée au Ministre, qui la rejette toutefois, optant plutôt pour le maintien de l’interdiction (Note de breffage au Ministre, 13 février 2020, Dossier d’appel aux pp. 3819-3829).

[20] Le 4 mai 2020, le Ministre communique sa décision à l’appelante, laquelle fait suite au Rapport révisé soumis par l’appelante « de [son] propre gré ». Bien qu’il se soit dit persuadé que les consultations menées par l’appelante « aient été significatives », il se dit toujours d’avis que son projet d’aménagement d’aérodrome à Saint‐Roch‐de‐l’Achigan n’est pas dans l’intérêt public en raison de ses répercussions sur les collectivités locales, des préoccupations qu’il soulève au sein de la collectivité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan en particulier, et de sa contribution globale à l’économie régionale et nationale (Courriel du Ministre à l’appelante, 4 mai 2020, Dossier d’appel aux pp. 3378-3380).

[21] Au soutien de ce constat, le Ministre :

  • a) Note la forte opposition locale au projet, tel que révélée par les résultats de la consultation référendaire tenue en août 2019;

  • b) Questionne l’à-propos, aux fins de démontrer la contribution économique du projet, de recourir à une étude socio-économique réalisée par la ville de Mascouche en 2010, et donc à une étude réalisée « dans une municipalité différente, pour un aérodrome différent (aéroport) et dans un environnement aéronautique différent »;

  • c) Questionne aussi, la jugeant mal définie, la contribution économique globale du projet à l’économie régionale et nationale, bien qu’il reconnaisse que les contributions économiques de l’industrie de l’aviation générale ne soient généralement pas contestées;

  • d) Note que la solution au problème de pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie aéronautique, que l’aménagement d’un aérodrome à Saint‐Roch‐de‐l’Achigan contribuerait à régler, selon l’appelante, ne passe pas nécessairement – ou seulement – par l’aménagement d’aérodromes abritant des unités de formation au pilotage; il note plus particulièrement que ce problème est attribuable à divers facteurs que Transports Canada s’emploie à surmonter autrement que par la création de nouvelles unités de formation de pilotage, en augmentant, par exemple, le nombre de pilotes examinateurs et d’instructeurs de vols;

  • e) Précise que s’il est vrai qu’il a reconnu, en 2016, la contribution économique du projet de relocalisation des activités de l’aéroport de Mascouche vers le site Les Moulins, cette décision était fondée sur les éléments factuels soutenant ce projet à l’époque;

  • f) Déduit de la levée de fonds d’investissement privé pour le projet d’aérodrome à Saint‐Roch‐de‐l’Achigan, que les utilisateurs de l’aéroport de Mascouche ont trouvé de nouveaux emplacements, en périphérie de Montréal, pour entreposer leurs avions et relocaliser leurs activités commerciales, et conclut qu’il existe, pour ces utilisateurs, des aérodromes disponibles pouvant satisfaire aux besoins de la communauté de l’aviation générale locale.

[22] Tel que je l’ai indiqué en introduction aux présents motifs, l’appelante a contesté l’Arrêté de mai 2020 devant la Cour fédérale, reprochant au Ministre d’avoir excédé les limites du pouvoir que lui confère l’article 4.32 de la Loi en faisant de l’opposition citoyenne à son projet et des répercussions de celui-ci sur des domaines relevant de la compétence des provinces, les éléments clés de sa décision.

III. Le Jugement

[23] Dans un jugement étoffé, le Juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelante, étant satisfait que le Ministre n’avait pas fondé sa décision d’interdire le projet sur des considérations étrangères à la Loi. Plus particulièrement, il a déterminé qu’il était loisible au Ministre de tenir compte de l’absence d’acceptabilité sociale du projet et de ses effets sur des matières relevant de la compétence provinciale. Il s’est dit d’avis, sur ce point, que les dispositions du Règlement établissant le Processus de consultation « n’épuisent pas les facteurs que le ministre peut prendre en considération ni ne limitent les catégories de personnes dont le ministre peut écouter la voix » (Jugement au para. 67), soulignant que les arguments mis de l’avant par l’appelante « tend[aient] à priver l’article 4.32 de tout effet utile » (Jugement au para. 68).

[24] Le Juge a rappelé qu’un « décideur appelé à évaluer l’intérêt public doit soupeser un vaste ensemble d’intérêts concurrents » et qu’il peut, ce faisant, « lui-même déterminer les facteurs dont il tient compte dans son évaluation » (Jugement aux paras. 37-38). La pondération d’intérêts concurrents, a-t-il ajouté, « est un exercice hautement discrétionnaire qui n’obéit pas à des règles rigides » (Jugement au para. 42).

[25] Au vu de l’ensemble du dossier, le Juge a conclu que le Ministre avait raisonnablement exercé les pouvoirs qui lui sont dévolus par l’article 4.32 de la Loi et que la décision de prendre l’Arrêté de mai 2020, laquelle doit être examinée avec un degré élevé de retenue, ne justifiait pas, dès lors, son intervention.

IV. Questions en litige et normes d’intervention

[26] Comme on l’a vu, l’appelante s’attaque tant à la raisonnabilité de la décision du Ministre de prendre l’Arrêté de mai 2020 qu’à l’équité du processus qui a mené à cette décision. La question de l’équité procédurale soulève, pour sa part, une question préliminaire, formulée par le Procureur général dans son mémoire devant nous, soit celle de savoir si l’appelante, ne l’ayant pas fait devant la Cour fédérale, peut soulever cette question devant cette Cour.

