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Date : 20230413


Dossier : A-217-21

Référence : 2023 CAF 79

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

TELUS COMMUNICATIONS INC.

appelante

et

FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS ET AL.

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), les 12 et 13 décembre 2022.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 13 avril 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20230413


Dossier : A-217-21

Référence : 2023 CAF 79

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

TELUS COMMUNICATIONS INC.

appelante

et

FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS ET AL.

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Les services de télécommunication sans fil mobiles sont un élément essentiel de la vie quotidienne des Canadiens et sont un important moteur de croissance économique. Comme l'a noté le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC ou le Conseil) dans l'Avis de consultation 2019‐57, les Canadiens comptent sur ces services pour communiquer les uns avec les autres, pour se divertir, pour faire des affaires, pour interagir avec tous les ordres de gouvernement et pour poursuivre leurs études.

[2] Avec l'arrivée des réseaux sans fil de cinquième génération (5G), et compte tenu de l'importance des services sans fil mobiles, le CRTC a entrepris un examen du cadre réglementaire associé pour s'assurer qu'il demeure pertinent, que les besoins des Canadiens sont satisfaits et que les objectifs stratégiques énoncés dans la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38 (la Loi), sont atteints. Après avoir demandé des commentaires des parties intéressées et avoir tenu des audiences publiques, le CRTC a publié son « Examen des services sans fil mobiles », Politique réglementaire de télécom CRTC 2021‐130 (la décision du CRTC), le 15 avril 2021. Cette décision est le résultat d'un examen exhaustif par le Conseil de la réglementation des services sans fil mobiles au titre de la Loi.

[3] La décision du CRTC est exhaustive. Elle comporte 145 pages et examine trois questions principales : i) la concurrence dans le marché des services sans fil mobiles de détail; ii) le cadre réglementaire actuel pour les services sans fil mobiles de gros, en mettant l'accent sur les services d'accès de gros pour les exploitants de réseaux mobiles virtuels (ERMV); iii) l'avenir des services sans fil mobiles au Canada et la réduction des obstacles au déploiement des infrastructures.

[4] L'appel dont nous sommes saisis vise cette décision. Cependant, l'appel ne soulève que deux questions distinctes : (1) la question de savoir si le régime réglementaire établi par la Loi afin que les entreprises de télécommunication puissent avoir accès aux voies publiques et aux autres lieux publics pour y installer et y exploiter l'infrastructure de télécommunication s'applique à l'infrastructure pour la transmission sans fil (la question de l'accès); (2) la question de savoir si le CRTC peut ordonner aux entreprises nationales de services sans fil de fournir des services d'itinérance transparente (la question de l'itinérance).

[5] Après avoir soigneusement examiné le dossier d'appel ainsi que les observations écrites et orales des parties, j'ai conclu qu'il convient de confirmer la décision du CRTC. À mon avis, le CRTC ne s'est pas trompé lorsqu'il a conclu que l'expression « lignes de transmission » aux articles 43 et 44 de la Loi signifie les fils et câbles physiques. Par conséquent, je conclus que le CRTC n'a pas compétence pour régler les désaccords au sujet de l'accès à l'infrastructure municipale et à l'infrastructure publique afin de construire, d'entretenir et d'exploiter l'infrastructure pour les services sans fil mobiles. De plus, la décision du CRTC d'exiger que l'on fournisse l'itinérance transparente parmi les services d'itinérance de gros est fondée sur son pouvoir d'établir des conditions de commercialisation et n'entre pas en conflit avec les conditions des licences de spectre établies par le ministre de l'Industrie (le ministre) selon la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R‐2.

[6] Voici les motifs de mes conclusions.

I. Le contexte

[7] Au milieu des années 1990, le Conseil s'est largement abstenu de réglementer les services sans fil mobiles des entreprises de services sans fil. Bien que le Conseil estimât que la fourniture de télécommunication sans fil était la fourniture d'un « service de télécommunication » au sens de la Loi et qu'une entreprise canadienne qui fournit de tels services était assujettie à la réglementation du Conseil, le Conseil a conclu, conformément à l'article 34 de la Loi, qu'il convenait de s'abstenir d'exercer ses pouvoirs, en tout ou en partie. Il a conclu que le marché était suffisamment concurrentiel pour protéger les intérêts des usagers et que les forces du marché pouvaient diriger la croissance du secteur (voir, par exemple, les décisions télécom CRTC 94‐15 et 96‐14). Cela signifiait notamment que les entreprises de services sans fil n’étaient pas tenues d’obtenir l'approbation préalable de leurs tarifs par le CRTC.

[8] Pendant que le marché des services sans fil mobiles de détail prenait de l'expansion et évoluait à la fin des années 1990 et au début des années 2000, trois entreprises nationales de services sans fil sont devenues les principaux choix des Canadiens, et souvent les seuls : Bell Mobilité Inc. (Bell Mobilité), Rogers Communications Canada Inc. (Rogers), et TELUS Communications Inc. (Telus). Le coût élevé des investissements dans les installations, de même que celui de l'accès au spectre, étaient et demeurent des obstacles importants à l'entrée sur le marché (décision du CRTC aux paras. 95, 101 et 102). Depuis, des mesures réglementaires ciblées ont réduit certains de ces obstacles à l'entrée sur le marché, ce qui a favorisé l'apparition d'entreprises régionales. Le ministre a notamment réservé des licences de spectre pour des entreprises nouvelles ou plus petites lors de ventes aux enchères du spectre et a imposé aux titulaires de licences de spectre la condition de fournir des services d'itinérance de gros à des tarifs négociés commercialement.

[9] Le Conseil a également surveillé l'évolution du marché et a tenu des audiences publiques afin d'examiner diverses mesures réglementaires pour protéger les consommateurs et encourager la concurrence. En 2013, par exemple, il a imposé un code de conduite aux fournisseurs de services sans fil mobiles de détail (voir le « Code sur les services sans fil », 3 juin 2013, Politique réglementaire de télécom CRTC 2013‐271). Dans le « Cadre de réglementation régissant les services sans fil mobiles de gros », 5 mai 2015, Politique réglementaire de télécom (PRT) CRTC 2015‐177 (la décision PRT 2015‐177), le Conseil a obligé les entreprises nationales de services sans fil à fournir aux concurrents des services d'itinérance de gros. À l'époque, le Conseil a conclu que la preuve au dossier n'établissait pas qu'il fallait aller plus loin et imposer l'itinérance transparente comme condition de service. L'itinérance transparente constitue un avantage appréciable pour les utilisateurs de services de télécommunication sans fil, puisqu'il s'agit, comme le dit le CRTC (au paragraphe 392) de la décision visée par l'appel, de « la transmission et la réception des appels et données vers et depuis d'autres réseaux sans aucune interruption de service ».

[10] Depuis la décision PRT 2015‐177, qui a établi le cadre réglementaire actuel des services sans fil mobiles de gros, la situation concurrentielle et technologique de l'industrie des services sans fil a évolué de nombreuses façons. Par conséquent, le 28 février 2019, le CRTC a publié l'Avis de consultation de télécom CRTC 2019‐57 afin d'entreprendre un examen global des services sans fil mobiles et du cadre réglementaire connexe afin de s'assurer « i) qu'il demeure pertinent, ii) que les besoins des Canadiens sont satisfaits et iii) que les objectifs stratégiques énoncés à l'article 7 de la Loi [...] sont atteints » (« Examen des services sans fil mobiles », 28 février 2019, Avis de consultation de télécom CRTC 2019‐57, au para. 3) (l'Avis de consultation).

[11] Dans l'avis de consultation, le Conseil a souligné que le marché des services sans fil mobiles est sur le point de connaître une transformation majeure en raison de la mise en oeuvre de la technologie sans fil 5G. Puisque cette technologie repose sur l'installation d'un réseau dense de petites cellules qui assurent le service sans fil dans un périmètre plus restreint (plutôt que les grandes stations cellulaires installées sur des tours de services cellulaires utilisées précédemment), les entreprises de services sans fil devront faire d'importants investissements dans l'infrastructure de réseau. Elles devront négocier avec divers intervenants pour obtenir un accès adéquat aux installations de fibre optique, aux servitudes et aux petites cellules. En fait, selon la preuve de la Fédération canadienne des municipalités (FCM), [TRADUCTION] « selon des estimations qui semblent largement acceptées, pour assurer des services à la majorité des Canadiens, il faudra de 250 000 à 300 000 installations de ce genre » (Fédération canadienne des municipalités, observations complémentaires à l'avis d'audience 2019‐57, Examen des services sans fil mobiles, 22 novembre 2019, au para. 8). Il s'agit manifestement d'un chiffre bien plus important que les quelque 13 000 antennes pour service sans fil qui assurent présentement des services aux Canadiens, selon Innovation, Sciences et Développement économique Canada (Gouvernement du Canada, « Les faits au sujet des pylônes », date de modification 20 novembre 2018, <https://ised-isde.canada.ca/site/gestion-spectre-telecommunications/fr/securite-conformite/faits-sujet-pylones>).

[12] Il va sans dire qu'il faudra avoir accès à plusieurs installations physiques différentes pour installer ces nombreuses petites cellules. Il s'agit notamment de lampadaires, d'abribus et d'autres installations municipales situées dans les lieux publics, et d'installations de télécommunication par câble et d'installations appartenant aux services publics provinciaux. Il faut souligner, en outre, que chacune de ces petites cellules doit avoir une connexion filaire au réseau par câble de l'entreprise de télécommunication pour transmettre les données à d'autres endroits, notamment à d'autres antennes, afin de pouvoir rejoindre les utilisateurs des services sans fil qui s'y trouvent. Dans ce sens, le réseau 5G n'est guère différent des antennes cellulaires installées sur des tours et des édifices élevés au cours de la dernière décennie.

[13] L'Avis de consultation invitait les parties à soumettre des observations sur la nécessité d'apporter des modifications ou des améliorations à la politique existante en matière d'itinérance de gros établie dans la décision de 2015, il indiquait : « à mesure que la technologie sans fil se développe et que le marché continue d'évoluer, certains aspects de la politique actuelle du Conseil en matière d'itinérance de gros pourraient devoir être modifiés ou améliorés » (Avis de consultation au para. 33). On invitait également les parties à faire part de leur opinion sur la question de savoir si d'autres mesures réglementaires étaient nécessaires pour réduire les obstacles au déploiement de l'infrastructure cellulaire.

[14] Des audiences publiques ont eu lieu du 18 au 28 février 2020. En raison de la pandémie de covid 19, on a reporté le délai de dépôt des observations finales. Le Conseil a rendu sa décision le 15 avril 2021.

II. La décision en cause

[15] Comme nous l'avons dit, la décision est exhaustive et a une large portée. Elle a quatre parties : (1) l'état de la concurrence dans le marché de détail, notamment une analyse du pouvoir de marché (décision du CRTC aux paras. 28-157), (2) les mesures réglementaires pour les services de gros, notamment les mesures pour les services d'accès de gros pour les ERMV, les services d'itinérance de gros, l'itinérance transparente et l'accès aux infrastructures (décision du CRTC aux paras. 158-489), (3) les mesures réglementaires pour les services de détail afin d'encourager la concurrence (décision du CRTC aux paras. 490-600), (4) les autres questions soulevées par les parties pendant l'audience (décision du CRTC aux paras. 601-630).

[16] Pour le présent appel, les aspects clés sont l'itinérance (décision du CRTC aux paras. 392-411) et l'accès à l'infrastructure (décision du CRTC aux paras. 423-489).

[17] Comme il l'a fait ailleurs dans sa décision, le Conseil a d'abord résumé les observations des parties. Pour ce qui est de l'itinérance, il a souligné que l'itinérance transparente est importante pour les entreprises régionales de services sans fil, car elle leur permet d'offrir un service de meilleure qualité aux Canadiens et, par conséquent, d'être plus compétitives. Plus précisément, Shaw et Vidéotron ont signalé que l'absence d'itinérance transparente est le plus grand obstacle à leur croissance, en particulier en dehors des centres urbains. L'interruption des appels à la périphérie de leurs réseaux est l'une des raisons principales pour lesquelles leurs clients passent aux entreprises nationales de services sans fil. Les entreprises nationales et SaskTel, par contre, ont fait valoir que la conception et la mise en oeuvre de l'itinérance transparente posent des obstacles techniques et d'ingénierie majeurs et ont également des coûts importants.

[18] Après avoir tenu compte de ces observations, le CRTC a estimé que l'itinérance transparente obligatoire profiterait à la fois aux consommateurs, qui auraient moins d'appels interrompus, et à la concurrence, car les entreprises régionales de services sans fil seraient en mesure d'offrir à leurs clients une qualité de service supérieure. Le CRTC a conclu que si l'on accorde la priorité à l'itinérance transparente, elle pourrait être mise en oeuvre plus rapidement que ce qu'ont proposé les entreprises nationales de services sans fil. Les mises à jour seraient limitées aux sites de cellules aux frontières des réseaux, et les renseignements techniques nécessaires au maintien de l'itinérance transparente pourraient être échangés au moyen des processus existants, ce qui réduirait considérablement les coûts de la mise en oeuvre. En fin de compte, le CRTC a conclu que bien que les estimations de coûts variaient, aucune d'entre elles ne saurait l'emporter sur les avantages globaux, pour la concurrence et les consommateurs, de la mise en place de l'itinérance transparente.

[19] Puisqu'on ne peut pas compter sur le libre jeu du marché pour garantir que l'itinérance transparente soit disponible pour toutes les entreprises et leurs clients de détail, le CRTC a conclu que la décision de rendre obligatoire l'itinérance transparente et de la soumettre à des tarifs fondés sur les coûts serait un moyen efficace et proportionné pour poursuivre la réalisation des objectifs de ses politiques. Il a également estimé qu'il ne s'agit pas d'un nouveau service, mais plutôt d'une condition supplémentaire de l'offre des services d'itinérance de gros obligatoires existants. Le CRTC a donc ordonné aux entreprises nationales de services sans fil de déposer pour approbation les tarifs des services d'itinérance de gros et de commencer à offrir l'itinérance transparente dans un délai d'un an à compter de la date de la décision. Le CRTC a ajouté que les taux tarifés pouvaient tenir compte des coûts supplémentaires de l'itinérance transparente.

[20] Pour ce qui est de l'accès à l'infrastructure, le Conseil a regroupé les observations des parties en quatre catégories : (1) les retards ou les refus pour l'accès aux structures de soutènement des entreprises de services locaux titulaires (ESLT), (2) les raccordements de petites cellules et les tarifs actuels pour les structures de soutènement des ESLT, (3) l'accès aux pylônes et aux sites, (4) l'accès à l'infrastructure municipale.

[21] Partout au Canada, il y a des structures de soutènement appartenant aux ESLT ou contrôlées par elles. Il s'agit notamment des poteaux, qui supportent des installations aériennes telles que des fils d'acier, qui supportent à leur tour les installations de transmission, et des conduites pouvant contenir des installations de communication et qui sont souvent situées sous le niveau du sol. Au Canada, les ESLT sont Bell et Telus, et SaskTel en Saskatchewan. Rogers n'est pas une ESLT. De nombreuses entreprises de services sans fil ont déclaré avoir éprouvé des difficultés à accéder aux structures de soutènement des ESLT, mais le CRTC a conclu que le dossier dont il disposait ne permettait pas de déterminer s'il fallait des modifications aux tarifs ou aux exigences réglementaires des ESLT et, le cas échéant, lesquelles seraient appropriées. La preuve était anecdotique, et puisqu'il ne comprenait pas bien les raisons de ces refus, le CRTC a estimé qu'il serait inapproprié d'adopter des mesures réglementaires précises pour le moment.

