Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230208


Dossiers : A-121-22

A-126-22

Référence : 2023 CAF 29

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

Dossier : A-121-22

ENTRE :

CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

appelants

et

MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN,

BURKE RATTE ET LA PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

intimés

Dossier : A-126-22

ET ENTRE :

PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

appelante

et

MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN,

BURKE RATTE, CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 février 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20230208


Dossiers : A-121-22

A-126-22

Référence : 2023 CAF 29

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

Dossier : A-121-22

ENTRE :

CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

appelants

et

MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN,

BURKE RATTE ET LA PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

intimés

Dossier : A-126-22

ET ENTRE :

PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

appelante

et

MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN,

BURKE RATTE, CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

I. Exposé des faits

[1] Mary Linda Whitford et Alicia Moosomin (les intimées) ont présenté une requête devant la Cour fédérale, aux termes de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, L.C. 2014, ch. 5 (la LEPN), dans laquelle elles contestent la validité de l’élection du chef et des conseillers de la Première Nation Red Pheasant en 2020. La Première Nation Red Pheasant (la PNRP) est nommée comme partie à la requête dans le but restreint d’une adjudication éventuelle des dépens relativement à cette instance.

[2] La Cour fédérale (2022 CF 436, le juge Brown) a conclu que Clinton Wuttunee, Gary Nicotine et six autres candidats élus lors de l’élection, ainsi que d’autres personnes associées à ce groupe, avaient commis une grave fraude électorale. La Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 35 de la LEPN et a annulé l’élection de M. Wuttunee comme chef et de M. Nicotine comme conseiller. Toutefois, même si elle a conclu que six autres personnes élues comme conseillers avaient également commis une grave fraude électorale, quoique dans une moindre mesure, elle n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire pour annuler leur élection.

[3] Les intimées, de même que MM. Wuttunee et Nicotine, ont interjeté appel devant notre Cour. Les intimées demandaient l’annulation complète de l’élection; MM. Wuttunee et Nicotine demandaient que la décision d’annuler leur élection soit infirmée. Notre Cour a récemment rejeté les deux appels dans des décisions distinctes publiées sous les références 2023 CAF 17 et 2023 CAF 18, respectivement.

[4] Dans sa décision sur le fond, la Cour fédérale a demandé que les parties présentent des observations sur les dépens, y compris le montant forfaitaire qu’elle devrait adjuger. Burke Ratte, qui était président d’élection lors du scrutin et qui a été nommé dans l’instance introduite devant la Cour fédérale afin de faciliter l’interrogatoire préalable et d’obtenir des documents, a demandé des dépens de 20 000 $ à la fin de l’instance. Il n’a présenté aucune autre observation et personne ne s’est opposé à sa demande. Les six autres personnes élues comme conseillers et déclarées coupables de fraude électorale grave, mais dont l’élection n’a pas été annulée, n’ont présenté aucune observation sur les dépens.

[5] Les intimées ont demandé des dépens avocat-client contre M. Wuttunee, M. Nicotine et la PNRP à titre solidaire, et ont présenté des observations écrites détaillées sur les dépens. Dans ses observations écrites, la PNRP a déclaré qu’elle ne devrait pas être passible des dépens. MM. Wuttunee et Nicotine, qui n’ont pas retenu d’avocat sur la question des dépens, ont affirmé qu’ils ne devraient pas être passibles des dépens ou qu’ils devraient n’être passibles, tout au plus, que de 22 000 $ sur une adjudication globale des dépens de 100 000 $. Ils ont affirmé que les intimées, puisqu’elles n’ont que partiellement obtenu gain de cause, devraient être passibles du reste, proposant que les 22 000 $ qui leur incombent soient déduits des dépens incombant aux intimées.

[6] Pour des motifs non publiés en date du 2 juin 2022 (les motifs), la Cour fédérale a décidé qu’une somme globale était [traduction] « le moyen le plus efficace et équitable de régler la question des dépens à la fin de ce long conflit difficile au cours duquel les parties se sont battues avec acharnement, et compte tenu des facteurs énumérés dans les présents motifs ».

[7] La Cour fédérale n’a vu aucune raison de déroger à la règle générale voulant que les dépens suivent l’issue de la cause et a conclu que MM. Wuttunee et Nicotine, n’ayant pas eu gain de cause, devraient être passibles des dépens.

[8] Durant l’audience sur le fond, le même avocat a représenté la PNRP et les personnes reconnues coupables de fraude électorale grave. La Cour fédérale a conclu que la PNRP avait payé les frais juridiques et les débours pour ces personnes, y compris MM. Wuttunee et Nicotine. Dans les circonstances, la Cour fédérale a cru bon que la PNRP paie les dépens des intimées.

[9] Même si les intimées ont demandé des dépens avocat-client supérieurs à 570 000 $, la Cour fédérale leur a adjugé 325 000 $ sous forme de somme globale devant être payée solidairement par M. Wuttunee, M. Nicotine et la PNRP. La Cour a ordonné à ces trois parties de payer des dépens de 20 000 $ à M. Ratte. Elle n’a adjugé aucuns dépens en faveur ou à l’encontre des six autres personnes, affirmant que, même si elles n’avaient pas fait de demande en ce sens, elle ne leur aurait adjugé aucuns dépens puisqu’elle avait conclu que ces personnes avaient commis une grave fraude électorale.

