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Date : 20230509


Dossier : A-154-21

Référence : 2023 CAF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

appelant

(intimé dans l’appel incident)

et

BEZAN CATTLE CORPORATION,

BARBARA BEZAN et LAYTON BEZAN

intimés

(appelants dans l’appel incident)

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 16 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20230509


Dossier : A-154-21

Référence : 2023 CAF 95

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

appelant

(intimé dans l’appel incident)

et

BEZAN CATTLE CORPORATION,

BARBARA BEZAN et LAYTON BEZAN

intimés

(appelants dans l’appel incident)

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] Le procureur général du Canada, au nom du ministre fédéral de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (le ministre), a déposé une requête en jugement sommaire contre la société Bezan Cattle Corporation (Bezan Cattle) et ses deux actionnaires, Barbara et Layton Bezan. La Cour fédérale (2021 CF 397, sous la plume du juge Little) a rendu un jugement sommaire contre Bezan Cattle, mais a rejeté l’action engagée contre les Bezan.

[2] Le procureur général interjette appel de cette décision et demande à notre Cour d’annuler le jugement ayant rejeté l’action contre les Bezan et de rendre un jugement sommaire contre eux. Bezan Cattle interjette un appel incident et demande à notre Cour d’annuler le jugement sommaire rendu contre elle ou, subsidiairement, de renvoyer l’affaire à la Cour fédérale.

[3] J’accueillerais l’appel et je rejetterais l’appel incident. Avant d’expliquer mes motifs, il m’apparaît justifié d’exposer brièvement les faits pertinents.

I. Les faits

A. Le Programme fédéral de paiements anticipés

[4] La Loi sur les programmes de commercialisation agricole, L.C. 1997, ch. 20 (la LPCA), établit et régit le Programme de paiements anticipés (le Programme) qui vient en aide aux producteurs agricoles. Dans le cadre du Programme, ces derniers peuvent faire une demande de paiements anticipés auprès de certains agents d’exécution, notamment des organismes qui participent à la commercialisation des produits. Le produit agricole est donné en garantie des avances, lesquelles doivent être remboursées conformément à l’accord de remboursement conclu entre le producteur et l’agent d’exécution. La LPCA exige que les accords entre l’agent d’exécution et le producteur respectent certaines modalités.

[5] Une société n’est admissible à l’octroi d’une avance au titre du Programme que si ses actionnaires s’engagent solidairement par écrit envers l’agent d’exécution au nom de la société : LPCA, al. 10(1)d) et art. 22.

[6] Si le producteur manque à ses obligations de remboursement, l’agent d’exécution peut demander au ministre de lui rembourser toute somme impayée et, sous réserve de certaines conditions, le ministre obtempère : LPCA, par. 23(1). Après avoir remboursé les sommes impayées à l’agent d’exécution, le ministre est subrogé dans les droits de ce dernier contre le producteur et toute personne ayant avec lui une responsabilité solidaire : LPCA, par. 23(2).

[7] Comme notre Cour l’a précédemment expliqué, « [g]râce à ce programme, les producteurs agricoles ont plus facilement accès au crédit par le transfert au ministre d’une partie importante du risque associé au prêt », mais « [l]e ministre a néanmoins le droit d’être indemnisé intégralement en cas de défaut du producteur » : Moodie c. Canada, 2021 CAF 121, par. 5 et 6.

B. Avances en litige

[8] En 2008, Bezan Cattle et Bezan Feeders Inc. (BFI), une autre société appartenant aux Bezan, ont présenté des demandes d’avances au titre du Programme auprès de Manitoba Livestock Cash Advance Inc. (MLCA). Le 9 avril 2008, Bezan Cattle a demandé une avance de secours, et, le 29 avril 2008, BFI a présenté une demande d’avance visant une exploitation en cycle continu.

[9] Dans les deux cas, la demande comportait plusieurs documents, dont un formulaire de demande et un accord de remboursement. Comme l’exigeaient MLCA et la LPCA, les Bezan, en leur qualité d’actionnaires, ont signé un document intitulé [traduction] « Garantie conjointe et solidaire » aux termes duquel ils s’engageaient à être « solidairement responsables » du paiement de toute dette que la demanderesse pourrait contracter dans le cadre du Programme.

[10] Bezan Cattle avait initialement demandé 45 938,88 $, mais le montant de l’avance a par la suite été fixé à 100 000 $. La demande présentée par BFI en vue d’obtenir une avance d’environ 200 000 $ a été modifiée de sorte que la demanderesse était Bezan Cattle au lieu de BFI. Les circonstances et l’auteur de ces modifications ne sont pas connus. Toutefois, la Cour fédérale était d’avis que MLCA avait envoyé les formulaires de demande révisés aux Bezan : motifs, par. 18 et 25. Je reviens sur l’importance qu’a accordée la Cour fédérale à ces modifications dans sa décision plus loin dans les présents motifs.

[11] Dans leurs affidavits déposés en réponse à la requête en jugement sommaire, les Bezan affirment n’avoir autorisé aucune modification aux formulaires de demande d’avances. Toutefois, ils ne contestent pas que les fonds ont été avancés, reçus et utilisés ou qu’ils ont reçu les lettres de MLCA et les formulaires de demande révisés qui y étaient joints : motifs, par. 18 et 25.

[12] MLCA a déposé l’avance de secours de 100 000 $ (moins certaines retenues à la source) dans le compte bancaire de Bezan Cattle, et l’avance visant une exploitation en cycle continu de 200 000 $ (moins certaines retenues à la source également) a été déposée dans le compte bancaire de BFI, conformément aux demandes présentées. L’avance de secours devait être remboursée après l’expiration d’un délai de 12 mois, alors que l’avance visant une exploitation en cycle continu devait l’être avant le 30 septembre 2009. Le bétail de Bezan Cattle avait notamment été offert comme sûreté.

[13] Le ministre a ultérieurement accordé deux sursis à la mise en défaut aux éleveurs de bovins et de porcs qui avaient reçu des avances en 2008‐2009. Le premier sursis a été accordé en 2009 et, le 19 mai 2009, les deux Bezan ont signé un accord de sursis à la mise en défaut au nom de Bezan Cattle. Aux termes de cet accord, aucun paiement en vue du remboursement des avances n’était exigible avant le 15 octobre 2010.

[14] Dans une lettre du 30 novembre 2010, MLCA a informé Bezan Cattle que le ministre avait accordé un deuxième sursis à compter du 1er octobre 2010 pour une période de 18 mois. La lettre précisait que la dette de Bezan Cattle envers MLCA était de 300 000 $, plus les intérêts. Elle indiquait également que les Bezan, pour bénéficier du sursis, devaient prendre connaissance du document annexé les informant du sursis et que l’un d’eux devait le signer et le retourner avant le 31 décembre 2010, accompagné d’un chèque de 500 $. Le 20 décembre 2010, M. Bezan a signé le document et l’a retourné à MLCA avec un chèque de 500 $ tiré sur le compte bancaire de Bezan Cattle et signé par Mme Bezan.

[15] Selon les modalités du deuxième sursis, Bezan Cattle devait négocier un accord de remboursement modifié avec MLCA avant le 31 mai 2011 ou reporter une partie de la dette à la campagne agricole en cours. Bezan Cattle a demandé le report d’une partie de la dette, mais n’a pas présenté les documents exigés à cette fin. Dans une lettre du 1er novembre 2011, MLCA a demandé à Bezan Cattle de signer et de retourner l’accord de règlement annexé, aux termes duquel la dette de 300 000 $ plus les intérêts devait être remboursée sur une période de cinq ans par versements mensuels à compter d’août 2012. Les Bezan ont signé l’accord de règlement au nom de Bezan Cattle et ont effectué des versements mensuels jusqu’en juillet 2013, puis ont cessé.

[16] Le 30 mai 2014, MLCA a demandé au ministre de rembourser la dette et a informé Bezan Cattle de sa démarche auprès du ministre. MLCA a été remboursée le 13 août 2014, et le ministre est alors devenu subrogé dans les droits de cette dernière contre Bezan Cattle et les Bezan. N’ayant reçu aucun paiement de leur part, le 18 juin 2019, le ministre a intenté une action devant la Cour fédérale en vue de recouvrer sa créance et, environ un an plus tard, il a présenté une requête en jugement sommaire.

II. La requête présentée à la Cour fédérale

A. La thèse des parties

[17] À la Cour fédérale, le ministre a soutenu qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse et qu’un jugement devait être rendu contre Bezan Cattle et les Bezan.

[18] Bezan Cattle et les Bezan ont affirmé pour leur part que la requête en jugement sommaire et l’action intentée contre eux devaient être rejetées ou, subsidiairement, que l’affaire devait être renvoyée à procès.

[19] Dans leurs observations, les Bezan ont fait valoir que les accords se rapportant aux avances étaient nuls, car MLCA y avait apporté unilatéralement des modifications substantielles sans leur consentement, notamment en changeant le montant de l’avance de secours et en substituant Bezan Cattle à BFI pour l’avance visant une exploitation en cycle continu. Selon eux, ces modifications étaient frauduleuses. Ils ont soutenu subsidiairement que les accords étaient nuls pour avoir été exécutés sous la contrainte et être iniques.

[20] Pour sa part, le ministre a soutenu que les Bezan avaient consenti aux modifications apportées aux formulaires de demande et que, en tout état de cause, les accords étaient valides et exécutoires conformément aux principes de l’offre, de l’acceptation et de la contrepartie du droit des contrats. Selon le ministre, les formulaires de demande constituaient des offres, et les modifications, des contre-offres que Bezan Cattle et les Bezan, par leur comportement ultérieur, avaient acceptées.

[21] Les Bezan ont aussi fait valoir que, indépendamment de la responsabilité de Bezan Cattle, leurs obligations découlant de la garantie conjointe et solidaire n’étaient pas exécutoires sous le régime de l’article 31 de la loi de la Saskatchewan intitulée The Saskatchewan Farm Security Act (Loi sur les sûretés agricoles), S.S. 1988-89, ch. S-17.1 (la SFSA). L’article 31 dispose que la garantie telle qu’elle y est définie n’a d’effet que si certaines conditions sont respectées au moment de sa souscription. Aux termes de l’une d’elles, il faut consulter un avocat ou un notaire public qui veille à ce que la teneur de la garantie soit comprise avant de délivrer un certificat qui doit être joint à la garantie ou noté sur cette dernière. Les Bezan ont affirmé qu’ils n’avaient ni demandé ni obtenu d’avis juridique au sujet de la garantie conjointe et solidaire.

[22] L’alinéa 31(1)b) de la SFSA définit ainsi la garantie :

[traduction]
« garantie » Acte notarié ou accord écrit par lequel une personne s’engage à répondre de l’action, du défaut, de l’omission ou de la dette d’un exploitant agricole à l’égard d’une terre agricole ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles, à l’exclusion de la garantie souscrite avant l’entrée en vigueur de la présente loi.

[23] Le ministre a fait valoir que l’article 31 ne s’appliquait pas parce que l’obligation des Bezan n’était pas une garantie, mais un contrat d’indemnisation. En d’autres termes, les Bezan, tout comme Bezan Cattle, étaient des débiteurs principaux, et non des cautions. Le ministre a en outre affirmé que le défaut n’était pas lié à un bien utilisé dans des activités agricoles, car la sûreté offerte en garantie des avances était le bétail de Bezan Cattle, lequel constituait non pas un bien utilisé dans des activités agricoles, mais plutôt un produit dérivé de l’utilisation d’autres biens.

B. La décision de la Cour fédérale

[24] La Cour fédérale a conclu qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse. Elle a jugé que Bezan Cattle et les Bezan n’avaient soulevé aucune question de crédibilité pouvant faire obstacle à un jugement sommaire et que les questions relatives à la preuve qu’ils avaient soulevées ne présentaient aucune question de fait ou de droit qui ne pouvait être tranchée au vu du dossier. La Cour fédérale estimait qu’elle disposait de la preuve nécessaire pour trancher en toute équité le litige au vu du dossier.

[25] La Cour fédérale a reconnu qu’elle devait ajouter foi au témoignage des Bezan selon lequel ils n’avaient pas autorisé les modifications apportées aux formulaires de demande. Elle estimait toutefois qu’elle pouvait également conclure, sans qu’il y ait contradiction, que Bezan Cattle, de par les actions ultérieures des Bezan, avait accepté la responsabilité légale des deux avances, de sorte que Bezan Cattle était responsable du remboursement en vertu du contrat (renvoyant à Saint John Tug Boat Co. Ltd. c. Irving Refining Ltd., [1964] R.C.S. 614, [Saint John Tug Boat]; Owners, Strata Plan LMS 3905 c. Crystal Square Parking Corp., 2020 CSC 29 [Strata Owners]; Ehler Marine & Industrial Service Co. c. M/V Pacific Yellowfin (Navire), 2015 CF 324; Blais c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1638 et Trans Tec Services Inc. c. Lyubov Orlova (Le), 2001 CFPI 958).

