Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230306


Dossier : A-232-21

Référence : 2023 CAF 47

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

NORTHERN INTER-TRIBAL HEALTH AUTHORITY INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

JIANTI YANG

 

 

intimée

 

Audience tenue par vidéoconférence le 22 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 mars 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20230306


Dossier : A-232-21

Référence : 2023 CAF 47

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

NORTHERN INTER-TRIBAL HEALTH AUTHORITY INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

JIANTI YANG

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] L’appelante, la Northern Inter-Tribal Health Authority (NITHA), interjette appel du jugement rendu par la Cour fédérale (par le juge Fothergill) intitulé Yang c. Northern Inter-Tribal Health Authority, 2021 CF 850, 336 A.C.W.S. (3d) 88. Par ce jugement, la Cour fédérale a annulé la décision que l’arbitre avait rendue le 16 décembre 2019 en application de la section XIV, partie III, du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-1, intitulée Yang v. Northern Inter-Tribal Health Authority Inc., Saskatoon YM2707-11464 (par l’arbitre Koskie). Dans sa décision, l’arbitre avait conclu que le congédiement de la défenderesse, Jianti Yang (Mme Yang), était justifié et il avait accordé des dépens de 4 500 $ à la NITHA.

[2] La Cour fédérale a annulé la décision de l’arbitre avec dépens, principalement parce qu’elle a conclu que l’arbitre avait commis une importante erreur de fait au sujet de la date à laquelle Mme Yang avait indiqué par écrit qu’elle savait que son emploi était menacé.

[3] L’arbitre a conclu que cette indication figurait dans une série de notes que Mme Yang avait rédigées pour elle-même, peu après la réunion du 11 décembre 2017, au cours de laquelle le gestionnaire de Mme Yang lui avait fait part de diverses lacunes au niveau de son rendement. Cette conclusion est erronée. Les parties conviennent que la preuve qui a été présentée à l’arbitre montre que Mme Yang a indiqué par écrit qu’elle savait que son emploi était menacé dans un courriel qu’elle a envoyé au gestionnaire des ressources humaines de la NITHA, après avoir reçu, en mai 2018, un courriel de sa gestionnaire qui lui exposait les lacunes de son rendement. Mme Yang a été congédiée quelques mois plus tard, en juillet 2018.

[4] Comme l’arbitre s’est fondé sur ce qu’il a qualifié, à tort, de notes prises par Mme Yang en décembre 2017 pour conclure que la NITHA avait adéquatement averti Mme Yang que son emploi était menacé, la Cour fédérale a conclu que la décision de l’arbitre était déraisonnable. La Cour fédérale a également relevé ce qu’elle a qualifié de deux erreurs dans la décision de l’arbitre, qui l’ont également amenée à conclure que la décision devrait être annulée.

[5] Dans le jugement porté en appel, en plus d’annuler la décision de l’arbitre, la Cour fédérale a indiqué qu’elle resterait saisie du dossier pour décider de la mesure de réparation à accorder si les parties n’arrivaient pas à s’entendre pour régler la question en litige. Ce faisant, la Cour fédérale a implicitement, voire explicitement, conclu que le congédiement de Mme Yang était injuste.

[6] Pour les motifs énoncés ci-dessous, je conviens avec la Cour fédérale que l’erreur commise par l’arbitre, au sujet de la date à laquelle Mme Yang a rédigé sa déclaration où elle disait savoir que son emploi était menacé, était suffisamment importante pour rendre la décision de l’arbitre déraisonnable. Cependant, je conclus également que la Cour fédérale a commis une erreur en déclarant qu’elle avait toujours compétence pour statuer sur la mesure de réparation à accorder relativement à la plainte pour congédiement injuste déposée par l’intimée, essentiellement parce qu’il est impossible pour notre Cour ou pour la Cour fédérale de juger que la seule conclusion possible à laquelle l’arbitre pouvait en arriver était que le congédiement était injuste.

[7] Par conséquent, j’accueillerais le présent appel en partie, j’annulerais une partie du jugement de la Cour fédérale et, rendant l’ordonnance que la Cour fédérale aurait dû rendre, en plus d’annuler la décision de l’arbitre, je renverrais la plainte pour congédiement injuste de Mme Yang afin qu’elle soit réexaminée conformément aux présents motifs, le tout sans dépens.

I. Contexte

[8] Il est utile de commencer par passer en revue le contexte factuel pertinent, qui est exposé de manière assez détaillée dans la décision de l’arbitre. Aux fins du présent appel, seuls les faits exposés ci-après sont nécessaires.

[9] La NITHA est un organisme financé par le gouvernement fédéral, établi aux termes d’un partenariat entre le Grand conseil de Prince Albert, le Conseil tribal de Meadow Lake, la Nation des Cris de Peter Ballantyne et la Bande indienne de Lac La Ronge. La NITHA offre des services de santé de troisième niveau à ses partenaires, lesquels dispensent en retour des services de santé à 33 collectivités des Premières Nations de la Saskatchewan. Les services de santé de troisième niveau offerts par la NITHA comprennent notamment la promotion et la surveillance de la santé, la prévention et la gestion des maladies transmissibles, l’immunisation ainsi que des services de soutien consultatif.

[10] Mme Yang est une épidémiologiste originaire de la Chine, qui a fait ses études de médecine dans ce pays. Elle est venue au Canada en 1996 à titre d’étudiante étrangère, où elle a obtenu un baccalauréat en statistiques et un diplôme d’études supérieures en santé publique. Elle a été embauchée par la NITHA en décembre 2014, à titre d’épidémiologiste. Ses responsabilités comprenaient la préparation de divers rapports, le choix des indicateurs de santé devant servir à l’établissement des rapports au sein de l’équipe de santé publique de la NITHA et à l’échelle provinciale, ainsi que la mise en œuvre d’activités de surveillance épidémiologique.

[11] Les deux premières évaluations du rendement de Mme Yang ont été satisfaisantes – la première ayant été réalisée peu après la fin de sa période d’essai en juin 2015 et l’autre en mars 2016. L’arbitre a toutefois conclu que les gestionnaires de Mme Yang ignoraient que celle-ci ne terminait pas toutes les tâches qui lui étaient confiées et qu’elle recevait une aide appréciable de ses collègues.

[12] À la fin de 2017, la NITHA a commencé à avoir des doutes au sujet de la performance et compétence de Mme Yang. Les problèmes étaient notamment liés à l’exactitude et à l’exhaustivité de ses rapports, ainsi qu’à son incapacité ou, inversement, à son possible refus d’exécuter les tâches qui lui étaient assignées. La NITHA a offert une formation supplémentaire à Mme Yang dans le but de l’aider à améliorer son rendement.

[13] En décembre 2017, le gestionnaire de Mme Yang lui a envoyé un courriel détaillé dans lequel il exposait ses préoccupations au sujet du rendement de Mme Yang. Peu après, une rencontre a eu lieu entre Mme Yang, son gestionnaire et le gestionnaire des ressources humaines de la NITHA, pour discuter de leurs préoccupations. Au terme de cette rencontre, Mme Yang a envoyé un courriel au gestionnaire des ressources humaines de la NITHA, dans lequel elle déclarait savoir maintenant quelles étaient les attentes à son égard.