[10] Dans des appels distincts, MM. Wuttunee et Nicotine (A-121-22) et la PNRP (A‐126-22) interjettent appel de la partie de l’ordonnance sur les dépens exigeant qu’ils paient des dépens aux intimées. Même si leurs moyens d’appel diffèrent à certains égards, pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur justifiant l’intervention de notre Cour. Par conséquent, je rejetterais les deux appels.

II. Norme de contrôle

[11] L’adjudication des dépens est « un exemple typique d’une décision discrétionnaire » : Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, par. 126. Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, notre Cour confirme que la norme de contrôle applicable aux appels d’une décision discrétionnaire de la Cour fédérale est celle formulée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33. Les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Les conclusions de fait ou de fait et de droit mixtes doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, sauf s’il est possible de démontrer l’existence d’une erreur de droit isolable.

[12] Autrement dit, les cours d’appel ne doivent intervenir dans l’adjudication de dépens que si le tribunal inférieur « a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée » (Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, par. 247, citant Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, par. 27).

III. Dépens dans les Cours fédérales : Règles des Cours fédérales

[13] Le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS-98/106 (les Règles) confère expressément à la Cour fédérale « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Le paragraphe 400(3) dresse une liste non restrictive des facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’adjudication des dépens. L’alinéa 400(3)o) des Règles autorise expressément la Cour à prendre en compte toute autre question qu’elle juge pertinente. La Cour n’est pas tenue d’indiquer le poids qu’elle a accordé à un facteur particulier, et tous les facteurs ne sont pas nécessairement pertinents dans une affaire donnée.

[14] Le paragraphe 400(4) des Règles permet à la Cour de fixer les dépens en se reportant au tarif ou d’adjuger une somme globale. Le paragraphe 400(6) permet à la Cour d’adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client.

[15] Dans ce contexte, examinons les appels dont nous sommes saisis.

IV. Appels

A. Appel interjeté par Clinton Wuttunee et Gary Nicotine

[16] MM. Wuttunee et Nicotine font valoir que la Cour fédérale a commis plusieurs erreurs de principe. Premièrement, ils font valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant d’examiner la conduite des intimées, qui ont retardé le règlement du litige. À leur avis, la Cour fédérale a commis une erreur en n’accordant pas de poids à ce fait.

[17] En ce qui concerne le facteur de l’intérêt public indiqué à l’alinéa 400(3)h) des Règles, MM. Wuttunee et Nicotine allèguent que la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte de leur capacité de payer relativement à la capacité de payer des intimées, compte tenu du caractère raisonnable des frais juridiques des intimées. Ils ajoutent que la Cour fédérale a commis une erreur en s’appuyant sur les états financiers de la PNRP [traduction] « comme preuve de sa capacité financière aux termes du facteur de l’intérêt public ». Il en résulte donc, à leur avis, que le montant des dépens adjugés est [traduction] « une erreur manifeste ».

[18] Enfin, ils affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en considérant leurs actes de fraude électorale comme véritablement pertinents.

[19] Je répondrai à chacune de ces allégations d’erreurs séparément, en commençant par le défaut invoqué d’examiner la conduite des intimées qui a retardé l’instance.

(1) La Cour fédérale n’a pas omis d’examiner la conduite des intimées.

[20] MM. Wuttunee et Nicotine mentionnent plusieurs occasions, dans les dossiers, où le juge chargé de la gestion de l’instance a critiqué la conduite des deux camps. Ils affirment cependant que le juge chargé de la gestion de l’instance a également conclu que la conduite des intimées avait inutilement prolongé l’instance. Ils signalent à cet effet certains passages dans les motifs des ordonnances du juge chargé de la gestion de l’instance. MM. Wuttunee et Nicotine estiment que la Cour fédérale, n’ayant pas abordé ces conclusions dans ses motifs, n’y a accordé aucun poids et a donc commis une erreur.

[21] Je ne suis pas de cet avis.

[22] Même si la Cour fédérale n’a pas exposé la conduite des parties en détail dans ses motifs, il ne fait aucun doute qu’elle était parfaitement au courant de la conduite préalable à l’audience. Cette conduite est abordée en détail sur dix pages des motifs de la décision sur le fond (motifs sur le fond) et elle est mentionnée tout au long de ces motifs. Il n’était pas nécessaire que la Cour fédérale les répète.

[23] Au paragraphe 23 de ses motifs, la Cour fédérale a plutôt fait référence aux motifs sur le fond et a cité un passage d’une ordonnance du juge chargé de la gestion de l’instance. Ce passage décrit la conduite des parties (sauf celle de M. Ratte) et de leurs avocats respectifs comme laissant beaucoup à désirer et démontrant [traduction] « un mépris scandaleux du principe de proportionnalité, ainsi qu’une mauvaise volonté ou une incapacité jugées inacceptables à communiquer ou par ailleurs à collaborer en vue de faire progresser l’instance de manière efficace ».