[27] Quant à la norme d’intervention, il est bien établi que lorsqu’elle siège en appel d’une décision rendue par la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour consiste à déterminer si la norme de contrôle appropriée a été utilisée par la Cour fédérale et si elle a été bien appliquée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 au para. 47 (Agraira)). Les deux parties sont d’avis que le Juge, en analysant la légalité de l’Arrêté de mai 2020, a bien identifié la norme applicable, soit celle de la décision raisonnable. Elles ont raison, cette norme étant, depuis l’arrêt Vavilov, celle qui est présumée s’appliquer dans tous les cas où la décision d’un décideur administratif fait l’objet d’un contrôle judiciaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 aux paras. 10-25 (Vavilov)).

[28] Le différend à résoudre porte donc sur l’application qu’en a fait le Juge au regard du contexte statutaire et factuel de la présente affaire. Pour ce faire, cette Cour doit « se mettre à la place » de la Cour fédérale et faire porter son effort sur la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire de manière à déterminer si elle possède les attributs d’une décision raisonnable (Agraira au para. 46, citant Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23 au para. 247; voir aussi : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 R.C.F. 230 au para. 22).

[29] La décision raisonnable, nous rappelle la Cour suprême dans Vavilov, est celle qui est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [qui] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para. 85). Une décision administrative est justifiée si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Vavilov au para. 86, citant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para. 47).

[30] Mais, nous rappelle-t-elle aussi, la norme de la décision raisonnable est une norme déférente, ce qui n’est pas sans effet sur le rôle des cours de révision, lesquelles doivent, de façon générale, « s’abstenir de trancher elles-mêmes la question en litige ». En d’autres termes :

[83] [...] Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte « l’éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème.

(Vavilov au para. 83)

[31] Pour sa part, le contrôle des questions d’équité procédurale ne fait intervenir aucune forme de déférence. En d’autres termes, la cour de révision saisie de ces questions doit se demander si la procédure suivie dans un cas donné était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux paras. 46 et 47). Lorsqu’elle agit, sur ces questions, comme décideur de première instance, les conclusions qu’en tire la cour de révision sont révisables, en appel, suivant la norme d’intervention définie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (voir aussi : Gordillo c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 23 au para. 59).

[32] Dans les cas où, comme ici, ces questions se posent pour la première fois en appel, c’est à cette Cour de les résoudre, à la lumière du dossier qui est devant elle, s’il lui apparaît toutefois opportun de s’en saisir.

[33] J’aborderai donc, dans un premier temps, la question de la raisonnabilité de la prise de l’Arrêté de mai 2020 pour ensuite me pencher sur l’à-propos de trancher les arguments d’équité procédurale soulevés pour la première fois en appel par l’appelante, et en disposer, si nécessaire.

V. La raisonnablilité de l’Arrêté de mai 2020

[34] L’article 4.32 de la Loi, je le rappelle, autorise le Ministre à interdire, par arrêté, « l’aménagement [...] d’un aérodrome » s’il est d’avis que cet aménagement « n’est pas dans l’intérêt public ».

A. La position de l’appelante

[35] L’appelante, je le rappelle aussi, soutient que l’exercice du pouvoir prévu à l’article 4.32 de la Loi doit, parce qu’ils « sont étroitement liés et forment un tout » (Mémoire de l’appelante au para. 43), respecter la lettre et l’esprit du Processus de consultation établi par la Sous-partie 7 de la partie III du Règlement. Elle y voit là une « contrainte juridique », au sens de Vavilov, s’imposant au Ministre et venant circonscrire l’exercice et la portée de son pouvoir d’interdire, dans l’intérêt public, l’aménagement d’aérodromes.

[36] Plus particulièrement, l’appelante plaide que le texte même de l’article 4.32 ne permet pas d’établir les limites du pouvoir qui y est conféré au Ministre, d’où l’importance de recourir au « contexte » qui l’a vu naître et autour duquel l’exercice du pouvoir qui y est prévu a été, selon elle, aménagé, afin d’en dégager la portée réelle.

[37] Quant au contexte qui a vu naître l’article 4.32 de la Loi, l’appelante rappelle que cette disposition a été adoptée suite aux jugements rendus en 2010 dans les affaires Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453 (Lacombe) et Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536 (COPA), où la Cour suprême a réaffirmé la compétence exclusive du Parlement eu égard au choix de l’emplacement des aérodromes et l’inapplicabilité de la législation provinciale pouvant faire obstacle à l’exercice effectif de cette compétence. L’article 4.32 aurait ainsi été adopté dans une « perspective de fédéralisme coopératif », de manière à favoriser un dialogue ouvert au profit de ceux qui n’avaient pas, jusque-là, voix au chapitre lors de la prise de ce genre de décisions. Toutefois, insiste l’appelante, l’intention n’était pas de leur donner un droit de veto, le régime régissant l’aménagement d’aérodromes demeurant essentiellement un régime « permissif », c’est-à-dire, un régime ne nécessitant pas l’obtention, par le promoteur, d’une autorisation préalable.