[26] Plus précisément, selon la Cour fédérale, rien dans la preuve n’indiquait que l’une ou l’autre des parties croyait BFI responsable du remboursement des avances (motifs, par. 73), et les Bezan avaient pris plusieurs mesures concrètes pour confirmer qu’il incombait à Bezan Cattle de rembourser les deux avances. Elle déclare ce qui suit au paragraphe 64 :

En l’espèce, la preuve atteste bien davantage que l’acquiescement qui avait donné naissance à des obligations contractuelles dans l’affaire Saint John Tug Boat. Les Bezan ont agi de leur propre chef – ils ont pris des mesures concrètes –, d’une manière qui confirmait qu’il incombait à [Bezan Cattle] de rembourser la totalité des sommes dues à la demanderesse au titre [des deux avances]. Le constat est clairement établi, de longue date et de manière répétitive, que les deux parties s’attendaient raisonnablement, et que [Bezan Cattle] s’engageait en substance, à ce que [Bezan Cattle] soit légalement tenue au remboursement (comme cela sera analysé en détail plus loin). Les défendeurs n’ont pas non plus, avant l’introduction de la présente instance, et bien qu’ils aient été plusieurs fois à même de le faire, élevé d’objections contre la somme due, ou prétendu que [Bezan Cattle] n’était pas le bon emprunteur.

[27] La Cour fédérale a souligné les événements qui étayaient sa conclusion, de même que l’absence de preuve contraire : motifs, par. 65 à 74. Elle a rejeté l’affirmation selon laquelle les modifications apportées constituaient une fraude, puisqu’il n’y avait aucun doute que les fonds avaient été avancés et que rien n’indiquait que les modifications avaient pour objet de procurer un avantage financier à MLCA.

[28] La Cour fédérale a ensuite examiné l’argument selon lequel les contrats étaient nuls ou non exécutoires en application des principes de la contrainte et de l’iniquité. Les Bezan ont souligné le déséquilibre des forces durant les négociations, la modification des documents ainsi que le libellé des accords, lequel, s’il ne tombe pas sous le coup de l’article 31 de la SFSA, pourrait acculer les exploitants agricoles à la ruine financière. La Cour fédérale n’était pas convaincue que la preuve permettait de conclure qu’il y avait eu contrainte économique ou que les accords ne devaient pas être exécutés pour cause d’iniquité.

[29] Par conséquent, la Cour fédérale a conclu qu’il n’existait pas de véritable question litigieuse relativement à la responsabilité de Bezan Cattle, et elle a accueilli la requête en jugement sommaire contre cette dernière.

[30] Quant à l’action engagée contre les Bezan, la Cour fédérale a affirmé que l’analyse permettant de déterminer si la garantie conjointe et solidaire constitue une garantie au sens de l’article 31 de la SFSA doit porter sur trois éléments de la définition (motifs, par. 108) :

(i) l’existence d’un engagement à répondre de l’action, du défaut, de l’omission ou de la dette d’un exploitant agricole;

(ii) la définition du terme exploitant agricole;

(iii) si l’engagement se rapporte à [traduction] « un autre bien utilisé dans des activités agricoles ».

[31] En ce qui concerne le premier élément, le ministre a fait valoir que, malgré l’utilisation du mot garantie dans le titre, le texte de la garantie conjointe et solidaire et les dispositions de la LPCA faisaient en sorte que les Bezan étaient des débiteurs principaux, et non des cautions. La Cour fédérale n’était pas de cet avis. Elle a conclu que la garantie conjointe et solidaire ne créait un engagement qu’en cas de défaut; partant la première condition de la définition de garantie était remplie : motifs, par. 109 à 113.

[32] La Cour fédérale était d’avis que les deuxième et troisième éléments étaient « liés » et les a donc examinés ensemble. Elle a d’abord fait observer que, pour l’application de l’article 31, l’exploitant agricole est un débiteur hypothécaire. Elle a ensuite mentionné que « sont assimilés au débiteur hypothécaire, i) l’acheteur dans un contrat de vente d’une terre agricole, ii) le représentant personnel, l’ayant droit ou le cessionnaire d’un tel acheteur, ou d’un débiteur hypothécaire, et iii) la personne revendiquant un droit par l’entremise d’un tel acheteur, ou d’un débiteur hypothécaire » : motifs, par. 115; souligné par la Cour fédérale. Bien qu’elle ait indiqué que les trois catégories de débiteurs hypothécaires avaient rapport aux biens réels, elle a aussi mentionné que la définition n’était pas exhaustive, de sorte que celle d’exploitant agricole, au sens où ce terme est employé à l’article 31, ne se limitait pas forcément aux trois catégories.

[33] La Cour fédérale a ensuite déclaré que cette question avait été examinée dans la décision Prairie Centre Credit Union Ltd. v. River Ridge Cattle Corp., 2010 SKQB 135 [Prairie Centre] et que le juge avait conclu que le terme exploitant agricole, qui figure à l’article 31, n’a pas seulement rapport à des biens réels et que les activités agricoles s’entendent de l’élevage de bétail : motifs, par. 117. Souscrivant au raisonnement du juge dans l’affaire Prairie Centre, la Cour fédérale a conclu que, selon l’article 31, « un [traduction] “exploitant agricole” est un genre de débiteur hypothécaire (pas forcément un débiteur hypothécaire dans le domaine immobilier) qui consent une sûreté sur un bien (autre qu’un bien immeuble) utilisé dans des [traduction] “activités agricoles”, expression qui comprend l’élevage de bétail » : motifs, par. 118.

[34] La Cour fédérale était également d’avis que Bezan Cattle se livrait à l’élevage du bétail, que les Bezan se consacraient principalement à des activités agricoles et que Bezan Cattle avait consenti à MLCA une sûreté sur son bétail. Sur le fondement de ces conclusions, la Cour fédérale a jugé que les garanties conjointes et solidaires souscrites par les Bezan étaient des garanties au sens de l’alinéa 31(1)(b) de la SFSA et que, faute de preuve indiquant que les conditions énoncées à l’article 31 étaient réunies, ces garanties n’étaient pas exécutoires. Par conséquent, la Cour fédérale a rejeté l’action intentée contre les Bezan : motifs, par. 119 et 120. Elle ne s’est pas attachée à décider séparément si le bétail de Bezan Cattle était un bien utilisé dans des activités agricoles.

III. L’appel et l’appel incident

[35] Le procureur général interjette appel de la décision de la Cour fédérale, qui a rejeté l’action engagée contre les Bezan, et fait valoir qu’elle a conclu à tort que l’article 31 de la SFSA s’appliquait à la garantie conjointe et solidaire.

[36] Bezan Cattle interjette un appel incident de la décision de rendre un jugement sommaire contre elle, au motif que la Cour fédérale a conclu à tort qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse puisque la preuve sur les modifications apportées aux demandes d’avances comporte des divergences. Bezan Cattle affirme en outre que la Cour fédérale a commis une erreur en la tenant responsable des fonds demandés et reçus par BFI.

[37] Certes, l’appel et l’appel incident découlent de la même trame factuelle et une issue favorable de l’appel incident influera sur l’issue de l’appel, mais les questions en litige sont, à bien des égards, totalement distinctes. Puisque je rejetterais l’appel incident, j’examine d’abord l’appel.

[38] L’appel et l’appel incident sont tranchés selon la norme applicable en appel. Ainsi, les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, et les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit (à l’exclusion des questions de droit isolables) sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante : voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33.

[39] Par souci de commodité, les dispositions législatives auxquelles je renvoie expressément dans les présents motifs sont reproduites à l’annexe ci‐jointe. Puisque la SFSA n’a pas été édictée en français, seule la version anglaise fait foi et a été reproduite : voir par. 2-18(1) de la Loi sur la législation, L.S. 2019, ch. L‐10.2. De plus, à l’exception des dispositions de la LPCA, figure à l’annexe la version actuelle des dispositions. Bien que des modifications aient été apportées aux autres lois après la naissance des droits de subrogation du ministre, aucune n’est d’intérêt pour l’appel ou l’appel incident.

IV. L’appel

[40] Les parties conviennent que l’appel soulève la question de savoir si la garantie conjointe et solidaire constitue une garantie au sens de l’article 31 de la SFSA.

[41] Le mémoire des faits et du droit du procureur général ainsi que les observations qu’il a présentées à l’audience visaient principalement à établir que la Cour fédérale avait conclu à tort que l’article 31 s’appliquait, parce que (i) les Bezan sont des débiteurs principaux, et non des cautions et (ii) les avances versées par MLCA ne concernaient pas des biens utilisés dans des activités agricoles. Cependant, comme nous le verrons plus loin, il est inutile d’examiner ces arguments.

[42] Après l’audition de l’appel, notre Cour a demandé aux parties de lui soumettre leurs observations sur l’interprétation qu’il convient de donner au terme exploitant agricole qui figure à l’article 31. Le procureur général a examiné plusieurs dispositions de la SFSA pour appuyer sa thèse selon laquelle l’exploitant agricole visé à l’article 31 [traduction] « doit s’entendre d’une partie (un particulier, une société, une société en nom collectif ou une quelconque personne morale) qui a consenti une hypothèque sur une terre agricole ».

[43] Les Bezan font valoir que, pour l’application de l’article 31, [traduction] « l’exploitant agricole devrait s’entendre du particulier ou de la société qui grève un bien réel ou un bien personnel utilisé dans des activités agricoles ou qui le donne en sûreté ». Ils sont essentiellement du même avis que la Cour fédérale et adoptent l’analyse du juge dans la décision Prairie Centre.

[44] Dans l’affaire Prairie Centre, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan était appelée à statuer sur trois questions de droit, dont celle de savoir si la défenderesse était un exploitant agricole pour l’application de l’article 31. La demanderesse dans cette affaire prétendait que le débiteur hypothécaire s’entendait uniquement d’un débiteur hypothécaire ayant grevé une terre agricole. La Cour de la Saskatchewan n’était pas de cet avis.

[45] Ce faisant, la Cour de la Saskatchewan a fait observer que l’exploitant agricole était défini comme un débiteur hypothécaire pour l’application de l’article 31 et que la définition de ce terme dans la SFSA n’était pas exhaustive. Elle s’est donc demandé de quel type de débiteur hypothécaire il s’agissait. [traduction] « Un débiteur hypothécaire doit-il s’entendre uniquement d’un débiteur hypothécaire ayant grevé une terre agricole? Ou ce terme peut-il avoir un sens plus large? » : Prairie Centre, par. 11.

[46] Après avoir examiné la définition de débiteur hypothécaire et l’article 31, la Cour de la Saskatchewan a conclu que l’[traduction] « exploitant agricole est un genre de débiteur hypothécaire (pas forcément un débiteur hypothécaire ayant grevé un bien réel) qui consent une sûreté sur d’autres biens utilisés dans des activités agricoles (autres que des terres agricoles ou en sus de terres agricoles) » : Prairie Centre, par. 25. En l’espèce, la Cour fédérale a adopté l’analyse du juge dans la décision Prairie Centre et est arrivée à la même conclusion.

[47] Je suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur. Je conclus que seule une personne qui a consenti une sûreté (hypothèque) sur une terre agricole, ou qui est autrement expressément visée par la définition de débiteur hypothécaire à l’article 3 de la SFSA, est un débiteur hypothécaire, et donc un exploitant agricole pour l’application de l’article 31 de la SFSA.

[48] Voici mon raisonnement.

A. Principes d’interprétation des lois

[49] Les termes d’une loi doivent être interprétés dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, par. 10 [Trustco Canada]. La Saskatchewan a adopté ce principe à l’article 2-10 de sa Loi sur la législation.

[50] L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation varie. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots peut jouer un rôle primordial. En revanche, lorsque les mots peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important : Trustco Canada, par. 10.

[51] Comme l’affirme la Cour suprême du Canada dans un arrêt récent, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 :

[117] La cour qui interprète une disposition législative le fait en appliquant le « principe moderne » en matière d’interprétation des lois, selon lequel il faut lire les termes d’une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87. Le Parlement et les législatures provinciales ont également donné certaines indications en adoptant des règles législatives qui encadrent explicitement l’interprétation des lois et des règlements : voir, p. ex., la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21.

[118] Notre Cour a adopté ce « principe moderne » en tant que méthode appropriée d’interprétation des lois parce que c’est uniquement à partir du texte de loi, de l’objet de la disposition législative et du contexte dans son ensemble qu’il est possible de saisir l’intention du législateur : [R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014)], p. 7-8. Les personnes qui rédigent et adoptent des textes de loi s’attendent à ce que les questions concernant leur sens soient tranchées à la suite d’une analyse qui tienne compte du libellé, du contexte et de l’objet de la disposition concernée, que l’entité chargée d’interpréter la loi soit une cour de justice ou un décideur administratif.

[52] J’applique maintenant ces principes pour décider du sens à donner au terme « débiteur hypothécaire » qui figure à la SFSA. Je m’attache à définir l’interprétation qu’il convient de donner à ce terme puisque, pour l’application de l’article 31, un exploitant agricole s’entend d’un débiteur hypothécaire : SFSA, al. 3(c).

B. Libellé : sens ordinaire

[53] L’article 2 dans la partie I (Titre et interprétation) de la SFSA énonce plusieurs définitions qui s’appliquent à la SFSA dans son ensemble. Le terme débiteur hypothécaire est défini à l’alinéa 2(1)(q).