[22] Pour ce qui est des raccordements des petites cellules et des tarifs actuels des structures de soutènement des ESLT, le CRTC a rejeté la requête de Telus de modifier le tarif existant des structures de soutènement, qui devait à l'origine encourager la concurrence des services sans fil, parce que les raccordements pour les services sans fil mobiles soulèvent d'autres préoccupations et diffèrent du matériel wi‐fi. Le CRTC a conclu que son dossier ne lui permettait pas de conclure si les petites cellules sont suffisamment différentes des installations wi‐fi. Il ne pouvait donc pas décider s'il convenait de modifier les tarifs des ESLT existants.

[23] De même, le Conseil a conclu qu'il n'était pas nécessaire qu'il prenne des mesures supplémentaires en ce qui concerne le partage des pylônes et des sites. Il a souligné qu'il n'avait été saisi d'aucun différend alléguant une préférence indue ou une discrimination injuste relativement à l'accès aux pylônes et aux sites.

[24] Enfin, le Conseil a décidé que les articles 43 et 44 de la Loi ne lui accordent pas la compétence de trancher des litiges portant sur l'accès à des lieux publics pour y installer du matériel de transmission sans fil mobile. Selon ces dispositions, les entreprises canadiennes de télécommunication « ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l'exploitation ou l'entretien de leurs lignes de transmission » (la Loi au para. 43(2)). Elles donnent également au Conseil le pouvoir de réglementer l'accès des entreprises de télécommunication aux lieux publics et de régler les litiges entre les entreprises et les municipalités.

[25] Cette décision est largement tributaire de l'interprétation qu'a faite le Conseil de l'expression « ligne de transmission » dans les dispositions légales pertinentes. Le Conseil a d'abord constaté que selon l'article 2 de la Loi, l'expression « installation de transmission » s'entend de « [t]out système électromagnétique — notamment fil, câble ou système radio ou optique — ou tout autre procédé technique pour la transmission d'information entre des points d'arrivée du réseau, à l'exception des appareils de transmission exclus ». Selon le Conseil, on peut en conclure que le législateur savait que la télécommunication sans fil était possible, et une installation de transmission pouvait donc manifestement être un système radio tel qu'une petite cellule pour la technologie sans fil 5G. Par contre, aux articles 43 et 44, le législateur a utilisé l'expression différente « lignes de transmission », qu'il n'a pas définie. Le Conseil a conclu que cette expression doit avoir un sens différent. Il a également conclu qu'« étant donné la portée globale du terme ‟installation de transmission”, il est très probable que le terme ‟ligne de transmission” soit censé avoir un sens plus restreint » (décision du CRTC au para. 482).

[26] Le Conseil a ensuite examiné les définitions des mots « ligne » et « ligne de transmission » selon les dictionnaires. Il a conclu que ces définitions variaient, mais que la plupart désignaient une « voie physique et tangible » (décision du CRTC au para. 483). En raison de l'importance de la décision du CRTC sur cette question, il convient de la citer :

484 Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime qu'en utilisant le terme « ligne de transmission », le Parlement a voulu englober les « câbles de transmission » et les « fils de transmission », qui sont tous deux désignés dans la définition d'« installation de transmission » donnée par la Loi comme des types d'installations de ce genre.

485 Loin d'aller contrer l'intention du Parlement, une interprétation limitant les lignes de transmission aux câbles et aux fils de transmission reconnaît de façon appropriée le régime législatif plus large adopté par le Parlement, y compris le régime législatif de la Loi sur la radiocommunication, qui y est étroitement lié, et qui confère au ministre de l'Industrie le pouvoir d'approuver les sites d'implantation d'appareils radio, comme le prévoit le paragraphe 5(1) de cette loi.

[27] Enfin, bien que plusieurs parties aient affirmé qu'il était nécessaire d'avoir un mécanisme de règlement des différends simplifié et accéléré pour régler les différends sur les tarifs et les modalités entre les entreprises et les municipalités, le CRTC a conclu qu'aucune autre intervention n'était nécessaire ou appropriée pour le moment. Même en supposant que ces questions relèvent de la compétence du Conseil, il estimait que les politiques et procédures existantes étaient suffisantes pour les traiter.

III. Les questions en litige

[28] L'appel de Telus soulève deux questions :

  1. Le CRTC a‐t‐il commis une erreur lorsqu'il a conclu que l'expression « lignes de transmission » aux articles 43 et 44 de la Loi ne visait pas l'infrastructure des télécommunications sans fil, et donc qu'il ne pouvait trancher les litiges avec les municipalités et les autres administrations publiques au sujet de l'accès des entreprises de télécommunication aux voies publiques et aux autres lieux publics?

  2. Le CRTC a‐t‐il excédé sa compétence en obligeant les entreprises nationales à offrir l'itinérance transparente?

[29] Les deux autres entreprises nationales, Bell et Rogers, ont appuyé en général les thèses et les observations de Telus, et y ont ajouté leurs propres observations.

[30] Un groupe d'entreprises sans fil régionales (Bragg Communications Inc., Cogeco Communications Inc., Québecor Média Inc., Vidéotron Ltée et Xplore Inc.), qui étaient représentées devant la Cour par les mêmes avocats, ont participé à l'appel comme intimées afin d'appuyer la décision du CRTC au sujet de l'itinérance transparente. De concert avec Ice Wireless Inc., une entreprise régionale de services sans fil mobiles en exploitation surtout dans le Nord du Canada, elles ont affirmé que le CRTC n'a pas commis d'erreur de droit ou de compétence lorsqu'il a imposé aux entreprises sans fil nationales, comme condition de service, d'offrir l'itinérance transparente. Ces intimées n'ont pas fait d'observations sur la question de l'accès.

[31] Électricité Canada (ÉC) et la FCM n'ont présenté des observations que sur la question de l'accès et ont appuyé la conclusion du CRTC selon laquelle il n'avait pas compétence pour trancher les litiges au sujet de l'accès à l'infrastructure municipale et publique afin de construire, d'exploiter et d'entretenir l'infrastructure sans fil mobile. L'ÉC est l'organisation nationale pour l'industrie de l'électricité au Canada et représente les services publics. La FCM est une association nationale qui représente les municipalités canadiennes de toutes tailles et se consacre à promouvoir les intérêts des municipalités sur les questions de compétence fédérale.

[32] Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie‐Britannique n'a également présenté des observations que sur l'accès. Il a appuyé la thèse de la FCM et de l'ÉC sur la question de l'interprétation de l'article 43 de la Loi et sur le sens de l'expression « lignes de transmission ». Il a également fait part de sa préoccupation qu'il ne pourrait plus conclure des ententes avec des entreprises de télécommunication qui cherchent à installer l'infrastructure des services sans fil mobiles sur les servitudes et les installations provinciales et exiger des entreprises un loyer au taux du marché pour cet accès. Il s'inquiète aussi du fait que si l'infrastructure sans fil mobile relève de la compétence du Conseil, c'est alors le Conseil, et non la province, qui décidera de l'accès des entreprises de télécommunication.

[33] Avant d'examiner ces observations, je traiterai d’une question de compétence soulevée par l'ÉC. Dans ses observations écrites et orales, l'avocat de l'ÉC a fait valoir qu'on ne pouvait interjeter appel de la conclusion du CRTC sur l'accès parce qu'il ne s'agit pas d'une « décision » visée par l'article 64 de la Loi et qu'il ne s'agit pas du règlement d'un litige au sujet de l'accès; elle découle plutôt d'une consultation sur une question de politique.

IV. Le cadre légal

[34] Pour mieux comprendre les questions en litige dans le présent appel et les observations des parties, il faut bien saisir le régime légal des télécommunications et de la radiocommunication au Canada. Il faut également saisir le rôle du CRTC lorsqu'il impose des conditions de service aux entreprises de télécommunication canadiennes et le rôle du ministre lorsqu'il délivre les licences autorisant les diffuseurs à utiliser des fréquences radio précises afin de fournir leurs services et lorsqu'il en modifie les conditions, et lorsqu'il approuve l'endroit où peut se situer une installation sans fil telle qu'une antenne.

[35] Comme l'a dit la Cour suprême dans la décision Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010‐167 et l'ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010‐168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489 aux paras. 34 et 37 (Renvoi relatif à la Politique), la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, la Loi sur la radiocommunication et la Loi sur les télécommunications sont des éléments d'un régime de mesures liées entre elles. Bien que les lois aient des objectifs différents, les sujets dont elles traitent se recoupent dans certaines circonstances. Ainsi, les personnes qui sont soumises à l'une de ces lois peuvent être également soumises à l'une des autres lois.

[36] De façon générale, l'objectif de la Loi sur les télécommunications est la réglementation des services de télécommunication (voix et données) offerts au public partout au Canada et, accessoirement, la réglementation des exploitants de télécommunications. La Loi relève du ministre de l'Industrie mais, dans les faits, le CRTC a la responsabilité principale de mettre en oeuvre et de faire exécuter la Loi.

[37] Selon l'article 47 de la Loi, le CRTC doit tenir compte de la politique énoncée à l'article 7 de la Loi lorsqu'il exerce ses pouvoirs :

47 Le Conseil doit, en se conformant aux décrets que lui adresse le gouverneur en conseil au titre de l'article 8 ou aux normes prescrites par arrêté du ministre au titre de l'article 15, exercer les pouvoirs et fonctions que lui confèrent la présente loi et toute loi spéciale de manière à réaliser les objectifs de la politique canadienne de télécommunication et à assurer la conformité des services et tarifs des entreprises canadiennes avec les dispositions de l'article 27.

47 The Commission shall exercise its powers and perform its duties under this Act and any special Act

(a) with a view to implementing the Canadian telecommunications policy objectives and ensuring that Canadian carriers provide telecommunications services and charge rates in accordance with section 27; and

(b) in accordance with any orders made by the Governor in Council under section 8 or any standards prescribed by the Minister under section 15.

 

[38] Cette politique est énoncée à l'article 7, qui dispose notamment ce qui suit :

7 La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l'identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à :

a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;

b) permettre l'accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

c) accroître l'efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

[...]

f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l'efficacité de la réglementation, dans le cas où celle‐ci est nécessaire;

[...]

h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;

7 It is hereby affirmed that telecommunications performs an essential role in the maintenance of Canada's identity and sovereignty and that the Canadian telecommunications policy has as its objectives

(a) to facilitate the orderly development throughout Canada of a telecommunications system that serves to safeguard, enrich and strengthen the social and economic fabric of Canada and its regions;

(b) to render reliable and affordable telecommunications services of high quality accessible to Canadians in both urban and rural areas in all regions of Canada;

(c) to enhance the efficiency and competitiveness, at the national and international levels, of Canadian telecommunications;

. . .

(f) to foster increased reliance on market forces for the provision of telecommunications services and to ensure that regulation, where required, is efficient and effective;

. . .

(h) to respond to the economic and social requirements of users of telecommunications services;

[39] L'article 8 de la Loi dispose : « [l]e gouverneur en conseil peut, par décret, donner au Conseil, au chapitre des grandes questions d'orientation en la matière, des instructions d'application générale relativement à la politique canadienne de télécommunication ». Ces décrets lient le Conseil (la Loi au para. 11(1) et à l’art. 47). Au moment de la décision visée par l'appel, deux décrets du gouverneur en conseil étaient pertinents. Le premier décret datait de 2006 et ordonnait au Conseil, lorsqu'il a recours à la réglementation, de prendre des mesures qui satisfont à quatre conditions, notamment :

1b)(iv) lorsqu'elles visent des ententes d'interconnexion de réseaux ou des régimes d'accès aux réseaux, aux immeubles, au câblage dans les immeubles ou aux structures de soutien, donner lieu, dans toute la mesure du possible, à des ententes ou régimes neutres sur le plan de la technologie et de la concurrence, pour permettre aux nouvelles technologies de faire concurrence et pour ne pas favoriser artificiellement les entreprises canadiennes ou les revendeurs;

Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en oeuvre de la politique canadienne de télécommunication, DORS/2006‐355

[40] Le deuxième décret, qui datait de 2019, ordonnait au CRTC d'examiner comment ses décisions « permettent l'innovation dans les services de télécommunication, y compris de nouvelles technologies et des offres de services différenciées » : Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en oeuvre de la politique canadienne de télécommunication pour promouvoir la concurrence, l'abordabilité, les intérêts des consommateurs et l'innovation, DORS/2019‐227, sous‐alinéa 1a)(vi).

[41] Les définitions suivantes à l'article 2 de la Loi sont également pertinentes :

entreprise canadienne Entreprise de télécommunication qui relève de la compétence fédérale. (Canadian carrier)

installation de télécommunication Installation, appareils ou toute autre chose servant ou pouvant servir à la télécommunication ou à toute opération qui y est directement liée, y compris les installations de transmission. (telecommunications facility)

installation de transmission Tout système électromagnétique — notamment fil, câble ou système radio ou optique — ou tout autre procédé technique pour la transmission d'information entre des points d'arrivée du réseau, à l'exception des appareils de transmission exclus. (transmission facility)

télécommunication La transmission, l'émission ou la réception d'information soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout autre procédé technique semblable. (telecommunications)

Canadian carrier means a telecommunications common carrier that is subject to the legislative authority of Parliament; (entreprise canadienne)

telecommunications means the emission, transmission or reception of intelligence by any wire, cable, radio, optical or other electromagnetic system, or by any similar technical system; (télécommunication)

telecommunications facility means any facility, apparatus or other thing that is used or is capable of being used for telecommunications or for any operation directly connected with telecommunications, and includes a transmission facility; (installation de télécommunication)

transmission facility means any wire, cable, radio, optical or other electromagnetic system, or any similar technical system, for the transmission of intelligence between network termination points, but does not include any exempt transmission apparatus. (installation de transmission)

[42] Le législateur a expressément prévu que le CRTC pouvait assujettir la fourniture par une entreprise canadienne des services de télécommunication à des conditions (la Loi à l’art. 24). Les parties ne contestent pas que les entreprises nationales —Telus, Bell et Rogers — sont des entreprises canadiennes et que l'itinérance de gros est un service de télécommunication au sens de l'article 2 de la Loi.

[43] Pour atteindre les objectifs de la politique canadienne de télécommunication, il faut assurer l'installation efficace et à large échelle de l'infrastructure de télécommunication. Pour cette raison, la Loi, tout comme sa prédécesseure, la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R‐3 aux articles 327 à 330, établit un régime réglementaire sur l'accès aux voies publiques et aux autres lieux publics par les entreprises de télécommunication. Plus précisément, les articles 43 et 44 de la Loi accordent aux entreprises de télécommunication un droit limité d'accès aux voies publiques et aux autres lieux publics pour la construction, l'exploitation et l'entretien de leurs lignes de transmission. Il convient de signaler à ce stade-ci que la Loi ne définit pas le terme « lignes de transmission », qui a remplacé le terme plus restreint « lignes télégraphiques ou téléphoniques » dans la Loi sur les chemins de fer à l’article 327. Le droit d'accès aux voies publiques et aux autres lieux publics pour y construire des installations est subordonné au consentement de l'administration publique ayant compétence sur la voie ou le lieu. Si l'entreprise et l'administration publique ne peuvent s'entendre sur les modalités de l'accès, le Conseil peut en établir les modalités à la demande de l'une ou l'autre des parties. Voici le libellé de ces dispositions :

Accès aux lieux publics

43(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4) et de l'article 44, l'entreprise canadienne et l'entreprise de distribution ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l'exploitation ou l'entretien de leurs lignes de transmission, et peuvent y procéder à des travaux, notamment de creusage, et y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins; elles doivent cependant dans tous les cas veiller à éviter toute entrave abusive à la jouissance des lieux par le public.

