Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230307


Dossier : A-45-22

Référence : 2023 CAF 48

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

INGRID WATSON

demanderesse

et

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE et AIR CANADA

défendeurs

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 16 février 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20230307


Dossier : A-45-22

Référence : 2023 CAF 48

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

INGRID WATSON

demanderesse

et

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE et AIR CANADA

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT


TABLE DES MATIÈRES

En

[blank/en blanc]

Paragraphe

I. Faits

4

II. Décision du Conseil

11

III. La décision du Conseil était-elle raisonnable?

16

Devoir de juste représentation

18

Défaut d’appliquer le bon critère

22

La décision du SCFP était-elle arbitraire ou superficielle?

26

Avis juridiques

35

IV. Devoir d’équité procédurale envers la demanderesse

43

VII. Conclusion

54

 


LE JUGE RENNIE

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision (2022 CCRI 1002) du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), qui a rejeté sa plainte contre le Syndicat canadien de la fonction publique (le SCFP), défendeur en l’espèce. Dans sa plainte, la demanderesse affirme que le SCFP a manqué au devoir de juste représentation qui lui incombe au titre de l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, (le Code) en refusant de déposer un grief à l’encontre de la politique de vaccination contre la COVID-19 mise en œuvre par son employeur, Air Canada.

[2] La Cour est appelée en l’espèce à décidiner si la décision du Conseil, selon laquelle le SCFP n’a pas manqué à son devoir de juste représentation, est déraisonnable et, deuxièmement, si le Conseil a manqué à son devoir d’équité procédurale envers la demanderesse en ne tenant pas d’audience et en refusant d’ordonner la production de certains documents.

[3] Pour les motifs suivants, je rejetterais la présente demande.

I. Faits

[4] Je procède à un examen assez détaillé de la preuve pour mettre en contexte les deux principaux arguments que la demanderesse oppose à la décision du Conseil.

[5] Le 13 août 2021, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il exigerait des employés travaillant dans le secteur des transports assujettis à la réglementation fédérale qu’ils soient vaccinés contre la COVID-19 au plus tard à la fin d’octobre 2021. Le 25 août 2021, Air Canada a annoncé l’adoption d’une politique exigeant que tous les employés soient entièrement vaccinés contre la COVID-19 au plus tard le 31 octobre 2021 (la politique de vaccination).

[6] Le 3 septembre 2021, en réponse aux préoccupations de certains de ses membres à l’égard de la politique de vaccination, le comité exécutif de la composante d’Air Canada du SCFP (ACCEX) s’est réuni pour décider s’il y avait lieu de déposer un grief de principe à l’égard de la politique de vaccination. Il a décidé de n’en rien faire. Cependant, le même jour, le SCFP a informé ses membres qu’il examinerait la mise en œuvre de la politique de vaccination d’Air Canada et qu’il soutiendrait ses membres s’ils faisaient l’objet de mesures disciplinaires par suite de l’application de la politique.

[7] Le 9 septembre 2021, Air Canada a informé ses employés que ceux qui n’avaient pas confirmé avoir été vaccinés seraient placés en congé non payé pour une période de six mois et que la relation d’emploi des employés non vaccinés serait réévaluée après ces six mois.

[8] Le 29 octobre 2021, le ministre des Transports a publié l’Arrêté d’urgence no 43 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID-19 (l’arrêté no 43). Cet arrêté imposait la vaccination contre la COVID-19 aux personnes travaillant dans le secteur du transport aérien, sous réserve de certaines exceptions.

[9] Le 2 novembre 2021, la demanderesse a déposé une plainte au Conseil contre le SCFP, alléguant un manquement au devoir de juste représentation prévu à l’article 37 du Code (la plainte de manquement au DJR). Elle a demandé la tenue d’une audience.

[10] Le 9 novembre 2021, l’avocat de la demanderesse a informé le SCFP qu’Air Canada avait refusé la demande d’exemption médicale de la politique de vaccination présentée par la demanderesse. Le SCFP a présenté un grief au nom de cette dernière. Ce grief individuel était en instance le 19 janvier 2022, date à laquelle le Conseil a rendu sa décision en l’espèce (motifs de la décision, par. 69), mais l’issue de ce grief n’a pas été présentée à la Cour.

