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Date : 20230509


Dossier : A-283-20

Référence : 2023 CAF 96

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

ALLEN BLAIR KILBACK et
DENISE ANNE KILBACK

appelants

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

intimé

Audience tenue à Regina (Saskatchewan), le 26 octobre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

 

 


Date : 20230509


Dossier : A-283-20

Référence : 2023 CAF 96

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

ALLEN BLAIR KILBACK et
DENISE ANNE KILBACK

appelants

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] Les appelants, Allen et Denise Kilback, interjettent appel de la décision par laquelle la Cour fédérale (2020 CF 981, sous la plume de la juge Strickland) a accueilli la requête en jugement sommaire présentée par l’intimé contre eux et Kilback Stock Farm Ltd. (Kilback Farm). Kilback Farm n’a pas interjeté appel. Dans l’action devant la Cour fédérale, l’intimé cherchait à recouvrer auprès de Kilback Farm et des appelants des fonds versés par le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada (le ministre) dans le cadre du Programme de paiements anticipés (le Programme) établi sous le régime de la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, L.C. 1997, ch. 20 (la Loi).

I. Les faits

A. Le Programme de paiements anticipés

[2] Le Programme permet aux producteurs agricoles de demander des paiements anticipés auprès de certains agents d’exécution agricoles et d’avoir plus facilement accès au crédit, car le ministre assume une partie importante du risque associé au prêt (Moodie c. Canada, 2021 CAF 121, par. 5). Pour participer au Programme, le producteur doit conclure avec l’agent d’exécution un accord de remboursement, dont certaines modalités sont imposées par la Loi.

[3] Fait important pour le présent appel, une société n’est admissible à l’octroi d’une avance au titre du Programme que si ses actionnaires s’engagent solidairement par écrit envers l’agent d’exécution au nom de la société (Loi, al. 10(1)d) et art. 22).

[4] Si le producteur manque à ses obligations de remboursement, l’agent d’exécution peut demander au ministre de lui rembourser toute somme impayée au nom du producteur en défaut et, sous réserve de certaines conditions, la Loi oblige le ministre à obtempérer. Cependant, le ministre peut surseoir à la mise en défaut imminente du producteur pour une période donnée selon les modalités qu’il peut fixer (Loi, par. 21(2)).

[5] Après avoir remboursé les sommes impayées à l’agent d’exécution, le ministre est subrogé dans les droits de ce dernier contre le producteur et toute personne ayant avec lui une responsabilité solidaire (Loi, par. 23(2)). Toutefois, il ne peut prendre de mesure pour recouvrer les sommes impayées après une période de six ans à compter de la date à laquelle il est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution (Loi, par. 23(4)).

B. Les avances à Kilback Farm

[6] En 2008, Kilback Farm a présenté une demande de paiements anticipés auprès de la Manitoba Pork Credit Corporation (la MPCC), qui comportait un formulaire de demande et un accord de remboursement. MPCC a avancé 400 000 $ (moins certaines retenues à la source) à Kilback Farm pour la période du 30 avril 2008 au 5 mai 2008. Selon l’accord de remboursement, les avances devaient dans tous les cas être remboursées au plus tard le 30 septembre 2009, soit à la fin de la période de production 2008-2009. Toutefois, il fallait également que la moitié de la somme avancée soit remboursée 15 jours après la période de 12 mois suivant la date du versement de l’avance, et le solde 30 jours plus tard.

[7] Comme l’exige la Loi, les appelants ont chacun signé une « garantie solidaire » aux termes de laquelle ils s’engageaient [traduction] « solidairement envers [la MPCC], ou le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada, à rembourser toute dette contractée par [Kilback Farm] dans le cadre du [Programme] ».

[traduction]
En mars 2009, le ministre a accordé un sursis à la mise en défaut aux éleveurs de bovins et de porcs. Dans une lettre du 24 mars 2009, Kilback Farm a été avisée que, grâce au sursis, les producteurs admissibles étaient libérés de l’obligation de rembourser les sommes avancées avant le 30 septembre 2010, mais devaient rembourser la moitié des sommes impayées au plus tard le 15 octobre 2010 et le solde au plus tard le 15 novembre 2010. Kilback Farm devait signer un document dans lequel elle confirmait avoir compris et accepté les modalités du sursis et, le 6 avril 2009, M. Kilback l’a signé au nom de Kilback Farm.

[8] Dans une lettre du 3 décembre 2010, Kilback Farm a été avisée que le ministre avait accordé un nouveau sursis à la mise en défaut à compter du 1er octobre 2010, ce qui reportait la date limite de remboursement au 31 mars 2013 et fixait à avril 2012 le début du versement des paiements réguliers. Chacun des actionnaires devait prendre connaissance du document annexé les informant des modalités du sursis, mais, si le producteur était une société, seul le signataire autorisé devait le signer avant le 31 janvier 2011. Selon les modalités du sursis, Kilback Farm devait aussi négocier un accord de remboursement modifié avec la MPCC au plus tard le 31 mars 2012. M. Kilback, au nom de Kilback Farm, a signé le document le 24 janvier 2011 et l’accord modifié le 29 mars 2012.