[14] Le rendement de Mme Yang a continué d’être source d’insatisfaction. En mai 2018, la nouvelle gestionnaire de Mme Yang lui a envoyé un deuxième courriel détaillé dans lequel étaient exposés les problèmes de rendement toujours observés. Ce courriel faisait notamment mention d’un manque de collaboration avec les membres de l’équipe, ainsi que d’erreurs dans les données et dans les graphiques produits par Mme Yang. Le courriel indiquait que le rendement de Mme Yang ne s’était pas amélioré, en dépit des rencontres qui avaient eu lieu et de la formation qui lui avait été offerte, et que, par conséquent, sa gestionnaire devait [traduction] « faire passer [la] conversation à un niveau supérieur ».

[15] Bien que les deux courriels qui ont été envoyés à Mme Yang aient décrit en détail les motifs de l’insatisfaction de la NITHA à l’égard du rendement de Mme Yang, aucun ne mettait explicitement en garde Mme Yang contre le risque que son emploi soit menacé si son rendement ne s’améliorait pas. Il est impossible de déterminer, à partir des matériaux qui ont été présentés à notre Cour (et ceux présentés à la Cour fédérale), ce qui, le cas échéant, a été déclaré durant les témoignages devant l’arbitre sur ce qui a été verbalement communiqué à Mme Yang au sujet de la possibilité que son emploi soit menacé, car, comme c’est habituellement le cas dans une affaire portant sur le droit du travail, il n’existe aucune transcription de l’instance devant l’arbitre.

[16] Après avoir reçu le courriel détaillé de sa deuxième gestionnaire, Mme Yang a envoyé un courriel au gestionnaire des ressources humaines pour lui faire part de son insatisfaction face à sa gestionnaire. Elle a écrit : [traduction] « Vous m’avez dit que je “devais continuer à coordonner l’élaboration des rapports”. Mais je ne reçois jamais la rétroaction à temps. J’ai seulement reçu la phrase indiquant que vous souhaitiez me congédier ».

[17] La NITHA a congédié Mme Yang en juillet 2018. Dans la lettre de congédiement, la NITHA a invoqué les cinq motifs suivants pour justifier le congédiement : (1) l’accumulation de deux réprimandes écrites ou plus (ce qui, selon le règlement interne sur la gestion du personnel de la NITHA, constituait un motif de congédiement); (2) le refus ou l’incapacité d’accomplir le travail assigné; (3) l’incompétence; (4) le refus de coopérer avec d’autres employés et (5) l’incapacité à faire un travail de qualité acceptable, tel qu’il a été défini et assigné par la NITHA ou son représentant.

[18] Plusieurs collègues ont témoigné devant l’arbitre du manque de coopération de la part de Mme Yang. Au paragraphe 96 de sa décision, l’arbitre a indiqué que les relations personnelles entre Mme Yang et ses collègues s’étaient [traduction] « détériorées de manière irréparable ».

II. La décision de l’arbitre

[19] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’arbitre a conclu que le congédiement de Mme Yang était justifié. Il a jugé que, bien qu’elle ne fût pas tenue de le faire, la NITHA avait établi chacun des cinq motifs de congédiement invoqués dans la lettre de congédiement.

[20] Dans sa décision, l’arbitre a principalement examiné les motifs portant sur l’incompétence de Mme Yang et sur son incapacité ou son refus de mener à bien les tâches qui étaient exigées d’elle. À l’égard de ces questions, l’arbitre a cité de longs extraits de l’arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan intitulé Radio CJVR Ltd. v. Schutte, 2009 SKCA 92, 331 Sask. R. 141 [arrêt Schutte], qualifiant cet arrêt d’arrêt-clé définissant les principes devant s’appliquer.

[21] L’arrêt Schutte concernait une action au civil pour congédiement abusif, dans laquelle la Cour d’appel de la Saskatchewan devait se prononcer sur le cas d’un employé qui avait refusé à maintes reprises d’exécuter les tâches qu’on attendait de lui. L’affaire portait davantage sur le refus de l’employé d’exécuter les tâches qu’on attendait de lui que sur son incapacité à les exécuter. Citant un extrait de la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan intitulée Graf v. Saskatoon Soccer Centre Inc., 2004 SKQB 282, 250 Sask. R. 161, au para. 28, la Cour d’appel de la Saskatchewan a décrit en ces termes, au paragraphe 21 de sa décision, le critère à appliquer aux faits de l’affaire Schutte pour établir l’existence d’un motif valable :

[traduction]
Il est [...] bien établi que, lorsqu’un employeur invoque une série de lacunes ou de comportements inappropriés frôlant la malhonnêteté comme motifs pour congédier de façon sommaire un employé, l’employeur doit avoir préalablement informé l’employé de son comportement inapproprié ou de son rendement insatisfaisant et avoir averti l’employé qu’il doit corriger les problèmes relevés dans un délai raisonnable prescrit, sans quoi il risque d’être congédié. Les éléments essentiels de l’avertissement exigé sont définis dans l’ouvrage intitulé Wrongful Dismissal Practice Manual [...]. Ces éléments se résument essentiellement comme suit :

a) l’employeur doit établir des normes de rendement objectives raisonnables, qui soient claires et intelligibles pour l’employé;

b) il doit être établi que l’employé n’a pas satisfait aux normes de rendement raisonnables de l’employeur;

c) l’employeur doit signifier un avertissement clair et sans équivoque à l’employé lui indiquant qu’il n’a pas atteint les normes exigées, notamment en lui expliquant en détail les lacunes relevées par l’employeur;

d) l’avertissement doit clairement indiquer que l’employé sera congédié s’il ne se conforme pas aux normes exigées dans un délai raisonnable.

[22] L’arbitre a conclu que la NITHA avait établi chacun des points précités à l’égard de Mme Yang.

[23] Devant la Cour fédérale et notre Cour, les parties n’ont pas contesté, et ne contestent pas, les conclusions suivantes de l’arbitre : (1) la NITHA a fixé des normes de rendement objectives raisonnables à l’égard de Mme Yang, et ce, d’une manière claire et compréhensible; (2) Mme Yang n’a pas respecté ces normes; (3) la formation qui a été offerte à Mme Yang n’est pas mise en cause et (4) la NITHA a clairement fait savoir à Mme Yang qu’elle ne respectait pas les normes exigées et lui a expliqué en détail les lacunes précises qu’elle devait corriger.

[24] Là où les parties divergent d’opinion, c’est sur le dernier facteur précité, à savoir sur la question de savoir si la NITHA a fourni à Mme Yang un avertissement suffisamment clair l’informant qu’elle serait congédiée si elle ne respectait pas les normes exigées dans un délai raisonnable.

[25] L’arbitre a conclu que la NITHA avait donné à Mme Yang un avertissement suffisamment clair, pour les deux raisons suivantes : premièrement, Mme Yang a compris que son emploi était menacé, comme en témoigne ce que l’arbitre a décrit à tort comme étant des notes que Mme Yang a rédigées pour elle-même en décembre 2017; deuxièmement, il était possible de déduire, des deux courriels que la NITHA a envoyés à Mme Yang en décembre 2017 et en mai 2018, que Mme Yang risquait de perdre son emploi. Ces deux raisons s’entrecoupent dans le raisonnement de l’arbitre.