[24] Dans les deux paragraphes suivants de ses motifs, la Cour fédérale a déclaré que [traduction] « cela étant dit », la conduite des personnes dont les intimées contestent l’élection [traduction] « a retardé et, à bien des égards, entravé » le traitement de l’affaire et que, [traduction] « tel qu’il est énoncé dans les motifs [sur le fond] », leurs positions ne reposaient souvent sur aucun fondement ni aucune source. On retrouve des exemples de ces conclusions aux paragraphes 102, 114, 126, 131, 215, 218, 226, 229, 252, 288, 435 et 451 des motifs sur le fond. Dans ses motifs, la Cour fédérale a affirmé que la conduite de ces personnes [traduction] « pourrait à juste titre être considérée comme une obstruction équivalant à de l’abus » et que leur stratégie [traduction] « visait à faire obstacle aux [intimées] dans leur quête de la vérité et d’une décision équitable dans la présente instance ».

[25] En lisant ensemble les paragraphes 23 à 25 des motifs et les motifs sur le fond, je conclus que la Cour fédérale était parfaitement au courant de toute la conduite de l’ensemble des parties tout au long de l’instance et qu’elle a pleinement tenu compte, dans sa décision, de l’effet de cette conduite sur l’adjudication des dépens. Notre rôle n’est pas de réévaluer le poids que la Cour fédérale a accordé à ce facteur.

(2) Les motifs ont dûment tenu compte de la capacité de payer des appelants.

[26] Je me penche maintenant sur les autres erreurs alléguées par MM. Wuttunee et Nicotine. Plus précisément, ils contestent les deux sous-paragraphes des motifs qui suivent :

[traduction]
[26] En plus des évaluations qui précèdent, y compris la conduite aux termes du paragraphe 400(1) des Règles, j’ai également pris en compte les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles pour évaluer la somme globale adjugée conformément au paragraphe 400(4) des Règles, notamment :

[...]

4) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens – étant donné les deux années et demie qui se sont écoulées avant le règlement de cette affaire, l’indigence des [intimées], l’affidavit incontesté que les états financiers de la Première Nation Red Pheasant avaient prévu les dépens à son budget ([traduction] « la valeur globale de la demande de dépens pourrait s’élever à environ 250 000 $, le résultat n’étant pas assuré en date du 31 mars 2021 ») et le travail considérable que [les intimées] ont mené par la suite dans l’année qui s’est écoulée entre-temps, y compris l’audience de deux jours en janvier 2022;

5) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas (i) était inappropriée, vexatoire ou inutile, (ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection – le fait que le chef Wuttunee, le conseiller Gary Nicotine et six des sept autres conseillers (à l’exception seulement de Dana Falcon) avaient commis une grave fraude électorale, alors qu’ils auraient dû être les champions, et non les agents de corruption, de l’intégrité électorale.

[27] Les mots soulignés au sous-paragraphe 4) se trouvent à l’alinéa 400(3)h) des Règles. MM. Wuttunee et Nicotine reconnaissent que les affaires de gouvernance des Premières Nations peuvent soulever des questions d’intérêt public justifiant l’adjudication de dépens supérieurs. Ils reconnaissent également qu’il était permis à la Cour fédérale de conclure que les intimées étaient indigentes et que les instances avaient été longues et complexes.

[28] Toutefois, MM. Wuttunee et Nicotine soutiennent que la Cour fédérale n’a tiré aucune conclusion quant à leur capacité de payer et n’a pas tenu compte d’un déséquilibre entre leur capacité de payer et celle des intimées. Ils affirment que la Cour fédérale a plutôt conclu que la PNRP avait la capacité financière de payer les dépens adjugés en fonction d’une note accompagnant ses états financiers concernant une responsabilité éventuelle quant aux dépens et qu’elle leur a indûment conféré cette capacité. À leur avis, il s’agissait d’une erreur.

[29] Je ne peux souscrire à ce raisonnement.

[30] Dans le cadre de leurs observations sur les dépens, les intimées ont déposé des éléments de preuve attestant leurs très modestes ressources financières. MM. Wuttunee et Nicotine n’ont ni affirmé une incapacité de payer ni présenté d’éléments de preuve à la Cour fédérale concernant leurs ressources financières ou leur capacité de payer. En fait, ils ont expressément affirmé qu’ils jugeraient équitable d’être condamnés à des dépens de 22 000 $, ce qui laisse supposer une certaine capacité de payer.

[31] Bien que la Cour fédérale ait effectivement conclu que la PNRP avait payé les frais juridiques et les débours des personnes dont l’élection était contestée et ceux des autres personnes qui avaient commis une grave fraude électorale, elle n’a pas attribué la capacité de payer de la PNRP à MM. Wuttunee et Nicotine. Comme ils le font valoir, la Cour fédérale n’a pas tiré de conclusion précise sur leur capacité de payer. Cependant, on ne peut le reprocher à la Cour fédérale étant donné que ni M. Wuttunee ni M. Nicotine n’ont fait valoir de position ni présenté d’éléments de preuve à ce sujet.