[38] Quant au contexte autour duquel, selon elle, l’exercice du pouvoir prévu à l’article 4.32 de la Loi s’articule, l’appelante prétend qu’on ne peut ignorer, aux fins de l’interprétation de cette disposition, les amendements apportés à l’article 4.9 de la Loi, par l’ajout des alinéas 4.9 k.1) et k.2), au moment de l’adoption de l’article 4.32 (initialement 4.31). Ces deux dispositions confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements concernant « l’interdiction d’aménager ou d’agrandir des aérodromes ou d’apporter tout changement à leur exploitation » (alinéa k.1) et « les consultations que doivent mener les promoteurs d’aérodromes avant d’aménager un aérodrome ou par les exploitants d’aérodrome avant d’agrandir un aérodrome ou d’apporter tout changement à son utilisation » (alinéa k.2).

[39] L’appelante en tire deux arguments.

[40] Le premier veut que le Parlement ne puisse avoir eu l’intention de permettre la prise d’un simple arrêté aux termes de l’article 4.32 de la Loi sur une matière à l’égard de laquelle le gouverneur en conseil s’est vu attribuer, en vertu de l’article 4.9 de la Loi, un pouvoir règlementaire, assujetti, contrairement à la prise d’un arrêté, au formalisme propre à l’adoption des textes réglementaires.

[41] Le second argument veut que l’interprétation retenue par le Ministre en l’espèce ait eu pour effet de dénaturer le Processus de consultation mis en place par le Règlement, et ce, au mépris des faits mis en preuve. À cet égard, l’appelante plaide que les considérations d’ordre socio-économiques invoquées au soutien de la prise de l’Arrêté de mai 2020 étaient connues du Ministre au moment de prendre l’Arrêté d’août 2019, mais ne semblaient pas lui causer problème à la lumière de la note de breffage qui l’a précédé. Il aurait ainsi pris l’Arrêté de mai 2020 sans égard à ses décisions antérieures, lesquelles, selon Vavilov, contraignaient pourtant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Alternativement, dans la mesure où il lui était loisible de prendre en compte ces considérations aux fins de la prise de l’Arrêté de mai 2020, le Ministre se devait alors de considérer les mesures d’atténuation proposées dans le Rapport révisé pour répondre aux préoccupations exprimées à l’encontre du projet, ce qu’il n’aurait pas fait.

[42] L’appelante réitère aussi devant nous, toujours en marge de ce second argument, qu’en prenant en compte les résultats du référendum tenu par la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan, en août 2019, soit bien avant le dépôt du Rapport révisé, sur l’acceptabilité sociale du projet d’aménagement, sur son territoire, de l’aérodrome projeté, ou du moins en leur attribuant un poids déterminant, le Ministre s’est trouvé à renoncer « à l’exercice de ses pouvoirs de surveillance attribués par la Sous-partie 7 du [Règlement] ainsi qu’au pouvoir discrétionnaire de l’article 4.32 [de la Loi] » (Mémoire de l’appelante au para. 54).

[43] Ultimement, conclut-elle, le Ministre aurait échafaudé une interprétation du pouvoir qui lui est dévolu aux termes de l’article 4.32 de la Loi en fonction du résultat souhaité, soit interdire l’aménagement de l’aérodrome projeté, et ce, au mépris du contexte et de l’objet venant circonscrire l’exercice de ce pouvoir et de la preuve au dossier.

[44] À mon humble avis, la thèse de l’appelante ne résiste pas à l’analyse, et ce, pour différentes raisons.

B. Le libellé de l’article 4.32

[45] Contrairement à ce que prétend l’appelante, le libellé de l’article 4.32 nous renseigne de manière utile – voire déterminante – sur la portée du pouvoir qui y est prévu, la notion d’intérêt public ayant été discutée à maintes reprises par les tribunaux.

[46] En effet, comme la Cour suprême l’a noté dans Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37, [2001] 2 R.C.S. 132 au para. 39, lorsque la loi confère à un décideur le pouvoir d’intervenir dans l’intérêt public, elle exprime alors « l’intention de laisser [au décideur] le soin d’apprécier l’opportunité et la manière d’intervenir dans une affaire particulière ». Il s’agit là d’un « très vaste pouvoir discrétionnaire » (Ibid; voir aussi : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 au para. 28, confirmée par la Cour suprême dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30).

[47] Comme l’a bien fait ressortir le Juge aux paragraphes 34 à 43 de ses motifs, l’action du décideur investi du pouvoir d’intervenir dans l’intérêt public n’est pas confinée par un cadre d’analyse rigide; bien au contraire, celui-ci aura le loisir de prendre en compte un ensemble d’intérêts et de facteurs, souvent concurrents et polycentriques, qu’il pourra lui-même définir et auxquels il pourra attribuer le poids que les circonstances de chaque cas pourront justifier (Jugement aux paras. 37-38; Ferroequus Railway Co c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2003 CAF 454, [2004] 2 RCF 42 au para. 31; Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418 au para. 154 (Nation Gitxaala)).

[48] Cela témoigne de l’ampleur du pouvoir dont dispose le Ministre aux termes de l’article 4.32 de la Loi, même s’il faut rappeler qu’il n’y a bien évidemment aucun pouvoir discrétionnaire qui soit sans limites, dans le sens où l’exercice de tout tel pouvoir doit être fondé sur des considérations qui ne sont pas étrangères à la loi habilitante (Roncarelli c. Duplessis, 1959 CanLII 50 (SCC), [1959] R.C.S. 121 à la p. 140; Montréal (Ville) c. Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 R.C.S. 427 aux paras. 32‐33; Vavilov au para. 108). La question de l’extrême limite du pouvoir du Ministre se posait devant la Cour fédérale, mais ne se pose plus devant nous.