[54] La Cour fédérale mentionne à juste titre qu’aux termes de la SFSA, « sont assimilés au [traduction] “débiteur hypothécaire”, i) l’acheteur dans un contrat de vente d’une terre agricole, ii) le représentant personnel, l’ayant droit ou le cessionnaire d’un tel acheteur, ou d’un débiteur hypothécaire, et iii) la personne revendiquant un droit par l’entremise d’un tel acheteur, ou d’un débiteur hypothécaire » et que ces descriptions d’un débiteur hypothécaire intéressent toutes des biens réels. Elle mentionne ensuite que la définition n’est pas exhaustive et que, par conséquent, celle d’exploitant agricole, au sens où ce terme est employé à l’article 31, ne se limite pas forcément aux trois catégories qui y sont mentionnées : motifs, par. 115 et 116.

[55] Cette analyse me paraît valable.

[56] Cependant, ni la Cour fédérale ni la Cour de la Saskatchewan dans la décision Prairie Centre ne font remarquer que les trois catégories précises décrivent seulement des personnes qui ne correspondent pas au sens ordinaire de débiteur hypothécaire (en d’autres termes, la personne qui consent une hypothèque). De plus, ni l’une ni l’autre ne tient compte du libellé de la définition, hormis l’emploi du mot « includes » (sont assimilés à) et les trois catégories précises.

[57] Il convient de préciser que la définition ne décrit pas le sens ordinaire de débiteur hypothécaire; elle ne comporte que la mention « mortgagor includes » (sont assimilés au débiteur hypothécaire), puis énumère trois catégories précises. Cette mention sert donc à élargir, et non à remplacer, le sens ordinaire de débiteur hypothécaire : R. c. A.D.H., 2013 CSC 28, par. 28; British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, par. 36.

[58] Cependant, la définition ne nous dit pas quel sens ordinaire s’applique. Comme le font remarquer la Cour de la Saskatchewan, dans la décision Prairie Centre, et la Cour fédérale, il pourrait y avoir plus d’une manière d’interpréter le sens ordinaire de débiteur hypothécaire – le débiteur hypothécaire ayant grevé un bien‐fonds ou le concédant d’une hypothèque mobilière.

[59] Le terme débiteur hypothécaire est donc imprécis et équivoque. Dans ces circonstances, le libellé de la définition est à la fois insuffisant et peu susceptible de jouer un rôle dominant lorsqu’il s’agit de déterminer si le législateur entendait que les personnes qui consentent une hypothèque mobilière tombent sous le coup de cette définition.

C. Contexte

[60] Que nous dit le contexte sur le sens du terme débiteur hypothécaire?

[61] Le contexte comprend non seulement le texte immédiat (c.-à-d. le libellé de la disposition en question), mais aussi les dispositions connexes et la loi dans son ensemble.

[62] En ce qui a trait tout d’abord à la définition de débiteur hypothécaire, comme le font remarquer la Cour fédérale et la Cour de la Saskatchewan, le libellé qui décrit les catégories précises semble axé sur la notion de bien-fonds, mais je conviens que ce facteur n’est pas concluant.

[63] Comme le contexte pertinent va au-delà du libellé de la disposition en question, il faut également prendre en compte les dispositions connexes ainsi que la SFSA dans son ensemble. À mon sens, il est important de souligner que la SFSA établit une distinction à plusieurs égards entre les sûretés immobilières (hypothèques) et les sûretés mobilières. Les termes débiteur hypothécaire, créancier hypothécaire et hypothèque contribuent largement à établir cette distinction.

[64] Je commence par examiner les définitions connexes, puis j’analyse l’économie de la SFSA.

(i) Définitions connexes : hypothèque et créancier hypothécaire

[65] En termes simples, le débiteur hypothécaire est celui qui consent une hypothèque à un créancier hypothécaire. Il n’est donc pas étonnant que les termes hypothèque et créancier hypothécaire soient aussi définis respectivement aux alinéas 2(1)(o) et (p) de la SFSA. À la lumière des trois définitions, il est difficile d’en dégager une intention de faire tomber le débiteur d’une hypothèque mobilière sous le coup de la définition de débiteur hypothécaire.

[66] La définition de créancier hypothécaire s’apparente à celle de débiteur hypothécaire. Comme cette dernière, elle ne décrit pas le sens ordinaire de créancier hypothécaire, mais comporte plutôt la mention « mortgagee includes » (sont assimilés au créancier hypothécaire), suivie de trois catégories précises. Ces catégories concernent les mêmes rapports que ceux énoncés dans la définition de débiteur hypothécaire, mais vus sous l’angle opposé.

[67] Ainsi, sont assimilés au créancier hypothécaire le vendeur dans le cadre d’un contrat de vente d’une terre agricole, le représentant personnel, l’ayant droit ou le cessionnaire de ce vendeur ou créancier hypothécaire, ainsi que la personne qui revendique un droit par l’entremise de ce vendeur ou créancier hypothécaire. Tout comme dans la définition de débiteur hypothécaire, l’expression [traduction] « sont assimilés à » sert à élargir le sens ordinaire de créancier hypothécaire de manière à viser des personnes qui en seraient autrement exclues. (Les catégories précises mentionnées dans les définitions de débiteur hypothécaire et de créancier hypothécaire ne présentent aucun intérêt pour l’appel outre le fait qu’elles relèvent du contexte. Bien que je n’y renvoie pas expressément pour cette raison, les personnes décrites dans ces catégories sont manifestement des débiteurs hypothécaires ou des créanciers hypothécaires, selon le cas, pour l’application de la SFSA.)

[68] En revanche, la définition d’hypothèque à l’alinéa 2(1)(o) est exhaustive : [traduction] « “hypothèque” s’entend de toute hypothèque sur des terres agricoles, notamment [...] »; les éléments précis visés par cette définition sont ensuite énumérés aux sous‐alinéas (i) à (iv).

[69] Bien que les définitions de débiteur hypothécaire et de créancier hypothécaire ne limitent pas le sens ordinaire de ces termes, le sens ordinaire d’hypothèque est restreint à l’hypothèque grevant une terre agricole, et y sont assimilés les éléments énoncés aux sous‐alinéas (i) à (iv). Comme pour les définitions de débiteur hypothécaire et de créancier hypothécaire, certains de ces éléments échappent au sens ordinaire d’hypothèque (par exemple le contrat de vente d’un bien-fonds visé au sous-alinéa (ii)); aucun, toutefois, ne témoigne d’une intention législative d’y assimiler les hypothèques mobilières. Ils se prêtent tous à une interprétation limitée aux hypothèques ou autres accords concernant des biens‐fonds, sans qu’en soit affecté leur effet.

[70] Certes, le sens à donner aux termes hypothèque, débiteur hypothécaire et créancier hypothécaire est susceptible d’être modifié pour l’application de certaines dispositions de la SFSA, mais aucune de ces modifications ne vise un objet autre que des terres agricoles (voir, par exemple, les al. 21(7)(b), (c) et (d) et 43(b) de la SFSA). En outre, comme nous le mentionnons plus loin au paragraphe 133, ces termes figurent exclusivement aux parties II et III de la SFSA, qui intéressent les sûretés immobilières et les droits des créanciers et des exploitants agricoles relativement à ces sûretés.

[71] À mon avis, étant donné que les définitions des termes débiteur hypothécaire et créancier hypothécaire ont pour seul effet d’élargir le sens ordinaire de ces termes de manière précise et limitée, il convient de dégager leur sens ordinaire de leurs contexte et objet. La définition d’hypothèque, et le fait qu’elle vise seulement les terres agricoles, offre un contexte particulièrement instructif. Cette définition donne à penser qu’une personne n’est un débiteur hypothécaire au sens ordinaire de ce terme que si elle a consenti une hypothèque sur des terres agricoles.

[72] Le paragraphe 2-27(1) de la Loi sur la législation dispose que, dans un texte, les variantes morphologiques et grammaticales d’un terme défini ont un sens correspondant. Bien que les termes débiteur hypothécaire et créancier hypothécaire soient définis, leurs définitions ne précisent pas quel sens ordinaire s’applique. Conformément au principe énoncé au paragraphe 2‐27(1), je suis d’avis que la définition du terme hypothèque doit éclairer le sens ordinaire qu’il convient de donner au terme débiteur hypothécaire, c’est-à-dire une personne qui a consenti une hypothèque sur des terres agricoles.

(ii) Définitions liées aux sûretés mobilières

[73] Ces trois définitions apparentées ne sont toutefois pas les seules qui soient pertinentes. D’autres qui sont énoncées à l’article 2 et dans d’autres parties de la SFSA témoignent également d’une intention non équivoque visant à établir une distinction entre les sûretés immobilières (hypothèques) et les sûretés mobilières.

[74] Les termes « purchase money security interest » (sûreté en garantie du prix d’achat) défini à l’alinéa 2(1)(v), « secured party » (créancier garanti) défini à l’alinéa 2(1)(y), « security agreement » (contrat de sûreté) défini à l’alinéa 2(1)(z) et « security interest » (sûreté) défini à l’alinéa 2(1)(aa) se rapportent tous exclusivement à des biens personnels. À l’instar du terme hypothèque, leurs définitions sont exhaustives.

[75] La sûreté s’entend d’un droit sur un bien personnel qui garantit le paiement ou l’exécution d’une obligation. La sûreté en garantie du prix d’achat s’entend d’une sûreté prise par le vendeur pour garantir le paiement du prix de vente d’un bien personnel. Le créancier garanti s’entend d’une personne qui détient une sûreté. Le contrat de sûreté s’entend du contrat qui crée ou prévoit la création d’une sûreté.

[76] Selon ces définitions, une hypothèque mobilière est un contrat de sûreté qui crée une sûreté en faveur d’un créancier garanti. Cependant, une hypothèque immobilière ne crée pas une sûreté et ne constitue pas un contrat de sûreté, et le créancier d’une hypothèque immobilière n’est pas un créancier garanti.

[77] Comme nous le mentionnons plus loin aux paragraphes 82 et 95, les sûretés mobilières sont prévues à la partie IV de la SFSA.

(iii) Définitions d’exploitant agricole : distinction entre les sûretés immobilières et les sûretés mobilières

[78] L’article 31 ne s’applique que si le défaut, l’action, l’omission ou la dette est le fait d’un exploitant agricole, lequel est défini à cette fin comme un débiteur hypothécaire. Ce n’est toutefois pas la seule définition d’exploitant agricole dans la SFSA.

[79] Le terme exploitant agricole est défini dans les parties II, III, IV et V de la SFSA pour l’application de chaque partie respective (à moins de modifications dans une disposition précise de la partie). Ce terme est donc défini huit fois : voir 2(2), 3(c), 21(7)(b), 27.1(b), 39(1), 43(a), 45(a) et l’art. 65.

[80] Dans les parties II et III de la SFSA, l’exploitant agricole est défini comme un débiteur hypothécaire : SFSA, al. 3(c) et 43(a). Comme nous le voyons plus en détail aux paragraphes 91 à 94, ces parties de la SFSA portent sur des biens réels, c’est-à-dire sur les terres agricoles et la propriété familiale rurale, respectivement. Les termes hypothèque, créancier hypothécaire et débiteur hypothécaire ne figurent donc que dans ces deux parties de la SFSA.

[81] Si, aux termes de l’alinéa 3(c), la définition d’exploitant agricole – un débiteur hypothécaire – s’applique dans le cadre de la partie II (y compris de l’article 31), certaines dispositions de la partie II viennent modifier cette définition, mais à des fins limitées. Plus précisément, la définition est élargie par l’alinéa 21(7)(b) et le paragraphe 39(1) de sorte qu’elle vise les propriétaires de terres agricoles et les preneurs à bail, mais elle demeure axée sur l’existence d’un bien‐fonds. L’alinéa 27.1(b) restreint la définition à des fins limitées : pour être considérée comme un exploitant agricole, une personne doit être un débiteur hypothécaire et satisfaire à d’autres conditions. Dans tous les cas, toutefois, la définition est axée sur l’existence d’un bien‐fonds.

[82] En revanche, la partie IV de la SFSA porte sur les sûretés mobilières, alors que la partie V concerne les biens qui ne peuvent être saisis pour l’acquittement d’une obligation garantie ou en exécution d’un jugement. Pour l’application de ces parties, la définition d’exploitant agricole ne fait pas référence au débiteur hypothécaire. Elle renvoie plutôt au producteur ou à la société agricole qui a des obligations de paiement ou d’autres obligations en lien avec une obligation garantie, ainsi qu’au débiteur saisi dans le cas de la partie V : SFSA, al. 45(a) et art. 65.

[83] L’exploitant agricole est défini comme un débiteur hypothécaire dans les parties de la SFSA qui portent sur les biens réels, mais ce terme a une définition totalement différente dans les parties qui concernent les dettes contractées sur des biens personnels ou l’exécution d’un jugement. Ce fait ajoute au contexte qui mène à la conclusion que le débiteur hypothécaire s’entend d’une personne qui a consenti une hypothèque sur un bien réel.

[84] Il convient de souligner que, pour l’application de la définition de propriété familiale rurale à l’alinéa 2(1)(h), [traduction] « le terme “exploitant agricole” a le sens qui lui est conféré à la partie II, III ou V, selon le cas » : SFSA, par. 2(2). La propriété familiale rurale désigne la maison et les bâtiments occupés par l’exploitant agricole et qui lui servent de véritable résidence, ainsi que les terres agricoles sur lesquelles ils sont situés, et qui occupent une superficie maximale d’environ 160 acres. La propriété familiale rurale bénéficie de protections spéciales prévues aux parties II, III et V de la SFSA.