II. Décision du Conseil

[11] Le Conseil a décidé qu’il n’avait pas l’obligation de tenir une audience, invoquant l’article 16.1 du Code. Il a mentionné qu’il ne tient normalement une audience que lorsque « la crédibilité de certains éléments essentiels à sa décision [est] mise en doute » (motifs de la décision, par. 31) et qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience en l’espèce, car « l’affaire pouvait être tranchée sur la foi du dossier » (motifs de la décision, par. 32).

[12] Ensuite, le Conseil a exposé les grandes lignes du droit relatif au devoir de juste représentation du syndicat. Il a examiné l’article 37 du Code et l’une de ses décisions antérieures, intitulée McRaeJackson, 2004 CCRI 290 [McRaeJackson].

[13] Le Conseil a déterminé que la conduite du SCFP n’était pas arbitraire. Il a noté que le SCFP avait communiqué régulièrement avec ses membres au sujet de la mise en œuvre de la politique de vaccination, qu’il avait demandé deux avis juridiques concernant cette dernière et qu’il avait expliqué à ses membres pourquoi il appuierait la politique (motifs de la décision, par. 47 à 51). Selon le Conseil, ces faits révèlent que le SCFP « s’est penché sur la question et a pris les mesures nécessaires pour évaluer ses chances d’obtenir gain de cause s’il contestait la politique au moyen de la procédure de règlement des griefs ou autrement » (motifs de la décision, par. 61).

[14] Le Conseil a ensuite examiné les prétentions de la demanderesse quant à la validité des avis juridiques ayant fondé la décision du SCFP. Il a conclu qu’un examen approfondi de ces avis n’était pas justifié et que la production des documents les ayant fondés n’était pas nécessaire (motifs de la décision, par. 59) :

[La demanderesse] reproche au [SCFP] de ne pas avoir fourni les considérations pertinentes à ses conseillers juridiques ou d’avoir demandé des avis juridiques en ne posant pas la bonne question. En toute déférence, le Conseil n’est pas disposé à examiner cet argument. Il n’appartient pas au Conseil d’évaluer les questions posées aux conseillers juridiques ou les considérations qui leur ont été communiquées pour les guider dans la formulation de leurs avis juridiques. Le Conseil fait généralement preuve de retenue à l’égard de la confiance qu’un syndicat accorde aux avis de ses conseillers juridiques (voir [Presseault c. FIL], 2001 CCRI 138 [Presseault]), et il ne procédera pas à un examen microscopique de ces avis, sauf dans des circonstances exceptionnelles. En conséquence, le Conseil n’ordonnera pas la production des documents sur lesquels les avis juridiques ont été fondés, comme l’a demandé [l’appelante].

[15] Le Conseil a conclu que le SCFP n’avait pas agi de mauvaise foi « en adoptant une position qui soutient et favorise la vaccination de ses membres », attendu que la majorité de ses membres appuyaient cette politique et que les données scientifiques « montrent très clairement que la vaccination est l’outil le plus efficace pour mettre fin à cette situation mondiale sans précédent » (motifs de la décision, par. 67).

III. La décision du Conseil était-elle raisonnable?

[16] Suivant le paragraphe 22(1) du Code, les décisions du Conseil ne sont susceptibles de contrôle que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ce suivant la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 49; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CAF 41, par. 23 et 34; Grant c. Unifor, 2022 CAF 6, par. 7 et 8 [Grant]; Paris c. Syndicat des employés de Transports R.M.T. (Unifor-Québec), 2022 CAF 173, [2022] A.C.F. no 1455 (QL), par. 2 et 14 [Paris]).