[32] Je reconnais que MM. Wuttunee et Nicotine n’ont pas retenu d’avocat pour les observations sur les dépens, mais même les plaideurs qui ne sont pas représentés par un avocat sont tenus de prendre connaissance du droit applicable. MM. Wuttunee et Nicotine ont affirmé avoir consulté des avocats et, dans certaines parties de leurs observations sur les dépens, des déclarations sont attribuées à ces avocats.

[33] J’estime que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en mentionnant les notes accompagnant les états financiers de la PNRP dans son examen du facteur de l’intérêt public. Selon mon interprétation, l’utilisation par la Cour fédérale du verbe [traduction] « budgétiser » n’indique pas qu’un poste précis du budget était consacré aux dépens, mais plutôt que la PNRP reconnaissait en général qu’on pourrait lui ordonner de payer des dépens.

(3) La conduite préalable au litige peut être prise en compte pour déterminer le montant d’une somme globale supérieure adjugée.

[34] Je passe maintenant au sous-paragraphe (5) cité plus haut. Il traite de l’alinéa 400(3)k) des Règles et commence en en reprenant le texte : la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection.

[35] En l’espèce, l’instance est la requête en vertu de la LEPN pour contester l’élection devant la Cour fédérale. Cette instance a été introduite par la délivrance de l’avis de requête devant la Cour fédérale : Règle 62. Je suis donc d’accord avec MM. Wuttunee et Nicotine pour dire que la grave fraude électorale qu’ils ont commise n’est pas une mesure prise au cours de l’instance.

[36] Cependant, pour des raisons que j’expliquerai, je ne considère pas que les déclarations de la Cour fédérale indiquent une conclusion selon laquelle la fraude électorale elle-même est une mesure prise au cours de l’instance, malgré la manière dont la Cour fédérale mentionne la fraude électorale.

[37] Je remarque d’abord que le paragraphe 26 suit directement les propos de la Cour fédérale au sujet de la conduite. La Cour fédérale indique, au tout début du paragraphe 26, qu’elle se préoccupe d’une chose [traduction] « en plus » des facteurs déjà abordés [traduction] « y compris la conduite ». Il est clair que ce renvoi à la conduite inclut la conduite qui [traduction] « a eu tendance à [...] prolonger inutilement la durée de l’instance », un facteur aux termes de l’alinéa 400(3)i) que la Cour fédérale aborde expressément aux paragraphes 23 à 25 de ses motifs.

[38] Ensuite, toujours au paragraphe 26, elle déclare qu’elle se préoccupe des [traduction] « facteurs du paragraphe 400(3) des Règles dans l’évaluation de la somme globale adjugée aux termes du paragraphe 400(4) » [Non souligné dans l’original].

[39] Le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Avant le paragraphe 26 de ses motifs, la Cour fédérale avait tout abordé sauf le montant. La justification d’une somme globale se trouve au paragraphe 11; la décision de la Cour voulant que MM. Wuttunee et Nicotine doivent assumer les dépens se trouve au paragraphe 14; la décision de la Cour de tenir la PNRP également responsable est traitée aux paragraphes 15 à 21; enfin, la raison pour laquelle la Cour fédérale n’attribuerait pas de dépens aux personnes qui ont commis une fraude électorale, mais dont elle n’a pas annulé l’élection est abordée au paragraphe 19. Cependant, il lui restait à décider du montant approprié de la somme globale. À mon avis, le paragraphe 26 concerne principalement cette question.

[40] Comme je l’ai mentionné plus haut, les intimées ont soutenu qu’elles devraient avoir droit à des dépens avocat-client. Pour ce faire, elles ont abordé plusieurs facteurs du paragraphe 400(3) des Règles, y compris ceux des alinéas k) et o), ce dernier concernant toute autre question que la Cour juge pertinente.

[41] Les observations des intimées relativement à l’alinéa 400(3)k) des Règles – la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile – portaient entièrement sur les mesures prises au cours de l’instance, notamment les allégations concernant un faux témoignage, la présentation de positions inappropriées et non fondées dans le cadre des requêtes, les allégations sans fondement contre les avocats des intimées et le dépôt de documents irréguliers. Il n’était pas question de la fraude électorale aux termes de ce facteur.

[42] Aux paragraphes 23 à 25, les seuls paragraphes de ses motifs concernant la conduite dans le cadre de l’instance, la Cour fédérale a abordé ce sujet– dont il a été question dans les observations des intimées sur plus d’une page relativement à l’alinéa 400(3)i) des Règles et sur plus de trois pages relativement à l’alinéa 400(3)k), et que la PNRP et MM. Wuttunee et Nicotine ont abordée dans leurs observations sur les dépens.

[43] Cependant, les intimées, dans les observations écrites sur les dépens présentées à la Cour fédérale, ont mentionné que la fraude électorale grave était pertinente dans deux autres contextes.