[26] Renvoyant à la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan intitulée Parkinson v. Kemh Holdings Ltd., 2013 SKQB 172, 420 Sask. R. 156, où le demandeur affirmait ne pas avoir compris les avertissements qui lui avaient été signifiés, mais où la Cour a conclu que le demandeur avait reçu des avertissements suffisants, l’arbitre a déclaré ce qui suit aux paragraphes 61 et 62 de sa décision :

[traduction]
[61] Dans l’affaire Parkinson, le plaignant avait reçu à la fois un avertissement verbal et un avertissement écrit au sujet de ses actions. L’avertissement écrit renvoyait de manière précise aux problèmes liés aux actions du plaignant et précisait que le défaut du plaignant de s’abstenir de ces actions entraînerait son congédiement. Le plaignant a fondé sa plaidoirie sur le fait qu’il n’avait pas compris que l’avertissement signifiait qu’il pouvait perdre son emploi.

[62] Il ressort clairement du libellé des courriels qui ont été envoyés à Mme Yang que les problèmes de rendement de Mme Yang étaient à ce point importants qu’elle risquait de perdre son emploi si son rendement ne s’améliorait pas. De plus, la réponse de Mme Yang à ces courriels montre clairement qu’elle savait que son rendement était grandement insatisfaisant et qu’elle courait le risque d’être congédiée. Si l’on applique le raisonnement exposé dans la décision Parkinson, il appert que les avertissements qui ont été donnés à Mme Yang, ainsi que les circonstances connexes (la rencontre et ses réponses), amènent tous à la conclusion que Mme Yang savait, ou aurait dû savoir, que son emploi était menacé si elle n’améliorait pas son rendement. On peut objectivement en déduire que l’emploi de Mme Yang était menacé si elle n’améliorait pas son rendement et si elle n’atteignait pas la norme exigée par la NITHA.

[27] L’arbitre a ensuite examiné l’autre argument de Mme Yang, selon lequel une sanction moins sévère que le congédiement aurait dû lui être imposée, et il s’est fondé sur la décision Elgin Cartage Ltd. v. McTavish, [1997] C.L.A.D. no 376 [décision Elgin Cartage] pour faire valoir qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des mesures disciplinaires progressives lorsque rien n’indique que le comportement de l’employé est susceptible de changer si des mesures disciplinaires moins sévères sont adoptées.

[28] L’arbitre a également examiné un autre argument invoqué par Mme Yang au sujet de la politique interne de la NITHA en matière de gestion du personnel. Mme Yang a fait valoir à ce sujet que la NITHA ne pouvait pas la congédier, car elle ignorait qu’elle aurait pu interjeter appel en application du règlement sur la gestion du personnel de la NITHA. L’arbitre a rejeté cet argument pour deux raisons : premièrement, parce que la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Bell Canada c. Hallé, [1989] A.C.F. no 555, 17 A.C.W.S. (3d) 299 (CAF), dispose que le défaut de suivre une procédure disciplinaire interne ne rend pas un congédiement injuste si la procédure suivie par l’employeur était équitable – or, la procédure suivie par la NITHA à l’affaire en instance était équitable; deuxièmement, parce que le règlement sur la gestion du personnel de la NITHA confère expressément à la NITHA le pouvoir discrétionnaire de s’écarter des procédures qui y sont définies.

[29] En ce qui concerne le règlement sur la gestion du personnel, l’arbitre a également mentionné que l’argument invoqué par Mme Yang au sujet du défaut de suivre la procédure d’appel avait peu de poids, déclarant ce qui suit au paragraphe 92 de sa décision :

[traduction]
[92] À la lumière du raisonnement précité et de l’analyse faite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hallé, la prétention de Mme Yang selon laquelle elle a été congédiée sans motif valable parce qu’elle n’a pas eu la possibilité d’interjeter appel des réprimandes a peu de poids. Au mieux, la procédure d’appel aurait laissé plus de temps à Mme Yang. Cependant, en l’absence de tout élément de preuve indiquant que son rendement s’est amélioré entre le 1er août 2017 jusqu’à son congédiement le 4 juillet 2018, le fait d’interjeter appel des réprimandes n’aurait pas changé la situation de Mme Yang.

[30] L’arbitre a donc conclu que la NITHA avait des motifs valables de congédier Mme Yang. Au paragraphe 99 de sa décision, l’arbitre a ajouté que, même si sa conclusion avait été différente, il n’aurait pas réintégré Mme Yang, car [traduction] « [...] ses importants problèmes de rendement montrent qu’elle ne veut pas s’améliorer ». L’arbitre a fondé cette conclusion sur le refus de Mme Yang, y compris durant son témoignage devant lui, de reconnaître quelque responsabilité à l’égard de ses problèmes de rendement.

[31] L’arbitre a en outre conclu que, s’il avait jugé que le congédiement était injustifié et qu’il avait accordé des dommages-intérêts tenant lieu de réintégration, il aurait conclu que la NITHA n’avait pas établi le défaut de Mme Yang de prendre des mesures d’atténuation.

[32] Par conséquent, ainsi qu’il a été mentionné, l’arbitre a rejeté la plainte pour congédiement injuste de Mme Yang. Il a également alloué des dépens de 4 500 $ à la NITHA.

III. La décision de la Cour fédérale

[33] J’examinerai maintenant la décision de la Cour fédérale plus en détail.

[34] La Cour fédérale a essentiellement fondé sa décision sur l’erreur de fait commise par l’arbitre quant à la date à laquelle Mme Yang a indiqué par écrit qu’elle savait que son emploi était menacé. Comme il s’agissait d’un des éléments clés ayant amené l’arbitre à conclure que Mme Yang avait été adéquatement avertie qu’elle risquait de perdre son emploi, la Cour fédérale a conclu que l’erreur quant à la date à laquelle la déclaration avait été rédigée était suffisante pour rendre la décision de l’arbitre déraisonnable.

[35] La Cour fédérale a également conclu que la décision de l’arbitre était déraisonnable, car, comme elle l’indique au paragraphe 36 de ses motifs, la Cour fédérale n’a « pas [été] en mesure de concilier » la décision Elgin Cartage invoquée par l’arbitre et « [...] la jurisprudence faisant autorité qui confirme que peu de situations donneront à un employeur le droit de congédier un employé sans avoir eu recours à des mesures disciplinaires progressives ou à des avertissements explicites ».

[36] La Cour fédérale a également jugé que la conclusion de l’arbitre quant à l’inutilité de suivre la procédure d’appel interne prévue dans le règlement interne sur la gestion du personnel de la NITHA était conjecturale.

[37] Eu égard à tous ces problèmes associés à la décision de l’arbitre, la Cour fédérale a conclu que la décision de l’arbitre quant au caractère justifié du congédiement était déraisonnable et elle l’a annulée. La Cour fédérale n’a toutefois pas modifié la décision de l’arbitre selon laquelle la réintégration n’était pas appropriée, et cette décision n’a pas été, et n’est pas, contestée par Mme Yang.

