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Date : 20230307


Dossiers : A-220-21

A-240-21

Référence : 2023 CAF 50

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE GOYETTE

 

 

Dossier : A-220-21

ENTRE :

MARC-ANDRÉ ROUET

appelant

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE LA JUSTICE)

intimé

Dossier : A-240-21

ET ENTRE :

MARC-ANDRÉ ROUET

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 7 mars 2023.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 7 mars 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20230307


Dossiers : A-220-21

A-240-21

Référence : 2023 CAF 50

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE GOYETTE

 

 

Dossier : A-220-21

ENTRE :

MARC-ANDRÉ ROUET

appelant

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE LA JUSTICE)

intimé

Dossier : A-240-21

ET ENTRE :

MARC-ANDRÉ ROUET

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 7 mars 2023.)

LE JUGE LEBLANC

[1] M. Rouet comparait devant nous dans deux instances liées, mais séparées, lesquelles ont toutes deux pour toile de fond la contestation du rejet, par un membre de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) agissant au titre d’une formation de la Commission (le Décideur), d’un grief individuel qu’il a logé à l’encontre de son renvoi en cours de stage alors qu’il occupait un poste d’avocat pour le compte du ministère de la Justice du Canada. Ce licenciement a été fait le 31 mars 2011 sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, arts. 12-13.

[2] Le grief de M. Rouet a été entrepris aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, art. 2, et renvoyé, conformément à l’alinéa 223(2) d) de cette loi, tel qu’elle se lisait alors, soit avant les modifications législatives entrées en vigueur le 1er novembre 2014 par le biais de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, c. 40 (les Amendements de 2013), à un arbitre de grief choisi par le président de la Commission « parmi les membres de la Commission ». Toutefois, l’alinéa 211 a) de cette loi édictait alors – et édicte toujours – que le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur tout licenciement prévu à Loi sur l’emploi dans la fonction publique n’est pas permis. Se posait donc, devant le Décideur, la question de savoir si ce renvoi à l’arbitrage relevait de sa juridiction. L’arbitre de grief conservera compétence si le fonctionnaire visé démontre, à la satisfaction de l’arbitre, que son licenciement en cours de stage résulte d’une invocation factice de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. En l’espèce, le Décideur a conclu que l’article 211 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (renommée, en 2017, Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral) faisait obstacle à ce renvoi à l’arbitrage.

Dossier A-220-21

[3] Dans la première des deux instances devant nous, celle portant le numéro A-220-21 des dossiers de cette Cour, M. Rouet en appelle d’un jugement de la Cour fédérale ordonnant le transfert à notre Cour de la demande de contrôle judiciaire visant la décision du Décideur, d’abord instituée devant la Cour fédérale.

[4] Après avoir écouté les représentations orales des parties en ouverture d’audience, la Cour a, séance tenante, rejeté l’appel, motifs à suivre et l’a fait sans dépens. Voici ces motifs.

[5] Cet appel est assujetti à la norme de la décision correcte, puisqu’il soulève une question de droit (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). Devant la Cour fédérale, M. Rouet soutenait que bien que le Décideur était membre de la Commission, ce n’est pas à ce titre qu’il a été saisi du renvoi à l’arbitrage de son grief, mais bien à titre d’arbitre de grief assujetti, selon lui, au pouvoir de surveillance de la Cour fédérale.

[6] Comme l’a correctement notée la Cour fédérale, c’était là l’état du droit avant un amendement apporté à l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 en 2014. Suivant cet amendement, qui venait ajouter l’alinéa 28(1) i.1), notre Cour devenait compétente, en toute exclusivité, pour connaître non seulement les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Commission, une compétence qu’elle possédait déjà en vertu de l’alinéa 28(1) i), mais également celles, désormais, des décisions des arbitres de grief au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[7] L’ajout de l’alinéa 28(1) i.1) est en quelque sorte venu simplifier les choses, du moins en ce qui a trait au contrôle judiciaire des décisions émanant de ces instances, en marge, comme l’a notée notre Cour dans Sincère c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 103 (Sincère), de la confusion qui pouvait exister entre les rôles de l’arbitre de grief, des membres de la Commission et de la Commission elle-même, lesquels, notamment, « donn[aient] lieu à des voies de recours distinctes en cas de contestation judiciaire » (Sincère au para. 3). Dans la mesure où les prétentions de M. Rouet reposaient sur la jurisprudence antérieure à cet amendement, elles devaient échouer.