[9] En mai 2013, comme Kilback Farm n’avait toujours pas remboursé les avances, la MPCC l’a avisée qu’elle était en défaut. La MPCC a ensuite demandé au ministre de lui rembourser les sommes impayées, ce qu’il a fait en février 2014.

[10] Après avoir tenté plusieurs fois de recouvrer les fonds, le ministre a intenté en janvier 2019 une action devant la Cour fédérale en vue de recouvrer la somme que lui devaient Kilback Farm et les appelants. En juillet 2020, le ministre a présenté une requête écrite en jugement sommaire.

C. La requête présentée à la Cour fédérale

[11] À la Cour fédérale, les appelants et Kilback Farm ont demandé que la requête présentée contre les appelants soit rejetée et que celle présentée contre Kilback Farm soit mise au rôle. Ils ont affirmé que la loi de la Saskatchewan intitulée The Limitations Act, S.S. 2004, ch. L‑16.1 (Loi sur la prescription) prévoyait un délai de prescription de deux ans, que les accords avec la MPCC étaient régis par le droit de la Saskatchewan, et qu’ils n’avaient pas convenu d’un autre délai de prescription que celui de la Saskatchewan.

[12] Quant à leur responsabilité personnelle, les appelants ont fait valoir que leurs obligations au titre de la garantie avaient pris naissance à la suite du défaut de paiement, et non de la demande. Ils étaient d’avis que, même si Kilback Farm avait prorogé le délai de prescription en reconnaissant sa dette, eux ne l’avaient pas fait. Par conséquent, le délai de prescription avait commencé à courir à la date initiale du défaut de paiement, soit le 30 septembre 2009.

[13] Les appelants ont aussi affirmé qu’à titre de cautions, ils n’avaient pas consenti aux prorogations du délai pour le remboursement ni aux modifications à l’accord de prêt initial et que, par conséquent, le délai de prescription qui s’appliquait dans leur cas était expiré. Dans les circonstances, ils ne pouvaient être tenus responsables de la dette de Kilback Farm.

[14] Selon la Cour fédérale, la question en litige consistait à déterminer s’il existait une véritable question litigieuse, ce qui dépendait de celles « de savoir quel délai de prescription s’applique, quand il a commencé à courir et, s’agissant des [appelants] en qualité d’actionnaires/cautions, si les sursis à la mise en défaut et la modification à l’accord de paiement anticipé ont maintenu leurs obligations de garantie » (motifs, par. 25).

(1) Le délai de prescription applicable à Kilback Farm

[15] En ce qui concerne d’abord le délai de prescription, Kilback Farm a soutenu que, comme la demande du ministre découlait d’une subrogation, il ne pouvait être en meilleure position que la MPCC. Puisque l’accord de remboursement conclu avec la MPCC était régi par les lois de la Saskatchewan, le délai de cette dernière pour présenter une demande avait expiré avant que le ministre ne la rembourse et devienne subrogé dans ses droits.

[16] La Cour fédérale a décrit cet argument en ces termes (au paragraphe 31 de ses motifs) :

[…] [L]e paragraphe 23(4) [de la Loi] confirme que la demande du ministre est de nature dérivée. De ce fait, tant que le ministre n’effectue pas le paiement de garantie qui déclenche le délai de prescription de six ans, c’est le délai de prescription de deux ans de la Saskatchewan qui s’applique. Dans le cas présent, le ministre a versé le paiement de garantie après l’expiration du délai de prescription de deux ans de la MPCC à l’égard de la créance principale, et le paiement de la garantie, par la Couronne, [traduction] « ne rétablit pas la capacité [du ministre] d’intervenir parce que la créance est encore une demande dérivée ». C’est‑à‑dire que la Couronne fédérale devrait se trouver dans la même situation que la MPCC pour ce qui est du délai de prescription.

[17] Cependant, le véritable débat concernait la date à laquelle Kilback Farm s’était retrouvée en défaut. Selon Kilback Farm et les appelants, il s’agissait du 30 septembre 2009. La Cour fédérale n’était pas de cet avis après avoir examiné les dispositions de la Loi et de l’accord de remboursement initial (motifs, par. 47 à 53). Compte tenu des dates auxquelles la MPCC avait versé les avances, la Cour fédérale a conclu que les dates de remboursement initiales auraient été le 15 mai 2009 et le 15 juin 2009, ou aux environs de ces dates, mais le défaut n’était pas encore survenu à ce moment‑là, car le ministre avait accordé des sursis dont M. Kilback avait pris acte au nom de Kilback Farm (motifs, par. 53 et 54).

[18] La Cour fédérale a conclu qu’au « vu de ces faits, le défaut n’est pas survenu avant le 31 mars 2013 » (motifs, par. 54). Puisque « la MPCC n’avait pas de cause d’action avant cette date » et que « le ministre a[vait] versé le paiement de garantie à la MPCC le 14 février 2014, soit moins de deux ans avant la date du défaut, […] [l]a cause d’action de la MPCC n’était pas prescrite par la Limitations Act de la Saskatchewan à ce moment‑là » (motifs, par. 38 et 55).