[85] Suivant la partie II, lorsqu’un créancier hypothécaire obtient une ordonnance de forclusion visant une terre agricole qui comprend une propriété familiale rurale, le tribunal répartit l’hypothèque entre la propriété familiale rurale et la terre agricole, et la dette à l’égard de la première est préservée : SFSA, art. 26. La partie III sursoit à l’exécution d’une ordonnance de forclusion définitive ou d’une ordonnance de mise en possession qui vise une propriété familiale rurale, aussi longtemps que celle-ci demeure une propriété familiale rurale : SFSA, art. 44. Dans ces contextes, comme la sûreté en cause est une hypothèque, il convient de définir l’exploitant agricole comme un débiteur hypothécaire.

[86] Cependant, la partie V porte principalement sur l’insaisissabilité des biens de l’exploitant agricole, notamment la propriété familiale rurale, dans le contexte de l’acquittement d’une obligation garantie ou de l’exécution d’un jugement. Par conséquent, pour déterminer si un bien est une propriété familiale rurale au sens où il faut l’entendre pour l’application de la partie V, il faut appliquer la définition d’exploitant agricole prévue à la partie V. Ainsi, le créancier judiciaire ne peut saisir la propriété familiale rurale de l’exploitant agricole (tel qu’il est défini à la partie V) même si ce dernier n’est pas un débiteur hypothécaire.

[87] Cette adaptation de la définition d’exploitant agricole ne sert toutefois qu’à une seule fin : décider si un bien donné est une propriété familiale. Elle ne modifie pas le sens d’exploitant agricole pour l’application des parties II, III ou V. Elle ajoute au contexte qui permet de conclure que la dette garantie par une hypothèque grevant une terre agricole est traitée d’une manière totalement distincte de toute autre dette dont l’exploitant agricole est responsable.

[88] Dans la décision Lyle Harvey Trimble (Re), 2017 SKQB 59, le juge explique cette distinction aux paragraphes 29 à 31 :

[traduction]
[29] Dans la partie de la SFSA qui expose les définitions générales, la définition du terme « exploitant agricole » renvoie à la définition de « propriété familiale rurale »; il y est indiqué ce qui suit au paragraphe 2(2) : « À l’alinéa 2(1)(h), “exploitant agricole” a le sens qui lui est conféré aux parties II, III ou V, selon le cas ». Par conséquent, la catégorie d’exploitants agricoles qui ont droit à la protection de leur propriété familiale rurale sous le régime de chacune des parties dépend de la définition du terme « exploitant agricole » propre à chaque partie.

[30] Dans la plupart des cas, les tribunaux ont interprété l’intention du législateur qui sous-tend chaque type de protection conférée aux exploitants agricoles-débiteurs en tenant compte de considérations de principe semblables. Les tribunaux dans quelques cas limités font remarquer que la portée de la protection dépend de la catégorie d’exploitant agricole définie dans la partie applicable de la SFSA.

[31] Les parties II et III de la SFSA confèrent toutes deux une protection aux exploitants agricoles-débiteurs hypothécaires, la partie IV offre aux exploitants agricoles-débiteurs une protection dans le contexte d’opérations garanties, et la partie V offre une protection aux exploitants agricoles-débiteurs dans le contexte d’opérations garanties ainsi qu’aux exploitants agricoles-débiteurs visés par un jugement. Il pourrait donc être utile de revoir brièvement chacune de ces définitions différentes pour comprendre les distinctions entre les catégories d’exploitants agricoles.

[Non souligné dans l’original.]

[89] Bien que l’article 31 comporte ses propres définitions, il ne définit pas le terme exploitant agricole et ne modifie en rien la définition de ce terme. Cette disposition ne précise pas que, pour son application, ce terme a le sens que lui confèrent les parties II, III ou IV, selon le cas, comme le fait le paragraphe 2(2) de la SFSA dans le cas de la propriété familiale rurale. Il semble évident que, si le législateur avait voulu que le terme exploitant agricole revête un autre sens que celui de débiteur hypothécaire à l’article 31, il l’aurait indiqué – comme il l’a fait ailleurs dans la SFSA, notamment dans trois autres dispositions de la partie II. Puisqu’il ne l’a pas fait, la définition applicable d’exploitant agricole doit être celle indiquée à l’article 3, à savoir un débiteur hypothécaire.

(iv) Économie de la SFSA : distinction entre les sûretés immobilières et les sûretés mobilières

[90] L’économie de la SFSA témoigne de la distinction entre les sûretés immobilières (les hypothèques consenties par des débiteurs hypothécaires à des créanciers hypothécaires) et les sûretés mobilières (y compris celles consenties à des créanciers garantis) qui ressort des définitions. Les droits et obligations des exploitants agricoles et des créanciers relativement à ces deux catégories de sûretés sont examinés dans d’autres parties de la SFSA.

[91] La partie II de la SFSA est intitulée [traduction] « Protection des terres agricoles ». Comme l’indique son titre, elle a pour objet de [traduction] « protéger les exploitants agricoles contre la perte de leurs terres agricoles » : SFSA, art. 4. Autrement dit, puisque l’exploitant agricole est défini comme un débiteur hypothécaire pour l’application de la partie II, cette dernière a pour objet de protéger les débiteurs hypothécaires contre la perte de leurs terres agricoles. Il n’est donc pas étonnant que les dispositions de cette partie soient axées sur un tel objet.

[92] L’action est définie comme une action en justice intentée par un créancier hypothécaire à l’égard d’une terre agricole ou, pour l’application de l’article 25, comme une action concernant une terre agricole ou une hypothèque : SFSA, al. 3(a) et par. 25(1). Le créancier hypothécaire ne peut intenter une action en forclusion ou en recouvrement d’une créance hypothécaire qu’après avoir présenté une demande à la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan en vue d’obtenir une ordonnance autorisant pareille action : SFSA, art. 9 et 11. De plus, cette demande ne peut être présentée que 150 jours après que le créancier a signifié un avis d’intention en ce sens à l’exploitant agricole et à la Farm Land Security Board : SFSA, par. 12(1). La médiation est une condition préalable au dépôt d’une telle demande, et l’exploitant agricole, le créancier hypothécaire et la Farm Land Security Board ont des obligations à cet égard : SFSA, art. 12. Dans certaines circonstances, l’exploitant agricole peut obtenir de la cour qu’elle ordonne la médiation supervisée : SFSA, art. 15.

[93] L’exploitant agricole (le débiteur hypothécaire) bénéficie de certaines présomptions quant à sa capacité de rembourser, alors que le créancier doit s’acquitter du fardeau de la preuve : SFSA, art. 13 et 18. L’exploitant agricole (c.-à-d. le débiteur hypothécaire) a un droit de préemption à l’achat de terres agricoles qu’il a perdues au profit d’un créancier par suite d’une ordonnance de forclusion ou d’une renonciation : SFSA, par. 27(1) et (2).

[94] La partie III de la SFSA est intitulée [traduction] « Protection du lieu de résidence » et, avec certaines dispositions de la partie II, elle confère des protections spéciales à la propriété familiale rurale, comme il est indiqué aux paragraphes 84 et 85. Il convient de préciser que la propriété familiale rurale ne comprend aucun bien personnel.

[95] La partie IV de la SFSA, intitulée [traduction] « Possession d’équipement », traite des droits des exploitants agricoles, ainsi que des limites aux droits des personnes qui détiennent des sûretés (notamment des sûretés en garantie du prix d’achat) sur des biens personnels aux termes de contrats de sûreté. Certaines de ses dispositions portent sur la reprise de possession ou la cession des [traduction] « articles » et « équipement » constituant des biens personnels acquis ou utilisés par un exploitant agricole dans le cadre de ses activités agricoles : SFSA, par. 46(1) et al. 2(1)(i). Ces restrictions s’appliquent au créancier garanti, notamment au vendeur ayant une sûreté en garantie du prix d’achat.

[96] La partie V, intitulée [traduction] « Exemptions », porte sur les biens d’un exploitant agricole qui sont exempts de saisie. Comme il est mentionné plus haut, l’exploitant agricole est défini à cette fin comme un producteur qui est tenu au paiement ou à toute autre exécution d’une obligation garantie, qu’il soit ou non propriétaire des biens ou qu’il ait ou non des droits sur ceux‐ci, ou est un débiteur saisi : SFSA, art. 65. Le terme « débiteur saisi » désigne généralement une personne à qui la cour ordonne par voie de jugement de verser de l’argent.

[97] La partie V porte donc sur les demandes de paiement découlant d’une obligation garantie portant sur des biens ou d’un jugement ordonnant un paiement, et non d’une ordonnance de forclusion, d’une renonciation ou d’une prise de possession d’un bien réel – lesquelles relèvent toutes de la partie II.

[98] Les biens insaisissables à la partie V consistent principalement en des biens personnels, notamment des vêtements, des bijoux, des meubles, des ustensiles, de l’équipement et des appareils électroménagers, du bétail, de la machinerie et de l’équipement agricoles, des outils, des grains de semence et des cultures semencières ou des produits agricoles, sous réserve de certaines limites : SFSA, art. 66. Cependant, la propriété familiale rurale, de même que certains droits que détient l’exploitant agricole à l’égard de biens réels, sont également exempts de saisie, car, en l’absence d’une exemption, ces biens pourraient vraisemblablement faire l’objet d’une saisie en exécution d’un jugement : SFSA, al. 66(h), (k), (l), (m) et (n).

[99] À l’exception de la définition de créancier à l’article 31, dont il est question aux paragraphes 110 à 118, l’article 41 est la seule autre disposition de la SFSA qui traite expressément des hypothèques et des contrats de sûreté. Cet article porte sur l’affectation des sommes versées par l’exploitant agricole lorsque l’hypothèque (ou le contrat de sûreté) garantit plus d’une dette. Cependant, il établit également une distinction entre les sûretés immobilières (hypothèques) et les sûretés mobilières (notamment les sûretés en garantie du prix d’achat).

[100] Il ne fait aucun doute que les parties II et III de la SFSA portent essentiellement sur les obligations garanties par des biens réels (les hypothèques), que la partie IV porte sur les obligations garanties par des biens personnels et que la partie V a pour objet de protéger certains biens de l’exploitant agricole contre une saisie pour l’acquittement d’obligations garanties grevant des biens ou par suite d’un jugement. Le libellé de ces parties, notamment les définitions d’exploitant agricole qui diffèrent au besoin selon le contexte, témoigne de la distinction à respecter entre les sûretés immobilières (hypothèques) et d’autres sûretés et obligations de paiement.

[101] Cette distinction a été reconnue par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Dietz v. Bank of Montreal, 107 W.A.C. 263, 1996 CanLII 4903 (C.A. Sask.), où elle affirme au paragraphe 9 :

[traduction]
[...] La dette faisant l’objet de la restructuration reflète clairement la distinction entre les hypothèques mobilières et les hypothèques immobilières en equity. De fait, la [SFSA] sépare précisément ces deux types de sûretés en prévoyant une procédure pour l’exécution des hypothèques immobilières à la partie II et une autre pour l’exécution des hypothèques mobilières à la partie IV. Rien n’indique que, lorsqu’une est accessoire à l’autre, les deux doivent être assujetties aux conditions préalables à l’exécution. Une telle interprétation aurait pour effet de modifier considérablement le sens de la loi [...].

[Non souligné dans l’original.]

Voir également la décision Kovlaske v. Canadian Imperial Bank of Commerce, 2002 SKQB 434, par. 19.

(v) Contexte et décision Prairie Centre

[102] Dans la décision Prairie Centre, la Cour de la Saskatchewan s’attache à déterminer ce qu’est un débiteur hypothécaire, mais ne tient pas compte de la manière dont le contexte, outre l’article 31, joue sur l’interprétation à donner aux termes exploitant agricole ou débiteur hypothécaire. Plutôt que d’examiner le contexte global, elle affirme que l’article 31 [traduction] « constitue la meilleure réponse à la question de savoir si le terme débiteur hypothécaire devrait être interprété de manière stricte ou large » : Prairie Centre, par. 17.

[103] Je ne suis pas de cet avis.

[104] L’exercice d’interprétation a pour point de départ la définition de débiteur hypothécaire, qui s’applique expressément à l’ensemble de la SFSA. Si le législateur n’indique pas expressément que la définition énoncée à l’article 2 ne s’applique pas ou s’applique sous réserve de certaines modifications, ou s’il ne ressort pas clairement du contexte que cette définition ne doit pas s’appliquer à certaines fins précises, le même sens doit être attribué au terme dans l’ensemble de la loi : Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, par. 29. Voir également le paragraphe 2-27(2) de la Loi sur la législation.

[105] De plus, bien que le terme débiteur hypothécaire figure à plus de 50 reprises dans la SFSA, l’article 31 n’en fait pas mention. Pourtant, en interprétant ce terme, la Cour de la Saskatchewan limite son analyse contextuelle presque exclusivement à l’article 31. Je suis d’avis qu’elle a ainsi commis une erreur et que son analyse contextuelle était incomplète.

[106] La Cour de la Saskatchewan conclut, sur le fondement de trois observations, que le débiteur hypothécaire à l’article 31 s’entend notamment du débiteur d’une hypothèque mobilière.