Entry on public property

43(2) Subject to subsections (3) and (4) and section 44, a Canadian carrier or distribution undertaking may enter on and break up any highway or other public place for the purpose of constructing, maintaining or operating its transmission lines and may remain there for as long as is necessary for that purpose, but shall not unduly interfere with the public use and enjoyment of the highway or other public place.

Approbation municipale

(3) Il est interdit à l'entreprise canadienne et à l'entreprise de distribution de construire des lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou au‐dessus, au‐dessous ou aux abords de ceux-ci — sans l'agrément de l'administration municipale ou autre administration publique compétente.

Consent of municipality

(3) No Canadian carrier or distribution undertaking shall construct a transmission line on, over, under or along a highway or other public place without the consent of the municipality or other public authority having jurisdiction over the highway or other public place.

Saisine du Conseil

(4) Dans le cas où l'administration leur refuse l'agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l'entreprise canadienne ou l'entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l'autorisation de construire les lignes projetées; celui-ci peut, compte tenu de la jouissance que d'autres ont des lieux, assortir l'autorisation des conditions qu'il juge indiquées.

Application by carrier

(4) Where a Canadian carrier or distribution undertaking cannot, on terms acceptable to it, obtain the consent of the municipality or other public authority to construct a transmission line, the carrier or distribution undertaking may apply to the Commission for permission to construct it and the Commission may, having due regard to the use and enjoyment of the highway or other public place by others, grant the permission subject to any conditions that the Commission determines.

Accès

(5) Lorsqu'il ne peut, à des conditions qui lui sont acceptables, avoir accès à la structure de soutien d'une ligne de transmission construite sur une voie publique ou un autre lieu public, le fournisseur de services au public peut demander au Conseil le droit d'y accéder en vue de la fourniture de ces services; le Conseil peut assortir l'autorisation des conditions qu'il juge indiquées.

Access by others

(5) Where a person who provides services to the public cannot, on terms acceptable to that person, gain access to the supporting structure of a transmission line constructed on a highway or other public place, that person may apply to the Commission for a right of access to the supporting structure for the purpose of providing such services and the Commission may grant the permission subject to any conditions that the Commission determines.

Demande d'une municipalité ou autre administration publique

44 Sur demande d'une administration municipale ou autre administration publique, le Conseil peut :

a) soit obliger, aux conditions qu'il fixe, l'entreprise canadienne ou l'entreprise de distribution à enfouir les lignes de transmission qu'elles ont, ou projettent d'avoir, sur le territoire de l'administration en question ou à en modifier l'emplacement;

b) soit ne leur en permettre la construction, l'exploitation ou l'entretien qu'en exécution de ses instructions.

Applications by municipalities and other authorities

44 On application by a municipality or other public authority, the Commission may

(a) order a Canadian carrier or distribution undertaking, subject to any conditions that the Commission determines, to bury or alter the route of any transmission line situated or proposed to be situated within the jurisdiction of the municipality or public authority; or

(b) prohibit the construction, maintenance or operation by a Canadian carrier or distribution undertaking of any such transmission line except as directed by the Commission.

[44] Dans la décision Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476 (Barrie), la Cour suprême a expliqué que le paragraphe 43(5) de la Loi ne s'applique pas aux lignes de distribution des services publics d'électricité et ne donne donc pas au CRTC de compétence sur l'accès aux poteaux électriques des services publics d'électricité par les entreprises de télécommunication.

[45] La Loi sur la radiocommunication, par contre, porte sur la réglementation du matériel et des activités qui utilisent le spectre radio, ainsi que sur l'attribution et l'utilisation du spectre radio lui‐même. Sa mise en oeuvre et son administration sont assurées principalement par le ministère de l'Industrie dont le ministre a la responsabilité.

[46] Le sous‐alinéa 5(1)a)(i.1) et l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la radiocommunication disposent que le ministre peut délivrer des licences permettant aux entreprises de diffusion d'utiliser des fréquences radio précises pour fournir leurs services, notamment les services sans fil mobiles (Industrie Canada, « Gestion du spectre et télécommunications : Politique cadre sur la vente aux enchères du spectre au Canada », 3e édition, mars 2011 au para. 1). Selon la Loi sur la radiocommunication, le ministre peut également prévoir et modifier les conditions des licences :

5 (1) Sous réserve de tout règlement pris en application de l'article 6, le ministre peut, compte tenu des questions qu'il juge pertinentes afin d'assurer la constitution ou les modifications ordonnées de stations de radiocommunication ainsi que le développement ordonné et l'exploitation efficace de la radiocommunication au Canada :

a) délivrer et assortir de conditions :

[...]

(i.1) les licences de spectre à l'égard de l'utilisation de fréquences de radiocommunication définies dans une zone géographique déterminée, et notamment prévoir les conditions spécifiques relatives aux services pouvant être fournis par leur titulaire,

[...]

b) modifier les conditions de toute licence ou autorisation ou de tout certificat ainsi délivrés;

5 (1) Subject to any regulations made under section 6, the Minister may, taking into account all matters that the Minister considers relevant for ensuring the orderly establishment or modification of radio stations and the orderly development and efficient operation of radiocommunication in Canada,

(a) issue

. . .

(i.1) spectrum licences in respect of the utilization of specified radio frequencies within a defined geographic area,

. . .

(b) amend the terms and conditions of any licence, certificate or authorization issued under paragraph (a);

[47] Dans l'exercice de ces pouvoirs, le ministre « peut » tenir compte de la politique canadienne de télécommunication énoncée à l'article 7 de la Loi sur les télécommunications (Loi sur la radiocommunication au para. 5(1.1)). Cela diffère du CRTC, qui « doit » exercer ses pouvoirs de manière à réaliser les objectifs de la politique canadienne de télécommunication (la Loi à l’art. 47). Outre la constitution et les modifications ordonnées de stations de radiocommunication ainsi que le développement ordonné et l'exploitation efficace de la radiocommunication au Canada (voir le début du paragraphe 5(1) de la Loi sur la radiocommunication), le ministre doit également tenir compte, lors de l'exercice de ses pouvoirs, des objectifs énoncés à l'article 5 de la Loi sur le ministère de l'Industrie, L.C. 1995, ch. 1. Il s'agit principalement d'objectifs économiques, comme on peut le constater du libellé de cet article :

5 Le ministre exerce les pouvoirs et fonctions que lui confère le paragraphe 4(1) de manière à :

a) renforcer l'économie nationale et promouvoir le développement durable;

b) favoriser la circulation des biens, des services et des facteurs de production ainsi que le commerce intérieur;

c) accroître la compétitivité de l'industrie, des biens et des services canadiens sur le plan international et faciliter l'adaptation aux situations intérieure et internationale;

d) favoriser le plein essor de la science et de la technologie et encourager leur utilisation optimale;

e) favoriser la science et la technologie au Canada;

f) renforcer la structure nécessaire à l'essor et à l'efficacité du marché canadien;

g) encourager la mise sur pied, le développement et l'efficacité des systèmes et installations de communications du pays et faciliter l'adaptation aux situations intérieure et internationale;

h) stimuler l'investissement;

i) promouvoir les intérêts et la protection du consommateur canadien.

5 The Minister shall exercise the powers and perform the duties and functions assigned by subsection 4(1) in a manner that will

(a) strengthen the national economy and promote sustainable development;

(b) promote the mobility of goods, services and factors of production and of trade and commerce in Canada;

(c) increase the international competitiveness of Canadian industry, goods and services and assist in the adjustment to changing domestic and international conditions;

(d) encourage the fullest and most efficient and effective development and use of science and technology;

(e) foster and promote science and technology in Canada;

(f) strengthen the framework for the development and efficiency of the Canadian marketplace;

(g) promote the establishment, development and efficiency of Canadian communications systems and facilities and assist in the adjustment to changing domestic and international conditions;

(h) stimulate investment; and

(i) promote the interests and protection of Canadian consumers.

[48] Ainsi, sous la responsabilité du ministre, le ministère de l'Industrie réglemente l'utilisation et la répartition du spectre des fréquences radio. Il le fait en tenant compte du « Cadre de la politique canadienne du spectre » (Industrie Canada, Gestion du spectre et télécommunications, DGPT‐001‐07, juin 2007), qui établit une politique générale unique précise sur le spectre dont l'objectif est de « maximiser, pour les Canadiens et les Canadiennes, les avantages économiques et sociaux découlant de l'utilisation du spectre des radiofréquences » (ibid à la p. 8).

[49] Selon l'alinéa 5(1)f) de la Loi sur la radiocommunication, le ministre peut également « approuver l'emplacement d'appareils radio, y compris de systèmes d'antennes, ainsi que la construction de pylônes, tours et autres structures porteuses d'antennes ». Cela ne l'autorise cependant pas à porter atteinte aux droits de propriété d'autres parties. En d'autres mots, le ministre ne peut exiger du propriétaire d'un lieu public qu'il y autorise l'accès pour l'installation de matériel radio et il ne peut trancher les litiges au sujet de l'accès, pouvoirs qu'a le CRTC au titre de l'article 43 de la Loi. La Loi sur la radiocommunication n'accorde pas, pour les antennes, un droit semblable à celui qu'ont les entreprises de télécommunication, au titre de la Loi, d'avoir accès à des installations municipales pour y installer des « lignes de transmission ». Pour les antennes, il faut négocier avec chaque propriétaire — public ou privé — pour avoir accès à chaque endroit.

[50] Ainsi, les « circulaires des procédures concernant les clients » du ministre établissent les procédures et les exigences techniques et environnementales, ainsi que les exigences de sécurité, pour l'installation et la modification de systèmes d'antennes à tout endroit, public ou privé (Industrie Canada, Gestion du spectre et télécommunications, Circulaire des procédures concernant les clients CPC‐2‐0‐03, « Systèmes d'antennes de radiocommunications et de radiodiffusion », 5e édition, 26 juin 2014 aux pp. 3-5 (Systèmes d'antennes); Industrie Canada, Gestion du spectre et télécommunications, Circulaire des procédures concernant les clients CPC‐2‐0‐17, « Conditions de licence concernant l'itinérance obligatoire, le partage des pylônes d'antennes et des emplacements, ainsi que l'interdiction des emplacements exclusifs », 2e édition, mars 2013 aux pp. 3-6 et 12-14 (Conditions de licence)).

[51] Les promoteurs d'antennes sont toujours tenus de communiquer avec l'autorité responsable de l'aménagement du territoire concernée et avec le public dans le but de « répondre aux préoccupations raisonnables et pertinentes [...] de l'autorité responsable de l'utilisation du sol et de la collectivité qu'elle représente » au sujet de l'emplacement de l'antenne (Systèmes d'antennes à la p. 5). Ils doivent aussi respecter les exigences, notamment techniques, établies par le ministre pour les antennes. Si les parties ne peuvent s'entendre à l'égard des préoccupations raisonnables et pertinentes au sujet de l'emplacement proposé, une partie peut demander au ministre d'approuver ou de rejeter l'emplacement. Cependant, la décision du ministre ne porte que sur l'emplacement des appareils. Les entreprises de télécommunication doivent négocier les modalités de l'accès à l'emplacement approuvé avec son propriétaire. Seules les personnes auxquelles le ministre a déjà accordé une autorisation radio doivent permettre aux promoteurs des appareils radio d'avoir accès aux emplacements de leurs antennes et de leurs tours. Sinon, les détenteurs de licences de spectre doivent compter sur la collaboration de la municipalité pour exproprier le terrain qu'ils convoitent pour leurs antennes radio, ou recourir au pouvoir d'expropriation du ministre (Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, [2016] 1 R.C.S. 467 au para. 54 (Châteauguay)).

[52] C’est en tenant compte de ce contexte légal qu’il faut trancher les questions en litige.

V. La question de la compétence

[53] Comme je l'ai déjà indiqué, ÉC affirme qu'on ne peut interjeter appel de la conclusion du CRTC sur l'accès parce qu'il ne s'agit pas d'une « décision » visée par l'article 64 de la Loi. Notre Cour a déjà conclu que les politiques réglementaires du CRTC énoncent des cadres de politiques et fournissent le contexte pour les ordonnances et les décisions en matière de télécommunications, qui appliquent à leur tour ces politiques aux faits des affaires : voir Bell Canada c. British Columbia Broadband Association, 2020 CAF 140, [2021] 3 R.C.F. 206, au paragraphe 42 (Broadband Association), autorisation d'interjeter appel refusée, 2021 CanLII 13268 et 2021 CanLII 13272 (C.S.C.). Et comme nous l'avons déjà conclu, les directives et cadres du CRTC ne lient pas le CRTC et ne peuvent donc pas faire l'objet d'un appel : voir, par exemple, Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 217aux paragraphes 26 à 29 (Bell Canada). De même, dans la décision Canadian Institute of Public and Private Real Estate Cos. c. Bell Canada, 2004 CAF 243 (Canadian Institute of Public and Private Real Estate Cos.), au paragraphe 3, notre Cour a conclu qu'elle « ne peut connaître d'appels portant sur de simples observations formulées par le CRTC sur son éventuelle compétence ». Notre Cour est également arrivée à une conclusion semblable lors d'un appel au titre du paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion, qui correspond au paragraphe 64 de la Loi : Bell Canada. Il y était question d'une politique que le CRTC avait établie après avoir demandé des observations et avoir tenu une audience publique sur certaines questions, dont la substitution simultanée. Notre Cour a conclu que la politique n'était « clairement pas justiciable », même si le CRTC avait utilisé l'expression « décision ». ÉC affirme qu'en établissant la Politique réglementaire de télécom CRTC 2021‐130, le CRTC a fait exactement la même chose, a suivi la même procédure que dans le cas de la décision sur la substitution simultanée, et a énoncé, au sujet de sa compétence, des directives dont on ne peut faire appel.

[54] L'ÉC affirme également que la décision du CRTC n'est pas le règlement d'un litige sur l'accès, mais découle d'une consultation sur les politiques. Le CRTC n'a pas établi de conditions exécutoires ou rendu de décision qui a une incidence sur les droits juridiques de Telus ou de quiconque. Cette question de compétence n'est pas qu'une simple formalité, puisque s'il y avait eu une décision sur des droits, toutes les parties intéressées auraient participé et auraient présenté un dossier sur les faits bien plus étoffé.

[55] L'article 64 de la Loi dispose qu'avec notre autorisation, « il peut être interjeté appel » à notre Cour, « sur des questions de droit ou de compétence, des décisions du Conseil » (je souligne). Selon l'article 2, une « décision » est « [t]oute mesure prise par le Conseil, quelle qu'en soit la forme » (« ‟decision” includes a determination made by the Commission in any form ») (je souligne). Ce libellé semble vaste et pourrait comprendre des énoncés de tous genres faits par le CRTC. Effectivement, la compétence du CRTC ne se résume pas au règlement de litiges; selon le paragraphe 52(1) de la Loi, il connaît, dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions, aussi bien des questions de droit que des questions de fait. Il peut même trancher toute question d'office (la Loi à l’art. 48). Ces décisions sont obligatoires, alors que ses directives ne lient pas le Conseil (la Loi à l’art. 58).

[56] Il ne fait aucun doute que de simples directives qui ne lient pas les parties ne sont pas des décisions. C'est justement sur cela que portait l'arrêt Canadian Institute of Public and Private Real Estate Cos., sur lequel l'ÉC a insisté. Dans cette affaire, le CRTC avait énoncé des directives dans une décision de télécommunication afin de faciliter la négociation de modalités d'accès entre les entreprises de services locaux et les propriétaires privés d'immeubles à logements multiples. Le CRTC a cependant expressément refusé de rendre une décision ou de prononcer des conditions qui lieraient les propriétaires d'immeubles à logements multiples, tout en affirmant qu'il serait disposé à rendre une décision s'il concluait que l'on n'a pas accordé l'accès à des conditions raisonnables, ou qu'on le refuserait probablement. Il est intéressant de constater que le CRTC lui‐même a affirmé qu'il ne pensait pas avoir rendu de décision et qu'il ne rendrait pas de décision en l'absence de litige sur un cas précis. Notre Cour a conclu que les commentaires du CRTC au sujet des immeubles à logements multiples n'avaient pas d'effet juridique et n'étaient pas une décision.