[19] Le ministre a intenté l’action devant la Cour fédérale moins de six ans après avoir été subrogé dans les droits de la MPCC, et donc à l’intérieur du délai de prescription de six ans prévu par la Loi. Par conséquent, la Cour fédérale a conclu que la MPCC avait été remboursée par le ministre avant l’expiration du délai prévu par la loi de la Saskatchewan et que le ministre avait intenté son action contre Kilback Farm et les appelants avant l’expiration du délai prévu par la Loi (motifs, par. 38 et 39).

(2) Les cautions

[20] Les appelants ont affirmé qu’ils n’étaient pas liés par les mesures que Kilback Farm avait prises pour proroger le délai de prescription applicable, de sorte que ce délai, dans le cas de la MPCC, avait commencé à courir à la date du défaut initial (le 30 septembre 2009). À l’appui, les appelants ont invoqué les décisions Walters v. Meiner et al., 2004 BCSC 393 [Walters] et Continental Steel Ltd. v. CTL Steel Ltd., 2015 BCSC 1672, confirmée par 2018 BCCA 82 [Continental Steel].

[21] La Cour fédérale n’était pas d’accord pour dire que Kilback Farm avait prorogé le délai de prescription en reconnaissant ou en confirmant la créance. Elle était plutôt d’avis que, « [à] cause des sursis à la mise en défaut que permettait la [Loi] et qui ont été reconnus au nom de Kilback Farm, le délai de prescription n’avait tout simplement pas commencé à courir avant la mise en défaut du 31 mars 2013 » et que, par conséquent, « [i]l n’y a[vait] pas eu de prorogation » (motifs, par. 57). Selon la Cour fédérale, dans ces circonstances, la question de savoir si le délai de prescription avait aussi été prorogé dans le cas des appelants individuels en leur qualité de cautions ne se posait pas.

[22] Les appelants ont également soutenu que les trois modifications apportées aux modalités de l’accord entre la MPCC et Kilback Farm les libéraient de leurs obligations à titre de cautions, car ces modifications étaient importantes et qu’ils n’y avaient pas consenti. À l’appui, ils ont invoqué les arrêts Banque Manuvie du Canada c. Conlin, [1996] 3 R.C.S. 415, 1996 CanLII 182 (CSC), aux paragraphes 2 à 4 [Manuvie], Turfpro Investments Inc. v. Heinrichs, 2014 ONCA 502, et GMAC Leaseco Corporation v. Jaroszynski, 2013 ONCA 765.

[23] Le ministre convenait que le principe énoncé dans l’arrêt Manuvie pouvait être justifié, car la caution devrait être au courant des changements importants qui ont une incidence sur le risque auquel elle est exposée et avoir le droit d’y consentir. Il a toutefois déclaré qu’il est possible d’inférer le consentement lorsqu’une personne joue plusieurs rôles, et la connaissance qu’elle acquiert dans un rôle peut être appliquée à tous ses autres rôles. À l’appui, il a invoqué les décisions Royal Bank v. 338390 Alberta Ltd., (1997) 210 A.R. 148, 1997 CanLII 14891 (CBR Alb.), aux paragraphes 34 à 40, Co‑operative Trust Company of Canada v. Kirby and Thorpe, [1986] 6 W.W.R. 90, 1986 CanLII 3325 (CBR Sask.) et Montreal Trust Co. of Canada v. Jaynell Inc., (1993) 111 Sask. R. 178, 1993 CanLII 8979 (CBR Sask.), au paragraphe 44, confirmée par 116 Sask. R. 13.

[24] La Cour fédérale était d’accord pour dire que les changements en question étaient importants (motifs, par. 86). Cependant, à titre de signataire autorisé, M. Kilback était au courant de ces changements et y avait consenti au nom de Kilback Farm. La Cour fédérale a affirmé que non seulement il était au courant de ces changements, mais qu’il y avait participé activement, de sorte que son consentement pouvait être inféré (motifs, par 77 et 78).

[25] Bien qu’elle ait reconnu que Mme Kilback avait plaidé ne pas être au courant des modalités des sursis ou des changements et ne pas y avoir consenti, la Cour fédérale a fait observer qu’elle n’avait pas produit d’affidavit ni d’éléments de preuve en réponse à la requête en jugement sommaire. Après avoir déclaré que « [l]es parties qui répondent à une requête en jugement sommaire sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments, au risque de perdre », la Cour fédérale a conclu que, compte tenu de la qualité de Mme Kilback à titre d’actionnaire, de vice-présidente et de directrice financière de Kilback Farm, son consentement aux sursis et aux changements pouvait être inféré dans les circonstances (motifs, par. 85).

(3) Jugement sommaire accordé

[26] Convaincue, au vu de la preuve et du droit, qu’il n’y avait pas de véritable question litigieuse et qu’il convenait de rendre un jugement sommaire en l’espèce, la Cour fédérale a accueilli la requête en jugement sommaire du ministre contre Kilback Farm et les appelants.