[107] Premièrement, même si l’article 31 figure dans la partie II, selon la Cour de la Saskatchewan, il [traduction] « s’agit en fait d’une disposition autonome » et « [i]l aurait mieux valu [...] que la disposition sur les garanties fasse l’objet d’une partie distincte de la Loi » : Prairie Centre, par. 12 et 18. Or, l’article 31 ne s’inscrit pas dans une partie distincte. Il ne figure pas non plus dans l’une ou l’autre des deux parties de la SFSA qui contiennent des dispositions d’application générale, soit les parties I (Titre et interprétation) et VII (Dispositions générales). Il figure plutôt dans la partie de la SFSA intitulée [traduction] « Protection des terres agricoles », dont l’objet déclaré est d’offrir une protection contre la perte de terres agricoles : SFSA, art. 4. Précisons que la Cour de la Saskatchewan ne mentionne pas l’article 4 ni ne tient compte de son incidence sur l’interprétation de l’article 31.

[108] Deuxièmement, la Cour de la Saskatchewan fait remarquer que l’article 31 comprend ses propres définitions, notamment celle de créancier : [traduction] « sont assimilés au créancier le créancier hypothécaire et le créancier garanti » : SFSA, al. 31(1)(a). Enfin, elle mentionne que la définition de garantie à l’article 31 renvoie à [traduction] « la dette d’un exploitant agricole à l’égard d’une terre agricole ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles ».

[109] Je ne souscris pas à ces deux dernières observations de la Cour de la Saskatchewan, et ce pour les motifs suivants.

(a) Définition de créancier

[110] Après sa mention de la définition de créancier énoncée à l’article 31, la Cour de la Saskatchewan déclare ce qui suit au paragraphe 20 de la décision Prairie Centre :

[traduction]
Par conséquent, [...] il semble que le législateur a élargi à dessein le sens du terme créancier afin qu’il vise, outre le créancier hypothécaire, le créancier garanti. En toute logique, si le créancier s’entend non seulement du créancier hypothécaire, mais aussi du créancier garanti, alors, à l’inverse, le débiteur doit également s’entendre non seulement du débiteur hypothécaire ayant grevé des biens réels, mais aussi du concédant ou d’un débiteur ayant conclu un contrat de sûreté.

[111] Je conviens qu’un créancier ne se limite pas à un créancier hypothécaire, mais je ne souscris pas à la conclusion que la Cour de la Saskatchewan tire de cette définition.

[112] Premièrement, bien que l’article 31 comporte sa propre série de définitions, le terme débiteur n’y figure pas. De fait, dans l’ensemble de la SFSA, ce terme ne figure que dans deux titres de la partie V et, dans chacun de ces cas, le libellé même de la disposition renvoie à un exploitant agricole et non à un débiteur : SFSA, art. 71 et 73.

[113] Deuxièmement, le terme créancier est absent de la définition de garantie, le seul passage de l’article 31 où figure le terme exploitant agricole.

[114] La Cour de la Saskatchewan ajoute ce qui suit :

[traduction]
[21] Le mot créancier figure également à l’alinéa 31(6)b) :

31(6)b) accepté de bonne foi par le créancier;

[Non souligné dans l’original.]

[22] Par conséquent, je me demande pourquoi le législateur aurait inclus la définition de créancier (c’est-à-dire un créancier garanti) et aurait répété ce terme à l’alinéa 31(1)(6)b) [sic], s’il n’entendait pas que l’article 31 s’applique à des situations intéressant d’autres opérations que les hypothèques grevant des terres agricoles? Il ressort du libellé de cette disposition que l’exigence relative à l’obtention d’un avis juridique indépendant s’applique aux situations intéressant l’octroi de sûretés (comme c’est le cas en l’espèce) outre les hypothèques immobilières.

[Le soulignement et le gras dans ce passage sont de la Cour de la Saskatchewan.]

[115] La Cour de la Saskatchewan n’examine qu’une seule occurrence du terme créancier à l’article 31 – celle figurant à l’alinéa 31(6)b). Cette disposition subordonne au respect d’une condition impérative l’admissibilité du certificat délivré par l’avocat ou le notaire public comme preuve concluante du respect des exigences énoncées à l’article 31.

[116] Or, il y a deux autres occurrences du terme créancier dans l’article 31 – à savoir dans les définitions des termes avocat et notaire public – mais aucune n’a été prise en compte dans la décision Prairie Centre. Pourquoi ce terme figure-t-il dans ces définitions? Parce qu’un avocat ou un notaire public ne peut donner des conseils à une personne qui propose de souscrire une sûreté et délivrer le certificat confirmant ces conseils que s’il [traduction] « n’a pas préparé de documents au nom du créancier relativement à l’opération » : SFSA, al. 31(1)c) et d).

[117] Ma réponse à la question que pose la Cour de la Saskatchewan au paragraphe 22 de ses motifs est la suivante : le législateur a agi ainsi parce qu’il a jugé qu’un avocat ou un notaire public, s’il prépare des documents pour un créancier hypothécaire ou le créancier garanti d’un exploitant agricole (le débiteur hypothécaire) dans le cadre d’une opération ne saurait être réputé indépendant. Cependant, une personne qui consent une hypothèque mobilière à un créancier ne devient pas un débiteur hypothécaire pour autant. Or, si une personne n’est pas un débiteur hypothécaire, elle n’est pas un exploitant agricole.

[118] Je reconnais qu’un créancier autre qu’un créancier hypothécaire (autrement dit un créancier garanti) peut détenir une sûreté. Or il ne s’ensuit pas qu’il faut forcément conclure qu’un débiteur hypothécaire est assimilé à un débiteur d’une hypothèque mobilière. Aux paragraphes 122 à 124 ci-après, je donne quelques exemples où une telle situation peut se produire. Je suis toutefois d’avis que la définition de créancier à l’article 31 n’a aucune incidence sur l’interprétation des termes exploitant agricole ou débiteur hypothécaire.

(b) Autres biens utilisés dans des activités agricoles

[119] Passons au troisième motif invoqué par la Cour de la Saskatchewan dans la décision Prairie Centre pour étayer sa conclusion concernant le sens de débiteur hypothécaire : à savoir que la définition de garantie renvoie à [traduction] « la dette d’un exploitant agricole à l’égard d’une terre agricole ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles ». Sur cette question, la Cour de la Saskatchewan affirme ce qui suit :

[traduction]
[23] Cependant, l’expression la plus claire de l’intention du législateur provincial se trouve dans le texte même de l’alinéa 31(1)b) :

31(1)b) [...] à l’égard d’une terre agricole ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles, à l’exclusion de la garantie souscrite avant l’entrée en vigueur de la présente loi ;

[Non souligné dans l’original.]

[24] Selon moi, le texte de la disposition vise manifestement à élargir la portée des garanties au‐delà des cas intéressant les terres agricoles, pour englober celles se rapportant à des biens autres que des biens réels. Il ne saurait y avoir d’autre raison logique d’inclure les mots « ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles », immédiatement après l’expression « terre agricole ».

[25] Par conséquent, synthétisant tout ce qui précède, je suis d’avis qu’un exploitant agricole est un genre de débiteur hypothécaire (pas forcément un débiteur hypothécaire ayant grevé un bien réel) qui consent une sûreté sur un autre bien utilisé dans des activités agricoles (précisons qu’il s’agit d’un bien autre qu’une terre agricole, ou en sus d’une terre agricole).

[Le soulignement et le gras dans ce passage sont de la Cour de la Saskatchewan.]

[120] Je ne suis pas de cet avis.

[121] On ne peut décrire l’article 31 comme étant l’expression la plus claire de l’intention du législateur sur le sens de débiteur hypothécaire. Ce n’est pas ce terme qui figure à l’article 31, c’est le terme exploitant agricole. Certes, il se peut que l’article 31 élargisse la portée des garanties au-delà des hypothèques sur des terres agricoles. Or, il ne s’ensuit pas qu’il faille élargir le sens de débiteur hypothécaire – et donc celui d’exploitant agricole – pour que ce terme vise également le débiteur d’une hypothèque mobilière. Trois exemples me viennent immédiatement à l’esprit.

[122] Supposons qu’une société se livrant à l’exploitation agricole souscrive un emprunt pour acheter de la machinerie et du matériel agricoles qui seront utilisés dans des activités agricoles et qu’elle garantisse cette dette par une hypothèque sur ses terres agricoles et une garantie de ses actionnaires. Cette société serait considérée comme un exploitant agricole (débiteur hypothécaire ayant grevé un bien réel), malgré le fait que la dette garantie par l’hypothèque se rapporte à des biens (autres que des terres agricoles) utilisés dans des activités agricoles.

[123] Autre exemple, supposons qu’une société souscrive un emprunt pour acheter de la machinerie et du matériel ainsi que des terres agricoles, qu’elle consente pour ces deux emprunts des sûretés sur l’ensemble des biens achetés et que les actionnaires acceptent de garantir les emprunts. Dans cet exemple également, la société serait considérée comme un exploitant agricole (débiteur hypothécaire ayant grevé un bien réel), malgré le fait que la dette garantie se rapporte à des terres agricoles et à d’autres biens utilisés dans des activités agricoles. Dans ce cas, le prêteur (créancier) serait à la fois un créancier hypothécaire (relativement à l’hypothèque) et un créancier garanti (relativement à la sûreté sur la machinerie et le matériel). De fait, il pourrait y avoir deux prêteurs distincts – un créancier hypothécaire et un créancier garanti – chacun demandant des garanties sur la dette contractée par l’exploitant agricole, une société qui a consenti une hypothèque sur des terres agricoles et qui, de ce fait, est un débiteur hypothécaire.

[124] Troisième exemple : supposons qu’une société qui a précédemment consenti une hypothèque sur ses terres agricoles cherche à emprunter de l’argent d’un tiers pour acheter du matériel agricole. Afin de garantir le remboursement du prêt, le prêteur demande une sûreté sur le matériel acheté, ainsi qu’une garantie des actionnaires. Comme elle a consenti une hypothèque sur ses terres agricoles, la société serait un débiteur hypothécaire (partant, un exploitant agricole), même si le prêt garanti se rapporte à du matériel agricole.

[125] Ce ne sont là que trois exemples de situations où, en limitant le sens de débiteur hypothécaire à la personne qui a grevé d’une hypothèque ses terres agricoles, on donne tout son sens à l’expression [traduction] « ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles » à l’article 31. La protection des exploitants agricoles ayant consenti ces hypothèques cadrerait parfaitement avec l’objet énoncé de la partie II de la SFSA – et les dispositions qui y figurent, notamment l’article 31 – qui est de [traduction] « protéger les exploitants agricoles [(débiteurs ayant grevé des terres agricoles)] contre la perte de leurs terres agricoles ».

[126] Je suis d’avis que la mention « ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles » n’a aucune incidence sur le sens d’exploitant agricole (ou débiteur hypothécaire).

(vi) Conclusion sur le contexte

[127] À mon avis, l’analyse contextuelle n’étaye qu’une seule conclusion. Une personne qui a consenti une hypothèque mobilière ne saurait être assimilée à un débiteur hypothécaire aux fins de la SFSA. Le débiteur hypothécaire est une personne qui a consenti une hypothèque sur des terres agricoles ou tombe sous le coup d’une des catégories précises énoncées dans la définition de débiteur hypothécaire.

[128] Je reconnais que la Cour de la Saskatchewan est arrivée à une conclusion différente dans l’affaire Prairie Centre et que la Cour fédérale a souscrit à cette analyse. Je suis toutefois d’avis que l’analyse contextuelle dans la décision Prairie Centre était incomplète.

[129] Bien qu’elle reconnaisse que les définitions d’hypothèque, de créancier hypothécaire et de débiteur hypothécaire [traduction] « semblent être axées sur des situations intéressant des biens réels » (Prairie Centre, par. 13), la Cour de la Saskatchewan ne se demande pas si ce contexte ou plus généralement l’économie des dispositions connexes et de la SFSA dans son ensemble éclairent le sens de débiteur hypothécaire. Le seul contexte dont elle tient compte est l’article 31. Pour les raisons que j’expose plus haut, cette disposition n’a guère d’incidence sur l’interprétation qu’il convient de faire d’un terme qui n’y figure pas, qui paraît dans de nombreuses autres dispositions de la SFSA et dont la définition s’applique (sauf modifications expresses) à toutes ces dispositions, y compris à celle d’exploitant agricole prévue à la partie II.

[130] Je note également que la décision Prairie Centre ne renvoie pas à l’affaire Bank of Montreal v. Coutts (1992), 99 Sask. R. 144, 87 D.L.R. (4th) 352 (CBR Sask.) [Coutts]. Cette dernière, si elle n’intéresse pas l’article 31, soulève la question de savoir si un créancier hypothécaire peut opposer à une caution l’insuffisance relative à un prêt consenti pour l’achat de terres agricoles. Aux termes de la partie II de la SFSA, la réclamation d’un créancier à l’égard du débiteur hypothécaire se limite aux biens réels. Dans l’affaire Coutts, la caution prétendait avoir droit à cette protection, car elle avait garanti une hypothèque pour l’achat de terres agricoles.