[49] Comme l’a réaffirmé la Cour suprême dans Vavilov, ce type de libellé suggère une volonté, de la part du Parlement, de conférer au décideur « une souplesse accrue » dans l’interprétation qu’il est appelé à faire des limites et contours du pouvoir qui lui est dévolu. Il se prête aussi, normalement, à plus d’une interprétation, contrairement aux dispositions habilitantes définissant en termes précis les limites du pouvoir en cause, lesquelles n’en commandent, la plupart du temps, qu’une seule (Vavilov au para. 110).

[50] Nous avons affaire ici à la première catégorie de libellés, et non à la seconde, faisant en sorte que le défi de l’appelante est double en ce sens qu’il ne lui suffit pas de démontrer que son interprétation est défendable; elle doit aussi démontrer que celle qui se dégage de la décision prise par le Ministre en mai 2020 d’interdire le projet d’aménagement d’un aérodrome à Saint‐Roch‐de‐l’Achigan ne l’est pas.

[51] Comme l’a noté à juste titre le Juge, l’attribution d’un pouvoir d’intervenir dans l’intérêt public « impose un faible degré de contrainte juridique », et, à l’inverse, un niveau de retenue élevé de la part du tribunal appelé à en contrôler l’exercice (Jugement aux paras. 42-43). Cela vaut autant à l’égard de l’interprétation retenue par le Ministre que pour l’application qu’il en a faite aux faits de l’espèce. En d’autres termes, face à un faible degré de contrainte juridique, les tribunaux de révision n’interviendront que dans les cas clairement déficients et, surtout, n’étant pas aussi bien outillés pour le faire, ils s’abstiendront de substituer leur opinion à celle du Ministre (Vavilov au para. 83; Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, [2018] 2 R.C.S. 293 au para. 38).

[52] En l’espèce, l’appelante ne m’a pas convaincu que le libellé de l’article 4.32 annonce autre chose que l’octroi au Ministre d’un pouvoir hautement discrétionnaire et dénote autre chose qu’une intention de la part du Parlement de laisser au Ministre le soin d’apprécier l’opportunité et la manière d’intervenir dans une affaire donnée et de le faire à l’intérieur d’un cadre juridique très peu contraignant.

[53] L’appelante ne m’a pas davantage convaincu que le « contexte » qu’elle invoque vient restreindre la portée considérable de ce pouvoir.

C. L’objet et le contexte statutaire dans lequel d’inscrit l’article 4.32

[54] L’appelante a raison d’affirmer que l’article 4.32 de la Loi n’a pas pour objet de conférer un « droit de veto » à quelque tiers que ce soit quand il est question d’aménager un aérodrome. Le dernier mot appartient au Ministre, lui qui est chargé de l’application de la Loi et qui est le détenteur du pouvoir dont il est investi par cette disposition. Rien au dossier d’ailleurs ne laisse croire que le Ministre pense ce pouvoir autrement, tel qu’il ressort des décisions d’août 2019 et de mai 2020 d’interdire le projet d’aérodrome présenté par l’appelante (Note de breffage au Ministre, 29 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1724; Note de breffage au Ministre, 13 février 2020, Dossier d’appel à la p. 3823).

[55] À mon sens, un regard plus nuancé de l’objet de l’article 4.32 s’impose. Adoptée, je le rappelle, dans la foulée des arrêts Lacombe et COPA, cette disposition visait à conférer au Ministre, sous le couvert du concept de l’intérêt public, un droit de regard suffisamment large en matière d’aménagement d’aérodromes, qui lui permettrait de tenir compte des préoccupations dites « locales », jusque-là occultées. L’appelante, je le rappelle aussi, ne prétend plus, devant nous, que la prise en compte de préoccupations liées à des matières de compétence provinciale, comme l’aménagement du territoire et le zonage agricole, excède les limites du pouvoir prévu à l’article 4.32.

[56] Tel que l’a noté le Juge, la situation découlant des arrêts Lacombe et COPA paraissait insatisfaisante et devait, aux yeux du Parlement, être corrigée (Jugement au para. 24). C’est ce qui a été fait et je ne vois rien dans ce que le Parlement se proposait d’accomplir en adoptant l’article 4.32, qui vienne restreindre la vaste portée du pouvoir discrétionnaire qui y a été inscrit ou en lier l’exercice à un « droit de veto » en faveur de tiers.

[57] Pour sa part, l’argument lié à la nature « permissive » du régime statutaire portant sur l’aménagement des aérodromes, tel que l’a caractérisé la Cour suprême dans les arrêts Lacombe et COPA, afin de souligner le fait qu’un tel aménagement ne nécessitait pas d’autorisation préalable, ne justifie pas davantage une interprétation étroite de l’article 4.32. J’endosse, sur ce point, les propos du Juge selon lesquels, avec l’ajout de l’article 4.32 dans les années qui ont suivi le prononcé de ces deux arrêts, il devient difficile de maintenir cette caractérisation ou, à tout le moins, de soutenir que la Loi confère toujours un droit inconditionnel à construire un aérodrome (Jugement au para. 65).

[58] Par ailleurs, l’argument selon lequel le Parlement ne peut avoir eu l’intention de confier au Ministre le pouvoir de prendre un arrêté portant sur la même matière que le pouvoir règlementaire conféré au gouverneur en conseil par l’alinéa 4.9 k.1) de la Loi, au motif que le premier, contrairement au second, n’est pas astreint aux formalités applicables à la prise de règlements, est sans mérite.