[17] Saisies de questions générales d’équité procédurale, la Cour doit se demander si la procédure était équitable dans l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, par. 54 à 56 [Canadien Pacifique]). Comme on l’explique dans l’arrêt Canadien Pacifique, le concept de la norme de contrôle se prête mal à l’évaluation de l’équité procédurale. L’instruction d’une instance respecte l’équité procédurale ou elle ne la respecte pas; ce critère est mieux décrit ou compris comme la norme de la décision correcte. Lorsqu’elle examine la décision du Conseil de ne pas tenir d’audience, comme le permet l’article 16.1 du Code, la Cour ne peut intervenir que si le Conseil, en tranchant sur dossier seulement, n’a pas permis à une partie de faire valoir pleinement ses droits ou de connaître la preuve qu’elle doit réfuter (Ducharme c. Air Transat A.T. Inc., 2021 CAF 34, [2021] A.C.F. no 173 (QL), par. 19 [Ducharme]).

Devoir de juste représentation

[18] Aux termes de l’article 37 du Code, les syndicats ont un devoir de juste représentation envers leurs membres :

Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[19] Ce devoir qu’établit l’article 37 du Code n’emporte pas l’obligation de présenter un grief au nom de chaque employé qui en fait la demande; l’employé n’a pas un droit absolu à l’arbitrage, et le syndicat jouit d’un pouvoir discrétion appréciable dans sa décision de présenter un grief (Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 RCS 509, 1984 CanLII 18 (CSC), p. 527 [Gagnon]; Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298, 1990 CanLII 110 (CSC), p. 1328 [Gendron]). Il doit exercer ce pouvoir discrétionnaire « de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part » (Gagnon, p. 527; Gendron, p. 1328). Aux prises avec des intérêts contradictoires des employés, le syndicat ne manque pas à son devoir de représentation juste en défendant un ensemble d’intérêts au détriment d’un autre. « Ce sont plutôt les motifs sous‑jacents et la méthode utilisée pour effectuer ce choix qui peuvent faire l’objet d’une objection » (Gendron, p. 1329).

[20] Le Conseil a abordé la plainte de la demanderesse en énonçant tout d’abord sa conception du devoir de juste représentation. Il a évoqué l’une de ses décisions, McRaeJackson, que la Cour a elle-même suivie (Cadieux c. Syndicat uni du transport, section locale 1415, 2014 CAF 61, [2014] A.C.F. no 247, par. 30 [Cadieux]; McAuley c. Chalk River Technicians and Technologists Union, 2011 CAF 156, [2011] A.C.F. no 668, par. 11 et 14 [McAuley]; Nadeau c. Métallurgistes unis d’Amérique, 2009 CAF 100, [2009] A.C.F. no 398, par. 7 [Nadeau]). Le résumé qui suit décrit les considérations utiles au Conseil pour traiter ce genre de plaintes (McRaeJackson, par. 33 et 37) :

Le syndicat peut s’acquitter de son devoir de représentation juste en abordant le grief de façon raisonnable, en tenant compte de tous les faits qui l’entourent, en enquêtant sur la situation, en pesant les intérêts contradictoires de l’employé compte tenu des siens, puis en concluant après mûre réflexion qu’il vaut la peine de donner suite au grief ou pas. C’est ce qu’on entend par peser les circonstances d’une affaire en fonction de la décision à prendre. Par exemple, le syndicat peut tenir compte à juste titre du libellé de la convention collective et des pratiques dans le secteur d’activité ou le milieu de travail, ou encore des décisions rendues sur des questions analogues. Il est aussi légitime qu’il tienne compte de la crédibilité de l’employé en cause, de la présence – ou de l’absence – de témoins pouvant confirmer sa version des événements, du fait que la sanction disciplinaire est raisonnable ou non, ainsi que des décisions arbitrales en pareilles circonstances.