[131] Dans cette affaire, la Cour de la Saskatchewan fait observer que [traduction] « [c]e ne sont pas toutes les personnes ni toutes les dettes qui tombent sous le coup » de la SFSA. Elle ajoute que la partie II [traduction] « limite la protection uniquement aux dettes liées à l’achat de terres agricoles et aux exploitants agricoles qui ont contracté une telle dette à titre de débiteurs hypothécaires » (par. 7). En ce qui a trait au terme « exploitant agricole », cette cour ajoute ce qui suit au paragraphe 21 :

[traduction]
Dans la présente espèce, je conclus que le défendeur n’est pas un exploitant agricole au sens de l’alinéa 3c) de la Loi, car il n’est pas un débiteur hypothécaire. Ses terres agricoles ne sont pas visées par l’hypothèque en cause, entièrement ou en partie. Il ne risque pas de perdre ses terres agricoles. Ainsi, il n’est pas une personne à qui la protection conférée par la loi était destinée.

[Non souligné dans l’original.]

Voir également Bank of Montreal v. Wakaw Enterprises Ltd. et al. (No. 2), 90 Sask. R. 17 (CBR Sask.), 1990 CanLII 7409.

D. Objet

[132] Pour terminer mon analyse de l’interprétation de la loi, je dois examiner l’objet de la définition de débiteur hypothécaire. C’est l’objet de ce terme, et non l’objet de l’article 31, qui est pertinent ici, à la fois parce que la définition de débiteur hypothécaire à l’article 2 s’applique à la SFSA dans son ensemble (sauf modifications expresses) et que ce terme ne figure pas à l’article 31.

[133] La meilleure façon de déterminer l’objet du terme débiteur hypothécaire est d’examiner l’emploi de ce terme et des termes connexes créancier hypothécaire et hypothèque. Il y a plus de 50 occurrences de débiteur hypothécaire, plus de 100 occurrences d’hypothèque et plus de 80 occurrences de créancier hypothécaire dans la SFSA. À l’exception des définitions présentées dans la partie I et de l’article 109 (qui autorise la prise de règlements), ces termes figurent exclusivement dans les parties II et III. Conformément aux titres de ces sections (protection des terres agricoles et protection du lieu de résidence) et à l’objet énoncé de la partie II, ces parties portent principalement sur les obligations et les droits liés aux dettes garanties par des terres agricoles, y compris la propriété familiale rurale de l’exploitant agricole. Ces termes servent à établir les parties à l’accord qui confère la sûreté visée par ces parties de la SFSA; un débiteur hypothécaire consent une hypothèque sur des terres agricoles à un créancier hypothécaire.

[134] Pour des raisons comparables, les termes associés aux sûretés se rapportant à des biens personnels – sûreté en garantie du prix d’achat, créancier garanti, contrat de sûreté et sûreté – se trouvent presque exclusivement aux parties IV et V, à l’exception des articles 41 et 42 et de la définition de créancier à l’article 31. Les parties IV et V de la SFSA portent sur les créances garanties autres que les créances hypothécaires et l’exécution de jugement. Ainsi, ces termes identifient les parties en cause de même que les liens entre elles : un producteur (exploitant agricole) consent une sûreté à un créancier garanti aux termes d’un contrat de sûreté.

[135] À mon avis, il ressort clairement de ce qui précède que le terme débiteur hypothécaire renvoie à une personne qui a consenti une sûreté sous la forme d’une hypothèque sur un bien réel qui est une terre agricole ou une propriété familiale rurale.

E. Conclusion sur le sens d’exploitant agricole ou débiteur hypothécaire

[136] Pour l’application de l’article 31, un exploitant agricole est un débiteur hypothécaire. Selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique, je suis d’avis qu’un débiteur hypothécaire est une personne qui a grevé d’une hypothèque des terres agricoles ou qui est autrement visée par l’une des catégories précises énoncées dans la définition de débiteur hypothécaire, à l’article 2 de la SFSA. Le débiteur d’une hypothèque mobilière n’est pas un débiteur hypothécaire pour l’application de la SFSA.

F. Conclusion sur l’appel

[137] Puisque je rejetterais l’appel incident, la seule question en litige dans le présent appel est de savoir si le document intitulé Garantie conjointe et solidaire signé par les Bezan constitue une garantie au sens de l’article 31 de la SFSA. Pour qu’il en soit ainsi, Bezan Cattle doit être un exploitant agricole au sens où il faut entendre ce terme pour l’application de cette disposition.

[138] Il n’existe pas de véritable question litigieuse si la demande est dénuée de fondement juridique compte tenu du droit ou de la preuve invoquée, ou si le juge dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige : Manitoba c. Canada, 2015 CAF 57, par. 15, renvoyant aux arrêts Burns Bog Conservation Society c. Canada, 2014 CAF 170, par. 35 et 36, et Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, par. 66 [Hryniak]. À mon avis, à moins que Bezan Cattle ne soit un débiteur hypothécaire, l’article 31 de la SFSA ne s’applique pas.

[139] Il incombe à la partie qui demande le jugement sommaire d’établir qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse. Cependant, les parties qui répondent à de telles requêtes sont également tenues de « présenter leurs meilleurs arguments » dans leur réponse : Milano Pizza Ltd. c. 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112, par. 34 [Milano Pizza] et Gupta c. Canada, 2021 CAF 31, par. 29 [Gupta]. Comme l’affirme notre Cour, il s’agit, pour la partie intimée, de « jouer atout ou risquer de perdre » : Gemak Trust c. Jempak Corporation, 2022 CAF 141, par. 67, renvoyant à Milano Pizza, par. 35.

[140] Rien dans le dossier n’indique que Bezan Cattle est un exploitant agricole au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’article 31 de la SFSA. Bien que les Bezan ait revendiqué la protection conférée par l’article 31, ils n’ont produit aucun élément portant que Bezan Cattle était propriétaire des terres ou avait grevé ces dernières d’une hypothèque.

[141] Par conséquent, j’accueillerais l’appel. Dans les circonstances, je ne vois aucun avantage à renvoyer l’affaire à la Cour fédérale aux fins de nouvelle décision. Les éléments de preuve dont la Cour fédérale était saisie nous ont également été présentés. Par conséquent, je rendrais l’ordonnance que la Cour fédérale aurait dû rendre et je prononcerais un jugement sommaire contre les Bezan, comme le permet le sous-alinéa 53(1)b)(i) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

G. Les autres motifs d’appel

[142] Compte tenu de cette conclusion, il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’examiner les autres arguments invoqués par le procureur général pour étayer sa thèse selon laquelle l’article 31 ne s’applique pas. Il vaut mieux en remettre l’examen à une autre occasion. Cependant, il ne faut pas voir autre chose dans mon silence. Je ne me prononce pas sur l’analyse par la Cour fédérale des autres éléments qu’elle a mentionnés dans son interprétation de l’article 31 et qui sont décrits au paragraphe 30 des présents motifs.

V. L’appel incident

[143] Ayant statué sur l’appel, j’examine maintenant l’appel incident.

[144] La Cour fédérale a rendu un jugement sommaire contre Bezan Cattle et a conclu qu’elle disposait d’une preuve suffisante pour établir les faits pertinents, qu’aucune question de crédibilité ne se posait et qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse.

[145] Bezan Cattle fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de véritable question litigieuse et en tenant Bezan Cattle responsable des fonds que BFI avait demandés et reçus. Elle demande que le jugement rendu contre elle soit annulé et que l’action qui lui a été intentée soit rejetée dans son intégralité ou, subsidiairement, que le différend soit réglé à l’issue d’un procès.

[146] Le procureur général affirme que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur et que l’appel incident devrait être rejeté.

A. Absence de véritable question litigieuse

[147] Lorsqu’il est saisi d’une requête en jugement sommaire, le tribunal détermine si l’affaire soulève ou non une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès. Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait : Badawy c. Igras, 2019 CAF 153, par. 6. S’il n’y a pas d’erreur de droit isolable, la conclusion quant à l’absence de véritable question litigieuse est examinée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Hryniak, par. 81.

[148] Bezan Cattle ne prétend pas que la Cour fédérale a utilisé le mauvais critère pour déterminer s’il existait ou non une véritable question litigieuse. Elle prétend plutôt que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’elle disposait de la preuve nécessaire pour tirer les conclusions de fait requises, car le ministre n’a pas présenté les éléments de preuve requis.

[149] Bezan Cattle appuie sa thèse sur l’absence d’un affidavit de Jim Juacalla, le représentant de MLCA avec qui les Bezan ont fait affaire au sujet des demandes, mais qui n’était plus au service de MLCA au moment du dépôt de la requête en jugement sommaire. Selon Bezan Cattle, la Cour fédérale a donc privilégié à tort la preuve indirecte du ministre sur les modifications apportées aux demandes à la preuve directe des Bezan. Bezan Cattle fait valoir que la Cour fédérale aurait dû tirer une conclusion défavorable au ministre de l’absence de la preuve de M. Juacalla.

[150] La Cour fédérale n’a pas privilégié la preuve du ministre. Elle a au contraire expressément accepté la preuve produite par les Bezan « en l’état ». Toutefois, elle était d’avis qu’accepter cette preuve ne démentait pas sa conclusion suivant laquelle les actes des Bezan après 2008 ont fait en sorte que Bezan Cattle a accepté la responsabilité légale des deux avances : motifs, par. 84.

[151] Bezan Cattle ne semble pas avoir précisé à la Cour fédérale la nature de la conclusion défavorable qu’elle lui demandait de formuler (voir les motifs, par. 51). Or, elle explique dans le cadre de la présente instance que M. Juacalla confirmerait la preuve des Bezan selon laquelle ils n’ont pas autorisé les modifications apportées aux demandes. Puisque la Cour fédérale a accepté cette preuve, tout défaut de tirer la conclusion défavorable demandée n’a aucune incidence sur l’issue.

[152] Bezan Cattle ne m’a pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse.

B. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en tenant Bezan Cattle responsable des deux avances?

[153] Bezan Cattle affirme en outre que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que Bezan Cattle était responsable des fonds que BFI a demandés et reçus. Elle affirme plus précisément que la Cour fédérale :

(i) a eu tort de lever, le voile de la personnalité morale, en ne traitant pas BFI comme une entité distincte de Bezan Cattle;

(ii) a eu tort de ne pas reconnaître l’absence de contrepartie pour tout accord par lequel Bezan Cattle acceptait la responsabilité des avances versées à BFI;

(iii) a eu tort de conclure, que, de par leurs actes, Bezan Cattle et les Bezan ont accepté que Bezan Cattle soit responsable des avances versées à BFI.

[154] À mon avis, ces affirmations sont sans fondement.

[155] Pour étayer le premier point, Bezan Cattle invoque une seule phrase du paragraphe 78 des motifs de la Cour fédérale, où il est indiqué que « les défendeurs ont reçu l’avance d’urgence et l’avance [d’exploitation en cycle continu] », et souligne le fait que BFI n’est pas un défendeur. Or, cette déclaration ne fonde pas l’analyse de la Cour fédérale. Cette dernière l’énonce pour distinguer de la présente affaire une affaire invoquée par Bezan Cattle et les Bezan pour étayer leurs arguments quant à la nature frauduleuse des modifications apportées aux demandes. À la lumière des motifs dans leur ensemble, il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a compris que BFI et Bezan Cattle étaient deux entités distinctes.

[156] Quant au deuxième point, Bezan Cattle fait valoir qu’elle ne saurait être tenue responsable des fonds avancés à BFI, car elle n’a reçu aucune contrepartie pour assumer cette responsabilité. Rien dans le dossier n’indique que cet argument a été présenté à la Cour fédérale. Or, en règle générale, il n’est pas permis de soulever une nouvelle question dans le cadre d’un appel; la cour d’appel peut faire exception à la règle si l’intérêt de la justice l’exige et lorsque la Cour dispose de conclusions de fait et d’un dossier de preuve suffisant : Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, par. 36 à 39. Je ne suis pas convaincue que la présente instance justifie une exception à la règle.

[157] L’absence de contrepartie n’est nullement mentionnée dans les affidavits déposés par les Bezan. L’affidavit de Mme Bezan précise que des fonds avancés à Bezan Cattle ont servi à payer les comptes débiteurs de BFI (ou plutôt comptes créditeurs à mon avis). À part cela, il n’existe pratiquement aucune information sur les accords financiers ou autres conclus entre les deux sociétés, ou entre ces dernières et les Bezan, ou sur les accords que les deux sociétés pourraient avoir conclus au sujet des deux avances. Comme le souligne la Cour fédérale, « [l]a partie qui répond à une requête en jugement sommaire doit [TRADUCTION] “présenter ses meilleurs arguments” dans sa réponse » : motifs, par. 44, renvoyant à l’arrêt Gupta, par. 29 et à la décision Milano Pizza, par. 34.

[158] Quant au troisième point, la Cour fédérale a tenu compte des arrêts Saint John Tug Boat et Strata Owners. Elle a ensuite examiné en détail ce qu’elle décrit comme le « constat [...] clairement établi, de longue date et de manière répétitive, que les deux parties s’attendaient raisonnablement, et que [Bezan Cattle] s’engageait en substance, à ce que [Bezan Cattle] soit légalement tenue au remboursement » : motifs, par. 64. S’appuyant sur les principes énoncés dans les arrêts Saint John Tug Boat et Strata Owners, la Cour fédérale a conclu que Bezan Cattle, par sa conduite, a accepté de rembourser les avances conformément aux modalités des accords de remboursement.