[57] Notre Cour est arrivée à une conclusion semblable dans la seconde décision qu'invoque l'ÉC. Dans l'arrêt Bell Canada, les appelantes demandaient l'annulation de deux politiques réglementaires de radiodiffusion adoptées par le CRTC concernant la substitution simultanée. Dans la première politique réglementaire, le CRTC avait annoncé qu'il continuerait en général à permettre la substitution simultanée, sauf pour les canaux spécialisés et pour le Super Bowl (à compter de la saison 2016‐2017). Il avait également annoncé qu'il modifierait le règlement pour pouvoir retirer les privilèges de substitution simultanée et pour obliger les titulaires de licence à verser des remises compensatoires si des erreurs récurrentes importantes étaient commises lors de la substitution simultanée. Dans la seconde politique réglementaire, le CRTC avait annoncé la prise et l'entrée en vigueur des règlements imposant des pénalités et des remises compensatoires dans le cas d'erreurs lors de la substitution simultanée, règlements qu'il avait annoncés dans la première politique. Il avait également annoncé qu'il éliminerait les droits de substitution simultanée des diffuseurs pour le Super Bowl non pas par règlement, comme il l'affirmait dans la première politique, mais en rendant une ordonnance en vertu de l'alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion.

[58] Notre Cour s'est fondée sur l'arrêt Canadian Institute of Public and Private Real Estate Companies qu'elle avait déjà prononcé et a conclu que les deux politiques, qui prétendaient interdire la substitution simultanée pour le Super Bowl à partir de 2017, énonçaient en fait l'intention d'exercer plus tard des pouvoirs légaux et n'étaient donc pas des décisions ou des ordonnances visées au paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion (qui correspond pour l'essentiel au paragraphe 64(2) de la Loi). La Cour a conclu que « le projet de réforme des politiques envisagé par le Conseil n'a aucun effet direct, immédiat ou juridique sur les appelantes tant que cette réforme n'est pas mise en application par voie de règlement ou d'ordonnance » (Bell Canada au para. 25) et que les décisions et les ordonnances doivent être définitives pour être prises en considération par les tribunaux.

[59] Bell avait affirmé que le Conseil avait demandé des observations non pas sur la décision elle‐même, mais seulement sur le libellé du projet d'ordonnance au sujet de la substitution simultanée lors du Super Bowl. Après avoir souligné que le CRTC avait déjà changé d’avis et avait affirmé qu'il interdirait la substitution simultanée pour le Super Bowl non pas en modifiant le Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97‐555, mais plutôt en rendant une ordonnance au titre de la Loi sur la radiodiffusion, notre Cour n'a eu aucune difficulté à rejeter la thèse de Bell, au paragraphe 31:

Certes, mais, à vrai dire, rien n'empêche le Conseil de ne pas mettre sa décision à exécution ou de modifier l'ordonnance pour en élargir la portée (p. ex., pour l'étendre à d'autres types de manifestations télévisuelles) ou en retarder l'application jusqu'à l'expiration de l'entente entre la NFL et Bell. Il ne faudrait pas préjuger du résultat des consultations. Il convient de laisser ce régime administratif suivre son cours avant de demander à un tribunal de rendre un jugement sur une question susceptible de se révéler théorique. Non seulement cette manière de procéder est plus respectueuse à l'égard de l'organisme spécialisé chargé par le législateur de surveiller le régime administratif instauré dans ce secteur complexe, mais elle permet aussi d'optimiser les ressources judiciaires limitées.

[60] Du moins pour ce qui est des conclusions sur l'itinérance transparente et l'accès aux installations, la décision visée par l'appel est très différente des politiques réglementaires du CRTC en cause dans les deux décisions susmentionnées. On le constate tout particulièrement au sujet de l'itinérance transparente, au paragraphe 410 de la décision du CRTC :

410. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil ordonne aux entreprises nationales de services sans fil i) de déposer pour approbation dans un délai de 90 jours à compter de la date de publication de la présente décision les tarifs des services d'itinérance de gros (tarifs d'itinérance de gros) avec des modalités actualisées pour appuyer l'itinérance transparente, et ii) de commencer à offrir l'itinérance transparente dans un délai d'un an à compter de la date de la présente décision. (En gras dans l'original)

[61] Ce libellé est dépourvu de toute ambiguïté. La décision du Conseil au sujet de l'itinérance transparente est définitive; son effet juridique sur les entreprises nationales de services sans fil est immédiat.

[62] Bien que le Conseil se prononce de façon moins impérieuse au sujet de l'accès à l'infrastructure municipale qu'au sujet de l'itinérance transparente, sa conclusion selon laquelle les articles 43 et 44 de la Loi ne lui donnent pas compétence pour trancher les litiges sur les installations de transmission sans fil mobiles est tout aussi définitive. Il n'y a ni ambiguïté, ni nouvel examen postérieur. À mon sens, les extraits suivants de la décision indiquent clairement qu'il ne s'agit pas d'une directive, mais qu'on a établi des droits juridiques :

479. En fin de compte, compte tenu des arguments avancés dans le dossier et des principes d'interprétation législative applicables, le Conseil estime que ces dispositions législatives ne lui donnent pas compétence pour se prononcer sur les différends concernant les installations de transmission sans fil mobiles. La conclusion du Conseil repose en grande partie sur l'utilisation du terme « ligne de transmission » dans les dispositions législatives pertinentes.

485. Loin d'aller contrer l'intention du Parlement, une interprétation limitant les lignes de transmission aux câbles et aux fils de transmission reconnaît de façon appropriée le régime législatif plus large adopté par le Parlement, y compris le régime législatif de la Loi sur la radiocommunication, qui y est étroitement lié, et qui confère au ministre de l'Industrie le pouvoir d'approuver les sites d'implantation d'appareils radio, comme le prévoit le paragraphe 5(1) de cette loi.

489. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil détermine qu'aucune autre intervention n'est nécessaire ou appropriée pour le moment en ce qui concerne les questions d'accès municipal. Dans la mesure où ces questions relèvent de la compétence du Conseil, les politiques et procédures existantes sont suffisantes pour les traiter.

[63] Vu ce libellé, je ne vois pas comment le CRTC pourrait ensuite examiner la demande d'une entreprise afin d'obtenir une ordonnance d'accès à une installation municipale pour y construire, exploiter ou entretenir une installation sans fil mobile. Le libellé de la décision n'indique aucune hésitation, et aucune étape postérieure n'est nécessaire pour que la décision soit exécutoire, comme dans le cas des politiques qui, selon notre Cour, n'étaient pas des décisions au sens de l'article 64 de la Loi. De plus, la décision repose sur l'interprétation de la Loi par le CRTC, et non sur l'examen de faits ou sur l'existence d'une technologie quelconque susceptible de modifications ou d'améliorations à l'avenir. En d’autres termes, la décision est manifestement définitive et se voulait définitive.

[64] Le CRTC pouvait aussi profiter d'un dossier complet avant d'en arriver à sa décision, contrairement à ce qu'affirme l'ÉC. Le Conseil a demandé des observations sur les questions qu'il se proposait d'examiner et a posé des questions précises pour orienter les observations des parties. Les participants comprenaient des entreprises de services de télécommunication, des organismes sans but lucratif qui représentaient les intérêts des consommateurs, divers paliers gouvernementaux, des regroupements d'entreprises commerciales et des particuliers. Plusieurs de ces parties ont également déposé des observations complémentaires et ont réagi aux observations des autres parties. Il y a également eu une audience publique du 18 au 28 février 2020. On peut donc affirmer que le Conseil avait tous les renseignements nécessaires pour arriver à ses conclusions sur les questions dont la Cour est maintenant saisie, et je ne vois guère comment le dossier aurait pu être plus étoffé ou comment le Conseil aurait pu profiter d'une gamme plus large d'observations pour l'aider lors de son examen.

[65] Pour tous ces motifs, je suis d'avis que les conclusions du CRTC au sujet de l'accès et de l'itinérance transparente sont des « décisions » au sens de l'article 64 de la Loi et peuvent faire l'objet du présent appel.

VI. La norme de contrôle

[66] Toutes les parties conviennent, avec raison, que la norme de contrôle d'une question de droit ou de compétence faisant l'objet d'un appel au titre du paragraphe 64(1) de la Loi est celle de la décision correcte (voir Broadband Association aux paras. 49-54 et 80-81; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 au para. 37 (Vavilov)).

VII. Analyse

A. Le CRTC a‐t‐il commis une erreur lorsqu'il a conclu que le terme « lignes de transmission » aux articles 43 et 44 de la Loi ne vise pas l'infrastructure des télécommunications sans fil, et donc que le CRTC ne pouvait régler les litiges avec les municipalités et les autres administrations publiques au sujet de l'accès par les entreprises de télécommunication aux voies publiques et aux autres lieux publics?

[67] Telus soutient que le CRTC a utilisé une méthode d'interprétation textuelle et figée qui n'est pas compatible avec l'approche moderne de l'interprétation des lois. Telus affirme que selon l'approche moderne, il ne suffit pas d'interpréter le terme « lignes de transmission » selon son sens grammatical et ordinaire, mais qu'il faut l'interpréter d'une façon qui s'harmonise avec le régime réglementaire, l'objet de la loi et l'intention du législateur. Une méthode dynamique et téléologique donne mieux effet à l'intention du législateur : un exemple serait l'élargissement du terme « télégraphe » à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 afin d'y ajouter le sens « téléphone » (voir Reference re Regulation and Control of Radio Communication, [1931] R.C.S. 541). De plus, Telus affirme que notre Cour a conclu que l'intention du législateur joue un rôle plus important que le sens grammatical et ordinaire lors de l'interprétation d'un terme (X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684 au para. 71) et que l'interprétation des lois doit correspondre à l'intention du législateur, même si une interprétation textuelle mène à une conclusion différente.

[68] Telus souligne que la technologie a évolué depuis l'adoption de la Loi et que selon une interprétation dynamique et téléologique, la même procédure légale sur l'accès devrait s'appliquer lorsqu'on met à jour les installations sans fil afin d'utiliser la nouvelle technologie. Selon la décision du CRTC, si Telus souhaitait installer de petites cellules à ses propres installations et pylônes, elle n'aurait aucun recours si elle ne pouvait conclure une entente sur l'accès avec une municipalité. Telus affirme que cette interprétation contrecarre l'intention du législateur et empêche le Conseil d'assurer la neutralité technologique et concurrentielle du régime réglementaire.

[69] Telus affirme également que le CRTC ne s'est pas rendu compte que selon son sens ordinaire, une « ligne » est simplement un parcours d'un point à un autre, et donc qu'une « ligne de transmission » est un parcours pour transmettre des données, que ce soit par câble ou sans fil. Telus soutient que le CRTC s'est trompé lorsqu'il s'est fondé sur l'expression « installation de transmission » pour conclure que le terme « ligne de transmission » ne vise pas les installations sans fil parce que la Cour suprême du Canada a rejeté un argument semblable lorsqu'elle a examiné le sens des verbes « communiquer » et « transmettre » dans la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C‐42 (voir Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, [2012] 2 R.C.S. 231, 2012 CSC 34 aux paras. 76-77 (Entertainment Software)). Telus affirme également que la décision Barrie de la Cour suprême est davantage compatible avec l'application des dispositions de la Loi sur l'accès aux installations par câble et sans fil qu'avec la décision du CRTC, selon laquelle une « ligne de transmission » ne vise pas la télécommunication sans fil.

[70] Telus se fonde sur les débats parlementaires pour affirmer que l'histoire législative de la Loi indique qu'il faut l'interpréter et l'appliquer d'une façon neutre quant à la technologie. Elle souligne que la définition du terme « service de télécommunication » vise aussi bien les services par câble que sans fil et que les dispositions qui réglementent divers aspects des télécommunications s'appliquent, quelle que soit la technologie utilisée.

[71] Enfin, Telus affirme que la décision du CRTC signifie qu'aucun organisme de réglementation ne peut trancher les litiges sur l'accès aux installations sans fil. Cela nuira au développement ordonné des télécommunications au Canada, l'un des objectifs explicites de la Loi. En l'absence des pouvoirs de résolution des litiges du CRTC, une municipalité pourrait agir d'une façon arbitraire qui nuit au développement des installations de télécommunication. L'alinéa 5(1)f) de la Loi sur la radiocommunication, qui donne au ministre le pouvoir d'approuver des emplacements, ne lui permet pas d'exiger que le propriétaire d'un lieu public permette qu'on y ait accès et ne lui permet pas de trancher des litiges. Le CRTC s'est trompé lorsqu'il a affirmé le contraire, et ainsi l'interprétation du CRTC laisse un vide.

[72] Bell et Rogers appuient en général les observations de Telus, et ajoutent à certaines d'entre elles. Bell affirme en particulier que l'interprétation de l'article 43 par le CRTC laisse un vide important dans le régime légal composé de la Loi, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication. Alors que le ministre a la compétence exclusive, aux termes de l'alinéa 5(1)f) de la Loi sur la radiocommunication, d'approuver l'emplacement d'appareils radio, il ne peut porter atteinte aux droits de propriété d'autres parties. Ainsi, il ne peut exiger que le propriétaire d'un lieu public permette qu'on y ait accès pour y mettre des installations radio et il ne peut trancher de litiges à ce sujet. Le Ministre ne peut qu'imposer, comme condition d'une autorisation de radiocommunication, l’obligation de faciliter le partage des tours radio et des emplacements. Les personnes — administrations publiques, personnes morales ou particuliers — qui ne détiennent pas d'autorisation de radiocommunication ne sont pas tenues de permettre aux promoteurs d'installations d'avoir accès à leurs lieux. Le pouvoir du ministre au titre du paragraphe 5(1) ne peut donc pas remplacer l'article 43 de la Loi, qui accorde aux entreprises canadiennes et aux entreprises de distribution un droit de propriété limité afin de construire, d'exploiter et d'entretenir des lignes de transmission sur des lieux publics, et qui donne au CRTC la compétence de trancher des litiges si la municipalité ou l'administration publique compétente n'y consent pas à des conditions raisonnables. Bell affirme que si l'article 43 ne s'applique qu'aux installations par câble, le CRTC a créé un vide, puisque ni le CRTC ni le ministre ne peut ordonner qu'on permette l'accès à un lieu public pour y mettre des installations sans fil.

[73] De plus, Bell soutient que le CRTC n'a pas tenu compte du fait que les termes « entreprise canadienne » et « entreprise de distribution » à l'article 43 s'entendent également d'installations sans fil (voir paragraphe 2(1) de la Loi et au paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion). Par conséquent, si le législateur voulait que l'article 43 ne s'applique qu'aux installations par câble, il l'aurait dit explicitement.

[74] Enfin, Bell affirme que l'interprétation du CRTC contrevient au principe de la neutralité technologique. C'est l'un des critères auxquels le Conseil devrait satisfaire dans l'exercice de son pouvoir de réglementation, selon deux directives du Cabinet : Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en oeuvre de la politique canadienne de télécommunication, DORS/2006‐355, et Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en oeuvre de la politique canadienne de télécommunication pour promouvoir la concurrence, l'abordabilité, les intérêts des consommateurs et l'innovation, DORS/2019‐227. L'article 47 de la Loi énonce également que le Conseil doit se conformer aux décrets lorsqu'il exerce ses pouvoirs.