[44] Premièrement, elles l’ont invoquée relativement à l’alinéa 400(3)o) des Règles – toute autre question pertinente. Elles ont affirmé que la conduite préalable au litige peut être pertinente, citant Conseil coutumier de la première nation Anishinabe de Roseau River c. Nelson, 2013 CF 180, par. 61 à 76 [la décision Roseau River]. Plus précisément, les observations des intimées étaient rédigées ainsi :

[traduction]
C’est leur conduite déplorable qui a directement donné lieu au présent avis de requête. Ils devraient être tenus responsables des coûts financiers découlant de leur inconduite.

[Non souligné dans l’original.]

[45] Deuxièmement, pour appuyer leur observation selon laquelle la Cour devrait leur adjuger des dépens avocat-client, elles se sont appuyées sur les raisons qu’elles avaient déjà soulignées et ont déclaré ce qui suit :

[traduction]
La conduite des défendeurs [les personnes élues qui ont commis la fraude électorale] tant relativement à l’élection qu’à cette instance était répréhensible, scandaleuse et outrageante.

[Non souligné dans l’original.]

[46] Ces deux observations prises ensemble semblent motivées par un désir à la fois d’établir un lien entre la fraude électorale préalable au litige et l’instance, et de démontrer que la conduite était d’une nature qui justifiait une sanction par l’adjudication de dépens avocat-client. Cette interprétation est conforme au passage de la décision Roseau River cité par les intimées; il concerne les dépens avocat-client.

[47] Comme l’a observé la Cour fédérale dans cette décision, selon la jurisprudence pertinente, les dépens avocat-client ne devraient être attribués que lorsqu’une partie a affiché une conduite répréhensible (« conduite qui mérite une réprimande ou un blâme »), scandaleuse (« propre à susciter la colère ou l’indignation publiques ») ou outrageante (« qui, notamment, s’avère profondément choquante, inacceptable, immorale et injurieuse ») : décision Roseau River, par. 63.

[48] Dans cette décision, la Cour fédérale n’a pas attribué de dépens avocat-client. La question est donc de savoir si la Cour fédérale pourrait tenir compte d’une grave fraude électorale pour évaluer le montant de la somme globale adjugée. Pour les motifs qui suivent, dans les circonstances de l’espèce, je conclus qu’elle le pourrait.

[49] C’est dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Young c. Young [1993] 4 RCS 3, 108 D.L.R. (4th) 193, que l’on trouve la mention d’une conduite « répréhensible, scandaleuse ou outrageante ». Estimant que les circonstances ne justifiaient pas de tels dépens, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ((1990), 75 DLR (4th) 46, 50 BCLR (2d) 1), avait réduit les dépens avocat-client adjugés par le juge de première instance à l’une des parties. En appel, la Cour suprême a affirmé qu’elle était d’accord avec les principes sur lesquels la Cour d’appel avait fondé son ordonnance réduisant les dépens adjugés par le juge de première instance, avant de déclarer que les dépens avocat-client ne sont généralement attribués que dans le cas d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante de la part de l’une des parties : p. 134.

[50] Pour rendre sa décision, la Cour d’appel s’était penchée sur d’autres décisions, notamment Stiles v. Workers’ Compensation Board of British Columbia (1989), 38 B.C.L.R. (2d) 307, 16 A.C.W.S. (3d) 306 (BCCA), où le juge Lambert a déclaré, notamment :

[traduction]
Le principe qui guide la décision d’adjuger des dépens avocat-client dans un dossier controversé [...] est que les dépens avocat-client ne devraient être adjugés que s’il existe une forme quelconque de conduite répréhensible, soit dans les circonstances donnant lieu à la cause d’action, soit dans l’instance, ce qui rend de tels dépens souhaitables comme forme de punition. Les mots « scandaleuse » et « outrageante » sont également utilisés.

[Non souligné dans l’original.]

[51] Notre Cour a cité le passage souligné dans cette citation dans l’arrêt La Banque de Nouvelle-Écosse c. Fraser, 2001 CAF 267 [arrêt Fraser], confirmant la décision Banque de Nouvelle-Écosse c. Fraser, [2000] A.C.F. no 773, 186 F.T.R. 225. Dans sa décision, la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire de l’adjudication de dépens avocat-client par un adjudicateur, et a elle-même condamné la banque aux dépens avocat-client. Parmi les facteurs auxquels l’adjudicateur s’était fié pour adjuger les dépens figurait le congédiement injuste de Mme Fraser par la banque avant le litige; l’adjudicateur a estimé que la banque avait été « impitoyable et cruelle », « malhonnête » et « intransigeante et belliqueuse » : voir les motifs de la Cour fédérale, par. 20. Dans son adjudication des dépens, la Cour fédérale a remarqué que, étant donné la norme de contrôle élevée dans le cadre d’un contrôle judiciaire et les arguments faibles avancés par la banque, « Mme Fraser n’avait pas à encourir les dépenses liées à la défense présentée contre la présente demande. » : par. 22.

[52] Lorsqu’elle a adjugé des dépens avocat-client dans la décision Shotclose c. Première nation de Stoney, 2011 CF 1051 [décision Shotclose], la Cour fédérale a fait remarquer explicitement que les décisions et les actes du chef et du conseil avaient rendu cette instance nécessaire. Elle a affirmé que « [l]’adoption de cette mesure sensée aurait évité à toutes les parties les dépenses liées à un coûteux litige. Le fait de ne pas avoir procédé ainsi était, pour les défendeurs, une tentative flagrante en vue de rester au pouvoir. » : décision Shotclose, par. 10. Voir également la décision Shirt c. Nation Crie de Saddle Lake, 2022 CF 321, par. 104.