II. L’appel

[27] Les appelants interjettent appel du jugement de la Cour fédérale au motif qu’elle a commis les erreurs suivantes :

  1. Elle a fondé sur une preuve par ouï-dire sa conclusion de fait selon laquelle le ministre avait sursis à la mise en défaut en 2009;

  2. Elle a conclu que Kilback Farm n’avait pas été en défaut avant le 31 mars 2013;

  3. Elle a conclu que la loi sur la prescription de la Saskatchewan ne s’appliquait pas à la demande du ministre découlant de la subrogation;

  4. Elle a conclu que Mme Kilback avait consenti aux changements apportés à l’accord initial.

[28] Le présent appel est tranché selon la norme applicable en appel. Ainsi, les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, et les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit (à l’exclusion des questions de droit isolables) sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

[29] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

III. Les nouvelles questions en litige

[30] À titre préliminaire, les appelants soulèvent plusieurs questions qui n’ont pas été présentées à la Cour fédérale. En règle générale, il n’est pas permis de soulever une nouvelle question dans le cadre d’un appel. Or, la cour d’appel peut faire exception à la règle si l’intérêt de la justice l’exige et lorsque la Cour dispose de conclusions de fait et d’un dossier de preuve suffisant (Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, par. 36 à 39).

[31] Avant d’expliquer pourquoi je ne ferais pas exception à la règle en l’espèce, il est utile d’examiner les principes qui régissent une requête en jugement sommaire à la Cour fédérale. Ces principes sont décrits en détail dans la décision Milano Pizza Ltd. c. 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112, aux paragraphes 25 à 40 [Milano Pizza], repris dans la décision Rallysport Direct LLC c. 2424508 Ontario Ltd., 2019 CF 1524, et cités avec l’approbation de notre Cour dans l’arrêt ViiV Healthcare Co. c. Gilead Sciences Canada, Inc., 2021 CAF 122, au paragraphe 39. Voir également l’arrêt Gemak Trust c. Jempak Corporation, 2022 CAF 141, aux paragraphes 62 à 67.

[32] Il incombait au ministre d’établir l’absence d’une véritable question litigieuse en présentant la preuve nécessaire pour permettre à la Cour fédérale de tirer les conclusions de fait qui s’imposaient. Cela dit, une fois qu’il s’en était acquitté, le fardeau de la preuve revenait à la partie intimée, en l’espèce Kilback Farm et les appelants (CanMar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7 [CanMar], par. 27). La partie intimée ne peut s’appuyer sur de simples allégations ou sur ses actes de procédure; elle doit présenter des faits précis démontrant qu’il existe une véritable question litigieuse (Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14 [Lameman], par. 11; CanMar, par. 27; art. 214 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98‑106).

A. La preuve par ouï-dire

[33] Les appelants soutiennent que la Cour fédérale a fondé à tort sa conclusion sur une preuve par ouï-dire. En particulier, ils affirment que la Cour fédérale a conclu que les sursis avaient été accordés selon les modalités indiquées dans les lettres de mars 2009 et de décembre 2010 envoyées à Kilback Farm, jointes à un affidavit figurant dans le dossier de requête de l’intimé. Or, l’auteur de cet affidavit n’avait pas une connaissance personnelle des modalités ni attesté que les lettres contenaient les modalités du sursis. En ce qui concerne ce dernier point, l’auteur de l’affidavit atteste en fait que le document du 24 mars 2009 que M. Kilback a signé [traduction] « énonce les modalités d’un sursis à la mise en défaut […] accordé par le ministre […] prorogeant la date de mise en défaut au 30 septembre 2010 » et que le document que M. Kilback a signé le 24 janvier 2011 « modifiait les modalités de [l’accord de remboursement] et confirmait que la nouvelle date du défaut était le 31 mars 2013 » (dossier d’appel, p. 79).

[34] Les appelants n’ont pas affirmé devant la Cour fédérale que ces documents ne faisaient pas état des modalités du sursis. Dans son affidavit, M. Kilback explique pourquoi, selon lui, l’administration a apporté les modifications et accordé les prorogations, mais il n’affirme nulle part que les sursis ont été mal décrits.

[35] De plus, il ressort de leurs actes de procédure que les appelants n’ont pas contesté l’existence des sursis ni leurs modalités. En effet, dans leur défense, ils admettent plusieurs allégations formulées dans la déclaration, notamment que, le 24 janvier 2011, M. Kilback, au nom de Kilback Farm, [traduction] « a signé un document l’informant du sursis à la mise en défaut et des modifications aux modalités de [l’accord de remboursement] » et que, le 29 mars 2012, il « a signé une modification à l’accord de remboursement au nom de [Kilback Farm] » à laquelle cette dernière avait « consenti » et qui contenait une condition portant qu’elle « s’engageait à rembourser l’avance, plus les intérêts, au plus tard à la date du défaut de paiement », soit « le 1er avril 2013 » (dossier d’appel, p. 55 à 56 et 74). La Cour fédérale disposait de ces actes de procédure.

[36] Les appelants concèdent qu’ils n’ont pas attaqué l’admissibilité ou la fiabilité de cette preuve par ouï-dire devant la Cour fédérale, et ils reconnaissent que ce type de preuve n’est pas toujours inadmissible; les règles de common law et des dispositions législatives permettent toutes deux l’admission d’une preuve par ouï-dire (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2014 CAF 54). Les appelants auraient dû remettre en question la pertinence et la fiabilité de la preuve devant la Cour fédérale. Il ne serait pas dans l’intérêt de la justice que notre Cour examine cette question en appel.