[75] Quant à Rogers, elle reproche au CRTC d'avoir donné au terme « ligne de transmission » un sens étroit et statique, sans tenir compte du contexte et de l'objet des dispositions. Elle affirme que les définitions du terme « ligne » sont variées et ne sont pas concluantes, comme l'a reconnu le Conseil, et que le terme « ligne de transmission » peut avoir plusieurs sens : le Conseil a choisi le sens le plus restreint. Rogers affirme que, dans le cas des télécommunications, une « ligne » est un parcours entre deux points. Si elle est accompagnée du terme « transmission », elle comprend un parcours ou une connexion pour transmettre des données de quelque façon que ce soit et elle doit comprendre les installations de transmission sans fil.

[76] Deuxièmement, Rogers affirme que le législateur souhaitait un cadre réglementaire neutre quant à la technologie. L'interprétation du Conseil contrecarre cette intention. La politique de télécommunication ne fait pas de distinction entre les services par câble et les services sans fil. Rogers affirme que l'accès aux voies publiques et aux autres lieux publics à des conditions raisonnables est essentiel au développement du système de télécommunication canadien. L'interprétation téléologique de la Loi confirme que l'intention du législateur était que le régime réglementaire aux articles 43 et 44 s'applique à l'ensemble du système de télécommunication. Notre Cour a déjà rejeté une interprétation étroite des articles 42 à 44 de la Loi, puisque l'objet de la Loi est « le développement efficace et ordonné des réseaux de télécommunications » (Edmonton (Ville) c. 360Networks Canada Ltd., 2007 CAF 106 au para. 64). Rogers affirme que seule son interprétation est compatible avec le régime réglementaire exhaustif et neutre quant à la technologie établie par la Loi.

[77] Rogers affirme que les principes de l'interprétation dynamique des lois indiquent que le terme « ligne de transmission » devrait comprendre la technologie sans fil. Selon Rogers, l'interprétation du CRTC fige la portée des dispositions et fait qu'elles ne peuvent atteindre leurs objectifs maintenant, alors qu'une interprétation dynamique est tout à fait compatible avec les objectifs légaux et l'intention du législateur. Tout comme Telus, Rogers affirme que la compétence du ministre au titre de la Loi sur la radiocommunication d'approuver l'emplacement d'appareils radio ne peut remplacer le régime légal aux articles 43 et 44 de la Loi, puisque le ministre ne peut établir les conditions d'accès aux voies publiques et aux autres lieux publics par les entreprises de télécommunication sans fil lorsque les entreprises et les administrations publiques ne peuvent s'entendre quant aux conditions.

[78] J'ai examiné ces observations attentivement, mais elles ne me convainquent pas, pour les raisons suivantes.

[79] Lorsqu'il a tenté d'établir le sens véritable du terme « ligne de transmission », le Conseil, à juste titre, a tenu compte du sens ordinaire et courant des mots, mais aussi du contexte et de l'objectif de la disposition (décision du CRTC au para. 480). Cela est conforme aux directives de la Cour suprême du Canada, qui a confirmé plusieurs fois ce principe moderne d'interprétation des lois, notamment dans le contexte de l'article 43 de la Loi (voir Barrie au para. 20). La Cour suprême a récemment résumé ce principe de la façon suivante :

La cour qui interprète une disposition législative le fait en appliquant le « principe moderne » en matière d'interprétation des lois, selon lequel il faut lire les termes d'une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87.

Vavilov au para. 117.

[80] Dans la décision Barrie, la Cour suprême devait décider si le terme « ligne de transmission » au paragraphe 43(5) de la Loi avait, selon une interprétation juste, un sens suffisamment large pour que le CRTC ait compétence sur les poteaux des entreprises d'électricité réglementées par la province. La Cour suprême a conclu que ce terme n'avait pas ce sens large. Elle a tenu compte des facteurs suivants : (1) le sens ordinaire et grammatical des mots « ligne de transmission » en tenant compte du contexte des articles 43 et 44 de la Loi; (2) les dispositions connexes de la Loi et de la Loi sur la radiocommunication; (3) l'objectif de politique du législateur. J'utiliserai, dans les paragraphes qui suivent, la même approche pour examiner si le CRTC s'est trompé lorsqu'il a conclu que le même terme ne vise pas les installations de transmission sans fil mobiles et que les entreprises de télécommunication sans fil n'ont donc pas un droit limité d'accès aux voies publiques et aux autres lieux publics afin d'y installer leurs petites cellules et autres appareils sans fil.

(1) Le sens ordinaire et grammatical des mots « ligne de transmission »

[81] En se fondant sur les définitions données par les dictionnaires, le CRTC a conclu que le mot « ligne », lorsqu'il s'agit d'installations de télécommunication, désigne une voie physique et tangible, tant en français qu'en anglais. À mon avis, cette conclusion est la seule possible.

[82] Telus a tenté d'échapper à cette définition simple et évidente du mot « ligne » en recourant à l'idée inventive (quoique déformée) qu'une ligne n'est qu'un parcours entre deux points. Une ligne de transmission serait donc un parcours pour la transmission de données, par câble ou sans fil. Une telle interprétation, à mon humble avis, n'est guère crédible.

[83] D'abord, l'interprétation que propose Telus a l'inconvénient de détacher le sens proposé du mot « ligne » de son origine historique. On comprenait très bien le sens du mot « ligne » dans la Loi sur les chemins de fer, et il s'agissait manifestement d'une voie physique. En fait, le droit de pénétrer dans toute voie publique ou dans tout lieu public, et d'y ouvrir et creuser le sol, tire son origine de l'article 327 de cette loi, et était accordé aux entreprises afin d'y construire, exploiter et entretenir des lignes télégraphiques ou téléphoniques. Il s'agissait manifestement d'installations de transmission par câble.

[84] De plus, contrairement à ce qu'affirme Telus, une antenne ne crée pas un parcours linéaire, mais plutôt une sphère. Une antenne 5G, comme toute antenne radio de grande taille, a une zone de transmission qui s'étend de l'antenne dans tous les sens. Encore une fois, on doit supposer que le législateur connaissait la différence entre la transmission le long d'une ligne qui n'a qu'une dimension et la sphère en trois dimensions qui émane d'une antenne.

[85] Le sens normal d'une ligne comme étant une voie physique n'ayant qu'une seule dimension est également plus compatible avec le libellé des articles 43 et 44 de la Loi. Au paragraphe 43(2), par exemple, il est question d'« accès » et de « creusage » à toute voie publique ou à tout autre lieu public afin d'y construire, exploiter ou entretenir des lignes de transmission. Il ne faut guère « creuser » une voie publique ou un lieu public pour installer de petites cellules. De même, il est question, au paragraphe 43(3), de construction de lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou au‐dessus, au‐dessous ou aux abords de ceux‐ci, ce qui correspond davantage à une voie physique qu'à un appareil sans fil. De plus, le libellé de l'alinéa 44a) peut difficilement se concilier avec la définition du terme « ligne de transmission » que propose Telus. Selon cet alinéa, le Conseil peut obliger l'entreprise canadienne ou l'entreprise de distribution « à enfouir les lignes de transmission » ou « à en modifier l'emplacement ». On ne peut enfouir la zone sphérique de transmission d'une antenne 5G ou en modifier l'emplacement.

[86] Cet examen du libellé des articles 43 et 44, des définitions que donnent les dictionnaires du mot « ligne » en parlant de télécommunication, de l'utilisation du mot « ligne » dans la Loi sur les chemins de fer et de l'inapplicabilité de l'idée d'une ligne en parlant de technologie sans fil indique clairement que l'observation de Telus selon laquelle une ligne n'est qu'un parcours géométrique entre deux points n'est pas compatible avec le sens courant d'une ligne de transmission, du moins telle que l'utilise la Loi. C'est un principe bien établi qu'en l'absence d'une définition légale, le point de départ de l'interprétation d'un mot ou d'un terme en est le sens ordinaire et courant.

(2) Le contexte intrinsèque et extrinsèque

[87] Cette interprétation du mot « ligne » aux articles 43 et 44 de la Loi est étayée par son historique législatif et par l'utilisation du même mot ou de mots semblables ailleurs dans la Loi et dans la Loi sur la radiocommunication connexe.

[88] Lorsque le législateur a adopté la Loi en 1993 pour remplacer la Loi sur les chemins de fer, il a établi le premier régime légal complet sur les télécommunications et a fait plusieurs changements, non seulement pour simplifier les règlements pris en application de plusieurs lois différentes, mais aussi pour rendre le régime plus moderne et pour tenir compte des nouvelles technologies. Plus précisément, pour ce qui est de l'accès municipal, on a retiré de la Loi sur les chemins de fer toutes les dispositions portant sur les liens entre les entreprises de télécommunication et les municipalités pour en confier la responsabilité au CRTC.

[89] Sauf pour ce qui est du retrait de certaines exigences précises du cadre régissant l'accès (par exemple, l'exigence que les poteaux soient « aussi droits [...] que possible », que « dans les villes, ils doivent être peints » et qu'on ne peut abattre les arbres cultivés pour leur ombrage, les arbres fruitiers et les arbres d'ornement sans nécessité), le seul changement important était d'en étendre la portée et de remplacer les lignes télégraphiques ou téléphoniques par le terme « ligne de transmission » qui apparaît maintenant. Le législateur aurait pu utiliser un libellé plus vaste et renoncer à l'idée d'une ligne s'il voulait viser la technologie sans fil. Il ne s'agit manifestement pas d'un oubli car, comme l'a souligné le CRTC, la technologie sans fil était bien connue à l'époque. En fait, la définition du terme « installation de transmission » à l'article 2 de la Loi comprend manifestement les technologies de transmission sans fil : on y mentionne non seulement les fils et les câbles, mais aussi les systèmes radio, optiques ou électromagnétiques. Dans la Loi sur la radiocommunication, les termes « radiocommunication » ou « radio » sont définis comme suit : « Toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature, au moyen d'ondes électromagnétiques [...] ». Il peut donc s'agir de transmission d'ondes sans fil. Par contre, la Loi ne définit pas le terme « ligne de transmission », et on doit supposer qu'il s'agit d'une sorte d'installation de transmission.

[90] Il est utile de souligner que le terme « installation de transmission » n'est pas le seul à renvoyer expressément à toutes les méthodes de transmission. La définition du terme « télécommunication » (et ses nombreux dérivés) comprend aussi les installations et les procédés techniques de transmission sans fil. Il est également intéressant de constater que les articles 42 (travaux ordonnés par le Conseil) et 46 (expropriation) de la Loi s'appliquent à toutes les installations de télécommunication (et donc aux installations de transmission), alors que les articles 43 et 44, qui portent sur le droit limité d'accès aux lieux de la municipalité, ne s'appliquent qu'aux lignes de transmission. Il en va de même de l'article 45, qui donne au propriétaire d'un terrain le droit de demander des travaux de drainage ou de canalisation « sur le terrain servant aux lignes de transmission [...] ou au‐dessus, au‐dessous ou aux abords de ces terrains », et du paragraphe 67(1), qui autorise le Conseil à fixer des normes notamment sur la hauteur des lignes de transmission.

[91] L'appelante a beaucoup insisté sur l'idée de la « neutralité technologique » et a affirmé que le législateur y avait accordé une grande importance lorsqu'il a rédigé la Loi. Il y en a bien peu de preuve dans les débats parlementaires. Quoi qu'il en soit, cette neutralité technologique se présente sous la forme de termes comme « installation de transmission » et « télécommunication », qui reçoivent une définition vaste de façon à viser toutes les technologies. Encore une fois, l'expression « ligne de transmission » a un sens bien plus étroit : il faut résister à l'envie d'en élargir l'interprétation au‐delà de son sens ordinaire en invoquant un principe dont la Loi tient compte ailleurs.

[92] De même, l'appelante affirme qu'il faut interpréter le terme « ligne de transmission » d'une façon dynamique qui évolue et que le CRTC l'a interprété d'une façon figée dans le temps. Il ne fait pas de doute qu'il faut interpréter les lois en tenant compte des changements de circonstances. C'est particulièrement vrai dans le cas des lois constitutionnelles et quasi constitutionnelles, parce qu'elles doivent perdurer et qu'il est difficile de les modifier. Cela dit, il faut prendre soin de ne pas modifier la loi sous prétexte de l'interpréter. Il est évidemment difficile de trouver le juste milieu entre ces deux préoccupations importantes.

[93] La Cour suprême nous fournit de l'aide à ce sujet. Dans la décision Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, 1984 CanLII 23 aux pp. 264-265 (Perka), la Cour a d'abord affirmé qu'il faut en général interpréter les termes d'une loi selon le sens qu'ils avaient au moment de son adoption. Comme l'a dit la Cour, cela ne signifie pas que tous les termes de toutes les lois doivent toujours se limiter à leur sens initial. Les catégories générales et les formulations législatives générales, par exemple, doivent pouvoir évoluer pour tenir compte des changements de circonstances. La Cour a depuis signalé que, même dans le cas d'une disposition constitutionnelle, il faut tout d'abord se pencher sur le libellé (voir Québec (Procureure générale) c. 9147‐0732 Québec inc., 2020 CSC 32, 451 D.L.R. (4th) 367 aux paras. 8-10; Colombie‐Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 41, 1994 CanLII 81 à la p. 88). Dans la décision Perka, la Cour a expressément prévenu de ne pas donner à un terme technique un nouveau sens qui s'éloignerait de l'intention du législateur au moment de l'adoption de la Loi :

[...] Mais lorsque, comme en l'espèce, le législateur a délibérément choisi un terme scientifique ou technique précis pour désigner une classe tout aussi précise et particulière de choses, ce serait faire violence à l'intention du législateur que de donner un sens nouveau à un tel terme chaque fois qu'il y a un changement de consensus taxinomique chez les membres de la communauté scientifique concernée. [...]

Perka aux pp. 265-266. Voir également R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402 au para. 61 et Canada c. Cheema, 2018 CAF 45, [2018] 4 R.C.F. 328 au para. 74.

[94] En l'espèce, ces principes étayent l'interprétation qu'a faite le Conseil du terme « ligne de transmission ». Ce terme est précis et le contexte est technique.

[95] Il faut supposer que le législateur a délibérément établi la distinction entre différentes méthodes de transmission. Lorsqu'il a décidé d'élargir les différents genres de lignes de communication dans la Loi sur les chemins de fer par le concept plus général de « ligne de transmission », il aurait pu aller plus loin et viser toutes les méthodes de transmission, par câble et sans fil. Il a décidé de ne pas le faire, et il a établi avec soin dans la Loi une distinction entre les installations de transmission et les lignes de transmission. C'était un choix délibéré. La distinction fondamentale entre la transmission radio dans l'espace (sans fil) et la transmission au moyen d'un guide artificiel (par câble) était bien connue en 1993 et n'a pas changé depuis. Les Cours doivent respecter cette décision et la mettre en oeuvre. Comme l'a dit la Cour suprême dans Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 au para. 81 : « lorsque des termes différents sont employés dans un même texte législatif, il faut considérer qu'ils ont un sens différent ».