[38] La Cour fédérale n’a pas commenté l’adjudication de dépens par l’arbitre, si ce n’est que pour l’annuler.

[39] Plutôt que d’accorder la mesure de réparation habituelle qui consiste à renvoyer le dossier à l’arbitre aux fins de réexamen, la Cour fédérale est restée saisie du dossier de la plainte pour congédiement injuste et a ainsi implicitement, voire explicitement, conclu que le congédiement de Mme Yang était injuste. Au paragraphe 39 de ses motifs, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[39] Les parties ne contestent pas la conclusion de l’arbitre selon laquelle, si la plainte de Mme Yang pour congédiement injustifié était accueillie, la réintégration ne serait pas appropriée, compte tenu de la détérioration de sa relation avec son employeur et ses collègues. Les parties sont mieux placées que la Cour pour formuler une mesure de réparation appropriée. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, la Cour restera saisie du dossier afin de décider de la mesure de réparation.

[40] La Cour fédérale a rendu le jugement suivant :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.

2. La décision de l’arbitre datée du 16 décembre 2019, y compris l’adjudication des dépens contre la demanderesse Jianti Yang, est annulée.

3. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, la Cour restera saisie du dossier afin de décider de la mesure de réparation.

IV. Analyse

[41] J’examinerai maintenant les observations des parties en tenant compte de cet exposé des faits et de l’historique des procédures.

[42] Devant notre Cour, la NITHA fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en infirmant la décision de l’arbitre et, de fait, en appliquant la norme de la décision correcte plutôt que la norme de la décision raisonnable. La NITHA fait plus précisément valoir que l’erreur de fait commise par l’arbitre est sans importance et qu’il était loisible à l’arbitre de se fonder sur la décision Elgin Cartage et de conclure que la NITHA n’était pas tenue de suivre sa procédure disciplinaire interne. La NITHA demande donc que le présent appel soit accueilli et que la décision de l’arbitre soit rétablie.

[43] Mme Yang affirme, au contraire, que la décision de l’arbitre était déraisonnable, mais pas précisément pour les mêmes motifs que ceux invoqués par la Cour fédérale. Mme Yang affirme plus précisément que la jurisprudence que l’arbitre était tenu d’appliquer exige que l’employé soit explicitement averti que son emploi est menacé avant d’être congédié pour incompétence. Elle fait valoir qu’elle n’a reçu aucun avertissement de la sorte et affirme donc que la seule conclusion à laquelle l’arbitre pouvait en arriver était que le congédiement était injuste. Par conséquent, Mme Yang demande que le présent appel soit rejeté.

[44] Je ne souscris à aucune des thèses des deux parties. La NITHA a omis de reconnaître l’importance de l’erreur de fait commise par l’arbitre, alors que Mme Yang nous invite à nous mettre à la place de l’arbitre et à statuer sur le bien-fondé de sa plainte pour congédiement injuste. Ce n’est toutefois pas quelque chose que notre Cour ou que la Cour fédérale doit faire dans une affaire comme l’espèce, où il est impossible de dire que la seule conclusion raisonnable que pouvait tirer l’arbitre était de conclure que le congédiement était injuste.

A. Norme de contrôle

[45] Il est utile de commencer l’examen de ces questions en litige en définissant la norme de contrôle que notre Cour est tenue d’appliquer. Deux normes différentes s’appliquent dans le présent appel.

[46] Plus précisément, pour évaluer le jugement de la Cour fédérale déclarant que la décision de l’arbitre est déraisonnable, nous devons déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paras. 45 et 48; Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, 462 D.L.R. (4th) 585, au para. 10. Sur cette question, nous devons donc nous mettre à la place de la Cour fédérale et refaire l’évaluation du caractère raisonnable de la décision de l’arbitre.

[47] L’examen de la mesure de réparation accordée par la Cour fédérale commande toutefois l’application d’une norme de contrôle différente. Le choix de la mesure de réparation à accorder en réponse à une demande de contrôle judiciaire fait appel à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la cour : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, 294 A.C.W.S. (3d) 299, au para. 27 (renvoyant à Canada c. Première Nation de Long Plain, 2015 CAF 177, 388 D.L.R. (4th) 209, aux paras. 88 et 89); Canada (Procureur général) c. Jodhan, 2012 CAF 161, 350 D.L.R. (4th) 400, au para. 75.

[48] Les décisions discrétionnaires sont susceptibles de contrôle selon la norme de contrôle en appel, de sorte que les erreurs de droit ou de principe sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, alors que les erreurs de fait ou les erreurs de droit et de fait qui ne comportent pas de question de droit isolable sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante : Canada c. Greenwood, 2021 CAF 186, [2021] A.C.F. no 1006 (QL), au para. 89; Canada c. Harris, 2020 CAF 124, 165 W.C.B. (2d) 89 (WL), aux paras. 20 et 21.

[49] La Cour fédérale a conclu, à juste titre, que la décision de l’arbitre doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, puisqu’il est bien établi que c’est la norme de contrôle applicable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, au para. 58 [arrêt Vavilov]; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, 399 D.L.R. (4th) 193, aux paras. 15 à 18; Hussey c. Bell Mobilité Inc., 2022 CAF 95, 2022 A.C.W.S. 358, au para. 22; Banque de Montréal c. Li, 2020 CAF 22, 443 D.L.R. (4th) 688, au para. 24; Riverin c. Conseil des Innus de Pessamit, 2019 CAF 68, 305 A.C.W.S. (3d) 551, aux paras. 18 à 20.

[50] Pour les motifs énoncés plus en détail ci-dessous, je conclus que la Cour fédérale a jugé, à juste titre, que la décision de l’arbitre était déraisonnable, bien que je ne suis pas d’accord à certains motifs invoqués par la Cour fédérale pour rendre ce jugement. La Cour fédérale a toutefois commis une erreur manifeste et dominante dans le choix de la mesure de réparation.

B. La décision de l’arbitre était-elle déraisonnable?

[51] Si l’on examine plus en détail la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la décision de l’arbitre était déraisonnable, on constate que la Cour fédérale a invoqué trois motifs pour étayer cette décision. La Cour fédérale a d’abord conclu que la décision était déraisonnable en raison de l’erreur de fait quant à la date à laquelle Mme Yang a écrit la déclaration dans laquelle elle disait comprendre qu’elle pourrait être congédiée. La Cour fédérale a ensuite conclu qu’il était déraisonnable pour l’arbitre de s’appuyer sur la décision Elgin Cartage. Enfin, la Cour fédérale a conclu que la nature conjecturale de la conclusion formulée au paragraphe 92 des motifs de la décision de l’arbitre, au sujet de l’inutilité de la procédure d’appel interne de la NITHA, a rendu la décision déraisonnable.

[52] Je souscris au premier motif précité invoqué par la Cour fédérale pour étayer le caractère déraisonnable de la décision, mais pas aux deux derniers.