B. La nouvelle date de défaut

[37] À la Cour fédérale, les appelants ont soutenu que le défaut était survenu le 30 septembre 2009 (motifs, par. 41, 47, 56, 58 et 95). La Cour fédérale a examiné en détail les dispositions de la Loi et de l’accord de remboursement portant sur le défaut (motifs, par. 48 à 53) et a conclu que le défaut n’était pas survenu le 30 septembre 2009 (motifs, par. 56).

[38] Les appelants affirment maintenant que Kilback Farm s’est trouvée en défaut de paiement le 1er janvier 2009 au plus tard, car cette dernière a mis fin à ses activités en 2008 et en a avisé la MPCC. Ainsi, Kilback Farm devait rembourser immédiatement les avances et, comme elle a manqué à cette obligation, elle s’est trouvée en défaut le 1er janvier 2009 au plus tard. Par conséquent, selon les appelants, le délai de prescription auquel la MPCC était assujettie a commencé à courir au plus tard le 1er janvier 2009.

[39] Je suis loin d’être convaincue que la thèse des appelants concernant la date du 1er janvier 2009 soit fondée, puisque ce ne sont pas tous les manquements à l’accord de remboursement qui constituent un défaut. Toutefois, et c’est le point important, c’est devant la Cour fédérale que les appelants devaient établir l’existence d’une véritable question litigieuse. La Cour fédérale a tranché la question de la date de défaut qu’ils ont proposée. Il s’agit là d’une conclusion de fait, et il est trop tard pour proposer une nouvelle date en appel.

C. Condition préalable à la validité du sursis

[40] Selon les appelants, bien que Kilback Farm ait été avisée que le ministre avait accordé un nouveau sursis à compter du 1er octobre 2010, ce sursis n’a pris effet que lorsqu’elle a signé et retourné le document en janvier 2011. Autrement dit, pour que le sursis soit valide, Kilback Farm devait préalablement en prendre acte. Ainsi, si elle ne s’est pas trouvée en défaut en 2009, elle l’a été le 15 octobre 2010, lorsqu’elle a manqué à son obligation de rembourser la moitié de la somme impayée comme l’exigeaient les modalités du premier sursis.

[41] Cet argument n’a été ni présenté à la Cour fédérale, ni soulevé dans le mémoire des faits et du droit des appelants. Seuls les arguments invoqués dans le mémoire d’une partie devraient être soulevés à l’audience (Bridgen c. Canada (Service correctionnel), 2014 CAF 237, par. 35; Sandhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2000 CanLII 15526 (CA), [2000] A.C.F. no 902 (QL), par. 4; Sibomana c. Canada, 2020 CAF 57, par. 6). Par conséquent, il ne conviendrait pas que notre Cour tienne compte de ce nouvel argument, surtout dans le cadre d’un appel d’un jugement sommaire; les véritables questions litigieuses doivent être soulevées devant le juge saisi de la requête.

IV. Analyse

[42] Passons maintenant aux questions en litige que notre Cour peut examiner à bon droit dans le cadre du présent appel.

A. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la question du délai de prescription?

[43] L’argument des appelants sur le délai de prescription comporte deux volets. Premièrement, ils affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la loi de la Saskatchewan ne s’appliquait pas à la demande de recouvrement. Deuxièmement, ils affirment qu’à titre de cautions, ils étaient assujettis à un délai de prescription différent de celui auquel Kilback Farm était assujettie et que le délai de prescription dans leur cas était expiré.

[44] En ce qui concerne la première erreur, les appelants renvoient à deux déclarations de la Cour fédérale dans ses motifs, à savoir que « le paragraphe 23(4) de la [Loi] supplante le délai de prescription de la Saskatchewan qui pourrait s’appliquer par ailleurs au droit d’action du ministre » et que « le droit d’action du ministre est distinct de celui de l’agent d’exécution, la MPCC en l’occurrence » (motifs, par. 34 et 37).

[45] Les appelants allèguent que la Loi ne supplante rien et que le droit d’action du ministre n’est pas distinct, mais constitue plutôt un droit découlant de la subrogation. Étant donné que la demande de la MPCC était de nature contractuelle et non législative, si le [traduction] « délai de prescription prévu par la loi provinciale avait expiré avant que le ministre effectue le remboursement, la MPCC n’avait plus aucun droit, de sorte que le ministre ne pouvait intenter une action par subrogation » (mémoire des appelants, par. 20). Or, la Cour fédérale n’a pas conclu différemment. Les appelants mettent l’accent sur le choix de mots, et non sur la conclusion en tant que telle de la Cour fédérale.