[59] D’une part, le Parlement a clairement investi tant le Ministre que le gouverneur en conseil, du pouvoir d’intervenir pour interdire l’aménagement d’un aérodrome. Dans le cas du Ministre, il a explicitement précisé, au paragraphe 4.32(2) de la Loi, que celui-ci pouvait prononcer une telle interdiction sans devoir soumettre l’arrêté en résultant aux formalités de l’examen, de l’enregistrement et de la publication prévues par la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, c. S-22. Le texte de loi est clair à cet égard et ne se prête, à mon sens, à aucune autre interprétation. En d’autres termes, les pouvoirs de l’un et de l’autre ont été conçus pour coexister et la présence de l’un n’a pas pour effet de neutraliser l’autre.

[60] D’autre part, le gouverneur en conseil n’a toujours pas adopté de règlement portant sur l’interdiction d’aménager des aérodromes. Pour le moment, donc, aucun règlement ne vient, en cette matière, encadrer ou contraindre l’action du Ministre. J’ajouterais, comme l’a réaffirmée notre Cour dans Groupe Maison Candiac Inc. c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 88 au para. 74 (permission d’en appeler à la Cour suprême rejetée: Groupe Maison Candiac inc. c. Procureur général du Canada, et al., 2020 CanLII 97859 (CSC)), que l’absence de règlement ne peut avoir pour effet de stériliser les pouvoirs du Ministre. En somme, lorsqu’il s’agit de prononcer une telle interdiction, les pouvoirs du Ministre ne sont circonscrits d’aucune manière, comme ils auraient pu l’être, par un règlement portant sur cette même matière.

[61] Rien, donc, dans le rapport entre l’article 4.32 et l’alinéa 4.9 k.1) de la Loi, ne vient limiter le vaste pouvoir discrétionnaire dévolu au Ministre d’interdire l’aménagement d’un aérodrome s’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire.

[62] Il en va de même, à mon avis, du rapport entre l’article 4.32 et l’alinéa 4.9 k.2) de la Loi. Cette disposition, je le rappelle, autorise le gouverneur en conseil à prévoir, par règlement, les consultations que doit mener un promoteur avant d’aménager un aérodrome.

[63] Dans ce cas-ci, le gouverneur en conseil a utilisé son pouvoir réglementaire en ajoutant au Règlement le Processus de consultation, lequel, aux termes de son article 307.03, impose à toute personne qui projette, notamment, de construire un nouvel aérodrome (un « promoteur »), de consulter, avant de se faire, les « parties intéressées » dont la liste varie selon la proximité du lieu des travaux projetés d’une zone bâtie d’une ville ou d’un village.

[64] En l’espèce, outre le Ministre, l’appelante devait notamment consulter, aux termes du paragraphe 307.04(1) du Règlement, toute autorité d’une aire protégée se trouvant dans un rayon de 4 000 mètres du lieu des travaux projetés, toute autorité locale responsable de l’aménagement du territoire où les travaux sont prévus et les membres du public se trouvant dans ce rayon de 4 000 mètres. Elle devait, à cette fin, leur donner un avis et/ou installer une pancarte bien en vue du public, contenant les renseignements précisés à l’article 307.06 du Règlement. Suivant l’article 307.07 du Règlement, ces consultations sont suivies d’un « rapport sommaire » préparé par le promoteur, lequel, une fois complété, doit être remis au Ministre et mis à la disposition des autres parties intéressées à l’intérieur du délai spécifié au Règlement.

[65] Une fois le rapport remis au Ministre, l’article 307.10 du Règlement impose une dernière obligation au promoteur, soit celle, double, (i) de ne pas commencer les travaux projetés « avant l’expiration de 30 jours suivant la date à laquelle il remet le rapport sommaire au ministre », mais (ii) de ne pas attendre plus de cinq ans à partir de cette date avant de ce faire, faute de quoi, le Processus de consultation doit être enclenché de nouveau.

[66] Telle est la portée du Processus de consultation, lequel, selon l’Étude d’impact préparée aux fins de son adoption, vise à pallier le fait que « l’autorité fédérale n’est pas tenue de s’informer auprès du public pour connaitre et atténuer les préoccupations des intervenants avant de procéder à l’aménagement d’un aérodrome, ni même de consulter les intervenants municipaux et provinciaux lorsqu’il est prévu d’aménager un aérodrome non certifié sur les terres de ces derniers » et, donc, à « encourager l’aménagement et l’exploitation responsable d’aérodromes en obligeant les promoteurs et les exploitants à consulter les intervenants concernés avant d’entreprendre des travaux, en suivant un processus de notification structuré ». L’Étude d’impact précise que ces modifications au Règlement prévoient « des conditions minimales à respecter quant au déroulement du processus de consultation, notamment en ce qui a trait aux échéances, aux personnes à aviser et aux circonstances » (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Dossier d’appel aux pp. 1200-1214).

[67] Selon l’appelante, le pouvoir dévolu au Ministre aux termes de l’article 4.32 de la Loi est indissociable du Processus de consultation au point où on ne peut en fixer les balises d’une manière qui ait pour effet de dénaturer ledit Processus (Mémoire de l’appelante au para. 52). En d’autres termes, insiste-t-elle, le pouvoir discrétionnaire du Ministre serait limité par les tenants et aboutissants du Processus de consultation et par les « gestes » qui y sont posés. Ce serait principalement le cas, en l’espèce, des gestes posés en lien avec la prise de l’Arrêté d’août 2019 où le Ministre n’aurait soulevé qu’une seule préoccupation quant au mérite même du projet de relocalisation, soit celle concernant le climat sonore, une préoccupation, rappelle-t-elle, à laquelle elle a donné suite dans les semaines qui ont suivi la prise dudit Arrêté en commandant une étude d’impact sonore, en menant des consultations additionnelles et en déposant le Rapport révisé.