[96] La Cour suprême a respecté cette présomption d'uniformité d'expression dans Barrie où il fallait décider si l'expression « la structure de soutien d'une ligne de transmission » au paragraphe 43(5) de la Loi était assez vaste pour que le CRTC ait compétence sur les poteaux électriques. La Cour suprême a conclu que ce paragraphe ne pouvait avoir le sens large que lui avait donné le CRTC et qu'avait appuyé l'Association canadienne de télévision par câble (ACTC). Elle a constaté qu'une ligne de transmission transporte l'électricité sur de grandes distances avec des pertes mineures, alors qu'une ligne de distribution transporte moins de 50 kV d'électricité sur de courtes distances. Les poteaux électriques auxquels l'ACTC voulait avoir accès n'étaient pas des lignes de transmission, mais des lignes de distribution. La Cour suprême était donc d'accord avec les entreprises d'électricité, parce qu'il fallait supposer que le législateur connaissait cette distinction. Comme l'a affirmé la Cour : « [s]'il avait voulu que les poteaux électriques des Services publics relèvent de la compétence du CRTC par application du par. 43(5), le législateur aurait utilisé le terme ‟ligne de distribution” » (Barrie au para. 25). Il en va manifestement de même des termes « lignes de transmission » et « installation de transmission ». Il faut supposer que des termes différents dans une loi ont des sens différents, surtout s'il s'agit de termes techniques.

[97] La seule autorité que Telus tente d'invoquer pour soutenir le contraire tient dans les motifs dissidents du juge Rothstein dans Entertainment Software. Le juge Rothstein avait rejeté la thèse voulant que les mots « communiquer » et « transmettre », qui apparaissent tous deux dans la Loi sur le droit d'auteur, doivent avoir des sens différents, parce qu'ils ne sont pas interchangeables dans la Loi. Il ne voyait pas pourquoi, eu égard au contexte, il fallait écarter le chevauchement sémantique des deux mots. Toutefois, les juges majoritaires ne pouvaient se rallier au juge Rothstein à cet égard (aux paras. 31-34). Comme l'a fait valoir l'ÉC, la thèse de Telus ne tient pas compte d'une différence, c'est‐à‐dire que dans Entertainment Software, la Cour devait se pencher sur deux termes qui n'étaient pas définis (« transmettre » et « communiquer »), alors qu'en l'espèce, la Loi définit l'un des termes en cause (« installation de communication ») et utilise aussi l'autre terme, qu'elle ne définit pas (« ligne de transmission »). Il est d'autant plus difficile de comprendre pourquoi, dans un tel cas, le législateur aurait déformé le sens d'un terme qu'il ne définit pas, comme l'affirme Telus, alors qu'il aurait pu simplement utiliser le terme défini, plus vaste et plus dynamique, pour arriver au même résultat. La conclusion inévitable est que le législateur ne voulait pas que les articles 43 et 44 de la Loi s'appliquent aux installations sans fil.

[98] Lorsqu'on interprète le terme « ligne de transmission » aux articles 43 et 44 de la Loi, il faut également tenir compte du cadre réglementaire pour l'installation d'antennes dans la Loi sur la radiocommunication. Comme nous l'avons déjà vu, ces deux lois sont liées entre elles et doivent avoir une interprétation compatible.

[99] La Loi sur la radiocommunication dispose que le ministre approuve l'emplacement d'« appareils radio ». Selon l'article 2 et l'alinéa 5(1)f) de cette loi, ce terme signifie un dispositif pouvant servir à la télécommunication, y compris les systèmes d'antennes. Il est plus qu'évident que ce régime légal ne s'applique qu'à la technologie sans fil, puisque la définition du terme « radiocommunication » renvoie à des ondes électromagnétiques « transmises dans l'espace sans guide artificiel » (à l’art. 2). En d'autres mots, le ministre approuve les sites des antennes, de quelque taille que ce soit, mais aucune approbation n'est nécessaire dans le cas d'installations par câble. Par contre, la Loi sur la radiocommunication ne donne pas aux propriétaires d'appareils radio un droit semblable à celui qu'ont les entreprises de télécommunication d'avoir accès aux lieux municipaux pour y installer leurs lignes de transmission. Il faut obtenir l'accès aux lieux approuvés par le ministre en négociant avec le propriétaire, quel qu'il soit. La Cour suprême décrit bien ce régime dans la décision Châteauguay aux paragraphes 6 à 23.

[100] Ce régime double existe depuis l'adoption de la Loi sur la radiocommunication en 1989, et rien n'indique que le législateur ait voulu, à quelque moment que ce soit, renoncer à ces régimes parallèles. En fait, la définition du terme « radiocommunication » qui se trouvait dans la Loi sur la radio (L.R. 1985, c. R-2, art. 1) n’a pas été modifiée par la Loi sur la radiocommunication, et la définition du terme « télécommunication », qui était la seule dans la Loi sur la radiocommunication à mentionner les installations filaires, a été supprimée en 1993 lorsqu'on a adopté la Loi sur les télécommunications. De plus, Telus n'a présenté, dans ses observations écrites et orales, aucune raison fondée sur des principes pour faire de distinction entre les petites et grandes cellules. Il s'agit dans les deux cas d'installations sans fil et le ministre doit en approuver l'emplacement : il n'y a pas de droit limité d'accès soumis à la supervision du CRTC.

(3) Les objectifs de politique du législateur

[101] Pour discuter de l'incidence des objectifs de politique sur l'interprétation des lois, un bon point de départ est l'avertissement suivant de la Cour suprême dans la décision Barrie. Tout en reconnaissant que « [c]es objectifs précisent dans une certaine mesure l'objectif du cadre législatif dans son ensemble et sont souvent pertinents pour la prise des décisions du CRTC », la Cour suprême a affirmé qu'il faut se méfier d'un recours excessif à cette source extrinsèque :

La prise en considération des objectifs législatifs est l'un des aspects de l'approche moderne en matière d'interprétation des lois. Cependant, les cours de justice et les tribunaux administratifs doivent avoir recours aux énoncés d'intention pour établir, et non pas pour contrecarrer l'intention du législateur. À mon avis, le CRTC s'est fondé sur les objectifs de politique pour écarter l'intention du législateur qui ressort clairement du sens ordinaire du par. 43(5), de l'art. 43 dans son ensemble et de la Loi considérée comme un tout. En effet, le CRTC a considéré les dispositions énonçant ces objectifs comme étant des dispositions attributives de pouvoir. C'était une erreur.

Barrie au para. 42

[102] C'est en tenant compte de ces principes que j'examine maintenant les diverses observations de Telus au sujet des politiques. Dans son mémoire, Telus affirme que le CRTC doit avoir compétence sur toutes les installations de télécommunication, peu importe la technologie utilisée, pour atteindre son objectif légal de rendre la réglementation des télécommunications plus moderne. Telus renvoie aussi aux deux directives de politique du Cabinet, DORS/2006‐355 et DORS/2019‐227, pour affirmer que le CRTC doit s'assurer que le régime réglementaire soit neutre quant à la technologie. Outre le fait que ces deux directives, si on les lit attentivement, ne peuvent être interprétées comme le fait Telus, la réponse simple à l'observation de Telus est que des directives de politique ne peuvent l'emporter sur le libellé clair de la Loi. Mais il y a plus.

[103] Les objectifs généraux de la Loi et de la Loi sur la radiocommunication sont énoncés de façon presque identique : favoriser le développement ordonné et le fonctionnement efficace des télécommunications et de la radiocommunication au Canada (la Loi à l’alinéa 7a) et la Loi sur la radiodiffusion au para. 5(1) respectivement). Le législateur a néanmoins choisi d'atteindre cet objectif au moyen de deux cadres parallèles, mais distincts, qui diffèrent quant à l'accès aux lieux municipaux. À mon avis, il faut respecter cette décision, pour plusieurs raisons.

[104] D'abord, comme nous l'avons déjà dit, le libellé de la Loi est clair et ne permet pas d'étendre l'application des articles 43 et 44 aux installations sans fil, comme le voudrait Telus. Pour ce faire, il faudrait ne pas tenir compte du libellé que le législateur a délibérément et soigneusement choisi et de la distinction entre les deux régimes qu'il a méticuleusement établie. En fait, cela créerait un chevauchement de la compétence du ministre et de celle du CRTC et augmenterait le risque de conflit d'application entre les deux lois. Comme l'a affirmé la FCM dans son mémoire au paragraphe 64 : [TRADUCTION] « le législateur serait alors réputé, d'une part, avoir interdit l'installation d'antennes sans l'autorisation du ministre et, d'autre part, avoir accordé aux entreprises de télécommunication le droit d'installer des antennes sur des emprises municipales, le CRTC étant l'arbitre en cas de litige ». La distinction inexpliquée et injustifiée que veut faire Telus entre les grandes et les petites antennes exacerberait le problème; seules les petites antennes seraient visées par le régime d'accès soumis à la supervision du CRTC.

[105] Il est tout à fait légitime que le législateur tienne compte d'une multitude de facteurs, tels que la santé, l'interférence et la capacité, en établissant la portée de la Loi et en fixant la frontière entre les pouvoirs du ministre et la compétence du CRTC. Bien qu'il n'y ait que peu d'éléments de preuve dans le dossier sur ces questions, on peut supposer que le législateur les avait en tête lorsqu'il a soigneusement établi la distinction entre les deux régimes, quant à l'accès aux lieux publics et privés et quant aux installations par câble et sans fil. Il ne revient pas à la Cour de revoir cette frontière.

[106] Un autre facteur important est l'équilibre entre les compétences fédérales et provinciales. Il ne fait aucun doute que les provinces ont le pouvoir constitutionnel de réglementer les administrations publiques locales, comme les municipalités, et, dans une certaine mesure, des services publics, afin de soutenir le développement des installations de télécommunication. En fait, plusieurs provinces ont adopté des lois pour réglementer l'accès aux installations de télécommunication par câble et sans fil réglementées par la province : voir, par exemple, la loi intitulée Public Utilities Act, R.S.N.S. 1989, ch. 380 à l’art. 77 (Nouvelle‐Écosse), la Loi sur certaines installations d'utilité publique, ch. I‐13 à l’art. 2 (Québec) et la loi intitulée Utilities Commission Act, R.S.B.C. 1996, ch. 473 à l’art. 70 (Colombie‐Britannique). L'Ontario a récemment adopté une loi qui porte expressément sur la réalisation accélérée de projets d'Internet à haute vitesse : la Loi de 2021 soutenant l'expansion de l'Internet et des infrastructures, L.O. 2021, ch. 2, annexe 1 à l’art. 1.

[107] À titre d'intimé dans le présent appel, le gouvernement de la Colombie‐Britannique s'est opposé à l'interprétation du terme « ligne de transmission » qui ferait en sorte que les installations sans fil soient visées par les articles 43 et 44 de la Loi, au motif qu'il perdrait une source importante de recettes. Selon l'article 62 de la loi de la Colombie‐Britannique intitulée Transportation Act, S.B.C. 2004, ch. 44, toute personne qui souhaite utiliser les voies publiques provinciales doit conclure une entente avec le ministre des Transports et de l'Infrastructure, ce qui peut comprendre le paiement de frais. Les frais ne peuvent être inférieurs au loyer selon le marché. Pour les télécommunications par câble, cependant, la province ne peut recouvrer des entreprises de télécommunication que les coûts causaux et directs en raison d'une décision du CRTC portant sur la ville de Vancouver (voir la décision du CRTC 2001‐23, « Ledcor/Vancouver — Construction, exploitation et entretien de lignes de transmission à Vancouver »). Le CRTC a ensuite préparé un accord type d'accès municipal qui tient compte des principes exposés dans la décision Ledcor (Décision de télécom CRTC 2013‐618).

[108] Je ne doute pas que le législateur fédéral pourrait réglementer l'accès aux installations municipales et aux poteaux des services publics afin que les entreprises de télécommunication y mettent des installations sans fil, s'il le souhaitait. La réglementation des entreprises de télécommunication (exploitées dans plus d'une province) et de la radiocommunication est, selon son caractère véritable, une question de compétence fédérale exclusive (voir In re Regulation and Control of Radiocommunication in Canada, [1932] A.C. 304; Capital Cities Comm. c. C.R.T.C., [1978] 2 R.C.S. 141; Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 1989 CanLII 78, [1989] 2 R.C.S. 225; Téléphone Guèvremont Inc. c. Québec (Régie des télécommunications), 1994 CanLII 130, [1994] 1 R.C.S. 878; Châteauguay au para. 42). Le législateur provincial a compétence sur les municipalités, les lieux privés, les installations locales et l'aménagement du territoire, et ses lois peuvent s'appliquer à certains aspects des entreprises fédérales, tant qu'elles ne régissent pas un aspect soumis à la compétence principale du fédéral (Construction Montcalm Inc. c. Com. Sal. Min., 1978 CanLII 18, [1979] 1 R.C.S. 754; Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 1988 CanLII 81, [1988] 1 R.C.S. 749).

[109] Animé par l'esprit du fédéralisme coopératif, le législateur fédéral n'a pas épuisé sa compétence constitutionnelle. Cela est conforme à l'approche préconisée par la Cour suprême afin que l'interprétation et l'application du partage des compétences soient souples (voir, par exemple, Châteauguay aux paras. 37-39; Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53, [2015] 3 R.C.S. 419 au para. 23). Cette approche favorise une interprétation des lois fédérales et provinciales parallèles qui leur permet d'avoir toutes deux effet. Dans la décision Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189 au paragraphe 17, la Cour suprême a cité ce qu'elle avait dit dans Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327 au paragraphe 27 (Moloney) : « le Parlement a voulu que ses lois coexistent avec les lois provinciales ».

[110] L'expérience de la Colombie‐Britannique (et d'autres provinces) indique que cette approche fonctionne bien et justifie le choix du législateur fédéral. Non seulement elle permet à la province de percevoir des recettes pour l'installation d'infrastructure sans fil mobile sur les servitudes provinciales et les installations municipales, mais il n'y a aucun vide, puisque les modalités selon lesquelles les entreprises de télécommunication peuvent avoir accès aux poteaux et aux installations de transmission appartenant à BC Hydro pour y mettre l'infrastructure sans fil mobile sont régies par la commission des services publics de la Colombie‐Britannique (Utilities Commission Act, R.S.B.C. 1996, ch. 473 à l’art. 70). Il semble donc qu'un système qui respecte le rôle important de chaque palier est valable et utile. À plusieurs égards, les municipalités et les services publics sont dans une meilleure position que le CRTC pour coordonner et assurer l'équilibre, la sécurité et l'accès équitable à leurs installations.

[111] En fait, le CRTC a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que les municipalités entravent l'installation des réseaux 5G. Au paragraphe 475 de sa décision, le CRTC affirme :

Les parties n'ont pas fourni d'élément de preuve convaincant pour démontrer que les municipalités agissent systématiquement comme des obstacles au déploiement. Si certaines entreprises de services sans fil ont donné des exemples de retards qu'elles ont encourus dans l'obtention d'autorisations municipales, cet élément de preuve ne démontre pas qu'il existe une tendance au refus par les municipalités qui nécessiterait une intervention corrective de la part du Conseil.

[112] Cette conclusion de fait, qui commande une retenue considérable et ne peut faire l'objet d'un appel, n'est guère surprenante. Après tous, les municipalités ont le même objectif que les entreprises de télécommunication et connaissent l'importance de communications améliorées pour le bien‐être de leur population et la prospérité de leur communauté. On constate que les craintes des entreprises que l'installation de la nouvelle technique pourrait être à risque si le droit d'accès limité aux articles 43 et 44 de la Loi ne s'applique pas aux installations sans fil mobiles rappellent les observations qu'elles ont faites il y a 20 ans au sujet de l'accès aux poteaux électriques. À l'époque, la Cour suprême a rejeté la thèse apocalyptique des entreprises voulant que si le CRTC n'a pas compétence sur les poteaux électriques, alors il faudra installer partout dans la province un réseau parallèle de poteaux de télévision par câble, et a répondu qu'il existait d'autres méthodes, contractuelles et réglementaires. La même réponse convient toujours.