[46] Les appelants concèdent que [traduction] « lorsque le ministre verse le paiement de garantie à un moment où l’agent d’exécution a une cause d’action, il devient subrogé et est assujetti au délai de prescription prévu par la Loi (6 ans) » (mémoire des appelants, par. 20). La Cour fédérale était du même avis (motifs, par. 38) :

[Kilback Farm et les Kilback] n’ont pas été en défaut avant le 31 mars 2013. L’important est donc que la MPCC n’avait pas de cause d’action avant cette date. De plus, le ministre a versé le paiement de garantie à la MPCC le 14 février 2014, soit moins de deux ans avant la date du défaut, le 1er avril 2013. La cause d’action de la MPCC n’était pas prescrite par la Limitations Act de la Saskatchewan à ce moment‑là, et c’est donc dire que le délai de prescription de deux ans de la MPCC n’avait pas expiré quand le ministre lui a versé le paiement de garantie. [Le ministre] a intenté la présente action le 14 janvier 2019, moins de six ans après que le ministre est devenu subrogé dans les droits de la MPCC et à l’intérieur du délai de prescription de six ans indiqué au paragraphe 23(4) de la [Loi].

[47] Autrement dit, les appelants et la Cour fédérale s’entendent sur le principe applicable. La mésentente concerne la date du défaut, c’est‑à‑dire la date à laquelle le délai de prescription a commencé à courir. Je ne vois aucune erreur dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le défaut est survenu le 31 mars 2013.

[48] En ce qui concerne la seconde erreur, les appelants affirment que les sursis ne visaient pas la mise en défaut des cautions et que la cause d’action contre eux était distincte de celle contre Kilback Farm. Différents délais de prescription étaient donc applicables.

[49] Les appelants, qui font valoir que leur responsabilité au titre de la garantie solidaire a pris naissance au moment du défaut, sont pourtant incapables de déterminer la date du défaut à partir duquel la prescription aurait commencé à courir dans leur cas. Étant donné que la Cour fédérale a conclu qu’aucun défaut n’était survenu avant le 31 mars 2013, il est difficile de dire ce qui, selon les Kilback, aurait commencé à faire courir le délai de prescription. Il est vrai que la Loi autorise le ministre à surseoir seulement à la mise en défaut du producteur (en l’espèce, Kilback Farm). Cela dit, en raison des sursis et des modifications apportées à l’accord de remboursement, la Cour fédérale a conclu que Kilback Farm n’était pas tenue de payer avant le 31 mars 2013. Les appelants, qui [traduction] « se sont engagés solidairement envers la MPCC, ou le ministre […], à rembourser toute dette contractée par Kilback Farm », ne seraient pas non plus tenus de payer avant le 31 mars 2013. Autrement dit, il est inconcevable que la MPCC ait pu poursuivre les appelants pour réclamer un remboursement avant qu’une somme quelconque ne soit exigible dans le cadre de l’accord conclu entre elle et Kilback Farm.

[50] Enfin, les appelants soutiennent de nouveau que leur situation est analogue à celles qui existaient dans les affaires Walters et Continental Steel. La Cour fédérale a expliqué pourquoi ces décisions n’étaient d’aucune utilité en l’espèce (motifs, par. 41 à 46). Les appelants n’ont fait ressortir aucune erreur dans cette analyse, et je n’en vois aucune.

[51] Par conséquent, les appelants ne m’ont pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur concernant le délai de prescription.

B. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Kilback avait consenti aux modifications à l’accord de remboursement?

[52] Contrairement à M. Kilback, Mme Kilback n’a pas signé le document l’informant du sursis ni l’accord modifié au nom de Kilback Farm. Quoi qu’il en soit, la Cour fédérale a déclaré que son consentement à ces modifications pouvait être inféré au vu des faits qui lui avaient été présentés. Les appelants affirment que, même si la Cour fédérale a déclaré qu’elle déduisait que Mme Kilback avait consenti aux modifications; en réalité, elle lui a imputé son consentement, ce qui constitue une erreur en droit.

[53] Certes, comme l’affirment les appelants, il n’existe aucune preuve du consentement ou de la connaissance de Mme Kilback, mais la Cour fédérale n’a pas affirmé le contraire. En fait, elle a souligné que, selon le libellé de la garantie solidaire, en contrepartie de la garantie de remboursement fournie par le ministre à la MPCC, les appelants se sont engagés solidairement envers la MPCC et le ministre à rembourser toute dette contractée par Kilback Farm. Elle a aussi fait remarquer qu’ils ont confirmé comprendre et accepter qu’ils étaient personnellement passibles de poursuites en remboursement de la totalité de toute avance non remboursée (motifs, par. 70 et 71).

[54] De plus, pour appuyer sa conclusion selon laquelle le consentement de Mme Kilback aux modifications pouvait être inféré, la Cour fédérale a mentionné les facteurs suivants :

  • (i)Mme Kilback était actionnaire de Kilback Farm lorsque la demande de paiements anticipés a été présentée et lorsqu’elle et M. Kilback se sont engagés solidairement envers la MPCC ou le ministre à rembourser toute dette contractée par Kilback Farm dans le cadre du Programme (motifs, par. 73 et 74).

  • (ii)Mme Kilback, à titre de vice-présidente et directrice financière de Kilback Farm, a signé un accord de cession visant les porcs de Kilback Farm (motifs, par. 75).