[…]

Par conséquent, le Conseil juge normalement que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation juste s’il a : a) fait enquête sur le grief et obtenu tous les détails relatifs à l’affaire, y compris la version de l’employé, b) déterminé si le grief était fondé, c) tiré des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief et d) informé l’employé des raisons de sa décision de ne pas donner suite au grief ou de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

[21] La demanderesse conteste la décision du Conseil sur deux plans. Suivant le premier, que j’aborde sous la rubrique suivante, le Conseil n’aurait pas appliqué le critère juridique applicable pour évaluer la plainte qu’elle a déposée au titre de l’article 37. Le second concerne les faits et circonstances entourant le processus décisionnel du SCFP. Selon la demanderesse, la manière dont le SCFP a décidé de ne pas présenter de grief de principe était arbitraire et entachée par l’hostilité du syndicat à l’égard de ses préoccupations.

Défaut d’appliquer le bon critère

[22] En ce qui concerne la première question, la demanderesse affirme que le Conseil n’a pas appliqué le critère pertinent lorsqu’il s’agit de trancher une plainte déposée au titre de l’article 37, énoncé dans la décision Lamolinaire, 2009 CCRI 463 [Lamolinaire]. Dans cette décision, pour déterminer si le syndicat avait manqué à son devoir de juste représentation, il fallait demander : (1) s’il avait mené une enquête superficielle ou approfondie; (2) s’il avait obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée; et (3) si des conflits de personnalités ou d’autres mauvaises relations auraient pu jouer sur la validité de la décision (Lamolinaire, par. 36).

[23] La demanderesse a raison de dire que le Conseil ne fait pas référence à ce critère dans ses motifs. Cependant, cette omission ne rend pas la décision déraisonnable pour autant.

[24] Le critère énoncé dans la décision Lamolinaire a été invoqué une seule fois par la Cour, au paragraphe 33 de l’arrêt Cadieux, et quatre fois par le Conseil. Il ne figure pas dans la jurisprudence de la Cour après 2014 et n’a été invoqué dans une décision du Conseil qu’une seule fois depuis. Un renvoi exprès à ce critère n’est pas essentiel à une décision raisonnable du Conseil sur une plainte déposée au titre de l’article 37.

[25] Les première et deuxième questions que le Conseil a soulevées dans la décision Lamolinaire reformulent tout simplement l’exigence prévue à l’article 37, c’est-à-dire que la décision ne doit pas être arbitraire. La troisième question, qui soulève l’existence possible de conflits de personnalités ou de mauvaise foi, peut être pertinente si un élément de preuve la justifie. Il ressort de ce qui précède non pas que les questions postulées dans Lamolinaire ne sont pas idoines, mais plutôt que l’analyse sur le caractère arbitraire, la mauvaise foi ou la partialité d’une décision constitue un exercice contextuel.

La décision du SCFP était-elle arbitraire ou superficielle?

[26] Le Conseil a décrit de façon très détaillée les éléments de preuve qui lui ont été soumis et les a comparés aux exigences énoncées dans l’article 37. Il a déterminé que le refus du SCFP de présenter un grief de principe n’était ni arbitraire ni empreint de mauvaise foi, une conclusion qui reprend le libellé de l’article 37. Il est important de noter que le Conseil a conclu qu’en décidant de ne pas présenter de grief de principe, le SCFP a soigneusement mis en balance les intérêts de ses membres (motifs de la décision, par. 65 et 67) :

En l’espèce, le [SCFP] a soutenu la vaccination de manière générale comme un moyen efficace d’assurer la santé et la sécurité de ses membres. Même si cette position du [SCFP] est en opposition avec l’opinion de certains membres, cela ne suffit pas en soi pour conclure que le syndicat a manqué à son DRJ. Dans le contexte de la pandémie actuelle, il existe des preuves scientifiques écrasantes de l’efficacité des vaccins dans l’effort d’éradication de la COVID-19. Partout au Canada, les autorités sanitaires affirment que la vaccination est l’un des moyens les plus efficaces de prévenir les infections graves, les hospitalisations et les décès causés par la COVID-19.