[53] Notre Cour a également reconnu qu’elle peut prendre en compte la conduite préalable au litige pour déterminer si elle doit adjuger des dépens avocat-client lorsque cette conduite est étroitement liée au litige. En plus de l’arrêt Fraser, voir Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 1919, 194 D.L.R. (4th) (CAF) 483, par. 12; La Reine c. Martin, 2015 CAF 95, par. 26 et 27, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC rejetée, 36479 (20 octobre 2015); Merchant c. La Reine, [1998] 3 C.T.C. 2505, 98 D.T.C. 1734 (CCI), par. 59, conf. par 2001 CAF 19; Lau c. La Reine, 2003 CCI 74, conf. par 2004 CAF 10. Voir également l’arrêt Hunt v. TD Securities Inc. (2003), 229 DLR (4th) 609, 66 OR (3d) 481 (ONCA), par. 123; Oz Optics Limited v. Timbercon, Inc., 2012 ONCA 735, par. 16.

[54] La Cour fédérale aurait certainement pu être plus claire ici. Cependant, considérant tout cela, je comprends que le sous-paragraphe 5) reflète les décisions de la Cour fédérale voulant que, n’eût été la grave fraude électorale, la première mesure prise au cours de l’instance aurait été inutile, et que la conduite était suffisamment liée à l’instance pour être prise en compte dans l’évaluation d’une somme globale appropriée si elle était de nature suffisamment volontaire.

[55] Je reconnais que la Cour fédérale n’a pas expressément décrit la conduite de MM. Wuttunee et Nicotine comme étant répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Elle a toutefois présenté l’achat de votes comme [traduction] « une pratique insidieuse qui corrompt et mine l’intégrité de tout processus électoral » (motifs sur le fond, par. 11) et le recours aux fonds de la bande pour y parvenir comme [traduction] « une fraude électorale particulièrement grave » qui était [traduction] « monumentale » (motifs sur le fond, par. 474). Il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a estimé que [traduction] « leurs nombreuses et graves fraudes électorales [qui] ont corrompu l’intégrité de l’élection » (motifs sur le fond, par. 500) pouvaient être caractérisées comme une conduite « qui mérite une réprimande ou un blâme », « propre à susciter la colère ou l’indignation publiques » ou « inacceptable, immorale ou injurieuse » : décision Roseau River, par. 63.

[56] Même si la somme globale adjugée par la Cour fédérale est inférieure aux dépens avocat-client, il s’agit, comme s’en plaignent les appelants, d’une adjudication majorée – offrant ce que l’on pourrait qualifier d’indemnisation importante. Le fait que la Cour fédérale n’a pas adjugé de dépens avocat-client ne veut pas dire que la conduite préalable au litige n’était pas de nature à appuyer une telle adjudication. Si cette conduite peut être prise en compte pour décider d’adjuger des dépens avocat-client, on ne peut nier sa pertinence pour décider s’il faut adjuger des dépens majorés.

[57] Cependant, cette conduite n’est qu’un facteur parmi d’autres. « L’adjudication d’une somme globale au titre des dépens doit être justifiée au regard des circonstances de l’affaire et des objectifs qui sous‐tendent l’adjudication des dépens » : Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, par. 15. Ces objectifs incluent le fait d’augmenter le coût du litige, l’incitation à régler et la dissuasion de comportements abusifs : Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, par. 25, et Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115, par. 24.

[58] En l’espèce, ayant établi que [traduction] « la complexité et la difficulté de la présente affaire sont telles que le point de départ d’une adjudication des dépens est [...] dans la fourchette supérieure de la quatrième colonne du tarif B », la Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire pour adjuger une somme globale supérieure à son [traduction] « point de départ », mais inférieure à la demande de dépens avocat-client des intimées. Ce faisant, la Cour fédérale a déclaré qu’elle avait tenu compte des observations des parties, de la jurisprudence, des [traduction] « facteurs relevés dans les présents motifs » et du montant des dépens des intimées calculé sur une base avocat-client. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour fédérale a choisi une somme d’environ 100 000 $ de plus que le tarif, mais représentant moins de 60 % des dépens avocat-client demandés. MM. Wuttunee et Nicotine ne m’ont pas convaincue que la Cour fédérale, ayant déclaré qu’elle tenait compte du mémoire de frais des intimées, n’avait pas examiné le caractère raisonnable de ces dépens.

[59] En conclusion, MM. Wuttunee et Nicotine n’ont pas relevé d’erreur commise par la Cour fédérale qui justifie l’intervention de notre Cour.

B. Appel de la PNRP

[60] Certaines des erreurs alléguées par la PNRP en appel ont été alléguées par MM. Wuttunee et Nicotine, et je ne m’y attarderai pas davantage.