[68] Les prétentions de l’appelante sur cette question souffrent de deux lacunes importantes selon moi.

[69] La première a trait au poids qu’elle voudrait donner au Processus de consultation aux fins de l’interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 4.32 de la Loi. Bien que le Ministre puisse se servir du résultat des consultations menées par un promoteur aux termes de la Sous-Partie 7 du Règlement aux fins de l’exercice dudit pouvoir, je suis d’accord avec le Juge pour dire qu’il n’y a pas de lien nécessaire entre le Processus de consultation et la portée de ce pouvoir. En effet, rien dans le libellé de l’article 4.32 de la Loi ne subordonne l’exercice du pouvoir qui y est prévu à l’adoption de règlements destinés à le compléter ou à en encadrer l’exercice. D’ailleurs, il importe de noter que le Processus de consultation ne s’impose qu’aux promoteurs. En ce sens, il n’a rien d’un cadre procédural venant conditionner l’exercice du pouvoir prévu à l’article 4.32 de la Loi en imposant des obligations au Ministre et en conférant, du même souffle, des droits de nature procédurale aux promoteurs.

[70] Finalement, rien dans le libellé du Processus de consultation ne vient préciser les facteurs dont le Ministre peut tenir compte aux fins de la mise en œuvre de l’article 4.32 ni limiter les catégories de personnes qu’il peut lui-même consulter.

[71] Le Procureur général plaide que, contrairement aux prétentions de l’appelante, la portée du pouvoir dont le Ministre est investi aux termes de l’article 4.32 n’est pas subordonnée au Processus de consultation. Interpréter le rapport entre cet article et le Processus de consultation comme le fait l’appelante reviendrait, insiste-t-il, à contrecarrer la volonté du législateur. Je suis d’avis, pour les motifs que j’ai déjà exprimés, qu’il s’agit là d’une interprétation faisant partie des issues possibles, acceptables en regard du droit, et donc, d’une interprétation raisonnable de l’article 4.32 de la Loi, lorsque lu en conjonction avec les dispositions du Processus de consultation.

[72] La seconde lacune a trait à la lecture que l’appelante fait de la décision du Ministre d’interdire le projet d’aérodrome en août 2019. L’appelante soutient, je le rappelle, que le Ministre s’est en quelque sorte lié les mains à ce moment. En d’autres termes, il n’aurait exprimé qu’une seule réserve à l’égard du mérite même du projet, celle relative à l’impact sonore de celui-ci. Il était donc lié, selon l’appelante, par une « décision antérieure » qu’il ne pouvait ignorer lors de la prise de l’Arrêté de mai 2020 en fondant celle-ci sur de « nouvelles considérations », soit sur des considérations à l’égard desquelles il n’avait antérieurement manifesté aucune réserve. Cela s’avère, ultimement, la principale récrimination de l’appelante à l’encontre de l’Arrêté de mai 2020.

[73] Cet argument dépend bien évidemment de la lecture qui est faite de la décision d’interdire le projet en août 2019. Même en admettant que celle qu’en fait l’appelante soit une lecture possible de cette décision, ce n’est pas la seule. En fait, comme le soutient le Procureur général, il semble que la lecture la plus plausible veuille que la principale préoccupation ayant motivé cette décision soit liée aux lacunes observées dans les consultations menées par l’appelante.

[74] La note de breffage contenant la recommandation au Ministre d’interdire le projet de l’appelante, tel que proposé, laisse planer peu de doute à cet égard. On peut en effet y lire :

a) Que le fait d’observer les exigences du Processus de consultation « ne signifie donc pas nécessairement que la consultation ait été "efficace" et menée de manière constructive » (Note de breffage au Ministre, 29 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1717);

b) Que l’option d’interdire le projet « a l’avantage de tenir compte des faiblesses de la consultation menée par le Promoteur », laquelle « est entachée d’importantes lacunes qui ne sont pas compatibles avec le fondement du processus réglementaire » (Ibid à la p. 1722);

c) Que cette option aurait comme avantage de ne pas empêcher le promoteur de présenter un nouveau projet, ce qui permettrait à ce dernier « de communiquer plus efficacement et mieux expliquer les besoins auxquels répond son projet, les bénéfices attendus pour la communauté et les mesures qu’il mettra en place pour répondre aux préoccupations des parties intéressées » (Ibid); et

d) Que la décision d’interdire le projet « confirme[rait] qu’il y a un certain niveau d’exigence concernant la qualité des consultations, contribue[rait] à renforcer la crédibilité du processus instauré par la réglementation et, à long terme, sera[it] bénéfique au secteur de l’aéronautique » (Ibid à la p. 1723);

[75] La note de breffage et la lettre subséquente qui informe l’appelante de la décision d’août 2019 d’interdire son projet font bien référence, outre les lacunes relevées quant à la consultation menée par l’appelante, à l’impact sonore du projet, mais d’aucuns pourraient raisonnablement prétendre que cette mention particulière n’amenuise en rien les préoccupations plus générales exprimées eu égard « aux lacunes relevées quant à [...] la proposition du projet d’aménagement de l’aérodrome », et au « manque de clarté quant aux activités anticipées à l’aérodrome » proposé (Note de breffage au Ministre, 29 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1724; Lettre du Ministre à l’appelante, 30 août 2019, Dossier d’appel à la p. 1747).