[159] Bezan Cattle affirme que son affaire se distingue de l’arrêt Saint John Tug Boat, car, dans cette affaire, les parties au contrat n’étaient pas en litige. Elle affirme en outre que la Cour fédérale aurait dû conclure qu’il était raisonnable pour les Bezan et Bezan Cattle de s’attendre à ce que l’accord conclu avec MLCA ne soit pas [traduction] « modifié unilatéralement sans leur consentement ». Ces arguments sont essentiellement les mêmes que ceux examinés aux paragraphes 149 et 150 des présents motifs.

[160] Sur ce point également, je ne suis pas convaincue que la Cour fédérale a commis quelque erreur susceptible de révision en concluant que Bezan Cattle avait engagé sa responsabilité à l’égard des deux avances.

C. Conclusion concernant l’appel incident

[161] Ayant conclu que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en rendant un jugement sommaire contre Bezan Cattle, je rejetterais l’appel incident.

VI. Conclusion

[162] J’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement par lequel la Cour fédérale a rejeté la demande présentée contre les Bezan et, rendant l’ordonnance que la Cour fédérale aurait dû rendre, je prononcerais un jugement sommaire contre les Bezan.

[163] Je rejetterais l’appel incident de Bezan Cattle.

[164] Le procureur général sollicite les dépens relatifs à l’appel et à l’appel incident. Comme le procureur général a eu gain de cause dans les deux cas et que les questions en litige étaient suffisamment distinctes, j’adjugerais au procureur général les dépens relatifs à la fois à l’appel et à l’appel incident.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


ANNEXE

Loi sur les programmes de commercialisation agricole, L.C. 1997, ch. 20 en vigueur le 15 mai 2014

Agricultural Marketing Programs Act, S.C. 1997, c. 20 as in force May 15, 2014

[...]

...

Producteur admissible

Eligibility requirements for producers

10 (1) Le producteur est admissible à l’octroi d’une avance garantie pour une campagne agricole donnée si les conditions ci-après sont réunies :

10 (1) For a producer to be eligible for a guaranteed advance during a production period,

[...]

...

d) s’agissant d’une personne morale à plusieurs actionnaires, d’une société de personnes, d’une coopérative ou de toute autre association de personnes, il est satisfait aux exigences suivantes :

(d) if the producer is a corporation with two or more shareholders, a partnership, a cooperative or another association of persons,

[...]

...

(ii) tous les actionnaires, associés ou membres, selon le cas, s’engagent solidairement par écrit envers l’agent d’exécution pour les sommes visées à l’article 22 et donnent en garantie du remboursement de l’avance les sûretés que peut exiger l’agent d’exécution;

(ii) each of the shareholders, partners or members, as the case may be, must agree in writing to be jointly and severally, or solidarily, liable to the administrator for any liability of the producer under section 22 and must provide any security for the repayment of the advance that the administrator may require;

[...]

...

Obligations du producteur défaillant envers l’agent d’exécution

Liability of defaulting producer to administrator

22 Le producteur défaillant relativement à l’accord de remboursement est redevable à l’agent d’exécution de ce qui suit :

22 A producer who is in default under a repayment agreement is liable to the administrator for

a) le montant non remboursé de l’avance garantie;

(a) the outstanding amount of the guaranteed advance;

b) les intérêts sur le montant non remboursé de l’avance garantie calculés au taux prévu dans l’accord de remboursement, courus à partir de la date du versement de l’avance;

(b) the interest at the rate specified in the repayment agreement on the outstanding amount of the advance, calculated from the date of the advance;

c) les frais engagés par celui-ci pour recouvrer les montants visés aux alinéas a) et b), y compris les frais juridiques approuvés par le ministre.

(c) the costs incurred by the administrator to recover the outstanding amount and interest, including legal costs approved by the Minister.

Paiement ministériel obligatoire

Payments to be made by Minister

23 (1) Le ministre doit, après réception d’une demande en ce sens de l’agent d’exécution ou du prêteur à qui, le cas échéant, la garantie a été donnée, lui remettre, conformément à l’accord de garantie d’avance et sous réserve des règlements pris en vertu des alinéas 40(1)g) et g.1), le pourcentage réglementaire de la dette correspondant à la responsabilité du ministre pour les sommes mentionnées aux alinéas 22a) et c) et les intérêts sur le montant non remboursé de l’avance garantie calculés au taux prévu dans l’accord de garantie d’avance, courus à partir de la date du versement de l’avance.

23 (1) If a producer is in default under a repayment agreement and the Minister receives a request for payment from the administrator or lender to whom the guarantee is made, the Minister must, subject to any regulations made under paragraphs 40(1)(g) and (g.1), pay to the lender or the administrator, as specified in the advance guarantee agreement, an amount equal to the Minister’s percentage of

 

(a) the amounts mentioned in paragraphs 22(a) and (c); and

 

(b) the interest at the rate specified in the advance guarantee agreement on the outstanding amount of the advance, calculated from the date of the advance.

Subrogation

Subrogation

(2) Le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution contre le producteur défaillant et les personnes qui se sont engagées personnellement au titre des alinéas 10(1)c) et d), à concurrence du paiement qu’il fait au titre du paragraphe (1).

(2) The Minister is, to the extent of any payment under subsection (1), subrogated to the administrator’s rights against the producer in default and against persons who are personally liable under paragraphs 10(1)(c) and (d).

 

Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988-89, c. S-17.1

PART I

Title and Interpretation

[...]

Interpretation

2(1) In this Act:

[...]

(h) “homestead” means:

(i) the house and buildings occupied by a farmer as his or her bona fide farm residence; and

(ii) the farm land on which the house and buildings mentioned in subclause (i) are situated, not exceeding 160 acres or one quarter section, whichever is greater;

(i) “implement” means:

(i) any implement, equipment or machine that is used or intended for use by a producer on a farm for the purpose of farming;

(ii) a motor vehicle classified in regulations made pursuant to The Traffic Safety Act as a farm vehicle;

[...]

(o) “mortgage” means any mortgage of farm land, including:

(i) a mortgage granted to:

(A) the Agricultural Credit Corporation of Saskatchewan pursuant to The Agricultural Credit Corporation of Saskatchewan Act; or

(B) Farm Credit Canada continued pursuant to the Farm Credit Canada Act or any other corporation created by or pursuant to any other Act of the Parliament of Canada;

(ii) an agreement for the sale of land;

(iii) an agreement renewing or extending a mortgage or agreement for sale; and

(iv) any other mortgage or agreement that is prescribed in the regulations;

(p) “mortgagee” includes:

(i) a vendor under an agreement for the sale of farm land;

(ii) a personal representative, successor or assignee of a vendor mentioned in subclause (i) or a mortgagee; and

(iii) a person claiming through a vendor mentioned in subclause (i) or a mortgagee;

(q) “mortgagor” includes:

(i) a purchaser under an agreement for the sale of farm land;

(ii) a personal representative, successor or assignee of a purchaser mentioned in subclause (i) or a mortgagor; and

(iii) a person claiming through a purchaser mentioned in subclause (i) or a mortgagor;

[...]

(v) “purchase money security interest” means a security interest that is taken or reserved by a vendor to secure payment of all or any part of the sale price of personal property;

[...]

(y) “secured party” means a person who has a security interest and includes a recognized financial institution that has a security interest;

(z) “security agreement” means an agreement that creates or provides for a security interest;

(aa) “security interest” means an interest in personal property that secures payment or performance of an obligation;

[...]

(2) In clause 2(1)(h), “farmer” means “farmer” as defined in Part II, III or V, as the case may be.

PART II

Farm Land Security

Interpretation of Part

3 In this Part:

(a) “action” means an action in court with respect to farm land by a mortgagee for:

(i) foreclosure of the equity of redemption;

(ii) sale or possession of the mortgaged farm land;

(iii) recovery of any money payable under a mortgage;

(iv) specific performance or cancellation of an agreement for sale;

(v) sale or possession of the farm land sold under the agreement for sale; or

(vi) any other relief that may be granted under the agreement for sale;

[...]

(c) “farmer” means, except in sections 27.1 to 27.9, a mortgagor.

Purpose

4 The purpose of this Part is to afford protection to farmers against loss of their farm land.

[...]

Actions prohibited, continued or discontinued

9(1) Notwithstanding any other Act or law or any agreement entered into before, on or after the coming into force of this Act:

[...]

(d) subject to sections 11 to 21, no person shall commence an action with respect to farm land;

[...]

No action without court order

11(1) Where a mortgagee makes an application with respect to a mortgage on farm land, the court may, on any terms and conditions that it considers just and equitable:

(a) order that clause 9(1)(d) or section 10 does not apply; or

(b) make an order for the purposes of clause 9(1)(f).

(2) Where an order is made pursuant to subsection (1), the mortgagee may commence or continue an action with respect to that mortgage.

(3) Any action that is commenced without an order pursuant to this section is a nullity, and any order made with respect to an action or a proposed action without an order pursuant to this section is void.

Notice to board and farmer

12(1) Subject to subsection (14), a mortgagee may apply to the court for an order pursuant to section 11 but only after the expiry of 150 days from the date of service of a notice of intention on:

(a) the board; and

(b) the farmer.

(2) On receiving a notice of intention pursuant to subsection (1), the board shall provide a copy of the notice to the manager of mediation services appointed pursuant to section 8 who:

(a) shall designate a mediator for the purposes of this section; and

(b) forward to the mediator designated pursuant to clause (a) the copy of the notice.

[...]

(5) On receipt of the report mentioned in subsection (4), the mediator shall attempt to mediate between the farmer and the mortgagee.

[...]

Presumption of viability and sincerity

13 Where an application is made for an order pursuant to section 11, the court:

(a) shall presume that the farmer:

(i) has a reasonable possibility of meeting his or her obligations under the mortgage; and

(ii) is making a sincere and reasonable effort to meet his or her obligations under the mortgage;

[...]

Court supervised mandatory mediation

15(1) Where:

(a) an application for an order is made pursuant to section 11; and

(b) a mediator’s certificate is filed pursuant to subsection 12(7) with respect to the application mentioned in clause (a) indicating that the mortgagee has not participated in mediation in good faith;

the farmer may request that the court order supervised mandatory mediation.

(2) On the request of the farmer pursuant to subsection (1), the court:

(a) shall order supervised mandatory mediation; and

(b) where it makes an order described in clause (a):

(i) shall require both parties to mediate in good faith for a period to be determined by the court but not to be more than 60 days; and

(ii) may make any additional orders that it considers necessary to effect good faith mediation.

[...]

Homestead

17(1) Where:

(a) an application for an order has been made pursuant to section 11; and

(b) the court is satisfied that:

(i) property which is the subject of the action is a homestead;

(ii) the mortgage relating to the homestead was entered into prior to the coming into force of this Part; and

(iii) the farmer is making a sincere and reasonable effort to meet his or her obligations under the mortgage;

the court shall dismiss the application with respect to the homestead.

(2) Notwithstanding section 20, where an application for an order pursuant to section 11 is dismissed pursuant to subsection (1), no further application for an order pursuant to section 11 or a notice pursuant to section 12 shall be made with respect to the homestead for a period of three years from the date the application for an order pursuant to section 11 is dismissed.

(3) Where an application for an order pursuant to section 11 is dismissed pursuant to this section, no further application may be dismissed pursuant to this section with respect to that homestead.

(4) Notwithstanding subsection (2), a mortgagee may apply to the court for leave to bring an application for an order pursuant to section 11 if:

(a) the homestead ceases to be the residence of the farmer;

(b) there has been a significant deterioration of the property through the farmer’s neglect or wilful act; or

(c) the farmer is no longer making a sincere and reasonable effort to meet his or her obligations under the mortgage.

Burden of proof

18(1) Where an application for an order is made pursuant to section 11, in addition to any other burden of proof that lies with the mortgagee, the mortgagee has the burden of proof to establish that:

(a) the farmer has no reasonable possibility of meeting his or her obligations under the mortgage; or

(b) the farmer is not making a sincere and reasonable effort to meet his or her obligations under the mortgage;

and unless the court is satisfied that the burden of proof has been discharged, it shall dismiss the application.

(2) For the purpose of subsection 17(1), in addition to any other burden of proof that lies with the mortgagee, the mortgagee has the burden of proof to establish that the farmer is not making a sincere and reasonable effort to meet his or her obligations under the mortgage.

(3) For the purpose of subsection 17(4), in addition to any other burden of proof that lies with the mortgagee, the mortgagee has the burden of proof to establish that:

(a) the homestead has ceased to be the residence of the farmer;

(b) there has been a significant deterioration of the property through the farmer’s neglect or wilful act; or

(c) the farmer is no longer making a sincere and reasonable effort to meet his or her obligations under the mortgage.

[...]

Writ of execution

21 [...]

(7) In this section and section 109 and, for the purposes of an application pursuant to this section, in sections 11 to 20:

(a) “farm land” includes farm land that is subject to judgment enforcement;

(b) “farmer” includes the owner of farm land;

(c) “mortgage” includes judgment enforcement; and

(d) “mortgagee” includes the judgment creditor under judgment enforcement.

[...]

Action on personal convenant

25(1) In this section, “action” means an action taken by any person, including a recognized financial institution, with respect to:

(a) a mortgage of farm land, whether legal or equitable;

(b) an agreement for the sale of farm land; or

(c) a mortgage given as collateral security;

for the purpose of securing the purchase price or part of the purchase price of farm land.

[...]

Effect of final order of foreclosure

26(1) Subject to subsections (2) and (3), every final order of foreclosure of a mortgage on farm land is deemed to operate in full satisfaction of the debt secured by the mortgage.