[113] Si le passé est garant de l'avenir, il n'y a aucune raison de craindre que les entreprises de télécommunication et les municipalités ne puissent conclure des ententes avantageuses pour toutes deux pour permettre l'installation de petites cellules et d'autre matériel 5G aux lieux municipaux. Après tout, les nombreuses antennes sans fil installées sous le régime légal présent témoignent de la coopération des municipalités et des entreprises une fois que le ministre a approuvé l'emplacement d'une antenne, comme le souligne la Cour suprême dans la décision Châteauguay au paragraphe 73. La preuve au dossier indique que la mise en place des installations de télécommunication — par câble et sans fil — a procédé rapidement, sans faire l'objet d'obstacles ou de retards importants en raison d'obstruction municipale. En fait, les entreprises n'ont pu présenter à la Cour de preuve à l'appui de leurs craintes d'effets fâcheux sur l'installation méthodique des réseaux 5G ou de décisions arbitraires par les municipalités si le CRTC ne peut régler les litiges sur l'accès.

[114] On s'attendrait également à ce que le législateur intervienne si les craintes des entreprises de télécommunication se réalisent. En fait, le gouvernement fédéral a nommé en 2018 un groupe d'examen externe, le Groupe d'examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications, afin qu'il examine le cadre légal des communications canadiennes et recommande des modifications. Il convient de souligner que Telus et les autres entreprises ont affirmé au groupe d'examen qu'il faudrait modifier la Loi afin de préciser que les droits d'accès aux articles 43 et 44 s'appliquent à l'installation, à l'exploitation et à l'entretien d'installations de transmission sans fil (Telus) ou de télécommunication sans fil (Rogers) (voir le document de Telus intitulé Review of the Canadian Communications Legislative Framework — Submission of TELUS Communications Inc.,11 janvier 2019 aux pp. 27-32; voir également l'Avis de consultation de télécom CRTC 2019‐57, « Examen des services sans fil mobiles », intervention de Rogers Communications Canada Inc., 15 mai 2019 au para. 438.

[115] Dans son rapport final, le groupe d'examen a recommandé que le CRTC ait compétence sur toutes les questions liées à l'accès, pour les installations par câble et sans fil, et que le ministre confie au CRTC l'encadrement du processus des emplacements des antennes de radiocommunication et de radiodiffusion (Groupe d'examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications, L'avenir des communications au Canada : le temps d'agir, janvier 2020, recommandation 36). Le législateur n'a toujours pas adopté l'une des modifications légales découlant des nombreuses recommandations du groupe d'examen.

[116] J'en tire trois conclusions. Premièrement, trois ans se sont passés depuis ces recommandations, et pourtant le gouvernement n'a déposé au Parlement aucune modification au cadre légal des télécommunications au Canada. Cela laisse penser que le gouvernement ne s'attend pas à ce qu'il y ait de risque ou d'obstacle importants à la mise en place d'un réseau 5G partout au Canada. Deuxièmement, on peut supposer que les experts membres du groupe d'examen savaient que le terme « ligne de transmission » ne vise pas les installations sans fil et que les articles 43 et 44 ne s'appliquent pas aux petites cellules nécessaires pour mettre en place le réseau 5G; sinon, aucune modification légale ne serait nécessaire. Troisièmement, si jamais il faut modifier la Loi, parce que la législation en place n'est pas bien adaptée aux nouvelles techniques ou en raison de difficultés commerciales imprévues, le législateur est mieux placé que les cours pour s'occuper du problème et pour établir le meilleur compromis.

[117] Pour tous ces motifs, j'estime que le CRTC n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a interprété le terme « ligne de transmission » et lorsqu'il a conclu que les articles 43 et 44 de la Loi ne lui donnent pas la compétence de trancher des litiges portant sur les installations de transmission sans fil mobiles.

B. Le CRTC a‐t‐il outrepassé sa compétence en imposant l'itinérance transparente aux entreprises nationales?

[118] Pour mieux comprendre ce qui suit, il faut savoir ce qui est en jeu. Dans sa décision, le CRTC définit les « services d'itinérance de gros » comme les services de gros qui « s'adressent aux entreprises de services sans fil qui recherchent un accès temporaire à un RAR [réseau d'accès radioélectrique] pour servir leurs clients lorsqu'ils se déplacent en dehors de la zone de couverture du réseau de leur fournisseur » (décision du CRTC au para. 182). En d'autres mots, l'itinérance de gros permet au client d'un fournisseur sans fil de continuer d'avoir un service sans fil mobile en utilisant le réseau d'un autre fournisseur sans fil lorsqu'il se déplace en dehors de la zone de couverture de son propre fournisseur. Dans sa décision de 2015, le CRTC avait conclu que la fourniture de services d'itinérance de gros était un « service essentiel » selon son critère en trois volets des « services essentiels » (la décision PRT 2015‐177 aux paras. 99-106).

[119] Lors de sa décision de 2015, toutefois, le CRTC a conclu qu'il n'y avait pas assez de preuve pour imposer l'« itinérance transparente » comme condition de service. Cependant, en 2021, en raison de l'évolution de la technologie sans fil et du marché des services sans fil, le CRTC a décidé d'exiger la fourniture de l'itinérance transparente afin de réduire les obstacles à l'entrée sur le marché et d'assurer que des services de télécommunication de haute qualité abordables soient offerts dans toutes les régions du Canada. Il a conclu que cela serait compatible avec les objectifs aux alinéas 7a), 7b) et 7c) de la Loi. Le Conseil a défini l'itinérance sans fil comme suit :

L'itinérance transparente implique la transmission et la réception des appels et données vers et depuis d'autres réseaux sans aucune interruption de service. En l'absence d'une telle capacité, lorsqu'un abonné d'une entreprise régionale de services sans fil sort de la zone de couverture du réseau de cette entreprise et entre dans la zone desservie par une entreprise auprès de laquelle l'entreprise régionale de services sans fil a acheté des services d'itinérance de gros, les appels et les transferts de données de l'abonné sont interrompus. (Décision du CRTC au para. 392)

[120] Telus soutient qu'en ordonnant aux entreprises nationales de fournir des services d'itinérance transparente, le CRTC a outrepassé sa compétence : il a, en fait, modifié les conditions des licences délivrées par le ministre. Seul le ministre peut modifier ces conditions (Loi sur la radiocommunication à l’alinéa 5(1)b)), et le CRTC ne peut donc imposer une condition contradictoire. Les conditions de la licence excluent expressément l'itinérance transparente (Conditions de licence au para. 38). Selon Telus, le CRTC prétend donc modifier les conditions de la licence du ministre en imposant l'itinérance transparente. Les pouvoirs du ministre au titre du paragraphe 5(1) de la Loi sur la radiocommunication ne sont pas soumis à la Loi ou aux décisions, aux conditions et aux règlements du CRTC. Telus affirme également que le ministre est responsable des décisions de politique au sujet des conditions des licences de spectre parce que la Loi sur le ministère de l'Industrie accorde au ministre une vaste compétence sur les télécommunications (alinéa 4(1)k)). Par conséquent, la décision du CRTC d'imposer l'itinérance transparente n'a aucun fondement juridique.

[121] Telus affirme également que le CRTC ne peut imposer des conditions qui sont en conflit avec celles de la licence du ministre. Elle affirme que le CRTC doit exercer ses compétences en tenant compte du cadre plus général et respecter les limites imposées par les lois liées entre elles. Telus affirme qu'il y a maintenant un conflit d'application, parce que deux régimes légaux donnent des réponses différentes à la question de l'itinérance transparente. Telus ne peut respecter à la fois les conditions de sa licence et la décision du CRTC qu'en [TRADUCTION] « renonçant à la protection » — c'est‐à‐dire le droit de ne pas offrir l'itinérance transparente — que lui accorde le ministre. Cela est contraire à la jurisprudence de la Cour suprême.

[122] Enfin, Telus affirme que l'exigence sur l'itinérance transparente du CRTC contrecarre l'intention du législateur, parce que son intention, selon la Loi sur la radiocommunication, était que le ministre ait le pouvoir décisionnel exclusif de réglementer les licences de spectre et d'en établir les conditions. L'excès de compétence du CRTC en modifiant les conditions de la licence contrecarre cette intention.

[123] Bell et Rogers appuient en général les observations de Telus et soulignent que la Loi ne donne pas au CRTC le pouvoir d'établir des conditions tarifaires qui sont en conflit avec l'application ou l'intention de la Loi sur la radiocommunication ou la Loi sur le ministère de l'Industrie. Lorsqu'il établit les conditions des licences, le ministre ne doit pas tenir compte des mêmes objectifs de politique que le CRTC; il doit plutôt tenir compte des objectifs énoncés à l'article 5 de la Loi sur le ministère de l'Industrie. C'est ce que le ministre a fait lorsqu'il a décidé de ne pas exiger l'itinérance transparente. Bell et Rogers affirment que le CRTC n'a pas tenu compte de l'analyse de la politique qu'a faite le ministre lorsqu'il a décidé de favoriser d'autres objectifs de politique et que le CRTC a donc contrecarré les objectifs de la Loi sur la radiocommunication et la Loi sur le ministère de l'Industrie. En fait, elles affirment que le CRTC tente de rétablir l'exigence de l'itinérance transparente en catimini, alors que le ministre a expressément et délibérément rejeté cette exigence.

[124] À mon avis, il faut rejeter ces observations, pour plusieurs raisons. Bien qu'il n'y ait pas de doute que seul le ministre peut modifier les conditions d'une licence de spectre délivrée au titre de l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la radiocommunication, à mon avis, il faut interpréter cet alinéa en tenant compte du contexte plus vaste de la Loi et de la Loi sur le ministère de l'Industrie. Lorsqu'on tient compte ensemble des dispositions pertinentes de ces trois lois, on ne peut les interpréter comme retirant au CRTC sa compétence en matière de services de télécommunication. Au contraire, le ministre et le CRTC exercent chacun leurs pouvoirs en vue d'atteindre des objectifs complémentaires. Si on en tient compte, il est clair que le CRTC ne tentait pas de modifier les conditions de licence du ministre lorsqu'il a imposé l'itinérance transparente; il exerçait plutôt sa propre compétence au titre de l'article 24 de la Loi.

[125] D'abord, on ne peut sérieusement affirmer (comme Telus le voudrait) que l'alinéa 4(1)k) de la Loi sur le ministère de l'Industrie accorde au ministre une compétence plénière sur les télécommunications. Le paragraphe 4(1) dispose expressément que les pouvoirs pléniers du ministre sur les télécommunications sont ceux « non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux ». Le CRTC a de tels pouvoirs au titre du paragraphe 12(2) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C‐22, qui attribue au CRTC « les attributions que la Loi sur les télécommunications [...] confèrent ». Plus précisément, l'article 24 de la Loi accorde au CRTC le pouvoir d'établir les conditions pour l'offre et la fourniture des services de télécommunication par une entreprise canadienne.

[126] Il n'y a pas de doute que les services d'itinérance de gros sont des services de télécommunication selon l'article 2 de la Loi, parce qu'il s'agit manifestement d'un « [s]ervice fourni au moyen d'installations de télécommunication ». Le Conseil a donc agi conformément à sa compétence lorsqu'il a ordonné, en 2015, aux entreprises de télécommunication nationales de fournir des services d'itinérance de gros aux autres entreprises. Et selon l'article 24 de la Loi, il pouvait établir les conditions pour ce service. S'il met en oeuvre la politique canadienne de télécommunication énoncée à l'article 7 de la Loi, le CRTC « peut assujettir la fourniture d'un service [de télécommunication] à toutes conditions » (Bell Canada c. Bell Aliant Communications régionales, 2009 CSC 40, [2009] 2 R.C.S. 764 au para. 36 (souligné dans l'original)).

[127] C'est exactement ce que le Conseil a fait lorsqu'il a ordonné aux entreprises nationales de fournir des services d'itinérance de gros. Par exemple, il a conclu que les tarifs pour ces services doivent être fixés selon la méthode d'établissement des coûts de la Phase II (la décision PRT 2015‐177 au para. 139). De même, le Conseil a interdit aux fournisseurs de services d'itinérance de gros d'empêcher les entreprises de services sans fil de divulguer l'identité de leurs fournisseurs de services d'itinérance de gros à leurs clients actuels ou potentiels (décision PRT 2015-177, au para. 148). L'itinérance transparente imposée dans la décision de 2021 n'est qu'une autre de ces conditions.

[128] Il n'y a rien d'anormal ou d'inhabituel à ce qu'une activité ou une personne — physique ou morale — soit soumise à plus d'une autorité réglementaire, y compris au même palier de l'État. Dans le Renvoi relatif à la Politique, au paragraphe 37, la Cour suprême a reconnu que bien que la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur le droit d'auteur visent des objectifs différents, les sujets dont elles traitent se recoupent inévitablement. On peut en dire autant de la Loi, de la Loi sur la radiocommunication et de la Loi sur le ministère de l'Industrie.

[129] En raison de la Loi sur le ministère de l'Industrie, la Loi sur la radiocommunication et le Règlement sur la radiocommunication, le ministre est responsable de la gestion du spectre au Canada. Selon le sous‐alinéa 5(1)a)(i.1) de la Loi sur la radiocommunication, le ministre établit les fréquences que l’on peut utiliser, les personnes qui peuvent les utiliser et les fins pour lesquelles on peut les utiliser. En administrant cette ressource publique limitée, le ministre tient compte du « Cadre de la politique canadienne du spectre ». Le seul objectif de politique dans ce document est le suivant : « Maximiser, pour les Canadiens et les Canadiennes, les avantages économiques et sociaux découlant de l'utilisation du spectre des radiofréquences » (Cadre de la politique canadienne du spectre à la p. 8). Les fonctions essentielles du ministre et de son ministère sont donc d'élaborer des politiques et des procédures pour le spectre pour assurer une administration efficace du spectre des fréquences radioélectriques (Industrie Canada, Gestion du spectre et télécommunications, DGSO‐001‐13, « Cadres révisés d'itinérance obligatoire et de partage obligatoire des pylônes d'antennes et des emplacements », mars 2013 au para. 4).

[130] Les pouvoirs du ministre se limitent donc au fonctionnement de la radiocommunication, alors que le CRTC est responsable de la réglementation des services de télécommunication. En exerçant ses pouvoirs, le ministre peut tenir compte de tout ce qu'il juge pertinent « afin d'assurer la constitution ou les modifications ordonnées de stations de radiocommunication ainsi que le développement ordonné et l'exploitation efficace de la radiocommunication au Canada » (Loi sur la radiocommunication au para. 5(1)). Cette loi définit ainsi le terme « radiocommunication » : « Toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature, au moyen d'ondes électromagnétiques de fréquences inférieures à 3 000 GHz transmises dans l'espace sans guide artificiel. » Ce n'est qu'une des façons par lesquelles on peut transmettre des signaux. Il s'agit donc d'un sous‐groupe de la « télécommunication », qui est, selon la Loi : « La transmission, l'émission ou la réception d'information soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout autre procédé technique semblable. »

[131] Bref, un examen attentif de tout le régime légal sur la radiocommunication et la télécommunication au Canada démontre que le ministre et le CRTC exercent des pouvoirs différents sur des entités différentes à des fins différentes. Ces pouvoirs sont complémentaires et se chevauchent parfois, et le fait que le ministre et le CRTC peuvent arriver à des conclusions différentes sur un sujet donné ne signifie nullement que l'un empiète sur la compétence de l'autre. C'est plutôt parce qu'ils arrivent à des conclusions différentes en tenant compte de leurs points de vue différents afin d'atteindre les objectifs de politique différents.