[53] En discutant l’importance de l’erreur commise par l’arbitre quant à la date à laquelle Mme Yang a rédigé sa déclaration indiquant qu’elle savait que son emploi était menacé, il est utile d’énoncer d’abord le droit régissant les congédiements pour défaut de l’employé d’exécuter adéquatement les tâches qui lui sont confiées.

[54] L’extrait précité de l’arrêt Schutte énonce les principes qui sont souvent appliqués par les tribunaux dans des affaires civiles de congédiement abusif où l’employeur invoque le défaut de l’employé d’avoir un rendement satisfaisant comme motif valable de congédiement. Le critère énoncé dans l’arrêt Schutte est souvent appliqué dans tous les litiges, à l’exception des cas les plus graves où le congédiement peut être justifié sans avertissement préalable. Rien n’indique que ce soit le cas en l’espèce.

[55] Le critère énoncé dans l’arrêt Schutte est appliqué par les tribunaux civils, à la fois dans des affaires où l’employé est incapable d’offrir un rendement adéquat (c.-à-d. qu’il ne peut pas faire le travail) et celles où l’employé a les compétences pour exécuter les tâches requises mais omet souvent de le faire (c.-à-d. qu’il ne fait pas le travail, comme c’était le cas de M. Schutte). La situation où l’employé « ne peut pas » faire le travail met en cause un comportement non blâmable, alors que la situation où l’employé « ne fait pas » le travail est généralement considérée comme un comportement blâmable.

[56] Par conséquent, à l’exception des cas les plus graves, la jurisprudence exige, lorsqu’il s’agit d’employés non syndiqués, que les employés soient avertis que leur défaut de corriger les lacunes de leur rendement pourrait mener à leur congédiement, avant qu’il soit possible de les congédier pour motif valable. Ellen E. Mole, dans son ouvrage intitulé Wrongful Dismissal Practice Manual, 2e éd. (Toronto: LexisNexis Canada, 2006) vol. 1, ch. 4 – l’un des ouvrages canadiens faisant autorité sur le droit du travail – déclare ce qui suit au paragraphe 4.440 :

[traduction]
Lorsque l’employeur allègue un travail d’un niveau systématiquement inférieur aux normes plutôt qu’une incompétence flagrante, il est tenu d’avertir l’employé de ses préoccupations et des conséquences qui pourraient en résulter et de donner à l’employé le temps d’améliorer son rendement. Le nombre d’avertissements requis et le temps alloué pour permettre à l’employé de s’améliorer dépendront des faits propres à chaque affaire, notamment de la gravité du rendement inacceptable de l’employé et des conséquences qui peuvent en découler. L’employeur peut être tenu de fixer des objectifs clairs et des délais précis à l’intention de l’employé.

[57] Lorsqu’il s’agit d’employés syndiqués, une approche légèrement différente est habituellement appliquée, selon qu’il s’agit d’un comportement blâmable ou non blâmable. L’ouvrage par Donald J.M. Brown et David M. Beatty, intitulé Canadian Labour Arbitration, 5e éd. (Toronto: Thomson Reuters Canada, 2022) vol. 1 – l’un des ouvrages de référence canadiens en matière de jurisprudence arbitrale en milieu syndiqué, mentionne ce qui suit au paragraphe 7:35 :

[traduction]
Les arbitres établissent systématiquement une distinction entre les employés qui sont incapables de satisfaire aux exigences d’un emploi à cause de facteurs indépendants de leur volonté, par exemple une déficience sur le plan physique ou mental (malfaisance involontaire), et ceux dont les lacunes sont dues à des facteurs qu’ils peuvent contrôler, par exemple, l’inattention, la négligence, l’imprudence ou le non-respect des procédures de sécurité (malfaisance volontaire). Lorsque la cause de l’échec de l’employé ne relève pas d’un choix, il est généralement accepté que les mesures disciplinaires, quelles qu’elles soient, ne constituent pas une réponse appropriée.

Pour corroborer une mesure disciplinaire, l’employeur doit établir que le piètre rendement est attribuable, dans une certaine mesure, à un comportement blâmable de la part de l’employé. Il incombe toutefois aux employés qui allèguent que leur rendement insatisfaisant n’est pas attribuable à quelque faute ou acte répréhensible de leur part d’établir ce fait.

[Notes de bas de page omises.]

[58] Dans les situations de comportement non blâmable attribuable à une incapacité d’effectuer le travail adéquatement, les arbitres du travail appliquent souvent un critère comparable à celui défini dans l’arrêt Schutte. Au paragraphe 7:35 de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, les auteurs déclarent ce qui suit :

[traduction]
Lorsqu’un employé a un rendement insatisfaisant non blâmable, l’employeur peut lui retirer certaines tâches, interrompre un programme d’apprentissage, muter l’employé à un poste d’un niveau équivalent ou inférieur et même congédier l’employé afin de maintenir la production, pourvu que certaines conditions soient respectées. En général, pour justifier de telles mesures non disciplinaires, l’employeur doit avoir établi une mesure raisonnable du rendement au travail et l’avoir communiquée à l’employé, avoir offert à l’employé des instructions et une supervision adéquates pour lui permettre de satisfaire à la norme, avoir averti l’employé des conséquences auxquelles il s’expose si son rendement demeure insatisfaisant et démontrer que l’employé était toujours incapable de faire le travail. Si l’employé présente un handicap physique ou mental, l’employeur sera également tenu de s’acquitter des obligations prévues par la loi en matière de mesures d’adaptation.

[Notes de bas de page omises.]

[59] À l’inverse, lorsque la mesure disciplinaire adoptée en réponse à un rendement insatisfaisant est jugée adéquate, selon la gravité de la faute, les arbitres du travail exigent souvent des employeurs d’employés syndiqués qu’ils appliquent des mesures disciplinaires progressives. Les mesures disciplinaires progressives consistent souvent, notamment dans les milieux non professionnels, en l’imposition de sanctions de plus en plus sévères, commençant par des avertissements, suivis de périodes de suspension et pouvant mener jusqu’au congédiement si le comportement demeure inchangé. Ces sanctions de plus en plus sévères visent à avertir l’employé qu’il doit modifier son comportement, à défaut de quoi il pourrait être congédié. Les confirmations écrites des sanctions imposées contiennent habituellement des avertissements explicites en ce sens. Les principes pertinents sont également résumés dans l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, au paragraphe 7.36 :

[traduction]
Les employeurs peuvent prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’employés qui sont en mesure de satisfaire aux exigences d’un emploi, mais qui, pour une raison ou autre, refusent de le faire. Ne pas en faire assez ou mal faire son travail occasionne des coûts injustifiés pour un employeur. Comme dans toute affaire disciplinaire, l’employeur doit prouver que l’employé a eu un comportement blâmable. Si, par exemple, le bien d’un employeur a été endommagé accidentellement, mais qu’aucun élément de preuve n’indique un manque de diligence, il ne serait pas indiqué d’imposer quelque mesure disciplinaire. De même, avant de pouvoir prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’employés qui font des erreurs ou qui travaillent plus lentement que leurs collègues, l’employeur doit établir une norme qui soit à la fois claire et raisonnable et la communiquer au personnel; il doit également offrir toute la supervision et la formation nécessaires pour obtenir un rendement acceptable et il doit avertir les employés qui ne sont pas à la hauteur.