[76] D’ailleurs, un survol du Rapport révisé montre bien que l’appelante y a tenu compte des préoccupations (consultations, formation des pilotes, apport économique du projet, opposition citoyenne) qui seront à la base de la décision ministérielle de mai 2020 d’interdire le projet.

[77] J’en conclus donc que la position du Procureur général selon laquelle le Ministre n’a véritablement pris sa décision aux termes de l’article 4.32 de la Loi qu’en mai 2020 eu égard au mérite même du projet, et qu’en conséquence, la décision rendue en août 2019 ne venait d’aucune façon restreindre la liste des facteurs qu’il pouvait considérer dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à ce moment, trouve appui dans la preuve.

[78] Rien, en somme, lorsque la question de l’interaction entre l’article 4.32 de la Loi et le Processus de consultation est examinée à l’aune de la norme de la décision raisonnable, ne justifie, en fait ou en droit, l’intervention de la Cour.

D. Les résultats du référendum de la municipalité

[79] Selon l’appelante, le Ministre aurait renoncé à exercer sa compétence en vertu à la fois du Processus de consultation et de l’article 4.32 de la Loi en donnant autant de poids, dans sa décision de mai 2020, au résultat du référendum tenu par la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan en août 2019. Outre les lacunes et limites de ce type de consultation, elle rappelle, à cet égard, que toute mention des résultats de ce référendum dans ladite décision était d’autant plus problématique que celui-ci a été tenu bien avant la remise du Rapport révisé, et donc, bien avant les consultations additionnelles tenues – et l’étude d’impact sonore commandée – à l’automne 2019.

[80] Cette prétention ne peut réussir. D’une part, la décision derrière la prise de l’Arrêté de mai 2020 n’a pas été motivée que par les résultats de ce référendum. Cette décision repose également, comme on l’a vu au paragraphe 22 des présents motifs, sur un certain nombre d’autres considérations. Toute idée, donc, que le Ministre se soit incliné devant l’opposition citoyenne au mépris de toute autre considération n’a aucune emprise dans la preuve. D’ailleurs, à cet égard précisément, je note que le Ministre a pris soin d’indiquer, dans sa décision, « que le concept d’intérêt public était plus large que l’intérêt des citoyens d’une municipalité donnée », bien que celui-ci demeure un facteur important (Courriel du Ministre à l’appelante, 4 mai 2020, Dossier d’appel à la p. 3379).

[81] D’autre part, je suis prêt à reconnaitre que la mention, dans ladite décision, des résultats du référendum d’août 2019, était mal avisée, étant donné que cette consultation publique a été menée avant les changements apportés par l’appelante à son projet à l’automne 2019. Toutefois, la preuve démontre que l’opposition citoyenne demeurait entière, même après les consultations menées par l’appelante à l’automne 2019. En d’autres termes, les démarches effectuées à ce moment par l’appelante ne semblaient pas avoir apaisé ceux qui s’opposaient au projet à l’été 2019, ce qui comprend le maire et le conseil de la municipalité de Saint-Roch-de-l’Achigan, la MRC Montcalm et la Coalition (Rapport révisé, 4 décembre 2019, Dossier d’appel aux pp. 1839‐1841). C’est la preuve que le Ministre avait devant lui au moment de rendre la décision faisant l’objet du présent appel, soit celle d’une forte opposition locale au projet, ne se limitant pas à un conflit de localisation (Courriel du Ministre à l’appelante, 4 mai 2020, Dossier d’appel aux pp. 3378-3379).

[82] Ce faux pas, à mon sens, ne vicie pas ladite décision, lorsque celle-ci est lue dans son entièreté et considérée à la lumière de l’ensemble de la preuve au dossier. Je rappelle qu’un décideur administratif n’est pas tenu, lorsqu’il motive une décision, à un standard de perfection, pas plus qu’il n’est tenu de faire référence, dans celle-ci, « à tous les arguments, dispositions législatives, précédents et autres détails, que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » (Vavilov au para. 91).

[83] Pour toutes ces raisons, l’appelante ne m’a pas convaincu qu’il y a matière à conclure à la déraisonnabilité de la décision du Ministre de prendre l’Arrêté de mai 2020 interdisant le projet de l’appelante d’aménager un aérodrome à Saint‐Roch‐de‐l’Achigan.

VI. L’équité procédurale

[84] L’appelante soutient que l’Arrêté de mai 2020 aurait été pris en violation des règles de l’équité procédurale. Ce serait le cas, selon elle, parce que cette décision aurait été prise sur la base de considérations qui n’auraient pas été soulevées lors de la prise de l’Arrêté d’août 2019 et auxquelles le Ministre ne lui aurait pas donné l’occasion de répondre. Ce serait également le cas parce que le Ministre aurait reçu des observations de la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan lors des consultations menées à l’automne sans l’en informer.

[85] Tel que je l’ai déjà mentionné, ces prétentions n’ont pas été soulevées devant la Cour fédérale, ni oralement ni par écrit. Comme le souligne le Procureur général, les arguments d’équité procédurale doivent normalement être soulevés à la première occasion, c’est-à-dire dès que la partie devient consciente de la possibilité de le faire. La jurisprudence de notre Cour est claire à ce sujet.