[…]

[L’appelante] et d’autres membres peuvent s’opposer à la vaccination, mais les données scientifiques montrent très clairement que la vaccination est l’outil le plus efficace pour mettre fin à cette situation mondiale sans précédent. Le [SCFP] a adopté une position qui va dans le sens de ces données. Une grande majorité des membres appuient la politique de vaccination, comme en témoigne le taux élevé de vaccination parmi les employés de l’unité de négociation. Il n’y a tout simplement pas de preuve qui permette d’affirmer que le [SCFP] a agi de mauvaise foi en adoptant une position qui soutient et favorise la vaccination de ses membres.

[27] La démarche adoptée par le Conseil qui l’a mené à cette conclusion répondait à la question en litige soulevée par la demanderesse et reposait sur des règles de droit bien fondées.

[28] La demanderesse prétend ensuite que le SCFP a examiné la politique de vaccination d’une manière superficielle fondée sur une acceptation aveugle et hâtive de son contenu. Selon elle, lorsque le SCFP a décidé de ne pas présenter de grief à l’égard de la politique de vaccination, il n’avait en main ni la politique ni le texte législatif obligeant Air Canada à la mettre en œuvre et, sans ces documents, il n’a pas pu prendre une décision éclairée et juste. La demanderesse note également l’horaire de la réunion tenue par ACCEX le 3 septembre 2021, pendant laquelle le comité a discuté de sa stratégie de réponse à la politique de vaccination et a envisagé de contester la politique en présentant un grief de principe. Elle souligne plus particulièrement qu’il s’est écoulé seulement 80 minutes entre l’ouverture de la réunion et la publication, dans les deux langues officielles, d’une communication détaillée de la décision du comité de ne pas présenter de grief. Elle prétend que ce fait démontre que le SCFP n’a pas examiné de manière juste et ouverte d’esprit sa demande de grief de principe contre la politique de vaccination.

[29] La décision du Conseil, à savoir que le SCFP avait bien évalué la possibilité de contester la politique de vaccination, est étayée par les éléments de preuve dont il disposait. Ces éléments de preuve révélaient que le SCFP avait vérifié la position du gouvernement du Canada au sujet de la vaccination obligatoire contre la COVID-19 en date du 13 août 2021 (date de l’annonce par le ministre des Transports de l’intention du gouvernement d’exiger la vaccination dans le secteur du transport aérien), a demandé deux avis juridiques quant aux chances de réussite d’une contestation de la politique de vaccination, a transmis ces avis à tous ses membres et a expliqué à ceux-ci pourquoi il appuyait la politique de vaccination.

[30] Le Conseil a également noté, à juste titre, que le SCFP a dû prendre sa décision dans le contexte d’une urgence sanitaire dynamique qui évoluait rapidement et qu’un grand nombre d’agents de bord, membres du syndicat, demandaient un accès prioritaire aux vaccins contre la COVID-19 (motifs de la décision, par. 45 et 46). Les communications entre le SCFP et ses membres démontrent que, pendant tout le mois d’août 2021, le syndicat s’est penché sur les questions entourant l’imminente politique de vaccination et les vaccins contre la COVID-19, de manière plus générale. Bien que ses motifs ne l’expriment pas directement, il est implicite dans le raisonnement du Conseil que le SCFP n’aurait servi les intérêts de personne – ni du syndicat, de ses membres ou de l’appelante – s’il avait attendu que l’arrêté no 43 entre en vigueur et qu’on lui remette la version définitive de la politique de vaccination avant de se demander s’il devait présenter un grief de principe pour la contester.

[31] Compte tenu de ces éléments de preuve, il était loisible au Conseil de conclure que le SCFP s’était acquitté de son devoir de juste représentation.

[32] Je note également que la chronologie des faits menant à la plainte de la demanderesse ne corrobore pas sa description de la manière dont le SCFP a examiné sa demande. Le gouvernement du Canada a annoncé son intention de rendre la vaccination obligatoire le 13 août 2021. Air Canada a publié la politique de vaccination le 10 septembre 2021. La demanderesse a demandé en bonne et due forme au SCFP de contester la politique de vaccination le 14 septembre 2021. Bien que l’arrêté no 43 n’ait été publié qu’en octobre 2021, le SCFP était au courant des exigences imminentes de vaccination du gouvernement du Canada et de la teneur de la politique de vaccination lorsque la demanderesse lui a demandé de déposer le grief de principe.