  • (iii)Selon les modalités du deuxième sursis à la mise en défaut, les actionnaires étaient tenus de prendre connaissance du document les informant du sursis (motifs, par. 76).

  • (iv)Dans son affidavit, M. Kilback affirmait que, comme la MPCC n’avait pas exigé sa signature ni celle de Mme Kilback et n’avait pas mentionné leurs garanties personnelles, ils avaient cru qu’elle ne les poursuivrait pas en leur propre nom (motifs, par. 80).

  • (v)Mme Kilback n’a pas déposé d’affidavit ni d’élément de preuve en réponse à la requête et, bien qu’elle ait plaidé dans sa défense n’avoir aucune connaissance des modifications, un acte de procédure ne constitue pas un élément de preuve (motifs, par. 85).

[55] Contrairement à ce qu’affirment les appelants, la Cour fédérale n’a jamais dit que, comme Mme Kilback était une dirigeante et actionnaire, Kilback Farm était son mandataire. Elle a plutôt affirmé que, dans le cadre des modalités de la garantie solidaire, son statut de dirigeante et d’actionnaire permettait d’inférer qu’elle avait consenti aux modalités des sursis et de l’accord modifié. Comme elle l’a fait remarquer, « [i]l n’est pas question ici d’une situation dans laquelle la caution est une tierce partie sans lien de dépendance » (motifs, par. 78).

[56] La Cour fédérale a fait remarquer que l’accord modifié prévoyait expressément que toutes les modalités de la demande de paiements anticipés et de l’accord de remboursement qui n’avaient pas été modifiées par suite de cet accord ou des sursis demeuraient pleinement en vigueur. Il s’agissait notamment de la garantie solidaire des actionnaires exigée par la Loi que les appelants avaient signée et du document signé par les actionnaires dans lequel ils consentaient à l’application du délai de prescription de six ans à compter du jour où le droit de subrogation du ministre a pris naissance (motifs, par. 83).

[57] Je suis d’accord avec les appelants pour dire que rien ne démontre que Mme Kilback connaissait les détails des sursis et des modifications. Je conviens également que le fait que la MPCC ait demandé aux actionnaires de prendre connaissance du document les informant du sursis ne veut pas dire que Mme Kilback l’a lu, et rien n’indique qu’elle l’a fait. Et je suis d’accord que rien ne prouve que Mme Kilback était toujours actionnaire ou dirigeante de Kilback Farm lors de la signature du document et de l’accord modifié.

[58] Cependant, il est tout aussi vrai que rien ne démontre que Mme Kilback n’était pas au courant des détails des sursis et des modifications, qu’elle n’a pas lu le document ou qu’elle n’était plus actionnaire ou dirigeante de Kilback Farm. Pourquoi? Parce que les seules parties qui pourraient disposer de ces éléments de preuve – les appelants – ne les ont pas présentés.

[59] Notamment, l’affidavit de M. Kilback – le seul élément de preuve présenté par les appelants – n’atteste pas que Mme Kilback n’avait aucune connaissance des sursis ou de l’accord modifié, malgré ce qui est indiqué dans les actes de procédure. Il n’atteste pas que Mme Kilback n’était pas actionnaire ou dirigeante de Kilback Farm. Il n’atteste pas qu’elle n’a pas lu le document informant les actionnaires du sursis, bien qu’elle ait été invitée à le faire. Il n’atteste pas non plus qu’elle n’a pas accepté que Kilback Farm prenne acte des sursis ou signe l’accord modifié.

[60] À mon avis, l’affidavit de M. Kilback, lorsqu’il fait référence à Mme Kilback, tend davantage à indiquer qu’elle avait au moins une certaine connaissance des circonstances pertinentes : [traduction] « Lorsque la MPCC a envoyé ses accords de modification et de prorogation, elle n’a jamais parlé de nous poursuivre, moi ou Denise Kilback, personnellement au sujet de nos garanties, ce qui nous a porté à croire qu’elle ne nous poursuivrait pas en notre nom propre » et, « comme nous n’avions rien entendu de la part de la MPCC indiquant qu’elle nous poursuivait en notre nom propre, [nous] avons commencé à entreprendre de nouveaux projets, croyant que nous n’avions plus aucune responsabilité personnelle » (non souligné dans l’original) (dossier d’appel, p. 139).

[61] Le défaut de produire des éléments de preuve sur les points en litige sans explication raisonnable peut mener à une inférence défavorable (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2004 CF 314, par. 28, conf. par 2004 CAF 298; Riva Stahl Gmbh c. Bergen Sea (The), [1999] A.C.F. no 762 (QL), 1999 CanLII 8093 (CA), par. 11). Le juge peut tirer des inférences de fait à partir des faits non contestés qui lui ont été présentés, à la condition qu’elles soient solidement étayées par les faits (Lameman, par. 11, renvoyant à Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423, 1999 CanLII 664 (CSC), par. 30).