[8] La Cour fédérale a également rejeté l’argument de M. Rouet suivant lequel le Décideur n’agissait pas, en l’espèce, en tant qu’arbitre de grief au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, puisque son grief est un grief individuel, et non un grief de principe. Selon elle, rien dans le texte de cette loi ne soutenait une telle distinction. M. Rouet ne reprend pas cet argument devant nous.

[9] Toutefois, M. Rouet fait valoir en appel de nouveaux arguments, qu’il explique « par sa meilleure compréhension [des] changements législatifs, depuis la décision de première instance » (Mémoire de l’appelant au para. 7). Outre le fait qu’un appelant ne soit pas en principe autorisé à soulever de nouveaux arguments en appel (Quan v. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712 au para. 36), ceux soulevés par M. Rouet en l’espèce n’ont aucun fondement.

[10] M. Rouet, dans une démonstration largement inspirée du jugement de notre Cour dans Sincère rendu, nous le rappelons, avant l’ajout à la Loi sur les Cours fédérales de l’alinéa 28(1) i.1), plaide maintenant que la définition d’arbitre de grief contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral n’autorisait pas le Décideur à se considérer saisi d’un grief renvoyé aux termes de l’alinéa 223(2) d) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, telle qu’elle se lisait au moment du renvoi.

[11] Il y aurait là, selon lui, un vide juridique, dans lequel serait possiblement tombé son arbitrage de grief, ne permettant pas au justiciable d’identifier précisément l’auteur de la décision administrative et de choisir, en conséquence, le bon forum en cas de contestation judiciaire. Il nous demande de combler ce vide pour les cas futurs. En tout état de cause, M. Rouet soutient que l’arbitre de grief visé par l’alinéa 28(1) i.1) de la Loi sur les Cours fédérales ne peut être que celui défini à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, à l’exclusion de celui défini à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, puisque, conséquence des amendements apportés à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dont les Amendements de 2013, l’arbitre de grief n’aurait plus les mêmes attributions que par le passé. Ainsi donc, comme c’était le cas avant l’ajout de l’alinéa 28(1) i.1), notre Cour n’aurait compétence qu’à l’égard des décisions du premier, et non du second. M. Rouet a reconnu d’emblée à l’audience qu’il proposait une interprétation étroite des dispositions législatives en cause, notamment des dispositions transitoires applicables.

[12] Ces prétentions ne résistent pas à l’analyse. Comme le note l’intimé, les dispositions transitoires réglant notamment la poursuite des instances engagées sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne laissent aucun vide juridique. Ces instances sont poursuivies « sans autres formalités » en conformité avec cette loi, dans sa forme amendée, et peuvent l’être, dans des cas comme ici, à la demande du président de la Commission, par l’arbitre de grief qui était, sous le régime de cette loi, saisi du renvoi. Celui-ci, s’il accepte, comme ce fut le cas ici, est alors habilité à « continuer à entendre et trancher » ce grief (Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 aux articles 393 et 396).

[13] Ce faisant, cet arbitre jouit des pouvoirs dont il disposait aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans sa version antérieure aux Amendements de 2013. Il agit alors « sous l’autorité du président de la nouvelle Commission » (Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 au para. 396 (4)).

[14] Bref, dans le cas d’un renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel, il y a, fondamentalement, à travers les changements apportés à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, devenue plus tard la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, continuité à la fois dans le rôle de l’arbitre de grief et dans la conduite des instances entreprises sous son régime. La dichotomie que M. Rouet dit avoir observée en raison de sa meilleure compréhension des amendements apportés à cette loi depuis le jugement de la Cour fédérale, n’existe tout simplement pas. Non seulement n’existe-t-elle pas, mais, comme l’a notée la Cour fédérale, lorsque le renvoi à un arbitre ne parait pas possible, c’est la Commission elle-même, aux termes du paragraphe 223(2.1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, lequel est entré en vigueur par le biais des Amendements de 2013, qui se saisit du grief. Dans un cas comme dans l’autre, c’est devant notre Cour que toute contestation judiciaire de la décision résultant du renvoi à l’arbitrage doit être instituée en raison des alinéas 28(1) i) et 28(1) i.1) de la Loi sur les Cours fédérales. Il n’y a ni vide à combler, ni incohérence à réconcilier.