[61] En outre, plusieurs erreurs alléguées par la PNRP équivalent à des observations voulant que la Cour fédérale ait soit omis de tenir compte de certains facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, soit accordé trop ou trop peu de poids à des facteurs en particulier. L’adjudication des dépens est discrétionnaire et dépend fortement des circonstances de l’affaire. La Cour fédérale est la mieux placée pour déterminer et apprécier les facteurs pertinents. Par conséquent, à moins d’une erreur manifeste et dominante, notre Cour n’interviendra pas dans la décision de la Cour fédérale quant aux facteurs qui sont pertinents ou au poids qu’elle leur a accordé. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante ici.

[62] Cependant, j’aborderai certaines des erreurs alléguées par la PNRP.

[63] Premièrement, la PNRP allègue que la Cour fédérale n’a pas convenablement appliqué le critère de l’intérêt public dans son évaluation des dépens contre elle, en ce sens que la Cour a tiré des conclusions défavorables concernant les intentions et les motivations de la PNRP même si la Cour a reconnu le rôle limité de la PNRP dans l’instance. Puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, la PNRP doit démontrer l’existence d’une erreur manifeste et dominante ou d’une erreur de droit isolable. Je ne vois pas une telle erreur en l’espèce.

[64] Je remarque d’abord que des dépens ont même été adjugés contre une première nation qui n’avait pas du tout participé à l’instance : Bellegarde c. Poitras, 2009 CF 1212, conf. par 2011 CAF 317 [décision Bellegarde]. En l’espèce, la PNRP a été nommée comme partie aux seules fins d’une possibilité d’adjudication des dépens contre elle et, comme l’a noté la Cour fédérale, les états financiers de la PNRP signalaient expressément sa responsabilité éventuelle quant aux dépens. Elle savait donc qu’elle pourrait être passible des dépens malgré son rôle limité. La Cour fédérale a expressément invité les parties à présenter des observations écrites sur les dépens, une invitation qu’a acceptée la PNRP.

[65] Dans ces observations, la PNRP a reconnu la pertinence d’une analyse de l’intérêt public relativement aux dépens, mais elle a soutenu que l’intérêt public était insuffisant en l’espèce pour justifier une adjudication de dépens contre elle. Elle a déclaré que [traduction] « l’interprétation de la loi sur la gouvernance des Premières Nations n’ajoutait aucune certitude » et que [traduction] « [l]a fraude, la contrefaçon et la corruption ne se limitent pas à une communauté en particulier ou à un niveau particulier au sein des processus électoraux du Canada. »

[66] Même si l’interprétation du droit des Premières Nations n’a pas été abordée en l’espèce, il est évident qu’une élection exempte de fraude électorale grave est une question de gouvernance importante. De plus, l’alinéa 400(3)h) des Règles permet expressément à la Cour de prendre en compte « l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance » dans « l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe [400](1) [des Règles] », un pouvoir discrétionnaire qui inclut le fait de préciser les personnes qui doivent payer les dépens. Les intimées cherchaient à faire respecter les lois applicables aux élections de la PNRP, ce qui constitue indubitablement une question d’intérêt public pour l’ensemble de la communauté de la PNRP.

[67] En l’espèce, la Cour fédérale a passé en revue sa jurisprudence concernant l’adjudication des dépens contre une première nation dans des affaires concernant la gouvernance. Elle a alors remarqué que les mêmes avocats représentaient la PNRP, tous les candidats individuels contre qui des allégations de fraude électorale étaient formulées, ainsi qu’une autre personne ayant commis une grave fraude électorale. En agissant ainsi, selon la Cour fédérale, la PNRP a [traduction] « choisi de faire cause commune contre les [intimées] ». De plus, la Cour fédérale [traduction] « n’a eu aucune difficulté à conclure que [la PNRP] avait payé les frais juridiques et les débours » de ces personnes.

[68] Étant parvenue à la conclusion que la PNRP s’était rangée derrière les personnes qui avaient commis une fraude électorale, avait payé leurs frais et avait fait cause commune avec elles contre les intimées, et sachant que ni la PNRP ni ses membres ne sont riches, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[traduction]
[L]a jurisprudence établit qu’une des conséquences possibles pour une bande qui paie les frais juridiques et les débours des représentants élus qui auraient commis une grave fraude électorale est la possibilité d’une ordonnance enjoignant à la bande de payer les frais juridiques et les débours des personnes qui ont des difficultés financières et finissent par réussir à démontrer la corruption de ces élus dans le cadre d’une grave fraude électorale, comme c’est le cas en l’espèce.

[69] Ce principe est amplement étayé par la jurisprudence : décision Bellegarde; Knebush c. Maygard, 2014 CF 1247; décision Shotclose; Whalen c. Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119; Standinghorn c. Atcheynum, 2007 CF 1137. Comme l’a observé la Cour fédérale, « en pratique, la partie qui dirige le conseil d’une Première Nation est en position de se faire rembourser ses frais juridiques par la Première Nation » : Nation Ojibwée de Saugeen c. Derose, 2022 CF 870, par. 11.