Les arbitres sont généralement d’avis que, pour s’acquitter du fardeau de la preuve, l’employeur n’a pas à démontrer le même degré d’inconduite que celui exigé par le concept de négligence en common law. Par exemple, les employés qui sont victimes de plusieurs accidents peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires en raison de leur prédisposition aux accidents. Si l’employeur peut prouver que certains dommages ou certaines perturbations relèvent du domaine de responsabilité du plaignant, le fardeau d’expliquer les circonstances peut alors être porté par l’employé. Les professionnels et les fonctionnaires sont habituellement tenus à une norme de diligence encore plus élevée.

La sévérité des mesures disciplinaires qui peuvent être imposées à des employés dont le rendement est insatisfaisant dépend de l’écart entre le travail fait par l’employé et les exigences de l’emploi, ainsi que de la gravité des conséquences qui en résultent. La mesure dans laquelle le rendement dépend de la volonté de l’employé est un autre important facteur à prendre en compte. La témérité et la négligence peuvent être considérées comme des comportements plus blâmables que des erreurs de jugement et que des actes commis par inadvertance. Le défaut intentionnel de se conformer aux exigences d’un emploi est considéré comme étant la faute la plus grave de toutes. Les fautes momentanées mineures et les lacunes isolées commandent habituellement les sanctions les moins sévères. Il peut arriver que certaines erreurs et certains incidents ne requièrent aucune mesure disciplinaire.

Des sanctions plus sévères peuvent être imposées si la piètre qualité du travail semble s’inscrire dans une tendance ou si des questions de sécurité sont en jeu. Parmi les autres facteurs qui sont examinés par les arbitres pour déterminer quel niveau de sanctions correspond à une situation particulière, mentionnons les suivants : la période pendant laquelle l’employé a occupé l’emploi; dans quelle mesure d’autres personnes sont également responsables des dommages ou des lacunes; et l’employeur a-t-il toléré la manière dont le travail était fait. La tentative de dissimuler ou de cacher un comportement fautif est considérée comme étant particulièrement grave et pourrait mener à la conclusion que le lien de confiance ne peut être rétabli.

Les affaires les plus difficiles sont celles où des actes d’inconduite relativement mineurs ont des conséquences extrêmement graves, par exemple lorsqu’ils causent un décès. Les arbitres partent généralement du principe général selon lequel, avant de décider de congédier un employé parce qu’il fait mal son travail, l’employeur doit établir que l’employé est peu susceptible de donner suite à une sanction moins sévère telle qu’une suspension, une mutation ou une rétrogradation.

[Notes de bas de page omises.]

[60] Un grand nombre d’arbitres siégeant dans le cadre d’une affaire relevant de la partie III du Code canadien du travail adoptent une approche comparable à celle qui est appliquée en milieu syndiqué.

[61] Dans les affaires d’incapacité non blâmable de faire le travail ou d’incompétence, la plupart des arbitres exigent, dans toutes les circonstances sauf les plus graves, que l’employeur établisse notamment que l’employé ait été averti que le défaut d’améliorer son rendement pourrait mener à son congédiement. L’ouvrage par Howard A. Levitt, intitulé The Law of Dismissal in Canada, 3e éd. (Toronto: Thomson Reuters Canada, 2022) vol. 1, contient un volumineux chapitre résumant la jurisprudence en matière d’arbitrage aux termes de la partie III du Code canadien du travail. M. Levitt mentionne ce qui suit au sujet de ce que l’employeur doit prouver pour justifier un congédiement pour incompétence ou pour incapacité non blâmable de faire adéquatement son travail dans ce type d’affaire :

[traduction]
Il n’existe aucune règle fixe qui définit le degré de rendement inacceptable qui justifie un congédiement. Cependant, pour justifier le congédiement d’un employé pour incompétence non blâmable, l’employeur doit satisfaire aux critères suivants :

1. Il doit avoir défini le niveau de rendement au travail exigé.

2. Il doit établir que la norme exigée a été communiquée à l’employé.

3. Il doit offrir une supervision et des instructions raisonnables à l’employé et lui donner une possibilité raisonnable de satisfaire à la norme.

4. Il doit établir que l’employé est incapable de satisfaire à la norme dans un degré tel qu’il est incapable de faire le travail.

5. Il doit établir que des avertissements raisonnables ont été donnés à l’employé et que celui-ci a été informé que le défaut de satisfaire aux normes pourrait mener à son congédiement.

[62] En l’espèce, l’arbitre a conclu que la NITHA était tenue d’avertir Mme Yang que son emploi pourrait être menacé si son rendement ne s’améliorait pas. Cette obligation d’avertir Mme Yang n’a pas été contestée devant l’arbitre et n’est pas en litige devant notre Cour, ni ne l’a été à la Cour fédérale.

[63] Il est certainement plus facile pour un employeur de prouver que l’employé a reçu un avertissement suffisant si celui-ci a été signifié par écrit. L’absence d’avertissement écrit n’est toutefois pas fatale si l’employeur peut par ailleurs établir qu’un avertissement suffisant a été signifié : voir, par exemple, Duffett v. Squibb Canada Inc. (1991), 39 C.C.E.L. 37, 1991 CanLII 7038, au para. 25 (NLSC); Higgs Transportation Inc. v. Gee, 2018 CanLII 130101 (arbitre Zuck), au para. 36.

[64] En l’absence d’avertissement écrit, un élément clé pour décider du caractère adéquat de l’avertissement serait l’existence d’éléments de preuve de l’employé datant de l’époque qui indiquaient qu’il comprenait que son emploi était menacé.

[65] La déclaration écrite de Mme Yang fait partie de ce type d’éléments et était un élément crucial du raisonnement de l’arbitre quant au caractère adéquat de l’avertissement qui a été donné à Mme Yang. L’erreur quant à la date à laquelle a été rédigée cette déclaration écrite est déterminante pour juger du bien-fondé de la conclusion de l’arbitre, car il est possible que Mme Yang n’ait été avertie de son congédiement que peu avant que celui-ci survienne. Si c’est le cas, il est possible que Mme Yang ait eu beaucoup moins de temps pour améliorer son rendement que ce que croyait l’arbitre, ce qui, en retour, pourrait bien avoir une incidence sur la conclusion quant à l’existence d’un motif valable de congédiement.

[66] Sans transcription, notre Cour n’a aucun moyen de savoir ce qui a pu être communiqué verbalement à Mme Yang au sujet du risque qu’elle soit congédiée, avant qu’elle écrive au gestionnaire des ressources humaines de la NITHA. Nous ne pouvons pas non plus savoir ce que Mme Yang a compris, ou aurait dû comprendre, au sujet de son emploi menacé, à partir du texte des deux courriels qui lui ont été envoyés. Ces courriels doivent être lus et interprétés dans leur contexte, ce que notre Cour ne peut pas faire.