[62] L’absence de preuve était un facteur important pour la Cour fédérale : « il n’existe aucune preuve qu’à quelque moment que ce soit Allen Kilback ou Denise Kilback ont tenté d’obtenir […] une confirmation de leur certitude qu’ils ne seraient pas tenus responsables de la créance qu’ils avaient garantie » ou « qu’Allen Kilback n’aurait pas signé [le document les informant du sursis et de la modification], pour le compte de Kilback Farm, s’ils avaient su qu’on exécuterait leur garantie d’actionnaire existante en cas de défaut » (motifs, par. 84). Comme « [l]es parties qui répondent à une requête en jugement sommaire sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments, au risque de perdre », la Cour fédérale a conclu qu’« [à] défaut d’une preuve contraire, le consentement de Denise Kilback en sa qualité d’actionnaire, de vice‑présidente et de directrice financière de Kilback Farm […] peut, dans ces circonstances, être inféré » (motifs, par. 85).

[63] À mon avis, il était loisible à la Cour fédérale d’inférer le consentement de Mme Kilback dans les circonstances de l’espèce. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision.

V. La Loi sur la Cour du Banc de la Reine

[64] J’aimerais me prononcer sur une question supplémentaire. Avant l’audition de l’appel, nous avons demandé aux parties de présenter des observations sur l’application possible de l’article 69 de la Loi de 1998 sur la Cour du Banc de la Reine, L.S. 1998, ch. Q-1.01. Il est libellé ainsi :

69(1) Le fait d’accorder un délai au débiteur principal ou de modifier la garantie que détient le créancier principal n’entraîne pas par cela même la libération de la caution ou du garant.

(2) La caution ou le garant, dans la mesure seulement où ils peuvent démontrer qu’ils en ont subi un préjudice, peuvent alléguer en défense le délai supplémentaire ou la modification de la garantie.

[65] À première vue, il semble que le paragraphe 69(1) appuie la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les appelants étaient personnellement responsables des obligations de Kilback Farm malgré le délai qui lui avait été accordé pour le remboursement, sous réserve de tout moyen de défense qu’ils pourraient invoquer au titre du paragraphe 69(2).

[66] Bien que seul l’intimé ait présenté des observations écrites concernant l’article 69, à l’audition de l’appel, les appelants ont affirmé que notre Cour ne devrait pas examiner cette nouvelle question. Je conviens que l’article 69 ne semble pas avoir été soulevé devant la Cour fédérale, mais l’effet du délai accordé à Kilback Farm sur la responsabilité des cautions a bien été soulevé devant elle, puisque les appelants soutenaient qu’il les libérait de toute responsabilité. Je fais également observer que, dans leur défense, les appelants soutiennent que la modification de l’accord de remboursement a causé un préjudice à Mme Kilback, mais sans le définir.

[67] Selon l’intimé, même si l’article 69 peut appuyer la décision, il n’est pas nécessaire, car la Cour fédérale a conclu à juste titre que les appelants avaient consenti aux modifications. De plus, l’intimé explique qu’en appel de la décision Canada c. Bezan Cattle Corporation, 2021 CF 397 [Bezan Cattle], l’intimé affirmait dans cette affaire que les obligations au titre d’une garantie conjointe et solidaire ne sont pas de la nature d’une garantie ou d’une sûreté, mais constituent plutôt un contrat d’indemnisation.

[68] L’affaire Bezan Cattle portait également sur une garantie conjointe et solidaire signée par les actionnaires d’une société qui avaient reçu une avance dans le cadre du Programme, mais la question en litige consistait à savoir si la garantie conjointe et solidaire était une garantie au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’article 31 de la loi de la Saskatchewan intitulée The Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988-89, ch. S-17.1 (Loi sur les sûretés agricoles), et non de l’article 69 de la Loi de 1998 sur la Cour du Banc de la Reine.

[69] Notre Cour a rendu sa décision dans l’affaire Bezan Cattle (2023 CAF 95). Cependant, pour trancher cet appel, il n’était pas nécessaire de déterminer si la garantie conjointe et solidaire était une garantie ou un contrat d’indemnisation. De même, puisque je ne constate aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion de la Cour fédérale concernant le consentement de Mme Kilback, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’article 69 s’applique en l’espèce.

VI. Conclusion

[70] Les appelants ne m’ont pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision en prononçant un jugement sommaire contre eux. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

[71] L’intimé sollicite les dépens de l’appel conformément au tarif. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, j’accorderais à l’intimé des dépens de 1 500 $.

[72] Enfin, dans l’avis d’appel, Kilback Farm est désignée à titre de tiers dans l’intitulé. Le même intitulé est reproduit dans tous les documents déposés en appel. Toutefois, Kilback Farm n’a pas interjeté appel. Par conséquent, il faut modifier l’intitulé en l’espèce de manière à supprimer le nom de Kilback Farm, comme il a été fait dans les présents motifs.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MADAME LA JUGE STRICKLAND DATÉE DU 19 OCTOBRE 2020, DOSSIER No T-122-19

DOSSIER :

A-283-20

 

INTITULÉ :

ALLEN BLAIR KILBACK ET DENISE ANNE KILBACK c. SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 9 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Yens Pedersen (en personne)

Pour les appelants

Don Klaassen (par vidéoconférence)

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pedersen Law Professional Corporation

Regina (Saskatchewan)

 

Pour les appelants

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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