[33] Selon le Conseil, le SCFP a « régulièrement fourni des renseignements à ses membres et les a tenus au courant de l’évolution de la situation, des annonces du gouvernement ainsi que de l’approche et des mesures adoptées par l’employeur au fil des événements » (motifs de la décision, par. 47). Il a également conclu que le SCFP a « clairement indiqué qu’il était conscient des différents points de vue sur la vaccination » (motifs de la décision, par. 69) et qu’il « contesterait les mesures disciplinaires individuelles prises contre des membres ayant choisi de ne pas se faire vacciner » (motifs de la décision, par. 50).

[34] J’ajouterais que l’argumentation de la demanderesse est basée sur une méprise de ce que le devoir de juste représentation suppose. Bien que la conduite ou la politique de l’employeur éclaire ce qui est exigé en application de l’article 37, le devoir du syndicat, en définitive, est d’examiner attentivement s’il doit ou non présenter un grief, quelle que soit la conduite de l’employeur. Autrement dit, le Conseil n’était pas appelé à examiner le bien-fondé de la politique de vaccination dans le cadre de la plainte de manquement au DJR.

Avis juridiques

[35] Le SCFP a obtenu deux avis juridiques de deux cabinets d’avocats afin d’évaluer les chances de réussite d’une contestation de la politique de vaccination. Selon la demanderesse, le Conseil n’a pas évalué la fiabilité des avis juridiques, ce qui l’a mené à la conclusion déraisonnable que le SCFP s’était acquitté de son devoir de juste représentation. Elle dit que les avis ne sont ni bien fondés ni pertinents; selon elle, ils auraient dû indiquer si le refus de se faire vacciner constitue un motif valable de congédiement, ce qu’elle considère comme la question la plus pressante concernant la politique de vaccination.

[36] Cet argument ne peut être retenu.

[37] Le Conseil n’avait pas pour mandat d’examiner la qualité et l’exactitude des avis juridiques ayant fondé la décision du SCFP. Un examen des sources invoquées ou des analogies avancées pour extrapoler les issues probables ne permet pas de décider si le Conseil a jugé raisonnablement que le SCFP, en refusant de présenter un grief de principe, n’avait pas agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi.

[38] Lorsqu’il doit décider si un syndicat a manqué à son devoir de juste représentation, le Conseil évalue, non pas la décision de ne pas présenter un grief au nom d’un membre, mais plutôt le traitement du grief. Comme il a déjà lui-même écrit, « le Conseil se prononce sur le processus décisionnel du syndicat et non sur le bien-fondé du grief du plaignant » (McRaeJackson, par. 11; confirmé dans McAuley, par. 11). En outre, la Cour suprême du Canada affirme ne pouvoir reprocher à un syndicat de s’être appuyé sur un avis juridique motivé, « fût-[il] mal [fondé] » (Gagnon, p. 534).

[39] En l’espèce, le Conseil mentionne également qu’il « fait généralement preuve de retenue à l’égard de la confiance qu’un syndicat accorde aux avis de ses conseillers juridiques (voir Presseault, 2001 CCRI 138), et il ne procédera pas à un examen microscopique de ces avis, sauf dans des circonstances exceptionnelles » (motifs de la décision, par. 59). Dans la décision Presseault, le Conseil écarte un argument semblable à celui que la demanderesse avance, en faisant référence à la juridiction du Conseil quant aux plaintes de manquement au DJR (Presseault, par. 35) :

Les divergences de vues entre un syndiqué et son syndicat au sujet de la qualité des avis juridiques fournis ou de la compétence de l’avocat ne sont pas du ressort du Conseil, qui n’est pas habilité à remettre en question l’opinion d’un spécialiste compétent. Le fait que le syndiqué accepte ou rejette cet avis ne signifie pas qu’il n’est pas valide ou que le syndicat n’aurait pas dû en tenir compte.