[67] Par conséquent, contrairement à ce que fait valoir la NITHA, je ne peux conclure que les deux courriels qui ont été envoyés à l’intimée ont fourni un avertissement suffisamment implicite à Mme Yang. Sans le contexte des témoignages des témoins, il est impossible de conclure que ces courriels étaient suffisamment clairs pour que Mme Yang prenne conscience de la gravité de la situation et comprenne que son emploi était menacé.

[68] D’un autre côté, je ne peux pas conclure non plus, comme me le demande Mme Yang, que l’avertissement qui lui a été signifié était insuffisant. Les deux courriels doivent être interprétés dans le contexte des témoignages qui ont été présentés, et il est impossible pour une cour de révision de faire une telle appréciation. Il est possible que les courriels, lorsqu’on les ajoute aux autres événements et aux autres choses qui ont été dites à Mme Yang, aient été suffisamment explicites pour lui faire prendre conscience de la gravité de la situation et lui faire ainsi comprendre que son emploi était menacé. Cependant, sans connaissance des témoignages, il est impossible pour notre Cour ou pour la Cour fédérale de déterminer si une telle conclusion devrait être formulée.

[69] Compte tenu de l’importance qui est accordée, dans le raisonnement de l’arbitre, à la date à laquelle la déclaration de Mme Yang a été rédigée, il s’ensuit que sa décision est déraisonnable et qu’elle doit être annulée.

[70] Dans l’arrêt Vavilov, l’arrêt-clé de la Cour suprême du Canada sur le contrôle judiciaire, la Cour suprême mentionne, aux paragraphes 100 et 126, qu’une erreur de fait commise par un décideur administratif peut rendre la décision déraisonnable si cette erreur porte sur un élément clé de l’analyse. Les juges majoritaires ont déclaré ce qui suit au paragraphe 126 :

[...] une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[71] En l’espèce, ainsi que je l’ai mentionné, l’arbitre n’a pas fondé sa décision sur la preuve qui lui a été présentée, car un volet clé de son raisonnement est erroné. Je conviens donc avec la Cour fédérale que l’erreur quant à la date à laquelle Mme Yang a produit l’importante déclaration écrite rend la décision de l’arbitre déraisonnable.

[72] Je ne souscris toutefois pas aux deux autres motifs invoqués par la Cour fédérale pour infirmer la décision de l’arbitre.

[73] Il n’était pas mal à propos pour l’arbitre d’invoquer la décision Elgin Cartage pour soutenir qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des mesures disciplinaires progressives, lorsque rien n’indique que des mesures disciplinaires moins sévères pourraient amener l’employé à modifier son comportement. Ainsi que je l’ai mentionné, les arbitres du travail exigent habituellement l’imposition de mesures disciplinaires progressives (c.-à-d. des sanctions de plus en plus sévères menant au licenciement) lorsqu’un employé a un comportement répréhensible blâmable. Cependant, comme l’indique l’extrait précité tiré de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, la jurisprudence en matière d’arbitrage appuie la notion selon laquelle des mesures disciplinaires progressives pourraient ne pas être exigées lorsqu’il est établi que de telles mesures ne modifieront pas le comportement de l’employé. La décision Elgin Cartage semble peut-être s’aligner sur une telle jurisprudence. Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans le fait que l’arbitre renvoie à cette décision.

[74] En outre, et surtout, la notion des mesures disciplinaires progressives ne s’applique pas du tout dans la mesure où, comme l’affirme Mme Yang, son rendement insatisfaisant n’était pas dû à une faute de sa part. Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que la NITHA n’était pas tenue d’imposer des sanctions moins sévères avant de congédier Mme Yang.

[75] De même, les commentaires de l’arbitre concernant l’inutilité probable de suivre la procédure d’appel interne de la NITHA ne rendent pas la décision déraisonnable, car ces commentaires formulés au paragraphe 92 de la décision ne constituaient pas un élément central des motifs de l’arbitre. L’arbitre a plutôt jugé que le fait que Mme Yang ne savait pas qu’elle aurait pu interjeter appel en application du règlement sur la gestion du personnel de la NITHA importait peu, en raison du jugement rendu dans l’arrêt Bell Canada c. Hallé et du fait que le règlement conférait expressément à l’appelante le pouvoir discrétionnaire de s’écarter des procédures qui y sont définies.

[76] Je ne relève aucune erreur dans ces conclusions. Au paragraphe 10 de l’arrêt Bell Canada c. Hallé, notre Cour a conclu que le défaut de suivre une politique disciplinaire interne ne rend pas nécessairement le congédiement injuste si la procédure adoptée par l’employeur était équitable; or, le paragraphe 25.3 du règlement sur la gestion du personnel de l’appelante dispose que la NITHA peut s’écarter des procédures qui y sont définies.

[77] Par conséquent, j’annulerais la décision de l’arbitre, mais pas pour tous les mêmes motifs que ceux invoqués par la Cour fédérale.

[78] Il est un autre point qui mérite d’être mentionné. Les présents motifs ne doivent pas être interprétés comme signifiant que notre Cour souscrit à la décision de l’arbitre d’adjuger des dépens à l’appelante. Comme ce point n’a pas été soulevé par les parties, je ne formulerai aucune conclusion à ce sujet. Je tiens toutefois à mentionner, comme cela a été fait à l’audience, que le pouvoir des arbitres siégeant en application de la section XIV, partie III, du Code canadien du travail, d’accorder réparation est limité et que ce pouvoir repose sur une conclusion de congédiement injuste (voir, par exemple, Banque Royale du Canada c. Procaccini, [1987] A.C.F. no 429, 1987 CarswellNat 818, (CAF)). C’est ce qui explique que la grande majorité des arbitres siégeant en application de la partie III du Code canadien du travail ont refusé d’adjuger des dépens aux employeurs ayant obtenu gain de cause, comme l’indiquent les décisions suivantes : Bolton v. Hartley Bay Indian Band, [2005] C.L.A.D. no 153, 2005 CarswellNat 7581 (WL), aux paras. 7 à 18 et 24 à 26 (arbitre Love); Bull-Giroux v. Louis Bull Tribe, [2003] C.L.A.D. no 557 (QL), aux paras. 2 à 7 (arbitre Dunlop); Wytenburg v. Business Express Airlines Inc., [2002] C.L.A.D. no 157 (QL), au para. 88 (arbitre Nadjiwan); Wilson v. Sliammon Native Council, [2000] C.L.A.D. no 217 (QL), au para. 18 (arbitre Love); Leta v. Pine Creek First Nation, [1995] C.L.A.D. no 256 (QL), au para. 9 (arbitre Gray).

C. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en ce qui concerne la mesure de réparation?

[79] En terminant, j’examinerai la question de la mesure de réparation et, comme je l’ai déjà mentionné, je conclus à cet égard que la Cour fédérale a commis une erreur en restant saisie du dossier afin de décider de la mesure de réparation et en statuant, de ce fait, sur la plainte pour congédiement injuste.

[80] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2019 CAF 206, 436 D.L.R. (4th) 155 (arrêt Tennant II), notre Cour a examiné les limites de sa propre compétence et de celle de la Cour fédérale de statuer sur des questions que le législateur a confiées à des décideurs administratifs. Ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Tennant II, lorsqu’il y a lieu pour notre Cour ou la Cour fédérale de statuer sur de telles questions, la cour procède généralement par voie de déclaration ou par renvoi de tout ou partie de l’affaire au décideur administratif avec des instructions ou, selon les circonstances, en rejetant simplement la demande sans autre réparation. Toutes ces mesures de réparation comprennent une substitution indirecte.