[86] Pour reprendre la formule imagée utilisée par la Cour dans l’affaire Hennessey c. Canada, 2016 CAF 180 au para. 21, « [u]ne partie, consciente d’un problème de procédure en première instance, ne peut demeurer tapie dans l’herbe, pour bondir une fois que l’affaire est devant la cour d’appel. » En l’espèce, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle soulève ce problème devant le Juge.

[87] À l’audience devant nous, la procureure de l’appelante a expliqué qu’il en était ainsi du fait que l’appelante était représentée en appel par de nouveaux procureurs. Normalement, ce genre de justification n’est pas valable. L’appelante soutient toutefois que le Ministre ne subit aucun préjudice de la présentation tardive de ses prétentions sur ce point et qu’il arrive à la Cour d’entendre des arguments soulevés pour la première fois en appel.

[88] Évidemment, sans le bénéfice d’une décision de la Cour fédérale sur la question de l’équité procédurale, cette Cour serait tenue de décider de la question comme si elle était un tribunal de première instance et non suivant la norme autrement applicable en appel, soit celle, exigeante, de l’erreur manifeste et dominante. Dans un sens, il s’agit là d’une forme de préjudice pour le Ministre.

[89] Quoi qu’il en soit, même si j’acceptais le point de vue de l’appelante sur l’argument de forclusion, je rejetterais néanmoins ses prétentions relatives aux manquements allégués à l’équité procédurale, parce que sans mérite. J’ai déjà rejeté l’idée, lors de l’examen de la raisonnabilité de la prise de l’Arrêté de mai 2020, que la décision rendue en août 2019 venait restreindre la liste des facteurs que le Ministre pouvait considérer lorsqu’il a réexaminé le projet de l’appelante suite au dépôt du Rapport révisé.

[90] Le principal argument de l’appelante sur la question de l’équité procédurale reprend cette idée, soit que le Ministre se serait fondé sur de nouvelles considérations pour prendre l’Arrêté de mai 2020, par rapport à ce qui avait déjà été décidé en août 2019. Cette prémisse ne trouve pas d’emprise dans la preuve, du moins au point d’en faire la seule issue possible et acceptable. Les arguments qu’en tire l’appelante, tant sur le plan de la raisonnabilité que sur celui de l’équité procédurale, doivent donc être rejetés.

[91] Finalement, la lettre du maire de la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan qui ferait problème est datée du 2 décembre 2019. Le maire, pour l’essentiel, y émet des réserves sur l’étude d’impact sonore commandée par l’appelante, rappelle les résultats du référendum du mois d’août 2019 et juge les consultations additionnelles menées par l’appelante, suite à la prise de l’Arrêté d’août 2019, insuffisantes et déficientes. Les deux premiers sujets sont abordés dans le Rapport révisé remis au Ministre par l’appelante (Rapport révisé, 4 décembre 2019, Dossier d’appel aux pp. 1839-1840). Quant aux récriminations du maire concernant les consultations qui ont fait suite à l’Arrêté d’août 2019, elles n’ont pas eu l’impact escompté, puisque le Ministre s’est dit satisfait qu’elles avaient été menées « de bonne foi et de manière respectueuse des collectivités ».

[92] Je conviens avec le Procureur général que l’appelante était déjà bien au courant de la position de la municipalité de Saint‐Roch‐de‐l’Achigan, maire et conseil, eu égard à son projet d’aérodrome et qu’elle a eu l’occasion d’y répondre par le biais du Rapport révisé, lequel a été précédé de rencontres avec la municipalité (Rapport révisé, 4 décembre 2019, Dossier d’appel à la p. 1830). En somme, il n’y a rien, dans la lettre du 2 décembre 2019, que l’appelante ne savait pas déjà.

[93] Il est bien établi que le contenu de l’obligation d’un décideur en matière d’équité procédurale est souple et variable et repose sur une appréciation du contexte de la loi et des droits visés (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au para. 22). En l’espèce, la décision d’interdire le projet de l’appelante est une décision individualisée qui n’affecte, pour l’essentiel, que les intérêts économiques de cette dernière. Dans ce type de circonstances, les garanties procédurales auxquelles un justiciable peut prétendre sont minimales (Canada (Procureur général) c. Zone3-XXXVI Inc., 2016 CAF 242 aux paras. 43-46; Foster Farms LLC c. Canada (Diversification du commerce International), 2020 CF 656 aux paras. 43-52) et j’estime, pour les raisons déjà invoquées, qu’en l’espèce, en supposant l’appelante non forclose de présenter cet argument, ces garanties minimales n’ont pas été affectées par le fait que l’appelante n’a pas été informée de l’envoi de la lettre en cause.

[94] Je rejetterais donc le présent appel et le ferais avec dépens en faveur du Procureur général. Les parties proposent qu’en cas de succès de ce dernier, les dépens soient fixés à 1 920,00$. Ce montant me parait raisonnable.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Georges R. Locke j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-260-21

 

INTITULÉ :

11316753 CANADA ASSOCIATION c. LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET LE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 janvier 2023

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 FÉVRIER 2023

 

 

COMPARUTIONS :

Mathieu Quenneville

Elizabeth Cullen

 

Pour l'appelante

 

Caroline Laverdière

Béatrice Stella Gagné

 

Pour les intiméS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Prévost Fortin D’Aoust

 

Pour l'appelante

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour les intiméS

 

 

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