[40] La demanderesse prétend qu’en invoquant la décision Presseault et en refusant de faire un « examen microscopique » des avis juridiques, le Conseil ne s’est pas penché sur la question en litige, et ses motifs se résument à des formules types.

[41] Je ne suis pas de cet avis. Les motifs démontrent que le Conseil a tenu compte des prétentions de la demanderesse au sujet des avis – c’est-à-dire que le SCFP n’a pas posé les bonnes questions aux avocats, que les avis obtenus sont lacunaires sur le plan juridique et qu’ils précèdent l’entrée en vigueur de l’arrêté no 43 et de la politique de vaccination – et qu’il les a évaluées en fonction de la norme juridique de pertinence, comme il lui appartient de le faire (motifs de la décision, par. 59 et 60). Le Conseil en est venu à la conclusion raisonnable que ces prétentions n’intéressaient pas la question qui lui a été soumise, pour les motifs précités.

[42] Par contre, l’existence même de ces avis juridiques intéressait la décision du Conseil. Peu importe ce que la demanderesse pense des avis que le SCFP a obtenus, la preuve dont disposait le Conseil montrait que, dans le cadre de son processus décisionnel, le SCFP avait demandé deux avis juridiques pour déterminer s’il pouvait contester la politique de vaccination. Ce fait démontre que le SCFP a tenu compte de la situation menant à la demande de grief de la demanderesse et qu’il n’a pas pris son devoir à la légère (Dumont c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, section locale de Montréal, 2011 CAF 185, par. 48). La preuve soumise au Conseil étaye sa conclusion, selon laquelle le SCFP s’était penché sur les questions en litige soulevées par l’appelante dans sa demande de grief.

IV. Devoir d’équité procédurale envers la demanderesse

[43] La demanderesse affirme qu’en refusant d’ordonner la production des documents et des communications liés aux avis juridiques, le Conseil a manqué à son devoir d’équité procédurale.

[44] Air Canada soutient que l’appelante n’a pas montré en quoi les communications entre le SCFP et le conseiller responsable des avis juridiques étaient pertinentes à l’égard de sa plainte. Selon le SCFP, ces documents seraient nécessaires seulement si le Conseil voulait vérifier le bien-fondé des avis juridiques. Comme je le mentionne plus haut, ce n’est pas le rôle du Conseil, ni celui de la Cour.

[45] Le Conseil n’a pas besoin d’ordonner la production de documents dans le cadre d’une plainte déposée au titre de l’article 37 lorsque les éléments de preuve contenus dans les documents ne sont pas essentiels à sa décision (McAuley, par. 9). En l’espèce, aucun des documents liés aux avis juridiques n’aurait aidé le Conseil à statuer sur la plainte de manquement au DJR. À cet égard, il était pertinent pour le Conseil de savoir que le SCFP avait demandé et examiné des avis juridiques tout en suivant la mise en œuvre de la politique de vaccination d’Air Canada; les mandats de représentation en justice, les lettres d’instructions et les communications connexes entre l’avocat et son client ne lui étaient pas utiles pour examiner la plainte déposée au titre de l’article 37.

[46] Le fait que le Conseil n’avait pas ces éléments de preuve à sa disposition n’a nullement empêché la demanderesse de faire entendre sa plainte. Le Conseil était au courant des faits ayant mené à la plainte de la demanderesse, en particulier de la conduite du SCFP après l’annonce par le gouvernement du Canada de son intention de rendre les vaccins obligatoires dans le secteur des transports. Le Conseil disposait de tous les éléments de preuve pertinents à l’égard de la plainte de la demanderesse, et il y a fait référence dans sa décision (motifs de la décision, par. 3 à 28).

[47] La demanderesse et le SCFP ont présenté chacun des observations sur la question de savoir si le secret professionnel de l’avocat s’applique aux documents que la demanderesse tente de faire produire. Comme je conclus que ces documents n’étaient pas pertinents pour l’examen de la question en litige dont le Conseil était saisi, il n’est pas nécessaire d’aborder ce point.