(2) Where a final order of foreclosure applies to a mortgage on farm land that includes a homestead, the court shall, when granting the final order of foreclosure, apportion the debt secured by the mortgage between:

(a) the farm land that is a homestead; and

(b) the farm land that is not a homestead;

and the debt secured by the farm land that is a homestead is preserved.

[...]

Right of first refusal

27(1) Notwithstanding any provision in this Act or in any other Act, but subject to subsection 27.2(22) where, after the coming into force of this Act:

(a) either:

(i) a farmer voluntarily agrees to transfer his or her farm land by quit claim or otherwise to a mortgagee; or

(ii) a mortgagee obtains a final order of foreclosure or cancellation of agreement for sale against farm land; and

(b) the mortgagee subsequently receives a bona fide offer for all or any portion of his or her interest in that farm land which he or she is willing to accept;

the mortgagee shall give to the farmer who voluntarily transferred the farm land by quit claim or otherwise or against whom the final order of foreclosure or cancellation of agreement for sale issued, written notice of the terms of the offer.

[...]

(2) A farmer described in subsection (1):

(a) is deemed to have the first right for a period of 15 days after the written notice has been received by the farmer to notify the mortgagee of his or her intention to exercise his or her right to purchase all the farm land that is the subject of the offer and for the purchase price stated in the offer; and

(b) if the farmer notifies the mortgagee of his or her intention to exercise his or her right and on the expiry of the 15-day period mentioned in clause (a), shall provide within a further 15 days either:

(i) the purchase price; or

(ii) an unconditional and unequivocal letter of commitment from a recognized financial institution to the mortgagee to finance within a reasonable period the farmer’s purchase of the farm land that is the subject of the offer and for the price stated in the offer.

[...]

Interpretation of sections 27.11 to 27.9

27.1 In sections 27.11 to 27.9:

[...]

(b) “farmer”:

(i) means a mortgagor that is:

(A) a producer who:

(I) is a Canadian citizen or is a permanent resident as defined in the Immigration Act (Canada);

(II) is a resident person;

(III) has generated in the immediately preceding three years an average annual gross income from agricultural sales of at least $5,000 from his or her farming operations; and

(IV) is at least 18 years of age;

(B) an agricultural corporation:

(I) the majority of issued voting shares of which are legally or beneficially owned by a producer described in sub-paragraphs (A)(I), (II) and (IV); and

(II) that has generated in the immediately preceding three years an average annual gross income from agricultural sales of at least $5,000 from its farming operations; or

(C) a person prescribed in the regulations; and

(ii) includes an assignee named in an assignment made in accordance with subsection 27.21(1) and a devisee named in a will who is described in subsection 27.21(1);

[...]

Limits and acknowledgment of guarantees

31(1) In this section:

(a) “creditor” includes a mortgagee and a secured party;

(b) “guarantee” means a deed or written agreement whereby an individual enters into an obligation to answer for an act, default, omission or indebtedness of a farmer in relation to farm land or other assets used in farming, but does not include guarantees entered into prior to the coming into force of this Act;

(c) “lawyer” means a lawyer who has not prepared any documents on behalf of the creditor relating to the transaction and who is not otherwise interested in the transaction;

(d) “notary public” means:

(i) with respect to an acknowledgment made in Saskatchewan, a notary public in and for Saskatchewan;

(ii) with respect to an acknowledgment made in a jurisdiction outside Saskatchewan, a notary public in and for that jurisdiction;

who has not prepared any documents on behalf of the creditor relating to the transaction and who is not otherwise interested in the transaction

(2) No guarantee has any effect unless the person entering into the obligation:

(a) appears before a lawyer or notary public;

(b) acknowledges to the lawyer or notary public that he or she executed the guarantee; and

(c) in the presence of the lawyer or notary public signs the certificate in the prescribed form.

(3) The lawyer or notary public, after being satisfied by examination of the person entering into the obligation that he or she is aware of the contents of the guarantee and understands it, shall issue a certificate in the form prescribed in the regulations.

(4) If a notary public issues a certificate pursuant to subsection (3), the notary public shall do so under his or her hand and seal.

(5) Every certificate issued pursuant to this section by a lawyer or notary public shall be:

(a) attached to; or

(b) noted on;

the instrument containing the guarantee to which the certificate relates.

(6) A certificate issued pursuant to this section that is:

(a) substantially complete and regular on the face of it; and

(b) accepted in good faith by the creditor;

is admissible in evidence as conclusive proof that this section has been complied with.

(7) Every guarantee shall specify the maximum financial obligation in sum certain plus interest from the date of the demand on the guarantor to which the guarantor is liable.

(8) A guarantee that does not comply with subsection (7) is null and void and of no effect.

[...]

Hail insurance premiums

39(1) In this section and section 40, “farmer” includes a lessee.

[...]

Application of moneys; more than one debt

41(1) Where:

(a) a mortgage or security agreement is held as security for more than one debt; and

(b) moneys are paid by the farmer or are realized by the mortgagee or secured party under the terms of the mortgage or security agreement;

the mortgagee or secured party shall immediately apply the moneys received or realized in or towards payment of one or more of the debts secured by the mortgage or security agreement, and, unless the farmer in exercise of any right has given directions as to the application of those moneys, the mortgagee or secured party shall notify the farmer of the debt in or towards payment of which the moneys have been applied.

(2) Any agreement, stipulation or covenant that is contrary to subsection (1) is null and void and of no effect.

Certain conditions prohibited

42(1) No security agreement or collateral agreement shall contain a provision the application of which depends merely on the opinion of the secured party that a circumstance or state of things exists which affects security.

(2) A provision in subsection (1) in an agreement mentioned is null and void and of no effect.

PART III

Home Quarter Protection

Interpretation of Part

43 In this Part:

(a) “farmer” means a mortgagor;

(b) “mortgage” does not include a mortgage:

(i) financed by a vendor:

(A) who is an individual; or

(B) that is a corporation with fewer than 10 shareholders; or

(ii) granted before the coming into force of this Act to Farm Credit Canada continued pursuant to the Farm Credit Canada Act.

Restriction on orders affecting homestead

 

44(1) The operation of:

(a) a final order of foreclosure; and

(b) an order for possession contained in an order mentioned in clause (a);

insofar as it affects a homestead, is stayed for as long as the homestead continues to be a homestead.

(2) Every final order of foreclosure of a mortgage shall contain a declaration by the court that the land described in the order:

(a) is not a homestead; or

(b) is a homestead.

(3) Where the final order of foreclosure of a mortgage affects a homestead and other land, the declaration shall describe:

(a) the land that is a homestead; and

(b) the other land affected by the order that is not a homestead.

(4) If at any time land ceases to be a homestead, the court may declare that final order of foreclosure made with respect to that land shall operate with full force and effect.

[...]


 

PART IV

Possession of Equipment

Interpretation of Part

45 In this Part:

(a) “farmer” means a producer who or agricultural corporation that owes payment or other performance of a secured obligation, whether or not he, she or it owns or has rights in the article, and includes a person appointed pursuant to subsection 49(1);

[...]

Vendor’s rights restricted

46(1) In this section, “article” means any personal property that:

(a) is purchased by a farmer for use in farming; and

(b) has a selling price greater than $500.

[...]

PART V

Exemptions

Interpretation of Part

65 In this Part, “farmer” means a producer who:

(a) owes payment or other performance of the obligation secured whether or not he or she owns or has rights in the goods; or

(b) is an execution debtor.

Exemptions under executions

66 The following property of a farmer and his or her family is declared free from seizure under judgment enforcement:

(a) clothing, including jewelry, with a cumulative value that does not exceed the prescribed amount;

(a.1) medical and dental aids or other devices required or ordinarily used by the farmer or a dependant of the farmer due to physical or mental disability;

(b) household furnishings, utensils, equipment and appliances;

(b.1) domestic animals that are kept solely as pets with a cumulative value that does not exceed the prescribed amount;

(c) produce of a farm sufficient, when converted into cash, to provide food and fuel for heating purposes for the farmer and his or her family until the next harvest;

(d) all livestock, farm machinery and equipment, including one automobile or one farm truck, that are reasonably necessary for the proper and efficient conduct of the farmer’s agricultural operations for the next 12 months;

(e) one motor vehicle, where it is necessary for the proper and efficient conduct of the farmer’s business, trade, calling or profession, but only if that motor vehicle is not in addition to one mentioned in clause (d);

(f) the books related to any profession practised by the farmer;

(g) the tools and necessary implements and office furniture and equipment, used by the farmer in the practice of his or her business, trade, calling or profession with a value that does not exceed the prescribed amount;

(g.1) employment income in the amount set out in section 95 of The Enforcement of Money Judgments Act;

(h) the house and buildings occupied by the farmer as his or her bona fide residence and the lot or lots on which they are situated according to an approved plan to the extent of $32,000;

(i) seed grain chosen by the farmer, that is sufficient to sow all his farm land under cultivation to a maximum amount equal to the product of:

(i) two bushels per acre; and

(ii) the number of acres of farm land under cultivation by the farmer;

(j) the crop of the farmer to the extent that is sufficient, when converted into cash, along with any other means that he or she may have, to:

(i) pay all unpaid legitimate costs of harvesting the crop;

(ii) provide a necessary living allowance for the support of the farmer and his or her family until the crop of the following year is about to be harvested; and

(iii) provide necessary costs of his or her farming operations until that time;

(j.1) money, and property or income acquired through the investment of money:

(i) that can be separately identified as being received or as having been received by the farmer pursuant to a legal entitlement to compensation for physical or mental injury; and

(ii) that is being used or will be used to meet the reasonable and ordinary living expenses of the farmer and his or her dependants or to provide medical or other care facilities for the farmer or his or her dependants;

(j.2) prepaid funeral services for, or a burial plot intended for the interment of, the farmer, a dependant of the farmer or a member of the farmer’s family;

(k) the homestead;

(l) any trailer that is:

(i) occupied by the farmer as living quarters; and

(ii) not in addition to the house and buildings protected from seizure under clause (h) or (k);

(l.1) property of the farmer that is of such a low value that the sheriff believes that the costs of seizure and sale are likely to be approximately equal to or greater than the amount of the proceeds that will be available for satisfaction of the amount recoverable;

(m) the right of first refusal mentioned in section 27; and

(n) the right to lease pursuant to sections 27.1 to 27.9.

[...]

Deceased debtor

71 Where a farmer dies, his or her property that would be exempt pursuant to this Part from seizure under execution and that is exempt pursuant to this Part from seizure under a security agreement mentioned in section 68 is exempt as against his or her personal representative if it is in the use and enjoyment of and is necessary for the maintenance and support of:

(a) the surviving spouse;

(b) the children; or

(c) the surviving spouse and children;

of the deceased farmer.

[...]

Absconding debtors

73 Sections 66 to 68 do not apply to cases in which a farmer:

(a) has absconded; or

(b) is about to abscond;

from Saskatchewan leaving no spouse or children behind.

 

Loi sur la législation, S.S. 2019, c. L-10.2

The Legislation Act, S.S. 2019, c. L-10.2

[...]

...

SECTION 3

DIVISION 3

Interprétation des textes

Interpretation of Enactments

Caractère réparatoire des lois et règlements

Acts and regulations remedial

2-10(1) Les mots employés dans une loi ou dans un règlement pris en vertu d’une loi s’entendent dans leur contexte tout entier et au sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

2-10(1) The words of an Act and regulations authorized pursuant to an Act are to be read in their entire context, and in their grammatical and ordinary sense, harmoniously with the scheme of the Act, the object of the Act and the intention of the Legislature.

(2) Chaque loi et chaque règlement est censé réparatoire et reçoit l’interprétation équitable, large et libérale qui assure le mieux la réalisation de son objet.

(2) Every Act and regulation is to be construed as being remedial and is to be given the fair, large and liberal interpretation that best ensures the attainment of its objects.

[...]

...

Textes bilingues

Bilingual texts

2-18(1) Les versions française et anglaise d’un texte édicté dans ces deux langues font également foi.

2-18(1) The English and French versions of an enactment that isenacted in both languages are equally authoritative.

[...]

...

Termes définis

Defined terms

2-27(1) Dans un texte, les variantes morphologiques et grammaticales d’un terme défini ont un sens correspondant.

2-27(1) If a word or expression is defined in an enactment, other parts of speech and grammatical forms of the same word or expression have corresponding meanings.

(2) Les définitions et autres dispositions interprétatives s’appliquent :

(2) Definitions and other interpretation provisions:

a) dans le cas d’un texte, à l’ensemble du texte, y compris à l’article qui les renferme, sauf dans la mesure où une intention contraire se dégage du texte;

(a) in an enactment, apply to the whole enactment, including the section containing the definitions or interpretation provisions, except to the extent that a contrary intention appears in the enactment;

b) dans le cas d’une loi, à ses règlements, sauf dans la mesure où une intention contraire se dégage du règlement.

(b) in an Act, apply to regulations made or continued pursuant to that Act, except to the extent that a contrary intention appears in the regulations.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-154-21

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LE ROI c. BEZAN CATTLE CORPORATION et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 novembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Don Klaassen

Stephen McLachlin

 

Pour l’appelant

 

Shawn Patenaude

Courtney Yaremchuk

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’appelant

 

Shawn Patenaude Legal Prof. Corp

Yorkton (Saskatchewan)

Pour les intimés

 

 

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