[15] Comme nous l’avons indiqué à l’audience, nous sommes tous d’avis, comme la Cour fédérale l’était, que la contestation de la décision du Décideur relève de la compétence de notre Cour, et non de celle de la Cour fédérale.

Dossier A-240-21

[16] La seconde instance dont nous sommes saisis, soit celle correspondant au numéro A‑240‑21 des dossiers de cette Cour, concerne le contrôle judiciaire de la décision du Décideur. La norme de contrôle applicable ici est la norme déférente de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653). Dans des cas comme le nôtre, visé par une clause privative, cette déférence est « considérable » (Canada (Procureur général) c. Alexis, 2021 CAF 216 aux paras. 2 et 22 (Alexis)).

[17] M. Rouet reproche au Décideur d’avoir ignoré - ou mal saisi - certains de ses arguments, dont celui, central selon lui, lié au non-respect des lignes directrices de l’employeur sur le renvoi en cours de stage, et d’avoir ainsi refusé d’exercer sa compétence. Il reproche également au Décideur d’avoir erré en concluant que son licenciement résultait d’une insatisfaction éprouvée de bonne foi par l’employeur à l’égard de ses aptitudes à s’acquitter de ses fonctions. Il plaide aussi que la lettre de licenciement qu’il a reçue n’étayait pas suffisamment les motifs de cette insatisfaction.

[18] Nous sommes tous d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire ne peut réussir, étant satisfait que le Décideur s’est bien dirigé en droit, que sa décision, qui fait 329 paragraphes, couvre l’ensemble des récriminations qui lui ont été faites par M. Rouet et que les conclusions de fait qu’il a tirées, après avoir fait une revue minutieuse des témoignages entendus suite à une audience qui s’est échelonnée sur six jours, trouvent appui dans la preuve.

[19] Comme notre Cour le rappelait dans Alexis, les employeurs disposent d’un « pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu’il s’agit d’évaluer les aptitudes d’un employé stagiaire, et leurs décisions portent peu à révision » (Alexis au para. 10). Comme la plupart des décisions arbitrales en cette matière, la présente affaire est fortement dominée par les faits. M. Rouet nous demande, à toutes fins utiles, au terme d’un examen « phrase par phrase » de la Décision, de reconsidérer l’ensemble de l’affaire, de mettre en doute les conclusions tirées par le Décideur, et, ultimement, de substituer notre opinion à celle de ce dernier. Or, cela va bien au-delà du rôle qui est le nôtre en matière de contrôle judiciaire (Vavilov aux paras. 102 et 125; Alexis au para. 22). Nous rappelons également que les motifs écrits fournis par un décideur administratif ne doivent pas être évalués, en contrôle judiciaire, selon une norme de perfection et n’ont pas à faire référence « à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » pour passer le test de la raisonnabilité (Valilov au para. 91). M. Rouet semble avoir oublié ses deux principes importants en l’espèce.

[20] Bref, nous sommes d’avis que la décision du Décideur est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le Décideur était assujetti.

[21] La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée, avec dépens en faveur de l’intimé fixés à un montant forfaitaire de 1,500$. Les présents motifs seront versés dans le dossier A-220-21. Une copie en sera déposée dans le dossier A-240-21.

« René LeBlanc »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-220-21

 

 

INTITULÉ :

MARC-ANDRÉ ROUET c. ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE LA JUSTICE)

 

 

ET DOSSIER :

A-240-21

 

 

INTITULÉ :

MARC-ANDRÉ ROUET c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 mars 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE GOYETTE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE LEBLANC

 

COMPARUTIONS :

Marc-André Rouet

 

l'appelant ET LE DEMANDEUR

Non représenté

 

Marc Séguin

 

Pour l'intimé ET POUr le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l'intimé ET POUr le défendeur

 

 

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