[48] La demanderesse affirme également que le Conseil a manqué à son devoir d’équité procédurale en rejetant sa demande d’audience. Elle soutient n’avoir pu faire valoir sa cause, car elle n’a pas eu l’occasion d’aborder les questions de crédibilité en suspens par un contre-interrogatoire des témoins du SCFP au sujet des avis juridiques mentionnés plus haut. Elle croit également que certaines déclarations des membres du comité exécutif en faveur de l’obligation fédérale de vaccination contre la COVID-19 dans le secteur des transports n’étaient pas fondées et ne tenaient pas compte de ses préoccupations au sujet des vaccins. La demanderesse affirme ne pas avoir pu faire valoir pleinement sa cause parce qu’on lui a refusé la possibilité de contre-interroger les personnes ayant fait ces déclarations.

[49] Je ne suis pas d’avis qu’on a empêché la demanderesse de plaider sa cause devant le Conseil, comme elle le prétend.

[50] Selon l’article 16.1 du Code, « [l]e Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience ». La Cour doit faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard de ce pouvoir discrétionnaire du Conseil (Paris, par. 5). Ainsi, le Conseil doit être traité comme « le maître de sa propre procédure » (Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, par. 50).

[51] Les questions de crédibilité ne constituent pas forcément des cas exceptionnels qui justifient la tenue d’une audience devant le CCRI ou une demande de contrôle judiciaire (Paris, par. 5; Nadeau, par. 6; Madrigga c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2016 CAF 151, par. 28 [Madrigga]). Comme la Cour l’affirme, « [p]resqu’inévitablement, des questions de crédibilité se soulèvent dans les relations conflictuelles employeur/employé », et si l’on exigeait la tenue d’une audience pour chaque affaire qui soulève ce genre de question, l’article 16.1 « serait alors dépourvu de tout sens et privé de l’effet recherché par le législateur » (Nadeau, par. 6; confirmé dans Ducharme, par. 21, et dans Madrigga, par. 27).

[52] La Cour ne peut intervenir dans la décision du Conseil de trancher une affaire sans tenir d’audience que si la partie demanderesse a démontré qu’elle n’a pas pu faire valoir pleinement ses droits ou connaître la preuve qu’elle doit réfuter (Ducharme, par. 19). En l’espèce, la demanderesse n’a pas démontré que c’était le cas.

[53] L’analyse menée par le Conseil de la conduite du SCFP en réponse à la politique de vaccination n’a soulevé aucune question de crédibilité; le Conseil a lui-même noté que la « chronologie des événements [était] simple et généralement non contestée, puisqu’elle [reposait] sur des annonces faites par courriel et des échanges de courriels » (motifs de la décision, par. 7). Les parties ne semblent pas en désaccord quant aux faits qui se rapportent à la question en litige soumise au Conseil. La demanderesse a pu faire valoir pleinement sa cause et comprendre celle des intimées, même sans contre-interroger les employés du SCFP ou les membres d’ACCEX. En outre, le contre-interrogatoire proposé semblerait, du moins en partie, viser le bien-fondé de la politique de vaccination, une considération qui n’est pas pertinente à l’égard de l’affaire soumise au Conseil. Enfin, je note que la nature et l’ampleur du recueil soumis au Conseil démontrent que la demanderesse a eu l’occasion de faire pleinement valoir sa cause.

V. Conclusion

[54] Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Laskin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

LeBlanc, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-45-22

INTITULÉ :

INGRID WATSON c. SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE et AIR CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 février 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Matthew Macdonald

Sarah Miller

Pour l’appelante

Ella Henry

Elizabeth Nurse

Devon Paul

Pour l’intimée

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

Cristina Toteda

Pour l’intimée

AIR CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Macdonald Law

Jensen Shawa Solomon Duguid Hawkes LLP

Calgary (Alberta)

Pour l’appelante

Syndicat canadien de la fonction publique

Edmonton (Alberta)

Pour l’intimée

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

Service du contentieux d’Air Canada

Dorval (Québec)

Pour l’intimée

AIR CANADA

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.