[70] Même si la PNRP s’est plainte des inférences défavorables tirées par la Cour fédérale, ses observations à la Cour fédérale n’ont pas abordé la question de savoir si elle avait payé ces frais juridiques et ces débours. Devant nous, l’avocat de MM. Wuttunee et Nicotine a admis que la PNRP avait payé ses honoraires. À mon avis, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur manifeste et dominante.

[71] De même, relativement à ses ressources financières, la PNRP a indiqué dans ses observations sur les dépens qu’elle était une assez petite première nation et qu’une adjudication des dépens contre elle ferait diminuer les ressources destinées à ses priorités communautaires. Cependant, la PNRP n’a présenté aucun élément de preuve et n’a rien fait pour expliquer pourquoi ces considérations ne s’appliquaient pas aussi à sa décision de payer les frais des personnes qui avaient commis une grave fraude électorale, y compris MM. Wuttunee et Nicotine. Ni la PNRP ni aucune autre partie n’a présenté d’éléments de preuve indiquant que la PNRP n’avait pas payé ces frais ou justifiant ce qu’étaient ces frais par rapport à ceux engagés par les intimées. Encore une fois, je ne vois pas d’erreur manifeste et dominante dans les conclusions de la Cour fédérale à cet égard.

[72] La PNRP soutient aussi que la Cour fédérale a commis une erreur, car son ordonnance sur les dépens [traduction] « contient beaucoup de texte copié directement des observations sur les dépens [des intimées] », et car [traduction] « les pages 11 à 13 des observations [des intimées] ont été insérées au paragraphe 26 de l’ordonnance sur les dépens ». À mon avis, cette affirmation est sans fondement.

[73] Le seul passage reproduit textuellement par la Cour fédérale dans ses motifs est une citation d’un affidavit donnant des renseignements sur les frais réels des intimées et les travaux effectués par les avocats – autrement dit, des éléments de preuve. Cela n’a rien d’inapproprié, d’autant plus que la Cour fédérale affirme expressément qu’aucune autre personne n’a présenté d’éléments de preuve au sujet de ses frais juridiques. En lisant l’ensemble des motifs, on constate qu’en l’espèce, aucune « personne raisonnable [ne] conclurait que le juge n’a pas porté son attention sur les questions en litige et ne les a pas tranchées de façon indépendante et impartiale » : Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, par. 1 [arrêt Cojocaru].

[74] Je n’accepte pas non plus l’affirmation de la PNRP selon laquelle [traduction] « l’absence de motifs adéquats laisse en suspens la question de savoir si la Cour a pris en compte “tous les facteurs pertinents” lorsqu’elle a rendu l’ordonnance d’adjudication [de dépens] ou [...] a fait la bonne analyse dans l’examen des facteurs ». Les motifs ne doivent pas nécessairement être longs ni couvrir tous les aspects du raisonnement de la Cour : arrêt Cojocaru, par. 13. Même s’ils doivent être adéquats, ils n’ont pas besoin de traiter en détail chacune des questions en litige : Hennessey c. Canada, 2016 CAF 180, par. 10. Ils doivent plutôt être considérés dans leur ensemble et dans leur contexte global, y compris les éléments de preuve versés au dossier, les observations des parties, et le fait que les juges sont censés connaître les principes fondamentaux du droit : Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, par. 143. La Cour fédérale a exposé et justifié les facteurs qu’elle considérait comme les plus importants.

V. Conclusion

[75] Il découle de l’analyse qui précède que je rejetterais les deux appels. Conformément à la demande des parties, je ne me prononcerais pas sur la question des dépens à ce moment-ci, mais j’autorisais les parties à présenter des observations écrites sur cette question.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

George R. Locke, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-121-22 ET A-126-22

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BROWN DATÉE DU 2 JUIN 2022, DOSSIER NO T-474-20

DOSSIER :

A-121-22

 

 

INTITULÉ :

CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE c. MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN, BURKE RATTE ET LA PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

 

 

ET DOSSIER :

A-126-22

 

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION RED PHEASANT c. MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN, BURKE RATTE, CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 novembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Dossier : A-121-22

 

Senwung Luk

Sarah Glickman

Pour les appelants

CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

 

Dossier : A-126-22

 

Gordon Hamilton

Pour l’appelante

PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

 

Senwung Luk

Sarah Glickman

Pour les intimés

CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

 

Dossiers : A-121-22 et A-126-22

 

Mervin C. Phillips

Nathan Xia-Phillips

Pour les intimées

MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dossier : A-121-22

 

 

Olthuis Kleer Townshend LLP

Toronto (Ontario)

Pour les appelants

CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

 

Dossier : A-126-22

 

McDougall Gauley LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour l’appelante

PREMIÈRE NATION RED PHEASANT

 

Olthuis Kleer Townshend LLP

Toronto (Ontario)

Pour les intimés

CLINTON WUTTUNEE ET GARY NICOTINE

 

Dossiers : A-121-22 et A-126-22

 

Phillips & Co.

Avocats

Regina (Saskatchewan)

Pour les intimées

MARY LINDA WHITFORD, ALICIA MOOSOMIN

 

Bordeau Law

Barristers & Solicitors – Avocats & Notaires

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour l’intimé

BURKE RATTE

 

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