[81] Jusqu’à relativement récemment, on estimait que notre Cour et la Cour fédérale n’avaient pas un pouvoir de substitution directe (voir le paragraphe 70 de l’arrêt Tennant II et la jurisprudence qui y est mentionnée). Cependant, ainsi que notre Cour l’a mentionné plus récemment dans l’arrêt Tennant II, elle peut agir par substitution directe et a, à l’occasion, tranché elle-même les questions en litige (voir, par exemple, Canada c. Bande indienne de Williams Lake, 2016 CAF 63, 396 D.L.R. (4th) 164, infirmé pour d’autres motifs par. 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83; Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230, 48 Admin. L.R. (6th) 71; Canada (Procureur général) c. Burke, 2022 CAF 44, 468 D.L.R. (4th) 165).

[82] Cependant, qu’il y ait substitution directe ou indirecte, la jurisprudence est claire : la cour de révision ne doit exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher les questions en litige qui relèvent du décideur administratif que dans des circonstances exceptionnelles. Aux paragraphes 139 à 142 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont déclaré ce qui suit :

[139] La question de la réparation qu’il convient d’accorder dans les cas où une cour procède au contrôle d’une décision administrative revêt de multiples facettes. Cela fait intervenir des considérations comme la common law ou la compétence que confère la loi à la cour de révision, ainsi que la grande diversité d’éléments pouvant influer sur la décision d’une cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard des réparations possibles. Bien que nous n’entendions pas procéder ici à une analyse complète de la question des réparations dans le cadre d’un contrôle judiciaire, nous souhaitons toutefois aborder brièvement la question de savoir si la cour qui casse une décision déraisonnable devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire pour réexamen à la lumière des motifs donnés par la cour.

[140] Lorsque la cour de révision applique la norme de la décision raisonnable au moment d’effectuer un contrôle judiciaire, le choix de la réparation doit être guidé par la raison d’être de l’application de cette norme, y compris le fait pour la cour de révision de reconnaître que le législateur a confié le règlement de l’affaire à un décideur administratif, et non à une cour : voir Delta Air Lines, par. 31. Toutefois, l’examen de la question de la réparation doit aussi être guidé par les préoccupations liées à la bonne administration du système de justice, à la nécessité d’assurer l’accès à la justice et à « la volonté de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique qui préside souvent au départ à la création d’un tribunal administratif spécialisé » : Alberta Teachers, par. 55.

[141] Donner effet à ces principes dans le contexte de la réparation signifie que, lorsque la décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la cour. Quand il revoit sa décision, le décideur peut alors arriver au même résultat ou à un résultat différent : voir Delta Air Lines, par. 30‐31.

[142] Cependant, s’il convient, en règle générale, que les cours de justice respectent la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter : D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, par. 18‐19 (CanLII). L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien : voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228‐230; Renaud c. Québec (Commission des affaires sociales), [1999] 3 R.C.S. 855; Groia c. Barreau du Haut‐Canada, 2018 CSC 27, [2018] 1 R.C.S. 772, par. 161; Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205, par. 53‐54 (CanLII); Maple Lodge Farms Ltd. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2017 CAF 45, par. 51‐56 et 84 (CanLII); Gehl v. Canada (Attorney General), 2017 ONCA 319, 138 O.R. (3d) 52, par. 54 et 88. Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire – tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire : voir Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6, par. 45‐51; Alberta Teachers, par. 55.

(Voir, également, Fono c. Société canadienne d’hypothèques et de logement, 2021 CAF 125, 333 A.C.W.S. (3d) 742, aux paras. 11 à 13, et Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, 313 A.C.W.S. (3d) 558, au para. 38, où notre Cour a conclu que les questions en litige devaient être renvoyées au décideur administratif, car il ne pouvait être établi qu’un seul résultat était inévitable.)

[83] Pour les motifs énoncés précédemment, il est impossible pour notre Cour ou la Cour fédérale de déterminer si le congédiement de l’intimée était justifié. Il n’y a pas eu de va-et-vient interminable de décisions et il n’existe aucune autre circonstance mentionnée dans l’arrêt Vavilov sur laquelle la cour de révision pourrait se fonder pour juger du bien-fondé de la plainte pour congédiement injuste de Mme Yang.

[84] Par conséquent, je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en statuant, dans les faits, sur le bien-fondé de la plainte pour congédiement injuste de l’appelante au lieu de renvoyer l’affaire à l’arbitre.

V. Dispositif proposé

[85] Par conséquent, j’accueillerais le présent appel en partie, j’annulerais le paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale et, si l’arbitre est disponible pour instruire le réexamen, je lui renverrais la question de savoir si le congédiement de l’intimée était justifié. Puisque le reste de la décision de l’arbitre n’est pas contesté, je laisserais ses autres conclusions inchangées.

[86] Dans l’éventualité où l’arbitre ne serait pas en mesure de faire le réexamen, notre Cour resterait saisie du dossier concernant la mesure de réparation appropriée, afin de recevoir d’autres observations des parties sur la question de savoir si l’affaire devrait être renvoyée à un autre arbitre nommé par le ministre du Travail ou au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), conformément aux modifications qui ont été apportées aux paragraphes 242(1), (2), (3), (3.1) et (4) du Code canadien du travail aux termes de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, L.C. 2017, ch. 20, art. 354. Ces modifications disposent que les nouvelles plaintes pour congédiement injuste, déposées après le 29 juillet 2019, doivent désormais être instruites par le CCRI (TR/2019-76 [2019], Gazette du Canada, partie II, p. 5555).

[87] Comme les parties ont eu partiellement gain de cause devant notre Cour et que j’annulerais un volet important du jugement de la Cour fédérale, je n’allouerais aucuns dépens devant notre Cour ou la Cour fédérale. Par conséquent, je modifierais le paragraphe 1 du jugement de la Cour fédérale afin de supprimer les mots « avec dépens ».

[88] En terminant, j’aimerais mentionner qu’il demeure possible pour les parties de régler toutes les questions en litige au sujet du congédiement de l’intimée. Comme la réintégration est hors de question (et qu’il s’agit habituellement de la question la plus litigieuse dans des affaires comme l’espèce), il serait possible pour les parties d’en arriver à un règlement satisfaisant et d’éviter ainsi une nouvelle sentence.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith M. Woods, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

John B. Laskin, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-232-21

INTITULÉ :

NORTHERN INTER-TRIBAL HEALTH AUTHORITY INC. c. JIANTI YANG

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mars 2023

COMPARUTIONS :

Carl M. Nahachewsky

Pour l’appelante

NORTHERN INTER-TRIBAL HEALTH AUTHORITY INC.

Davin R. Burlingham

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nahachewsky Law Office

Prince Albert (Saskatchewan)

Pour l’appelante

Burlingham Cuelenaere Law Office

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour l’intimée

 

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