[132] Qu'en est‐il alors de l'observation que le CRTC a imposé aux termes de la Loi une condition qui entre en conflit avec les conditions de la licence délivrée par le ministre aux termes de la Loi sur la radiocommunication? Comme je l'ai déjà dit, Telus affirme qu'il y a un conflit entre les conditions de la licence du ministre et la décision du CRTC, puisque les premières n'exigent pas que Telus fournisse l'itinérance transparente, alors que la seconde l'exige. Telus reconnaît qu'elle peut respecter à la fois les conditions de la licence et la décision du CRTC, mais qu'elle devrait alors « renoncer » à la liberté qui serait accordée aux titulaires de licences de spectre de ne pas fournir l'itinérance transparente. À mon avis, l'observation de Telus repose sur une interprétation incorrecte et trop large d'un conflit légal.

[133] Le point de départ est la présomption que les lois adoptées par un palier de l'État ne sont pas contradictoires ou incohérentes. Il ne suffit pas qu'il y ait chevauchement; ce n'est que lorsque les dispositions qui se chevauchent sont incompatibles parce qu'il y a un conflit d'application ou que leurs objets sont incompatibles qu'il y a conflit. La Cour suprême s'est prononcée très clairement sur la question, même si elle n'a pas toujours utilisé les mêmes termes. Dans l'arrêt Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc. (2007 CSC 14, [2007] 1 R.C.S. 591 au paragraphe 47) le juge Bastarache (avec le consentement unanime de ses collègues à ce sujet) a affirmé « qu'il existe une présomption de cohérence législative » et qu'« une interprétation qui donne lieu à un conflit devrait être évitée dans la mesure du possible ». Il a ensuite donné l'exemple suivant d'un conflit entre deux lois :

Ainsi, une loi prévoyant que le passager d'un train qui ne paye pas son passage doit être expulsé n'est pas en conflit avec une autre loi prévoyant uniquement l'imposition d'une amende, parce que l'application d'une loi n'exclut pas l'application de l'autre loi (Toronto Railway Co. c. Paget (1909), 42 R.C.S. 488). Par contre, il y a conflit inévitable lorsque deux lois sont directement contradictoires ou que leur application concurrente donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou absurde. Par exemple, la loi qui autorise la prorogation du délai de dépôt d'un appel uniquement avant l'expiration du délai est en conflit direct avec une autre loi qui autorise l'acceptation d'une demande de prorogation après l'expiration du délai (Massicotte c. Boutin, [1969] R.C.S. 818).

[134] La Cour suprême a confirmé cette approche restrictive aux conflits dans Thibodeau c. Air Canada (2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340 (Thibodeau)). Dans cette affaire, l'appelant avait affirmé qu'il y avait un conflit entre la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C‐26, qui incorporait par renvoi la Convention de Montréal et qui prétendait interdire l'adjudication de dommages‐intérêts pour un manquement à la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.), et le paragraphe 77(4) de la Loi sur les langues officielles, qui dispose que le tribunal peut accorder la réparation qu'il estime convenable, notamment des dommages‐intérêts, en cas de manquement. La Cour a répété que les tribunaux présument que les lois adoptées par le législateur ne contiennent ni contradiction ni incohérence, sauf si les dispositions « sont à ce point incompatibles qu'elles ne peuvent coexister » (Thibodeau au para. 89). La Cour a affirmé, au paragraphe 92 :

Le cadre législatif qui régit cette question n'est pas compliqué. Premièrement, les tribunaux adoptent une interprétation restrictive de ce qui constitue un conflit dans un tel contexte. Deuxièmement, les tribunaux estiment qu'il y a conflit seulement lorsque le conflit, au sens strict du terme, ne peut être évité par l'interprétation. Le chevauchement n'est pas en soi un conflit dans ce contexte, de sorte que, même si les champs d'application de deux dispositions se chevauchent, on présume qu'elles sont censées s'appliquer, pourvu qu'elles puissent le faire sans que cela mène à un résultat absurde. Cette présomption peut être réfutée si l'une des dispositions est censée traiter la matière de façon exhaustive. [...]

Voir aussi Thibodeau aux paras. 98-99 et 110.

[135] Si j'utilise cette définition stricte d'un conflit, je ne peux voir comment les conditions de la licence et la condition du Conseil sur l'itinérance transparente peuvent être en conflit. Telus reconnaît elle‐même dans son mémoire au paragraphe 67 [TRADUCTION] « qu'en principe, elle peut satisfaire aux deux régimes en assurant l'itinérance transparente conformément à la décision du CRTC ». Cet aveu est bien fondé. Manifestement, si Telus offrait l'itinérance transparente, elle ne contreviendrait pas aux conditions de sa licence, qui n'exige pas l'itinérance transparente, mais ne l'interdit pas non plus. En fait, le ministre a affirmé que les titulaires de licence peuvent offrir l'itinérance transparente si elle découle de négociations entre des titulaires de licence (Conditions de licence au para. 38).

[136] Telus répond que les conditions de la licence du ministre devaient être un énoncé exhaustif des règles sur l'itinérance de gros et que le respect de la condition du CRTC sur l'itinérance transparente signifierait qu'elle devrait renoncer au droit que le ministre aurait accordé aux titulaires de licences de spectre de ne pas offrir l'itinérance transparente. Telus se fonde sur deux décisions de la Cour suprême du Canada, Moloney et Colombie‐Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc.(2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86 (Lafarge)).

[137] Dans la première de ces deux affaires, il y avait un conflit entre une disposition de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‐3, une loi fédérale, et une disposition de la loi de l'Alberta intitulée Traffic Safety Act, R.S.A. 2000, ch. T‐6. Il est intéressant de constater que la définition d'un conflit de lois de paliers différents de l'État est la même qu'en cas de lois du même palier : soit il y a conflit d'application, parce qu'il est impossible de respecter les deux lois, soit l'objet de la loi provinciale est incompatible avec celui de la loi fédérale (Moloney au para. 19). Selon le paragraphe 178(2) de la loi fédérale, une ordonnance de libération libère le failli de toutes réclamations prouvables en matière de faillite, et empêche donc les créanciers de faire exécuter leurs réclamations. Selon la loi provinciale, par contre, la victime d'un accident peut demander une indemnité à l'administrateur en vertu de la loi provinciale si un conducteur non assuré ne satisfait pas à un jugement en dommages‐intérêts. Le registraire peut alors suspendre le permis de conduire du débiteur jusqu'à ce que la dette constatée par jugement soit payée ou que le débiteur soit libéré de l'obligation, [TRADUCTION] « autrement que par une libération de faillite » (Moloney au para. 45). Pour la majorité des juges, il s'agissait manifestement d'un conflit d'application :

[63] En conséquence, une loi prévoit que le failli est libéré de toute réclamation prouvable en matière de faillite et interdit aux créanciers d'en exiger le paiement, alors que l'autre loi fait fi de cette libération et permet le recours à un mécanisme de recouvrement de cette créance en excluant expressément la libération de faillite. Il s'agit là d'une véritable incompatibilité. Les deux lois ne peuvent s'appliquer concurremment [...], « agir concurremment » [...] ou « coexister sans conflit » [...]. Les faits de l'espèce font bel et bien apparaître un conflit véritable dans l'application des deux dispositions. Il s'agit d'un cas où la loi provinciale dit « oui » (« l'Alberta peut exiger le paiement de cette réclamation prouvable »), tandis que la loi fédérale dit « non » (« l'Alberta ne peut exiger le paiement de cette réclamation prouvable »). La loi provinciale confère à la province un droit que nie la loi fédérale, et maintient une obligation dont le débiteur a été libéré en vertu de la loi fédérale. On ne saurait, comme le fait ma collègue, qualifier ce conflit d'« indirect » [...]. Je ne peux pas non plus qualifier de simplement « implicite » l'interdiction, clairement exprimée au par. 178(2), d'exiger le paiement d'une réclamation prouvable dont le failli a été libéré. Nul ne conteste le caractère prohibitif du par. 178(2); compte tenu du sens des termes « ordonnance de libération » et « libère », ce qu'interdit « exactement » la disposition, c'est de contraindre le failli à payer une réclamation prouvable dont il a été libéré. Il n'y a pas d'autres « ramifications possibles » à l'interdiction faite à cette disposition.

[138] En l'espèce, le ministre n'a pas prévu que les titulaires de licence étaient exonérés dans tous les cas de l'obligation d'offrir l'itinérance transparente, et il n'a pas interdit qu'on impose une telle condition. Il faut supposer que le ministre sait que le CRTC peut fixer des « conditions » à l'offre et à la fourniture de services de télécommunication, selon l'article 24 de la Loi. Si le ministre estimait qu'il pouvait imposer des conditions portant sur l'itinérance transparente, et s'il voulait interdire aux titulaires de licence d'offrir l'itinérance transparente, il aurait pu en faire une condition explicite de la licence. En l'absence d'une telle interdiction expresse, je ne crois pas qu'on puisse affirmer qu'il y a un conflit d'application, c'est‐à‐dire que les deux régimes ne peuvent s'appliquer simultanément.

[139] L'arrêt Lafarge porte également sur un conflit entre des lois de deux paliers différents, cette fois‐ci une loi fédérale et un règlement municipal. Lafarge avait obtenu de l'Administration portuaire de Vancouver (APV) l'approbation pour une nouvelle installation à construire sur un terrain que l'APV avait acquis de la ville de Vancouver. Un groupe de contribuables s'est toutefois opposé à sa construction et a présenté à la Cour suprême de la Colombie‐Britannique une requête plaidant que la ville avait refusé d'exercer sa compétence afin d'obliger Lafarge à obtenir un permis d'aménagement valide. Le projet de Lafarge n'était pas conforme au règlement municipal, qui imposait une hauteur maximale de 30 pieds. Au nom des juges majoritaires, les juges Binnie et LeBel ont conclu qu'il y avait un conflit d'application, puisque si les contribuables avaient réussi à convaincre la ville de demander une injonction afin d'empêcher la réalisation du projet de Lafarge sans permis municipal, le juge n'aurait pu donner effet en même temps à la loi fédérale et au règlement municipal. La loi fédérale aurait entraîné le rejet de la demande, alors que le règlement municipal aurait entraîné son accueil.

[140] Malheureusement, les juges majoritaires ont fait une analyse très sommaire de la question du conflit d'application et, sauf pour ce qui apparaît dans le paragraphe qui précède, expliquent peu en quoi les deux lois étaient en conflit. Ce qui est frappant, toutefois, c'est qu'une loi impose une interdiction complète alors que l'autre accorde une permission. Cela est manifestement différent de l'espèce : la condition du ministre n'interdit pas l'itinérance transparente, elle affirme simplement qu'elle n'est pas obligatoire. En fait, le ministère de l'Industrie a expressément affirmé dans sa « Politique‐cadre pour la délivrance de licences de spectre par enchères relatives aux services sans fil évolués et autres bandes de fréquences dans la gamme de 2 GHz » (novembre 2007) que ses décisions politiques à cet égard « ne portent préjudice et ne nuisent ni aux consultations et aux tarifs actuels du CRTC, ni aux décisions et conclusions futures formulées par le CRTC ou le Bureau de la concurrence » (page 5). Par conséquent, les décisions qu'invoque Telus pour étayer ses observations au sujet d'un conflit d'application entre les conditions de licence du ministre et la condition du Conseil sur l'itinérance transparente ne sont pas convaincantes et échouent. Les deux peuvent s'appliquer, leur application simultanée ne mène pas à un résultat absurde, et rien n'indique que les conditions de licence devaient être une liste exhaustive des dispositions pertinentes sur l'itinérance de gros.

[141] L'affirmation de Telus voulant que la condition du Conseil sur l'itinérance transparente contrecarre l'intention du législateur, parce que le Conseil prétend avoir préséance sur le ministre quant aux conditions des licences, n'est pas davantage convaincante. Comme nous l'avons dit, le ministre et le Conseil ont des objectifs différents, mais complémentaires, et même si les objectifs du ministre sont tels qu'il ne lui est pas nécessaire d'imposer l'itinérance transparente, cela peut néanmoins convenir aux objectifs dont le CRTC est responsable. Contrairement à ce qu'affirme Telus, l'interprétation qui contrecarrerait l'intention du législateur est celle qui empêcherait le Conseil d'exercer sa compétence et d'imposer des conditions à l'offre de services de télécommunication. Il ne fait aucun doute que l'itinérance de gros est un service de télécommunication au sens de l’article 2 et, comme l'affirme Ice Wireless dans son mémoire aux paragraphes 56 à 61, c'est ce qui découle clairement de l'ajout à la Loi de l'article 27.1 en vertu de la Loi no 1 sur le plan d'action économique de 2014, L.C. 2014, ch. 20. Cette nouvelle disposition établissait un plafond sur les tarifs de gros que les entreprises canadiennes pouvaient exiger d'autres entreprises canadiennes pour des services d'itinérance de gros, tout en précisant que le plafond établi par le Conseil l'emportait. Le Conseil a effectivement établi des plafonds dans la décision PRT 2015‐177, et le gouverneur en conseil a approuvé un décret abrogeant l'article 27.1 de la Loi peu après. Les conditions de licence du ministre disposent que les frais pour l'itinérance de gros sont ceux établis lors d'une négociation commerciale : cela indique clairement que le législateur avait toujours voulu que le Conseil ait une compétence concurrente sur la réglementation de l'itinérance de gros. J'ajouterais que notre Cour peut prendre connaissance d'office du fait que le ministre n'a pas cherché à intervenir dans le présent appel au motif que la décision du Conseil contrecarrerait sa compétence.

[142] Pour tous ces motifs, je suis donc d'avis que le Conseil n'a pas outrepassé sa compétence et que la condition qu'il a établie au sujet de l'itinérance transparente n'entre pas en conflit avec les conditions de licence du ministre. Je rejetterais l'appel avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-217-21

 

 

INTITULÉ :

TELUS COMMUNICATIONS INC. c. FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS et al.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATEs DE L'AUDIENCE :

LES 12 ET 13 DÉCEMBRE 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

le 13 avril 2023

COMPARUTIONS:

Catherine Beagan Flood

Naiara Toker

Michael Ryan

Ashley Haines

 

POUR L'APPELANTE

 

Stéphane Emard-Chabot

John Mark Keyes

 

POUR L'INTIMÉE

FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS

 

Brandon Kain

Adam Goldenberg

 

POUR L'INTIMÉE

bell mobilité inc.

 

Peter Ruby

Michael Wilson

POUR L'INTIMÉE

ÉLECTRiCITÉ CANADA ASSOCIATION

 

Freya Zaltz

 

POUR L'INTIMÉ

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE LA PROVINCE DE LA COLOMBIE‐BRITANNIQUE

 

Christian S. Tacit

Stewart Cattroll

 

POUR L'INTIMÉE

ice wireless inc.

Eric Bédard

Joshua Bouzaglou

POUR LES INTIMÉES

bragg communications inc., cogeco communications inc., quÉbecor mÉdia inc., vidÉotron ltée et xplore inc.

 

Gerald Kerr-Wilson

Paul Burbank

POUR l'intimée

rogers communications canada inc.

ACOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

MHR Law LLP

Didsbury (Alberta)

 

POUR L'APPELANTE

 

Sicotte Guilbault

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE

FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

bell mobilité inc.

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

ÉLECTRiCITÉ CANADA

 

Ministère du Procureur général de la Colombie‐Britannique

Vancouver (Colombie‐Britannique)

POUR L'INTIMÉ

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE LA PROVINCE DE LA COLOMBIE‐BRITANNIQUE

 

Tacit Law

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

ice wireless inc.

 

Woods s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉES

bragg communications inc., cogeco communications inc., quÉbecor mÉdia inc., vidÉotron ltée et xplore INC .

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Ottawa (Ontario)

pour l'intimée

rogers communications canada inc.

 

 

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